« On va avoir un bébé. »

Et j’y ai cru, vraiment. J’y ai cru probablement trop fort et trop vite, j’ai imaginé des signes et des indices parce que c’était ce que je voulais voir, désespérément. J’ai dressé un portrait d’une annonce qui n’aura jamais lieu parce qu’elle est déjà perdue dans un espace spatio temporel où, après l’avoir inventée, on l’aurait vécue, vraiment. On l’aurait vécue en équipe, on l’aurait vécue à deux, on aurait été incroyables et on aurait été invincibles, on le savait déjà avant même d’avoir essayé.

J’y ai cru parce que la boucle aurait été bouclée. J’y ai cru parce que même bousculée, j’en serais venue à me confirmer que j’étais prête, que c’était la bonne chose à faire, que c’était la suite logique, que le temps qu’on a mis à se retrouver était enfin, rapidement certes, évidemment rattrapé. J’aurais brûlé des étapes pour qu’on soit heureux, j’aurais grillé des cartouches pour qu’on soit à deux, puis à trois, puis à quatre, puis une famille, une vraie. Le portrait dessiné au fusain qui faisait sens dans ma tête, juste en noir et blanc, aucune couleur parce que trop pressé à ne vouloir qu’en voir une seule de couleur, sur le bâtonnet de plastique que je tiens encore entre mes doigts, muette, interdite, vidée.

Négatif.

La ligne est violette, la ligne est seule.
La ligne aurait dû être rose, la ligne aurait dû être double.

J’ai pas osé croiser son regard encore, même que je doute qu’il cherche le mien. Mais lorsque je redresse le menton et finis par attraper ses iris dans la glace qui nous fait face, le rebord du bain où on est était installés me donne l’impression d’être tantôt dangereusement brûlant, maintenant cruellement glacé. Ma silhouette se relève et mes pas sont désorganisés, la seule et unique variable qu’il me reste est mon manque suffoquant d’air. Et j’ouvre la fenêtre, et j’inspire, et je lui fais dos, et je suis lâche, si lâche, tellement lâche que je m’horrifie.

« Merci. » qu’il avait dit, hier, alors que tout était beau, alors que tout était doux, alors que je reprenais mon souffle à nouveau.
« Je suis désolée. » que je lui dis maintenant, alors que tout est instable, alors que tout tangue, alors que ma respiration se bloque au creux de ma gorge.

Elle n’a pas le regard d’une future mère qui a annoncé que tout était okay et qu’elle aussi voulait un enfant. Elle a tout sauf ce regard là, et même si ses yeux ne trouvent pas les miens je le sais quand même. Ce devait être un test de routine, juste pour être sûrs, juste pour avoir une preuve matérielle de ce qu’elle pouvait ressentir au fond d’elle. On n’en avait pas réellement besoin, de toute façon, quand la seule preuve de sa grossesse aurait pu reposer en ses mots et que je l’aurais quand même crue. Ça aurait pu et ça aurait dû nous suffire, parce que j’aurais préféré ne jamais avoir à de nouveau faire face à toute sa fragilité alors que ce n’est en rien de sa faute. Même pour ça on est deux, même pour ça on est ensemble.

Quand ses yeux trouvent les miens, j’ai à mon tour l’impression d’avoir perdu un enfant qui n’a même jamais existé. La peine que j’y lis est en tout cas équivalente, quand je voudrais faire un pas vers elle pour la prendre dans mes bras mais que mes muscles s’atrophient soudainement et que cela devient impossible. Elle a besoin d’air et je ne ferai que l’étouffer, je ne ferai que lui rappeler que même si on est deux ça ne nous empêche pas d’échouer ensemble de temps à autres, dans l’ombre du reste du monde.

« Je suis désolée. » Je n’ai pourtant pas le droit de la laisser seule, sa voix brisée n’est qu’une raison de plus pour me lever à mon tour et suivre le même chemin qu’elle. Je la ramène à moi, lui fait faire demi tour sur elle même pour ne pas qu’elle puisse perdre son regard ailleurs que dans le mien, chaleureux et rassurant au possible. « Tu peux être désolée quand tu poses tes mains gelées dans mon dos la nuit. » Mes doigts lui prennent le test des siens et viennent le poser hors de son champ de vision. « Tu peux être désolée quand t’essayes de cuisiner et que t’oublies les pâtes dans l’eau. » Ses mains sont enrobées par une des miennes, lesquelles je dépose sur mon torse. « T’as aussi le droit d’être désolée quand Pizza préfère que ce soit toi qui lui donne ses friandises. » Mon index libre glisse de son cou à son menton pour le lui faire relever et enfin capter ses yeux, aussi tristes soient-ils. « J’ai même une liste infinie de trucs pour lesquels t’as le droit de t’en vouloir, parce que je suis un mari dévoué. » Ses yeux sont aussi tristes que mon sourire mais on fait au mieux, on apprend. « Mais t’as pas intérêt de t’en vouloir pour ça Ginny. Ce n’est pas de ta faute. »

Il est là le paradoxe, celui où j’ai besoin de respirer, celui où j’ai besoin d’emplir mes poumons d’air et de me laisser guider par une respiration fuyante, mais qui tente de toutes ses forces de reprendre son souffle.

Il est là parce qu’à la seconde où je l’entends se lever, où il s’approche, où il me ramène contre son torse et où ses bras se lovent autour de mes hanches, ma silhouette n’oppose aucune résistance que ce soit. Il pourrait m’étouffer que je resterais, je pourrais suffoquer que je ne bougerais pas d’un seul centimètre.

« Tu peux être désolée quand tu poses tes mains gelées dans mon dos la nuit. » le test disparaît de mes mains aussi vite, je ne réalise que maintenant à quel point mes doigts s’y accrochaient comme s’ils allaient arriver à changer le résultat d’une quelconque façon, d’un quelconque tour de magie ridicule qui n’arrive que dans les films, pas quand on l’espère autant qu’on s’en terrorise.

« Tu peux être désolée quand t’essayes de cuisiner et que t’oublies les pâtes dans l’eau. » mes paumes qu’il réchauffe de la sienne, il l’a vu que je tremblais, il l’a vu parce que je ne le lui cache pas, parce que je ne lui cache plus rien, parce que c’est fini de ravaler, parce que c’est terminé de nier.

« T’as aussi le droit d’être désolée quand Pizza préfère que ce soit toi qui lui donne ses friandises. » je lui aurais caché ce regard-là aussi, quand au final je laisse mon visage être guidé par ses gestes, je laisse mes prunelles se loger dans les siennes et tous les démons qui remontent, et toutes les craintes qui y passent.

« J’ai même une liste infinie de trucs pour lesquels t’as le droit de t’en vouloir, parce que je suis un mari dévoué. » un mari, le mien. On est une équipe pour ça comme on l’a toujours été. Et c’est ce qui compte au final, c’est ce qui compte parce que c’est ce qu’on s’est promis, et c’est cette promesse qui devient l’unique priorité maintenant. J’ai pas à vivre ça seule, j’ai pas à laisser les relents me secouer jusqu’à m’en casser chaque parcelle, chaque bribe d’espoir. Il est solide Auden, il est été un roc toute ma vie sans jamais rien demander de plus que de l’être. Il l’est encore aujourd’hui.  

« Mais t’as pas intérêt de t’en vouloir pour ça Ginny. Ce n’est pas de ta faute. » ses mots que j’aurais refusés, que j’aurais détestés, que je lui aurais reprochés des dizaines de fois, avant. Parce que c’est ma faute, ça, ça l’est vraiment. C’est ma faute de lui avoir fait miroiter l’espoir erroné sous les yeux, c’est ma faute de ne pas rien avoir validé avant de le lui en parler, c’est ma faute d’avoir fait toute une histoire d’une supposition qui aujourd’hui me brise autant le coeur que lui, qui aujourd’hui nous brise un peu plus.

Ses mots que j’accepte pourtant, qui font sens, que j’enregistre comme tant d’absolutions, comme s’il apportait le réconfort nécessaire que j’aurais dû avoir y’a si longtemps, comme s’il me pardonnait pour des tas de choses qu’il n’avait jamais même vécues, que je ne lui ai même jamais faites. Ses mots qui font l’effet d’un baume qui sort de nulle part mais dont je n’arrive plus à me passer, quand mes mains se dégagent des siennes pour remonter à sa nuque, pour rapprocher son visage du mien, pour que mes lèvres trouvent les siennes et viennent y voler toute la chaleur qu’il y cache. Il est inné ce baiser, il est nécessaire et il en devient vital quand mes expirations se perdent contre son visage, quand mes doigts s’égarent sous son t-shirt pour le lui retirer, quand chaque geste est empressé, dérivé strictement et uniquement à le sentir plus proche encore, à égoïstement sentir quelque chose, n'importe quoi. J’ai oublié comment ressentir Auden, y’a que toi qui me fait tout ressentir comme ça.  

Oh, Ginny.
Bien sûr que mes lèvres retrouvent les siennes, bien sûr que je laisse ses doigts courir tant sur ma nuque que sous mon tee-shirt pour le retirer promptement. Bien sûr que je fais un pas et un autre en sa direction quand ses pressions sur mon épiderme le demandent silencieusement et que je l’aime trop pour la rappeler à l’ordre et lui dire qu’on ne devrait pas, qu’on ne devrait vraiment pas. Comme si on se souciait réellement de ce qui est bien ou mal, comme si on avait un jour suivi une quelconque règle de conduite autre que celle dictée par notre coeur - même quand il dictait de sacré conneries.

Elle en a tant besoin que moi et il y a fort à parier qu’aucun de nous n’évoquera à nouveau le test de grossesse. Il fait parti de ce passé qu’on ne cherchera pas à remuer puisqu’à partir de maintenant on se l’est promis on ne fait qu’avancer, et ça commence dès maintenant alors que je n’ai pas un seul regard sur mon vêtement posé au sol. Le carrelage était encore trempé d’eau il y a quelques heures, mais ça aussi ça remonte à une autre vie alors que maintenant on ne se préoccupe que de nous et de chacune des réactions de nos corps. Mes mains glissent de ses hanches à ses cuisses pour la surélever légèrement et la poser sur la fenêtre, le temps pour moi d’avoir ses yeux à ma hauteur et tenter de lui faire comprendre une ultime fois à quel point tout va bien plus loin qu’on ne voudra jamais le croire. Les gestes sont répétés en miroir, mes doigts glissant à leur tour sous son t-shirt alors que mes lèvres s’étaient déjà de nouveau perdues sur sa nuque. Je prends toute la place qu’elle me laisse, je ne lui laisse aucune marge pour qu’elle puisse respirer seule quand même ça je le partage sans m’en rendre compte, mon torse collé au sien, mes doigts perdus tantôt sur son épiderme encré tantôt sur les parties ne l’étant pas encore.

Notre duo dérive vers la chambre, mes bras posés sous ses cuisses quand on ne sait plus qui étouffe désormais le plus l’autre. Peu importe, sûrement, maintenant que la chair de poule n’est plus causée par les courants d’air, maintenant que l’agencement de nos corps ne fait plus aucun sens, maintenant aussi que le monde semble à nos pieds lorsqu’il s’agit que de nous deux, dans notre intimité la plus complète. Je reste avec elle à chaque instant par tous les moyens mis à ma disposition et elle en fait de même avec moi, je le sais, maintenant plus que jamais. On ressent tout, tous les deux, ensemble.

Les pièces sont éclatées, les pièces sont en mille morceaux, les pièces sont éparpillées et chacun de nos baisers me donnent l’impression de les recoller. Ses doigts qui répondent aux miens sur son épiderme pansent mes blessures, ses paumes et sa chaleur qu’il glisse contre ma silhouette désarticulée guérissent mes fissures. Il y en a beaucoup, il y en a une infinité, il y a un univers entier à imaginer mais il a toutes les couleurs en main Auden, je les lui donne toutes. Mes lèvres se perdent sur son visage encore contrit des révélations qu’on chasse en se pressant un peu plus l’un contre l’autre, elles dérivent à sa mâchoire que je veux plus que tout détendre, elles s’égarent contre sa nuque, contre ses épaules qui portent maintenant le poids d’un monde qu’il fût un temps, je portais seule. Il a aussi mal que moi mais il ne s’occupe que de mon coeur, il a aussi mal que moi mais il se met en berne pour qu’au moins un de nous deux survive et ça suffit, c'est fini d'être chacun de son côté, c'est terminé quand je le ramène un peu plus près de moi, quand le rebord de la fenêtre s’imprime contre mes cuisses et que je lui souffle à l’oreille un je t’aime, et mille autres.

Mes doigts se perdent dans ses mèches, ils s’y logent quand ses pas tanguent vers la chambre et que mes jambes ne s’enserrent qu’un peu plus autour de sa taille. À la seconde où je croise son regard à nouveau, c’est un mélange de promesses qu’on se fait, ce sont des dizaines de mots qui ne sont pas articulés mais qui sont plus compris que quoi que ce soit d’autre. Ça ne peut pas toujours bien aller. Ça ne peut pas toujours aller mieux. Ça ne peut pas toujours être parfait et simple, ça ne peut pas toujours être facile mais ça peut toujours être nous, et c’est ce qui me rassure, et c’est ce qui est suffisant. Il bascule et je ne le lâche pas au point où il s’ancre aussi solidement à moi. Elles sont possessives mes lèvres qui reprennent les siennes alors qu’il inspire, que j’inspire avec lui. Elles sont amoureuses mes prunelles, quand elles s’accrochent aux siennes sans jamais s’en détacher, prête à y voir tous les démons qu’il me laissera connaître rien que pour pouvoir les chasser, les expier avec lui. L’inverse est toute aussi vraie.

Et ma peau brûle encore de son amour, mon souffle s’adapte le plus naturellement au sien quand nos silhouettes ancrées l’une à l’autre ont inévitablement fini par s’enrouler dans l’immensité de couvertures que le lit nous offre toujours. J’ai arrêté de compter les heures à un moment, les journées pareil, à la place, je compte ses expirations, tapotant son torse encore dénudé du bout des doigts. Dehors, le soleil a multiplié les allers et les retours vers l’horizon, dehors, on nous rappelle que la vie continue alors que la mienne s’est inévitablement mise en pause depuis quelques jours déjà. On a joué aux ermites à s'enfermer ici le plus volontairement du monde rien que pour reprendre le même rythme, qu’on soit tous les deux synchronisés contre tout le reste pour aussi longtemps qu’il nous le sera encore possible.  

« J’ai même pas fait mon sac encore. » je pouffe doucement contre son épaule, y cache mon nez qui se fronce de lui-même, avant de détourner les yeux vers le cadran illuminant la pièce sombrant lentement mais sûrement dans la pénombre d’une énième fin de journée qui nous a glissée entre les doigts. Jill est censée passer me chercher à la première heure demain matin, le séjour qu’on a prévu toutes les deux me semble encore si loin dans ma mémoire qu’autant je m’y suis accrochée. Mes affaires à ramasser qui sont toujours éparpillées dans une maison qui semble immense, maintenant que mon corps ne se blottit qu’un peu plus contre lui dans l’anticipation crève-coeur de devoir à un moment ou un autre m’en dégager.

Mes jambes se battent avec les siennes pour être celles qui gagneront le droit d’être au dessus, c’est une guerre silencieuse qui fait rage sous les milliers de couvertures que comptent le lit. La seule chose qui reste certaine, c’est le bras que je garde résolument posé sous sa tête, plateforme solide sur laquelle elle pourra toujours se reposer quoi qu’il se passe. « J’ai même pas fait mon sac encore. » Elle pouffe et je pouffe avec elle, respirant de nouveau pour la première fois maintenant que je peux entendre son rire cristallin et franc. C’est ce à quoi je m’accroche à mon tour, ça et toutes les parcelles de son coeur accrochées aux miennes pour autant de temps qu’il le faudra. Une journée ou dix s’il le faut, elle sait très bien que mon ordre de priorités n’a rien à voir avec le bon sens.

« Si t’espérais que je te lâche pour que tu le prépares maintenant, va falloir trouver de meilleurs arguments que ça. » Cinq minute des plus. Cinq minutes qui seront cinq heures, qui seront une nuit entière et qui seront Ginny qui devra trouver des excuses quand sa soeur viendra et que rien ne sera prêt, ses cheveux encore plus en bataille que d’usuelle. La couverture remonte jusqu’à nos têtes, je nous replonge dans l’obscurité la plus totale une dernière fois, quand maintenant il n’est même pas question de paniquer à l’idée d’être dans un espace clos. On apprend ensemble, on le fait à notre rythme.

Ça donnera à sa soeur des milliers de raisons de plus de m’en vouloir, ça leur donnera des milliers d’heures de discussion pendant lesquelles elles n’auront pas à parler de ce qui s’est passé dans le corps de Ginny. Elles n’auront pas à parler de tout ce qui fait mal si elles sont occupées à autre chose et devenir à nouveau la bête noire de l’histoire ne sera pas un problème. Mon bras la ramène encore un peu plus proche de moi si cela est encore possible, je m’imprègne de son odeur pour le temps qu’elle m’accorde encore avant de s’éloigner quelques jours. On ne s’est plus quittés depuis des semaines, depuis le mariage, depuis le faux mariage, depuis qu’on est revenus d’un voyage ou d’un autre je ne sais plus tellement cela me semble désormais naturel et surtout nécessaire de la compter à mes côtés, ma femme.

Il est tôt, et bien évidemment Jill a loupé son réveil. Elle dort beaucoup trop bien depuis qu'elle est enceinte. Elle dort beaucoup trop aussi. Elle a pas encore réveillé Noah, il va devoir se préparer vite le gamin. Heureusement qu'ils avaient préparé leurs sacs pendant la soirée d'avant. « Noah on y va. » En moins de 10 minutes il est habillé et il attend Jill avec son sac à dos et un sac avec des vêtements à ses pieds devant la porte d'entrée. Et c'est Jill qui court partout, elle a peur d'oublier quelque chose. Elle pense même au traitement que son médecin lui a donné, le nouveau traitement qu'elle prend vraiment pour le bien des jumeaux. Elle arrête de penser à elle en ce moment Jill, et c'est peut-être mieux comme ça pour le moment. Elle attrape son sac et embrasse Bailey qui a un œil ouvert. « On y va, t'inquiètes pas si t'as pas de nouvelles on a pas de réseau là-bas et ils nous prendront nos téléphones à l'entrée. Mais si quoi que ce soit se passe ou si y'a un changement de plan je te préviens. Je gère d'accord ? » Elle embrasse son front avant de s'avancer vers la porte. « Et non, toi non plus tu ne sauras pas où on va, je suis la seule au courant et ça restera comme ça ! » Elle lui sourit et ferme la porte derrière elle.

« Allez dans la voiture on va être en retard » Il est surexcité Noah, il a beaucoup trop d'énergie à cette heure. Il est même pas 6 heures du matin et il sauterait presque sur lui-même alors qu'il est déjà assis dans la voiture. Elle roule jusqu'à chez sa sœur et elle a presque 30 minutes de retard. Elle se gare, Noah se détache et ils vont tous les deux vers la porte qui est fermée, et elle grogne Jill. Ginny a pas ouvert la porte c'est qu'elle n'est pas encore prête. Elle sonne, longtemps, et pendant ce temps Noah toque sans s'arrêter. « GINNYYYYY » Elle hurle Jill, elle a certainement réveillé les voisins. « MAMAAAAAN DEPECHE ON VA ARRIVER EN RETARD » Elle pouffe de rire Jill, Noah l'attend impatiemment ce week-end. « SI TU SORS PAS ON VA MANGER TOUT LE PETIT DEJ ET JE PRENDRAI DOUBLE DOSE DE MASSAGE PARCE QU'ON T'AURA LAISSE DEVANT LA PORTE. » Elle ne partira pas sans sa sœur, mais tous les moyens sont bons.

« Si t’espérais que je te lâche pour que tu le prépares maintenant, va falloir trouver de meilleurs arguments que ça. » et j'en ai aucun, absolument aucun argument valable qui vient sur le moment. Quand la dernière chose que je vois avant d'être plongée dans l'obscurité, c'est son sourire de conquérant. Et je le vois de proche, de si proche, quand son bras me ramène encore plus près, quand mes lèvres se perdent à la commissure des siennes. Les couvertures et leurs milliers d'épaisseurs nous servent de forteresse de gamins, et tout va, je jure que tout va.

Par contre, je sais pas du tout par quel miracle il a réussi à gagner le combat des jambes par-dessus par-dessous mais lorsque je me réveille en sursaut, c'est Auden qui rafle tous les honneurs et mes pauvres mollets sont courbaturés d'avoir été si longtemps atrophiés sous les siens, pesants. « GINNYYYYY » oh non. Ma silhouette entière qui se contracte, ma tête qui sort de sous les draps, les oreillers qui me cachent la vue et le cadran qui affiche mon retard monumental. Ma soeur est dehors et elle hurle, Auden est encore enroulé autour de moi comme je le suis autour de lui, et je suis persuadée qu'il est autant réveillé, qu'il fait juste exprès de mettre tout son poids sur moi pour m'immobiliser. Fourbe.  « MAMAAAAAN DEPECHE ON VA ARRIVER EN RETARD »

Et Noah qui s'y met sous la fenêtre, quand je gesticule comme un ver de terre à tenter de me déloger, ses bras et ses jambes qui ne font que se resserrer autour de moi comme s'il s'était transformé en boa constrictor pendant la nuit. « SI TU SORS PAS ON VA MANGER TOUT LE PETIT DEJ ET JE PRENDRAI DOUBLE DOSE DE MASSAGE PARCE QU'ON T'AURA LAISSE DEVANT LA PORTE. » « Ça, ça tu vois, ce sont de meilleurs arguments. » mes joues sont rougies, mon rire se perd contre lui quand je dois user de toutes mes forces pour retirer chacun de ses doigts un à un de mon épaule, pour pousser son corps en entier sur le côté, hilare une seconde, râleuse la suivante. « Auden si tu coopères pas elle va casser une fenêtre et entrer me chercher par les cheveux tu sais ça, right? » et j'y arrive, je sais pas par quelle distraction, je sais pas si ce sont mes index dans ses côtes qui l'ont assez chatouillé/fait souffrir, je sais pas si ce sont mes baisers dans sa nuque qui l'ont distrait, je sais pas si c'est de lui avoir crevé les tympans à force de rire à chaque manoeuvre, mais mes pieds touchent enfin le sol, et à partir de là, c'est la course la plus ridicule et désorganisée que j'ai pu faire depuis longtemps.

J'envoie un message à ma soeur pour lui dire que j'arrive dans même pas une minute. N'importe quels vêtements se retrouvent dans mon sac à dos, j'attrape juste tout ce qui est tout à proximité sans même valider à deux fois, les coups à la porte et la sonnette qui se poursuivent malgré mon texto, et qui rendent Pizza tellement heureux que je l'entends faire des allers et retours entre l'étage et le rez-de-chaussée comme si sa vie en dépendait et que le chaos que provoquent ma soeur et mon fils dehors était une mélodie à son oreille au canin.

« Fais gaffe au tapis du salon si tu tues quelqu'un pendant mon absence. C'est persan, ça coûte cher ce truc. » je sais pas à quel point j'ai pu être naïve de faire un dernier arrêt à ses côtés pour l'embrasser, sa dépouille noyée dans les coussins et sous l'édredon. Mais quand je pouffe de plus belle contre ses lèvres, quand je croise son regard à nouveau, ça vaut la peine d'avoir baissé ma garde le temps d'être venue en territoire ennemi.

On connaît tous ce sentiment lorsqu'on se réveille après un horrible cauchemar et qu'on le pense être réalité. On connaît tous aussi le sentiment de soulagement immense dès lors qu'on comprend qu'il ne s'agissait que du fruit de notre imagination. Imaginez donc maintenant l'inverse, alors que je rêvais de ma victoire au combat de jambes et que ce sont les cris hystériques de sa sœur qui me tirent hors de ce songe. Comme seule réaction, mon râlement interminable alors que mes jambes s'étendent et mon visage se pose un peu plus près encore de sa nuque, mes yeux invariablement fermés et mes bras à jamais liés autour de son corps. Il n'est pas encore inscrit à mon ordre du jour que de la laisser s'en aller et même les cris de Noah n'y font rien. « Ça, ça tu vois, ce sont de meilleurs arguments. » Je souris alors qu’elle se débat avec toute la mauvaise volonté que je mets à la tâche, même si je fais l’effort de ne replacer qu’un doigt sur les deux qu’elle arrive à déloger à chaque fois. « Auden si tu coopères pas elle va casser une fenêtre et entrer me chercher par les cheveux tu sais ça, right? » ”Qu’elle essaye.” Et cette fois ci seule ma jambe revient se poser sur sa cheville, quand j’ai été condamné à errer à l’autre bout du lit tel le paria que je suis apparemment devenu pour elle, simplement remercié par un dernier baiser dans la nuque.

Ce n’est que lorsqu’elle a pu se dégager de mon étreinte que j’ouvre à peine les yeux, agressé dans la seconde par les rayons du soleil qui n’avaient jusqu’alors pas réussit à transpercer les mille couvertures. Mais je ne râle pas, pourtant, quand mon regard reste posé sur ses tatouages qu’elle ne pourra pas cacher éternellement, encore moins face à sa soeur. Elle panique, elle erre de partout, elle sait qu’elle est en retard mais cela n’étonnera personne qu’elle le soit encore un peu plus. Sa soeur ne pourra rien lui reprocher, elle qui n’est guère mieux placé à ce niveau là. Si elle a eu le droit à trente minutes de retard alors il en sera de même pour Ginny ; c’est en tout cas ce que je viens de décider quand elle fait l’erreur naïve (elle savait, elle le savait très bien) de revenir vers moi une dernière fois avant son départ.

« Fais gaffe au tapis du salon si tu tues quelqu'un pendant mon absence. C'est persan, ça coûte cher ce truc. » J’hoche de la tête et prend note de trouver le plus horrible plan qui soit pour lui faire croire qu’il est arrivé malheur à ce tapis qu’elle aime tant. Mes lèvres viennent trouver les siennes et mes yeux en font de même avec les siens ; la seconde suivante était prévisible au possible, quand je viens nouer mes bras autour de sa nuque et que je profite d’y mettre tout mon poids pour de nouveau la faire basculer sur le lit. On en revient plus ou moins à la position initiale : un méli-mélo de chair le plus désordonné qui soit. Cette fois ci Pizza vient s’ajouter au spectacle, surexcité alors que lui même ne sait sûrement pas pourquoi. Il saute sur le lit pour en redescendre la seconde qui suit et reproduit le même manège à plusieurs reprises, laissant son rire comme le mien s’élever doucement dans la pièce pour ne pas être entendus quelques mètres plus bas. Je prends toute la place sur son ventre et lui donne par conséquent mille et une raisons de se plaindre, elle que je force à rester quelques minutes de plus encore. J’annonce quinze à sa soeur, garde le quota de trente dans mon esprit. Ce ne sera qu’une raison de plus pour elle de me détester, je ne me fais aucun soucis à ce sujet là. ”Si tu prends ta soeur avec toi tu voudrais que je tue qui au juste ?” J’ajoute enfin en chuchotant, mes lèvres sur sa nuque, répétant aussi le même schéma qu’elle dans un effet miroir. On a besoin de cinq minutes. De seulement cinq minutes. Cinq minutes, six fois, et je ne la laisserai partir que par dépit ensuite.