Le Deal du moment : -17%
(Black Friday) Apple watch Apple SE GPS + Cellular ...
Voir le deal
249 €

 Spring will come to those who seek it

Anonymous
Invité
Invité
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it EmptySam 7 Mar 2020 - 14:59




Spring will come to those who seek it
Lola#3

@Lola Wright  
Evidemment que cette conversation m’a laissé un goût amer en travers de la gorge. Assis en tailleur sur le pont de mon catamaran, un verre à la main et une cigarette entre les lèvres, je me souviens de l’embarras de Lola dès lors qu’elle m’interrogea sur ma consommation d’alcool. A aucun moment elle ne tenta d’adoucir le fond de sa pensée. D’après elle, je suis alcoolique. Au contraire, elle n’aurait pas formulé aussi franchement sa proposition de m’accompagner à une réunion des AA. Les alcooliques anonymes. J’avais déjà tenté l’expérience et je n’avais absolument aucune envie de recommencer. Ils m’ont collé un badge entre les doigts et, hormis l’animateur, tous m’ont regardé comme si j’étais l’un de leur compatriote, un de plus, un qui rendra la misère de leur vie plus tolérable. J’étais certain d’avoir lu dans le regard de certains de la compassion et de la pitié. Lola, en récitant la définition de son manuel de cours, avait beau dire que ce sentiment n’avait rien d’humiliant, je ne parvenais pas à m’en convaincre. Qu’en sait-elle finalement ? Entre la théorie et la pratique, il y a un monde, une utopie. J’ignorais si elle l’avait déjà expérimenté d’ailleurs. Je ne sais pas grand-chose de cette jeune adulte. Je présumais que le sort ne l’avait pas épargnée : il n’oublie personne. La disparition de Sofia ne fut jamais qu’une expérience de plus pour elle. C’est évident. Néanmoins, elle était meilleure que moi. Elle aimait les gens sans s’en méfier. A contrario, elle ne tendrait pas la main. Elle n’aurait pas affirmé, en quittant la voiture, qu’elle espérait me creuser une place dans sa vie, ce qui sous-entendait qu’elle craignait de m’avoir vexé. Je ne l’étais pas. Le comble, c’était que je l’attendais, ce message qu’elle m’a promis. Et plus il tardait à venir, plus j’imaginais qu’elle avait pris du recul et qu’elle s’est renfrognée à cause de ma réaction. J’avais peut-être manqué de délicatesse. Ma maladresse se vérifiait régulièrement avec Rae. Il y a une différence notable entre ce qui sort de ma bouche et ce qui se cache dans mon esprit. Je ne manie pas assez bien les mots pour éclaircir le fond de ma pensée. Dès lors, plongé dans cette introspection, je me demande si je ne devrais pas lui écrire moi-même un texto pour m’excuser. Ma fierté n’en souffrirait pas. Je n’ai pas à dissimuler l’indicible avec Lola. Il n’y a pas de jeu malsain entre nous. Ce serait, à peu de chose près, comme si je m’étais présenté à la porte de la chambre de mon enfant pour solliciter sa clémence après m’être comporté comme le roi des cons. Mon portable entre les doigts, j’en ai donc rédigé, je l’ai effacé, recommencé : je n’ai rien envoyé. J’ai choisi de patienter, d’attendre qu’elle se calme, qu’elle vienne à moi si son cœur le lui chante. Et ça ne tarda pas. Je reçus un texto à son image : long et aimable. Elle me proposait un petit-déjeuner pour le lendemain matin et j’ai accepté, heureux qu’elle m’ait contacté.

En approchant du salon de thé, je me suis toutefois senti moins à l’aise qu’à l’accoutumée. Et si elle souhaitait reparler de ma pseudo-pathologie ? Si elle attendait que je lui demande pardon et qu’elle exigeait que j’accepte de participer à ces fichues assemblées ? Était-ce bien son rôle ? Le prendrait-elle mal si je le lui refusais ? Est-ce normal que je l’autorise à me percer à jour ou, en tout cas, à m’obliger à l’introspection ? Je lui ai souri faiblement en l’apercevant, assise sagement à une table qu’elle avait certainement choisie parce qu’elle était bien exposée à la lumière. En m’installant en face d’elle, j’ai soupiré, manifestant mon plaisir de la voir malgré que je sois toujours un peu penaud. « Je suis content que tu m’aies écrit. Et, c’est sympa, ici. » Je jetai un regard circulaire autour de moi. « Alors ? Comment tu vas ? » Une serveuse, semblant emprunté à film des années soixante, nous salua et déposa devant nos yeux une carte. Pour moi, ce serait simple. Un capuccino, mousse de lait. « Tu sais, j’ai beaucoup repensé à notre conversation et… et je suis désolée si je t’ai froissé. J’ai…Enfin, soit… tu as une idée de ce que tu vas prendre ? » avançais-je en récupérant la carte.  




Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it EmptyDim 8 Mar 2020 - 11:56

Lola prenait toujours du temps pour digérer les rencontres fortes qu'elle faisait. Elle n'avait appelé Grace qu'après des mois, et elle ne contacta Amos qu'après deux semaines. Elle avait besoin de ce repos, de cet interlude, pour faire le bilan, pour savoir ce qu'elle ressentait, ce qu'elle pensait, comment elle avait envie de se comporter par rapport à cette personne en particulier. Avec Grace, elle avait fini par trouver un équilibre qui lui convenait, même si c'était toujours hasardeux, parce qu'il y avait beaucoup d'émotions, de vulnérabilité. Lola espérait parvenir à un résultat aussi harmonieux avec Amos. Elle avait décidé qu'elle ne parlerait plus d'alcoolisme pour le moment, que ça reviendrait sur le tapis, mais qu'elle prendrait son temps, qu'elle apprendrait à connaître l'homme plutôt que de le réduire à seulement une occupation, un mécanisme de défense. Il méritait mieux que ça, et elle aussi.

Pour pallier au risque de le voir soûl, Lola avait trouvé une solution parfaite : ils prendraient le petit-déjeuner ensemble, une fois par semaine ou une fois par mois, comme il le préférerait, parce qu'il avait l'air d'un homme occupé. Elle espérait qu'à cette heure-là, il serait peut-être encore sobre ; c'était en tout cas tout ce qu'elle pouvait faire pour ne pas participer de sa dépendance tout en continuant à le fréquenter. On fait la paix avec soi-même comme on peut. Elle avait passé des heures à chercher les meilleurs salons de thé de la ville, puis avait retiré ceux qui l'étaient par leur élégance (elle n'avait pas envie d'avoir le petit doigt levé en sirotant un thé anglais) et retenu ceux qui l'étaient par atmosphère et saveur. L'histoire de comment ils s'étaient retrouvés dans un Starbucks était en fait assez comique : Lola avait eu une panne de réveil, et avait dû trouver le lieu le plus proche de chez elle pour s'habiller en vingt-cinq secondes et y aller ; elle avait envoyé la rectification à Amos par message, et heureusement il avait accepté sans broncher.

Lola était arrivée avant lui, soit par magie, soit parce que c'était vraiment à deux minutes à pied de chez elle, et elle eut un vaste sourire lorsqu'elle le vit s'approcher. Elle remarqua immédiatement pourtant son attitude hésitante, son sourire d'entre-deux, content d'être là mais gêné, encore. La partie puérile de Lola avait espéré qu'ils ne reparlent plus de leur dernière conversation, qu'ils fassent comme si elle n'avait pas eu lieu ; mais sa partie adulte savait bien qu'il était beaucoup plus mature et prometteur de reconnaître qu'ils en avaient parlé, et qu'ils étaient là quand même, et que tout n'était pas résolu, mais qu'on partait sur un bon chemin. "Merci d'avoir accepté de venir ici, finalement, je suis désolée d'avoir prévenu à la dernière minute." Chaque mot prononcé était difficile car elle n'avait pas encore eu son café et son jus d'orange ; ça la faisait sourire d'être devenue à ce point-là dépendante de ces deux substances liquides pour commencer sa journée. "Je vais bien, je-" La serveuse vint déposer les cartes, et Lola la remercia avec un sourire poli, avant de se jeter sur la sienne, pour parcourir tout tout tout d'un oeil rapide.

Lorsqu'Amos s'excusa pour la dernière fois, Lola fit un geste de la main pour évacuer le sujet, lui jetant un regard bref et chaleureux, avant de revenir au menu. "Je vais prendre les pancakes au sirop d'érable avec des bananes caramélisées, un jus d'orange et de pamplemousse, et un café au lait." Elle sentait déjà son coeur et son estomac danser de bonheur. "Et toi ? T'as l'air du genre à prendre juste un café, mais je pense que tu devrais aussi commander des oeufs. Par exemple", elle regarda le menu de nouveau, "par exemple les oeufs brouillés avec un side de bacon", elle hocha de la tête, c'était parfait, ça, "et on peut tout partager, si tu veux." Ca la faisait rire, elle se trouvait chipie, et elle rigolait bien sûr, parce qu'il n'était pas du tout obligé de commander ça, mais elle était très sérieuse aussi, parce qu'elle mangerait bien la moitié d'un plat d'oeufs brouillés. Le petit-déjeuner était une affaire sérieuse pour la jeune peintre. La serveuse revint les voir, et Lola passa sa commande, puis se tourna vers Amos : alors, que prendrait-il, finalement ? Puis, elle tendit les deux menus à la serveuse, qui repartit aussitôt.

"J'ai commencé à lire les BDs. Je ne voulais pas me lancer dans Marvel tout de suite, alors j'ai pris le travail d'un artiste qui s'appelle Craig Thompson. J'ai failli m'évanouir tellement c'était bien. Notamment son roman graphique Blankets. Un chef d'oeuvre." Lola parlait avec conviction et émotion. Elle ne s'attendait pas à ce qu'une bande-dessinée puisse autant lui plaire, car elle avait été éduquée pour considérer ce médium comme un sous-genre. Avec Sofia, ça avait été différent, parce que Sofia pratiquait cela comme de l'art, dans sa démarche, dans son ouverture, mais Lola ne s'attendait pas à ce que ce soit le cas d'autres créateurs de comics. Surprise, surprise. "J'ai aussi parcouru les Walking Dead, mais même dessinés, les zombies me font trop peur." La serveuse vint déposer les cafés, et Lola se mit à souffler comme une chèvre sur le sien pour pouvoir le boire au plus vite. Ca mettrait un peu d'ordre dans ses pensées et ses mots. "Quoi de neuf, toi ? Qu'est-ce que t'as fait ces deux dernières semaines ?" Lola restait vague, car elle ne voulait pas tout de suite rentrer dans l'intime, le personnel et l'inavouable. Elle se doutait que cela viendrait, tout simplement parce qu'ils étaient tous les deux beaucoup trop à fleur de peau pour que leur rapport reste superficiel. Mais d'abord, elle voulait boire son café.

@Amos Taylor
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it EmptyMer 11 Mar 2020 - 18:30




Spring will come to those who seek it
Lola#3

@Lola Wright  
Ses remerciements étaient somme toute inutiles. Je n’étais pas là pour lui faire plaisir. Je m’étais pointé au lieu indiqué – rectifié - par envie et parce que j’estimais lui devoir des excuses pour m’être braqué. Sur le moment, j’avais considéré avoir fait preuve de délicatesse malgré le déni. Aujourd’hui, la situation a fondamentalement changé. Je m’étais réveillé un matin dans les bras d’une femme que je n’avais pas invitée, mais qui était néanmoins la bienvenue – toujours - et les souvenirs de la veille m’avaient fait mal au cœur. Cette pitié, que je dénonce chez les autres, que j’ai en horreur, que je vis comme une profonde insulte, je la ressentis à mon égard. La claque avait été violente. Elle le fut tant que me découvrir des sentiments sincères et nobles pour Raelyn me parut, en comparaison, facile à gérer. Sans doute parce que c’était prévisible. Quoi qu’il en soit, en m’asseyant en face de Lola, au terme de quelques salamalecs de rigueur, je tirai la conclusion que, si elle balaie mon repentir d’un geste affable de la main, le jour serait mal choisi pour revenir sur une anicroche préalablement derrière nous – ou en partie - par un message et quelques aveux. Elle souhaitait que j’intègre sa vie. J’étais prêt à lui en accorder une dans la mienne. Le problème, à défaut d’être réglé, était rencardé dans le placard du « plus tard » et ça m’allait bien comme ça. Lui expliquer que j’avais compris, qu’elle avait raison, que j’étais bel et bien un fichu alcoolique, mais que je refusais de saisir sa main tendue parce que c’était trop tôt était au-dessus de mes forces. Ses traits trahiraient sa déception. Elle me fendrait le cœur et réveillerait cette culpabilité que Raelyn parvint à bercer et à endormir à grand-peine. Je n’en avais plus besoin pour l’instant et, quand bien même m’apporterait-elle du bon, ce dont je doutais sérieusement, j’avais bien d’autres aveux pour Lola, concernant par la beauté de son travail sur la BD de Sofia et sur l’impact que cette œuvre commune avait eu sur mon moral.

Évidemment, je ne comptais pas lui rapporter qu’elle m’avait achevé d’enfoncer dans mon cœur l’opinel du couteau qu’était la clôture de l’enquête par les forces de l’ordre. Les conséquences sont douloureuses à exprimer. Je ne suis pas encore lavé de ma honte et je suis par ailleurs convaincu que, sans cette mauvaise nouvelle, je l’aurais mieux encaissée. Mon cœur se noua bien moins lorsqu’une fois seul, j’ai pris la peine de la relire. Sur l’heure, c’est la carte que je découvre sans gourmandise. J’aime manger, mais le matin, alors que je n’ai pas nourri mon estomac de mon addiction, j’ai l’impression que dernier ne pourra rien recevoir, contrairement à celui de Lola. « Et, tu vas mettre tout ça où ? » l’interrogeais-je les yeux ronds. «Aucune idée» Je penchais vers “rien“. Elle ne l’entendit pas de cette oreille et je me laissai tenter. « Je suis bien du genre à prendre un café, mais tu ne vas pas manger toute seule. » Ne dit-on pas que l’appétit vient en mangeant ? « Et on partagera tout. » L’affaire se plia auprès de la serveuse, tout sourire, certainement satisfaite par la commande, nous abandonnant à nos retrouvailles et nos bavardages. « Sofia disait aussi très souvent qu’ils étaient effrayants, mais elles les lisaient quand même. » Elle les dévorait. « Et elle élaborait toute sorte de théorie derrière ses lectures. Elle avait du mal à se contenter de la fin. Si elle ne lui plaisait pas, elle la réinventait. » Le sourire qui accompagna l’anecdote n’était pas morne. Il emprunta à la nostalgie un peu de ses traits, mais je ne me sentais pas accablé, ce qui était aussi étonnant que rassurant finalement. Autant que la rondeur d’un café qui chatouille les papilles. Je remerciai l’ouvrière d’un signe de tête et j’enchaînai. « J’ai lu une BD moi aussi. » remarquais-je avec un clin d’œil. « Tu as… fait un travail formidable. Et…tu as du talent. Vous en avez toutes les deux. » Un talent indéniable, à n’en point douter. « Mais, je ne vais pas te cacher que ce fut… »

Quel mot employé ? Dévasté ? Non ! Ce serait exagéré. Remué ? L’adjectif serait plus juste. C’est l’accumulation qui rendit la découverte difficile à assumer. « Parfois un peu compliqué… » préférais-je pour adoucir la réalité. « Mais, certains passages m’ont fait sourire. » Lorsque je fus en mesure de déchiffrer les images sans être complètement saoul. « Et, parmi tous les faits qu’elle raconte, il y en a qui sont vrais, mais qu’elle a un peu romancé. Tu te souviens le moment où elle part au bout du monde chercher une fleur ? Pour préparer une potion qui chassera les spectres de la maison de sa voisine ? »  Je n’attendis pas qu’elle acquiesce pour poursuivre. « Eh bien, cette histoire est plus ou moins vraie. Les fantômes, c’était la maladie. » Janet, cette jeune femme âgée d’une cinquantaine d’années qu’elle croqua à merveille, vivait bel et bien à côté de notre maison. « Elle avait un cancer, ce qui a beaucoup heurté Sofia. Elle l’autorisait souvent à cueillir des fruits sur son verger. Elle y était beaucoup attachée. » Elle était morte, alors que ma fille fêtait son 7e anniversaire. « Il y en a plein d’autres comme ça. Des bons et des moins bons moments, mais les plus mauvais, elle s’est arrangée pour…. » Les rendre moins moches ? « C’était bien une forme de thérapie pour elle visiblement. » Un instant, je me perdis dans mes pensées et, soudainement, me reprenant, je me suis surpris. « Bon, et toi alors ? Tu as fait quoi de tes  quinze jours ? On parle toujours de moi, mais je suis curieux, moi aussi. Je veux tout savoir. Petit copain ? » Ou copine, ça n’avait pas grande importance pour moi.  



Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it EmptyMer 11 Mar 2020 - 20:55

On ne construit pas des relations que sur des conversations difficiles et douloureuses. On n'apprend pas à connaître quelqu'un qu'en lui posant des questions complexes et en le confrontant à ses quatre vérités. C'est dans les détails, les petits moments, le sourire d'Amos qui acceptait de commander des oeufs, finalement, qu'on créait un lien, et Lola sentait une formidable légèreté, un optimisme extraordinaire, grâce à ces toutes petites choses de rien du tout. Elle aurait eu envie d'encore remercier Amos, mais elle gardait la gratitude pour le moment où elle aurait dévoré un peu plus que la moitié des oeufs et qu'elle lui devrait une explication ou un remerciement. Oui, c'était un plan tout à fait machiavélique. "Je mets tout ça dans ma poche de kangourou", affirma-t-elle en hochant la tête avec un visage absolument sérieux. Elle eut conscience que ça pouvait prêter à d'autres interprétations, et elle ajouta immédiatement : "Je ne suis pas enceinte, hein, c'était juste une blague." Elle avait l'habitude que ses plaisanteries soient nulles, mais c'était un double effet gagnant lorsqu'en plus elles semaient la confusion.

"Oh, je faisais ça, moi aussi !" s'écria Lola, ravie de trouver une similitude de plus entre elle et Sofia : réinventer la fin des histoires quand celle-ci n'allait pas. Elle avait fait ça pour Buffy contre les vampires (elle était petite, donc elle trouvait que Buffy et Spike formaient un couple parfait), pour Le roi lion (Mufasa revenait à la fin et expliquait que tout cela avait été pour enseigner à Simba à être roi, et tout le monde faisait la fête), pour La petite sirène (Ariel expliquait au prince qu'il était adorable mais que ce n'était pas la vie qu'elle souhaitait et allait explorer le monde). Elle avait rapidement renoncé à partager ses idées avec son entourage, parce qu'on la regardait encore plus bizarrement que d'habitude, et se contentait d'illustrer ces nouvelles fins des films. Ces dessins devraient encore être dans un carton quelque part dans la cave chez ses parents.

Amos raconta qu'il avait lu la BD de Sofia, et Lola se figea. Ses yeux étaient écarquillés, son souffle inexistant, elle attendait le verdict, et eut un profond soupir de soulagement lorsqu'il fut positif. Elle n'avait pas raté. L'oeuvre de Sofia était préservée. Ca avait plu à Amos. Tout n'était pas perdu. Sofia aurait été tellement, tellement heureuse. Lola souleva très légèrement sa tasse de café vers le plafond pour trinquer imaginairement avec Sofia : well done, my dear. Amos évoquait les émotions difficiles survenues pendant la lecture, ce qui faisait complètement sens. "Oui, c'est normal", dit simplement Lola, parce qu'elle voulait qu'il se sente vu, entendu, validé. Il enchaînait déjà sur des détails, des ajouts, des morceaux de réalité qui venaient s'agréger à la fiction. Si elle se souvenait de l'épisode de la fleur ? Bon dieu, elle l'avait dessinée une quarantaine de fois, cette fleur. Elle avait étudié beaucoup, beaucoup, beaucoup trop de fleurs à son goût, tout ça pour trouver les couleurs que Sofia aurait aimées. Oui, elle se souvenait.

Oh, c'était une voisine. Morte. Une métaphore. Sofia n'avait jamais parlé de ça. Elle avait tout le temps l'air si heureuse, mais était-ce une façade ? Pourquoi Lola n'avait-elle pas insisté pour savoir ce qu'il y avait en-dessous ? Parce qu'elle n'était pas sa thérapeute, elle était son amie. Mais aurait-elle dû pousser ? Aurait-elle dû savoir ? Sa mort avait-elle un lien quelconque avec cette profonde tristesse au fond d'elle ? Lola s'obligea à arrêter ce train de pensée. Non. Nous n'irons pas par là. Non. "J'aimerais bien voir ton ancienne maison, un jour", déclara-t-elle avant d'avoir pu se retenir. L'homme était en procédure de divorce, il n'avait peut-être pas une folle envie de l'emmener faire une visite guidée des lieux. Elle ne retira pas ce qu'elle avait dit, pourtant. Ca ne l'obligeait à rien. Ce n'était même pas une demande. C'était juste un fait, un sentiment. Elle aimerait bien, et voilà tout.

Amos, lui, voulait en savoir plus sur sa vie à elle. Et Lola eut un sourire figé pendant quelques secondes, lorsque, sauvée par le gong, elle vit apparaître les plats. "Tiens donc, quel timing", plaisanta-t-elle tout en levant sa fourchette, prête à se lancer à travers les assiettes. Elle fit son élégante qui piochait lentement parmi les aliments, uniquement parce qu'elle ne connaissait pas assez Amos pour se permettre de dévaliser la banque du petit-déjeuner. Elle réfléchissait à la question, à ce qu'elle allait bien pouvoir répondre. "Je suis allée en Islande. C'était ma première fois hors du continent. C'était incroyable." Elle sentit son coeur se serrer rien que d'en parler, il y avait une telle nostalgie, quelque chose qu'elle n'avait jamais éprouvé encore, l'envie d'y être de nouveau. "J'ai organisé l'anniversaire surprise d'une amie, qui est aussi ma boss à la galerie d'art. C'était hyper chouette." Elle hocha de la tête, ravie, elle avait eu peur que ça tourne à la baston, mais tout s'était plutôt bien passé.

"Et si j'ai un copain ? Non. J'ai un peu mais pas vraiment une copine, mais pas du tout en fait, mais comment dire, je crois que j'aimerais bien, mais je n'y suis pas. Je sais : la vie est courte, tout ça, tout ça, lancez-vous, aimez-vous, soyez fous. Mais cette fille, ce n'est pas juste. Ce n'est pas juste qu'elle tombe sur moi alors que je ne suis pas prête, qu'elle mérite mille fois mieux et qu'elle ait une espèce d'épouvantail qui prétend être artiste mais n'est pas foutue de -" What-the-hell? Lola ouvrit de grands yeux. Venait-elle de révéler quatre-cent-cinquante-trois informations hyper intimes à Amos d'un coup, alors qu'elle avait prévu de ne rien dire du tout ? Mais comment ? Où ? Pourquoi ? Elle eut un regard autour d'elle comme si elle cherchait une source de magie (blanche ou noire d'ailleurs, les deux lui paraîtraient logiques). "Nope. Nope. Nope." Ah, maintenant, elle revenait à elle-même, toute cassée. "Je ne voulais pas du tout, du tout me lancer sur un tel sujet. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé." Mais elle ne pouvait retenir la curiosité, maintenant que tout était sorti de toute façon : "Comment tu sais, quand t'es amoureux ? Ca ne m'est encore jamais arrivé, et j'aimerais bien savoir les signes, les symptômes, enfin tu vois ce que je veux dire." Elle espéra qu'Amos avait déjà été amoureux, parce que sinon ce serait difficile pour lui de répondre à la question, et ils seraient tous les deux extrêmement gênés.

@Amos Taylor
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it EmptyDim 15 Mar 2020 - 12:32




Spring will come to those who seek it
Lola#3

@Lola Wright  
J’ai dû lever vers elle des yeux ronds, des yeux qui crient : répète, je ne suis pas certain d’avoir compris, car elle se justifia aussitôt. Elle n’est enceinte, Lola. Elle ne porte pas la vie, s’assurant au passage autant de bons moments que de compliqués. C’est une expérience que d’être parent et, du peu que je la connaissais, je doutais qu’elle soit prête pour cette aventure. Elle a tout d’une enfant, Lola. Elle s’assume comme une adulte, mais elle ose tout sans grande diplomatie. Les mots semblent souvent dépasser sa pensée avec une spontanéité désarmante et une insouciance touchante. Ces qualités, on tend à les mettre de côté pour le bien-être de cet être sous notre responsabilité. On les ressort de notre chapeau bien sûr. Il convient de jalonner le quotidien de notre progéniture de rires et de légèreté, sauf que tôt ou tard, dès lors qu’ils prennent conscience de la lâcheté des hommes, de la difficulté de la vie, il faut être grave et résolu. Il faut trouver les mots qui rassurent et qui réconfortent. Il faut les peser, les mesurer sous peine de causer plus de tort que de bien. Confronter une tête blonde à une vérité trop rude, c’est l’angoisser, l’oppresser, échouer, tout simplement. Je réprimai donc un soupir de soulagement au profit d’un rire presque trop lumineux pour un écorché vif. Il avait retrouvé en couleur sans que je ne sois en mesure de lui trouver du sens. Et, qu’importe finalement ? Il était agréable à l’oreille et tout à propos puisque la demoiselle s’ébahit d’un nouveau point commun avec ma propre fille. Était-il de bon ton de préciser que je n’étais pas surpris ? Que ces deux-là s’étaient vraisemblablement bien trouvées ? Que j’aurais souhaité la rencontrer plus tôt, en compagnie de Sofia afin de m’amuser de leur frasque ? Sortait-elle ensemble parfois ? Inventait-elle des vies aux passants qui seraient tombés dans le piège de leur créativité ? Sofia avait-elle partagé avec son amie ce plaisir coupable ? Sans trop en dire, mon sourire s’est figé et je commentai par un résumé du fond de ma pensée. « Ça ne m’étonne pas vraiment. » Moins encore que c’est elle qui a fini l’œuvre de ma gamine. Elle inventa une fin à son histoire et, outre son talent, je lui reconnaissais volontiers qu’elle l’a connaissait bien. Ne m’aurait-elle pas confié l’original que je n’y aurais vu que du feu. Je n’osais imaginer le travail considérable que réclama l’exercice d’imiter le style de sa cadette. Ma gratitude lui est dorénavant dévolue et elle est infinie.

Elle l’aurait été tout autant si je n’avais pas l’impression qu’une puissance supérieure, celle qui rassure ma femme et ma mère, avait déposé Lola sur mon chemin tel un cadeau. Est-ce mal d’être envahi par le sentiment qu’elle est comme une mission en faveur de ma rédemption ? Est-ce correct d’envisager que je suis la sienne quand elle paraît tout comprendre, y compris ma peine et ma douleur ? « Je dois descendre à Kilcoy prochainement. » J’avais à discuter avec Sarah. Mes parents se feraient une joie de raconter à cette douce enfant les souvenirs qu’ils partagèrent avec leur petite-fille. Ce ne serait pas sans émotion, mais n’est-il pas bon de rapporter les plus beaux d’entre eux avec quelqu’un pour qui vibrera de les entendre ? « Tu peux m’accompagner si tu veux. On prendra le train.» proposais-je non sans un clin d’œil. Je ne me suis vexé de sa réaction lorsqu’elle a refusé que je ramène le trésor et leur nouvelle propriétaire à son appartement. Elle avait fait preuve d’un bon sens qui m’aurait fait revoir ma position quant à une éventuelle grossesse. J’avais néanmoins saisi ô combien l’idée de me confier son sort l’avait effrayée et comment la juger ? Je n’avais su prendre soin de mon bébé et, si ce postulat ne l’agita pas réellement – au contraire, elle ne me conseillerait pas de commander des œufs. Elle m’aurait plutôt ignoré à jamais – la part la plus triste de ma personne n’aurait pu prétendre sans mentir qu’elle avait eu tort. Soucieux de ne pas m’attarder sur cet épisode sucré-salé, je profitai d’un intermède pour formuler quelques indiscrétions, très largement, à propos du paradoxe qu’était Lola. Je l’aurais décrite comme une femme enfant, tantôt peureuse, parfois gouailleuse, tantôt rêveuse, parfois aventureuse. « Un timing parfait, en effet. C’est plus facile de discuter le ventre plein. » la houspillais-je dès que la serveuse, que je remerciai, s’éloigna de la table. « Donc, je t’écoute. » Je poussai l’assiette avec les œufs dans sa direction. Je mangerais moi aussi, mais je soupçonnais qu’elle guida ma commande en fonction de ses envies quand elle peina à trancher entre faire le plein de glucides ou de protéines. Moi, j’ai bu une gorgée de mon café, sans quoi, je ne saurais rien avaler. Ainsi, j’appris quelques futilités sur son quotidien et son histoire. Elle avait visité l’Islande, pays qui ne figurait pas sur la carte tatouée de mon dos à mon flanc et qu’elle s’était amusée à préparer quelques surprises pour l’anniversaire de sa patronne. Attentif, je l’ai questionné un peu sur ce qu’elle avait retenu de son beau voyage et sur la réaction de cette amie, mais je me tus dès lors qu’elle aborda ses amours. Je l’ai écouté pieusement, buvant ses paroles, en récupérant mon assiette garnie et de pancakes. Je m’effarai à picorer les œufs brouillés qui finirent par me mettre en appétit presque autant que ses aveux.

Elle n’avait pas un copain, mais une petite amie en devenir : de mon point de vue, une perte pour la gent masculine, un cadeau pour leur congénère de sexe opposé. « Attends, attends. Tu vas trop vite. Tu veux ou tu ne veux pas ? Et elle n’est pas fichue de quoi ? » l’ai-je interrompu amusé par sa verve. Sans verser dans la psychologie de comptoir, sa prétendante lui plaisait, un rien trop, sans quoi elle ne se prendrait pas la tête. Peut-être même que les sentiments la surprennent trop brusquement et qu’elle ne sait pas quoi en faire. Si je vise dans le mile, je la comprenais aisément. J’étais moi-même perdu face à l’intensité de mes révélations concernant Raelyn. Il ne s’agissait pas de moi cependant. Il convenait surtout de trouver que répondre alors que, dans le passé, c’était Sarah qui se chargeait d’aiguiller Sofia sur ses choix. Moi, j’intervenais à l’heure de la border, de l’entourer d’affection ou de sécher ses larmes, selon l’âge et le cas. « Tu ne voulais pas, mais tu l’as fait. Ce qui sous-entend que tu en as besoin. » répliquais-je dans l’espoir de gagner quelques précieuses minutes avant de me lancer dans la bataille. Quel exercice compliqué que de définir des émotions avec lesquelles je renoue à peine. « Et, je vois ce que tu veux dire, oui. » J’ai soupiré et, du regard, j’ai balayé la salle comme si notre conversation avait à subir l’impolitesse d’une paire d’oreilles trop intéressée. Dans le doute, je rapprochai ma chaise de la table et je me penchai vers Lola comme si je m’apprêtais à lui confier les clés d’un trésor. « Je crois que c’est pas très exact comme science, mais de manière générale, tu as le cœur qui bat un rien trop vite, tu ressens le besoin d’être toujours avec l’autre. Il nous manque quand il est absent et parfois même quand il est là parce qu’on sait qu’on va devoir se séparer à un moment donné. On cherche le contact physique d’une manière ou d’une autre. On sourit un peu bêtement et les plus timides bafouillent. » Par chance, je ne le suis pas. « On a aussi cette espèce de nuée de papillons. » Là encore, j’aurais plutôt parlé d’un volcan en train d’entrer en éruption si je prenais ma relation avec Raelyn en exemple, mais la situation est somme toute différente. « Qui décolle de nos tripes et qui nous ferait faire n’importe quoi, même des choses qu’on ne pensait pas être capable de faire. » Je pris un peu de recul et, pour finir, j’ai surenchéri d’un : « Je crois que c’est un peu tout ça, oui, si je fais abstraction des mains moites… et notre faculté à trouver les défauts de l’autre super touchants, comme si soudainement, c’était devenu des qualités. Ça te parle ? » m’enquis-je ensuite, non par ingérence, mais diablement intéressé.




Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it EmptyLun 16 Mar 2020 - 15:13

Lola hocha doucement de la tête à la proposition d'Amos de l'accompagner à Kilcoy. Dans d'autres circonstances, elle aurait fait une danse de la joie à l'idée d'un voyage, d'aller rencontrer les proches d'une amie, mais là, c'était une tornade d'émotions allant de la peur à la joie en passant par la tristesse. Elle aurait voulu demander quand c'était, prochainement, et combien de temps ils resteraient, et quel cadeau elle pourrait apporter, et mille détails encore. Elle aurait voulu qu'ils partent du petit-déjeuner directement vers Kilcoy, pour ne pas avoir le temps que l'anxiété monte, pour que ce soit comme ça, d'un coup, spontané, impulsif. Mais elle savait que le mieux, ce serait qu'ils aient le temps de s'y préparer. Qu'ils y aillent quand elle aurait eu au moins quelques nuits pour y réfléchir, se reposer, reprendre son calme. Elle allait découvrir la maison de Sofia. "Avec plaisir. Et ça tombe bien, parce que j'adore voyager en train", répliqua-t-elle avec un sourire doux. Elle emporterait un livre. Il n'y avait rien de plus agréable que de tourner les pages tandis que les paysages changeaient par la fenêtre.

La nourriture arriva, et Lola commença par la moitié des oeufs, avant de rendre son assiette à Amos, et passer au sucré. Elle se régalait. Le pain était grillé comme il faut, bruni des deux côtés, et le goût de la banane caramélisée remplissait le monde de saveur. "C'est parfait", commenta-t-elle, en espérant que cela plairait à Amos aussi.

Peut-être que c'était la caféine, ou peut-être l'aura paternelle et rassurante d'Amos, mais en tout cas Lola déversa soudain ses émotions et ses doutes. Elle qui ne s'ouvrait jamais tout à fait, voilà qu'elle parlait de Grace avec plus d'honnêteté qu'elle ne l'aurait cru possible. "Je veux et je ne veux pas. Bien sûr que je veux, là", dit-elle en montrant son coeur, "mais j'ai beaucoup trop peur là", le plexus solaire, "et là", le cerveau. Rien que d'y penser, ça la paralysait. "Et ce n'est pas elle qui n'est pas fichue de quelque chose, elle fait tout bien, elle", ah l'idéalisation des premières années, c'est beau, "c'est moi qui ne suis pas fichue de m'assumer comme artiste et comme adulte, je suis tellement à mille lieux de ce qu'elle a vécu, de tous les endroits où elle a voyagé, de tout ce qu'elle a déjà réussi." Quitte à lâcher du lest sur la vulnérabilité, autant y aller tout à fait et jeter tous les sacs de la sable de la montgolfière. On s'envolait dans des cieux de transparence. "Oui, je crois que tu as raison, ça fait peur d'en parler, mais ça me fait du bien aussi. Je n'y arrive avec personne d'autre", avoua-t-elle en baissant la tête.

Elle garda les yeux baissés tandis qu'Amos décrivait ce que c'était le sentiment amoureux, comment ça se manifestait. Le coeur qui bat un rien trop vite. Le besoin d'être toujours avec l'autre. Il nous manque quand il est absent. On cherche le contact physique. Nuée de papillons. Qui nous ferait faire n'importe quoi, même des choses qu'on ne pensait pas être capable de faire. Lola eut un moment de choc et son coeur battait si vite. Elle cessa tout à fait de manger et de bouger. On aurait dit une statue de Degas, une danseuse en bronze. Un rien trop vite. Toujours avec l'autre. Nous manque. Papillons. Elle avait le tournis. Elle aurait voulu nier, tout de go, dire que ce n'était pas du tout ça, mais les mots d'Amos correspondaient de façon si exacte à ce que Lola avait ressenti en Islande qu'elle ne pouvait même pas se convaincre du contraire. C'était ridicule. C'était impossible. C'était terrifiant. "Et merde", lâcha-t-elle finalement, avec un sourire d'autodérision qui arrivait déjà. Elle releva les yeux vers Amos et se mit à rire. Cet homme qui avait perdu sa fille, voilà qu'il se retrouvait à expliquer l'amour à Lola, et surtout à être le témoin d'une des réalisations majeures de sa vie : ce truc qui ne lui était jamais arrivé, ce sentiment de tomber amoureux comme Alice tombe dans le pays des merveilles, c'était là, c'était maintenant, c'était arrivé.

"Comment tu sais tout ça ?" demanda-t-elle en sentant qu'ils étaient dans une parenthèse hors du monde tellement elle ne s'était pas attendue à avoir cette conversation, et encore moins avec lui. "Je veux dire : avec qui tu l'as éprouvé ?" Elle n'essayait même pas de détourner l'attention vers lui ; elle était sincèrement curieuse, et émerveillée de savoir que lui aussi pouvait éprouver ce qu'elle ressentait enfin. Comme si c'était la première fois qu'un être humain tombait amoureux. "Merci de ne pas t'être moqué de moi", ajouta-t-elle, un peu gênée, car beaucoup ne s'en seraient pas privé.

Lola poussa vers Amos l'assiette de hotcakes à la banane et se concentra sur son café : boire à petites gorgées, se concentrer sur le goût amer, la chaleur. Elle sentait qu'elle décollait et elle voulait atterrir. "Je vais peut-être exposer mes toiles bientôt. C'est- c'est elle qui m'encourage à le faire, et elle exposera ses photos, et ce sera une double exposition." C'était la première fois qu'elle en parlait à un être humain, et elle savait que ça faisait sens, que c'était normal que ce soit à Amos. "Si ça se fait, ça me ferait vraiment, vraiment plaisir que tu viennes. Tu pourras voir ce que je peins, et puis- et puis, je pourrai te la présenter. Mais tu diras rien, hein ?" Au fond, elle savait qu'elle n'avait pas besoin de lui poser la question, mais l'idée qu'il fasse ne serait-ce qu'une blague à ce sujet devant Grace, ça l'envahissait de panique. "Tu fais quoi, toi, comme métier ? T'as fait quoi comme études ?" Elle fronça les sourcils : ils avaient parlé de tellement de sujets profonds avant de se raconter les trucs les plus basiques que des humains échangent d'habitude.

@Amos Taylor
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it EmptyMar 17 Mar 2020 - 22:12




Spring will come to those who seek it
Lola#3

@Lola Wright  
J’ignorais si je pouvais la croire sur parole dès lors qu’elle prétend aimer les voyages en train, mais j’y mis un point d’honneur. Je ne peux pas constamment tout remettre en doute parce qu’elle comptait parmi la liste de ceux qui disent tout haut ce qu’il pense tout bas à mon sujet. Aussi, me suis-je contenté d’apprécier sa délicatesse. Elle n’a pas rebondi comme une balle magique pour ramener sur la table, chargée de victuailles, le sujet qui fait débat dans mon esprit et qui en fut un entre nous. Elle préférait l’éloigner pour mieux apprécier les saveurs de ce petit-déjeuner. Moi, habitué à la frugalité d’un café, je l’observais se régaler avec amusement. Je finis à mon tour par me laisser tenter et je gagnai en appétit. Je me souviens m’être fait la réflexion que certaines conversations sont plus faciles à mener l’estomac moins vide. La bande dessinée de Sofia était de ceux-là, à l’instar des histoires de cœur de Lola. Elle n’est pas à l’aise et je ne brille pas d’être serein. Les émotions du cœur sont effrayantes à mes yeux. Lorsqu’on vit en autarcie, à l’écart des émotions des autres, avec pour seule préoccupation la douleur et la quête d’un moyen pour survivre, on oublie comment fonctionne l’amour et autres considérations. « Je connais. Cette lutte entre les deux. » Je désignai tour à tour son cœur et sa tête du menton. « Je vais pas te sortir le couplet qu’il faut toujours suivre son cœur. » Ce serait hypocrite. « Je ne sais pas faire ça. » Au contraire, je n’aurais pas attendu six mois avant de baisser la garde face à Raelyn, bien qu’il s’agisse surtout d’un attrait de corps. Au contraire. Je me serais laissé porter par le courant, ce que j’aurais tendance à lui conseiller, mais je ne suis pas le payeur dans ce contentieux. « Mais, tu l’idéalises déjà. Ce n’est pas grave. » C’est la porte ouverte au désillusion, mais on ne peut se protéger de tout, tout le temps. Ce serait contreproductif par rapport à sa joie de vivre naturelle. « Mais, ça sous-entend que tu pourrais regretter l’un de tes choix si tu en fais un. » Peu importe lequel, mais il convenait de lui permettre de la méditer la question, pas de l’influencer. Si, jusqu’ici, elle n’en avait parlé à personne d’autres auparavant, ce qui est somme toute flatteur, c’est qu’une part d’elle avait foi en mon jugement. N’est-il pas bon, dès lors, de respecter le sien ?

Sans le concours involontaire de Raelyn – elle ressuscitait mon cœur, mon corps et ma tête jour après jour – je serais demeuré con, bouche béante et pupilles écarquillées d’ignorance. Or, étonnamment, mon monologue est clair, net, précis, dénué de jugements et de palabres inutiles. Je vais droit au but, sans chercher mes mots, parce que le discours est plus proche de la confidence que du fruit de mon intuition. Evidemment, elle ne se doute de rien. Pour une fois, elle est davantage concentrée sur elle et ça m’arrange bien. Je n’avais pas envie de lui raconter que le grand amour n’existe pas, que j’y ai cru moi aussi, mais que j’ai été déçu, que j’ai encaisse cette vérité comme une gifle. La théorie de l’âme sœur est une invention des philosophes pour définir ce qui échappe à la science. « Merde ? » répétais-je amusé par sa réaction. Je ne la moque pas, je la trouve touchante, ce qui deviendrait presque redondant finalement. « Tu l’as dit ! Si j’avais su que j’aurais un jour ce genre de conversation moi-même, je ne l’aurais pas cru. » Mon rire accompagna le sien et je crus que l’atmosphère s’allégerait aussitôt. Elle n’était pas lourde ou désagréable. Je n’avais pas chape de plomb pesante sur les épaules. Je l’aurais décrite comme troublante et déstabilisante, au même titre que sa nouvelle indiscrétion. J’en haussai les épaules, tenté d’affirmer qu’à quarante-deux ans, la bonne question était plutôt : comment arrives-tu à en dresser le tableau avec un tel naturel. J’en étais moi-même effaré. « Sarah… » répliquais-je songeur. « Et comme toi, je me suis posé mille questions. Mais, elle a été bienveillante. » L’était-elle encore ? L’avait-elle été lorsqu’elle me rejeta ? « Elle a su me rassurer parce que je l’ai laissé faire. » Et plus récemment, l’une des chefs de file du Club, mais ce n’était pas avouable, pas encore, pas maintenant que cette parenthèse se ferme sur des remerciements bien inutiles. « Dis pas de bêtises. Pourquoi je me serais moqué de toi ? Je suis plutôt flatté en fait. » Rien n’était moins vrai et mes lèvres s’étirèrent pour un nouveau sourire.

Appréciant son geste, j’ai récupéré l’un des gâteaux qui me narguait depuis l’assiette et, soumis au silence de Lola, je ne l’ai pas brisé. Je l’ai autorisée à digérer toutes ces informations à son rythme. Elle en avait besoin. Je la laissais maître de cette discussion par délicatesse. J’aurais fait la même chose avec Sofia. Aussi, dans l’expectative d’une suite et plongé dans mes souvenirs, je relevai les yeux vers mon interlocutrice. Un jour, elle m’avait confié que, ma fille mis à part, nul n’avait contemplé son travail. J’en avais déduit qu’elle manquait d’assurance. M’annoncer qu’elle s’exposerait sous peu était une véritable avancée et, conscient que je la connais peu, je me suis senti pris d’une vague de fierté. « Mais, c’est génial. Et évidemment que je vais venir.» promis-je avec un enthousiasme non feint. « Et bien sûr que je serai plus silencieux qu’une carpe. Je serais ravi de la rencontrer. Peut-être même que je pourrais te présenter quelqu’un moi aussi. » Je n’envisage pas de participer au vernissage qui sera bientôt organisé en l’honneur du talent de Lola et de sa motivation sentimentale, j’y serais, mais pas tout seul. « Si je peux venir accompagner.» m’inquiétais-je en la gratifiant d’un clin d’œil. Je n’aurais su dire comment notre échange pris une toute couleur soudainement, mais ce n’était pas dérangeant. A l’inverse, parler des études que j’ai commencées sans jamais finir, l’adoucissait un peu. « Je ne travaille pas. » lui ai-je menti avec aplomb. Je n’aime pas ça évidemment. Elle mérite mieux que mes boniments, mais mes activités se doivent de rester secrètes, pour mon bien et le sien. « J’ai été militaire longtemps. Formation de base. Puis, je me suis spécialisé dans le déminage. J’étais démineur-plongeur. Mais, c’était il y a longtemps. » C’est étrange comme tout est plus simple avec cette jeune fille. Je la voyais davantage comme une enfant que comme une femme. Je témoignais un profond respect pour son intégrité et sa perspicacité, mais elle ne représentait aucune menace. Elle avait déjà formulé l’indicible. Elle avait fréquenté Lola et comprenait mon deuil. A quoi bon faire de l’armée une énigme ?
 



Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it EmptySam 21 Mar 2020 - 13:15

Si quelqu'un avait dit à Lola qu'un jour elle tomberait amoureuse, et que la personne à qui elle le confierait serait le père de Sofia, elle aurait tellement ri qu'elle aurait roulé par terre et le long des avenues et des boulevards et jusque dans la mer et serait devenue une sirène et aurait fait le tour du monde dans l'hilarité la plus complète.

Lola s'était promis un petit-déjeuner simple et léger avec Amos, pour contrebalancer avec les fortes émotions qu'ils avaient toutes les deux éprouvé lors de leurs deux autres rencontres. Bien sûr, cela ne tenait jamais longtemps. Ils se faisaient confiance de façon inexplicable, instinctive. Ils se disaient la vérité sur des sujets dont ils n'avaient pas l'habitude de parler, et soudain les couleurs du monde changeaient un peu, car ils disaient la vérité. Lola voyait bien à la façon de parler d'Amos qu'il ne parlait pas de ses sentiments amoureux à tout bout de champ aux inconnus dans la rue. Il semblait tout aussi vulnérable qu'elle.

"Suivre son coeur... Si je suivais mon coeur, on ne serait pas sortis de l'auberge." Si elle suivait son coeur, elle appellerait Grace deux fois par jour, une fois le matin pour savoir comment elle avait dormi, et une fois le soir pour savoir comment s'était passée sa journée. Elle lui ferait livrer par surprise des fleurs, des chocolats, des pâtisseries, n'importe quoi en réalité, des petits gestes, ce qui ruinerait complètement son compte en banque qui n'était pas très fourni. Si elle suivait son coeur, elle aurait refusé de partir de l'Islande, ou elle aurait changé les billets pour qu'ils n'aient pas pour destination Brisbane mais Medellin ou Buenos Aires. Si elle suivait son coeur, elle se perdrait dans les méandres de sentiments qu'elle n'avait jamais éprouvés jusqu'à présent, et qui l'encourageaient à faire tout sauf ce qui était adulte et raisonnable.

"Je ne l'idéalise pas, elle est parfaite", rétorqua Lola avec un clin d'oeil et un rire amusé, car elle se rendait bien compte que dire ça ne faisait que l'enfoncer. "Je n'ai pas peur d'être déçue par elle. J'ai peur qu'elle rencontre quelqu'un d'autre et qu'elle me dise : oh, désolée, mais c'est le grand amour avec cette autre personne là, voilà, bonne continuation." Elle soupira. Ca lui était plus ou moins arrivé, pas exactement dans ces termes, pas exactement de façon aussi simple et réductrice, mais elle l'avait vécu comme ça, et le traumatisme restait frais malgré les années.

"Moi non plus je n'aurais jamais cru avoir cette conversation ! Mais je suis ravie qu'on l'ait ensemble." Lola eut un sourire sincère et gêné à la fois, car elle ressentait beaucoup d'affection envers Amos, et elle ne voulait pas qu'il pense qu'elle essayait de remplacer l'irremplaçable Sofia ; loin de là son intention.

C'était donc Sarah dont il avait été amoureux ; mais pourquoi alors Lola avait cette intuition que ce n'était pas d'elle dont il parlait il y avait quelques minutes, lorsqu'il évoquait les symptômes de l'amour ? Elle balaya cette pensée : il ne se révélérait qu'un peu à la fois ; patience. Il demanda pourquoi il se serait moqué d'elle, et Lola se fit la réflexion qu'il n'avait pas encore rencontré Matt, Auden ou Jill, parce que sinon il saurait que la réaction la plus instinctive à une confession sentimentale est une plaisanterie plus ou moins violente.

Amos accepta avec joie de venir au vernissage de la future exposition, et Lola eut un grand soupir de soulagement : pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas, s'il venait, elle aurait moins peur. Il serait plein de bienveillance, et il n'y comprendrait pas grand-chose, mais il la soutiendrait quoi qu'elle accroche aux murs, et cette perspective-là, ça la remplissait de courage. Pause. Il proposait de venir... accompagné ? Lola ne put retenir un gigantesque sourire de débarquer sur ses lèvres en mode paquebot échoué. "Tu- Parce que- C'est une femme ?" C'aurait pu être un homme aussi, après tout, elle ne connaissait pas Amos si bien que ça. "Enfin, je veux juste dire, c'est quelqu'un que tu- que tu fréquentes ?" Le sourire de Lola s'élargissait encore un peu (à l'impossible nul n'est tenu) et elle avait un petit rire réjoui, entre bruit de dauphin et gazouillis de nouveau-né, un truc très hybride qui exprimait tellement de joie qu'Amos ait quelqu'un dans sa vie.

Elle l'interrogea ensuite sur sa formation et son métier, et la réponse d'Amos la cloua dans un silence aux yeux écarquillés. "D'accord, d'accord, d'accord", répéta-t-elle machinalement tandis que les mots démineur-plongeur se propageaient en images à l'intérieur d'elle-même. "Je suis désolée, ça devait être très dur comme métier." Elle ne pouvait même pas s'imaginer, elle qui avait évité le danger aussi bien que possible au cours de sa vie. Lui affrontait la mort sous l'eau. "Je pensais que t'avais construit ta carapace après Sofia", lâcha-t-elle avant de pouvoir se retenir, "mais j'imagine que ça datait d'avant, du coup, parce que je ne vois pas comment tu peux faire un métier comme ça sans te blinder émotionnellement. Mais peut-être que j'ai complètement tort et que tu ne souhaites pas en parler et qu'on peut garder ça pour le douzième petit-déjeuner." Elle se figea, genre oups, et eut un grand sourire nerveux. "Oui, parce que je ne t'ai pas dit, mais je me disais que, si ça te dit", trois fois le verbe dire, on la perdait, "on pourrait petit-déjeuner ensemble une fois par semaine. Ou une fois par mois, comme tu veux. Histoire de catch up. Tout ça."

@Amos Taylor
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it EmptySam 21 Mar 2020 - 21:29




Spring will come to those who seek it
Lola#3

@Lola Wright  
Bien sûr que Lola l’idéalise, la jeune femme qui semble avoir réussi l’exploit de bousculer ses habitudes. Elle idéalise et elle le sait. Son sourire en témoigne. Aussi, n’ai-je rien ajouté. Je lui ai simplement rendu sa grimace pour mieux en rire avec elle. Je savais parfaitement ce qu’elle ressentait. Si je ne cadenassais pas le flot d’émotion que m’inspire Raelyn, j’aurais avoué à cette dernière, en réponse à sa propre confession, que je me concentre sur ma jalousie parce qu’elle me semble moins insupportable que la nécessité d’être auprès d’elle autant que faire se peut. Et à l’instar de Lola, il m’arrivait d’imaginer que ma maîtresse se lasse de mon mauvais caractère ou de mes frasques alcooliques et qu’elle convole avec un autre plus jeune, plus sain et plus stable. Certes, la facilité de ce genre de relation ne l’exciterait pas longtemps. La fréquenter m’assurait qu’elle aimait davantage les écorchés vifs aux hommes lisses et sans bavures, mais ma confiance en moi est limitée. En était-il de même pour mon interlocutrice ? Avait-elle vécu une situation telle qu’elle tire désormais dans son dos des casseroles bruyantes qui lui conjurent de se méfier de toute relation susceptible de sortir du cadre de l’amitié ? Je n’en serais pas réellement surpris. La vie se charge rapidement de nous apprendre les rudiments de l’amour, en particulier les déceptions qui en découlent. Sauf qu’une fois encore, je juge déplacer de l’inviter à abandonner son bagage émotionnel sur le quai de gare pour embarquer dans un wagon avec sa prétendante. Il m’a fallu du temps pour renoncer, pour accepter qu’au-delà du deuil – et un chagrin d’amour en est un à sa manière – il y avait une vie qui m’attendait. Différente, certes. Probablement moins aboutie. Mais, qui mérite tout de même qu’on lui laisse chance. Je crois que j’aurais aimé trouver les mots pour expliquer le fond de ma pensée. J’en avais toutefois usé de trop justes un peu plus tôt. Le compteur est épuisé et, si je prends goût à ce petit-déjeuner, si je me détends peu à peu, je clos sujet avec l’approbation de Lola. « Idem » m’étais-je contenté d’ajouter. J’étais content parce que c’était facile de discuter avec cette jeune fille, sans doute parce que je l’appréhende plus comme une adolescente que comme une femme à part entière. L’affection que je nourris pour elle illumine mon regard de cette même bienveillance qu’ont les grands-frères pour leur cadette. Je préfère cette comparaison à celle du père, quoique vu la différence d’âge, on s’y approche dangereusement. M’en voudrait-elle Sofia ? Se sent-elle trahie depuis cet au-delà où elle nous observe peut-être ? J’en doute. Elle avait de Lola la gardienne de ses secrets et j’aime à penser qu’elle applaudit d’avoir forcé cette rencontre. En revanche, je ne doutais pas qu’elle aurait détesté ma proximité avec Raelyn. Elle l’aurait accusée de briser le couple à ses yeux parfait que Sarah et moi avions formé dans son enfance. Ceci étant, je chasse rapidement l’idée. Je me dis que j’aurais pu la raisonner, ça m’est plus profitable.

Avais-je prévu d’aborder cette question avec Lola ? Non ! C’était une autre de ces surprises que me réservaient systématiquement nos rencontres. Je tiens pour acquis que c’est lié à sa spontanéité et à sa fraîcheur. Je n’ai pas envie de jouer aux devinettes avec Lola. Dès lors, j’ai dodeliné de la tête sans mot dire, jusqu’à ce qu’elle m’accorde voix au chapitre. « Oui et oui. Je crois qu’on peut dire ça. » ai-je déclaré plus laconiquement que je ne l’avais prévu au préalable sous l’effet de la surprise. Je m’étais, à tort, persuadé qu’elle aurait songé à Sarah, ce qui l’aurait certainement ravi, mais elle confirme ô combien elle m’écoute. Elle s’est fait à l’idée que nous étions arrivés au point de non-retour ma femme et moi. A moins qu’elle ait estimé, à juste titre, que le choix de recoller m’appartenait. Il n’est pas vital pour elle. Elle n’est pas liée à la famille telle qu’elle fut. D’où m’est-elle venue cette idée saugrenue qu’elle s’offenserait que j’aie eu l’audace de cracher sur mon contrat de mariage ? « Et je crois que ça lui ferait plaisir de venir. » Pas tant qu’elle brûlait de rencontrer ma partenaire de petit-déjeuner, je ne lui en avais jamais parlé. Je la savais néanmoins curieuse d’apprivoiser mes habitudes lorsque nous n’étions pas ensemble, ce qui était somme toute de plus en plus rares. « Et que j’aime bien l’idée de te la présenter. » J’ai ponctué cette vérité d’un nouveau sourire qui s’est légèrement éteint à l’évocation de mon ancien métier. C’était moins compliqué de rapporter sa difficulté à cette jeune fille aussi délicate qu’une fleur de printemps et qui respire l’insouciance des jeunes adultes qui croquent leur vie à pleins dents. Ses conclusions sont cependant plus douloureuses à entendre tant elles sont lourdes de véracité. « Ne le sois pas. C’était mon choix. J’ai un rapport particulier avec l’océan, tout ça. » L’eau en général. « Disons que ça n’a pas été facile tous les jours.» Quoique je n’avais rien d’un alcoolique durant cette époque. « Mais elle était là. Elle m’enveloppait de ses petits bras et tout allait beaucoup mieux. » Mes lèvres s’étirèrent pour un sourire non pas distrait, mais ému, légèrement, pas assez pour tenir l’ambiance. « Mais, j’aimais ce que je faisais. C’est l’essentiel je pense. » Et elle le comprendrait. Son boulot était avant tout une passion. Elle s’était cherchée et avait fini par se trouver à travers l’art. « Et oui, va pour petit-déjeuner régulièrement. Une fois semaine ça va être compliqué. » Comment le justifier à une Raelyn qui s’endort de plus en plus souvent à mes côtés et qui brille par sa jalousie ? « Une fois toutes les deux semaines, ça t’irait ? » J’ai pioché dans l’assiette des cakes une dernière fois et j’ai surenchéri : « On prendra le temps de visiter un musée aussi. Quand ça te chantera. Tu t’es engagée à jouer les professeurs. Tu te souviens ? Et, on pourra aussi choisir d’un moment pour une balade en bateau. Il est terminé. Je me suis donné du mal, mais il est paré pour naviguer. Je l’ai déjà essayé.»





Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it EmptyLun 23 Mar 2020 - 14:33

Amos était amoureux, il avait une compagne, et Lola allait la rencontrer. Elle s'imaginait une femme divorcée, rencontrée dans un groupe de parole pour parents qui ont perdu un enfant - avant de se rappeler qu'Amos n'allait pas à des groupes de parole. Peut-être une femme rencontrée dans un bar. Peut-être une femme qu'il connaissait d'avant - non, probablement pas, Amos avait certainement eu une vie avant et après. Tant de mystères. Lola ne poserait pas toutes les questions qu'elle avait en tête. Elle avait juste envie de rencontrer la fameuse femme point d'interrogation et de découvrir les choses petit à petit. Elle espérait qu'elles s'entendraient bien.

Amos parlait de son métier avec plus de douceur que Lola ne l'aurait imaginé. Et il évoquait la petite Sofia, et ils se permettaient tous les deux un instant de nostalgie et d'absence, avant de revenir au moment présent. Amos avait choisi d'être plongeur-démineur, et cela perturba Lola suffisamment pour qu'elle s'arrête en pleine réflexion. Pourquoi avoir fait ce choix ? Savait-il ce qu'il allait endurer ? Pourquoi la peur n'avait pas primé sur l'envie d'aider ? Elle qui était terrifiée de tant de choses, elle admirait une telle résolution, mais elle s'interrogeait aussi sur ce que ça disait d'Amos. Avait-il été un jeune homme casse-cou ? Un intrépide ? Un impulsif ? Il avait l'air de tout sauf ça maintenant, peut-être parce que les années avaient passé et que les catastrophes s'étaient enchaînées.

"Une fois toutes les deux semaines, ce sera parfait", répondit Lola avec un vaste sourire, c'était un compromis merveilleux, et elle était ravie qu'il soit partant. "Bien sûr qu'on ira au musée ! On pourra faire l'ouverture, il n'y aura personne, et je te montrerai de belles oeuvres. Je suis contente que ça t'intéresse." Il faisait vraisemblablement un effort pour apprendre à connaître son monde et élargir le sien en même temps. Ca la rendit optimiste de le voir se battre comme ça pour une vie meilleure. Elle se contenta de hocher de la tête avec un large sourire pour le bateau. Elle adorerait naviguer, mais ça n'aurait pas lieu tant qu'il ne serait pas sobre depuis au moins un mois. Inutile de le préciser pour le moment ; elle ne lui en parlerait que s'il réitérait l'invitation.

Ils finirent de petit-déjeuner ensemble, et tout allait pour le mieux. Lola insista pour qu'ils divisent l'addition en deux, puis elle lui dit au revoir d'un signe de la main, et fila à la galerie. La journée commençait.


- the end
Revenir en haut Aller en bas

Contenu sponsorisé
  

Spring will come to those who seek it Empty
Message(#)Spring will come to those who seek it Empty

Revenir en haut Aller en bas
 

Spring will come to those who seek it