Quel crétin, à rire au fond de la cellule de dégrisement. C'est un rire rauque mais c'est un rire tout de même qui quitte sa gorge, et c'en est presque rassurant en soit. À voir son arcade sourcilière en sang, sa lèvre qui est pas mieux. Sa mâchoire craque quand il laisse aller un éclat de plus et il le sent même pas Jack, tant son visage et son corps en entier sont grisés par le moment, les sens décuplés.

Il a cherché la merde, ou c'est le type dans la cage de métal en face de la sienne qui l'a provoqué, c'est pas clair. Les souvenirs qui l'ont mené à ici non plus, le trajet en entier dont il se souvient pas, du moment où on l'a agrippé par le col de son t-shirt puant le whisky et l'hémoglobine d'un autre, un pauvre gars qui a été dans son sillage au mauvais endroit au mauvais moment. Epstein se moque de lui d'ailleurs, il l'entend maugréer et grommeler encore, le voit faire des allers et des retours dans sa prison d'une nuit en maudissant le monde entier mais surtout le canadien qui lui a éclaté le nez, une dent avec.

Si vous lui demandez, il vous dira que c'est l'autre qui a commencé. Il vous dira Jack, qu'il faisait que boire son verre tranquille, qu'apprécier la scène ouverte de musiciens lambdas, dans un autre bar tout aussi anonyme de la ville. Il vous en dira de la merde, parce qu'au final il planait tellement sur sa nouvelle ligne de neige qu'il a rien vu venir. Son oeil vitreux qui saute maintenant, dommages collatéraux d'une bagarre comme une autre, après il les compte plus l'artiste, il les vit et c'est bien suffisant.

Il va arrêter de rire sous peu, par contre. Parce que le numéro qu'ils ont signalé les flics, son numéro au dossier, c'est celui de la maison, à Bayside. Et même si Ellie aurait jubilé d'être celle qui aurait reçu l'appel de venir le récupérer au poste, lui en aurait fait morfler pendant des semaines à le lui rappeler la bouche en coeur les prunelles scintillantes. C'est une toute autre brune qu'ils ont eue au téléphone, les gars chargés de lui annoncer que son cher et tendre était autant imbibé d'alcool que des marques déjà ecchymosées de ses blessures de guerre. Quel raté.

Tu mets une bonne minutes à comprendre où tu es alors que c'est une sonnerie stridente qui aurait réveillée la maison au grand complet. Mais la place à côté de toi est vide. Tout comme la chambre d'à côté aussi apparemment, puisque personne ne décroche. Tu n'aimes pas ça. C'est jamais bon signe un appel aussi tardif - ou aussi tôt peut-être ? C'est la voix endormie, les yeux encore collés que tu décroches. Oh si tu t'attendais à ça. Alors, il n'a répondu à aucun de tes appels, parce qu'il était trop bourré pour le faire ? Tu y penses sérieusement à le laisser passer la nuit là-bas. En même temps, elle est déjà presque terminé la nuit. Il est déjà quatre heure du matin quand tu arrives devant le poste de police, quand tu dois payer sa foutu caution pour le sortir de là. Tu aurais vraiment dû le laisser dégriser là-bas.

Il a l'air d'une merde quand il sort de là. Tu veux même pas savoir qui a cogné qui en premier. Tu veux pas savoir sa version des faits qui l'innocente. C'est une bagarre entre deux idiots qui ont trop bu. Voilà ton raisonnement des faits. Tu n'as pas besoin d'en savoir plus. Comment il a fait pour se rendre jusque là, Jack ? Qu'est-ce qui l'a poussé à boire autant, à dépasser les limites raisonnables ? « Non. Tais toi et monte. » que tu le coupes déjà dans son élan d'excuse bidon. C'est qu'il est mort au moins trois fois entre là-bas et ici quand ton regard rageux s'est cruellement posé dans le sien honteux. Il va juste s'enfoncer encore plus s'il ouvre la bouche. Vaut mieux pour lui qu'il la ferme.  Il l'a compris quand le retour à la maison se fait dans le calme plat, dans le silence ravageur. Ce qu'il peut faire mal parfois le silence.

« Tu sais à quel point c'est chiant à laver du sang ? » Encore pire que du vin rouge. Comme si détachée ce tee-shirt était vraiment le seul problème de la scène. Tee-shirt qui finira de toute façon aux vidanges tant il te répugne - le tee-shirt ou le propriétaire ? La douche froide que tu fais couler et lui que tu pousses dedans. Il fait peur Jack avec son visage enflé et croûté de sang. Et il empeste l'alcool. La douche n'est pas une option. Vraiment pas.

Elle est loin la lune de miel, du moins, dans son regard à elle. Lui il l'admire et lui il fait au moins l'effort de se redresser sur son siège de métal de merde, dans ses fringues de merde, son corps ankylosé qui pue la merde. Le spectacle est grandiose.

« Non. Tais toi et monte. » au moins il aura pas à inventer qu'il est repentant. Il aura pas à la regarder dans les yeux en lui disant à quel point il est désolé d'avoir cogné pour une raison ou une autre le gars à qui il dédie un haut et fier majeur dès lors qu'il passe à la hauteur de sa cellule. L'autre d'ailleurs on dirait un chien enragé, qui beugle des trucs incompréhensibles à cause de sa mâchoire éclatée. La dernière chose qu'il entendra dans le sillage d'Epstein, c'est son rire rauque de merdeux.

Il tuerait, pour une clope.
Et elle le tuerait, s'il fumait.
Elle est drôle l'ironie.  

De la voiture où le silence et les regards noirs étaient maîtres c'est maintenant la lumière grande ouverte de la salle de bain qui lui brûle la rétine et la douche qui lui glace la peau qu'elle lui réserve. Bien fait. « Tu sais à quel point c'est chiant à laver du sang ? » « T'aimais même pas ce t-shirt là. » quel con qui essaie de faire dans l'humour, tirant d'un geste bref et rapide - quoi que très désorganisé, on ne se le cachera pas - le dit t-shirt au sol. Il affiche un sourire victorieux qui lui élance dans les joues, ses lèvres sont fendues, encore étonnant qu'il n'ait pas de dents cassées.

Autant il peut maudire le monde entier sous le jet qu'elle a sûrement aligné pour qu'il tape parfaitement sur chacune de ses blessures, n'en reste qu'elle avait raison Elise, que se laver lui fait du bien. L'avantage avec la coke, c'est qu'elle n'annihile pas les sens comme l'aurait fait l'alcool ou l'herbe. Il s'endort pas le musicien, quand il sort de la salle de bain, une serviette nouée autour de sa silhouette cassée de partout. L'aube qui se lève rendrait le spectacle presque romantique, s'il ne s'attendait pas à faire face à un vent bien plus glacial de la part d'Elie, plus glacé encore que l'était l'eau à laquelle elle l'a exposé.

« T'as vu, il est assez tôt pour aller voir le lever du soleil. » et il en rajoute, ou du moins, il fait dans la prose de gamin. En espérant au moins racheter son matin à elle à défaut d'avoir bousillé la fin de leur nuit.

« T'aimais même pas ce t-shirt là. » Il sourit comme un con Jack. Il devrait pas sourire. Il devrait plutôt se contenter de prendre sa douche silencieusement et d'aller se coucher. Voilà ce qu'il devrait faire, mais non. Jack sous la douche, tu en profites pour fouiller dans la pharmacie. Sa trousse de premiers soins est nul. Tant pis pour lui.

« T'as vu, il est assez tôt pour aller voir le lever du soleil. » Il agit comme s'il ne s'était rien passé. Il est trop relaxe, comme d'habitude au fond, mais aujourd'hui, tu voudrais lui arracher la tête pour l'être. Qu'il y aille tout seul voir son foutu lever du soleil. « Assis-toi » La chaise que tu désignes, lui qui obéit. Tu viens lui attraper le menton pour regarder l'étendue des dégâts. C'est pas beau à voir. Et ce sera probablement pire demain. Sans compter son sourcil qui se remet à saigner. Ça l'aurait probablement pris des points. Ça va mal cicatriser. Il avait l'air de ça après le passage de Saül ? C'était mieux ? Pire ? Chose certaine, il n'avait probablement pas cet air fier non-justifiable.

Tu te gardes le commentaire que ça va piquer en espérant secrètement que ça brûle alors que tu t'appliques, pourtant, tout en douceur à désinfecter ses blessures. « Avec qui t'étais ? » Ton regard, il fuit le sien comme la peste alors que tu te concentres plutôt sur les points de rapprochement que tu poses un à un. Ce n'est pas l'idéal, mais ça devrait quand même suffire à arrêter le saignement. Elles arrivent enfin, les fameuses questions auxquelles il n'a aucune obligation de te répondre. Il te doit rien Jack. Vous ne vous êtes rien promis. Avec qui il était pour que les choses tournent si mal ? Avec qui il était pour que les verres s'enchaînent au point où il perde la raison ? au point où il choisisse les poings plutôt que de juste se tirer ? Même s'il répondrait, tu ne le connais pas son entourage, mais tu détestera quand même le prochain prénom qui sortira d'entre ses lèvres. Parce qu'il était forcément avec quelqu'un. On ne s'enfonce pas comme ça tout seul - dit la fille qui s'est probablement vomit dans les cheveux quelques semaines plutôt, c'est pas trop claire cette soirée après-midi là.

La douche aurait dû prendre une heure et une autre, dans un monde où il était bien plus lâche qu'il ne l'est finalement. Ainsi Elise se serait endormie et il aurait pu repousser à demain - ou à jamais - la discussion qui suivrait. Mais il a aucune perception du monde extérieur Jack, il fait juste multiplier les merdes sans jamais le réaliser. Maladroit et malhabile seraient des termes bien trop minces pour le décrire, surtout avec la neige qu'il s'est sifflée avant de lancer avec violence les hostilités. Les effets restent encore, ils s'accrocheront à ses sens pour un moment de plus. Suffisamment pour lui, trop pour le reste du monde.

« Assis-toi » il procède, le con, gardant son sourire le moindrement enfantin aux lèvres même si sa mâchoire lui fait un mal de chien. Au fond, il pense simplement qu'en ayant l'air rassurant elle sera rassurée - ça, c'était sans compter son arcade qui recommence à saigner et sa vue nette qui en redevient brouillée. « Avec qui t'étais ? » il allait s'étirer pour attraper un linge vaisselle lambda et essuyer son mess, elle profite d'une fraction de seconde de distraction de la part du canadien pour le remettre en place sur son siège, pour sortir l'alcool à friction et les cotons.

« De base avec personne. » alors il commence son plaidoyer, l'imbécile. C'est la vérité, pour une fois, et c'est ce qui est le plus alarmant. De base il n'était pas avec Ivy, il n'était pas avec elle à une soirée où il doit bien se comporter pour les gros porte-feuilles qu'ils tentent de rattraper à deux. Non, là, il était seul Jack et habituellement il sniffe pas, quand il est en solo. Habituellement. « Puis y'a eu celui qui a fait ça, et celui qui a fait ça. » du bout de son doigt relativement croche au point où on peut se demander s'il fait pas partie du registre des os cassés lui aussi, il pointe l'ecchymose sur sa joue, puis la coupure qui se niche entre son front et la ligne de son cuir chevelu. Il était avec des gars qui ont répondu à ses coups, c'est tout.

« De base avec personne. » Ça commence bien, vraiment bien. Non. Vraiment pas. « Puis y'a eu celui qui a fait ça, et celui qui a fait ça. » Ses blessures qu'il désigne une à une comme si c'était pas la fin du monde, comme si ce n'était pas grave. Si, ce l'est. C'est une bonne chose la plupart du temps cette manie qu'il a à tout dédramatiser. La plupart du temps, oui, mais pas aujourd'hui. « Donc, tu étais tout seul dans un bar à boire comme un trou, c'est ça ? » Les faits que tu étales. C'est que tu pourrais presque t'inquièter pour lui dans un tout autre contexte. Tu pourrais te questionner sur ce qui l'aurait poussé à boire autant. Tu pourrais t'en vouloir de ne pas avoir remarqué que quelque chose n'allait pas, parce que tu prends trop pour acquis que lui, il va bien, que c'est toi qui va mal, qui a les problèmes à gérer. Pas lui. Mais ta nuit écourtée et ta visite en prison t'enlève tout once de compassion envers lui. Demain. Peut-être. « Oh! et laisse-moi deviner. C'est eux qui on commencé ? » que tu ajoutes sourire aux lèvres. Non. C'est pas vraiment un sourire. Il est con si il y croit, tant tu ne mets aucun effort dessus. Mais c'est toujours comme ça. C'est toujours la faute des autres. Et peut-être que c'est vrai. Mais tu n'en à absolument rien à faire de qui a frappé qui en premier, de quel idiot a provoqué l'autre. Rien. À. Faire.

« Va te coucher Jack. » Parce que la logique des choses veut qu'il le soit, fatigué. Parce qu'il n'a pas fermé l'oeil de la nuit et qu'il a besoin d'une bonne nuit - journée? - de sommeil. Et puis, ça va. Il devrait survivre. « J'vais rentrer chez moi. » que tu ajoutes la blessure refermée du mieux que tu peux, les pansements en trop que tu laisses en plan sur l'îlot de la cuisine. Non. Tu n'as pas envie de rester avec lui dans cet état là. Il aurait eu droit à sa première nuit sur la sofa si vous viviez ensemble. C'est presque de la chance que xe ne soit pas le cas, malgré le fait que tu commences à passer plus de nuit ici que chez toi. Chez toi... c'est angoissant juste penser à y retourner. Les absences répétées d'Ellie joue souvent en ta faveur, mais, ouais, tu risques de finir par un peu trop prendre pour acquis qu'elle est jamais là.

« Donc, tu étais tout seul dans un bar à boire comme un trou, c'est ça ? » elle résume bien Elise et c'est tout un art vraiment. Lui il tergiverse encore dans sa tête, perdu entre les coups de poings qu'il a pu donner et recevoir, la traînée de poudre sous son nez pour seul alibi lui suffisant à étrenner un sourire de conquérant - ecchymosé - pour seule réponse. « Oh! et laisse-moi deviner. C'est eux qui on commencé ? » il hausse de l'épaule Jack, pas défaitiste mais pas non plus fait pour être un grand orateur. Il a bu, il s'est battu, est-ce qu'on peut en revenir ou on risque d'analyser la séquence encore demain? Ah non wait, c'est aujourd'hui, demain.

Et le voilà qui se dégage en même temps qu'elle fait pareil. Deux miroirs qui n'ont rien d'identiques, qui ne reflètent absolument pas la même chose, quand il se fait la remarque mentale que c'est pas surprenant, son comportement. C'est ce à quoi on s'attend de lui, le raté de service, le gars qui sombre dans la drogue dès qu'il a une faiblesse. Le mec qui pue la clope et l'alcool, celui qui a autant de cicatrices que de nuits effacées, de blackouts et de combats avortés au compteur. Qu'elle ne joue pas les étonnées.

Là par contre, c'est lui qui l'est, étonné. « Va te coucher Jack. » son coeur martèle ses tempes, la drogue s'assure qu'il n'ait pas besoin de dormir pour encore une bonne poignée d'heures. (presque)Frais comme une rose est-il. « J'vais rentrer chez moi. » la voix qu'elle utilise pour l'annoncer n'augure rien, mais alors rien de bon. Et ce qui envenimera la scène un peu plus, ce sont les doigts gercés, blessés du musicien qui s'enlacent avec toute la douceur du monde autour du poignet de la brune, elle qui était dans son élan de fuir déjà. « Reste. » un homme de peu de mots Epstein. Mais ceux qu'il énonce ont toujours autant de véracité que de pouvoir en conséquence. « Je fais du café. » comme cette fois-là où elle avait dormi ici. Comme cette fois-là où tout avait commencé. Et si c'était pas assez?

« Reste. » Et il te retient dans ton élan de départ alors que sa main vient se refermer sur ton poignet. Ton regard qui se perd quelques secondes sur sa prise avant de retrouver son regard à lui, qui semble soudainement emplis de douceur. L'ambiance change tout d'un coup. Il semble si loin son sourire vainqueur qui n'avait pas lieu d'être de toute façon. « Je fais du café. » Tu soupirs un peu. Tes sourcils qui se froncent légèrement, pensive. Malheureusement pour lui, il est déjà trop tard. Tu n'as plus envie de rester. C'était hier qu'il aurait dû être là, qu'il aurait au moins dû décroché à tes appels. Il lui restera au moins ça, la voix amoureuse laissé sur sa boîte vocale la veille.

« J'aime pas ça te voir comme ça. » que tu débute, la naïve qui croit que ce n'est qu'un épisode isolé, que ce genre de situation ne se reproduira plus à l'avenir. Parce que tu es convaincu qu'il n'est pas comme ça, Jack. Tu ne veux surtout pas qu'il le soit. Demain, ce sera déjà oublié. Qu'il oublie son café. Qu'il aille plutôt se reposer, retrouver ses esprits. Demain, ça ira mieux. Tu finis par reprendre ton bras. Bras que tu libère de sa main à lui. « Et j'ai pas non plus envie de rester. » que tu termines, tes lèvres évitant les siennes, fendues, trouvant refuge contre sa joue entre deux blessures dans toute ta douceur. Ce serait mentir de dire qu'il n'y a pas une toute petite partie de toi qui n'a pas envie de rester, parce qu'elle est bien là. Mais celle qui veut partir est encore plus grande. Tu n'as pas envie d'un café avec lui et d'agir comme s'il y a à peine une poignée de minutes tu ne le faisais pas sortir de prison. Alors, oui, tu pars.

« Mets de la glace. » Un ultime conseil avant de rapatrier le reste de tes affaires qui s'éparpillent chez lui de plus en plus à chaque visite. C'est que tu commences à y être un peu trop à l'aise, alors que tu ne devrais probablement pas. « On se rappelle plus tard. » Plus tard, quand il aura dégrisé, quand tout sera à moitié oublié. Ce que tu es doué pour rien régler et tourner la page. Tu n'as rien compris des vingt dernières années visiblement.