| noranwar + the broken locks were a warning |
| | (#)Dim 15 Mar 2020 - 17:32 | |
| THE BROKEN LOCKS WERE A WARNING i'm barely breathing with a broken heart that's still beating | |
L'aiguille des secondes semblait ralentir son mouvement. Que chaque nouveau tic tac faisait le bruit d'un tambour sonnant le glas, faisant écho dans tout le service. Si elle regardait autour d'elle, elle aurait vu le monde se figer et ignorer sa présence. Mais son regard restait rivé sur la petite boule verte qui était venue se heurter à sa basket. Un contact à l'allure délicate et inoffensive, qui pourtant venait tout juste de briser dans un fracas assourdissant le mur de glace qu'avait érigé l'infirmière pendant toutes ces années. Soudain, tout était de trop, ou tout manquait. Il n'y pouvait rien, cet enfant qui était venu voir sa mère hospitalisée et qui avait fait tomber par mégarde son paquet de Skittles. Une cascade de sucreries multicolores qui semblait égayer pendant un temps le sol froid de l'hôpital. Les yeux rivés sur ce Skittle vert, une phrase lui faisait écho. "Il voulait me convaincre que les meilleurs Skittles étaient les verts, alors que tout le monde sait bien que ce sont les rouges." avait dit Anwar. Son partenaire et lui avaient eu, en cette nuit d'Halloween 2016, la conversation la plus simple et anodine qui soit avant d'intervenir. Et tout lui revenait d'un coup en tête. Le sourire de Frank, sa voix éternellement posée, qui ne s'élevait que dans de rares cas. Son regard clair et tendre qui valait parfois mille mots. La douceur de ses baisers et de ses caresses. Ces innombrables souvenirs qui passaient devant ses yeux à une vitesse fulgurante afin de pouvoir en profiter et les seules images qui voulaient bien ralentir la cadence étaient les plus douloureuses. Anwar qui sortait de sa voiture et qui n'avait même pas à ouvrir la bouche pour qu'elle sache. Le jour de l'enterrement. Elle avait tenu à le voir mort. Avant que les thanatopracteurs ne fassent leur travail, et après. L'attente interminable de la fin de l'autopsie. "Norah ?" Une familière mais brouillé par un écho quasi assourdissant qui l'empêchait de sortir de sa tétanie. Tout était de trop. La démission de Yasmine et leur dernière entrevue, voir Alfie, puis Rhett se faire hospitaliser pour des raisons graves, se sentir trahie par son propre frère jumeau et voir sa vie partir en éclat, celle de Jasper également, Annie voyant sa vie être chamboulée du jour au lendemain. Et tout cet ensemble de petits détails qui la détruisaient toujours un peu plus. Pendant longtemps, elle s'étaiat mentie à elle-même au point de s'en convaincre. Que le deuil était express, qu'elle avait prétendu que tout allait bien et qu'elle gérait la situation alors que c'était faux. Elle ne dormait plus depuis de nombreuses semaines et chaque journée était synonyme de nouvelle épreuve. Ce poids sur sa poitrine rendait chaque respiration difficile. L'air lui semblait irrespirable. Alors que pendant tout ce temps, elle se sentait à l'aise dans le service dans lequel elle travaillait, voilà qu'ele se sentait totalement dépassée par les événements alors que tout était calme aux alentours. Elle n'était capable de rien, figée par une peur irraisonnée et soudaine, tétanisée par ce lot d'émotions négatives qui l'envahissait soudainement. Tout ça à cause d'un Skittle vert. "Norah." La voix d'Andy se faisait cette fois-ci plus net. Elle levait les yeux vers lui, n'ayant même pas réalisé qu'elle était en larmes, tremblante, perdue. Le médecin n'avait pas eu besoin d'échanger quoi que ce soit avec sa collègue pour observe, démuni, le point de rupture attendu. Il savait bien que ça allait arriver un jour, mais il ne pouvait pas prévoir quand, ni comment, ni pourquoi. Le chef de service fit un aller-retour rapide dans son bureau afin de ramener une feuille d'arrêt de travail au nom de Norah, qu'il avait depuis bien trop longtemps préparé. Il regrettait de ne pas l'y avoir contrainte plus tôt, après les hospitalisations de ses amis et une fatigue de plus en plus marqué sur son visage. Il lui tend le papier. "Rentre chez toi. Repose-toi. Reste avec tes gamins." Elle regardait le papier la contraignant de ne plus venir travailler pendant un long moment. "Je le renouvellerai autant que nécessaire." Elle n'arriverait pas à le duper, lui. Dépourvue de toute énergie, Norah ne cherchait même plus à lutter. "Je commence à peine ma nuit." "Je vais appeler le pool pour qu'on te remplace. C'est plus ton problème." lui souffla-t-il en se permettant de la prendre dans ses bras. "Rentre chez toi." Tel un automate et sans dire un mot de plus, elle se dirigeait machinalement jusqu'aux vestiaires pour se changer, puis rejoindre son véhicule dehors. Et là, elle réalisait qu'elle se sentait même incapable de prendre soin de ses enfants. Elle ne se voyait pas reprendre le cours de sa vie comme si de rien n'était. C'était trop lui demander. Elle avait longuement culpabilisé en restant garée devant la maison de la nounou, jusqu'à finalement embrayer et mettre une vitesses pour s'éloigner autant que faire se peut. Elle pensait être la pire des mères, persuadée que ses enfants lui en voudraient à jamais. Norah conduisait et sans qu'elle ne se rende compte, sa route l'avait menée jusqu'à chez Anwar. Elle ne voulait pas rentrer à la maison, elle ne voulait pas être seule. Elle ignorait ce qu'elle voulait. Son index s'était posé contre la sonnette qu se trouvait à côté de la porte d'entre avant de croiser à nouveau ses bras. Il avait dit qu'elle pouvait venir à n'importe qu'elle heure, n'est-ce pas ? L'espace d'un instant, elle se demandait si elle n'abusait pas encore une fois de sa bienveillance et de l'aide qu'il voulait bien lui offrir. La brune ne savait pas quoi lui dire et se sentait d'autant plus perdu lorsqu'elle avait croisé son regard. Les ruines du mur qui lui restaient finissaient en poussière à cet instant précis. "Je peux pas." souffla-t-elle, avec sa gorge serrée. Norah se sentait submergée, elle avait l'impression de suffoquer, prise dans une panique encore jamais vue chez elle. "Je peux plus." La souffrance qu'elle ressentait depuis son point de rupture était impossible à estimer, ni à décrire. Peut-être que ça se lisait dans son regard, sur les traits de son visage. Les lèvres tremblantes, les larmes montaient toutes seules dès qu'elle pouvait se permettre d'inspirer profondément et de laisser enfin la place à ce sentiment de détresse qui la nécrosait depuis plusieurs mois. "Je peux plus." étouffa-t-elle en plaquant une main devant sa bouche. Elle avait l'impression qu'elle allait exploser, s'écraser devant le poids soudain de ses responsabilités et de sa peine grandissante. Pour la première fois dans sa vie, Norah se sentait démunie, incapable, totalement désespérée et plus vulnérable que jamais. Elle ne se pensait plus capable d'exercer ce rôle de mère, ni celui d'être infirmière, ni celui d'être Norah.
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| | | | (#)Mar 21 Avr 2020 - 13:59 | |
| 2020, JUIN - Le silence. Il avait suffisamment frappé Anwar pour que ce dernier marque un temps d’arrêt en pénétrant dans son appartement. Rien, pas même les croassements impatients d’Ibis n’avaient été là pour l’accueillir, et à bien y réfléchir Anwar n’était pas certain que cela lui soit déjà arrivé depuis que Tarek et lui avaient emménagé dans cet appartement. C’était après la mort de Frank, après sa séparation avec Riley, après son transfert aux homicides … Comme si la perte de Frank avait enclenché tout un tas de changements qui couvaient depuis un moment, et qui étaient subitement devenus vitaux pour tenter de faire face à l’inacceptable, à l’irréparable. Certains jours Anwar avait l’impression que tout cela remontait à des siècles, et d’autres sa dernière conversation avec le rouquin lui paraissait remonter à la veille. C’était pourtant bien son stupide bonzaï qui trônait près de la fenêtre sur le plan de travail de la cuisine, et dont Anwar prenait soin avec une minutie à la hauteur du sarcasme dont il avait toujours fait preuve à l’égard de l’arbre miniature lorsqu’il trônait dans le bureau que Frank et lui partageaient. Maze n’était pas là ce soir. Un peu plus tôt dans la journée elle avait envoyé un message au policier pour le prévenir qu’elle voyait une amie et que si la soirée se finissait trop tard elle dormirait sûrement sur place, et lui répondant simplement d’être prudente et de ne pas hésiter à l’appeler si elle avait besoin qu’il vienne la chercher peu importe l’heure, il s’était fait la remarque après avoir pressé la touche « envoyer » qu’il avait encore des efforts à faire pour cesser de verser dans le paternalisme avec elle. Mais nul besoin d’être fin psychologue pour savoir que la jeune femme n’allait pas aussi bien qu’elle le prétendait, et bien qu’Anwar tentait au mieux de lui laisser l’espace dont elle pourrait avoir besoin il essayait aussi de rester attentif … et en cela, le fait de lui avoir proposé d’occuper son appartement pendant que lui-même passait son congé paternité chez Lene pour leur permettre de s’acclimater à leur nouveau-né ressemblait à un bon compromis. Ibis non plus n’était pas là. Depuis l’avant-veille l’oiseau avait élu domicile chez Tarek, qui s’était proposé de le garder pour les premiers jours que sa désormais toute petite sœur passerait dans l’appartement de leur père ; Le chamboulement en serait déjà un pour Alma, bien que Lene et lui étaient d’avis que plus vite elle s’habituerai à ses deux environnements mieux ce serait, mais c’en serait également un pour le volatile qui devrai partager son environnement avec un nouvel être humain miniature, et Anwar préférait procéder par étapes. La vérité c’est que lui aussi appréhendait un peu, conscient que lui et Lene n’en étaient qu’aux prémices des chamboulements qui iraient de pair avec l’existence de leur fille. Mais le silence, donc. Incongru, et en même temps tellement le bienvenu après la journée de travail qu’il venait de passer. Sans surprise, la paperasse s’était accumulée sur son bureau et attendait bien sagement son retour, empilée avec minutie … Il en aurait encore pour quelques jours avant d’avoir terminé de tout rattraper. Et s’il y avait bien quelque chose de pire que la gestion de la paperasse, c’était la gestion de la paperasse avec supplément cacophonie du diable dans les couloirs du poste de police. Les cellules de dégrisement étaient pleines, trois prostituées s’étaient sévèrement pris le bec à l’étage d’Anwar alors qu’elles attendaient en rang d’oignon sur les chaises du couloir d’être entendues chacune leur tour dans une affaire de recel de contrefaçons de luxe, et un plombier avait pris un malin plaisir à tambouriner tout l’après-midi sur la tuyauterie du poste après qu’un dégât des eaux ait totalement condamné les toilettes du rez-de-chaussée. Égoïstement, et bien qu’il ait tout de même fait un détour par Toowong avant de rentrer pour s’assurer que mère et fille n’avaient besoin de rien, l’inspecteur n’était donc pas mécontent à l’idée de passer une soirée et une nuit dans le silence le plus total – un luxe d’autant plus garanti par le fait de posséder également l’étage supérieur, éliminant donc les possibles nuisances émanant de voisins du dessus au pas un peu trop lourdaud. Les clefs abandonnées sur le plan de travail de la cuisine, il avait donc commencé par se remplir un verre d’eau et y avait fait tomber un cachet de l’aspirine qu’il gardait toujours à portée de main. L’espace d’une demi-seconde le geste lui avait fait un drôle d’effet, et seulement là avait-il réalisé qu’il n’avait pas bu une goutte d’alcool depuis la naissance d’Alma. Instinctivement il avait pensé aux bouteilles entamées de Gin et de Whisky qui attendaient toujours sagement dans un des placards – il doutait que Maze les aient bues en son absence. Secouant la tête pour chasser à la fois l’image et l’éventualité de son esprit, il avait avalé son aspirine cul sec et abandonné le verre vide dans l’évier. Il allait troquer ses habits du jour contre un jogging et un tee-shirt propre, choisir un plat dans sa réserve de surgelés, passerait éventuellement un coup de téléphone à Tarek après le repas, puis il irait au lit. Fin de l’histoire. ***Il avait laissé ses lasagnes aux épinards cuire quelques minutes de trop, et Tarek n’avait pas répondu au téléphone. Il n’était pas couché non plus, il s’était même servi un verre de whisky auquel il avait rajouté deux glaçons, et il végétait devant une rediffusion de Law & Order sans véritablement écouter quoi que ce soit. Deux ou trois fois par minute il checkait son téléphone « au cas où » un message de Lene ou de Maze lui serait parvenu sans qu’il n’entende la vibration, et lorsque la sonnette de sa porte d’entrée avait résonné dans le salon il avait sursauté de toutes ses forces et senti son cœur louper un battement dans sa poitrine. La seule option qui lui soit venue à l’esprit était que Maze avait finalement décidé de rentrer et avait oublié ses clefs, et allant ouvrir la porte à la volée le « Je t’avais dit de m’appeler pour que je vienne te ch-… Norah ? » lui avait échappé en même temps que l’identité de sa visiteuse lui sautait aux yeux. L’air défait, l’infirmière arborait un regard qu’Anwar ne se souvenait pas avoir vu depuis longtemps – depuis les jours qui avaient suivi la mort de Frank – et alors qu’elle murmurait « Je peux pas. » et que son menton se mettait à trembler, il avait instinctivement fait un pas de plus hors du seuil pour se rapprocher d’elle. « Je peux plus. » L’attrapant par les épaules, l’inquiétude qui transparaissait autant dans l’expression de son visage que dans le ton sur lequel il avait questionné « De quoi tu parles ? Qu’est-ce qui se passe ? » il n’avait pu qu’assister impuissant alors que Norah articulait à nouveau « Je peux plus. » d’une voix étouffée avant de finir par fondre en larmes. Réduisant à rien la distance qui subsistait encore entre elle et lui, le brun avait refermé ses bras autour d’elle sans chercher à la questionner à nouveau, et s’était contenté au bout de quelques secondes de l’entraîner à l’intérieur de l’appartement puis de refermer derrière eux à l’aide de son pied. Il n’avait jamais vu Norah ainsi, jamais, et tandis que ce constat le terrifiait en silence des dizaines de questions fusaient dans son esprit sans qu’elle ne lui semble pour le moment en état de répondre à aucune. « Shhht, ça va aller … Calme-toi, calme-toi … » Faute d’autre chose, pour l’heure, il murmurait à son oreille, la gardait contre lui et caressait son dos du plat de la main dans l’espoir de la calmer. Elle aurait dû travailler ce soir, il le savait parce qu’elle lui avait dit pas plus tard que la veille lorsqu’ils avaient échangé quelques messages. Alors s’était-il passé quelque chose à l’hôpital ? Y était-elle seulement allée ? Et les enfants ? « Viens-là. » La guidant finalement jusqu'au canapé, il s'était détaché d'elle pour la laisser s'y asseoir et avait posé un genou à terre pour se mettre à sa hauteur. Non sans effort, il avait continué de s'exprimer à voix basse pour demander « Parle-moi, Norah. C'est les enfants ? Il s'est passé quelque chose au boulot ? » Il doutait de la première option cependant, certain que si quoi que ce soit était arrivé à Aidan ou Julie l'infirmière serait actuellement en proie à la panique et auprès d'eux, et non pas ici. Non, les enfants n'avaient rien à voir là-dedans et allaient probablement bien … C'était Norah qui n'allait pas bien.
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| | | | (#)Mar 5 Mai 2020 - 14:07 | |
| THE BROKEN LOCKS WERE A WARNING i'm barely breathing with a broken heart that's still beating | |
Le temps n'avait plus aucune importance. Le passé, le présent et le futur se mélangeraient que Norah ne le remarquerait même pas, tant elle se sentait tétanisée par ce flux soudain d'émotions qui la paralysait, qui la rendait amorphe. Elle en avait même oublié le trajet qu'elle avait pris pour se rendre chez Anwar, ayant totalement occulté si elle avait oui ou non respecté les règles de la situation. Perdue dans l'obscurité qu'elle était seule à voir, elle n'était finalement rien d'autre qu'une vulgaire âme en peine, qui ne vivait par l'existence de ses enfants et la perte de son mari. La flamme qui l'avait alors animé jusque là, celle dont tous ses proches en connaissait la lumière, avait fini par s'éteindre et le désastre qu'elle laissait derrière n'avait jamais été aussi mesurable qu'à cet instant. Ils avaient vu qu'elle n'allait pas, qu'elle n'était plus vraiment Norah, ils savaient que ce n'était la partie visible de l'iceberg et reconnaissaient qu'ils n'avaient pas la moindre idée de l'ampleur des dégâts. Anwar était tout aussi pris de court. Il ne l'attendait même pas, sûrement pas à une heure aussi tardive alors qu'elle était supposée être au travail. L'épuisement était tel que la belle brune ne parvenait même pas à poser des mots sur ses souffrances et l'inspecteur avait du se contenter de ces quelques courtes phrases pour décrypter ce qu'il se passait réellement. Ca, et le manque d'éclat dans son regard, une détresse palpable et alarmante, qu'aucun ne saurait vraiment soulager. Le premier réflexe d'Anwar avait été de se rapprocher d'elle, de la prendre dans ses bras sans chercher à la brusquer par une avalanche de questions auxquelles elle ne trouverait certainement pas de réponses. Il la gardait contre elle dans l'espoir de la calmer un petit peu. Il la guidait à l'intérieur de chez lui, afin qu'elle puisse s'installer sur le canapé. Elle éloignait ses mains devant sa bouche, les coudes appuyées sur ses cuisses. Anwar s'agenouillait devant elle, dans le but de rester dans son champ de vision. Elle secoua négativement la tête quand il demandait s'il s'agissait des enfants. Elle fermait les yeux un long moment, ce geste déversant de nouvelles larmes le long de ses joues tachetées de tâches de rousseur. "Les enfants vont bien, ils dorment chez leur nounou." Norah se gardait bien de dire pour le moment qu'elle n'avait pas la force de les récupérer et de s'occuper d'eux. Elle avait l'impression d'être la plus horrible des mères, de penser de cette façon là. Sa main tremblante passait sur ses yeux afin de sécher un peu ses paupières. Cela lui permettait de répondre à ce qu'il lui demandait. L'exercice était bien plus difficile qu'elle n'oserait jamais l'accepter, et pourtant. Norah se sentait submergée, noyée, et il n'y avait rien qui l'aidait à faire le tri, à trouver par où commencer, alors que le problème était plus qu'évident. Après un long moment de silence, elle se décidé enfin de reprendre la parole, le regard bien bas. "Il y avait ce gamin, avec son père, qui était venu visiter la mère au service, et..." C'était idiot. L'élément déclencheur n'était que de vulgaires bonbons. "Il a juste fait tomber son paquet de Skittles." La goutte d'eau. Ce qu'il se passait, elle ne parvenait pas à le décrire. Elle savait que c'était là, elle réalisait que ce n'était pas qu'un coup de mou, un de ses états d'âmes qui passerait après une nuit de sommeil. "Je peux plus continuer sans lui." finit-elle par dire dans un soupir. En ouvrant les yeux, la brune avait l'espoir de se réveiller de son cauchemar, de laisser ses idées noires bien derrière elle. Mais elle avait toujours le coeur aussi lourd. "C'est pas une question d'être mère célibataire, du boulot..." Si c'était que ça, elle n'aurait pas à se plaindre du moindre soucis. Avoir des journées trop remplies n'était pas ce qui l'effrayait le plus. Ce n'était pas matériel, pas dans le quotidien qu'elle s'était imposée au cours des dernières années. "C'est juste le fait qu'il ne soit pas là." L'on disait souvent que lorsque l'une des deux personnes s'aimant éperdument perdait la vie, l'autre dépérissait, indéniablement. Il existait un syndrome du coeur brisé (qui portait normalement un terme beaucoup moins poétique), mais que Norah n'avait heureusement pas contracté suite à la perte de son époux. Elle aurait pu. "A partir de quel moment il a été persuadé que s'il lui arrivait quoi que ce soit, j'arriverais à gérer ?" Il avait du y songer, forcément. Et cela soulevait une problématique que le couple n'avait jamais vraiment réussi à résoudre, un débat sans fin qui avait longtemps déchiré Frank. Elle ne l'en blâmait pas pour autant, tout comme elle ne lui reprochait pas d'être sortir le soir d'Halloween, même s'il devait normalement passer la soirée avec sa famille. Elle n'en voulait pas non plus à l'assassin. Enfin si, peut-être un peu, mais pas au point que ça devienne aussi maladif que ça ne l'était avec son frère aîné, ou Anwar. Ce dernier n'avait certainement pas passé le cap non plus; il restait un flic, il avait un besoin de mettre la main sur le coupable. Norah faisait parfois preuve d'un pragmatisme qui pouvait faire froid dans le dos. "Je vois des amis faire des séjours dans le service, d'autres qui changent radicalement leur, volontairement ou pas, ... C'est comme si tout s'effondrait, se bousculait, sans que je puisse faire quoi que ce soit. Les enfants continuent de grandir, ils sont heureux –je crois." Son regard s'était perdu dans le vide, désespéré par la rétrospective des événements marquants ayant ponctué les derniers mois, et elle avait l'impression que tout lui revenait en pleine tête d'un coup, de façon très brutale. Le fait que son discours soit totalement décousu lui passait totalement dessus, c'était bien le cadet de ses soucis. "Avec Frank, on... Tout semblait si certain. Je dis pas qu'on avait tout décidé de ce qu'on voulait ou allait faire, mais on était confiants et plutôt sereins." Les larmes continuaient de couleur. "Là, tout le monde s'est apparemment passée le mot pour me dire que je dois penser à moi, à me demander quels sont mes projets à moi, sans compter les enfants. Et j'ai jamais trouvé de réponses." L'admettre lui coûtait énormément et pour la première fois, cela se lisait clairement sur son visage. "Je... Je sais pas comment je suis supposée continuer." Loin d'elle l'idée d'attenter à sa propre vie. Mais Norah était perdue dans un désespoir qui était nouveau pour elle alors qu'elle y baignait depuis trois ans. Réaliser que son deuil n'était même pas vraiment commencé était une épreuve difficile, et la vivre n'allait être que plus compliqué.
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| | | | (#)Dim 24 Mai 2020 - 18:48 | |
| Elle ne disait jamais rien, Norah. Si on la laissait faire elle gardait tous ses tracas pour elle, et si l’on tentait de lui tirer les vers du nez elle en disait juste assez pour ne pas vous laisser sur votre faim mais pas suffisamment pour qu’il soit possible de toucher du doigt le véritable fond de ses problèmes. Anwar, comme Caelan et comme d’autres, l’avait compris depuis bien longtemps et s’en désolait un peu, quoi qu’ayant fini par se résigner au fait que brusquer la jeune femme ne servait à rien et que le jour viendrait, peut-être, où elle entrouvrirait la porte d’elle-même. Si l’empathie ne lui faisait pas défaut, les mots en revanche n’étaient pas sa spécialité, et si forcer le destin lui avait déjà traversé l’esprit le policier ne s’en était jamais réellement senti les épaules, condamné alors à attendre le jour où le château de cartes érigé par son amie pour tenter de prouver à qui voulait l’entendre qu’elle tenait bon s’écroulerait de la cime aux fondations. Et peut-être était-il arrivé, ce jour, bien qu’il n’en ait pas tout de suite pris la mesure lorsqu’il avait ouvert la porte de son appartement pour y trouver sur le seuil le visage défait de l’infirmière, auquel avaient succédé des sanglots l’ayant suffisamment pris au dépourvu pour qu’il cesse provisoirement de réfléchir. Là, agenouillé près d’une Norah qu’il avait mené jusqu’au canapé pour qu’elle y reprenne ses esprits, il avait paré au plus pressé en s’inquiétant d’abord des enfants, néanmoins assez peu surpris lorsque leur mère avait répondu « Les enfants vont bien, ils dorment chez leur nounou. » dans un souffle avant d’essuyer de nouvelles larmes – ce n’était pas le genre de réaction hagarde qu’il l’imaginait avoir si le sujet de son inquiétude avait été sa fille ou son fils. Acquiesçant dès lors silencieusement, la main posée sur l’un de ses genoux et son pouce y glissant machinalement dans un geste machinal de réconfort, Anwar n’avait rien dit de plus et s’était contenté de questionner du regard, préférant lui laisser le temps et l’espace pour rassembler ses mots et ses esprits. Cela lui avait pris plusieurs minutes et la voix était mal assurée, mais malgré tout Norah était parvenue à articuler d’un ton éteint « Il y avait ce gamin, avec son père, qui était venu visiter la mère au service, et ... Il a juste fait tomber son paquet de Skittles. » Et cela semblait trivial … incongru, presque. D’une banalité affligeante et d’une cruauté à peu près égale, faisant un bref instant regretter à Anwar d’avoir admis cette histoire de bonbons tout en sachant bien que cela n’aurait rien changé. Cela avait été les bonbons comme cela aurait pu être n’importe quoi d’autre, les derniers instants de quiétude qu’il avait partagé avec Frank n’avaient rien de spirituel ou d’héroïque, mais ils illustraient bien la faucheuse qui rôdait n’importe où et abattait sa faucille n’importe quand. La mort restait la mort, le manque restait le manque, et le « Je peux plus continuer sans lui. » murmuré par Norah dans un soupir serrait le cœur du policier de la même façon. « C'est pas une question d'être mère célibataire, du boulot ... C'est juste le fait qu'il ne soit pas là. » Pas là, et en même temps jamais très loin, dans le cœur de Norah, dans les pensées d’Anwar, dans le caractère de Julie et dans les mimiques d’Aidan. L’absence de Frank pesait autant que sa présence toujours en filigrane dans le quotidien de ceux qu’il avait laissé, et lorsque Norah avait questionné « A partir de quel moment il a été persuadé que s'il lui arrivait quoi que ce soit, j'arriverais à gérer ? » le brun n’avait pu que baisser la tête d’un air abattu. Il le savait bien lui, pourquoi. Frank avait fait comme tous les autres, comme Anwar, comme tous ceux qui portaient un badge ou un insigne, comme Riley chaque fois qu’elle repartait pour le bout du monde en comptant sur sa bonne étoile : il s’en était persuadé pour se rassurer, pour continuer de pouvoir faire ce boulot qu’il aimait tant, et pour que penser au pire ne devienne pas la norme. Parce qu’on ne pouvait pas vivre sereinement si on laissait sa peur du lendemain dicter sa conduite. « Je vois des amis faire des séjours dans le service, d'autres qui changent radicalement le leur, volontairement ou pas ... C'est comme si tout s'effondrait, se bousculait, sans que je puisse faire quoi que ce soit. Les enfants continuent de grandir, ils sont heureux – je crois. » Acquiesçant d’un signe de tête, presque rassuré de pouvoir au moins lui offrir ses certitudes sur un sujet, il avait attrapé l’une de ses mains dans les siennes avec douceur et lui avait assuré dans un souffle « Ils le sont. Je t’assure qu’ils le sont. » Avec leurs hauts et leurs bas bien sûr, leurs maux d’enfants et les chagrins de leur âge, et l’absence d’un père qui en certaines occasions se faisait plus blessante … Mais les enfants de Norah étaient heureux, nul n’en douterait, et ce bonheur malheureusement s’était sans doute fait au sacrifice de celui de leur mère, dont les larmes s’étaient remises à couler. « Avec Frank, on ... Tout semblait si certain. Je dis pas qu'on avait tout décidé de ce qu'on voulait ou allait faire, mais on était confiants et plutôt sereins. Là, tout le monde s'est apparemment passé le mot pour me dire que je dois penser à moi, à me demander quels sont mes projets à moi, sans compter les enfants. Et j'ai jamais trouvé de réponses. » Les ride sur son front creusées par l’inquiétude et la compassion l’avaient été un peu plus encore par le brin de culpabilité que cet aveu avait fait naître chez Anwar. Car comme Caelan et comme tant d’autres il avait usé de cette méthode, cru bien faire en poussant Norah vers n’importe quelle direction pourvue qu’elle puisse lui changer les idées, et avalé les couleuvres selon lesquelles la seule barrière que se mettait l’infirmière tenait dans l’obligation qu’elle ressentait vis-à-vis de ses enfants. Il avait eu tort. L’heure pourtant n’était pas à la flagellation, et alors qu’elle ajoutait enfin « Je ... Je sais pas comment je suis supposée continuer. » lui tentait de garder la face, soucieux d’être un roc sur lequel s’appuyer plutôt qu’un poids qui tirait vers le bas … Et pourtant il n’avait aucune idée de quoi dire, de quoi faire. Aucune idée de ce qu’elle pouvait ressentir non plus, parce qu’il n’avait jamais aimé quelqu’un comme Norah aimait Frank, et comme Frank aimait Norah. Il aurait voulu que Caelan soit là, Caelan aurait su trouver les mots, et d’avoir ainsi mis les voiles du jour au lendemain Anwar se rendait compte qu’il lui en voulait. « Je ne sais pas non plus, Norah. » lui avait-il alors admis avec abattement, mais résolu à ne pas enrober la vérité. « Mais peut-être que de l’admettre, c’est déjà un bon début. » Ses doigts s’étaient resserrés autour de ceux de l’infirmière avec douceur, et dans le silence de l’appartement sa respiration secouée de larmes sonnait d’une triste manière. « Ça fait trois ans et demi que tu tiens bon pour les enfants, et c’est tout à ton honneur … Mais peut-être qu’il est temps que tu t’autorises à lâcher prise. » Cela ressemblait à une formule toute faite, mais au fond la seule personne qui empêchait Norah de regarder son chagrin dans les yeux, c’était elle-même. Et sans s’être jamais permis de la pousser dans quoi que ce soit – parce qu’il n’avait pas la prétention de pouvoir comprendre la douleur qui était la sienne – Anwar n’en était pour autant ni stupide ni aveugle : son deuil Norah ne l’avait toujours pas fait, et que presque quatre années soient passées par là n’y changeaient rien. « Tu vas rester ici cette nuit. » avait-il finalement repris, sans cette fois-ci lui laisser le loisir de négocier car il ne lui semblait simplement pas pensable de la laisser reprendre le volant ou repartir seule dans l’état où elle était. « Et je sais que l’idée ne va pas te plaire, mais c’est peut-être l’occasion de lever le pied quelques jours question boulot ? » Il n’avait aucune idée de la façon dont s’étaient déroulées les choses à l’hôpital pour que Norah en vienne à atterrir devant sa porte au lieu d’assurer sa garde, mais il aurait bien pu parier que quelqu’un l’avait renvoyée chez elle et qu’elle n’avait pris cette décision toute seule … Et si quelqu’un avait jugé qu’elle n’était pas en état de travailler ce soir-là, ce quelqu’un ne verrait probablement pas d’inconvénient à ce qu’elle prenne quelques jours pour se remettre, et tenter d’effacer ces cernes qu’Anwar avait rarement vus aussi creusés sous les yeux de l’infirmière.
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| | | | (#)Mer 27 Mai 2020 - 18:47 | |
| THE BROKEN LOCKS WERE A WARNING i'm barely breathing with a broken heart that's still beating | |
Enfin admettre qu'elle n'allait pas bien avait à la fois une sensation de libération et de torture. Elle avait horreur de ça, de se sentir faible, vulnérable, incapable de contrôler ses émotions et les gérer comme elle avait toujours su le faire. Là, elle baissait les armes devant son ami le plus proche, l'un des seuls avec qui elle se permettrait d'être ainsi. Ses mains tremblaient, ses jambes étaient en coton et elle ne se sentait même plus capable de se servir un verre d'eau. Elle ne serait pas contre une bonne bière, ou un verre de whiskey, sec, pour se plonger dans une ivresse agréable juste pour quelques heures. Juste pour donner à son âme quelques heures de répit avant qu'elle ne se lance dans ce travail acharné qu'était de franchir chaque étape de son deuil. Avant cela, Anwar souhaitait avant tout s'assurer que les enfants étaient en sécurité. Il devait bien voir que pour l'heure, la belle brune était absolument incapable de s'occuper d'eux, à moins que d'être en leur présence l'aiderait à reprendre contenance. Attribuer des mots à ce qu'elle ressentait véritablement était une épreuve toute aussi compliquée pour elle. Ses paroles étaient décousues, il n'y avait pas d'ordre ni de sens à ce qu'elle pouvait dire. C'était du brut, sans filtre, sans de quoi enjoliver ou faire en sorte que ce soit plus facile à entendre pour son interlocuteur. Elle voyait bien que l'inspecteur manquait de mots, de phrases susceptibles de l'encourager ou de l'aider à y voir plus clair. Que pouvait-il bien dire, après tout ? Elle ne lui en voulait pas. Anwar vivait son propre deuil. Ils savaient tous les deux que c'était quelque chose qu'il fallait vivre et assimiler seul. "Si juste l'admettre, c'est comme ça..." Comme dans l'état dans lequel elle se trouvait actuellement. Cette douleur insurmontable, la pire de toutes. "... Alors je veux pas du reste." lui souffla-t-elle, la gorge serrée au possible. Les larmes qui venaient border ses yeux n'étaient que le reflet d'à quel point elle pouvait être tétanisée de devoir affronter tout cela. Et ce qui était encore plus dur d'admettre était le fait qu'elle n'avait pas vraiment le choix. La suite ne pouvait être que pire. Elle sentait la main d'Anwar se resserrait autour de la sienne. Elle appréciait qu'il soit là. Le brun mettait en avant l'endurance qu'elle avait su avoir au fil des dernières années, lui assurant que personne ne lui en voudrait si elle lâchait un peu du lest pour qu'elle puisse enfin prendre soin d'elle. "Tu comprends pas. Si je lâche prise..." Elle secoua lentement la tête. "J'ai peur de ce qu'il pourrait se passer." Ca la rendait nerveuse, peu sereine de la façon dont les événements pourraient se dérouler par la suite. "Et il faut que je continue à m'occuper des enfants malgré tout." Oui, on pouvait la soulager de quelques heures, pour une nuit, mais ils avaient indéniablement encore besoin de leur mère et Norah tenait beaucoup trop à ce rôle sans avoir une pointe de culpabilité dès qu'elle trouvait le courage de prendre un peu de temps pour elle. Anwar ne lui laissait pas le choix que de rester chez lui pour la nuit. La soignante ne cherchait même pas à le contester. "Tu as quelque chose à boire ?" Anwar pouvait bien lui servir un verre qu'elle ne lui en voudrait pas, même si elle ne serait pas contre quelque chose d'un petit peu alcoolisée. Si déjà elle n'avait pas à faire la route chez elle avant le lendemain, alors autant en profiter. "Andy t'a devancé." commença-t-elle à lui répondre en esquissant brièvement un sourire sans joie. "Il m'a collée un premier arrêt de travail de deux semaines. Ca fait un moment qu'il me menaçait avec." Qu'elle lève au moins un petit peu le pied. "Mais je me fais pas d'illusions, je sais déjà qu'il va me prolonger." Norah n'était pas dupe, et les on verra qu'on lui balançait dans l'espoir de lui faire oublier ce genre de choses ne la rendait pas moins tenace et plus douce qu'on ne voulait le croire. "Ca fait pas mal de temps qu'il me... menace avec, disons." Norah adorait son job, elle y tenait et en avait surtout besoin à ses yeux afin d'être sûre de pouvoir faire plaisir à ses deux bouts de choux. Par chance, Norah n'avait pas à s'inquiéter de ses revenus comme ceux ci étaient assurés par son employeur, mais tout de même. Les primes allaient sauter, ce n'était pas négligeable. "Je sais pas ce que je suis supposée faire." Encore une fois, Norah avait horreur d'admettre qu'elle était totalement perdue. "C'est bien mignon de me faire arrêter de bosser pour que je repose alors que ça fait des mois que je fais des insomnies." Et jamais ne prendrait-elle de somnifères, encore moins si elle devait rester attentive aux bruits que pouvaient émettre ses enfants s'ils passaient une nuit toute aussi agitée que celle de leur mère. Ses mains passaient sur son visage fatigué, dans l'espoir de reprendre un peu de contenance. Elle allait devoir à prendre du temps pour elle, et rien que pour elle. Elle en aurait l'occasion à chaque fois qu'elle aurait déposé les enfants à l'école. "Qu'est-ce que je suis censée faire ?" souffla-t-elle, surtout pour elle-même. A cet instant, Norah n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle ferait de tout ce temps qui venait de se dégager pour les prochaines semaines. Elle avait jusque là réussi à remplir ses nuits blanches et avaient même réussi à terminer certaines choses qu'elle décalait constamment par manque de temps. Là, la maison était impeccable si on ne tenait pas compte des quelques jouets d'Aidan qu'il n'avait pas encore rangé, tous les papiers étaient en ordre. "Et comment je vais l'expliquer à Julie ?" dit-elle en appuyant ses coudes sur ses genoux, la tête entre ses mains. Autant avec Aidan, Norah trouvait des subterfuges pour contenter la curiosité encore naïve et insouciante et de son jeune garçon. Mais Julie, c'était une autre paire de manches. "Je vais pas lui mentir, elle n'y croirait pas un mot. Et si je lui dis la vérité, elle va culpabiliser." Elle la connaissait par coeur. Et Norah n'arriverait certainement pas à gérer ses émotions si elle venait à se rendre compte que ses enfants soient mener à conclure que c'est à cause d'eux que leur mère soit au bout du rouleau. Elle ne se le pardonnerait jamais.
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| | | | (#)Lun 3 Aoû 2020 - 13:37 | |
| Chacun vivait le deuil à sa manière, et bien que tous deux habitués à côtoyer la mort dans leur vie professionnelle Norah et Anwar ne géraient pas l’absence de Frank de la même façon. Mais dans leur cœur à l’un et à l’autre l’homme n’avait pas la même place, et le vide qu’il avait laissé n’était pas le même – et puis il y avait aussi la culpabilité, celle qui rongeait le brun depuis l’instant où le coup de feu avait fait tomber son ami à genoux entre les deux rayonnages de cette épicerie, se rattrapant sans y parvenir aux étagères et envoyant rouler autour de lui bocaux de confiture et barres vitaminées. D’autres futilités telles que les Skittles, dont la simple vue réveillait parfois chez le brun un frisson ou un haut-le-cœur, mais qu’il gardait pour lui parce que ces images de la mort qui de penchait doucement au-dessus de Frank avec un sourire satisfait il ne les souhaitait à personne, et surtout pas à Norah. À quoi cela tenait au fond, la vie ? Au fait de choisir le rayon des conserves à celui du petit-déjeuner, et en un claquement de doigts Anwar restait chez les vivants et Frank basculait chez les défunts … Cela n'avait aucun sens, et le temps n'y changeait rien, n'apaisait rien. La détresse de l’infirmière, loin de s’estomper, ne semblait que se creuser un peu plus. « Si juste l'admettre, c'est comme ça ... Alors je veux pas du reste. » La main se serrant autour de celle de Norah, il n’avait pu lui offrir qu’un sourire triste, plein de cette certitude qu’elle n’aurait pas le choix peu importe qu’elle freine des quatre fers ou prenne la situation à bras le corps. « Tu comprends pas. Si je lâche prise ... J'ai peur de ce qu'il pourrait se passer. » Secouant lentement la tête, il avait murmuré un « Je sais. » tant désolé que résigné, mais certain néanmoins qu’elle ne faisait que faisait que repousser l’inévitable et que la ferveur avec laquelle elle se persuadait « Et il faut que je continue à m'occuper des enfants malgré tout. » n’y changerait rien. Mais il n’était rien ni personne pour lui dire comment gérer son deuil, Anwar, parce qu’il ne vivait pas ce qu’elle vivait et que tenter de faire croire qu’il parvenait à se mettre à sa place était un affront qu’il ne lui ferait pas. Reste que faute d’une véritable solution à lui proposer, il ne la jugeait ni en état ni en mesure de rentrer chez elle et de passer la nuit seule ; Aussi n’avait-il laissé aucune place à la discussion dans le ton sur lequel il avait indiqué qu’elle resterait là pour la nuit, et que Norah ne cherche même pas à négocier prouvait qu’elle en avait autant conscience que lui. « Tu as quelque chose à boire ? » lui avait-elle cependant demandé d’un ton un peu las, et le regard glissant vers son propre verre de whisky, servi avant l’arrivée de l’infirmière et encore intact, il avait saisi le message sans qu’elle n’ait besoin d’en dire plus. « Andy t'a devancé. » Alors qu’il la quittait un instant pour sortir un verre d’un de ses placards, Norah avait repris « Il m'a collée un premier arrêt de travail de deux semaines. Ça fait un moment qu'il me menaçait avec. Mais je me fais pas d'illusions, je sais déjà qu'il va me prolonger. » Revenant au canapé, Anwar avait tendu un whisky sans glace identique au sien à la jeune femme puis s’était assis à côté d’elle, tachant de ne pas accueillir trop sévèrement la confession qu’elle venait de lui faire. « Et s’il le fait c’est qu’il estime que c’est la bonne chose à faire. » Pour elle autant que pour le service, qui n’avait rien à gagner non plus à ce que l’un de ses éléments avance en pilotage automatique. « Je sais pas ce que je suis supposée faire. C'est bien mignon de me faire arrêter de bosser pour que je repose alors que ça fait des mois que je fais des insomnies. » Fronçant les sourcils, le brun avait immobilisé son verre à quelques centimètres de ses lèvres « Quand tu dis des mois … ? » Voulait-elle vraiment dire des mois, ou bien s’agissait-il simplement d’un abus de langage ? « T’en as parlé à quelqu’un ? Autre que moi, j’entends. » Il précisait pour lui éviter un sarcasme qui ne répondrait en rien à la question. « Quitte à être en arrêt c’est peut-être le moment de voir un toubib … » Qui en ferait probablement son affaire, quand bien même l’idée n’était pas plaisante, mais on ne parlait plus là d’une petite insomnie passagère de quelques jours. Les doigts resserrés autour de son verre, Norah était restée silencieuse à nouveau de longues minutes, aux prises avec des pensées qu’Anwar ne souhaitait pas troubler faute d’un véritable remède à lui apporter. Il se sentait impuissant, incapable de s’en tenir à la promesse que Frank et lui s’étaient faits l’un à l’autre il y avait de cela des années – et la vérité c’est que l’on ne savait jamais de quoi l’avenir serait fait, ni comment on y ferait face. Avoir pensé le contraire même l’espace d’un instant était présomptueux, et Anwar le réalisait chaque jour un peu plus que le précédent. « Qu'est-ce que je suis censée faire ? » Cessant de faire tourner son verre entre ses doigts, le policier avait reposé le regard sur l’infirmière. « Et comment je vais l'expliquer à Julie ? Je vais pas lui mentir, elle n'en croirait pas un mot. Et si je lui dis la vérité, elle va culpabiliser. » S’autorisant une grande gorgée de whisky qui en glissant dans sa gorge lui avait arraché une légère grimace, Anwar avait secoué la tête « Julie est intelligente, je pense qu’elle a déjà très bien compris que quelque chose n’allait pas. » Peut-être même qu’Aidan aussi, quand bien même sa capacité à mettre des mots sur ce qu’il observait n’était pas encore la même. « Et de ma propre expérience, quand un enfant n’a pas la réponse à une question il a tendance à boucher les trous avec ses propres suppositions, et elles sont souvent encore plus alarmantes que la vérité. Ils ont de l’imagination. » Et si avoir de l’imagination était dans le reste des cas une qualité indéniable, dans ce cas précis cela pouvait mener à de bien plus grandes angoisses que la simple connaissance de la vérité. « Parle-lui. Elle est assez grande pour entendre que les adultes aussi ont des hauts et des bas … et c’est en étant honnête avec elle quand tout n’est pas rose que tu la pousseras à l’être avec toi si un jour quelque chose lui pèse. » Et pour ce qui était d’Aidan … Anwar pourrait toujours en faire son affaire, si Norah peinait à trouver sur quel pied danser.
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| | | | (#)Jeu 6 Aoû 2020 - 17:04 | |
| THE BROKEN LOCKS WERE A WARNING i'm barely breathing with a broken heart that's still beating | |
L'inévitable était aus euil de la porte de Norah. Elle le réceptionnait en pleine face, comme ce qu'il y avait de plus inattendu, réalisant qu'elle ne s'était tissé qu'un immense voile de mensonges, où elle s'était persuadée qu'elle parviendrait à tout endurer et à se surpasser toute seule. Pourtant, Norah n'avait jamais eu besoin de se prouver. Mais en plus d'avoir perdu l'homme de sa vie, elle s'était immédiatement dit qu'elle devait à elle seule, savoir gérer sa famille, ses enfants, en quémandant le moins d'aide possible. Chaque demande lui coûtait énormément alors que cela ne correspondait qu'à un service rendu avec plaisir et peut-être un certain soulagement de savoir qu'elle acceptait de se reposer enfin un peu plus sur les autres. A choisir, elle préférait endurer ce qu'elle faisait déjà depuis quelques mois plutôt que de franchir une étape pourtant obligatoire dans ce processus compliqué, afin qu'elle puisse un jour espérer mordre la vie à pleine dents. Qu'elle se voit sous un nouveau jour, qu'elle se rende compte qu'une vie est possible même si Frank n'était plus de ce monde. Pour l'heure, cette réalité était trop difficile à accepter. Le rictus navré d'Anwar lui laissait largement comprendre qu'elle n'avait de toute évidence pas trop le choix. Il fallait qu'elle se laisse aller, qu'elle accepte d'entreprendre cette piste glissante et de se laisser surprendre de la destination. Anwar connaissait ses craintes et il savait tout autant qu'elle était la plus à même à savoir gérer les imprévus. Sinon elle n'aurait jamais choisi le métier d'infirmière et elle n'aurait pas tenu très longtemps dans ce domaine. Refusant catégoriquement de la laisser reprendre le volant alors qu'elle était au plus beau, Anwar avait au moins l'espoir de pouvoir veiller sur elle pendant une nuit. Ce faisant, la belle brune lui demandait alors de lui servir une boisson un peu plus alcoolisée, quelle qu'elle soit. Ca, il ne pouvait pas le lui refuser. Pendant qu'il cherchait un verre, l'infirmière lui expliqua que le médecin du service avait fait ce qu'il fallait pour qu'elle reste éloignée du service de réanimation pendant quelques temps. Ce n'était pas indéfini, ni définitif, d'ailleurs. Andy savait que l'en éloigner trop longtemps n'allait pas non plus lui être bénéfique. Mais si, de ces quelques semaines de répit où elle arriverait à dormir quelques heures ici et là, il s'agirait déjà d'une petite victoire dans la rémission de Norah. "Merci." lui souffla-t-elle alors qu'elle réceptionnait le verre de whisky entre ses doigts délicats. La durée de ses insomnies semblait véritablement inquiété l'inspecteur, qui se permettait de soulever ce fait par un détail qui le tracassait. "Quand je dis des mois, c'est des mois." Elle n'avait jamais été du genre à exagérer pour rendre une situation plus dramatique. La sienne l'était déjà bien suffisamment pour en rajouter une couche ou prétendre pire. "J'ai déjà une ordonnance qui traîne à la maison. Il est hors de question que j'avale quoi que ce soit quand les petits sont là." Aidan n'avait plus trop peur du monstre sous le lit, mais il n'était pas à l'abri d'un mauvais rêve ou d'une maladie qui surviendrait au beau milieu de la nuit. "J'arrive quand même parfois à dormir quelques heures." Pas ce qu'il y avait de plus reposant cela dit mais Norah prenait ce qu'elle avait. "J'arrive à m'en contenter." Mais elle savait que ses paroles n'allaient rien rassurer son ami. Norah ne voulait pas prétendre et était trop franche pour se montrer condescendante en lui faisant l'affront de lui mentir. "Hors de question que j'aille voir un médecin pour ça." Ce n'était pour elle par ce qu'il y avait de plus urgent à régler comme problème. Sa priorité restait avant Julie et Aidan, à qui elle ne savait pour l'heure quoi leur raconter. Cela allait être bien étrange pour eux, de voir leur mère pouvoir les emmener et les chercher à l'école tous les jours, à ne pas avoir à se lever de très bon matin quand elle commençait à six heures, ou d'avoir l'occasion de pouvoir lui dire bonne nuit tous les soirs. "Elle le sait." certifia-t-elle en plongeant son regard dans son verre. "Sinon elle ne serait jamais devenue si... suggestive concernant certains sujets." Elle riait nerveusement, amusée que Julie se soit décidée à devenir entremetteuse. La petite avait quelqu'un en tête, mais elle n'était pas fermée à toutes les possibilités qui se présenterait potentiellement à Norah. "Mais... devoir mettre des mots, pour expliquer la pire des souffrances que je ressens en ce moment, à tes propres gosses..." Ses sourcils se levaient, cette pensée la laissait pantoise quelques minutes. "OK, Julie va sûrement préféré que je sois honnête avec elle, mais imagine la réaction derrière. Je veux pas qu'ils se sentent coupables de ça, c'est pas de leur faute. C'est pas mon objectif de leur transmettre la façon dont... Je traverse tout ça. Tu vas me dire que de toute façon, ils le subissent déjà alors que c'était clairement pas mon intention. Je me sens juste assez cruelle et égoïste à l'idée de leur étaler ce qui ne va pas. Il mérite pas." Ils méritaient une vie d'enfants normale, bien que cet idéal était déjà compromis par la disparition de leur père. "Ils m'ont déjà vue triste. Surtout quand ils ont envie de regarder les albums photos." Julie chérissait tout particulièrement ces moments de partage là. Elle avalti une gorgée de son whisky. Quand elle était dans ses pensées, elle faisait glisser son doigt sur le bord de son verre. "Je veux pas qu'ils se mettent à culpabiliser et que c'est à cause d'eux que ça va pas." Et là, ce serait elle qui s'en voudrait. Norah essuyait ses joues humides de larmes. "I'm a mess." admit-elle sans détour. "Avoue, tu aurais préféré t'occuper de ta petite que de devoir me materner." ironisa-t-elle, autant pour soulager un peu l'atmosphère que pour se préserver elle pendant quelques minutes de l'obscurité qui brouillait ses pensées. "Il me manque." Cette phrase était redondante, fréquente, peut-être lassante. Mais c'était vrai. "Je suis désolée d'avoir débarquée à l'improviste, au fait. T'étais la seule personne sur le moment vers qui me tourner. Qui comprendrait." Elle adorait Caelan, elle aimait ses frères plus que tout. Mais chacun aurait réagi si différemment face à la situation, à virer dans des extrêmes parce qu'elle était la petite soeur. Le lien entre Anwar et Norah étaient indéfectibles, mais il bénéficiait d'un avis un peu plus extérieur, d'un détachement subtil qui lui permettait de saisir. "Je veux pas que Caelan me voit dans cet état quand il me reverra." Même si, où qu'il soit, il devait le ressentir. Un truc de jumeaux. "Il va totalement baliser, le pauvre. Il a bien assez à gérer lui aussi." Il avait sa vie à reconstruire. Elle espérant néanmoins qu'il revienne au plus vite.
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| | | | (#)Ven 16 Oct 2020 - 14:24 | |
| Le remède miracle contre les insomnies n’existait pas, et Anwar était trop bien placé pour le savoir pour avoir la moindre solution à apporter à ce sujet. Il n’était cependant pas de ceux qui diabolisaient les somnifères, principalement parce qu’il en avait constaté les effets sur Riley à certaines période de leur vie commune, et que la tête pleine de sons et d’images qu’elle ne partageait pas avec lui les précieux cachetons lui accordaient un répit aussi temporaire que nécessaire. Mais il comprenait aussi les réticences, l’envie de vouloir à tout prix dompter cela autrement, ou encore la crainte de ne plus pouvoir dormir sans une fois un doigt mis dans l’engrenage … Il comprenait, mais n’estimait pas que « ne rien faire » soit une solution beaucoup plus enviable quand bien même Norah lui avait servi un ton assez catégorique au moment de lui affirmer « J'ai déjà une ordonnance qui traîne à la maison. Il est hors de question que j'avale quoi que ce soit quand les petits sont là. » Ne lui laissant pas le temps d’objecter, elle avait ajouté comme pour solutionner la question « J'arrive quand même parfois à dormir quelques heures. J'arrive à m'en contenter. » et estimant probablement que le sujet était clos elle avait terminé par « Hors de question que j'aille voir un médecin pour ça. » laissant Anwar un peu dubitatif – il n’aimait pas l’idée de devoir jouer les moralisateurs avec l’infirmière, mais il doutait que faire l’autruche soit une manière efficace de régler le problème. « Si tu piques du nez au volant je ne suis pas sûr que ce soit bon pour eux non plus … » Elle lui reprocherait peut-être de dramatiser, mais lui trouvait cela préférable au fait de ne rien dire … Et fixant un instant le fond de son verre de whisky d’un air songeur il avait tenté d’arrondir les angles. « Tu es en arrêt, ça te laisse du temps pour t’occuper un peu de toi … Tes frères ou moi on peut très bien se charger des enfants pour que tu lèves un peu le pied, tu sais bien que ça ne nous dérange pas. » Il parlait certes pour les deux Leckie restant à Brisbane sans consultation préalable, mais il fréquentait le cercle de l’entourage de Norah depuis suffisamment longtemps désormais pour le savoir sans nécessiter de confirmation. Que Norah lève le pied lui paraissait d’autant plus important que malgré tous les efforts de l’infirmière, il doutait que ses deux rejetons ne se doutent de rien en vivant sous son toit chaque jour ; Julie particulièrement était dégourdie pour son âge, et bien plus observatrice qu’elle ne le laissait parfois paraître. Et du point de vue d’Anwar, laisser les enfants dans le brouillard n’était jamais la bonne solution et amenait bien souvent à ce qu’ils tirent leurs propres conclusions, parfois au mépris du bon sens et parfois en élaborant des scénarios tous aussi angoissants que la vérité, particulièrement quand comme ceux de Norah ils avaient déjà vécu la perte d’un de leurs parents dans des circonstances brutales. « Elle le sait. Sinon elle ne serait jamais devenue si ... suggestive concernant certains sujets. » avait alors admis la brune avec résignation. « Mais ... devoir mettre des mots, pour expliquer la pire des souffrances que je ressens en ce moment, à tes propres gosses ... OK, Julie va sûrement préférer que je sois honnête avec elle, mais imagine la réaction derrière. » Resserrant ses doigts autour de son verre, sa gorge elle aussi semblait s’être serrée au son de sa voix tandis qu’elle continuait « Je veux pas qu'ils se sentent coupables de ça, c'est pas de leur faute. C'est pas mon objectif de leur transmettre la façon dont ... Je traverse tout ça. Tu vas me dire que de toute façon, ils le subissent déjà alors que c'était clairement pas mon intention. Je me sens juste assez cruelle et égoïste à l'idée de leur étaler ce qui ne va pas. Ils méritent pas. » Les mots n’étaient probablement pas choisis au hasard, mais cruelle et égoïste étaient des termes forts, et surtout tellement peu adaptés à la personne qu’était Norah. « Ils m'ont déjà vue triste. Surtout quand ils ont envie de regarder les albums photos. Je veux pas qu'ils se mettent à culpabiliser et croire que c'est à cause d'eux que ça va pas. » Mais n’était-ce pas le risque, si elle continuait de nier une situation qu’elle ne parvenait plus à cacher ? Si d’autres jugeaient la situation suffisamment problématique pour ne plus l’estimer en capacité de faire correctement son travail ? « Raison de plus pour leur parler. » avait-il alors répondu d’un ton calme. « Je ne suis pas en train de dire que tu dois tout leur dire … Mais juste de quoi ne pas les laisser dans le brouillard. Leur dire qu’effectivement tu es un peu fatiguée en ce moment, que tu sais qu’ils l’ont remarqué, mais que ça va passer et qu’ils ne doivent pas s’en faire. » Plus facile à dire qu’à faire, il en convenait … Mais cela lui semblait être malgré tout la moins pire de solutions toutes imparfaites. Séchant ses larmes du dos de sa main, Norah avait laissé échapper un soupir, concluant « I'm a mess. » avant de boire une gorgée de son verre et de reprendre dans une tentative maladroite pour dédramatiser la conversation. « Avoue, tu aurais préféré t'occuper de ta petite que de devoir me materner. » Un léger sourire s’étirant sur les lèvres du policier, il avait secoué la tête et pris une gorgée d’alcool puis prétendu « Tu rigoles, je bois du whisky pendant que Lene change des couches sales, en ce qui me concerne je vis ma meilleure vie. » d’un ton amusé. Bien sûr il aurait aimé une situation toute autre, quitte à redevenir père il aurait aimé que les choses se passent de façon plus conventionnelle, et s’il avait parfois mal vécu les absences répétées de Riley et le fait que repose sur ses seules épaules la gestion de Tarek, il réalisait que de devoir ainsi s’acclimater à l’idée que son quotidien avec Alma ne se ferait qu’à mi-temps n’était pas chose aisée non plus … Mais les choses étaient ainsi faites, et il n’avait pas d’autre chose que de l’accepter. « Il me manque. » avait finalement soufflé Norah après quelques instants de silence, l’air un peu absente avant que son regard ne remonte finalement vers Anwar. « Je suis désolée d'avoir débarquée à l'improviste, au fait. T'étais la seule personne sur le moment vers qui me tourner. Qui comprendrait. » D’instinct il avait secoué la tête pour lui ôter cette idée de l’esprit « T’as aucune raison d’être désolée, tu as bien fait de venir. » Et cela le touchait, quelque part, qu’elle lui fasse suffisamment confiance pour décider de se tourner vers lui. Cela le rassurait aussi, car elle en avait gros sur le cœur et sur les épaules et qu’auprès de lui ou de quelqu’un d’autre elle aurait dans tous les cas été mieux que seule. « Je veux pas que Caelan me voit dans cet état quand il me reverra. Il va totalement baliser, le pauvre. Il a bien assez à gérer lui aussi. » A la mention du jumeau de la jeune femme, Anwar avait senti sa gorge se serrer tant de tristesse que d’amertume. Bien qu’il s’efforçait de ne rien en laisser paraître à Norah, il en voulait véritablement à Caelan d’avoir ainsi mis les voiles du jour au lendemain sans véritablement donner d’explication. Une partie de lui tentait de lui trouver des excuses, mais l’autre s’agaçait de ce qui ressemblait à un caprice égoïste. Dans les deux cas, il lui semblait en tout cas que puisqu’il avait décidé de panser ses plaies loin de tout et de tout le monde, Norah avait tout intérêt à panser les siennes en en faisant sa priorité. « Je suis sûr que Caelan gère ses propres soucis comme il faut, c’est un grand garçon … Raison de plus pour te concentrer un peu sur toi en son absence. » Il était arrivé au bout de son verre, et le reposant vide sur la table basse il s’était fendu d’un long soupir il s’était d’abord laissé retomber sur le dossier du canapé puis s’était redressé « Allez, je vais nous faire du chocolat chaud, on va se trouver un truc à regarder, et demain matin c’est moi qui irai récupérer les enfants chez la nounou. Et ça, infirmière Lindley, ce n’est pas négociable. » Se saisissant de la télécommande sans lui laisser le temps de protester, il avait lancé Netflix puis la lui avait tendu, avant de quitter le canapé en lui offrant un clin d’œil volontairement enjoué. Il n’attendait pas d’elle qu’elle le soit en retour, mais se faisait plutôt un devoir de l’être pour deux.
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| | | | (#)Mer 21 Oct 2020 - 17:57 | |
| THE BROKEN LOCKS WERE A WARNING i'm barely breathing with a broken heart that's still beating | |
Le fait que Norah ait désormais quelques semaines devant elle devrait être l'opportunité parfaite pour qu'elle puisse se recentrer, faire un ménage de printemps dans ses pensées, se centrer sur le plus important et se reconstruire, enfin. Mais là, elle était encore probablement sous le choc de tout ce qui venait de se passer. Elle ne le réalisait pas, totalement détachée de la réalité. Retrouver le sommeil était le premier objectif idéal à remplir pour elle, afin qu'elle se débarrasse de cet épuisement qu'elle traînait depuis des mois, des cernes qui marquaient de façon bien disgracieuse son visage et de la pâleur de son visage. L'option médicamenteuse lui était totalement inconcevable. Elle avait déjà vu des patients totalement ensuqués et à côté de la plaque, même avec des doses minimes. Elle ne voulait pas courir ce risque là alors qu'Aidan faisait encore des cauchemars, ou que Julie ne tombe subitement malade en plein de milieu de la nuit. Anwar voyait le tout sous un angle différent, craignant qu'elle ne tombe de sommeil durant les moments les plus inopportuns. "Je suis plus sûre de savoir ce que ça veut dire." dit-elle d'un air détaché, alors qu'il lui suggérait de s'occuper d'elle, de s'octroyer enfin un me time digne de ce nom. En était-elle seulement capable ? Elle en doutait, et il était presque surprenant qu'elle l'exprime à haute voix. Peut-être parce que la Norah de ce soir-là n'était pas la Norah que l'on avait l'habitude de côtoyer. Anwar lui rappelait qu'elle n'était pas seule, qu'elle n'avait pas à gérer seule l'éducation et l'épanouissement de ses deux trésors. La soignante ne lui répondit qu'avec un sourire affaibli, avant de boire une gorgée de son whisky. Les enfants. Jamais Norah n'aurait voulu les confronter à une telle faiblesse. Et pourtant, ils allaient bientôt la vivre et elle leur devrait des explications. Informations qu'elle n'était absolument pas prête à fournir, tant elle avait peur de leur faire du mal. Pourtant, Anwar n'en démordait pas; à ses yeux, elle devrait mieux leur en parler et il ne semblait pas douter des capacités de son amie à trouver les mots justes pour qu'ils les comprennent sans trop de mal. "J'aurai beau leur dire ne pas s'inquiéter, ils vont quand même se faire du souci." soulevait-elle. Anwar connaissait Julie et Aidn. Ils allaient y être tous les deux très réceptifs, mais chacun de façon très différente. Il y aurait peut-être des pots cassés à réparer, savoir comment les rassurer. Elle ne voulait pas que ça affecte trop leur quotidien, que cela perturbe leur concentration à l'école, ou leur joie de vivre. Son coeur se serrait déjà rien qu'à cette idée, et l'incitait à vider son verre plus vite qu'elle ne le devrait. Anwar parvenait malgré tout à lui arracher léger sourire. "Je les aurais bien changé pour toi, ces couches." souffla-t-elle sur le même ton taquin. Quoi que c'était une vérité, là, ce qui venait de sortir de sa bouche. Elle était habituée aux odeurs et substances désagréables alors changer un bébé était probablement pour elle ce qu'il y avait le moins d'écoeurant. Parmi ce tourbillon de pensées dont elle ne parvenait pas à faire le tri, le vide que représentait toujours l'absence de Frank, et la reconnaissance qu'elle avait envers Anwar d'accepter de l'accueillir à une heure aussi incongrue étaient les premières choses qu'elle verbalisait. Le fait de n'avoir que de très rares nouvelles de Caelan était aussi une belle source d'inquiétude que l'inspecteur tentait de faire relativiser au possible, désireux de voir Norah se concentrer sur elle-même avant n'importe qui d'autre. Les limites de l'empathie étaient dangereuses. Une fois la frontière franchie, il était très difficile de revenir en arrière. "J'espère qu'il va bien, quand même." souffla-t-elle en regardant avec une certaine déception son verre alors bien vide. Elle pensait qu'Anwar allait les reservir afin de poursuivre cette soirée, car elle n'était pas prête de trouver le sommeil. Mais il optait pour une option bien sage qui surprit la jeune femme. "Te voilà bien bien raisonnable." dit-elle avec un sourire moqueur discret, mais effacé. Peut-être était-ce le fait qu'il était à nouveau père qui l'avait un peu changé, peut-être avait-il parfaitement conscience que continuer à boire était loin d'être la meilleure option qui soit pour la jeune femme. Il imposait donc le programme de la soirée et de la journée suivante, motivé à alléger le poids des responsabilités de la belle brune afin qu'elle comprenne qu'elle pouvait lâcher prise, et se permettre de se détacher de son quotidien. Elle s'enfonça dans le dossier du canapé après avoir déposé le verre sur la table basse. En d'autres circonstances, elle n'aurait pas aimé qu'on lui impose des choses de la sorte, mais même pour ça, elle était trop épuisée à lutter. Anwar ne voulait pas se défaire de son optimisme et de son enthousiasme, même si son amie n'était guère réceptive et démonstrative. Mais elle lui en était reconnaissance, vraiment. "Très bien, Monsieur le détective." répondit-elle malgré tout alors qu'il lui filait la télécommande afin qu'elle choisisse ce qu'ils pourraient bien regarder pendant la dégustation de leur chocolat chaud. Elle avait opté pour un film comique, qui ne demandait pas trop de neurones pour en comprendre le contexte. Car ce n'était pas ce qui importait, au final. Ce qui était important, c'était que Norah avait, sans trop s'en rendre compte, eu la décence d'esprit d'aller vers quelqu'un alors qu'elle se trouvait dans un tel état de détresse qu'elle aurait pu avoir les pires idées qui soient en étant persuadée de faire ce qu'il fallait faire. Et pour ça, elle ne pouvait que remercier Anwar d'avoir été chez lui, ce soir-là.
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| | | | | | | | noranwar + the broken locks were a warning |
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