J’aime pas faire ça et je ne m’y habituerai jamais non plus. Y’a aucun intérêt à avouer des trucs ; ça fait qu’on se sent mal quand on le dit et quand tout est terminé on se sent encore plus mal parce qu’au lieu que les tensions se soient apaisées elles sont bien pires encore. Et ça, ça craint. C’est pour ça qu’en règle générale je ne dis jamais, à personne. Sauf à elle, même si elle s’obstine à vouloir me faire goûter un mélange hasardeux de mes propres plats. « T'as pas dit si tu en voulais. » Mes yeux quittent les siens et ils paniquent, les cons. Je ne m’attendais à rien, je n’avais aucune attente particulière à propos de la tournure de cette discussion mais c’est con de se dire que même en ne me faisant aucune idée sur rien j’arrive encore à être déstabilisé.

Quand elle se retourne elle sent le mascarpone et la pomme. Et elle sent le brûlé, aussi, sa cuisson favorite. Si la température de ses boissons pouvait avoir une odeur alors elle sentirait le brûlant, aussi. Mais y’a rien d’étonnant là non plus, c’est l’odeur la plus naturelle qui puisse lui être associée en plus de l’acrylique. « C'était avant, ou après? » On est obligés d’aborder le sujet parce que tout ce qui revient à Bailey revient à Londres, en particulier ce moment précis de notre existence à tous les trois. J’étais aussi stupide que naïf de croire qu’elle pourrait simplement poser des questions sur aujourd’hui et pas sur le avant.

J'entrouvre la bouche et accepte de goûter son mélange, enfant docile le temps d’une seconde pour mieux exploser celle qui suit. « J’avais tort. » Le retour dans les retranchements soulage autant qu’il apaise et je sais qu’elle ne va rien brusquer comme je ne le ferai jamais pour elle. « C’est pas juste dégueulasse, c’est infâme. » J’esquisse un sourire maintenant que mes yeux ont retrouvés les siens et que mes jambes ont cessées de battre la mesure. Elle s’est approchée et maintenant je refuse qu’elle s’éloigne de nouveau, encore plus si c’est pour aller me resservir une part de Tiramipomme. Mes jambes viennent s’enrouler autour de ses cuisses sans la serrer, l'échappatoire que je lui laisse toujours. « C'était avant. » Parce qu’après je n’avais aucune raison de rester dans ce pays. Parce qu’après je n’aurais jamais eu la force de jouer à ce jeu. Parce qu’après rien ni personne n’a été capable de me faire oublier ce qu’il s’est passé. J’ai un millier d’explications à lui donner, toutes aussi véridiques les unes que les autres, mais si elle ne me dit pas en avoir besoin alors elles resteront dans un coin de mon esprit.

Mon pouce lui retirent tout le dessert qu’elle a pu se coller sur le bout du nez, la commissure des lèvres ou même les joues. Mes doigts s’activent à faire repasser ses mèches de cheveux derrière les oreilles, ils finissent par glisser sur sa peau avant de se lover près de sa nuque. Je ne lui demanderai pas pourquoi est ce que cette question lui est venue en premier, ça ne regarde qu’elle.

J'ai posé la question et pour une fois, je veux en entendre la réponse.

J'ai trop souvent demandé les choses en étant terrifiée de la suite. J'ai si souvent esquivé à la dernière seconde que je le fais par habitude, là, la cuillère qui monte vers lui et les gestes que je calcule les uns après les autres, distraite, investie. Mais mes yeux ne quittent pas les siens, et même s'il râle d'un « J’avais tort. » suivi d'un « C’est pas juste dégueulasse, c’est infâme. » je jure que le sourire qui glisse sur mes lèvres n'en est pas un las, n'en est pas un fatigué non plus. « Fais pas ta dramaqueen. » du bout de l'index j'essuie à son tour les miettes qu'il a de collé au visage par ma faute, le sourire en coin qui remonte, la pause dont on avait besoin juste pour se rappeler à quel point l'évidence est là, encore et toujours. À quel point l'issue de tout ça ne changera rien d'autre à nous, à ce nous qu'on s'autorise, à ce nous que j'aime toujours plus surtout dans des moments comme ceux-là.

Le temps reprend quand ses jambes se lovent autour de mes cuisses, qu'un pas est fait vers lui et cinq autres ensuite, quand le comptoir de marbre sur lequel il est installé se presse contre ma peau glacée. « C'était avant. » j'hoche de la tête, enregistre la chronologie pour y ajouter un détail de plus. La vérité reste que je savais, bien sûr que je savais. La vérité étant aussi qu'il fera toujours aussi mal ce tabou-là, mais qu'à force de l'enrober, qu'à force d'y ajouter des bribes et des extraits, qu'à force de le contourner pour mieux le compléter un jour j'espère qu'on arrivera à en parler, vraiment, franchement. C'est utopique et ça ne sera certainement pas pour ce soir, mais lorsque mes lèvres viennent se poser sur son front, lorsque ses doigts viennent dégager mon visage et lorsque mes yeux trouvent les siens avec un naturel qui ne nous appartient qu'à nous, j'y crois. Naïvement, mais j'y crois.

La couverture sur mes épaules que j'étire de mes mains pour l'enrober lui, maintenant que je le pousse avec toute la douceur du monde pour qu'il se décale, se reculant assez pour qu'à mon tour je puisse grimper m'installer avec lui sur le plan de travail. Mes jambes remontent et j'y vais au ralenti alors que je m'installe contre sa cuisse, son bras que je love autour de mes épaules sous la couverture maintenant commune. On est recroquevillés et on est bien, on l'est vraiment, on l'est suffisamment pour que ma tête se niche dans son cou, que j'y murmure la seconde d'après. « On devient de plus en plus doués avec les real talks. » autant nous donner le crédit sur quelque chose qui nous a brisés durant des tas d'années et qui aujourd'hui enfin fait un boulot impeccable pour nous réparer.

« Si je fais du café, t'en veux? » j'irai pas faire de café, surtout s'il me dit qu'il en veut. J'ai pas prévu bouger d'entre ses bras pour un bon moment encore, et entre la tentation du Tiramipomme sur le comptoir en face de nous et de la machine à espresso qui nous nargue sur la diagonale, c'est là la plus belle preuve d'amour que je peux lui faire. Ce soir, du moins.

On a des canapés, on a mille lits, on a deux milles poufs et même des tapis dans chaque pièce et pourtant le seul endroit où on trouve le moyen de se poser c’est sur l'îlot central glacial de la cuisine. Ça fait sens, pourtant, et je me décale sans trop souffler ni trop râler. Mes membres sont ceux d’un pantin, ils se plient à sa bonne volonté lorsqu’elle fait la demande d’avoir mon bras autour de ses épaules. Il s’y pose et s’y installe, mes doigts finissent par glisser sur son cou chacun à tour de rôle. « On devient de plus en plus doués avec les real talks. » Je souffle et ça sonne comme un rire ; c’en est un tout cas un à mon sens maintenant que je ne ferais absolument rien pour briser l’instant. Je tiens la couverture autour de nous et rapproche Ginny un peu plus de moi juste parce que je sais que dès l’instant où elle relâche son attention elle va finir par tomber, Ginny. Faut dire qu’on était les pires questions real talks, on pouvait pas tomber plus bas.

« Si je fais du café, t'en veux? » Mon bras descend au niveau de ses hanches pour mieux la rapprocher, ma tête se penche finalement contre la sienne et je ferme les yeux. Juste nous deux. Nous deux et Pizza, ouais, ok. On n’a jamais eu besoin de personne d’autre, ici ou ailleurs. Mon cou finit ultimement par vriller vers elle pour que mes lèvres se posent sur sa tempe, répondant en écho au baiser sur mon front. Sa question reste sans réponse, non pas qu’on en ait réellement besoin pour avancer. Si elle en voulait elle en aurait déjà fait dix tasses sans rien me demander. Je le sais puisque je la connais autant qu’elle me connaît.

Ultimement je descends de l’ilôt pour venir me placer face à elle de nouveau, la couverture parfaitement placée sur ses épaules. Confiant, je lui souris une dernière fois avant de venir réchauffer ses lèvres des miennes pour ensuite venir glisser mes mains sous ses cuisses pour la soulever. Je fais un jeu qui consiste à éviter de marcher sur la queue de Pizza et lui joue à un jeu qui consiste à être au plus près de mes pieds à chacun nouveau pas en direction de notre chambre. Elle est légère, Ginny, si légère, tout est facile. Tout va mieux quand il n’y a presque plus de poignet brisé, quand il n’y a aucune côte fissurée, quand il n’y a aucune ecchymose nulle part sur mon corps et quand tout semble bien aller dans le meilleur des mondes. Notre monde.