| | | (#)Jeu 19 Mar 2020 - 20:09 | |
| Comment c'est nul, comment c'est loin.
Je préférerais peindre, faire des trucs productifs comme... Tout autre chose que récupérer des papiers soigneusement empilés destinés à des gens qui en feront des brouillons. Des brouillons de merde, en plus, du genre pour leurs listes de courses. Et pourtant, j'ai dit "ok". J'ai dit "ok", quand on a été missionnés, Lola et moi, pour aller distribuer des prospectus ventant les mérites des ateliers de Ginny. Bien sûr qu'ils sont chouettes, les ateliers de Ginny, ce n'est pas le problème. Le problème, c'est que je me retrouve à faire un job d'étudiant alors que je ne suis plus étudiant.
Si, ok, mais ce n'est pas le vrai problème.
Le problème est que je crève de chaud sous ce soleil de plomb, où il n'y a aucune citronnade pour me rafraîchir, et que je suis, en plus, obligé de porter ce sac qui pèse une tonne et qui me brise le dos. L'échine courbée, je remonte une pente de Spring Hill. Les pires pentes, vraiment. « Rappelle moi pourquoi on fait ça ? », que je lance à ma camarade d'infortune. Un type passe à notre hauteur et je lui tends le papier coloré sans grande envie. Lui non plus, n'est pas très intéressé, visiblement. Mon papier termine sa course à la poubelle et je lève les bras au ciel. « T'aurais pu nous le rendre, ça coûte cher l'impression, pollueur ! » Mais mon cri n'aura servi qu'à lui déclencher l'envie de m'envoyer un doigt d'honneur, à ce grand dadais qui continue sa route, les écouteurs vissés sur les oreilles. « Loser. Ils pigent rien, dans ce coin. On ferait mieux d'aller distribuer nos papiers là où les gens se sortent les doigts pour aller colorier autre chose que des feuilles A4. » Là où les fresques de street-art fleurissent. Je suis certain qu'on aurait plus de clients potentiels. Moins de gens pour nous faire des doigts d'honneur.
« Tu vois le problème, c'est notre com'. Tu souris pas assez. » Bien sûr que je lui fait porter le chapeau, alors que je ne souris pas plus moi-même. Je force une risette, le regard excédé. « Coooomme ça. Essaye. » On va finir par se battre, voilà. Ce ne sont pas les passants, la menace : c'est ce foutu soleil qui va nous faire fondre assez le cerveau pour nous rendre exécrables. |
| | | | (#)Ven 20 Mar 2020 - 14:11 | |
| October 2019, streets of Brisbane
Lola était fidèle au poste. Elle venait à la galerie quand on le lui demandait. Elle en repartait lorsqu'on n'avait plus besoin d'elle. Alors, bien sûr, quand Ginny lui demanda d'aller distribuer des flyers, elle se convainquit que c'était une idée merveilleuse et accepta avec empressement. Le truc, c'est que Lola aimait bien la jouer solo, et qu'on lui demanda d'y aller avec Léo, qu'elle connaissait autant que le vendeur de fruits à dix rues de chez elle : pas très bien.
Ils eurent le droit à un soleil infernal et à des passants qui n'avaient pas du tout envie d'aller à des ateliers de peinture. Lola regarda du coin de l'oeil l'altercation entre Léo et un passant, et eut envie de s'enterrer sous une couche fraîche de ciment : elle n'aimait pas beaucoup les conflits. Lorsqu'il se tourna vers elle, elle sentit que l'animosité allait passer de son côté, et elle eut soudain l'air d'un lapin un peu effrayé, retroussée dans son débardeur genre qui moi j'ai rien fait.
Mais Léo en voulait à la population ambiante. "Ginny nous a dit qu'elle voulait des clients de ce quartier", répondit Lola en haussant les épaules. Elle ne cherchait pas à comprendre les raisons de cette décision, quoi que certaines hypothèses lui venaient en tête : ici, les gens avaient de l'argent, pouvaient payer les ateliers, et pouvaient peut-être même être intéressés par des toiles des trois peintres. Les gens plus talentueux auxquels Léo faisaient référence avaient parfois plus de mal à subvenir à leurs besoins. L'histoire de l'art le prouvait bien assez.
Bien sûr, cela ne laissa plus qu'une cible possible : le sourire de Lola. "Je suis 178% plus aimable et approchable que toi. T'as clairement pas envie d'être ici, et les gens le sentent." Lola fit une grimace à Léo, car elle se défendait comme une enfant de trois ans et demi, et se tourna vers la rue, car le feu venait de laisser place aux piétons, et elle marchait vers eux, grand sourire et regard en coin vers Léo (tu vois que je sais sourire) en tendant les flyers. Une fille de quatre ans en prit un, mais sa mère le lui arracha des mains, "C'est sale", Lola ouvrit de grands yeux, "Mais non, pas du tout, ce sont des cours de peinture, vous pourriez venir en famille", ce qui eut pour seul effet de faire se carapater la mère et la fille. Lola leva les yeux au ciel.
Elle sortit de son sac à dos une bouteille d'eau, qu'elle tendit à Léo, puis deux casquettes Brisbane Lions. "Ecoute, on sera plus efficaces s'ils pensent qu'on a un point commun, c'est de la sociologie basique. Juste porte la casquette et si on croise des fans de football, ils prendront les flyers. Et peut-être qu'après quelques mois d'atelier avec Ginny, ils commenceront à peindre de vrais lions et passeront moins de temps devant leur télé, qui sait ? Tout est possible." Elle n'y croyait pas elle-même, mais elle espérait que si elle parlait suffisamment, Léo finirait par mettre la casquette juste pour qu'elle se taise : c'était une méthode en général assez efficace. Elle reprit la bouteille d'eau pour en boire un tiers. Assoiffée et épuisée, et ils venaient de commencer.
@Léo Ivywreath |
| | | | (#)Dim 22 Mar 2020 - 19:59 | |
| Pourquoi est-ce qu'on est là à essayer de tirer quoi que ce soit des gens qui n'en ont visiblement rien à foutre, de nos prospectus ? Je me déteste de ne pas avoir su dire non, d'avoir été seulement capable d'afficher un sourire et un "d'accord", aussi enjoué qu'un chiot content d'aller se promener. « Ginny nous a dit qu'elle voulait des clients de ce quartier. » Je soupire. Evidemment que Ginny veut des clients de ce quartier. « Ils ont quoi de spécial ? Ils sont reptiliens ? », que je marmonne pour moi-même. Non, ils sont surtout assis sur des tas d'or, probablement. Ou alors Ginny a un radar à talent qui pointe directement sur ce périmètre, qui abrite le prochain Picasso.
Et il n'y a qu'une seule responsable de notre malheur : la pauvre Lola, que j'accuse un peu injustement, certes. C'est la faute du soleil. Il m'agace. Tout m'agace : cette odeur d'asphalte chaud, les types qui nous font des doigts d'honneur et qui jettent nos prospectus dans les poubelles, le fait que j'ai oublié de nous prendre de la citronnade... Tout. « Je suis 178% plus aimable et approchable que toi. T'as clairement pas envie d'être ici, et les gens le sentent. » « Oh arrête. » Je n'ai pas d'arguments, parce qu'elle a raison. J'ai probablement la même tête que Grumpy Cat - paix à son âme. A la grimace de la jeune femme, je réponds par un tirage de langue du même ton. D'ici dix minutes, on se battra à coups de grimaces et de piques d'enfants. C'est toujours mieux que de se mettre sur la gueule, parce que cette option là nous préserve au moins des bleus et des brûlures causées par une chute sur le béton brûlant. Une poignée de secondes plus tard, c'est une gamine qui vient attraper des mains de Lola notre précieux bien. Ça ne sert à rien de leur donner, aux gosses, ils ne pigent rien à l'art. Tout ce pour quoi ils sont doués, c'est de faire des bonhommes bâtons, ainsi que des portraits moches de papa et maman qui resteront sur le frigo ad vitam æternam. La mère vient, de toute façon, retirer le papier des mains de son précieux ramassis de cellules baveux - oui, j'adore les enfants. « Mais non, pas du tout, ce sont des cours de peinture, vous pourriez venir en famille. » Mais la gamine et sa génitrice se tirent, sans répondre. « Connasses. », que je grogne entre mes dents.
On vient à peine de se lancer à l'assaut des ignares de Brisbane que déjà, nous mourrons de soif et de fatigue. Alors que Lola me définit son plan d'attaque, je m'éponge le front de l'avant-bras. J'attrape la casquette qu'elle me tend à contre cœur. « Ouais mais les gens vont croire qu'on distribue des prospectus pour ces nazes. » Nooon, je ne déteste pas les sportifs. Ça me ferait trop de monde à haïr. Au tour de Lola de se désaltérer. « Je crois que la technique, c'est de faire des trucs de fou. Genre écrire des poèmes qui... vantent les mérites de l'atelier. Ou alors, je fais le mort et toi tu t'occupes de demander de l'aide. Quand ils se sont approchés, tu leur glisse des prospectus dans les poches. » Ça, ça c'est une idée de génie. J'enfonce la casquette sur ma tête, tente de mettre de l'ordre dans les mèches rebellent qui parviennent encore à me tomber sur le front. « Ou alors on leur promet des cookies. Tu sais cuisiner ? Parce que moi, pas plus tard que hier j'ai failli faire flamber mon appart' en ouvrant le robinet. » Oui, j'en suis au stade ou nier l'évidence ne sert plus à rien : je cuisine comme un pied et je suis dangereux pour ma propre intégrité physique.
Il nous faut repartir, de toute façon. Je tente de distribuer mes prospectus en lâchant quelques blagues aux références artistiques... que personne ne comprend vraiment. Et je ne dirais pas que c'est parce qu'elle sont mauvaises. Les gens manquent seulement de culture, voilà tout. « Alors, ça fait quoi comme effet d'être la chouchoute de Ginny et de Auden ? », que je raille en donnant un prospectus à une veille dame. On se croirait dans un mauvais teen movie. |
| | | | (#)Lun 23 Mar 2020 - 19:44 | |
| Léo n'était d'aucune aide. Non, franchement, les prospectus partiraient bien plus vite s'il n'était pas là. Lola se retint de soupirer lorsqu'il demanda si les habitants étaient reptiliens. Il y mettait à peu près autant du sien qu'un requin végétarien qui dévore un banc de poissons. "Tu sais que c'est une théorie complotiste hyper répandue ?" Oh non, Léo l'avait lancée sur un sujet qu'elle avait vue dans une émission sans intérêt, et il allait tellement, tellement le regretter. "Il y a des milliers de gens qui croient que les hommes politiques sont des reptiliens qui veulent contrôler la planète. Honnêtement, je ne vois pas l'intérêt de contrôler la planète, reptilien ou pas reptilien. Sauf éventuellement pour déplacer les êtres humains dans une autre galaxie et laisser les animaux et les plantes tranquilles." Oui, bon, il allait la détester, mais ça ne changerait pas grand-chose.
Lola ne fut même pas étonnée lorsqu'il insulta, à voix basse au moins, la mère et la fille, mais elle eut quand même un petit sourire, car là, ils faisaient front commun. Pas pour longtemps, certes, mais quand même. En revanche, elle fut surprise au-delà du possible lorsqu'il mit la casquette. Ah, d'accord, ils allaient créer des plans foireux ensemble. Elle eut soudain l'espoir insensé que peut-être ils allaient parvenir à s'amuser, avant de se rappeler que le but n'était pas la diversion, mais la distribution de prospectus. Right.
"Ginny sera votre professeur, elle est belle et sent la fleur ?" proposa-t-elle en guise de poème, et ce n'était pas du tout pour montrer à quel point l'idée était ridicule (or was it?). En revanche, le plan du mort lui parut fabuleuse, et elle se mit à bondir légèrement - mais arrêta, parce qu'il faisait trop chaud pour ces bêtises. "Okay, on fait ça. Ca ne te dérange pas de t'allonger par terre ? Baisse la casquette un peu sur ton visage, comme ça personne verra si tu bouges un peu les yeux. Tu savais que quand on rêve nos yeux bougent sous nos paupières ? C'est pour ça que je dis ça." Elle ne se tairait jamais, voilà. Aux cookies et au robinet déclencheur d'incendies, Lola pouffa de rire, puis fit remarquer : "Mais on n'a pas besoin de les cuisiner, on doit juste leur dire qu'il y en aura, ils viennent et après Ginny gère la partie prise d'otages. Ca le fait, en vrai." C'est qu'il était plein de bonnes idées, au fond.
"Okay, à mon tour ! Idée numéro un : on se cache, et on bondit sur les gens, pour leur faire croire qu'on va les racketter, et quand ils ont super peur, on leur cale le prospectus dans les mains, comme ça ils sont trop soulagés, et ils décident de venir par gratitude." Et dire qu'elle avait fait des études de psychologie. "Idée numéro deux : tu bouscules les gens super fort, parce que de toute façon tu ne les aimes pas, et après je viens vérifier qu'ils vont bien, je t'insulte et tout, et puis je raconte ma vie en mode je distribue des prospectus, et comme ils m'aiment bien à ce stade-là, je leur en donne un." Bizarre comme toutes ses idées incluaient de la violence. "Idée numéro trois : on fait comme dans les films où les deux personnages s'embrassent et ça résout tous les problèmes magiquement. Bon, c'est surtout quand la police arrive ou des méchants, et qu'il faut être incognito, comme dans Inception, mais en vrai, dans Inception, ça n'a pas marché, donc ce n'est peut-être pas top comme plan." Possibilité que Léo assassine Lola : 82%.
En attendant de choisir quel était le meilleur plan de tous, ils continuaient à tendre les prospectus, et Léo disait n'importe quoi aux passants, et Lola se contentait de leur sourire. Elle se retourna pour lui dire qu'elle avait enfin réussi à en donner un, lorsqu'il la prit de court en l'appelant la chouchoute de Ginny et Auden. Lola rougit immédiatement. L'idée lui faisait tellement plaisir. "Tu penses vraiment qu'ils m'aiment bien ? Je n'aurais jamais cru pouvoir travailler dans une galerie, et je suis tellement contente, et j'ai l'impression qu'Auden veut me crucifier douze fois par jour, donc j'ai hyper peur d'être virée, mais si tu penses qu'ils m'aiment bien, ça me rassure."
Lola regarda le paquet épais de prospectus qu'elle avait dans la main, "Bon, c'est l'heure des grands moyens", pencha sa casquette sur ses yeux, et s'allongea par terre. "Go pour le plan fake your death. Je répète : go pour le plan fake your death." La probabilité qu'il la laisse là à son misérable sort était très élevée, mais ça, Lola n'en avait pas tout à fait conscience, et puis elle était fatiguée, il faisait chaud, et être allongée était la meilleure option pour faire passer le temps, là, de suite.
@Léo Ivywreath |
| | | | (#)Dim 29 Mar 2020 - 18:18 | |
| « Tu sais que c'est une théorie complotiste hyper répandue ? » Oh, on y est. Je lève les yeux au ciel. Lola se met à me développer ses théories du complot et j'arrête un instant de marcher, alors qu'elle semble plongée dans une explications très - trop - sérieuse pour la simple petite pique que je viens d'envoyer à l'encontre de ce quartier qui m'emmerde proprement. « Et bah. Tu vois, je ne crois pas que tu sois faite pour faire de l'art. Non, t'es grave faite pour écrire des théories du complot. Ou pour être... Bibliothécaire. Ouais, bibliothécaire, dans un bâtiment hyper glauque rempli de mages, à ranger des livres chelous selon une nomenclature écrite en caractères satanistes. » Ou a présenter des dossiers sur les aliens. Je la fixe un instant avant de reprendre le pas. « Non, oublie. Je me suis fait peur avec mes histoires. » Ça arrive plus souvent que c'en a l'air.
Il nous faudrait une technique d'enfer pour attirer le peuple. Je ne compte pas me mettre à faire la roue en plein milieu de la route juste pour que les regards se tournent un peu plus sur nous, cependant. Je ne suis pas fou à ce point. « Ginny sera votre professeur, elle est belle et sent la fleur ? » « Chez Ginny pas d'entourloupe, allez venez les artistes, même qu'on distribue de la soupe et avec ça vous ne serez plus jamais... tristes. », que je chantonne joyeusement, pas très sûr de mon oeuvre. « On va s'en tenir à la peinture, en fait. » Mais je crois que mon autre idée accroche bien, en revanche. Elle me raconte un truc sur des yeux qui bougent et j'opine du chef, tout à fait convaincu. « Mon chat, quand il rêve, il bouge les pattes. » Je suis sûr qu'il rêve d'attraper des souris, même s'il n'a même jamais posé les pattes en dehors de mon appartement. « Mais on n'a pas besoin de les cuisiner, on doit juste leur dire qu'il y en aura, ils viennent et après Ginny gère la partie prise d'otages. Ça le fait, en vrai. » « Elle s'en voudra si on leur a proposé des cookies et qu'il n'y a pas vraiment de cookies. Après, ses ateliers vont se transformer en "petits tips de cuisine". » Ça ne me déplairait pas. J'assisterais au cours encore plus que je ne le fais déjà, quand je ne traîne pas dans les pattes de son compère Italien.
Les trois idées qui suivent incluent un peu trop la mise en danger de ma personne pour que je considère même de les étudier. Les paupières plissées, je dévisage ma partenaire en me demandant sérieusement d'où lui viennent tous ces plans farfelus. « Et bah. T'es sûre que tu veux pas être romancière ? "Idée numéro trois : on fait comme dans les films où les deux personnages s'embrassent et ça résout tous les problèmes magiquement." », que je répète après elle. « Tu veux m'embrasser pour voir si ça résout les problèmes magiquement ? » Et je raille, en tendant un prospectus à une dame qui ne sait visiblement pas lire un papier à l'endroit.
Elle rougit, Lola, quand je l'élève au rang de chouchoute des deux maîtres de ce qui semble être notre lieu commun favori. « Tu penses vraiment qu'ils m'aiment bien ? Je n'aurais jamais cru pouvoir travailler dans une galerie, et je suis tellement contente, et j'ai l'impression qu'Auden veut me crucifier douze fois par jour, donc j'ai hyper peur d'être virée, mais si tu penses qu'ils m'aiment bien, ça me rassure. » J'éclate de rire. « Auden veut crucifier tout le monde, t'en fais pas. S'il ne t'aimaient pas, ils ne te garderaient pas. »
« Bon, c'est l'heure des grands moyens. » « Le moment où on kidnappe des gens pour les obliger à nous suivre à l'atelier ? » « Go pour le plan fake your death. Je répète : go pour le plan fake your death. » Oh. On le fait vraiment, alors. « On va se faire frapper par les gens et arrêter par les flics. », que je souligne en rabattant la casquette sur l'avant de mon visage. « Je suis in. » Et je m'avance un peu, avant de tomber théâtralement au milieu du bitume, la casquette pile sur le nez pour cacher l'immense sourire qui me barre le visage. Déjà, j'entends quelqu'un courir dans ma direction. C'est peut-être Lola, qui va m'engueuler jusqu'à ce que je me relève, parce qu'elle n'aura pas cru que j'allais vraiment le faire. Et puis au pire, si on finit chez les flics, ça fera une histoire marrante à raconter. |
| | | | (#)Dim 29 Mar 2020 - 20:45 | |
| "Et bah. Tu vois, je ne crois pas que tu sois faite pour faire de l'art. Non, t'es grave faite pour écrire des théories du complot. Ou pour être... Bibliothécaire. Ouais, bibliothécaire, dans un bâtiment hyper glauque rempli de mages, à ranger des livres chelous selon une nomenclature écrite en caractères satanistes. Non, oublie. Je me suis fait peur avec mes histoires." Dommage que Léo ne veuille pas en parler plus longuement, parce que Lola était complètement emballée par cette histoire. Et commençait sérieusement à se demander si ça existait une bibliothèque comme ça : elle pourrait y trouver des ouvrages sacrés et secrets, où elle découvrirait la réponse de la poule et de l'oeuf, et par là même l'origine du Big Bang.
"Chez Ginny pas d'entourloupe, allez venez les artistes, même qu'on distribue de la soupe et avec ça vous ne serez plus jamais... tristes." Ah, c'était accablant. Lola ne put se retenir d'éclater de rire, et ça faisait écho dans la rue tellement le reste de ce quartier était morbidement silencieux. "On va s'en tenir à la peinture, en fait." La jeune femme acquiesça : ah oui, oui, complètement, entièrement. "Non, non, t'as une carrière qui s'ouvre là, une vocation, un prix Nobel de littérature, même." C'était si facile d'embêter Léo tant qu'il tenait un paquet de prospectus et qu'il ne pourrait pas partir avant de les avoir tous donnés. "Mon chat, quand il rêve, il bouge les pattes." Bon, en revanche, s'il disait des trucs adorables comme ça, ce serait plus compliqué. Il avait un chat ? Lola se fit une note mentale : il avait un chat.
"Elle s'en voudra si on leur a proposé des cookies et qu'il n'y a pas vraiment de cookies. Après, ses ateliers vont se transformer en "petits tips de cuisine"." Le regard des deux peintres se fit rêveur tandis qu'ils s'imaginaient l'atelier rempli de bonnes choses à manger. Mais Lola déchanta vite. "Oui, donc en fait, les jours où elle n'aurait pas le temps, ça tomberait sur son assistante." Elle fit une moue : non, non, personne ne voulait manger des cookies préparés par Lola, ce serait l'enfer absolu. "Après, je serais obligée d'aller en prison pour homicide involontaire, tout ça, l'enfer."
Et puis, voilà que Léo se moquait de ses idées, et Lola s'imaginait romancière. "Tu sais que je si vends des best-sellers, après je peux voyager dans le monde entier gratuitement ? Enfin, pas gratuitement, mais comme j'ai plein d'argent, c'est comme si c'était gratuit." Sa compréhension du monde des adultes et de l'argent était encore limité, malgré des années passées à gagner sa vie sans aide financière de ses parents. Bien sûr, la vanne fusa sur l'idée du baiser. Lola secoua la tête furieusement : "Ah non, c'est pas moi qui ai envie, rectifions ça sur le... sur le bloc-note de la personne, là, au tribunal, qui prend les notes. C'est pour les pros-pec-tus." Les prospectus pour les ateliers d'une galerie dont elle ne se ferait apparemment pas virer, à en croire Léo. Lola esquissa une petite danse de la victoire.
Tout cela deux minutes avant que Léo ne se retrouve allongé, casquette baissée sur les yeux, faisant le mort. Lola fut si ébahie et ravie qu'elle en oublia complètement de bouger. Un adolescent se propulsa vers Léo, et il avait tout l'air d'être suffisamment fortuné pour venir d'une famille qui l'encouragerait à peindre. Pour une raison complètement inconnue, Lola décida d'improviser et, tout en s'approchant de Léo, jeta les prospectus en l'air, dans une sorte de déluge de papier. Il y en avait partout, et elle s'exclama : "Oh non, est-ce que tu peux ramasser les prospectus ?" Elle parlait bien sûr à l'adolescent, qui la regarda, ahuri qu'elle ne s'inquiète pas plus du sort de Léo. "Ah non, mais parce que je connais les premiers soins, je m'occupe de lui pendant ce temps." Donc il allait falloir qu'elle invente des premiers soins, maintenant. Un couple retraité s'approchait. Une baby-sitter et les deux enfants qu'elle gardait aussi. C'était l'heure du spectacle.
Et tout ce à quoi Lola pensa fut, I kid you not, Pulp Fiction. Elle serra ses mains, dieu merci pas très puissantes, en poings, et frappa aussi faiblement que possible mais quand même assez pour que ce soit réaliste pour les autres, le coeur de Léo, tout en priant pour que personne dans l'audience ne soit un médecin. Elle attrapa ensuite son poignet pour prendre son pouls. "Il est vivant !" s'écria-t-elle, comme si c'était un miracle. "Est-ce que vous pourriez m'aider à ramasser les prospectus, s'il-vous-plaît ?" demanda-t-elle à l'attroupement, et ils s'exécutèrent. "Il reprend ses esprits", et elle donnait un coup de coude à Léo pour qu'il se redresse, et lui donna la bouteille d'eau, "Voilà, il va boire maintenant", pourquoi est-ce qu'elle commentait la scène ? Lorsque les autres gens se mirent à applaudir, visiblement soulagés, puis à s'approcher pour lui rendre les prospectus, elle eut un soupir digne d'une comédienne tragique. "Gardez-en quelques-uns, donnez-les à vos familles, vos amis, d'accord ? En souvenir de cette journée." Aucun sens. Aucun sens, Lola, tu te perds. Mais chacun repartit avec cinq prospectus en acquiesçant et en promettant que oui, oui, ils les partageraient.
Lola récupéra le reste du paquet. S'assit à côté de Léo sur le trottoir. "T'es complètement toqué, mon pauvre."
@Léo Ivywreath |
| | | | (#)Mar 31 Mar 2020 - 9:45 | |
| « Oui, donc en fait, les jours où elle n'aurait pas le temps, ça tomberait sur son assistante. » Ha ! Trop cool. Moi, je dis toujours oui à de la nourriture gratuite, d'autant plus si je n'en suis pas à l'origine. Surtout si je n'en suis pas à l'origine, en fait, vu comment je cuisine comme un pied. Y'a des maisons qui pourraient brûler si je touchais une poêle. « Moi ça me va. », que je raille, grand sourire aux lèvres. « Après, je serais obligée d'aller en prison pour homicide involontaire, tout ça, l'enfer. » Je hausse les épaules. « On accusera Auden. » Personne ne nous contredira.
« Tu sais que je si vends des best-sellers, après je peux voyager dans le monde entier gratuitement ? Enfin, pas gratuitement, mais comme j'ai plein d'argent, c'est comme si c'était gratuit. » « Oui, c'est pareil. », que j'admets. Elle commence à vraiment m'amuser, Lola. Peut-être qu'au final, je l'ai jugée un peu trop vite. Peut-être qu'au final, elle est vraiment plus cool que ce que j'ai pu penser auparavant. Même si elle lance des idées douteuses. « Ah non, c'est pas moi qui ai envie, rectifions ça sur le... sur le bloc-note de la personne, là, au tribunal, qui prend les notes. C'est pour les pros-pec-tus. » « Ouais, les prospectus, ouais. », que je laisse glisser, le sourire aux lèvres. C'est facile de l'embêter, Lola, autant qu'elle semble avoir trouver le bouton pour m'emmerder moi. On a trouvé un équilibre, peut-être. C'est pour le mieux. Cette distribution de prospectus n'en sera que plus facile et moins ennuyeuse.
Elle devient d'autant moins ennuyeuse, cette distribution sous le soleil de plomb, que je marche à fond pour le plan "je suis mort". Il va nous attirer des ennuis, ce plan là. Mais ma foi, ça sera toujours plus fun que de donner des papiers à des gens qui n'en veulent pas vraiment ou ne les méritent pas. Alors je m'allonge au sol, alors je souffle, alors je masque mon visage et tente de ne pas rigoler. C'est comme jouer aux voleurs et aux policiers, quand on était gosses, et qu'il fallait faire semblant d'avoir été mortellement touché. Sauf que là, des gens se massent vraiment autour de moi. Sauf que là, je suis à deux doigts d'éclater de rire et de me tordre dans tous les sens. Et voilà que Lola s'agite, qu'elle donne des ordres, qu'elle me prodigue les "premiers soins". Moi je joue toujours au parfait macchabée, les bras en croix et les yeux fermés. Et là, Lola frappe du poing. Elle souffle tout l'air de mes poumons et je me mets à tousser, tente de me redresser de façon vigoureuse, le regard injecté de sang et la respiration coupée. Je m'époumone, la gratifiant d'un regard noir alors qu'elle s'attire les honneurs. Celui là, je le retiens, Lola. La voilà qui tape mes côtes et je retiens de repousser sa main. C'est pour le show. Tout doucement, je reprends un peu ma respiration, entre deux quintes de toux. Les gens ramassent les prospectus, alors qu'elle me tend à boire et je m'exécute, sous son œil avisé. Une dame s'inquiète, visiblement, elle ne ramasse pas autant de papiers que les autres. « Oui oui, ça ira, ne vous en faites pas. C'est juste un problème de cryptage de mon cerveau, je m'évanouis sans prévenir. Ça m'arrive souvent. » La dame, suspicieuse, s'éloigne malgré tout. « Gardez-en quelques-uns, donnez-les à vos familles, vos amis, d'accord ? En souvenir de cette journée. » C'est du génie. C'est du génie et je les observe tous s'éloigner un à un. Toujours assis par terre, je détaille Lola du regard, la bouche entrouverte, sans piper mot.
« T'es complètement toqué, mon pauvre. » « Mais ! C'est toi ! J'étais pas prévenu, tu m'as fait peur. » Ok, j'étais peut-être une drama queen de premier ordre. Ok, le coup n'était pas très fort. Mais la scène en valait la peine. Je continue de boire un peu d'eau. La casquette a repris un sens correct, sur ma tête. « C'était réaliste, non ? Ils ont tous pris des prospectus. Bravo. » Il nous en reste bien moins que tout à l'heure. « Bon. C'est quoi la prochaine étape ? Je menace de te pousser du haut d'un immeuble et tu lâches des papiers au passage ? » Une idée géniale, pour sûr. « Quand je vais raconter ça à Ginny elle va halluciner. » |
| | | | (#)Mer 1 Avr 2020 - 10:07 | |
| Jouer le mort marchait si bien. Les inconnus ramassaient des prospectus. Lola et Léo avaient moins de travail à faire, et Lola avait pu défouler sa frustration du soleil sur le buste de Léo. Une action réussie. "Oui oui, ça ira, ne vous en faites pas. C'est juste un problème de cryptage de mon cerveau, je m'évanouis sans prévenir. Ça m'arrive souvent." Lola fit une grimace pour les autres, genre : il est un peu spécial, vous comprenez, avant de se rappeler qu'elle n'était pas censée le connaître, dans cette mise en scène, et son visage se déforma donc en sourire compatissant. Ce n'était pas beau à voir, et elle se serait faite sortir de force d'un plateau de cinéma.
"T'es complètement toqué, mon pauvre." "Mais ! C'est toi ! J'étais pas prévenu, tu m'as fait peur." "Mais tu voulais que je dise quoi ? Attention monsieur évanoui, je vais vous taper, maintenant ?" Lola rit, comme si l'idée était complètement absurde, beaucoup plus que jouer le mort et pulpfictionner quelqu'un pour le ressusciter. "C'était réaliste, non ? Ils ont tous pris des prospectus. Bravo." "T'étais parfait. Moi, le réalisateur était pas très content, mais bon, j'ai fait de mon mieux." Elle secoua la tête, comme dépitée de son score misérable.
"Bon. C'est quoi la prochaine étape ? Je menace de te pousser du haut d'un immeuble et tu lâches des papiers au passage ?" Lola eut un sourire ravi : elle adorait les hauteurs, et voir la ville comme ça, les toits, les fenêtres, les passants. Si elle avait pu être n'importe quel superhéros, elle aurait choisi Spiderman juste pour ça. Iron Man pouvait voler, mais il fallait mettre tout le costume, et puis il parlait beaucoup (contrairement à elle, n'est-ce pas), donc bon. "Mais comment on fait pour monter sur un toit ?" Elle regardait déjà les bâtiments autour d'elle. Il faudrait le code d'entrée.
"Quand je vais raconter ça à Ginny elle va halluciner." "Ah non, non, croix de bois, croix de fer, tout ça. Sinon, elle va plus jamais me laisser distribuer des prospectus." Lola s'arrêta en pleine phrase. Wait a second. "Ah si, si, pardon, dis-lui tout, dans les moindres détails, en fait."
Lola se releva, et prise d'une détermination soudaine, elle marcha droit vers un immeuble dont une vieille dame ouvrait la porte, "Merci", et entra à sa suite, invitant Léo à la suivre. Il y avait environ six mille boites aux lettres à remplir. "Un prospectus par boite, on ne triche pas." Elle commençait tout juste à faufiler le premier, lorsque le gardien de l'immeuble fit irruption : "Eh ! Pas de publicité !" "Ce n'est pas de la publicité, monsieur, c'est de l'art." Le regard noir que lui jeta le gardien convainquit Lola de sortir de l'immeuble avec Léo.
"Opération cookies", déclama-t-elle en se tournant vers une malheureuse famille qui n'avait rien demandé : "BONJOUR NOUS FAISONS DES ATELIERS DE PEINTURE POUR TOUT AGE ET NOUS OFFRONS DES COOKIES GRATUITS POUR CEUX QUI VIENNENT POUR LA PREMIERE FOIS !" C'était trop fort, trop enthousiaste, trop terrifiant, mais heureusement l'enfant de huit ans sautillait et tirait la manche de ses parents, qui acceptèrent le prospectus avec un sourire. Bon, en revanche, s'il fallait crier sur tout le monde, Lola allait rapidement perdre la voix. "Okay, t'as gagné", dit-elle à Léo, "on va sur quel toit ?"
@Léo Ivywreath |
| | | | (#)Dim 10 Mai 2020 - 15:50 | |
| « T'étais parfait. Moi, le réalisateur était pas très content, mais bon, j'ai fait de mon mieux. » « Je sais, que j'étais parfait. », que je lance, sourire goguenard accroché aux lèvres. L'idée était stupidement stupide. L'idée était osée. L'idée était parfaite.
La prochaine étape, c'est d'en proposer une encore pire, qui nous fera peut-être arrêter. Mais on a qu'une seule vie, non ? Mes yeux se posent partout autour, sur les bâtiments qui sont à notre portée. Des bureaux ? Pas beaucoup. Nous ne sommes pas dans le quartier des affaires. Des restaurants, en revanche, sur les toits... voilà qui peut nous être utile.
« Ah non, non, croix de bois, croix de fer, tout ça. Sinon, elle va plus jamais me laisser distribuer des prospectus. » Ginny adorerait l'idée, voilà ce que j'en pense. Et puis, les gens détestent qu'on leur donne des prospectus - je déteste qu'on me file des prospectus. Si c'est fun, c'est forcément mieux reçu. Je m'apprête à relever ce détail, quand Lola me coupe de nouveau la parole. « Ah si, si, pardon, dis-lui tout, dans les moindres détails, en fait. » Je lâche un rire. « Arrête, t'adores distribuer des prospectus. » Ô joie immense, de passer son temps à donner des prospectus à des gens qui n'en ont rien à foutre alors que nous pourrions être tranquillement à l'atelier à boire tout le thé fait par Ginny.
Lola jette son dévolu sur un immeuble résidentiel. Malheureusement, nous ne sommes pas les bienvenus. Et même si je gagne la compétition de prospectus distribués - si si, je la gagne, il n'y a pas de débat - il nous faut quitter l'endroit. Visiblement, les artistes ne doivent pas traîner dans les environs. Nous sommes des indésirables, dans ce hall d'immeuble. Et à l'extérieur aussi, visiblement. Enfin, personne ne semble vouloir des cookies de Lola. C'était pourtant une chouette intention. Je lance un petit sourire à l'enfant et ses parents qui attrapent le prospectus. « Okay, t'as gagné on va sur quel toit ? » « Viens. J'ai une idée. »
Cinq minutes plus tard, nous nous retrouvons dans l'ascenseur d'un immeuble qui propose, sur le toit, un bar-terrasse. L'immeuble n'est pas très élevé, l'endroit pas trop classe. Ils n'appelleront pas les flics pour deux jeunes qui balancent des prospectus... enfin, je l'espère. « La mission, c'est de distribuer des prospectus sans se faire chopper et puis quand quelqu'un se rendra compte de la supercherie, on balance tout par dessus le garde-fou. » Ils n'iront pas emmerder Ginny pour si peu. C'est juste un moyen cool de faire de la pub. Lola et moi pourrions monter une boîte de com'. « Et on se barre en courant, bien sûr. J'espère que tu cours vite. » L'ascenseur s'ouvre et nous voilà parés à distribuer nos petits papiers, l'air de rien. Malheureusement, nous sommes très vite repérés, et un regard à Lola plus tard, je fais pleuvoir du haut de l'immeuble tous nos prospectus.
« COURS ! »
A moi, en tout cas, il ne m'en faudra pas plus pour attraper la main de Lola, malgré les cris offusqués du barman et les rires de l'assemblée. Le sourire accroché aux lèvres, je la presse de descendre les escaliers à ma suite. Derrière nous, j'entends qu'on dévale les marches. « Bouge bouge bouge bouge bouge- » Une autre salve de bouge plus tard, nous déboulons dans la rue très passante. Ils ne nous retrouvons jamais. « Le dernier arrivé s'occupera de gérer les flics s'ils appellent à l'atelier pour venir nous chercher des noises ! » |
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