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Salim Boubeker était un vieux monsieur. La soixante-dizaine fraîchement entamée, il ne jouissait pas de ses mouvements comme il l'entendait, perclus dans le petit appartement qui faisait sa fierté depuis une prise de retraite, ma foi, plutôt méritée. Néanmoins, il savait s'occuper. Surveiller ses voisins, plus qu'un passe-temps, une passion qu'il avait, au fil du temps, mis à profit de son ennui latent quand, lambinant sur son balcon en quête de précieuses vitamines revigorantes, il restait à l'affût du moindre faits et gestes de ces gens bien trop jeunes qui l'entouraient sans cesse, trop vifs et enthousiastes pour qu'ils ne réussissent à saisir toutes les subtilités de leur vie quotidienne. Et pourtant, c'est qu'il se donnait beaucoup de mal, Salim. Ainsi, critiquer en sourdine, parfois en marmonnant dans sa barbe mouchetée par la décrépitude de son état de vieux monsieur, était devenu un mode de vie dont il se contentait de bon gré, conscient au fond qu'aspirer à plus ne lui créerait que des espoirs vains, impossibles à réaliser dans leur finalité. Il était trop expérimenté pour se laisser endormir par ses propres rêves, quand bien même il aurait été capable d'en alimenter quelques-uns encore sous cette couche d'amertume qu'il traînait avec lui comme la carcasse fatiguée qui lui servait de corps désormais ; comme celui de rendre hommage à sa communauté en veillant au grain, particulièrement à cheval sur les règles strictes de la religion qu'il pratiquait depuis son arrivée sur le sol australien, il y avait là plusieurs décennies en arrière.
Son petit bonheur à ce sujet, ça avait été l'annonce inopinée d'une nouvelle arrivante dans sa copropriété, et dont le patronyme ne lui laissait aucun doute sur sa manière d'échanger avec. Telle une nièce, il prenait à cœur de la regarder évoluer dans les couloirs de leur immeuble commun en pensant que ses parents devaient être fiers de ce qu'elle était devenue, même si couvrir ses cheveux n'auraient pas été de trop ; et tout ce passage, chez cette charmante jeune femme, n'était-ce pas un peu exagéré au demeurant ? Il ne réussissait plus à suivre qui était qui, mais la présence régulière de jeunes hommes, plus ou moins à intervalles réguliers, ça lui donnait envie de se renseigner sur la mosquée que fréquentaient ses géniteurs. Et d'ailleurs, qu'en était-il de sa pratique à elle ? Il ne l'avait jamais entendu prier, ça ne lui disait rien qui vaille.
Cela dit, il y en avait un, de jeune homme, qui était plus souvent là que les autres et qui ne rentrait pas du tout dans l'idée du profil-type d'un homme honnête qui prendrait soin d'une perle comme elle, si fraîche et serviable. C'est vrai, on prenait vite le pli de se mêler des affaires des autres, Salim en avait bien conscience… et peut-être qu'un peu de culpabilité teinta ses traits gris quand il vit Yasmine s'engager dans leur cage d'escaliers, son courrier sous le bras après une garde difficile à l'hôpital, terminée en ce tout début de soirée chaude. Sa pénibilité se lisait sur son visage que toutefois, elle rendit rayonnant en levant la tête, un sourire fendant son expression trop sérieuse sur le moment.

"Les murs sont fins ici, Yasmine." la coupa-t-il avant même qu'elle ne puisse lui dire bonjour. Immédiatement, elle pencha la tête sur le côté, n'attendant pas qu'il en dise plus pour se répandre en excuses, le haut de son nez froncé pour accentuer cette mine adorable qui était la sienne lorsqu'elle avait le sentiment d'avoir abusé involontairement de quelqu'un ou de quelque chose "J'essaye d'être le moins bruyante possible quand je rentre tard, monsieur Boubeker." Il dressa un index jauni devant son nez, pile dans l'espace infime qui les séparait, lui sur marche, elle sur une autre, l'agitant de droite à gauche en cherchant son regard comme ces parents aux méthodes éducatives tout droit sortie d'un gros volume inutile qui les rassurait tout de même sur leur condition de procréateurs incompétents "Il ne s'agit pas que de ça. Même si j'ai noté des efforts, je t'en remercie, d'ailleurs." Et l'arabe s'invita tout naturellement dans la conversation, installant une connivence avec le vieux monsieur qu'elle ignorait jusqu'alors, elle qui faisait toujours tout pour ne déranger personne, pour se faire la plus discrète possible. Il posa une main sur son épaule, s'approchant un peu pour créer une nouvelle intimité qui rendit perplexe la jeune femme qui rentra le menton "Ce que je veux dire, petite, c'est qu'il y a des sons qui portent. Les rires, surtout le tien, n'envoient pas toujours le bon signal. Je me permets de te le dire, parce que si j'étais…" Elle aurait dû s'y attendre. Elle avait surpris ses regards – quand Edge sortait tard, ou tôt, de la résidence, quand Molly et Sloan passaient à l'improviste en pensant le trouver seule et que ce n'était pas le cas, ou que Hassan, Sohan ou quelqu'un de son entourage ayant le malheur de ne pas se trimballer avec la bonne paire de chromosomes s'attardaient au-delà de minuit. En fait, c'était ça le plus gros désavantage de ce genre de logement ; la scrutation perpétuelle, quand fiché derrière une fenêtre ou sur un balcon surplombant absolument tout, chacun était susceptible de se faire des idées sur ce qui se passait chez ses voisins. Serait-elle assez patiente pour lui faire entendre qu'il empiétait sur un terrain sur lequel il n'avait pas été invité ?
Ça s'échappa de ses lèvres. Yasmine sut que sa limite était atteinte, et repassa aussitôt à l'anglais. Les yeux posés sur le profil usé du bonhomme, elle voyait nettement la direction que prenait la conversation et quelque chose au fond de son ventre remua assez fort pour qu'au lieu d'une justification, elle lui réponde catégoriquement, sans édulcorer la lueur de colère qui agrandit ses pupilles vert clair "Mais vous n'êtes pas, Salim. Donc la discussion s'arrête là. Pardon, merci." Elle lui sourit une dernière fois, bouche fermée, en le contournant pour monter la volée de marches qui lui restaient quand il se retourna pour ajouter sur un ton las, teinté d'une forme de culpabilité qu'elle n'avait pas envie de prendre trop à cœur "Il est déjà là." Et un soupir perça quand il abattit une main devant lui pour chasser une mouche invisible devant son nez et laissa la fille Khadji méditer sur l'idée qu'Edgerton était déjà devant sa porte.
Une information qui ne passa pas inaperçue et qui lui fit mordre dans la pile de courrier qu'elle avait ramassée en s'engouffrant dans l'immeuble. Elle vint alors pêcher son téléphone portable dans la poche arrière de son jean, prenant garde de ne rien faire tomber, ni son courrier, ni son téléphone, ni son sac qu'elle remonta sur son épaule après avoir soufflé sur une longue mèche de cheveux tombée en travers de son visage légèrement empourpré par la leçon qu'elle venait de recevoir de la part d'un illustre inconnu. Mais aucune notification ne vint confirmer les choses, alors elle fronça doucement les sourcils, préférant par la même repousser la conversation avec monsieur Boubeker un peu plus loin dans sa tête déjà trop pleine pour en contenir davantage à cet instant ; mais non sans s'impatienter de faire savoir à Edge que son voisin, oui celui qui le regardait de travers chaque fois qu'il lui passait devant, lui reprochait de la faire trop rire et qu'il devait en avoir honte – une farce qu'elle rédigea rapidement sur son écran tactile et qu'elle lui envoya dans la foulée, manœuvrant comme la jeune femme multitâche qu'elle était pour le faire en même temps qu'elle ouvrait la porte de chez elle… où une odeur de plats récemment préparés – en train de mijoter ? – lui fit lever le nez et marquer un stop distinct, presque caricatural.

L’idée leur était venue alors qu’ils terminaient un footing auquel Hassan n’aurait probablement pas accepté de participer s’il ne s’était pas agi de Sohan. Bien que sportif dans l’âme, le brun n’avait jamais été un adepte de la course à pieds, qu’il ne voyait que par le prisme de la perte de temps que constituait à ses yeux le fait de courir en rond pour revenir à son point de départ. Une manière de voir des plus subjective et dont transparaissait une dose certaine de mauvaise foi, car si la préférence d’Hassan allait depuis toujours aux sports d’équipe il était malgré tout un adepte des randonnées à vélo, lesquelles nécessitaient tout autant de revenir à son point de départ en fin de course. Mais il était plus question ce jour-là d’avoir une excuse pour passer un peu de temps avec Sohan que de véritablement changer sa vision sur le footing, et la préoccupation qui les animait tandis qu’ils ralentissaient le pas et tâchait de reprendre leur souffle était toute autre : tous les deux se faisaient du souci pour Yasmine. Rien de nouveau sous le soleil, pourrait-on dire, mais à l’inquiétude latente qui les animait habituellement lorsqu’il était question de la jeune femme s’ajoutait celle de la voir glisser dans un état de découragement général, amorcé entre autres choses par l’échec aux examens qu’elle avait passé toute l’année précédente à préparer. Les deux hommes se sentaient un peu impuissants, spectateurs d’une déprime pour laquelle ils n’avaient pas d’autres solutions à proposer que le fait d’être là … Mais peut-être n’attendait-elle pas autre chose de leur part, au fond. Savoir qu’elle pouvait compter sur eux, et attendre de leur part qu’ils fassent de leur mieux pour lui changer les idées lorsqu’ils se croisaient. Et finalement l’idée leur était venue comme ça, du constat que la dernière fois qu’ils s’étaient retrouvés tous les trois remontant à tellement loin que ni l’un ni l’autre n’auraient pu donner une indication plus précise – Yasmine savait que leur brouille (ou peu importe comment il fallait l’appeler) était désormais de l’histoire ancienne, mais l’occasion pour elle de le constater de ses propres yeux ne s’était pas présentée, et quand bien même les deux hommes n’avait pas avancé cet argument supplémentaire à haute-voix pour faire pencher la balance dans leur décision, l’un et l’autre y avaient probablement pensé.

Et voilà comment, alors que la jeune femme arpentait encore les couloirs de l’hôpital, les deux hommes avaient investis l’appartement de Yasmine à son insu grâce au double des clefs que possédait Sohan, les bras chargés de tout ce dont ils auraient besoin pour préparer un repas digne de ce nom. En montant les escaliers ils avaient croisé la route d’un des voisins des étages inférieurs, un vieil homme au sourire de circonstances mais au regard perçant qui en disait bien plus long que les politesses d’usages qu’Hassan et lui échangeaient s’il leur arrivait de tomber nez-à-nez lorsqu’il rendait visite à l’infirmière. Dérangé dans son énième sieste de la journée, Sasha les avait d’abord accueillis Sohan et lui d’un miaulement accusateur, avant d’estimer qu’un peu de compagnie était toujours bonne à prendre quand bien même il ne s’agissait pas de sa douce maîtresse. Pas né de la dernière pluie pour autant, l’animal s’était empressé d’aller rôder aux abords de sa gamelle en réitérant ses vocalises, mais puisque l’on n’apprenait pas à un vieux singe à faire la grimace les deux hommes ne s’étaient pas laissés attendrir par cette comédie visant à leur faire croire que Yasmine ne l’avait pas nourri avant de partir, et leur tournant le dos à la manière d’une diva le chat était retourné s’étendre sur le dossier du canapé. Investissant la cuisine, Sohan et Hassan s’étaient mis aux fourneaux sans trainasser plus longtemps, se partageant les tâches avec une efficacité qui ne surprendrait personne et écoutant d’une oreille distraite la retransmission d’un match de football australien opposant Melbourne et Hobart sur la télévision du salon. Là-bas ils avaient aussi dressé joliment la table, choisi dans les placards le service de vaisselle auquel Yasmine tenait le plus pour être un cadeau de ses parents, et mis dans un vase le bouquet de jasmin qu’ils avaient amené avec eux.

L’heure tournait, la brune n’allait pas tarder à rentrer, et prenant garde à ne pas écraser malencontreusement une patte de chat – il avait vite rejoint la cuisine à nouveau en comprenant que s’y préparait un festin – les deux hommes armés chacun de leurs ustensiles mettaient la dernière touche à leurs œuvres respectives. Sohan s’était occupé du dessert, Hassan avait cuisiné un poulet à la circassienne, et quitte à totalement laisser tomber la fausse modestie les deux hommes avaient échangé un high-five satisfait. « Chef Khadji, la première partie de la mission est une réussite. Espérons que le jury sera du même avis. » Coïncidence ? Le bruit d’une clef que l’on tournait dans la serrure avait ponctué la fin de sa phrase, et les pas qui piétinaient dans l’entrée terminaient de confirmer que le jury en question venait de regagner ses quartiers. « Quand on parle du loup. » Dans un coin de sa tête néanmoins, Hassan gardait la crainte que la surprise ne soit pas aussi bonne pour Yasmine que Sohan et lui ne l’espéraient ; Que sa journée ait été trop longue ou trop éprouvante, qu’elle soit fatiguée et n’aspire à rien d’autre qu’un peu de tranquillité et de solitude. Mais le repas était prêt, elle n’aurait à se préoccuper de rien, et il serait toujours temps pour eux de ne pas s’attarder plus que de raison s’ils sentaient que la jeune femme n’était pas d’humeur à laisser s’étirer la soirée.

Sohan soutiendrait à qui veut l'entendre que les meilleures idées germent quand on est en train de faire du sport. L'esprit se vide, la négativité disparaît et laisse place à des idées toutes fraîches. C'était une des raisons pour lesquelles il aimait tant son jogging matinal qu'il tentait toujours de ne pas louper. Il y avait des exceptions, des jours où il se laissait un peu de répit, d'autres où la météo habituellement clémente à Brisbane ne lui laissait pas d'autre choix que de remettre ça au lendemain. C'était les aléas de faire du sport à l'extérieur, il fallait parfois composer avec la nature et changer ses plans quand on n'avait pas l'univers de son côté. Dans l'ensemble en revanche, il était plutôt bon élève, pour la simple et bonne raison que ces footings matinaux n'étaient pas une corvée et qu'il faisait ça par plaisir. Il ne voyait pas l'intérêt de se forcer, ça ne menait à rien et ça allait à l'encore de l'idée qu'il se faisait du sport. Pour lui il fallait que ce soit agréable, mais aussi convivial et c'était pour cela qu'il avait tendance à embarquer tout son entourage avec lui au moins une fois de temps en temps. Yasmine et James étaient sans aucun doute ses plus fidèles partenaires qu'il retrouvait dès que leurs emplois du temps le permettaient. Hassan quant à lui était un peu plus compliqué à convaincre, mais pas totalement réticent non plus et avait fini par accepter de le retrouver un matin pour courir un peu dans Logan City, le parc étant un des endroits idéaux pour s'adonner à la pratique de la course à pied. Dire qu'ils s'étaient préparés pour un semi marathon ce jour-là aurait été mentir, ils avaient peut-être plus marché que couru, mais ce n'était qu'un détail parmi tant d'autres. Ils avaient été occupés à élaborer tout un plan pour organiser un dîner pour Yasmine. Rien d'extraordinaire ou d'extravagant, juste un repas, tous les trois, comme au bon vieux temps. Un moyen pour eux de changer un peu les idées de la jeune femme, tout en apaisant un peu leur inquiétude vis-à-vis de la Khadji. Leur argument était tout trouvé, ils n'avaient pas eu l'occasion de passer un moment tous les trois depuis que la brouille entre les deux hommes avaient pris fin et c'était donc l'excuse parfaite pour s'introduire chez elle avec le double des clés pendant qu'elle était encore au travail, bien loin de se douter de ce qui se tramait dans son appartement.

Ils étaient arrivés chez elle en fin d'après-midi. Les bras chargés d'ingrédients pour préparer le repas du soir, en toute discrétion ou presque. C'était sans compter sur M. Boubeker et son passe-temps favoris : surveiller ses voisins ainsi que tous les allers et venues dans l'immeuble. Il n'y avait pas une fois que Sohan était venu rendre visite à Yasmine sans qu'il ne croise ce voisin retraité, bien plus efficace que n'importe quelle entreprise de vidéo surveillance. Il les avait vus monter, chargés comme des mules et leur avait souri par politesse ou pour pouvoir les observer un peu plus longtemps, s'assurer qu'ils n'allaient pas faire de grabuge dans cet immeuble habitué au calme. Sohan le salua d'un “as-salāmu ʿalaykum” accompagné d'un signe de tête avant de poursuivre son chemin jusqu'à l'appartement de sa soeur ne laissant pas au vieil homme l'occasion de commérer. Ils avaient réveillé un Sasha endormi en arrivant dans l'appartement, qui n'avait pas hésité à les réprimander d'un miaulement, avant de courir à sa gamelle et de pleurer de plus belle. C'était bien essayé, mais il n'y avait qu'à regarder l'animal pour comprendre qu'il ne manquait pas de nourriture et que la probabilité que Yasmine ait oubliée de le nourrir ce matin était proche de zéro. “Ca sert à rien de miauler, personne ne croit que t'as pas mangé aujourd'hui.” Lance Sohan en attrapant le chat pour le bercer doucement comme un bébé, après avoir déposé ce qu'il avait dans les mains sur le plan de travail de la cuisine. Il caresse Sasha quelques instants avant de déposer un bisou sur le haut de sa tête puis de le reposer par terre. Ils n'avaient pas toute la journée, le but était de préparer le repas avant l'arrivée de Yasmine pour qu'elle n'ait plus qu'à mettre les pieds sous la table.

Ils n'avaient pas traîné. Ils avaient retourné leurs manches et s'étaient mis aux fourneaux. Leur plan était simple, Hassan se chargeait du plat et Sohan s'attelait à la préparation du dessert. Au menu ce soir, poulet à la circassienne et tarte au citron meringuée. Cette préparation était une première pour Sohan. C'était Caleb qui lui avait donné la recette, mais il n'avait pas encore eu l'occasion de la tenter. C'était donc chose faite pour aujourd'hui et alors qu'il la sortait du four, le résultat lui paraissait plutôt réussi pour ce qui était de l'apparence. Le test gustatif lui serait pour plus tard dans la soirée, mais l'odeur qui se dégageait laissait présager qu'il avait sans doute réussi à préparer quelque chose d'au moins mangeable. “Chef Jaafari, je ne sais pas comment le jury pourrait ne pas apprécier.” Avait il répondu à Hassan en lui tapant dans la main. Ils n'étaient peut-être pas des chefs étoilés, mais les plats avaient été préparés avec beaucoup d'amour ce qui les rendaient au moins dix fois meilleurs, c'était bien connu. D'ailleurs, comme si les astres avaient décidé de s'aligner, ils posaient à peine leurs tabliers que des clés se faisaient entendre dans la serrure, suivies par des pas dans le couloir. “Surprise !” Lance t-il quand Yasmine fait son apparition probablement à des années lumières de se douter que les deux hommes avaient investi ses quartiers pendant qu'elle arpentait les couloirs de l'hôpital. Ou peut-être qu'elle savait, peut-être que M. Boubeker avait vendu la mèche. Il les avai vus monter, mais ne les avait pas vus descendre. Il aurait très bien pu le dire à la jeune femme. “J'espère que t'as faim, parce que le dîner est prêt en fait.” Ajoute t-il en souriant se demandant tout de même quelle allait bien pouvoir être la réaction de sa cadette.

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A la seconde où elle comprit que son vieux voisin s'était laissé fourvoyer par ses piètres talents d'espion, Yasmine se sentit plus apaisée ; encore que les jugements de valeur de la part d'un homme qui passait son temps à mettre son nez dans les affaires des autres par pur souci d'égayer un peu son quotidien ennuyeux n'avaient que peu d'importance à ses yeux, elle devait néanmoins avouer que l'idée qu'il fasse courir de vilaines rumeurs à son sujet l'avait rendue légèrement bougonne. Mais non vraiment, ça n'eut plus d'importance dans l'immédiat, car la bonne odeur de cuisine qui emplit ses narines lorsqu'elle ouvrit la porte de son appartement chassa le nuage épais au-dessus de sa tête. Et définitivement d'ailleurs quand, s'avançant encore plus, mais prudemment jusqu'au coin cuisine de son petit chez elle, elle reconnut la silhouette de Sohan puis celle d'Hassan. La scène avait l'air tout droit sorti d'un vieux souvenir, aussi immédiatement elle l'attendrit et lui fit pencher la tête sur le côté alors qu'il devenait évident qu'ils s'étaient glissés chez elle à son insu. Mais pour quoi faire ? Son anniversaire était passé depuis bientôt un mois, et il lui semblait qu'ils n'avaient rien à fêter qui méritait de mettre les petits plats dans les grands. Son regard vrilla jusqu'à la table dressée dans le petit salon, et elle se dit : ils n'avaient jamais eu besoin d'une occasion spéciale pour se retrouver à la grande époque, alors pourquoi devaient-ils en avoir une aujourd'hui ? Elle fit une pause dans sa réflexion, recommençant à les regarder alternativement par-dessous la barrière de ses longs cils, la même expression illuminant son visage marqué par la surprise de cette gentille intrusion. De son côté, Sasha se mit à miauler ; lui ne devait pas avoir beaucoup apprécié d'être dérangé dans son planning surchargé par ses longues siestes. Mais depuis quand lui demandait-on son avis à celui-ci ? D'autant qu'il aurait de quoi picorer à un moment où un autre alors vraiment, de quoi se plaignit-il ?

Ne sachant trop quoi dire sur le moment donc, Yasmine resta-là encore un moment, les bras ballants. Bien sûr qu'elle était au courant du rabibochage des deux hommes – à vrai dire, elle y avait travaillé dur durant de nombreuses années, persuadée qu'entre ces deux-là, les choses ne pouvaient pas aussi mal se terminer. Mais elle n'avait pas encore eu l'occasion de véritablement les voir interagir depuis qu'il avait été annoncé qu'ils se revoyaient régulièrement comme avant. Et finalement, ça lui fit un petit quelque chose de les voir si proches dans cette petite cuisine et tandis que la nostalgie s'emparait doucement, mais sûrement d'elle, elle déposa son téléphone portable et son courrier sur le comptoir du petit-déjeuner tenu propre, et enfin son sac sur l'un des hauts tabourets en leur demandant "OK, qui est mort ?" Il en fallait bien un pour détendre l'atmosphère. Elle s'était toujours échinée à tenir ce rôle, sans doute parce qu'elle était du genre à ne pas aimer les ambiances trop lourdes, le conflit prenant des allures de cauchemars pour elle. Seulement, il n'était pas question de conflit à l'heure actuelle, tout juste d'un complot fomenté contre sa personne. Oh, vraiment ?
Plissant les yeux, Yasmine répondit à son frère aîné "Je meurs de faim, évidemment." Evidemment "Mais n'essaye pas de détourner l'attention en me faisant passer pour une morfale, Sohan" Ce qui était le cas soit en dit en passant, mais elle aussi était capable de faire preuve de mauvaise foi de temps en temps. Se redressant après s'être débarrassée de sa veste qu'elle posa avec son sac, Yasmine fit le tour pour s'arrêter devant les deux bonhommes qu'elle toisa de bas en haut avec l'air suspicieux. Fronçant le nez pour parfaire son petit manège, elle les interrogea exactement comme Fatima aurait pu le faire ; les bras croisés sur la poitrine, un sourcil arqué si fort qu'il devint accent circonflexe et le menton tellement rentré que ça en devenait comique "Alors comme ça on organise des surprises en duo ? Je vois qu'on a vite retrouvé les bonnes vieilles habitudes, c'est comme le vélo." Une expiration ressemblant plus à un hum relâché vint ponctuer ses paroles prononcées sur un ton similaire à celui de sa mère, l'accent chantant en moins. Elle les fixa encore longtemps, passant d'un regard à l'autre – du brun au bleu – avec les paupières si plissées que les siens finirent par disparaître derrière deux fentes qu'elle rouvrit soudain pour s'élancer droit en avant. Les bras ouverts, elle les prit tous les deux dans ses bras en pépiant doucement "Venez par-là tous les deux !" Et elle les serra contre elle avec une force douce, se plaçant au centre pour sentir leur chaleur l'envelopper d'un réconfort instantané. Elle finit par déposer une bise sur leur joue où une trace subtile de baume à lèvres traîna le temps d'un instant, puis les relâchant pour venir soulever les casseroles, elle leur demanda "Que me vaut l'honneur de cette surprise, bande de petits cachotiers ?"

Hassan adorait cuisiner, ce n’était un secret pour personne. Il se souvenait par bribes de l’époque lointaine où il se mettait sur la pointe des pieds pour épier par-delà le plan de travail, de son père qui le rabrouait avec une pointe de lassitude en lui demandant de ne pas rester dans les pattes de sa mère, et de cette dernière qui finissait par le laisser grimper sur une chaise et lui donner une cuillère en bois pour touiller Dieu savait quoi. Plus tard, de la garçonnière partagée avec son frère au toit partagé avec Joanne il n’avait que rarement rechigné à se mettre derrière les fourneaux, et aujourd’hui encore il passait plus de temps en cuisine que ne l’exigeait la moyenne … Au bout du compte seul le fait de cuisiner pour autrui s’était amenuisé, et parce que la satisfaction de cuisiner n’était jamais la même lorsque l’on n’avait que sa propre bouche à nourrir, le brun ne manquait jamais de saisir les occasions qui lui étaient données de déroger à la règle. Ce jour-là pourtant la cuisine n’était que secondaire dans le plaisir qu’il avait à s’impatienter du moment où Sohan, Yasmine et lui seraient à nouveau tous les trois réunis dans la même pièce – ce n’était plus arrivé depuis tellement longtemps. Depuis bien trop longtemps. Depuis tellement longtemps à vrai dire qu’en faisant irruption dans son salon l’infirmière avait marqué un temps d’arrêt qu’il soupçonnait ne pas être simplement dû au fait qu’ils se soient invités à l’improviste pour lui préparer le repas. « OK, qui est mort ? » Déposant ses affaires sur le comptoir en leur offrant un regard mi-suspicieux, mi-amusé, elle avait plissé les yeux lorsque Sohan s’était exclamé « Surprise ! » en guise de réponse mais leur avait finalement offert un sourire de quelques secondes, déposant son sac à main tandis que son frère ajoutait « J'espère que t'as faim, parce que le dîner est prêt en fait. » et qu’Hassan enchérissait à la suite « Et sans vouloir nous lancer des fleurs, tes papilles n’ont vraiment pas envie de passer à côté. » d’un ton faussement solennel avant d’échanger avec son comparse un regard entendu. Mais hey, ce n’était pas des mensonges, ils y avaient mis tout leur cœur dans la préparation de ce dîner et l’un et l’autre étaient de fins cordons bleus. « Je meurs de faim, évidemment. Mais n'essaye pas de détourner l'attention en me faisant passer pour une morfale, Sohan. » Débarrassée enfin de son blouson, la jeune femme avait ménagé son suspens et pris tout son temps pour contourner le comptoir et venir se planter devant les deux hommes, ses sourcils froncés, son nez plissé et la façon dont elle posait ses mains sur ses hanches ne faisant qu’accentuer la ressemblance indéniable entre sa mère et elle. « Alors comme ça on organise des surprises en duo ? Je vois qu'on a vite retrouvé les bonnes vieilles habitudes, c'est comme le vélo. » Probablement qu’ils auraient besoin d’un bon tour en vélo pour éliminer tout ce qu’ils s’apprêtaient à manger, d’ailleurs, mais là n’était pas la question. Le suspens que la jeune femme étirait volontairement commençait néanmoins à lui faire craindre que leur idée n’ait été que moyennement bonne, et les deux hommes s’étaient retrouvés suspendus à ses lèvres dans l’attente de sa réaction, Hassan presque prêt à la supplier de cesser de les torturer lorsqu’elle s’était finalement exclamée « Venez par-là tous les deux ! » en avançant pour les prendre dans ses bras avec tendresse. Un bref soupir de soulagement leur avait probablement échappé à Sohan et à lui, et tandis que chacun de ses bras venait enserrer les épaules de l’un ou l’autre des Khadji, les deux hommes avaient échangé un clin d’œil discret par-dessus la tête de la jeune femme. Yasmine leur avait offert à chacun un baiser, Hassan lui avait rendu le sien en en déposant un sur sa tempe avec douceur, et défaisant finalement son étreinte la jeune femme s’était intéressée au contenu des casseroles avec curiosité en questionnant « Que me vaut l'honneur de cette surprise, bande de petits cachotiers ? » du même coup. L’air faussement sévère, Hassan avait chassé l’infirmière de la proximité du plan de travail enla saisissant par les épaules pour lui faire faire demi-tour « Teuh, teuh, le menu est une surprise, jeune fille. » Un sourire amusé s'était néanmoins affiché sur son visage tandis qu’il suggérait « Mais tu peux essayer de deviner. » À l’odeur ce ne serait probablement pas si difficile, la cuisine embaumait le citron et le poulet. Puis il avait haussé les épaules et échangé un nouveau regard avec Sohan avant de reprendre « Et on s’est simplement dit que ça faisait longtemps qu’on n’avait pas dîné tous les trois ... La dernière fois Sohan et moi on n’avait pas encore de cheveux blancs, c’est dire. » Il avait roulé des yeux pour la forme, de façon un peu théâtrale, mais il n’était pas si loin de la vérité et pour cela Sohan et lui étaient les seuls à blâmer … Alors peut-être y’avait-il aussi un brin de volonté de se faire pardonner cette brouille qui, si elle leur avait fait du mal à tous les deux, avait aussi éclaboussé Yasmine malgré eux. « Vois ça comme une manière un peu tardive de fêter ton emménagement. » avait-il néanmoins fini par ajouter avec douceur, arborant à nouveau un sourire.

Personne n'était mort. Du moins, pas qu'il sache. D'ailleurs, si quelqu'un était mort, il y avait fort à parier qu'il serait venu cueillir Yasmine à la sortie du St. Vincent dès la fin de son service. Il n'aurait pas attendu qu'elle rentre chez elle. Il ne l'aurait pas attendu chez elle avec un sourire sur les lèvres et un repas tout prêt dans la cuisine. Cependant, sa question le fait sourire. Sa question laissant présager un drame qui aurait été la raison de sa présence avec Hassan ici aujourd'hui. Ca le fait rire. "Personne n'est mort t'en fais pas." Répond-il en riant. Comme s'il était nécessaire de le préciser. Comme si le sourire qui s'affichait sur son visage et sur celui de Hassan n'étaient pas suffisant pour répondre à la question de sa cadette. Le deuil n'était pas au menu de ce soir. Bien au contraire. Cependant, elle parlait beaucoup Yasmine, elle affirmait avoir faim, semblait se réjouir qu'Hassan et lui aient retrouvés leurs bonnes vieilles habitudes, mais elle ne réagit pas réellement quant à leur présence impromptue dans son appartement. Cherchait elle un moyen de les éconduire de la manière la plus douce possible ? C'était ce qui traversa l'esprit de Sohan l'espace d'une seconde alors qu'il jetait rapidement un regard vers Hassan. Un regard qui demandait s'ils n'auraient peut-être pas dû la prévenir au lieu de débarquer en douce chez elle sans qu'elle ne soit au courant et préparer un repas entier sans même se demander si elle n'avait pas déjà quelque chose de prévu pour ce soir. C'était Yasmine, elle ne les enverrait pas promener sans aucune considération. S'ils la dérangeaient, elle y mettrait la forme, pour ne pas les blesser. Alors, plus elle parlait et moins, elle ne réagissait sur leur présence dans l'appartement et ce repas qu'ils avaient organisé derrière son dos, plus Sohan se disait que ça ne lui plaisait pas, mais qu'elle ne savait pas comment leur dire. Puis finalement, la jeune femme arrête de faire durer le suspens et c'est un soupir de soulagement qui s'échappe des lèvres de Sohan, tout comme de celles de Hassan quand elle s'approche pour les prendre dans ses bras. "Tu m'as fait peur, j'ai cru que ça te plaisait pas pendant une demie-seconde."Lance t-il, partageant un clin d'oeil complice avec Hassan avant de déposer un baiser sur la joue de sa soeur. Une chose était sûre, si leur surprise était réussie, Yasmine n'était pas en reste quand il s'agissait de les faire mariner. Ni même quand il s'agissait de vouloir fouiner dans sa propre cuisine pour s'informer que ce que les deux hommes avaient pu lui préparer en son absence. Hassan réagit rapidement, une surprise est une surprise et si elle veut deviner ce qui sera servi dans son assiette, elle peut le faire sans utiliser sa vue. "Chaque chose en son temps !"ajoute Sohan se joignant à Hassan pour éloigner Yasmine des casseroles et de la cuisine par la même occasion.

Ce n'était pas la surprise du siècle, ce n'était qu'un repas sans prétention, mais Sohan tenait à garder le mystère le plus longtemps possible, même si ça voulait dire fermer la cuisine à double tour pour empêcher sa soeur de rentrer. D'ailleurs, Sohan hoche la tête de haut en bas pour acquiescer face aux explications d'Hassan. Il n'y avait pas d'évènement particulier qui les avaient poussés à organiser cette soirée en toute simplicité. C'était aujourd'hui comme ça aurait pu être la veille. La date avait été choisie parce qu'elle collait parfaitement à leurs deux emplois du temps. « On a jamais eu besoin d'une occasion en particulier pour organiser quelque chose. » déclare t-il pour appuyer les dires de son ami avant d'ajouter, l'air moqueur. "Et j'aurai pas dis mieux qu'Hassan, ça fait bien trop longtemps qu'on avait pas eu l'occasion de diner tous les trois. La dernière fois il avait aucun cheveu blanc ... Maintenant c'est impossible de tous les compter. Mais j'imagine que ça pourrait être pire, tu pourrais les perdre !" Et il rit Sohan. Il est ramené des années en arrière. Avant que Hassan et lui ne s'éloigne et que Yasmine, coincée entre les deux en pâtisse tout autant. Finalement, cette soirée pourrait servir à plein de choses. A la remercier indirectement de ne jamais avoir lâché l'affaire toutes ses années, à lui montrer qu'elle avait raison d'insister aussi. Cette soirée pouvait aussi simplement servir à passer une soirée comme ils avaient eu le faire à de nombreuses reprises. Ca pouvait aussi être l'occasion de fêter un peu tardivement son installation dans son appartement comme le soulignait très justement le Jaafari. "Après, si vraiment il te faut une raison, c'est pas grave, avec Hassan on peut prendre nos plats et aller les manger avec ton voisin qui est sorti sur le palier au moment où on a mis un pied dans le hall et on repassera l'an prochain pour ton anniversaire." Ajoute t-il en souriant avant de se placer derrière Yasmine, de mettre ses mains sur ses épaules et de l'emmener doucement vers la table qu'ils avaient dressée un peu plus tôt. "Aller, assied toi et profite, il y a pas de piège ou mauvaise blague qui t'attendent. Tu veux boire quelque chose ? On a rien prévu de spécial de ce côté, mais j'irai avec plaisir de chercher un truc dans le frigo. " Lui dit il attendant qu'elle s'asseye avant de retourner vers la cuisine.

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{seems like old times}
crédits gif et code fiche/ (tumblr & malibu) ✰ w/ @Sohan Khadji & @Hassan Jaafari

Elle n'avait jamais été douée pour jouer la comédie très longtemps, c'était un talent qu'elle laissait volontiers à sa mère qui savait ménager ses effets dans le temps et les rendre tonitruants pour un final toujours plus spectaculaire que le précédent. Yasmine n'avait pas cette endurance, elle n'avait pas non plus la volonté de se faire remarquer dans son propre foyer comme l'avait parfois Fatima. De toute façon, la surprise était trop belle pour qu'elle s'évertue à les transpercer avec son regard chargé de faux reproches. Les serrer dans ses bras, c'était plus constructif, alors elle s'y élança sans aucune hésitation, prenant le risque assumé de détruire cette impression de mirage qu'elle avait eu lorsqu'elle était rentrée chez elle. Les tenant chacun contre elle, elle sut que c'était la réalité, et que ce pourquoi elle avait longtemps prié dans le passé était en train de se dérouler ce soir : des retrouvailles en bon et due forme. Et qu'importent les vraies raisons de leur présence ici, qu'importe si elle humait l'arôme indélicat de l'inquiétude qui, se mêlant aux effluves de poulet cuit et de citron, lui fit redouter un traquenard pour sonder son état d'esprit suite à ses déboires professionnels, elle avait la certitude d'une chose qui balayait tout le reste : ils étaient là, ensemble. Pour elle, c'était tout ce qui comptait à cet instant-là.
Elle rétorqua à Sohan qui relâcha sa respiration, prétendant avoir craint que leur présence ne la dérange. Un léger rire s'échappa des lèvres enduites de baume au miel de la jeune femme tandis qu'elle s'avançait déjà vers les casseroles pour en soulever les couvercles, pas assez patiente pour attendre l'heure du repas et découvrir le menue du soir "Tu plaisantes ?" Dans quel monde les voir ici, tous les deux, lui aurait déplu ? C'était un souhait qu'elle avait couvé depuis tant d'années que, peu à peu, soumis au passage du temps mais aussi à l'évidence, s'était évaporé comme tous ses rêves qu'elle avait alimenté chaque jour de sa vie. Bien sûr, elle n'avait jamais réellement cru qu'ils ne se parleraient plus jamais, mais à un moment donné, partie à des milliers de kilomètres d'ici, elle avait dû se rendre à l'évidence et admettre que parfois dans la vie, des destins se séparaient pour ne plus jamais se croiser. Ça lui avait brisé le cœur d'arriver à cette conclusion glaçante, mais elle avait dû s'y résoudre, car quand elle était rentrée, elle avait vu que les choses n'avaient pas bougées. Yasmine avait tout de même insisté – parlant d'Hassan quand elle était avec Sohan, et de Sohan quand elle était avec Hassan, espérant que la mention de chacun puisse trouver racine dans les souvenirs qu'ils avaient chacun l'un de l'autre. Il lui avait fallu attendre longtemps… encore une preuve que la persévérance était toujours récompensée.

Elle se fit éjecter de sa propre cuisine, et ce fût assez pour la faire renouer avec ses travers de bébé de la famille. Sa voix se fit aigue, l'expression de son visage se froissa comme l'émotion exagérée d'une petite fille capricieuse – qu'elle n'avait jamais été par ailleurs, tout le monde le savait "Quoi, mais non. C'est pas du jeu." s'offusqua-t-elle, acceptant de se laisser asseoir sur son canapé qui fût bientôt investi par son chaton. Il se coula sur ses genoux en s'étirant autant que sa flexibilité le lui permettait, et elle posa une main sur sa robe grise de poils courts, lui flattant son cou qu'elle sentit vibrer sous ses ronronnements satisfaits "Je crains de ne pas ressortir toute fraîche à vous côtoyer tous les deux en même temps." laissa-t-elle échapper avec malice en entendant Hassan parler de leurs cheveux blancs respectifs pendant que Sohan en remettait une couche. Et peut-être qu'un léger sentiment de vengeance induit par son exfiltration immédiate de la cuisine la poussa à enchaîner immédiatement après lui, le regard dirigé tout droit vers Hassan, victime toute désignée du frère et de la sœur "Parce que c'est pas le cas ? J'ai cru apercevoir une tonsure tout à l'heure pourtant, tu devrais faire trèèèès attention." lui fit-elle pour l'ennuyer assez alors qu'elle désignait la fausse tonsure sur sa propre tête dans l'espoir qu'il croit assez pour vérifier par lui-même, et se moquer gentiment de lui.
Elle se laissa tomber en arrière, le dos s'enfonçant dans son canapé et Sasha sur les genoux. Yasmine n'avait pas organisé de crémaillère. Ce n'était pas faute d'y avoir songé pourtant, Molly insistant pour préparer les festivités avec toute l'expertise qui était la sienne. Sauf qu'elle n'en avait pas eu le cœur à l'époque, son emménagement correspondant au moment de sa dispute avec Edge qu'elle n'avait revu qu'une fois qu'il s'était retrouvé admis aux urgences. Des pensées qui lui traversèrent l'esprit, car Hassan souleva la célébration de son emménagement. Elle pencha la tête sur le côté "Qui dit fête, dit cadeau… et je suis désolée de vous apprendre que je vois aucune trace d'un quelconque paquet quelque part alors que je le mérite, très clairement." Elle laissa un rire lui échapper, preuve qu'elle plaisantait. Dans le fond, elle considérait leur visite-surprise comme son cadeau, le meilleur qu'elle n'avait jamais reçu d'ailleurs, et qu'elle chérirait aussi longtemps que lui permettrait sa mémoire des événements "Je le sais. Il passe son temps à m'épier. Il a failli gâcher votre surprise d'ailleurs… je viens de le croiser dans la cage d'escalier. Il pensait que c'était Edge qui était entré ici." fit-elle à Sohan qui avait mentionné son voisin "Vous ruinez ma bonne réputation avec vos cachoteries. Il croit que j'entretiens tout un harem ici." ajouta-t-elle pendant que son frère lui proposait de s'occuper de lui apporter quelque chose à boire.
Yasmine chassa Sasha pour mieux se pencher afin de s'appuyer sur ses genoux, coudes posés dessus. Elle les regarda alternativement encore une fois "Regardez-vous, aux petits soins pour moi…" Elle plaisantait, mais elle était extrêmement touchée. Tellement d'ailleurs, qu'elle marqua une pause, avant de reprendre, les pointant du doigts "Faites attention, je risque d'y prendre goût et de vouloir faire de ce rendez-vous quelque chose de régulier." Elle se laissa à nouveau tomber en arrière. Une main posée sur l'abdomen, elle laissa son regard s'enfoncer dans ses propres souvenirs à la recherche des derniers moments qu'ils avaient passés ensemble et qui ressemblaient à celui-ci. Elle n'y parvint pas. Ça la chagrina un peu, et lui fit leur demander doucement "Nous trois, et nous trois uniquement… ça fait combien de temps ? J'ai perdu la notion, ça passe si vite."

Il y avait sans doute un fond de tristesse dans l’idée que se réunir tous les trois soit devenu tellement inhabituel qu’il aurait forcément fallu une raison extraordinaire pour que la chose se produise à nouveau, comme si le simple plaisir de profiter de la présence des uns et des autres n’était plus une fin en soi. Pour autant Hassan comme les deux Khadji avait choisi de l’ignorer et arborait un sourire plus confiant qu’à son habitude des derniers mois, plaisantant sur le temps qui passait et les marques qu’il commençait à laisser sur Sohan et sur lui, ce dernier lui emboîtant le pas en ajoutant « Et j'aurai pas dit mieux qu'Hassan, ça fait bien trop longtemps qu'on n’avait pas eu l'occasion de diner tous les trois. La dernière fois il avait aucun cheveu blanc ... Maintenant c'est impossible de tous les compter. Mais j'imagine que ça pourrait être pire, tu pourrais les perdre ! » tandis que, ricanant tel le meilleur des publics aux âneries de son frère, Yasmine enchérissait d’un « Parce que c'est pas le cas ? J'ai cru apercevoir une tonsure tout à l'heure pourtant, tu devrais faire trèèèès attention. » auquel Hassan avait répondu en les houspillant avec une sévérité toute relative, passant machinalement une main dans ses cheveux comme pour se rassurer sur leur forme impeccable. « Chuuut ! Vous allez me porter l’œil ! » Fronçant le nez en direction de Sohan il avait aussitôt ajouté en singeant l’absence totale de modestie « Admettez que vous êtes juste jaloux de mon capital génétique et de cette tignasse soyeuse. » Qu’on se le dise, le brun avait perdu ses cheveux une fois et c’était à ses yeux déjà une fois de trop. Désormais il aspirait bien à tenir de son père, lequel les arborait encore fièrement jusque dans ses derniers jours, et à conserver les siens le plus longtemps possible. Reléguée loin de la cuisine et des plats qui terminaient d’y mijoter, Yasmine avait été envoyée au salon séance tenante et s’était laissée tomber sur le canapé d’un air boudeur, son chat en profitant pour venir prendre ses aises sur ses genoux et quémander un peu de caresses et d’attention que les deux chefs cuistots du jour n’avaient pas su lui donner en quantité suffisante. « Après, si vraiment il te faut une raison, c'est pas grave, » avait alors repris Sohan d’un ton taquin. « avec Hassan on peut prendre nos plats et aller les manger avec ton voisin qui est sorti sur le palier au moment où on a mis un pied dans le hall, et on repassera l'an prochain pour ton anniversaire. » Qui du voisin ou de Yasmine serait la juge la plus intraitable quant à la dégustation du repas ? L’une serait en tout cas bien moins objective que l’autre. « Qui dit fête, dit cadeau … et je suis désolée de vous apprendre que je vois aucune trace d'un quelconque paquet quelque part alors que je le mérite, très clairement. » avait néanmoins préféré prétendre Yasmine d’un ton solennel, dodelinant la tête avant de reprendre avec un peu plus de sérieux à propos de son envahissant voisin. « Je le sais. Il passe son temps à m'épier. Il a failli gâcher votre surprise d'ailleurs … je viens de le croiser dans la cage d'escalier. Il pensait que c'était Edge qui était entré ici. Vous ruinez ma bonne réputation avec vos cachotteries. Il croit que j'entretiens tout un harem ici. » Préférant s’en amuser, Hassan avait haussé les épaules après avoir échangé un regard avec Sohan, et rétorqué avec une pointe d’insolence « Et imagine maintenant qu’il a probablement senti l’odeur de notre incroyable cuisine, tous ces hommes, là pour t’entretenir, vraiment … C’est honteux. » Pragmatiquement cela dit, le brun ne pouvait s’empêcher de penser qu’au moins Yasmine était à l’abri des cambriolages, car son voisin du dessous serait probablement à l’affût de quiconque n’avait pas déjà l’habitude de passer sur son palier pour monter à l’étage. Mais Hassan avait gardé sa réflexion pour lui, la peur de porter l’œil là aussi peut-être, et Sohan avait rapidement enchaîné en désignant la table dressée pour le dîner « Allez, assied-toi et profite, il y a pas de piège ou mauvaise blague qui t'attendent. Tu veux boire quelque chose ? On a rien prévu de spécial de ce côté, mais j'irai avec plaisir de chercher un truc dans le frigo. » En arrière-plan la télévision diffusait toujours le match de football australien mis en sourdine à l’arrivée de Yasmine, et se saisissant de la télécommande pour éteindre totalement l’écran le brun avait laissé la jeune femme choisir ce qu’elle voulait boire la première puis, quand le frère avait posé son regard vers lui, il avait demandé la même chose. « Regardez-vous, aux petits soins pour moi … » Songeuse, elle avait marqué une pause avant de reprendre « Faites attention, je risque d'y prendre goût et de vouloir faire de ce rendez-vous quelque chose de régulier. » Alors que Sohan réapparaissait avec de quoi boire pour chacun d’eux, Hassan avait tiré une chaise pour s’installer puisque Yasmine tardait à le faire, et laissant échapper un rire il avait fait remarquer avec légèreté « C’est vraiment la pire menace que j’ai jamais entendue, je suis à deux doigts de te soupçonner de tout faire pour que ça arrive. » Mais peut-être parce qu’elle l’espérait autant que lui – autant qu’eux. « Nous trois, et nous trois uniquement … ça fait combien de temps ? J'ai perdu la notion, ça passe si vite. » Quelque part entre la fin de son séjour en hémato et sa première tentative de suicide, Hassan le savait et que cela remonte à si longtemps autant que de devoir s’appuyer sur ce genre de repères chronologiques l’avait dissuadé d’apporter une réponse sérieuse à la question de Yasmine. « Longtemps, tu respectais encore un peu tes aînés, à l’époque. » avait-il donc préféré répondre en papillonnant des yeux, se baissant pour saisir au passage Sasha qui s’apprêtait à passer entre ses jambes. « Viens un peu ici, toi. » Le brun n’était pas très chats, ou en tout cas c’était ce qu’il avait toujours prétendu, mais si ces dernières années avaient assurément fait de lui un amoureux des chiens il devait bien admettre s’être laissé amadouer en peu de temps par les ronronnements du matou, à qui il avait administré quelques grattouilles avant de le reposer par terre « Et toi, toujours pas tenté par l’idée de prendre une boule de poils ? » Son attention s’était reportée sur Sohan, et puisqu’ils avaient maintenant chacun un verre dans la main il avait levé son verre en direction de Yasmine et ajouté d’un ton badin « Allez, à défaut d’un paquet-cadeau à déballer, à toi de décider à quoi on trinque. »

Se liguer pour taquiner Hassan, c'était une habitude pour les Khadji. Ca durait depuis toujours, mais ce n'était jamais méchant. Ils ne pensaient pas un mot de ce qu'ils disaient. Ils savaient simplement où taper pour obtenir une réaction et c'était tout l'intérêt pour eux. Loin d'eux l'idée de le blesser dans son ego ou de le vexer. Ce n'était pas le but. Ca ne l'avait jamais été. Ils estimaient bien trop Hassan pour cela. C'était une de ces choses qui ne changeaient pas avec le temps. Qui resterait probablement jusqu'à bout. "Tu nous as démasqués !" Lance Sohan en regardant Yasmine, comme s'il s'avouait vaincu. Comme si Hassan avait mis le doigt sur les raisons de ce gentil acharnement envers sa personne. "C'est vrai que Yasmine a vraiment pas été gâtée génétiquement, elle est vraiment jamais complimentée sur ses cheveux." Répond-il avec ironie. Entre eux c'était elle qui avait de loin les plus beaux cheveux. S'il y avait bien une personne à envier sur ce point-là, c'était bien elle. Il n'y avait pas de doute là-dessus. Ca le fait rire, Sohan et ça lui rappelle tous les bons moments qu'ils avaient pu passer tous les trois avant que lui et Hassan ne s'éloigne. Ca lui rappelle aussi tout le temps perdu et toutes les occasions qu'ils auraient pu avoir de passer du temps ensemble s'ils avaient mis leurs fiertés de côté dès le départ pour mettre les choses au clair et ne pas laisser la situation prendre une trop grande importance. C'était trop tard pour revenir en arrière cela dit et trop tard aussi pour se morfondre sur ce que les choses auraient pu être dans des conditions différentes. Hassan et lui avaient fini par recoller les morceaux, c'était ce qui comptait le plus maintenant. L'ambiance est légère, l'ambiance est à la bonne humeur ce soir. Il y a des airs de fête. Une fête sans raison particulière, mais une fête quand même. Une fête sans cadeau comme le fait remarquer Yasmine, ou presque. "Comment ça tu vois pas les cadeaux ? Hassan, moi, un repas tout prêt. Ca ressemble beaucoup à des cadeaux selon moi. Pas vrai Hassan ?" Demande t-il l'air moqueur avant de mentionner son voisin. Ce vieillard auquel il tient sûrement très à coeur de jouer les yeux et les oreilles de l'immeuble. Il est certain que personne n'entre ou ne sorte sans qu'il ne soit au courant. Sohan ne serait même pas surpris qu'il tienne un calepin des allées et venues de tout le monde. Il était vieux, il ne travaillait plus, il n'avait sans doute rien de mieux à faire. L'avantage était que si quelque chose venait à se passer dans l'immeuble, il serait au courant et s'avérerait être un témoin redoutable. A un détail prêt peut-être, il ne semble pas réussir à très bien s'y retrouver quand il s'agit d'inconnu. "C'est flatteur, en revanche je pense qu'il doit plus voir très clair, on a pas du tout la même carrure qu'Edge." Déclare Sohan en riant. Edge était plus grand, plus costaud, une carrure de boxeur qui n'avait rien à voir avec le physique plutôt sec de Sohan. "Mais Hassan à raison, maintenant qu'il a senti la super odeur de nourriture venant de ton appartement, il risque de te réprimander la prochaine fois qu'il te verra. C'est pas digne d'une femme à marier de se faire entretenir par deux hommes." Ajoute t-il, pour en remettre une couche, avant de se mettre à rire. Il ne pensait pas réellement qu'elle se ferait réprimander et il avait cette intuition que ce voisin, aussi intrusif pouvait il être, éprouvait une affection particulière pour Yasmine qui s'apparentait probablement à une fille, voire une petite fille pour lui. Ce qui expliquerait parfaitement l'intérêt qu'il porte aux allées et venues dans son appartement ainsi qu'à ses fréquentations, masculines en particulier.

Il invite Yasmine à s'asseoir, se propose pour aller lui chercher un verre dans un effort de la maintenir à l'extérieur de la cuisine coute que coute. Le menu n'avait rien de très spécial, ils n'allaient pas débarquer à table avec une entrée en cuisine moléculaire dont elle n'aurait même pas soupçonné l'existence, mais il voulait tout de même maintenir la surprise, c'était la première raison. La seconde, était qu'il connaissait Yasmine et savait que si elle mettait un pied dans la cuisine elle ne pourrait pas s'empêcher de toucher à quelque chose. Or, ce soir, c'était sa soirée et il était hors de question qu'elle aille mettre la main à la patte, ne serait-ce que pour aller vérifier si la tarte n'est pas en train de brûler dans le four. Elle n'avait pas insisté plus que ça et la remarque qui avait suivi avait fait sourire Sohan. Parce que ça sonnait presque comme une menace, alors que c'était loin d'en être une, bien au contraire. Hassan semble d'ailleurs sur la même longueur d'onde que lui sur ce coup-là. Parce que même s'il s'était éclipsé l'espace de quelques instants pour aller chercher de quoi boire et qu'il réapparaissait avec trois verres qu'il balançait habilement dans une main et du thé glacé dans l'autre, il n'avait pas loupé une miette de la conversation. "Oh j'espère que t'y prendras pas trop goût alors, ce serait un calvaire de faire ça régulièrement." Déclare t-il en exagérant, ne parvenant même pas à cacher son sourire pour un minimum de sérieux. Il dépose les verres et la boisson sur la table basse puis s'approche ensuite de Hassan, baisse la voix tout en parlant assez fort pour que Yasmine puisse tout de même l'entendre "Rassure moi, t'as fait comme on a dit hein, t'as mis du sucre à la place du sel etc ? Faudrait pas que ton plat soit réussi." finit il en ricanant. Il observe ensuite Hassan interagir avec Sasha, avant de servir un verre à tout le monde. "Hum non pas vraiment, mais j'avoue que ces derniers temps je suis pas mal de pages de refuges sur Instagram, donc c'est pas impossible que l'idée finisse par me trotter dans la tête." Répond-il à Hassan en haussant les épaules. Il aimait les animaux, mais n'avait jamais réellement pensé à en avoir chez lui, autre qu'un poisson rouge qui ne demandait pas vraiment d'entretien et se contentait d'un repas par jour. Il n'était en revanche pas insensible devant de mignons petits chiots ou chatons. Ce n'était cependant pas quelque chose qu'il avait au programme en ce moment, alors il se contente de lever son verre vers Yasmine lui aussi, attendant qu'elle porte un toast. "Sois créative. Tu peux faire mieux que trinquer à notre amitié." Lance t-il en souriant.

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L’ambiance était légère, autant que le coeur de Yasmine qui battait à un rythme régulier dans sa poitrine. Comme pour se rassurer elle aussi de la bonne tenue de sa tignasse épaisse, elle se mit à tresser le rideau de cheveux bouclés qui pendait sur son épaule gauche. Un geste-doudou qui avait fait ses preuves pour pouvoir réguler toutes ces choses qu’elle avait tant de mal à gérer lorsqu’elle se sentait nerveuse, angoissée, fatiguée, et qui représentait le miroir idéal pour savoir exactement ce qui se tramait sous l’amoncellement de mèches qu’elle entretenait autant qu’Hassan le faisait de son côté. A ce moment-là, ses longs doigts bagués tricotant en cadence sans y penser, le dos bien calé dans le fond de son canapé, les ronrons de Sasha se répercutant en écho feutré dans la pièce, il reflétait davantage un sentiment de confort évident à l’idée de renouer avec une habitude datée qu’ils avaient fini par abandonner tous les trois, confrontés au temps qui passe et aux épreuves de la vie, nombreuses pour eux depuis une bonne décennie. Le regard se perdant dans un vide imaginaire, Yasmine reprit rapidement pied dans l’instant présent, reportant son choix de boisson sur un thé glacé qui fit l’unanimité et que son frère apporta, en bon hôte qu’il était. Elle se pencha à nouveau pour sentir le frais de son verre lui chatouiller la paume et les doigts lorsqu’elle le prit dans sa main pour en siroter une gorgée sucrée, se soumettant aux réponses données par les jeunes hommes qu’elle écoutait alternativement. Finalement, elle s’arrêta sur Hassan.
"Hum, c’était donc l’époque où j’étais encore assez naïve pour vous prendre comme modèle, heureusement que j’ai retrouvé la raison." lui répondit-elle alors, imitant la mine qu’il lui retourna en battant des paupières et en fronçant le nez d’une façon aussi adorable que rigolote. Elle finit par rire après s’être attardée sur les traits du visage du jeune homme qu’elle repoussa avec sa main dans un semblant de caresse innocente qui effleura sa barbe avant sa joue sur laquelle elle se pencha pour y déposer un très bref baiser. Elle failli ajouter que le temps passait vite, trop vite, et que les choses changeaient en conséquence, et qu’elle le regrettait tellement… mais elle avait peur de plomber l’ambiance en partageant avec lui le fait que depuis plus de deux ans maintenant, ils avaient perdu ce quelque chose qui les avait lié si fort tout au long de leur vie. C’était de sa faute probablement, et ça lui faisait déjà assez de peine comme ça pour qu’elle choisisse de ne pas s’y attarder à nouveau.
Elle détourna le regard sur son frère qu’elle observa un moment aussi tout en se disant que d’eux trois, c’était sûrement lui qui avait le moins changé. En se renfonçant dans son canapé, elle pensa que ce n’était pas quelque chose de mal, bien au contraire. Sohan avait su rester celui qu’il avait toujours été, et ça représentait une garantie sur laquelle Yasmine était prête à se reposer en toute confiance, et ce sans jamais douter que ça lui apporterait toujours quelque chose de savoir que son frère aîné, son meilleur ami et allié, ne changerait jamais et qu’il serait toujours là pour lui rappeler qui, elle, elle était.

"On devrait peut-être lui proposer de venir nous rejoindre ? Histoire qu’il constate à quel point je suis bien entretenue justement." plaisanta-t-elle en rebondissant sur le sujet du voisin avant de s’infiltrer dans la brèche du futur animal de compagnie de son frère et de déclamer, le verre au bord des lèvres "Je crois qu’on tient notre prochain grand moment rien que tous les trois. Je me porte volontaire pour t’assister dans ta recherche de la boule de poils parfaite. Hassan ?" fit-elle interrogativement pour que le jeune homme apporte son assentiment ainsi que sa future participation à ce grand événement. Elle regarda à nouveau Sohan, l’air faussement suppliant "Tu peux pas refuser une escapade au refuge, si ? N’essaye même pas de nous faire croire que t’as besoin d’y réfléchir avant de dire oui. Tes yeux brillent déjà beaucoup trop fort, tu te trahis." l’asticota-t-elle en reprenant une gorgée de son thé glacé qui descendit très bien, lui donnant la sensation satisfaisante d’être rafraichie.
C’était incroyable la manière dont le tout paraissait naturel entre eux, comme s’ils ne venaient pas de se dire que ça, là, ce petit moment en petit comité, était à ranger dans les faits exceptionnels tant ils avaient tardé à s’y plier de nouveau. Mais elle vivante, elle ne laisserait pas leur mauvaise habitude reprendre le pas, et alors qu’elle se jetat sur la proposition de toast des deux jeunes hommes, elle réfléchit un instant ; autant pour mettre de véritables mots sur ce qu’elle ressentait et qui lui faisait chaud au coeur, que pour ne pas craquer quand elle pensait au plaisir que ça lui faisait d’avoir été leur bonne cause du moment "OK, OK, je me lance." Elle se décolla du dossier de son canapé, s’asseyant tout au bord en levant son verre au-dessus de sa tête en le tenant fermement, bien que son petit doigt fit une sortie impromptue le temps qu’elle se lance véritablement - ce qui fût enfin le cas, après qu’elle eut pris une profonde inspiration pour dire enfin, assez solennellement pour qu’on discerne un léger chevrotement dans sa voix naturellement douce et éraillée "A ces retrouvailles qui promettent plein de nouveaux beaux moments rien que tous les trois ? C’est assez bien pour vous, ou…" Elle plissa les yeux pour les fixer alternativement, le verre toujours levé au-dessus de sa tête "J’ajoute quelque chose d’atrocement sentimental, du genre : je vous aime, même si vous êtes vieux ?"

Il plaisantait, Hassan, sachant ses propres déboires pour grande partie responsables du fait qu’une situation aussi simple que lui et les deux Khadji dînant tous ensemble soit devenue si peu commune qu’elle avait des allures d’événement, et souhaitant plus que quiconque laisser tout cela derrière eux à présent. Ce n’était jamais très loin, toujours dans un coin de sa tête comme pour tout ce qu’il rencontrait de bon sans plus savoir s’empêcher de craindre que cela ne dure pas, mais s’efforçant de ne pas laisser ses pensées parasites lui gâcher le plaisir de l’instant présent il avait témoigné d’un sourire son amusement lorsque Yasmine avait rétorqué « Hum, c’était donc l’époque où j’étais encore assez naïve pour vous prendre comme modèle, heureusement que j’ai retrouvé la raison. » Revenu de la cuisine avec leurs boissons respectives, Sohan avait quant à lui écouté d’une oreille la suite de la conversation et rebondi sur le sous-entendu de sa sœur quant au fait qu’elle pourrait prendre – ou plutôt reprendre – goût à ce genre d’initiatives de leur part à Hassan et à lui. « Oh j'espère que t'y prendras pas trop goût alors, ce serait un calvaire de faire ça régulièrement. » Les deux hommes avaient échangé un regard goguenard, et lorsque le Khadji avait ajouté à son intention « Rassure-moi, t'as fait comme on a dit hein, t'as mis du sucre à la place du sel, etc ? Faudrait pas que ton plat soit réussi. » Hassan avait adopté le même ton de conspirateur et marmonné entre ses dents « Évidemment, et commandé les pizzas pour quand elle nous aura mis dehors. » tout en attrapant son verre de thé glacé avant de remercier son ami.

L’attention un court instant accaparée par le chaton de l’appartement, ne trompant plus personne quant à son incapacité à résister au regard suppliant d’attention d’un animal quel qu’il soit, il l’avait néanmoins rapidement reposé par terre, ce dernier ayant bien trop d’énergie à dépenser pour tenir en place plus de quelques instants sans s’impatienter. Sohan étant désormais le seul des trois à ne pas avoir succombé à l’appel de l’animal de compagnie, l’enseignant avait d’ailleurs fait une remarque à ce sujet avec un brin de curiosité, et haussant les épaules son ami avait répondu « Hum non pas vraiment, mais j'avoue que ces derniers temps je suis pas mal de pages de refuges sur Instagram, donc c'est pas impossible que l'idée finisse par me trotter dans la tête. » Enthousiasmée, Yasmine avait aussitôt rebondi sur la question « Je crois qu’on tient notre prochain grand moment rien que tous les trois. Je me porte volontaire pour t’assister dans ta recherche de la boule de poils parfaite. Hassan ? » et se tournant vers Hassan pour chercher son approbation elle avait ajouté d’un ton enfantin « Tu peux pas refuser une escapade au refuge, si ? N’essaye même pas de nous faire croire que t’as besoin d’y réfléchir avant de dire oui. Tes yeux brillent déjà beaucoup trop fort, tu te trahis. » Loin d’être contre sur le principe, tant parce qu’il était question d’animaux que parce que cela leur donnerait une occasion de sortie tous les trois, le brun avait néanmoins dodeliné la tête avant de répondre « Si t’es prête à devoir m’empêcher de repartir avec un troisième chien, j’en suis. » à demi-sérieux. Il y pensait bien parfois, mais se raisonnait généralement tout seul en quelques arguments. « Tu devrais dire oui tout de suite, sinon elle va te regarder avec cet air de chien battu toute la soirée. » avait-il par ailleurs ajouté d’un ton musé à l’adresse de Sohan.

Chacun étant en tout cas désormais muni d’un verre, et parce que ne pas avoir d’occasion particulière à avancer n’empêchait en rien de vouloir célébrer une occasion qui s’était faite attendre bien trop longtemps, Hassan avait proposé à Yasmine de se charger de leur trouver à quoi trinquer ; C‘était sa soirée, après tout. « Sois créative. Tu peux faire mieux que trinquer à notre amitié. » avait aussitôt enchaîné Sohan pour l’appuyer, Yasmine plissant les yeux en se donnant le temps de réfléchir puis se redressant en commençant par dire « Ok, Ok, je me lance. » pour se donner une contenance. Les deux hommes suspendus à ses lèvres, elle ménageait un peu son suspens, laissant courir « À ces retrouvailles qui promettent plein de nouveaux beaux moments rien que tous les trois ? C’est assez bien pour vous, ou … » pour mieux terminer « J’ajoute quelque chose d’atrocement sentimental, du genre : je vous aime, même si vous êtes vieux ? » avec dans le regard une lueur d’espièglerie qu’elle n’avait même pas tenté de dissimuler. Se fendant d’un soupir volontairement appuyé, Hassan avait secoué la tête et fait glisser son regard jusqu’à Sohan « Et dire qu’elle avait si bien démarré … Pizzas ? » Ricanant quelques instants, il avait tout de même fini par reprendre un brin de sérieux, et levant son verre dans la direction de Yasmine il avait ajouté « Allez, nous aussi on t’aime, même quand tu joues les morveuses. » et lui avait offert un clin d’œil, son verre terminant une bonne fois pour toutes à ses lèvres.