Je suis en retard.

Je suis en retard et Sebastian est en train de me taper sur les nerfs. Il sait que je dois partir, je le vois regarder sa montre a intervalle régulier depuis plus d'un quart d'heure. J'avais accepté sa réunion improvisée comme s'il était un quelconque décisionnaire au sein de ces murs. Soi-disant papa à demander que l'on revoie certaines dates de sortie, que l'on accélère des sessions d'enregistrement. Soi-disant parce que je suis persuadé que notre paternel ne regarde plus ce qui se passe ici depuis que l'on a clôturé les comptes de 2019 et que le studio de Brisbane a fait mieux que celui de Londres. Je sais que je vais finir par le payer tôt ou tard. Il faut croire que mon frère s'amuse à préparer le terrain. Il maîtrise son sujet le fourbe. Il aurait presque de bons arguments. « Sauf que ça a été décider autrement Sebastian. » Sauf qu'ici c'est moi qui prends les décisions jusqu'à preuve du contraire. « Donc on va pas y passer la soirée. Le planning ne change pas. Sam tu continue l'enregistrement tranquillement avec le petit et demain je passe voir ce qui le bloque sur sa chanson. » Je ferme mon ordinateur et c'est le signal que tout le monde attendait pour se lever et s'échapper. Ils savent qu'il vaut mieux ne pas rester dans le coin quand je décide de tenir tête à mon aîné. Il s'avance vers moi Sebastian et déjà je recule d'un pas. « Je suis en retard. Tu le sais. Tu t'es fait plaisir, maintenant je m'en vais. » Je lui lance un sourire ironique et quitte la salle avant que l'on en vienne à se disputer.

Je suis en retard et je déteste ça.

J'ai promis à Noah que je viendrais le chercher à la fin de son atelier à la galerie pour que l'on aille manger tous les deux. Depuis notre retour de Londres, on est bien mieux organisé. Il passe beaucoup de temps chez sa mère, mais viens aussi régulièrement à la maison et surtout on passe du temps ensemble. On a été voir une exposition sur la musique il y a de cela quelques jours et je lui avais promis de l'emmener manger un burger. Depuis il en parle dès que je l'ai au téléphone. Alors, c'était le programme de la soirée.

Lorsque j'arrive à la galerie tout est assez calme. Il est dix-sept heures trente, l'atelier doit être finis depuis bien trente minutes. Je cherche Noah, mais ne le trouve pas. Heureusement, je finis par apercevoir la silhouette de Lola. « Lola ! » Je lui souris alors que la jeune femme se tourne vers moi. « Tu sais où est Noah ? Je devais le récupérer, mais je le trouve pas. » Et clairement je ne connais pas aussi bien l'endroit que lui. Il pourrait être caché entre les murs tellement il adore se faufiler de partout ce gamin. « Je suis en retard en plus. » dis-je en soufflant. J'espère qu'il ne m'en veut pas.

« Bailey, c'est demain que tu passes chercher Noah. » Elle a tout un planning Lola. Elle vient tout juste de le vérifier. Elle se trompe la brunette non ? « Tu es sûre ? » Je veux pas remettre sa parole en doute. Pourtant, je suis persuadé que je devais voir Noah aujourd’hui. C’était le programme. Perdu, je sors mon téléphone de ma poche et regarde la date. « Merde… » C’est demain. J’ai couru pour rien. Un soupire s’échappe d’entre mes lèvres alors que je passe une main sur mon visage. « J’avais tout prévu. » Je me sens idiot. Pourtant, j’étais persuadé ce matin quand Jill m’a dit passer la soirée avec sa sœur que c’était le signal pour mon moment avec le bonhomme. Où c’était ce matin ? Je ne sais plus vraiment d’un coup. Sebastian m’a pris la tête toute la journée et je me suis emmêlé les pinceaux.

J’allais m’excuser auprès de la jeune femme, elle était clairement en pleine session et je viens l’ennuyer. Mais elle est bien plus rapide que moi, Lola. Elle ne cesse de sourire quand elle propose. « Mais on peut aller boire un café, si tu veux, j'ai fini ma journée. Je dis ça parce que je sais que Jill passe la soirée avec Ginny, et que peut-être t'as envie de compagnie. » Un rire honnête s’échappe d’entre mes lèvres cette fois. « Dis… Comment tu es plus au courant de ma vie que moi ? » Il n’y a aucun jugement. Plus un ton amusé de voir que la jeune femme semble parfaitement maîtrisé le planning de nos vies si compliquées. « Je pourrais avoir une copie du planning. » J’en aurai clairement besoin, il semblerait. « Il y a une terrasse sympa pas loin d'ici. » Elle insiste la jeune femme et je réalise que je n’ai même pas répondu à sa question. « Je prends l’invitation avec plaisir. » Me poser sur une chaise plus de cinq minutes, profiter d’une tasse de café. C’est le genre de chose qui ne se refuse pas. Elle m’assure avoir terminé sa journée, mais j’observe ses toiles. « Je ne veux pas te déranger, tu avais l’air concentré. » Et j’ai débarqué tel un gros lourd avec mon planning raté. « C’est très beau. » ajoutais-je en remarquant les couleurs et les traits que j’ai appris à regarder au fil des années.

Je me sens comme un idiot face à la jeune femme. Il faut croire que je me suis emballé pour rien, que Noah est probablement en pleine activité avec sa mère et que mon tour ne viendra que demain. J’étais si persuadé de moi qu’il me faudra quelques secondes pour réaliser que je me suis bel et bien trompé. Mais je prends tout cela avec humour, encore plus lorsque je remarque le planning si bien agencé de Lola. Soit elle est une control freak de l’organisation, soit elle a tout simplement trop bien cerné notre organisation familiale. « Être l'assistante de Ginny à ses avantages. » Je pencherai plutôt pour la deuxième option même si elle reste sur le ton de la modestie. C’est tout à son avantage. Elle ne pointera pas du doigt notre organisation chaotique où chacun se perd, mais tout le monde fini par y trouver son compte. « Et voilà, beau comme tout. » Je ne peux retenir un nouvel éclat de rire léger lorsque mes yeux se posent sur le dit planning. C’est agencé avec chacun de nos prénoms, une couleur est attribuée par personne. Tout y est si net, si lisible. « Pourquoi ça nous es jamais venu à l’idée d’être aussi organisé. » que je questionne à voix haute. La réponse, je la connais par cœur : on ne sera jamais organisé. On ne l’a jamais été du temps de notre mariage, ce n’est pas maintenant que ça va commencer. Un jour, quelqu’un oubliera d’aller chercher Noah à l’école et le gamin nous accusera en riant pour le reste de sa vie. C’est un peu ça notre quotidien et il semblerait que Lola l’ai plutôt bien compris.

Je ne peux empêcher mon regard de se glisser sur sa toile, sans aucune indiscrétion, sans forcément penser à son envie d’intimité. L’habitude des années, de Ginny qui finissait toujours par demander un regard critique, qui me laissait tendre la nuque par-dessus son épaule. « Ah, oui, non, merci, enfin, c'est juste une esquisse, c'est parce que je travaille sur un projet, mais enfin c'est personnel, j'expose pas, je montre pas, d'ailleurs je pensais pas que quelqu'un le verrait, je me perds, ce que je veux dire, c'est merci. » J’entends la gêne dans sa voix et m’en veux immédiatement d’avoir été aussi maladroit. « Excuse moi. » Pardonne-moi d’être cet intrus qui se permet de juger ton art en un coup d’œil. Elle est si gêner que je finis par baisser les yeux à mon tour. Vraiment Bailey, tu devrais apprendre à te taire parfois. « Je suis bien trop curieux. » que j’ajoute comme mince tentative de la rassurer.

Et je finis par la suivre à l’extérieur. « On peut marcher. » que je lui assure la laissant guider le chemin. Les mains enfoncées dans les poches de ma veste, je ferme les yeux pour profiter des rayons du soleil de cette fin de journée. Je commence enfin à me détendre un peu après les tensions de la journée. « Ça va, toi ? » Surpris par sa question, je tourne la tête vers elle, croise son sourire. « Ça va. » Et la réponse est automatique, à peine calculer. C’est la réponse que je donne toujours. Ça va. On ne laisse rien entrevoir à part cela. Mais je sens son regard sur moi et sans savoir pourquoi je finis par ajouter : « Longue journée. » Mon frère me prend la tête, tu sais Lola. Je voudrais lui en coller une parfois. Mais ce genre de détails, je les garde pour moi, préférant retourner la question bien rapidement. « Ça va toi ? Tu te plais à la galerie ? » Toujours plus simple de parler des autres que de parler de soi.

« Non, c'est moi, je devrais m'y habituer pourtant, à montrer ce que je fais, parce que je suis quand même en train de préparer ma première exposition, mais c'est tellement nouveau pour moi. J'ai passé ma vie à garder secret tout ce que je peignais. » « J’ai passé ma vie à cacher la musique que j’écris. » La confession est instantanée telle une vaine tentative pour la rassurer. Maigre explication amenée pour souligner le fait que je comprends sa réticence à montrer son œuvre. Il est bien trop complexe d’étaler aux yeux des autres le travail d’une vie. Sa peinture lui est personnelle, elle y a probablement mis tout son cœur et voilà que j’ai posé mes yeux dessus sans même attendre une autorisation de sa part. « Je serais ravi d’assister à ta première exposition. » Je serais ravi de te donner mon avis lorsque tu t’en sentiras prête, même si je n’ai aucune prétention artistique. J’ai simplement appris à aimer l’art au fil des années, apprécier les couleurs, les textures, les mouvements du pinceau et l’harmonie. Je ne suis pas un expert, j’apprécie à ma hauteur, tout simplement.

« T'es bien garé ? La police passe souvent dans le coin. » Un rire m’échappe. Elle s’inquiète tellement des autres, c’est touchant. « J’ai piqué la place de Gin. » dis-je dans un clin d’œil. Ils ont des places réservées pour eux. La plupart du temps, je m’amuse à prendre celle de Williams lorsqu’il n’est pas là, mais pas aujourd’hui. On essaye de maintenir un semblant de paix. On agite le drapeau blanc en continue.

La conversation se fait tout ce qu’il y a de plus naturellement avec Lola. Elle s’intéresse à ma journée et comme toujours, je ne partage pas grand-chose. Tout ma vie, on m’as demandé de taire mes émotions en public. Ne jamais laisser entrevoir un brin de faiblesse chez les Fitzgerald même lorsque la journée a été compliquée, même lorsque Sebastian m’a tellement tapé sur les nerfs que je pourrais en hurler. Heureusement, elle n’insiste pas, Lola et je lui en suis reconnaissante. Je préfère encore m’intéresser à la jeune femme et à son bien-être au sein de la galerie. Je ne savais pas que j’allais déclencher un vrai moulin à paroles. « C'est la première fois que je réussis à travailler dans le domaine qui me passionne : l'art, et notamment la peinture. Enfin, je fais de l'art thérapie depuis longtemps à l'hôpital psychiatrique, mais ce n'est pas pareil, ce n'est pas la même chose pour moi, je ne le fais pas pour les mêmes raisons. Tu vois ce que je veux dire ? » Je hoche la tête, écoutant attentivement chacune de ses paroles. « Tu as trouvé une belle dynamique de travail ici ? » J’ai beau avoir des conflits avec Auden, je ne renie en rien le fait qu’il soit doué dans son domaine. Tout autant que Ginny. Ils savent ce qu’ils font et Lola ne pourrait pas être mieux entourée. « Tu travailles dans la musique, toi, c'est ça ? C'était trop beau, d'ailleurs, ce que vous avez chanté à l'anniversaire de Ginny. J'ai pris une vidéo, je ne sais pas si elle te l'a transférée ? Sinon, je peux le faire maintenant. » Il est impossible de ne pas garder le sourire lorsque la jeune femme est présente. « Oui, je travaille dans un label. » Et si la peinture, c’est sa vie, la musique, c’est la mienne. « C’était rien, tu sais… Elle nous a forcé à écouter cette chanson tellement de fois qu’on la connaît par cœur avec Noah. » On ne l’admettra jamais vraiment, mais on l’aime tout autant qu’elle cette chanson. « Par contre, je veux bien la vidéo oui. » Je n’ai pas beaucoup de traces de mes moments de complicités avec Noah et ce souvenir, j’aimerais le conserver quelques années encore.

Installé à la terrasse, je commande un café noir et me demande ce que je vais bien pouvoir raconter à la jeune femme. Je ne suis pas réellement doué pour les conversations d’usages. On m’a trop longtemps forcé à le faire, depuis je déteste cela. Mais elle ne s’en souci pas Lola. Elle ne cesse de sourire et je dois dire que c’est réellement apaisant. « Ohhh, félicitations, d'ailleurs ! Jill m'a dit pour la- le-… Enfin, pour tu-sais-quoi. Tu dois être tellement heureux ! » Un nouveau rire léger. « Bébé. » dis-je doucement sans trop me moquer, mais un peu tout de même. « Tu peux le dire, je t’assure. » Je remercie la serveuse alors qu’elle nous amène notre commande et souris une nouvelle fois à la jeune femme assise à mes côtés. « Ça chamboule beaucoup de choses, mais je suis heureux, je crois. » En réalité, je suis paniqué de devenir père, mais on ne va pas se lancer là-dedans, je pourrais tenir pendant des heures et je vais l’effrayer. « Tu connais bien Jill ? » demandais-je un brin curieux. « Ou c’est la quantité astronomique de chips qu’elle s’avale depuis des mois qui t’ont donné la puce à l’oreille ? »

Elle me plaît bien, Lola. J’apprécie sa franchise, cette manière qu’elle a de parler sans se mettre de filtre. Elle ne prend pas de détour lorsqu’elle répond à une question, elle dit tout ce qu’elle à dire et c’est quelque chose qui me plaît. Alors, j’écoute, même si elle se perd un peu dans tout ce qu’elle veut me dire. « Oui, j'apprends beaucoup en les regardant travailler. Ils ont des rythmes différents, ce qui me décomplexe sur le mien. Et puis, ils n'ont pas peur d'avoir des phases expérimentales et un peu obsessionnelles sur des couleurs ou des thèmes parfois, donc ça me réconforte là-dessus aussi. En fait, plus que tout, ça me permet d'assumer beaucoup de pratiques artistiques que j'ai déjà mises en place. » Je hoche la tête reconnaissant des moments du passé dans ses mots. Lorsque Ginny passait des jours et des jours à travailler sur une seule couleur qu’elle finissait par la voir de partout, qu’elle venait gribouiller mes partitions avec ses pinceaux pour me demander mon avis et que je faisais semblant de réfléchir pendant de longues minutes avant de lui donner une réponse alors que je ne comprenais rien et ne voyais aucune différence. « Tu as trouvé de très bons professeurs. » dis-je en hochant la tête. J’ai beau avoir mes conflits avec Auden, jamais je ne dénigrerai l’artiste. « Et tu semble tout aussi passionnée qu’eux, ça doit donner des sessions intéressantes ! » J’adorais observer Ginny peindre et c’est parfois cela qui m’aidait à trouver l’inspiration pour ma musique.

Cela fait bien longtemps que je n’avais pas été aussi à l’aise dans une conversation alors que je connais très peu la personne. Je ne prenais plus le temps d’aborder les autres, je me renfermais dans ma bulle, dans nos soucis de famille. Il était temps que je m’ouvre à nouveau au monde extérieur même si j’y vais toujours avec méfiance. Pourtant, lorsque Lola évoque le sujet de la grossesse de Jill, je ne me renferme pas complètement. Bien au contraire. Je peux en parler avec Lola. Elle est neutre, elle n’a pas de conflit d’intérêt, pas de parti pris. En rien, la grossesse de Jill ne la dérange, au contraire, elle semble ravie d’apprendre la nouvelle et ça fait du bien. Je peux me réjouir de ma future paternité sans avoir peur d’en dire trop, sans craindre de vexer la personne en face de moi. « J’ai encore du mal à me dire que je vais être papa. » que j’avoue alors en souriant quelque peu. J’ai du mal à en prendre pleinement conscience, mais j’en suis heureux. Je le voulais depuis si longtemps sans jamais oser me l’avouer réellement.

« Est-il vraiment possible de bien connaître Jill ? » Un rire m’échappe face à sa franchise. « Dix ans et parfois, je me pose encore la question. » que j’avoue sans détour. Dix ans, c’est long. Mais en dix ans nous avons été plus souvent séparés qu’ensemble. Elle a évolué, Jill, elle a changé au fur et à mesure des déceptions, des blessures et des désillusions. Et aujourd’hui encore, tout est en train d’évoluer vers un chemin qu’aucun d’entre nous n’aurais pu imaginer un jour. On apprend ensemble, on avance à notre rythme. « Je l'ai vue dans tous ses états, toutes ses couleurs. Et je me suis attachée à elle sans le savoir. Ne lui dis pas, parce qu'elle se moquerait de moi, mais c'est un peu la grande sœur que je n'ai jamais eue. Enfin, j'ai une grande sœur, mais qui ne jouait pas trop ce rôle-là. Tu vois ce que je veux dire ? » « Je comprends tellement, tu n’as même pas idée. » Parce que Sebastian n’a jamais vraiment su jouer son rôle de grand frère. Oh, il a essayé, dans la perfection de l’idéal paternel, mais il n’a jamais réussi à être le grand frère que j’aurais aimé avoir. « Ton secret sera sauf avec moi. » que je lui avoue dans un sourire. Je suis heureux de voir qu’elle s’entend aussi bien avec Jill, parce que ma femme parle souvent d’elle. « Elle parle toujours en bien de toi aussi. » Je lui partage un bout de secret aussi. « Mais tu ne m’as jamais entendu dire ça. » que j’ajoute en lui faisant un petit clin d’œil.

On est bien là, installer à la terrasse de ce petit café, à profiter de la lumière de fin de journée. Je me détends et m’installe un peu plus dans mon fauteuil alors que la curiosité de Lola semble revenir au galop. « Comment ça marche, un label ? Tu découvres des artistes que t'aimes bien, tu les aides à composer leur disque, et après tu le vends ? » Sebastian détesterait m’entendre avoir ce genre de conversation. « Ça fonctionne un peu comme ça oui. » Pour moi en tout cas. C’est la beauté de mon métier, découvrir au hasard, fonctionner au coup de cœur et pas à l’artiste qui sera le plus rentable. « Mon frère hurlerait de m’entendre dire ça, mais pour moi tout doit fonctionner au coup de cœur. » Ça à l’air si simple dit comme cela, alors que parfois, le coup de cœur n’est pas suffisant non plus. « Parfois j’ai des périodes où je vais écumer toutes les scènes ouvertes de la ville pour trouver LA pépite. Le petit artiste indépendant qui a un rêve, mais qui le pense irréalisable. » Et je pense à Amélia et Sam. Mes deux petits protégés, ceux pour qui je me battrais jusqu’à la fin et a qui je donnerai toutes les armes pour réussir. « Et quand c’est comme ça, je leur propose une session en studio voir s’ils ont de véritables idées, une vraie envie de poursuivre dans le domaine. Parfois, ils n’auront pas d’autre prétention que faire des covers et alors ça ne colle pas. Et puis parfois, on a de très belle surprise. » Je hausse un peu les épaules et porte ma tasse à mes lèvres. « On n’a pas tous cette vision de l’industrie, il faut être rentable, il faut trouver l’artiste qui va vendre pour permettre au label de continuer à vivre. J’aime l’indé, mais on me forcera toujours à avoir une part de mainstream. » Et je lève les yeux au ciel. « Mon dieu excuse-moi, je parle vraiment trop. » Je n’ai pas été aussi bavard depuis bien longtemps. Et je préfère détourner rapidement l’attention, pour revenir à Lola. « Okay, j’ai une question aussi… Ton œuvre favorite ? Celle qui t’a donné envie de peindre ? »

Lola adorait apprendre à connaître de nouvelles personnes, d'autant plus lorsqu'elles étaient, comme Bailey, des proches de gens qu'elle aimait. Elle avait toujours trouvé l'homme sympathique, doux, mais aussi muet, donc elle s'était demandé s'ils allaient s'asseoir autour d'une tasse de café en silence pendant une demi-heure avant de chacun rentrer chez soi. Heureusement, ce fut tout le contraire qui se produisit, et Bailey parlait même positivement, entre les lignes, du talent d'Auden ! Il y avait des montagnes qui se déplaçaient.

"J’ai encore du mal à me dire que je vais être papa." "Je comprends, c'est un changement tellement énorme. Personne n'est très à l'aise avec les altérations majeures, sauf peut-être les moines bouddhistes. Et ils n'ont pas d'enfants." Elle rit, car elle les imaginait tous les deux discuter en robe orange de moine, au sommet d'une montagne, les yeux fermés, les jambes croisées, le vent dans les cheveux. Mais non, ils étaient bien là, dans une existence qui allait à toute allure et les prenait souvent de court, pour le meilleur comme pour le pire. En l'occurrence, Bailey était heureux d'être marié et futur père, et cela se sentait -- ce qui n'empêchait pas la peur d'exister en parallèle.

"Est-il vraiment possible de bien connaître Jill ?" "Dix ans et parfois, je me pose encore la question." Ils rirent tous les deux, et Lola avait la furieuse envie d'écrire un message à Jill pour lui dire n'importe quoi, le prix des fraises au supermarché, quelque chose. "Enfin, j'ai une grande sœur, mais qui ne jouait pas trop ce rôle-là. Tu vois ce que je veux dire ?" "Je comprends tellement, tu n’as même pas idée." Lola lui lança un regard surpris. Bailey avait un frère ou une soeur ? Elle n'avait jamais rencontré quelqu'un de sa famille dans les réunions familiales. Ca devait effectivement être très tendu entre eux.

"Ton secret sera sauf avec moi." "Croix de bois, croix de fer", sourit Lola, car ce serait des moqueries sans fin de la part de Jill si elle l'entendait parler d'elle ainsi. La sentimentalité n'était pas trop son truc. "Elle parle toujours en bien de toi aussi. Mais tu ne m’as jamais entendu dire ça." Lola eut un sourire ravi et secoua la tête rapidement. Elle se rendit compte qu'elle était émue. A travers tous les aléas et les complications, elle sentait désormais qu'elle avait une place dans cette ville. Elle y était née, elle y avait grandi, mais maintenant elle y plantait ses racines, pour pouvoir s'épanouir. Et elle avait des alliées hors pair.

"Mon frère hurlerait de m’entendre dire ça, mais pour moi tout doit fonctionner au coup de cœur." C'était donc un frère, et à entendre Bailey, il était du type rationnel pragmatique, pas à l'instinct. Lola ne put retenir un froncement de nez. "Un frère qui aime l'art, et un frère qui aime l'argent ? Ca ne doit pas être facile tous les jours." Elle s'identifiait clairement à ce problème. Chez elle, ç'avait été moins l'argent, le problème, que le statut, les prix, la reconnaissance sociale. "Parfois j’ai des périodes où je vais écumer toutes les scènes ouvertes de la ville pour trouver LA pépite. Le petit artiste indépendant qui a un rêve, mais qui le pense irréalisable." Lola se mit à faire des bonds sur sa chaise tellement ça avait l'air chouette de partir dans des excursions comme celles-ci. Elle tenta de se retenir (promis) mais elle finit par lâcher : "Je pourrai venir ? Je me tairai, je ne dirai pas un mot, sauf si tu me poses une question, j'écouterai la musique et je te laisserai te concentrer." Elle adorait la musique en live, même si elle avait une fâcheuse tendance à pleurer dès qu'elle était trop émue par une chanson.

"Et quand c’est comme ça, je leur propose une session en studio voir s’ils ont de véritables idées, une vraie envie de poursuivre dans le domaine. Parfois, ils n’auront pas d’autre prétention que faire des covers et alors ça ne colle pas. Et puis parfois, on a de très belle surprise." Lola hocha de la tête. C'était une façon tellement intuitive et humaine de se comporter, ce qui était finalement assez rare dans le monde de l'art. "J'aimerais tellement savoir chanter", soupira-t-elle, "j'ai ce vieux rêve où je chante What a wonderful world, et le public dans le bar se tait soudainement, et ils sont un peu émus, ils y trouvent comme de l'espoir, et ça reste avec eux le reste de la semaine. Tu vois ?" Elle souriait rien qu'en évoquant la scène. Elle l'avait jouée plein de fois dans son cerveau fantasque. "Mais bon, mes mi sont des fa dièse, et mes la des si bémol, et j'ai renoncé à l'idée que ça changera un jour." Elle disait ça avec la résignation joyeuse d'une artiste qui a tenté toutes les pratiques pour finalement se concentrer sur la seule qui la hantait jour et nuit : la peinture.

"On n’a pas tous cette vision de l’industrie, il faut être rentable, il faut trouver l’artiste qui va vendre pour permettre au label de continuer à vivre. J’aime l’indé, mais on me forcera toujours à avoir une part de mainstream." "Le vieux compromis entre art et commerce. C'est tellement difficile." Elle butait dessus souvent. Elle se renseignait sur ce qui se vendait, ce qui se faisait, mais parfois elle levait les yeux au ciel lorsqu'elle voyait des stratégies si évidentes dans le travail d'artistes. Elle aimait la vulnérabilité, la générosité, et se retrouvait trop souvent confrontée à des appâts à agents et galeries. "J'ai peur de ne jamais percer justement parce que je refuse de faire du mainstream." Elle baissa les yeux. C'était sans doute naïf de dire quelque chose comme ça. "Mon dieu excuse-moi, je parle vraiment trop." Lola eut un grand sourire en se tournant vers lui. "Tu ne parleras jamais autant que moi", affirma-t-elle, avec une évidente autodérision. "Okay, j’ai une question aussi… Ton œuvre favorite ? Celle qui t’a donné envie de peindre ?"

Les yeux de Lola se remplirent immédiatement d'étoiles et constellations, comme si on avait appuyé sur un interrupteur et que la lumière s'était faite. Elle adorait parler de tableaux et surtout de ses influences : Bailey ne savait pas dans quoi il s'embarquait. "Mes parents nous emmenaient au musée une fois par an, mais ils ne juraient que par les impressionnistes. Leur travail est objectivement très beau, mais ça a fini par me dégoûter de cette période. Ils ne parlaient que de la valeur monétaire des tableaux, combien ça avait coûté à l'époque, combien ça se vendait aux enchères maintenant, qui étaient les principaux collectionneurs. Bref, c'était une revue d'art, mais pas de celles que j'aime." (Je vous avais prévenus que l'histoire allait être longue.) Lola se redressa sur son siège, car elle arrivait à la partie qu'elle aimait. "Au collège, j'avais une professeur d'art incroyable, et j'ai réussi à la convaincre de nous emmener au musée, et elle nous a emmenées dans des parties que je n'avais jamais visitées, et j'ai découvert Yves Tanguy et Juan Miro. Et le monde a cessé de tourner, je te promets. Je n'entendais plus les bavardages de mes camarades, je n'entendais plus les explications de la professeur, je ne voyais que les formes improbables de Tanguy et les couleurs audacieuses de Miro. Et j'ai su que c'était ça que je voulais faire, proposer un monde inattendu, imaginaire, quelque chose qu'on n'avait jamais vu avant." Elle reprit son souffle brusquement, comme si elle venait de sortir de plusieurs minutes sous l'eau.

Ses yeux se posèrent sur Bailey, et elle revint au moment présent. "Et toi, des chanteurs ou des groupes ou des compositeurs qui ont changé ta vie ? Tu composes, d'ailleurs ? Je pourrai écouter ?" Ironique comme celle qui ne voulait rien montrer adorait découvrir ce que faisaient les autres.

@Bailey Fitzgerald

La conversation se fait sous couverture de quelques confidences qui m’apaise et me mette véritablement à l’aise auprès de la jeune femme. Je n’ai jamais réellement été doué pour les conversations avec des gens que je connais peu, mais cela semble si simple avec Lola. Avec ce sourire qui ne quitte jamais ses lèvres et cette douceur qui se dégage de la moindre de ses paroles. Je suis à l’aise et sans réellement me rendre compte, je me confie un peu. Joue le jeu du question, réponses, sans jamais réellement hésiter à répondre. Encore moins, lorsque la jeune femme me lance sur le sujet de la musique. « Un frère qui aime l'art, et un frère qui aime l'argent ? Ça ne doit pas être facile tous les jours. » Un rire nerveux m’échappe. « Non clairement ça ne l’est pas. » C’est quelque peu réducteur que de réduire mon frère à quelqu’un qui n’aime que l’argent, mais dans le fond, c’est ce qu’il montre au reste du monde. Alors je ne reprends pas Lola et je préfère lui parler de mes aventures dans les bars de Brisbane pour tenter de trouver un musicien qui me fera de l’œil. « Je pourrai venir ? Je me tairai, je ne dirai pas un mot, sauf si tu me poses une question, j'écouterai la musique et je te laisserai te concentrer. » Elle semble si excitée à l’idée que je me vois mal lui dire non. « On pourrait faire ça, oui. » Ça me plaît de voir quelqu’un de réellement intéresser par ce que je fais. Quelqu’un qui voudrait un peu connaître les coulisses du métier et qui se demande comment on peut choisir un chanteur et pas l’autre. « Je te préviens, je suis ultra chiant quand je me mets en tête de trouver quelqu’un de nouveau. » Je ris un peu. « Je change d’avis toutes les cinq minutes. Je peux aimer une seconde et détester celle d’après. » Je ne prends pas le premier venu comme pourrait le croire mon frère parfois. « Je fonctionne aux émotions. » que je lui avoue en haussant un peu les épaules. Je sais que l’on ne comprend pas toujours ma manière de faire, mais cela a toujours été ma façon à moi d’entrevoir les choses. Et pour moi, la musique doit se vivre et se ressentir, elle n’a pas de saveur sans cela. « J'aimerais tellement savoir chanter. J'ai ce vieux rêve où je chante What a wonderful world, et le public dans le bar se tait soudainement, et ils sont un peu émus, ils y trouvent comme de l'espoir, et ça reste avec eux le reste de la semaine. Tu vois ? » L’image qu’elle me dépeint me fait frissonner. « C’est exactement ce que je recherche, constamment. » Et c’est ce que j’aimerais transmettre avec ma propre musique, mais c’est un autre sujet.

« Le vieux compromis entre art et commerce. C'est tellement difficile. J'ai peur de ne jamais percer justement parce que je refuse de faire du mainstream. » « Ne te force jamais à faire quelques choses justes pour plaire. » C’est le seul conseil que je pourrais lui donner là sur l’instant même si cela semble futile. « Il faut toujours que ça te plaise à toi. » Qu’importe le regard des autres. Des artistes ont fini par percer des années après leur mort parce qu’ils étaient incompris à leur époque. Il n’est jamais trop tard pour exprimer ce qui nous plaît.

« Tu ne parleras jamais autant que moi. » Je hoche la tête et la jeune femme me le démontre en parlant de ses souvenirs autour de l’art et de la peinture. Je l’écoute avec attention me parler de ses parents qui semblaient fixer sur la valeur monétaire des toiles, mais jamais sur leur significations complètes. Je ne peux qu’imaginer ce qu’elle a dû entendre et les soirées qu’elle a dû subir. Et je me surprends à imaginer une jeune Lola qui découvre un tout autre univers au sein de la peinture. Une blondinette qui s’émerveille devant des toiles différentes, d’un autre aspect. « T’as eu le déclic. » Et c’est ce qui reste le plus important lorsque l’on aime l’art. Avoir ce petit truc différent, ce petit éclat qui changera à jamais notre vision des choses. « Elle est jolie cette histoire. » que j’affirme en souriant.

« Et toi, des chanteurs ou des groupes ou des compositeurs qui ont changé ta vie ? Tu composes, d'ailleurs ? Je pourrai écouter ? » Tant de questions, mais une seule réponse qui surplombent les autres dans un élan que je ne sais retenir. « Bowie ! » Je pouffe avant de boire une gorgée de mon café pour calmer mon ardeur. « Je me souviendrais toujours du jour où mon père m’a emmené à un concert avec lui. C’était une scène avec différents artistes. Je devais avoir 7 ou 8 ans et j’avais du mal à rester concentrer puis David Bowie est monté sur scène. » Et la sensation que j’ai ressentie en l’entendant chanter Space Oddity ce jour-là, je ne l’oublierai jamais. « Il a chanté Space Oddity et Starman. Et… Je crois que je ne pourrais jamais expliquer ce que j’ai pu ressentir ce jour-là, mais ça à transcender ma vision de la musique. Ce que cet homme a su faire en son temps, c’est… Il ne s’est jamais cantonné à un seul style, il se réinventait constamment et le mythe qu’il avait créé autour de son personnage. J’admire réellement son talent. » Je rougis un peu alors que je suis en train de me transformer en véritable fan. « Puis je suis né à Londres dans les années 80… J’ai grandi en écoutant Queen, Pink Floyd, Fleetwood Mac. Des gens qui ont influencé le monde de la musique et qui ont réinventé les genres. Mes parents étaient plus récitals de musique classique, quand je voulais m’échapper pour aller à des concerts de rock. » Je hausse les épaules. « Plus vieux, j’ai découvert la soul et le jazz. Je t’ai dit, je fonctionne aux émotions et des voix comme celle d’Aretha Franklin ou d’Ella Fitzgerald, c’est… C’est presque jouissif. » A défaut de trouver d’autres mots bien plus adéquats. Et je pense à la dernière question de Lola. « Je compose… Mais je… Je partage pas. » Et ma jambe commence à battre la mesure, parce que je ne parle jamais de cela et que je ne suis pas vraiment à l’aise. « Enfin, t’as probablement déjà entendu quelque chose que j’ai composé, mais j’y ai jamais laissé mon nom. » Si je donne une chanson à un artiste, je lui fais don sous un pseudonyme jamais avec ma vraie identité. « Un jour, peut-être, je finirais par les chanter moi-même. »

Lola n'avait désormais qu'une envie : faire la tournée des bars avec Bailey, et découvrir des chanteurs et musiciens, se laisser transporter, bercer, puis discuter sur ce qu'ils en avaient pensé. Il parlait de son approche de l'art, et elle hochait frénétiquement de la tête. "Tout pareil, j'ai toujours peur que les gens me jugent d'ailleurs quand je dis ça, je sais que je devrais être plus raisonnable ou objective, mais il y a des oeuvres qui me parlent et d'autres non." Elle se sentait de plus en plus à l'aise avec le Fitzgerald, qui avait l'air d'un adulte comme les autres, propre, avec un métier, une voiture, mais qui avait une sensibilité comme elle, celle d'un Peter Pan constamment émerveillé par le monde. Elle se fit la réflexion qu'à lui, elle montrerait bien ses toiles, en fait, car il ne jugerait pas, et s'il n'aimait pas, ce serait purement instinctif et émotionnel ; ce ne serait jamais cassant. Ca faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu une confiance aussi évidente envers quelqu'un.

"Il faut toujours que ça te plaise à toi", disait Bailey, et Lola acquiesça, en se promettant qu'elle ferait ça pour l'exposition, qu'elle choisirait les toiles qu'elle aimait le plus, même si ce n'était pas les plus évidentes, les plus vendeuses, qu'elle suivrait son instinct.

"T’as eu le déclic." Et elle souriait, parce que c'était exactement ça, et soudain c'était comme si Bailey avait été là, lui aussi, dans le musée - il s'ajoutait au souvenir, comme une figure bienveillante qui regardait les tableaux avec elle. Il se mit à parler de musique, et au début, Lola voulait intervenir et sautiller parce qu'elle adorait Bowie, mais il continuait, et c'était si passionnant qu'elle se taisait (pour une fois) et se perdait dans le Londres qu'il décrivait. Elle s'imaginait les voitures, les salles de concert, les coiffures, les vêtements. Elle s'imaginait Bailey enfant et son père (elle avait du mal à le visualiser, mais elle lui mettait un costume et les cheveux peignés). Et elle comprenait si bien l'enthousiasme que le musicien éprouvait à raconter tout cela. "J'adore Bowie, j'aurais tellement aimé le voir sur scène", soupira-t-elle avec des étoiles dans les yeux. Et il aimait Pink Floyd, et Franklin, et elle sentait leurs mondes se rapprocher.

Il parla ensuite de ses compositions, et Lola devait retenir sa curiosité, car tout ce qu'elle voulait, c'était insister jusqu'à ce qu'il lui fasse écouter quelque chose, ou mieux, qu'il se mette à chanter là, tout de suite, à la terrasse - autant de choses improbables et qu'elle aurait détesté qu'on lui fasse faire. Donc elle remplaça tout cela par un sourire confiant, et lui assura : "Je suis sûre que tu finiras par les chanter, et que ce sera merveilleux." Elle était loin de se douter que ce frère dont ils avait parlé allait venir miner ce futur dès qu'elle aurait le dos tourné.

Un message arriva sur son portable, et elle se tourna pour lire qu'il était presque l'heure de rejoindre Jordan. Ils avaient prévu de regarder un film chez lui en sirotant une bière, et elle tenait toujours autant à la ponctualité. "Je dois y aller", dit-elle en relevant les yeux vers Bailey, "je suis incroyablement heureuse que tu te sois trompé de jour, t'es vraiment chouette. J'ai hâte de découvrir ce que tu composes, le jour où tu seras prêt, et d'ici là, j'étais sérieuse pour les bars. T'as mon numéro, donc on va écouter des musiciens quand tu veux !"

@Bailey Fitzgerald

- the end.