Noah et moi, on est passés maîtres dans l'art d'être des ninjas du 21e siècle. On a tout fait dans les règles. S'habiller en noir, se faufiler sans heurter la moindre chaise, le moindre matériel. Retenir nos respirations, rester en silence au plus petit bruit ambiant. Se cacher entre les rideaux et derrière les étalages à costumes. On a presque une poignée de main cool aussi, on la travaille, mais la vérité c'est qu'il va trop vite et moi trop lentement, et la chorégraphie est aussi désarticulée que ma silhouette, quand mes pieds se prennent dans des cintres au sol et que je finis par ameuter tous les gens présents dans les coulisses, ces mêmes coulisses qu'on a envahis parce qu'on voulait absolument voir Loan avant qu'il monte sur scène.

Loan qui nous entend assurément, comme tout le monde autour et probablement même les spectateurs jusqu'à la 4e rangée derrière le rideau encore tiré. « Un peu plus et fallait qu'on paie la sécurité en bonbons pour qu'ils nous laissent passer. » que j'exagère, le regard désolé de déranger, l'oeil brillant tout de même de voir mon ami dans son élément, de le voir heureux, de le sentir fier, présent, authentique vraiment. « C'est trop cool être VIP! » la terreur qui hurle quand on n'a rien de VIP et tout d'incrustés, qu'on risque probablement de se faire jeter des coulisses et encore plus de la salle si on reste une minute de plus.

« On dérange pas longtemps, il a juste insisté pendant tout le trajet pour venir te voir avant mais promis, promis on repart. » alors je nous sauve le plus possible, tente d'hausser suffisamment la voix pour que tous les regards vissés sur les intrus que nous sommes comprennent que jamais, jamais, jamais on ne voulait être porteurs de chaos. On était seulement enthousiastes, faut nous pardonner. « C'est elle qui insistait. » mais ça, c'était sans compter que Noah jouerait solo la partie, et qu'il m'afficherait aussi facilement au grand jour. « Traître. » « Menteuse. » je roule des yeux, il me tire la langue, je lui tire la langue, il roule des yeux. Le mieux du pire, ce gamin.

J'ai décidé de l'ignorer même s'il grimpe se blottir dans mes bras, de m'allonger pour embrasser la joue de Loan et lui souffler à l'oreille les évidences d'usage. « T'es le meilleur. »  Noah pense pareil, quand il se charge de chuchoter à l'autre oreille, le sourire aussi immense que possible. « Okay, ça c'est pas un mensonge. » la seconde d'après, on file rejoindre nos sièges pour assister à la pièce.

Je les entends arriver de loin.

Le bruit froissé du rideau que l'on tire, les gloussements de Noah et le pas de Ginny juste derrière. Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que je reste le dos tourné. Déjà dans le personnage, je joue la surprise totale lorsque la main du petit garçon vient s'agripper à mon costume. Il sautille sur place Noah, un vrai petit pois. « Mais qu'est-ce que tu fais là ? » Le geste, l'expression, tout se veut théâtral. « C'est trop cool être VIP! » « Je ne savais pas que tu étais une star. » Un clin d'œil dans sa direction alors qu'il observe déjà tout ce qui se trouve autour de nous. Je l'ai invité pour cela. Pour lui présenter les coulisses d'un théâtre. C'est sa mère qui a vendu la mèche. Cadeau d'anniversaire en retard.

« Traître. » « Menteuse. » Je les regarde se chamailler pour savoir qui avait réellement plus envie de me voir et mon cœur se réchauffe face à la scène. Je m’accroupis pour être au niveau de Noah et murmure près de son oreille. « C’est elle qui insistait. Pour sûr. » Il tire la langue à sa mère le gamin et je me mords la lèvre pour ne pas exploser de rire. Ils devraient monter sur scène avec nous ce soir. Ils feraient un carton.

Je suis entraîné dans une étreinte emplie de force. « T'es le meilleur. » « Okay, ça c'est pas un mensonge. » Je crois que mes joues adoptent une teinte vermeille alors que mes lèvres viennent embrasser leur joue. « Merci. » D’être venu, d’avoir bravé la sécurité pour cet encouragement de dernière minute. Merci pour tout. C’est tellement précieux ce genre de moments. Charles nous prévient que la pièce va commencer et je serre la main de Noah. « J’ai un rôle pour toi. » Je me retourne pour récupérer un journal plié en rouleau et le tends au petit garçon. On demande toujours à un jeune dans le public, tous les soirs. Aujourd’hui, j’avais réservé la désignation. Je voulais que ce soit lui. « Quand je te fais signe. » Je lui montre le signe, un simplement mouvements de doigts. « Tu te lèves et tu cris : les nouvelles sont là. Okay ? » J’agite le journal dans un geste théâtral. « Et tu me l’amènes sur scène. » Charles frappe dans ses mains. Ils vont devoir partir. Noah prend le journal tel un objet précieux alors que mon regard croise celui de Ginny. Il va être concentré le gamin, je le sais, mais la maman veillera au grain. « A tout à l’heure. »

Et la pièce se déroule à merveille. Noah prend son rôle à cœur. Il improvise même un peu faisant rire les acteurs et le reste de la salle. Ginny ne m’a pas lâché du regard, elle m’a véhiculé une force incroyable. Le public commence à partir, je saute de la scène pour rejoindre mes amis. « Alors ? » Je suis plein de sueur, encore un peu essoufflé par la dernière danse, mais je veux leur avis maintenant, à chaud. « Noah t’a été parfait. » Ma main vient claquer la sienne dans un high five endiablé. « Gin, je crois qu’on va le garder avec nous. »

« J’ai un rôle pour toi. Quand je te fais signe. Tu te lèves et tu cris : les nouvelles sont là. Okay ? » oh, mon, Dieu. J'ai même pas besoin de tourner la tête vers Noah pour savoir qu'à la seconde où Loan lui propose un rôle il est passé en mode pile électrique. « Okay. » et je l'entends, dans sa voix, qu'il essaie de jouer à l'adulte et de bien prendre le journal et de rien plier du papier et de faire les choses bien. « Et tu me l’amènes sur scène. » « Okay! » mais là, c'est plus possible, tellement il a les yeux qui s'agrandissent comme des billes, tellement il va avoir mal aux joues demain matin tant il sourit et d'un sourire que je l'ai rarement vu avoir tellement il est survolté. « A tout à l’heure. » « Okaaaaaaay! » le cri de joie qui s'allonge pendant presque une minute, et c'est long, une minute, quand mes tympans sont juste à côté. Loan verra mon immense merci soufflé du bout des lèvres, le coeur battant de voir à quel point ma terreur sera aussi terrible que parfaite, une fois son premier rôle assumé.

Et il est adorable, l'héritier. Quand il dit sa réplique une poignée de secondes trop tôt, quand il se précipite en courant vers la scène dès qu'on lui fait signe de le faire. Quand il lâche avec la répartie d'un adulte du haut de ses dix ans une blague et cinq autres, quand l'assistance éclate de rire devant sa maladresse mais son sourire de conquérant qui n'a pas lâché ses lèvres le moindre instant. Il revient s'installer à côté de moi des étoiles dans les yeux, mêmes étoiles qu'il partage avec Loan lorsque la pièce se termine et que mon meilleur ami déboule vers nous avec cette énergie contagieuse qui m'a fait l'adorer dès le premier jour. « Noah t’a été parfait. » « Et bruyant. » je précise, pouffe dans ses mèches hirsutes, embrasse son crâne maintenant qu'il s'avance sur le bout de sa chaise pour scruter Loan et son costume de plus proche au cas où il n'aurait pas capté tous les détails.

« Gin, je crois qu’on va le garder avec nous. » « Dis oui dis oui dis oui dis oui dis ouiiiiii. » c'est le seul moment où Noah daigne me regarder, quand il tourne sa silhouette en entier vers moi si vite que j'ai peur qu'il s'en disloque des vertèbres. « J'ai toujours rêvé d'être roadie en plus. » je raille, moqueuse, m'imposant sans vergogne à son nouvel horaire hypothétique de vedette. « Non mais tu nous suis pas en tournée, c'est moi le comédien pas toi. » oh qu'il a du mordant le gamin, et si je lui tire la langue, c'est strictement pour lui rappeler qui de nous deux est le plus mature. Oups, tentative échouée. « L'esprit de famille se perd de nos jours. »

Mes prunelles se vrillent bientôt à celles de mon ami, qui doucement reprend son souffle d'après performance. « T'étais génial. » que je statue comme si c'était l'évidence, ça l'était du moins, pour moi et pour tous ceux qui étaient présents dans la salle ce soir. « Odorant, mais gé-ni-al. » il est encore recouvert de sueur mais je ne fais que me moquer, exagérant en reniflant rien que pour le faire tous rire un peu plus si c'est possible.

Je savais que donner un petit rôle à Noah allait le rendre dingue. Il adore ça le gamin, se rendre utile, participer dans l’effort. Je n’ai pas oublié ce que m’avait dit Ginny, qu’il voulait faire comme moi. Je voulais lui en donner l’opportunité. Vu le niveau sonore, il est heureux de pouvoir participer. « Okaaaaaaay! » Il va exploser sous l’excitation et d’un regard, je m’excuse auprès de la brunette. Ça va être bien.

Il a été parfait, Noah. Un peu en avance, un peu bruyant, mais si heureux. Il nous a fait tous fait sourire comme des taré. On a toujours besoin de ce genre d’énergie, ça donne une toute nouvelle impulsion au spectacle. Les gens ont été surpris, ils en parleront pendant un moment du petit garçon qui a amené le journal. Et moi, je ne l’oublierai pas le sourire qui étire ses joues à lui en faire mal, quand je finis par les rejoindre. Il est encore sur son nuage Noah. Ses doigts glissent sur la couture de mon costume, alors qu’il rapproche son visage de mon espace. Il inspecte, il tire sur les boutons. Et il explose quand je lui propose de devenir mon nouveau compagnon de scène. « Dis oui dis oui dis oui dis oui dis ouiiiiii. » qu’il insiste auprès de sa mère. Oops. Mais elle entre dans le jeu Ginny. « J'ai toujours rêvé d'être roadie en plus. » « Non mais tu nous suis pas en tournée, c'est moi le comédien pas toi. » Je ne peux retenir l’éclat de rire qui s’échappe d’entre mes lèvres. Ils sont un vrai spectacle rien que tous les deux. Il est monté sur son siège Noah et s’accroche à moi. Je passe mon bras autour de sa taille et nous tourne vers sa mère. « On pourrait avoir besoin d’elle. » que je lui murmure doucement comme un secret. « Tu crois ? » qu’il demande d’un air malicieux avec son doigt sur son menton pour accentuer la réflexion. « Elle pourrait aider pour les décors. Puis pour nous faire des sucreries. Et du café. » Parce que lorsque l’on a goûté au café McGrath, on ne sait plus s’en passer. Il sifflote le temps de sa réflexion Noah. Il hausse les épaules. « Bon d’accord. » qu’il concède en riant un peu. « Mais je veux des cookies tous les soirs. » qu’il statue avant de partir vers la scène pour aller voir ce qui lui attirait l’œil depuis quelques minutes déjà.

« T'étais génial. Odorant, mais gé-ni-al. » Elle renifle fort et je me mets à rire. « Ça veut dire que j’aurais pas mon câlin. » Et déjà, j’écarte les bras pour me diriger vers elle et tenter de l’attraper dans une étreinte. Elle recule et je ris encore plus fort. « Alleeeeer, je mérite. » Et on se court après comme des enfants avec Noah qui nous suit. Je finis par la rattraper. Je l’obtiens mon câlin même si c’est quelques secondes. « Ça va mieux ! » Je souris et me tourne à nouveau vers eux. « Visite des coulisses ? » Je pointe le couloir d’un signe de tête. « Et après, on va manger la pizza la plus grosse qui soit ? » Et après Gin, je te dirais que c'était ma dernière soirée avec le premier rôle. Mais après.

« On pourrait avoir besoin d’elle. »
« Tu crois ? »
« Elle pourrait aider pour les décors. Puis pour nous faire des sucreries. Et du café. »
« Bon d’accord. Mais je veux des cookies tous les soirs. »
« Je vous déteste. »

Je pouffe de rire, les voir s'allier est un tableau aussi horrifiant que parfait pour une dizaine de raisons mais surtout pour celle évidente qu'eux deux font partie des gens que j'aime le plus au monde - mais qu'à deux, ils sont un duo à se méfier. « Ça veut dire que j’aurais pas mon câlin. »  qu'est-ce que je disais. « Alleeeeer, je mérite. » à peine j'ai le temps de me décaler que Loan s'en prend à ma pauvre silhouette lâche en pleine fuite, qu'il s'élance et m'attrape au vol. « Loannnn - t'es horrible! » j'en ajoute des tonnes, j'en exagère des masses, je suis pire que tout à empirer la situation quand il ne s'en esclaffe qu'encore plus l'oeil brillant de malice.

« Ça va mieux ! » qu'il finit par scander mon ami, quand quelque chose, un détail sûrement, attire mon attention. Mais Noah slalome tant à travers les coulisses, il rigole de tout et pour tout, que je ne le souligne pas. Pas tout de suite. « Visite des coulisses ? » « Oui! » je garde une légère distance, attendrie par mon gamin qui vit son rêve dans le sillage du propre rêve de mon meilleur ami. « Et après, on va manger la pizza la plus grosse qui soit ? » « Ouiiiiiiii! »  les mots magiques sont actés, je souris de plus belle pour confirmer que le plan marche autant pour McGrath junior que pour McGrath senior.

Ce n'est que lorsqu'on dérive dans l'immense placard des costumes que ma main se faufile contre la sienne de Loan, mes doigts s'enlacent à ceux de mon ami en lequel je sais lire aussi bien que lui-même sait lire en moi. « À la seconde où il dort tu me dis ce qu'il y a. » que je murmure à son oreille, comme un éternel secret d'état. À voir à quel point Noah s'élance et s'enflamme, d'ici une heure il serait KO dans l'une des loges.

« Je vous déteste. »
« Pfff. Tu nous aimeeeeeee. »
« Tu saurais pas faire sans nous. »

On insiste de trop ? On exagère ? Probablement, mais c’est si bon de pouvoir rire comme cela avec Noah. De retrouver cette complicité si évidente avec un enfant de dix ans. Dès que je me retrouve en compagnie du petit garçon, je rajeunis de plusieurs années et deviens parfois pire que lui. C’est toujours Ginny qui finit par être notre victime. Elle en rit également la brunette, elle rechigne un peu, mais je le vois cet éclat dans ses yeux. « Loannnn - t'es horrible! » Elle aussi elle exagère dans le fond. C’est donnant-donnant. Non ?

Le plan pour le reste de la soirée est à peine acté que déjà Noah part à la dérive en direction des coulisses. Une partie de la troupe est encore dans les couloirs et les loges, mais il ne s’arrête pas vraiment le petit garçon. Un seul l’endroit l’intéresse, la pièce remplie des costumes. Je le suis en riant, enlève ma veste pour déjà l’accrocher à son cintre attitré. Déjà, j’invente un million d’histoires à raconter à Noah pour faire voyager son esprit, pour l’impressionner aussi, peut-être un peu. Mais la main de Ginny me stoppe dans mon élan. Son corps qui se rapproche du mien et se secret murmurer avec tant de douceur. « À la seconde où il dort, tu me dis ce qu'il y a. » « Promis. » Je ne saurais pas lui mentir. J’ai besoin de lui en parler aussi. Mais on verra plus tard, d’abord, on se concentre sur Noah qui a déjà enfilé une veste et visser un chapeau sur son petit crâne. « Mais… Qui êtes-vous ? » Je joue l’air surpris, je reprends le rôle. « Monseigneur du Roquefort. » qu’il annonce en empruntant un accent marqué de bourgeoisie. Il monte sur un canapé, je m’agenouille pour le saluer. « Votre majesté. » « Mais noooooon. C’est seigneurie. » Il râle le gamin et moi, j’éclate de rire en levant les yeux au ciel. « Envoyez-moi au cachot, pour mes fautes monseigneur du fromage. » Il pouffe le gosse et déjà, il descend de son piédestal pour chercher une robe à sa mère. Il virevolte dans tous les sens. On s’amuse comme des gamins.

Puis il finit par s’écrouler sur un canapé Noah, les yeux qui ne tiennent plus ouvert. « Je me souvenais plus que c’était si dur de l’épuiser. » que je pouffe en me tournant vers Ginny qui depuis longtemps nous avait abandonner à notre sort. « Pardon, je me suis encore emballé avec lui. » Je hausse les épaules et lui offre une moue. Je suis pas vraiment désolé en réalité. J’adore m’amuser avec le gosse. Je me laisse tomber aux côtés de la brunette en soufflant. « C’était ma dernière ce soir. » Mon regard se pose sur Noah enfoui dans un manteau trop grand pour lui. « Je sais pas ce que je vais faire maintenant. » Je suis un peu perdu même si les idées fourmillent sous mon crâne.

Mes mots ne sont que de minimes murmures, jamais Noah n'entendra quoi que ce soit lui qui s'invente monts et merveilles depuis de longues minutes déjà. « Promis. » « Je t'aime. » et j'aime cette facilité avec laquelle on se comprend, tous les deux. J'aime le lien de confiance qu'on a construit ensemble sans même forcer, le plus naturellement du monde. J'aime ce coup d'oeil là aussi, celui que Loan me dédit, même si j'y vois ses inquiétudes, ses doutes, ses craintes. Il me dira tout, et ça me suffit.

« Mais… Qui êtes-vous ? »
« Monseigneur du Roquefort. »
« Votre majesté. »
« Mais noooooon. C’est seigneurie. »
« Envoyez-moi au cachot, pour mes fautes monseigneur du fromage. »

Ils sont l'enfer sur Terre. Et ils me font rire et rêver, ils m'improvisent tantôt prisonnière tantôt fou du roi, tantôt reine, tantôt ennemie d'état. Je joue tous les rôles possible contre la dernière bouchée de pizza, je joue tous les personnages qu'ils m'inventent surtout ceux qui peuvent courir entre toutes les loges et tous les coulisses, se cacher derrière les immenses structures construites rien que pour la pièce et en sortir à la dernière seconde en troquant mes hurlements de sursaut pour des rires cristallins. Ça aussi, j'aime. J'aime énormément.

« Je me souvenais plus que c’était si dur de l’épuiser. Pardon, je me suis encore emballé avec lui. » le canapé encaisse la silhouette de Loan lorsqu'il s'y laisse choir à mes côtés. Mon immense sourire en coin fait écho au sien, ses prunelles dérivent vers mon fils assoupi si profondément qu'il en ronfle. Ça y est, je suis attendrie. « T'es pas désolé du tout avoue. » oh que je me moque, oh que je ne le crois pas une seule seconde, lui tirant la langue avant d'étouffer un rire dans un chuchotement et un autre. Tout ce temps, j'ai encore de la sauce tomate de collée sur la joue ; on repassera, pour le semblant d'autorité.

L'inspiration qu'il prend veut tout dire, ma silhouette se décale de façon à ce que je puisse lui faire face, me concentrer que sur lui et m'aligner à sa fréquence.« C’était ma dernière ce soir. » alors voilà. J'encaisse doucement, en silence évidemment. Sachant à quel point ce rôle était tout pour lui, sachant comment il s'était donné corps et âme lorsque Clément le lui avait cédé le temps de son congé maladie. « Je sais pas ce que je vais faire maintenant. » Loan est un soleil qui déborde de positivisme, Loan est celui qui m'a tirée vers les hauts des dizaines de fois déjà. « C'est pas le bon discours. » cette fois-ci par contre, c'est mon rôle à moi, ça.

La seconde d'après je gesticule, me redresse rien que pour attraper l'un des carnets qui attend patiemment son tour au fond de mon sac. « Qu'est-ce que tu as envie de faire, maintenant? » carnet que j'exhibe sous ses yeux, fusain avec. « C'est quoi les choix? » prête à tout prendre en note, prête à donner de longues minutes de gloire à mes feuilles encore vierges de tous dessins, de toutes lignes même. « Allez, on fait la liste. »

Je retombe en enfance.

Noah m'entraîne dans la création de ses histoires et bien sûr que je renchéri. Toujours plus. Toujours plus loin. Toujours plus fou. On passe de nobles seigneurs à bouffons du roi en l'espace de quelques répliques. Il essaye toutes les tenues possibles. Se coiffe des chapeaux les plus dingues. Impose un boa à plume à sa mère qui se retrouve spectatrice et actrice de nos idées les plus folles. Il me fait réaliser Noah, a quel point, parfois, j'aimerais être père. En attendant, je me perds à jouer avec lui, à l'entendre rire dès que je dis une bêtise, à me suivre dans mes cascades et mes monologues. Ce gamin est un trésor.

Et lorsqu'il s'endort enfin épuisé par nos jeux, rassasié par bien trop de pizza, le silence me paraît presque étrange. J'avais besoin de ça, ce soir, sans l'avoir jamais réclamé. À croire qu'ils l'avaient senti tous les deux. « T'es pas désolé du tout avoue. » Elle me connaît si bien Ginny. « Absooooolument pas! » Et je fais traîner les lettres pour l'exagération alors que mon sourire doit probablement faire trois fois le tour de ma tête. Je n'ai pas besoin de la remercier, elle le sait déjà, elle comprendra.

Je lui explique ma situation. Plus de rôles en première ligne. Plus vraiment de rôle en soit. Et cette sensation de ne plus vraiment avoir ma place au sein de la troupe. Je suis heureux pour Clément, mais le sentiment reste doux amer. Alors j'avoue mes doutes et mes craintes. L'avenir semble si flou et je ne suis pas certain d'avoir trouvé la prochaine étape. « C'est pas le bon discours. » C'est vrai qu'il sonne si faux, parfois. Je la vois s'agiter et déjà elle questionne. « Qu'est-ce que tu as envie de faire, maintenant? » Un million de choses si tu savais, il ne reste plus qu'à décider ce qui reste le moins fou dans tout ça. « C'est quoi les choix? Allez, on fait la liste. » Je sais ce qu'elle fait. Elle me pousse à envisager l'avenir, à voir plus loin, à exprimer tout ce que je garde en moi. « Tenter, encore, d'obtenir un premier rôle. Pour de vrai cette fois. » Un doigt qui se lève. « Courir les auditions sans but. » Un deuxième. « Tout arrêter un temps pour prendre soin de mon père. » Le choix qui s'impose de plus en plus régulièrement. « Et puis... Il y a cette idée folle. » Je dois en parler avec elle. Ginny qui a son propre lieu de création, Ginny qui connaît toutes les étapes. « Je voudrais créer un lieu à part, un endroit où le théâtre et la danse pourraient se rencontrer. » Je sonne rêveur, mais cette idée, je m'y accroche de plus en plus. « Un espace pour des jeunes, et des moins jeunes. Tout le monde y serait accueilli, qu'importe le background. Juste un endroit de partage, tu vois? » Dis-moi que je suis pas complètement dingue, surtout.

Et une fois qu'il a la chance de parler, il la prend toute, entière, et je la lui laisse l'oeil brillant et le sourire qui n'a rien d'éphémère.

« Tenter, encore, d'obtenir un premier rôle. Pour de vrai cette fois. »
« Courir les auditions sans but. »
« Tout arrêter un temps pour prendre soin de mon père. »
« Et puis... Il y a cette idée folle. »
« Je voudrais créer un lieu à part, un endroit où le théâtre et la danse pourraient se rencontrer. »

Tout ce qu'il a besoin, c'est de laisser remonter ses plans, de les laisser prendre toute la place dans une pièce que je ne reconnais même plus tant je ne la vois pas, je ne la vois plus. Tout ce que je vois ici et maintenant, c'est Loan qui rêve. C'est Loan qui s'autorise à voir une suite alors que j'ai eu bien peur qu'il ne soit fixé que sur l'actuel et non l'avenir. Il y tenait à ce rôle, et il l'a tenu tout aussi bien. J'ai peine à croire que son coeur ne se serre pas à chaque fois où il réalise qu'ainsi se termine cette aventure ; pourtant, je sais, je sais pertinemment que ce n'est que le début d'autre chose. Il est plein d'ambition et il l'a toujours été, il déborde d'énergie et de plans tous plus fous et parfaits et incroyables et inspirants les uns les autres et ce n'est pas dit que de les laisser enfin être dits et entendus au grand jour n'est pas absolument ce dont il avait besoin.  « Un espace pour des jeunes, et des moins jeunes. Tout le monde y serait accueilli, qu'importe le background. Juste un endroit de partage, tu vois? » « Je vois parfaitement. » il me fait penser à moi, lorsque j'ai rejoint l'atelier de Auden et Dannie. Il me fait penser à moi quand je voulais en faire un endroit où tous les artistes, même les plus discrets se sentaient à leur place. Il me fait sourire aussi, mon ami, mon frère d'une autre vie.

« Tu as déjà trouvé un local? » que j'initie, que je questionne, misant sur le concret bien plus que sur tout le reste. « Si tu veux on peut chercher ensemble. » les pièces se placent et le puzzle se redresse, chaque morceau semble s'aligner parfaitement à son homologue tant je le vois, parfaitement et entièrement, s'épanouir dans ce genre d'endroit en constant mouvement. « Tu en as parlé à qui que ce soit d'autre? » tu as des alliés, dans cette aventure-là? Tu as de la place pour moi?