Elle a dû prendre rendez-vous Jill. Ce rendez-vous est important, il est obligatoire. Mais elle est terrifiée. Elle a peur mais elle n'est pas seule. Il y a Bailey bien évidemment, il n'aurait loupé ce moment pour rien au monde. Et il y a Ginny aussi. Jill a hésité avant de lui en parler, mais c'était important pour elle qu'elle le sache, qu'elle soit au courant que la première échographie était là et qu'elle pouvait venir si elle le voulait. Mais Jill s'inquiète pour elle, elle sait très bien qu'elle n'est pas remise de la perte de son bébé, et elle a peur que tout ça réveille quelque chose que Ginny s'obstine à enterrer et à cacher depuis des semaines. Ça fait partie de toutes les choses qui l'angoissent pour cette journée. Il y a Ginny, il y a le rendez-vous en général. Jill déteste les médecins, absolument tous les médecins. Mais elle veut savoir si son bébé va bien, ou si, à cause d'elle, il est en mauvaise santé. Il se passe beaucoup de choses dans sa tête, il y a beaucoup d'inquiétudes, de questions, mais elle garde tout pour elle.

Elle arrive devant le cabinet médical et elle souffle assez fort. Le stresse sûrement. Elle glisse sa main dans celle de Bailey avant de le regarder. Elle doit avoir l'air terrorisé. Elle envoie un texto à Ginny qui devait venir seule, peut-être qu'elle ne viendra pas finalement, qu'elle aura changé d'avis parce que tout était trop compliqué à gérer. Elle ne sait pas Jill, elle est totalement incapable de prévoir ce que Ginny va bien pouvoir faire, exactement comme elle ne peut pas savoir ce qui se passe dans sa tête depuis des semaines. « ça va aller hein ? » Réponds oui Bai, s'il te plait réponds oui. L'air devient rare alors qu'ils sont encore à l'extérieur. Elle a très très envie de faire demi tour et sa main serre un peu plus celle de son mari. « On attend Ginny, elle m'a dit qu'elle allait venir. » ça aussi il le sait, elle se répète Jill, mais elle a juste besoin de parler. Besoin d'être occupé et de ne pas penser à tout ce qui pourrait aller mal pendant ce rendez-vous.

Elle est beaucoup trop silencieuse Jill.

Ce n’est pas habituel. C’est déstabilisant.

Elle se perd dans son monde depuis qu’elle est levée. Tout se passe dans son regard. Elle est inquiète, elle est véritablement stressée. Ce rendez-vous est déterminant pour elle. Je sais qu’elle pense à sa crise, à sa prise de drogue alors qu’elle était déjà enceinte. Je sais qu’elle a déjà envisagé les pires de scénarios. Et elle se pense encore incapable d’être une bonne mère. Pourtant, elle est là, la définition d’une bonne mère. Elle ne s’inquiète pas pour elle, mais pour son enfant. Pour sa sœur aussi, mais ça, jamais elle n’osera l’avouer. Je la laisse faire à son rythme. On a déjeuné en silence. Elle s’est préparée lentement, elle a pris tout son temps pour attacher ses cheveux, elle a déjà tortillé son alliance mille fois autour de son doigt, mais je ne dis rien. Elle a besoin d’espace. Je suis là, mais en silence. C’est inhabituel pour nous et pourtant cela fonctionne sans embûche. Je suis juste derrière elle. Prêt à la rattraper au moindre déséquilibre tout en la laissant pleinement être une future mère.

Une fois devant le cabinet médical, je comprends qu’elle ne tient plus. Elle se répète pour la cinquième fois de la journée. Je ne relève pas. Je hoche la tête. J’attrape son poignet entre mes doigts pour l’attirer lentement à moi. Je passe mes bras autour de ses épaules. Moi qui ai toujours détester les contacts physiques, je sais que c’est quelque chose qui fonctionne pour calmer Jill. Les mots sont obsolètes dans ce genre de situation. Elle a besoin d’une présence physique. Alors, je la prends dans mes bras et viens embrasser sa tempe. « Tout ira bien. » Quoiqu’il arrive. Je te le promets.

Et bien sûr qu’elle veut attendre sa sœur. Elles se sont rapproché dans la douleur les sœurs McGrath. Il y a eu un truc. Comme ça, sans prévenir. Je ne vais pas m’en plaindre, alors que j’attends cela depuis dix ans. J’apprends à apprécier. Je les laisse avancer à leur rythme sans interférer. Elle a besoin que sa petite sœur soit là, alors on entrera dans ce cabinet uniquement lorsqu’elle sera là. « J’ai hâte de voir bébé. » C’est vrai. Pour une fois, je laisse les émotions au placard. Je me sens calme, presque serein. Je me sens prêt. J’ai envie de l’être. C’est l’étape d’une vie, quelque chose que j’attendais sans jamais avoir osé l’exprimer. Je veux que tout se passe bien. La tempête ne gagnera pas. Plus jamais. Alors, je pose mon menton sur le haut du crâne de Jill comme pour lui transmettre un peu de calme. Elle en a besoin.

« J'ai des cafés. » ils sont déjà là, bien sûr qu'ils sont déjà là. Pourtant je voulais vraiment arriver avant eux, je voulais les accueillir, limite être déjà de mèche avec l'infirmière qui allait les prendre en charge pour me donner l'impression d'être utile, au moins un peu plus que maintenant.

Quand le plateau de carton contenant les gobelets tangue vers le sol un nombre incalculable de fois, mais qu'aucune de mes mèches rebelles me barrant la vue ne suffisent à distraire mon regard, à dégager mes prunelles d'eux. « Du sucré. » le sac de papier kraft que je tends vers Bailey, les collations qu'il a appris à aimer en vivant de force pendant des années avec l'accro au sucre que je suis lui ayant au moins servi à développer un palais digne de ce nom. « Et du salé. » ça, c'est pour elle. Le sac qui se lève à la hauteur des yeux de Jill, ma soeur qui semble terrorisée. J'aurais tout donné pour voir autre chose que de la peur et de l'angoisse dans son regard, toutes les forces que j'ai, tout ce que j'ai au final. Mais j'ai que des chips, assez pour la nourrir de maintenant jusqu'à la fin du monde. Disons que ce sera relativement suffisant.

La salle d'attente en devient une de torture quand on voit des patients filer d'un sens comme de l'autre sans que jamais le nom de mon aînée ne soit appelé. Entre temps, j'ai forcé ma main contre la sienne et mes doigts entre les siens, m'assurant d'un coup d'oeil vers Bailey qu'il allait bien. Son calme me surprend mais me rassure, il a toujours su faire office de roc pour nous peu importe la situation, mais je valide tout de même, je tiens ses prunelles le temps qu'il faut. Tout ira bien.

« Noah est à la salle de bain, il veut pas que je vous dise mais il a fait un dégât dégeulasse sur son pantalon alors ce serait bien qu'on s'accorde pour dire n'importe quoi d'autre quand il arrivera et pas regarder la tache qu'il réussira jamais à faire partir. » mon boulot aujourd'hui, c'est de rassurer les troupes, c'est d'alléger l'ambiance, c'est de rendre le tout le plus doux, le plus simple et le plus facile possible pour tout le monde. Évidemment que Noah viendrait donc, évidemment qu'il serait impliqué et évidemment qu'il se chargerait de m'assister dans cette mission.

Doucement, je m'hisse à l'oreille de Jill, lui chuchote autant pour la réconforter que pour lui confirmer ce que je sais déjà depuis la journée où elle m'a annoncé croire qu'elle attendait un bébé. « T'es prête, tu vas être incroyable, tout va bien aller. »

Tout ira bien.
Tout ira bien.
Tout ira bien.
Les mots qu'elle se répète pour se rassurer dans sa tête. Elle a rarement eu aussi peur Jill. Elle attrape la main de Bailey, elle la serre fort. Elle a besoin de lui, elle a besoin qu'il soit là, plus fort qu'elle, sinon elle ne tiendra pas le coup. Elle sait comment ça va se passer, elle a lu des tonnes de trucs sur internet après avoir pris son rendez-vous. Il passe ses bras autour de Jill, il le sait que ça la calme, elle se cale sur son rythme cardiaque, sur son rythme de respiration. Le temps est soit trop long, soit trop rapide, elle n'arrive pas à se décider. Mais ils attendent que Ginny arrive, parce que Jill en a besoin. Elle a besoin qu'elle soit là, et elle lui a promis qu'elle l'attendrait.
Voir le bébé.
Ils vont voir le bébé.
Bébé qui devient de plus en plus réel. Le ventre s'arrondit, les humeurs et les caprices de femmes enceintes ne sont pas des légendes urbaines, « J'espère juste qu'il va bien aller. » Elle radote, elle est en boucle, mais c'est la seule chose qui lui importe là. Elle a fait beaucoup de conneries alors qu'il grandissait déjà dans son ventre. Elle ne sait pas si elle pourrait survivre en sachant qu'elle a détruit une partie de ce petit être qui grandit avec ses conneries.

Elle entend Ginny qui arrive, et elle soupire de soulagement de nouveau. Tout le monde est là. Elle est entourée Jill, et elle a un peu moins peur. Elle a ramené tout ce dont ils avaient besoin, des cafés et de la nourriture. Jill se jetterait presque sur le sac que lui tend Ginny en attrapant un café avant que sa petite sœur ne finisse par les renverser. « Merci » T'es parfaite Ginny. Mais ça, elle lui dit avec les yeux, parce que c'est un peu trop pour Jill quand même. Elle ouvre un des paquets de chips que lui a ramené sa sœur. Elle a faim. Et qui ça étonne ? Ça fait un mois qu'elle mange à longueur de journée.

Et ils entrent, il fallait bien qu'ils attendent un peu. Jill a enlacé ses doigts à ceux de Bailey d'un côté et la main de Ginny s'est glissée sur sa main libre. Elle le sait Ginny que Jill est terrorisée, ils le savent tous les deux. Elle écoute sa sœur quand elle parle de Noah, et Jill pouffe de rire en se détendant quelques secondes. « Tu sais que je vais voir que ça maintenant ? » Noah aussi est là, et Jill sourit un peu. Matt n'est toujours pas au courant, et elle en est un peu triste à cet instant. Elle va devoir lui parler, ils vont devoir discuter de tout ça et elle le sait très bien Jill. Les émotions sont trop fortes, elle pourrait se mettre à pleure là, à cause du stresse, de Matt, et des mots de Bailey et Ginny. Des larmes d'angoisse, de joie, de tristesse. Ça fait trop pour une seule personne, mais elle tient le coup Jill. « Tout va bien aller. » Mais il lui faudra encore du temps pour penser qu'elle va être à la hauteur de ce qui l'attend.

« McGrath Fitzgerald ? » Jill tourne la tête vers Bailey. Elle se lève et respire un grand coup. « Là, on doit attendre quelqu'un qui est avec nous. » C'est non négociable, le médecin ne peut rien dire, alors ils vont juste attendre que Noah sorte enfin des toilettes. « Mais vous êtes combien ? » Jill lance un regard noir au médecin. « On est 4, et je rentre dans ce cabinet avec tout le monde ou j'y rentre pas. » Respire Jill, il faudrait pas qu'elle s'engueule avec le médecin avant même le premier rendez-vous.

« J'ai des cafés. » Elle arrive telle une sauveuse. Caféiné et portant assez de snacks pour nous permettre de se détendre un peu. Du sucré pour moi. Du salé pour Jill. Elle arrive avec sa positivité, avec son sourire Gin. J’attrape au vol ses gobelets qui menace de s’écrouler. « Merci Gin. » D’avoir pensé à ce genre de détail, mais surtout d’être venu. C’est tout ce qui compte à l’instant précis. Je ne sais pas réellement ce qui a bien pu se passer entre les sœurs, mais je sais que Jill avait besoin de la présence de sa petite sœur. C’était important. Maintenant qu’elle est là, tout ira bien. Je ne cesse de vouloir m’en convaincre depuis plusieurs jours.

On se dirige vers la salle d’attente alors que Ginny nous apprend être venue avec Noah. Il veut s’impliquer le bonhomme et cela me touche bien plus que de raison. Une nouvelle fois, je croise le regard de la McGrath pour la remercier en silence. Après cela, plus rien ne compte à part Jill. Son stress monte à mesure de ses inspirations. Je serre sa main dans la mienne tandis que mon pouce bat la mesure au hasard sur sa peau. Tout pour la distraire. Tout pour lui rappeler que je suis là. On a jamais été très tactile tous les deux. On en a jamais vraiment eu le droit. Pourtant, au fur et à mesure, alors que l’on bravait les interdictions, j’ai réalisé que c’est quelque chose qui calmait ma femme. Si habituellement elle m’aurait repoussé en riant ou en me tirant la langue, aujourd’hui elle se blotti dans le moindre de mes gestes. Alors, je passe un bras autour de ses épaules pour l’attirer un peu plus contre moi. Tout ira bien qu’elle répète. « Tout ira bien. » que je réponds en chœur. Il faut que tout aille bien. Aucun de nous ne pourrait supporter l’inverse.

Tout s’accélère lorsque le médecin viens nous chercher. Noah n’est pas là. Le médecin est surpris de notre nombre. Jill s’emporte. Je lance un regard désolé au médecin, le suppliant, nous accorder une minute. En douceur, je viens me planter devant Jill pour que son regard se concentre sur le mien. « On y va tous les quatre. » C’était la condition, je le sais. Pourtant, il y a le reste. Ce qui lui fait probablement le plus peur. « Il va te poser des questions. C’est pour ton bien. Pour savoir comment va bébé aussi. » Personne ne t’enfermera. Plus jamais. C’est tout ce que je cherche à lui faire comprendre dans cet instant volé. « Si tu veux lui parler sans qu’on soit là, tu le dis. Personne ne t’en voudra. » Je sais que Jill veut aborder sa maladie avec le médecin. On en a longuement parlé tous les deux. Je ne sais pas si elle osera le faire avec Noah, alors je lui laisse le choix. Toujours. Et comme s’il avait compris que c’était le moment, Noah arrive en courant, une tâche d’eau énorme sur son pantalon, mais un sourire encore plus grand. Il vient de suite passer ses petits bras autour de sa tante. « On va voir ton bébé tata ! » Et c’est lui qui glisse sa main dans celle de la brunette pour l’emmener dans le cabinet du médecin. Et moi, il me faudra une seconde pour la suivre. Des jours que j’imagine ce moment. Je sais pas vraiment si je suis prêt, mais je ne reculerai pas. Il me fallait juste une seconde avant de lui emboîter le pas.

« Tu sais que je vais voir que ça maintenant ? » « C'est fait exprès, je suis une mère horrible, on le sait tous. » et je pouffe de rire, le café qui fait déjà effet, les mots qui pincent sans que je ne montre quoi que ce soit. Je montre rien de toute façon, ni maintenant ni jamais, au point où lorsque j'affirme le tout le sourire aux lèvres, c'est sur eux deux qu'ils reportent leur attention, et sur les sacs de sucré et de salé. Ils sont beaux, les futurs parents. Ils sont beaux et ils s'aiment et ils seront forts et solides. Ils survivront à tout, eux.

« McGrath Fitzgerald ? » Noah se fait attendre et je pique un morceau de la brioche de Bailey, sur laquelle j'ajoute des chips volées dans le paquet de ma soeur sans que ni l'un ni l'autre ne le remarque. « Là, on doit attendre quelqu'un qui est avec nous. » « Mais vous êtes combien ? » « On est 4, et je rentre dans ce cabinet avec tout le monde ou j'y rentre pas. » « On y va tous les quatre. » leur bulle est infranchissable et ça me va, ça me va parfaitement. Je me confondrai avec le mur si c'est ce que je dois faire, je parlerai pendant des heures sans m'arrêter si c'est ce dont ils ont besoin la minute d'après. Je suis là pour eux, exclusivement pour eux, je me suis oubliée à la porte et c'est pour le mieux, je jure. « On va voir ton bébé tata ! » la tête brune qui arrive comme une vrille et qui sprint dans les jambes de Jill, ça, c'est mon héritier. C'est la terreur sur deux pattes que j'aime le plus au monde et qui trotte derrière eux quand on nous ouvre enfin la porte de la salle où, tout est exactement, parfaitement à la même place que la dernière fois. Quand on était là, pour moi.

« Comment tout se passe jusqu'à maintenant? Nausées, fatigue? »

Je laisse Bailey se poser près de mon aînée, m'installe sur une chaise en bordure du mur le temps de ramener mes jambes en tailleur, de tirer sur le t-shirt de Noah pour qu'il reste dans mon périmètre et ne se mette pas à jouer avec tous les instruments, tous les livres à portée. Il deviendra peut-être médecin le garnement, peut-être qu'il voudra sauver des vies un jour, il serait incroyable pour le faire, il serait tellement doué. Il a sauvé la mienne.

« Elle mange son poids en chips, mais des fois elle partage c'est pas si pire. » oh, coco. Il me fait rire à déblatérer, il veut aider, c'est tout à son honneur. « Noah, on parle pas des secrets de Jill comme ça. » que je rigole à son oreille, ébouriffant ses cheveux aussi en bataille que les miens, embrassant sa tempe avant de le laisser dériver parce que de le retenir à mes côtés ne sert strictement à rien.

« Allongez-vous, qu'on passe à l'examen avant de valider que tout va bien avec le coeur. » le retenir à mes côtés ne sert strictement à rien. Concentre-toi sur Noah, Ginny. Concentre-toi sur lui, concentre-toi que sur lui, et pas sur le moniteur, et pas sur les questions, et pas sur la scène, et sur rien d'autre. Lui.

Pour ne pas penser à elle.

Elle tient la main de Bailey, elle essaie de respirer à son rythme. Et elle veut vérifier que Ginny va bien alors qu'ils sont tous dans la salle d'attente. Il la rassure Bailey, il est fort pour elle et c'est exactement ce qui lui faut. Elle ne compte pas vraiment lâcher sa main de tout le rendez-vous. Si elle le lâche elle s'écroule, si Ginny s'en va elle s'écroule. Elle est forte parce qu'ils sont là, mais sans eux, elle n'aurait jamais osé prendre ce rendez-vous et passer cette grande porte. Le nom de famille de Jill est appelé, et Noah n'est pas encore revenu. Et elle a décidé de l'attendre, donc ils vont tous l'attendre avant d'entrer dans cette salle lugubre. Bailey se place devant elle, elle sait qu'il veut juste la calmer, qu'il veut lui aussi que tout se passe bien alors elle serre les dents Jill. Elle hoche la tête et elle le laisse parler si il le faut pour le moment. « On en parlera à la fin. » Tout le monde est là pour entendre le cœur, pour le voir bouger sur l'écran et Jill n'a pas vraiment envie d'attendre plus longtemps non plus. Une petite tête brune s'écrase sur ses jambes et un petit sourire revient sur le visage de Jill. La main de Bailey est remplacée par celle de Noah, qui est bien moins grande mais qui a un côté rassurant qui l'aide à respirer un peu mieux. « On y va Noah »

«Les nausées au début oui, des vertiges de temps en temps, et je dors beaucoup. » Elle réfléchit même si elle a déjà fait la liste des choses qui ont changé depuis qu'elle est enceinte en boucle depuis qu'elle a pris ce rendez-vous. « Des traitements en cours ? » Jill regarde Bailey une seconde. « On pourra en discuter à la fin du rendez-vous ? » Elle ne veut pas que Noah entende tout ça. Et Noah qui la fait pouffer de rire avec sa remarque. Le médecin hoche la tête et ne rajoute rien pour l'instant. « Noah tu me balances ! » Elle sourit en essayant d'avoir une mine faussement choquée. « J'ai tout le temps faim mais ça je suppose que c'est normal. » Ginny était comme ça aussi pendant ses grossesses. Et le regard de Jill cherche celui de Gin alors qu'elle donne toute son attention à Noah.

Elle suit les indications du médecin. Elle s'allonge sur la table et Bailey est à côté d'elle, Noah est placé à côté, attentif aux moindres détails. Peut-être qu'il deviendra médecin allez savoir. Le médecin l'ausculte, il palpe son ventre, écoute son cœur, prend sa tension. « Pas de douleurs particulières ? » Elle hoche la tête à la négative. « On va pouvoir écouter le cœur. » Mais le médecin a l'air pensif après avoir posé son stéthoscope sur le ventre de la McGrath. Il pose l'appareil sur le ventre de Jill. Et le bruit se fait entendre. Mais Jill fronce les sourcils, ça paraît bien plus rapide, il y a bien plus de battements que quand elle a écouté le cœur du bébé de sa sœur. « Vous avez des jumeaux dans votre famille ? » Jill ne comprend pas tout de suite pourquoi il demande ça. « Oui du côté de mon père. » Bailey est du côté du médecin et elle serre sa main. « Vous attendez des jumeaux madame »
Des jumeaux.
Deux.
Ils sont deux.

« Y'en a deux dans ton ventre ? » Noah qui est là, et Jill qui panique. Sa respiration se coupe, elle cherche Bailey des yeux. Est ce qu'il va tenir lui ? Est ce qu'il va bien ? Et Ginny, où elle est ? Jill tourne rapidement la tête vers sa sœur. Ginny, comment je vais faire, ils sont deux, aide moi. Elle ne parle pas avec les mots, seulement avec les yeux. Elle tend sa main, et c'est égoïste parce qu'elle sait que sa sœur ne doit pas se sentir bien non plus. « On va devoir passer à l'échographie, ça va aller ? » ça va aller ? Jill est en train d'essayer d'assimiler l'information et elle se perd. Elle espère que Ginny viendra prendre sa main libre, que Bailey ne va pas s'effondrer, et que Noah continue de poser des questions au médecin. Des questions qu'elle n'entend même pas mais qui l'occupe. « Je... Oui ça va aller. » Comment elle a articuler ces mots elle n'en a aucune idée, mais elle l'a fait. Et ils vont les voir maintenant. Les bébés.
Parce qu'ils en attendent deux.

Notre histoire, c’est la théorie des dominos, mais à l’envers. Au lieu de se faire tomber, on s’aide à se relever.

Alors on fait face au médecin, tous les quatre. Ce sera ensemble ou rien. À quatre dans le cabinet, c’est normal. Elle fonctionne comme cela notre famille.

Les nausées en début de journée, juste après le petit-déjeuner, juste à l’odeur du café. Les vertiges depuis quelques jours, en fin de journée, quand on a couru dans tous les sens. Les deux siestes quotidiennes sur le canapé. Je coche les cases au fur et à mesure que Jill fait la liste de ses symptômes. Bien sûr que j’ai remarqué, bien sûr que j’ai fait une liste mentale. Je suis déjà allé vérifier mille fois que tout cela était normal pour une femme enceinte. Les envies de saler, les larmes aux yeux devant ce documentaire animalier, ce besoin de proximité quand on est seul à la maison. Ils sont là les changements, dans les petites choses du quotidien. Le médecin prend des notes, hoche la tête. Pose quelques questions supplémentaires. On parlera de son traitement à la fin du rendez-vous. Elle veut faire l’échographie maintenant. Je le sais. Parce que Ginny ne tiendra pas éternellement avec ce sourire de façade. Parce qu’on a besoin qu’elle soit là tout autant qu’on a envie de lui dire de rentrer chez elle. Et pourtant, je sais que lorsqu’elle rentrera chez elle, elle saura trouver une épaule sur laquelle se reposer. Je sais que quelqu’un l’attend. On fera bloc autour d’elle lorsque le temps viendra, qu’elle en est conscience ou non. Plus tard, je lui dirais merci d’avoir tout surmonter pour sa sœur.


Jill s’installe sur la table d’examen. Ma main retrouve immédiatement la sienne. Ma respiration se cale sur la sienne. Le moment que j’ai imaginé depuis des jours est enfin arrivé. Je ne lâche pas le médecin du regard. Il prend l’examen avec sérieux, on le voit dans ses gestes, dans son approche. Il écoute avec attention. Puis une grimace mélange entre étonnement et un je ne sais quoi. Et ce bruit qui soudainement empli la pièce. Un cœur qui bat. Qui bat vite et fort. Ma main qui enserre celle de Jill alors que je me sens submerger par les émotions. Le médecin qui vérifie, qui pose une question et qui annonce. « Vous attendez des jumeaux madame. »

Des jumeaux.
Un, deux.
Ils sont deux.

Soudainement, mon regard vacille entre Jill, Noah et Ginny. Surtout entre les deux sœurs. L’espace d’un court instant, je m’attends à les voir exploser de rire l’une comme l’autre. Je veux croire à la blague tendue par les sœurs McGrath, mais rien. Jill est submergée par l’émotion. Ginny s'est éteinte alors qu’elle rejoint sa sœur malgré tout. Elles n’en reviennent pas. Et j’oublie les questions que pose le médecin, j’en oublie la sonde qu’il pose sur le ventre de ma femme. « Vous… Vous pouvez répéter ? » Le médecin me regarde un brin amuser. « Vous allez avoir des jumeaux monsieur. » Et comme pour confirmer ses dires, comme pour m’aider à réaliser, il tourne l’écran de son moniteur vers moi et me montre avec son doigt. Un. Puis deux.

La respiration qui se bloque un instant alors que la tornade des émotions se réveille. Je ne sais plus si je suis heureux, inquiet, impatient ou juste terrifié. Je sais plus vraiment et ma réaction n’en est que le résultat parfait. C’est incontrôlable. Je me mets à rire. Un vrai rire de joie mélangé à des larmes que je ne saurais plus vraiment interpréter. Tout le monde me regarde alors que je me marre comme jamais. « Pardon… » Et dans la précipitation, je viens embrasser Jill pour lui assurer que tout va bien que ce sont juste les émotions d’un futur papa un peu trop extatique. « C’est pas une blague pop’s hein. » Et mon rire redouble de force alors que je croise le regard si sérieux de Noah. « Je sais bonhomme. » Je me calme un peu alors que le médecin continue son examen. Il arrête son moniteur, regarde plusieurs choses et je commence à comprendre. Ils sont deux. Vraiment deux. On va avoir des jumeaux. Mon regard croise celui de Jill qui semble si perdue et je serre sa main avec force. Et je finis par demander à sa place. « Ils vont bien ? » C’est tout ce qui nous importe. Elle a besoin de savoir, je le sais. Après ce qu’à vécu Ginny, elle a besoin qu’on la rassure. « Tout le monde est en pleine forme. Ils sont dans la bonne courbe, les battements sont forts et constants. » Il remet l’image sur les deux petits êtres qui grandissent dans le ventre de Jill. « On voit deux placentas bien distincts, là regardez. » Il nous montre, mais déjà mon regard c’est de nouveau perdu sur Jill. J’oublie tout ce qui nous entoure et me penche vers pour venir coller mes lèvres contre son oreille. « Tout le monde va bien. » Et je viens embrasser sa joue. Tout le monde va bien.

C'est un capharnaüm de paroles et elle arrête complètement de respirer à un moment Ginny. Elle arrête et elle se concentre sur ses pieds. Elle les regarde, elle les scrute, elle y voit les taches de peinture qui y sont depuis des années, sur ses Converse barbouillées. Elle a l'impression d'être de retour à ses 15 ans la gamine, quand elle ne connaissait rien de la vie et quand ça lui allait parfaitement. Elle écoute d'une oreille distraite le médecin, elle voit la silhouette de Noah qui vogue et divague, celle stoïque de Bailey dans l'angle. Les seuls instants où elle sort de sa tête sont ceux où Jill prend la parole, où elle entend la voix de sa soeur, seule et unique raison pour laquelle elle reste scotchée à sa chaise, ses paumes tremblantes coincées sous ses cuisses. Tout va bien qu'ils disent tous, tout va bien quand elle lève la tête et voit la main tendue de sa soeur vers elle, tout va bien quand il n'y a pas qu'un coeur qui bat, mais deux.

Ils sont deux et elle expire en silence.

Son corps désarticulé se lève d'un geste un seul et elle avance vite, elle avance et réduit si rapidement la distance entre elles qu'on n'a même pas l'impression qu'à un seul instant ses doigts n'étaient pas enlacés à ceux de son aînée. Elle adapte sa respiration maintenant, elle calme tout ce qu'elle peut, ses prunelles vissées à celles de Jill et le sourire le plus douloureux mais le plus rassurant qu'elle a en banque qui maquille son visage.

« Tout le monde est en pleine forme. Ils sont dans la bonne courbe, les battements sont forts et constants. » ils sont forts, ils sont constants, ils lui percent les tympans à Ginny, mais elle reste droite et forte, son pouce qui doucement caresse le revers de la paume de Jill.
« On voit deux placentas bien distincts, là regardez. » regardez qu'il dit, et elle ignore la brune, elle ne regarde que leurs doigts enlacés, elle ne regarde que le profil de Noah émerveillé, elle regarde tout, absolument tout, sauf ça.
« Tout le monde va bien. » non, non, non, absolument pas, et elle se déteste, elle se répugne, elle s'horripile de penser ça.

« Je t'aime. » ses lèvres se posent sur le front de sa soeur, elle lui murmure tout son amour, tout son courage, toutes ses forces à l'oreille. Elle les retient ses larmes, elle retient tout, absolument tout à l'intérieur, quand elle se dégage, arborant au visage le masque le plus faux, le plus usé qu'elle a en banque. « Tu t'en vas? » la voix cristalline de Noah souligne le mouvement de recul qu'elle a Ginny, après avoir sourit une dernière fois à Jill, et à Bailey. « Juste deux minutes, essaie de pas voler de stéthoscopes d'ici là. » il pouffe de rire, le regard malicieux, et elle, elle s'excuse en silence. Et elle file.

Elle a besoin d'air, elle craque, elle va craquer, elle se l'autoriserait jamais, jamais ici, jamais comme ça.

Les toilettes feront, quand elle ouvre tous les robinets, quand elle choisit la cabine du fond, celle qui est en retrait.

Le plus gros défi avant de les rejoindre dans deux minutes sera de camoufler ses yeux rougis et bouffis. Mais au fil des années, elle en a l'habitude.

Deux.
Deux bébés.
Jill ne sait pas quoi faire, elle ne sait pas où regarder ni quoi penser. Elle attend deux bébés, ils vont en avoir 2. D'un coup. Elle respire mal, elle respire peu, et elle regarde Noah une seconde qui a les yeux fixés sur l'écran. Ses yeux qu'elle n'ose pas lever. Ça va devenir réel, bien trop vrai. Elle va voir que ses deux bébés sont bien présent, leur cœur bat et ça, malgré tout, ça la rassure. Bailey a du mal à avaler la nouvelle, il demande au médecin de répéter. Et elle tend l'oreille de nouveau et il le répète le docteur. Il répète qu'il y a deux petits êtres qui grandissent dans son ventre depuis bientôt 4 mois.

Il rit Bailey, et Jill le regarde sans vraiment trop comprendre. Elle ne trouve pas ça drôle mais chacun prend la nouvelle comme il le veut. « ça va ? » Elle ne veut pas que ses émotions prennent le dessus, qu'il fasse une crise d'angoisse juste ici. Elle ne saura pas le gérer, elle n'en aurait pas la force. Mais il a l'air heureux Bailey, perturbé et terrifié aussi, mais Jill essaie de voir que la joie. Noah qui est presque la personne la plus impliquée dans ce rendez-vous. Jill souris calmement même si sa tête tourne, les questions arrivent les unes après les autres. Qu'elle sait encore moins si elle va pouvoir gérer tout ça, si elle va pouvoir s'occuper correctement de deux enfants alors qu'elle avait déjà peur d'en avoir un seul. Et Bailey, est ce qu'il va bien ? Ginny glisse sa main dans celle de Jill. Elle a le regarde vide, fuyant sa petite sœur. « C'est pas une blague... » Non c'est pas une blague, Noah a raison. Mais le rire de Bailey serait presque communicatif. Mais si Jill se met à rire elle risque de pleurer en même temps et ne plus être capable de parler de quoi que ce soit. Mais la question la plus importante reste là, est ce qu'ils sont en bonne santé ? Un long soupir de soulagement s'échappe des lèvres de Jill quand elle entend qu'ils vont bien. Que tout le monde va bien. Elle les regarde enfin Jill, et elle serre la main de Bailey quand il se penche vers elle. Les lèvres de Jill dévient sur celle de Bailey. « Regarde les tu voulais les voir. » Elle lui sourit.

Et Jill tourne la tête vers Ginny, Ginny qui va mal et elle le sait depuis qu'elle est allée s'allonger dans son lit en pleine nuit, en larme. Elle s'éloigne, et Jill ne peut rien faire, parce qu'elle ne capte pas le regard de Ginny. Elle fuit, elle a besoin d'air et elle ne peut que la comprendre. « Elle va revenir, continue de poser toutes tes questions au docteur. » Parce que ça a l'air d'amuser le petit garçon. « Vous avez fait votre prise de sang ? » Jill secoue la tête. « Non j'ai pas eu le temps. » Et le médecin s'éloigne pour aller chercher ce qu'il faut. « J'espère que y'aura une fille et un garçon. » Noah qui brise toujours le silence pour les faire sourire. Même si Ginny occupe une grande partie de l'esprit de Jill. Et Jill sait qu'elle a besoin d'espace, mais ça la tue de ne pouvoir rien faire parce que sa sœur ne veut pas montrer qu'elle est brisée de l'intérieur. Alors elle attendra, elle attendra le temps qu'il faudra, et elle sera là au moment où Ginny le demandera. « On saura ça au prochain rendez-vous. Si t'es sage on t'emmènera encore ! » Jill attrape la main de Noah et pose un bisou sur son front. Ne poses pas de question sur Ginny Noah, et continue de nous faire sourire, comme tu le fais tout le temps.  

Je ne saurais expliquer pourquoi je me suis mis à rire de cette manière. Les nerfs qui lâchent après tant d’attente, l’effet de surprise. « Oui ça va. » que je lui réponds à Jill alors qu’elle s’inquiète de ma réaction. Ça va Jill. Je suis heureux. Je crois.

Avant, la crise d’angoisse se serait déjà déclarée. Avant, je serais déjà parti dans ma bulle et les deux sœurs McGrath et Noah n’aurait pas été de trop pour me ramener à l’instant présent. Mais ça c’était avant la prise de conscience, avant les longues discussions et les mises au point. Elle est toujours belle et bien présente l’angoisse, elle n’est jamais bien loin, toujours en sommeil dans un coin. Elle se réveille, elle s’agite à l’annonce du médecin. Deux bébés. C’est la porte ouverte à un million de questions, à une estime de soi qui frôle les bas-fonds. Pourtant, je prends sur moi. Je ne laisse rien transparaître parce que Jill a besoin de moi, parce que Ginny est sur le point de s’effondrer. Et je m’en veux de laisser mon amie de côté, je m’en veux de prétendre ne pas voir sa détresse. Tu ne peux pas sauver tout le monde Bailey. Non je ne peux pas même si j'aimerai avoir la force de pouvoir le faire. Je la vois se confondre avec le mur Ginny, je la vois se faire si petite pour qu'on l'oublie. Je croise son regard un demi seconde, le temps nécessaire pour lui dire que je serais là après. Mais maintenant, à cet instant précis, je dois être là pour Jill. On va avoir des jumeaux et je sens son stress monté en flèche. Ce n'est pas bon pour elle, ce n'es pas pour eux. Je paniquerai après. Pour le moment, je pose les bonnes questions au médecin, je me penche vers Jill en souriant. Je tente tout pour la rassurer elle. Juste elle.

On se rassure avec l'image de nos jumeaux sur le petit moniteur. On se rassure avec Noah qui nous affirme que c'est pas une blague tout en souriant comme un malade. On se rassure en oubliant que Ginny se brise à petit feu dans son coin. « Regarde-les tu voulais les voir. » Elle embrasse mes lèvres et nos regards se dirigent en même temps vers l'écran alors que le médecin nous explique quelques petites choses. Ils sont là. Si petits, si fragile. Et je me perds à les contempler. Et ça me prends d'un coup, cette vague d'amour pour eux. Je suis terrorisé pour la suite, mais une chose est sûre je les aime plus que jamais. Tout devient si réel.

Ginny qui s'échappe me ramène à cette réalité. Par réflexe, je retiens Noah par le bas de son tee-shirt alors que Jill le rassure déjà avec des mots. Laisse là s'échapper mon grand, elle en a besoin ta maman. Laisse là s'échapper elle a besoin de tout déverser. On sera là après, on sera là à la minute où elle décide de revenir. Noah se concentre de nouveau sur le médecin qui décide de faire une prise de sang à Jill. Je reste là en spectateur à regarder l'image figée sur l'écran. « Pop's ferme les yeux. » Je relève la tête pour croiser le regard de Noah qui me scrute. Je n'avais pas vu le médecin revenir, je n'avais pas vu l'aiguille. Il me connaît Noah, il sait que je déteste ça pour m'avoir vu tourner la tête pendant des années alors qu'il était à l'hôpital. Je détourne le regard, c'est pas le moment de tourner de l'œil. Jill serre ma main quand tout est terminé et je lui souris. « Ça va ? »

Le médecin nous invite à revenir s'asseoir à son bureau au moment même où la tête de Ginny apparaît dans l'encadrement de la porte. Je laisse Noah aider sa tante a enlevé le gel sur son ventre et me dirige vers la cadette. Je ne dis rien. Les mots seraient bien futiles face à la situation. Je me contente de venir poser ma main sur sa joue, une fraction de seconde avant de déposer mes lèvres sur son front. « Merci. » Merci pour Jill. Merci pour tout. « Je t'aime. » dans un murmure à peine audible. Tu es forte. Tu vas t'en sortir. Rien n'est de ta faute. L'instant n'aura duré qu'une minute avant que je me tourne de nouveau vers Noah et Jill. « Noah tu vas dans le couloir avec maman. J'ai laissé ma brioche sur mon siège. » Déjà il est parti vérifier le gosse. Un nouveau regard échanger avec Ginny pour lui faire comprendre qu'on va les rejoindre très vite et je reprends ma place auprès de Jill.

« Vous vouliez me parler de quelque chose ? » Je crois que le médecin a senti que quelque chose nous travaille depuis le début, mais je laisse la porte à Jill. C’est son combat avant d’être le mien. Je me contente de glisser ma main dans la sienne une nouvelle fois. Contact permanent qui lui rappelle que je suis là.

Elle a trouvé la force de revenir. Elle a trouvé la force de poser sa main sur la poignée et d'entrer la tête dans l'entrebâillement de la porte. Elle finira par aller les rejoindre entre la question 45 et la question 459275673 de Noah.

Ça devient de plus en plus facile de se cacher avec les années, comme ça devient de plus en plus douloureux. Elle ne tremble presque plus, ou du moins, on ne le verra pas tant ses doigts sont enfouies dans les poches de son hoodie taché de la peinture de la veille. La veille quand elle se tenait encore bien plus droite que maintenant, la veille quand elle n'a pas dormi de la nuit. Elle appréhendait l'aujourd'hui - elle avait eu raison de le faire.

Sa main se love instinctivement et dans une impulsion qu'elle ne s'explique plus sur son ventre lorsque Bailey erre de son front à son oreille. « Merci. Je t'aime. » les restes de thé au gingembre volés à la cafétéria sur le retour n'y font rien, elle a toujours l'estomac serré, le corps en miettes. Mais elle tient son regard, elle gratte tout ce qu'il lui dit en silence maintenant qu'il a compris qu'elle n'était pas prête à en parler, ou du moins, à se l'entendre dire. Elle cherche les bons mots Ginny, elle cherche la perfection alors que ça n'en vaut pas la peine. Elle le comprendra enfin, plus tard.

« Noah tu vas dans le couloir avec maman. J'ai laissé ma brioche sur mon siège. » « TROP bien. » elle souffle, se laisse attraper par la main d'un gamin surexcité qui la tire dans son sillage, glissant à l'intention de sa soeur et de son mari (le sien d'un autre vie, aussi) un « Félicitations. » qu'elle veut aussi doux, aussi empli d'espoir que possible. Ils seront parents et ils le seront parfaitement.

Elle reste un temps. Elle reste jusqu'à ce que la porte de la salle d'examen s'entrouvre et que Noah les joues pleines de miettes de brioche collées sur sa peau puisse aller rejoindre les hostilités à nouveau. Elle, elle attend sagement, elle profite des dernières minutes de solitude qu'elle a pour se faire croire que tout ira bien quand non, rien du tout ne va. Son congé, elle le prendra une poignée de secondes après avoir croisé le regard de Jill, et de Bailey une dernière fois.

Bailey va bien, il est juste un peu sous le choc et Jill souffle de soulagement. Elle n'aurait pas eu la force de gérer sa sœur, une crise de Bailey et cette annonce. Parce qu'elle vient d'apprendre qu'elle allait avoir deux bébés, certes ils vont bien, mais ils sont deux. Son regard est assez paniqué pour que Ginny décide d'attraper sa main libre. Qu'elle fasse l'effort de se lever et de les rejoindre. Jill serre sa main, elle veut juste se rassurer, et la rassurer elle aussi. Et elle sourit à Bailey quand il rejoint rapidement ses lèvres, et leurs têtes se tournent vers l'écran. Jill observe, elle réfléchit, elle panique aussi, elle ne sait pas vraiment ce qu'elle est censée ressentir.

Ginny part, et Jill s'en veut de ne rien pouvoir faire. Alors elle cherche à occuper Noah, et le médecin arrive avec une aiguille. Elle a besoin de faire une prise de sang, mais elle sait que Bailey n'aime pas ça. Et Noah aussi apparemment. Jill sourit en entendant le petit garçon, il ferait vraiment un bon médecin. « ça va, t'inquiètes pas c'est rien du tout. » Elle aurait pu répondre qu'elle avait l'habitude des piqûres mais c'est peut-être pas le bon moment pour dire des choses comme ça alors elle se tait et elle enlace un peu plus ses doigts autour de ceux de Bailey.

Et Jill sait que c'est le moment, elle va devoir parler de sa maladie avec le médecin et Noah et Ginny s'éclipsent. Jill les regarde. Et elle les voit les yeux rouges de sa sœur, le vide dans ses yeux, elle voit que chacune des parties d'elle est brisée. Mais elle ne peut rien faire, et elle ne pourra rien faire tant que Ginny n'aura pas décidé d'en parler. Tant qu'elle aura pas décidé d'exploser pour tout ce qui ne va pas. Alors elle la regarde, pas besoin de mots, pas besoin de se rapprocher, un simple merci, je t'aime, qu'elles échangent par le regard. Ce félicitation qui sonne pas comme ça devrait, qui sonne plutôt comme un « occupez vous de vos bébés, je gère. » Mais elle le sait qu'elle ne gère rien, elle va avoir besoin d'elle, et Jill l'a prévu. Elles partent ce week-end, et elles partiront le temps qu'il faudra pour aller mieux.

« Oui, je crois que je vais devoir reprendre un traitement. » Autant commencer directement et ne pas tourner autour du pot. Les dents de Jill se serrent, parce qu'elle déteste ça. « Je suis schizophrène. » Les mots sortent difficilement, elle ne le dit jamais à voix haute. Et sa main n'a pas lâché celle de son mari. « Vous preniez pas de traitement ? » Jill soupire bruyamment, mais elle reste calme. Ce n'est pas seulement pour elle qu'elle doit le faire. « Non, tous les traitements qu'on m'a déjà prescrit étaient affreux » ça l'endort et elle ne ressent plus rien. Et elle déteste ça, elle déteste tout ce dont elle est en train de parler. « Je vais vous faire une prescription, je vais devoir travailler avec un psychiatre. On doit savoir ce dont vous avez besoin, et ce qui est bon pour les bébés. » Il se veut rassurant le médecin, mais qui dit psychiatre dit séance et ses yeux se plantent dans ceux de Bailey. C'est pas pour elle qu'elle doit le faire, mais pour lui, pour ses bébés et pour cette famille qu'ils vont construire. « On doit en trouver un ou vous travaillez déjà avec certains ? » Le médecin fouille dans ses papiers. « On peut prendre un rendez-vous maintenant pour faire un débrief avec vous deux si ça vous va ? » Elle hoche la tête Jill, elle sait que Bailey la suivra. « Et on va devoir programmer plus de rendez-vous que pour une grossesse normale, vous avez des jumeaux madame, et il va falloir les surveiller plus régulièrement. Et compte tenu de votre maladie il faudra que vous suiviez des rendez-vous avec le psychiatre régulièrement aussi. » ça ne va certainement pas plaire à Jill, mais elle devra faire avec. « Le prochain rendez-vous est pour quand ? » Le médecin lui donne une date qu'elle note, elle ne le loupera pas, elle n'a plus le droit d'en faire qu'à sa tête. «Ne faites pas d'efforts trop intenses, et ne la laissez pas trop souvent seule pour éviter un quelconque risque de crise. » La crise, ce qui lui fait le plus peur. Et le médecin s'adresse à Bailey pendant que Jill serre un peu plus sa main si c'est possible.   

« Je suis schizophrène. » Ces quelques mots que je n’ai jamais entendu glisser entre ses lèvres. Sa main qui serre la mienne bien trop fort. Mon cœur qui bat un peu trop vite quand le médecin arbore un air surpris. Je suis terrorisé par ce qu’il va dire. J’ai peur qu’il n’utilise pas le bon ton, qu’il la pousse dans ses retranchements. Il parle de traitement et je sens Jill se tendre à mes côtés. Elle déteste ça. Elle n’en a jamais voulu. J’ai essayé pourtant. « Je vais vous faire une prescription, je vais devoir travailler avec un psychiatre. On doit savoir ce dont vous avez besoin, et ce qui est bon pour les bébés. » Il a prononcé le mot qu’il ne fallait pas. Psychiatre. Elle cherche mon regard Jill. « Ça va aller. » Je ne te laisserais pas. Je serais toujours là. Je déteste l’idée de séance avec un psy tout autant qu’elle. Encore plus lorsque le médecin sous-entend que l’on devra s’y rendre à deux. L’hypersensible et la schizophrène. On jugera notre couple, on jugera notre famille. Je le sais. « Et on va devoir programmer plus de rendez-vous que pour une grossesse normale, vous avez des jumeaux madame, et il va falloir les surveiller plus régulièrement. Et compte tenu de votre maladie, il faudra que vous suiviez des rendez-vous avec le psychiatre régulièrement aussi. » Je me raccroche à la conversation. Je hoche la tête. « On fera tout ce qu’il faut. » Parce qu’on en a longuement parlé tous les deux. Parce que l’on veut de cette famille. On ne lâchera rien. Quoiqu’il arrive. Je laisse Jill prendre le rendez-vous. Le médecin lui tend un fin dossier où se cache les photos de l’échographie, une ordonnance et le papier pour son rendez-vous. Un dossier si fin qui ne va cesser de s’épaissir au fur et à mesure que le ventre de Jill va s’arrondir. On était prêt à partir. On était prête à respirer correctement de nouveau quand le médecin m’interpelle. « Ne la laissez pas trop souvent seule pour éviter un quelconque risque de crise. » Et c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. « Faites votre job. » Et je ferais le mien. Je suis son mari. Je connais ses crises, je connais les signes. Je n’ai pas besoin qu’un médecin vient se mêler de tout cela.

On se retrouve tous les quatre dans le couloir. Ginny n’a qu’une envie : fuir. On la laisse partir sans rien dire. On attend le moment où elle nous dira. On n’insiste pas. Noah repart avec nous, il restera avec nous jusqu’au week-end. Et sa présence change tout. Dans la voiture, il fait déjà des estimations sur le sexe des bébés. Il parle, il parle, il parle. Et j’oublie que sa mère est en mille morceaux. Et j’oublie le psychiatre. Et je tente de me concentrer sur l’instant.