On n’avait pas le droit d’être là, mais personne ne nous l’avait concrètement dit.

Bon, c’était évident, parce que les lumières étaient toujours fermées, le matériel toujours rangé. C’était le bordel juste parce que je passais dans le coin, ça débordait de croquis et de débuts de toiles juste parce qu’il traînait avec moi quand il s’ennuyait assez pour être là, et pas pour errer ailleurs.

C’était devenu la salle de pause entre les cours, c’était devenu le cours d’initiation au portrait où on fait tout sauf dessiner des portraits. J’allais y réviser parce que c’était toujours plus calme que n’importe où ailleurs, j’allais y manger parce que la cafétéria se divisait toujours en groupes de potes et que je n’appartenais jamais vraiment à aucun d’entre eux, j’allais m’y réfugier pour un oui ou pour un non, et aujourd’hui encore, il était là Auden. Il disait rien parce que je faisais du bruit pour deux, à déplacer des tables et à repenser les étagères, comme si c’était à nous, comme si j’avais le droit, comme si on était à notre place juste parce que j’avais volé les clés.

Évidemment que le vacarme nous a fait repérer.
Évidemment que c’était ma faute, à avoir voulu jouer les petites caïds en devenir, à me croire tout permis juste parce que j’en avais envie.

Ils nous ont disputé en nous disant que ça pouvait être compté comme du vandalisme, les gravures qu’on avait faites dans le mur une fois, même mur sur lequel on a élaboré des tests de couleurs la semaine d’après. Ils ont dégainé nos dossiers étudiants - du moins le mien, ils ont tenté de trouver celui d’Auden mais il était nowhere to be found. Et maintenant, ils nous ont installés dans la salle de retenue à l’autre bout du bâtiment, dans une aile que je ne connaissais même pas et qui est submergée des bureaux de tous les professeurs prêts à bondir si on fait la moindre impasse.

« Ça va, ça va. Tu peux le dire. » il est posté au fond complètement de la salle, derrière un bureau que je l’entends gratter de son compas, son sourire à deux balles que je sens monter dans mon dos sans même que je tourne la tête vers lui. « Je l’ai mérité. » j’te l’avais dit Ginny, c’est sûr qu’il attend le meilleur moment pour le scander lui qui enfin n’a pas cherché le mauvais rôle dans l’histoire. Mes joues rougies et mon regard humide m’ont vendue bien avant qu’on dise quoi que ce soit, quand ils nous ont pris sur le fait.

La seconde d’après par contre, c’est à mon tour de sourire, quand je détourne le regard par-dessus mon épaule pour le regarder, réduire sans bouger d’un centimètre la distance entre la première rangée de tables où je suis installée et la sienne. « Mais c’était drôle, avoue. »

(toowong > Queensland University) C’était notre Salle sur Demande à nous. Sauf qu’elle est toujours là. Sauf qu’elle ne bougera jamais et que sa forme restera toujours la même, qu’à l’intérieur on pourra toujours compter les tableaux vierges par dizaines et les chevalets allant avec. Ça n’a rien à voir avec la Salle sur Demande, en fait, c’est seulement notre salle à nous que personne n’utilise jamais et laquelle on investit pour le simple bien de la communauté. C’est ce que j’ai en tout cas répondu quand on nous a posé la question, une fois pris en flagrant délit à l’intérieur. Apparemment cela ne les a pas assez convaincus puisqu’on a terminé en colle, sans que cela n’étonne finalement personne. Les salles vides destinées à me faire patienter quelques heures dans le but de me punir, ça aussi je connais. Elles sont un peu plus fissurées en Italie, c’est tout ce qui change.

« Ça va, ça va. Tu peux le dire. » Je l’entends à peine du fond de la salle, là où je me suis le plus naturellement du monde réfugié pour retrouver un semblant de bulle et d’espace rien qu’à moi. « Que j’avais raison ? » Mais ça coule de source, ça, tellement c’est évident, tellement c’est ce que je pourrais dire n’importe quand vu que j’ai toujours raison peu importe le sujet abordé. Je ne relève pas les yeux vers elle, trop occupé à dessiner un énième crucifix à l’envers sur cette table qu’ils avaient sûrement eu tant de mal à nettoyer depuis mon dernier passage. « Je l’ai mérité. » « Ah oui, ça aussi. » J’ai raison et elle l’a mérité, c’est évident. Peu importe le sujet, c’est toujours évident. Encore un peu plus aujourd’hui, sûrement, parce que même moi j’avais réussi à être discret et à ne parler de la salle à personne, à ne pas attaquer les murs à la perceuse non plus. Mais il a fallut d’une McGrath pour que le plan tout entier tombe à l’eau sans que j’en sois pour autant déçu ni même étonné.

« Mais c’était drôle, avoue. » Mon sourire s’agrandit parce que c’est dans ce genre de moment que je me rends compte qu’elle a grandi et qu’elle a pris en assurance, la gamine. « Je te mets un 4/10. Peut mieux faire. Ca sera toujours moins drôle que le jour où t’oseras répondre à Sanders. » Sanders qui n’est pas son professeur, finalement, mais ses cours auxquels elle continue d’assister en toute clandestinité. Cela a sans doute beaucoup à voir avec le fait que je ne le lui laisse pas le temps de donner son avis à ce sujet là : elle y va avec moi, point. « A partir de maintenant on ira chez toi pour préparer les rendus. Parce que t’habites plus près. » Je statue sans lui laisser le temps de me contredire, la raison de la distance me semblant être largement suffisante pour qu’on investisse son chez elle au lieu du mien. Comme si on avait réellement préparé un rendu en entier dans cette salle, en fait. « On s’en va ? » La salle est trop grande et trop petite à la fois, quand elle me paraît être à une année lumière de moi mais que les murs se rétractent petit à petit aussi, sans que personne ne le notifie sauf moi. De toute façon ils n’ont embauché personne pour nous surveiller, c’était couru d’avance qu’une des vitres allait nous servir à sortir, la faute à la salle au rez de chaussé. « Sauf si t’as vraiment envie d’écrire cette dissertation sur l'essor du fauvisme en France, hein. Moi tout ce que je sais c’est que j’ai faim et qu’ils vendent toujours des cookies à côté. » Elle aura faim elle aussi, maintenant, c’est acté. C’est la raison pour laquelle je n’attends pas son accord avant d’ouvrir une fenêtre et d’y passer le premier, sans me soucier aucunement qu’elle suive derrière. Elle est là, elle est toujours là.

J'ai raison, j'ai toujours raison, blablabla, je ne l'écoute déjà plus. Si entre la salle et la retenue j'ai pu paniquer des dizaines de fois à réaliser à quel point c'était la première fois de ma vie que je me retrouvais en colle, le voir aussi zen, l'entendre s'en ficher à ce point a fini par inévitablement me calmer sur la dose dramatique de la chose. Personne ne nous surveille, ça n'ajoutera pas de casier judiciaire à mes notes et j'ai enfin une chaise un peu plus confortable que le canapé défoncé sur lequel je me suis habituée à dessiner dans la pièce où on ne doit plus jamais aller mais d'où j'ai volé les clés.

« Je te mets un 4/10. Peut mieux faire. Ca sera toujours moins drôle que le jour où t’oseras répondre à Sanders. » je pouffe de rire, sachant que pour un premier essai à la rébellion, 4 sonne plutôt bien. J'aurais presque cru me retrouver dans la négative tellement je suis devenue muette et interdite, quand on nous a pris sur le fait. Par chance, il a 1000 ans d'expérience à jacasser pour sauver sa peau, les négociations étaient siennes. C'est pas pour rien qu'il est devenu mon avocat après le cours d'expression libre où ils ont tous voulu nous tuer. Depuis, j'ai une confiance aveugle en son plaidoyer. « A partir de maintenant on ira chez toi pour préparer les rendus. Parce que t’habites plus près. » « Si on va chez moi mes parents et mon frère vont venir nous déranger quinze fois par heure, on les avancera jamais les rendus. » ce n'est pas comme si on les avançait ici non plus. L'entente tournait plutôt autour de : Ginny avance le boulot, Aude tourne dans tous les sens et parle tout autant, Ginny finit le boulot, Aude repasse sur les détails et sur l'ensemble pour sauver le carnage, Ginny et Aude signent les rendus, et on saute à autre chose. Le lieu changeait rien, au final, tant qu'on gardait la même équipe atypique mais éternellement gagnante.

Il bouge déjà, je reste immobile, mes prunelles maintenant dédiées aux feuilles étendues sur mon pupitre. « On s’en va ? » mes sourcils se froncent, je tourne la tête pour attraper ses prunelles au vol. « On peut? » bien sûr que non, mais ça ne l'arrête pas, quand il se faufile entre les bureaux pour finir par passer par la fenêtre, laissant que sa voix dans son sillage. « Sauf si t’as vraiment envie d’écrire cette dissertation sur l'essor du fauvisme en France, hein. Moi tout ce que je sais c’est que j’ai faim et qu’ils vendent toujours des cookies à côté. » « Auden... » ma nuque s'allonge, ma silhouette en entier quand je suis aux aguets, quand je surveille le moindre signe qu'il ait été grillé, quand mon corps en devient un immense radar à état d'alarme. Mais la salle est vide et il ne reste que moi. Que moi, mon sac, sa chaise désorganisée et la brise australienne qui me caresse les joues maintenant que je finis par prendre le même chemin que lui, le coeur battant. « Auden! » j'aurais pu y sacrifier une cheville, deux même. J'aurais pu y laisser un poignet, un bras, mais miraculeusement c'est presque sans ecchymoses que je finis par le rejoindre, lui qui n'a pas ralenti, ma pseudo course qui rend la scène encore moins subtile qu'elle ne l'était déjà.

« J'aurais pu pratiquer la français. » que je râle, quand on voit l'enseigne du café un peu plus loin. C'est un commerce principalement pour les étudiants, ils l'ont aménagé hors du campus mais la majorité d'entre nous finit toujours par y traîner pour réviser la veille des examens, pour assister à des tas de soirées tellement expérimentales qu'à chaque fois j'en reste autant traumatisée que fascinée. Leur théâtre muet et leur atelier de poésie me rendent toujours si mal à l'aise, peu importe le nombre de fois où j'y accompagne Suzie et les autres, malgré les blagues vaseuses qu'Auden fait toujours pour me changer les idées quand la combinaison paupières closes et hoodie n'arrive pas à cacher mon mal-être. « T'as triché, t'as fait exprès de parler des cookies. » à nouveau je raille, comme si c'était sa faute, comme s'il avait usé d'un secret d'état quand mon talon d'Achille était si évident que tout le monde devait s'en être rendu compte déjà. Tout le monde, et lui aussi apparemment.

On passe la porte, ils sont habitués de nous y voir en duo parce que le barista s'affaire déjà à me préparer mon café autant qu'il évite d'office le coup d'oeil d'Auden ne sachant pas s'il est dans une bonne journée ou non. Des habitués, je disais donc. « C'est pas ce que tu crois... » que je finis par souffler, gamine en faute, quand je pose mon sac trop plein sur la table alors qu'on a investi une banquette entière, les feuilles du travail remis à faire en retenue qui s'étalent devant lui au même titre que mes carnets, mes crayons aussi. « ... okay oui c'est exactement ce que tu crois. » Ginny la nerd qui s'est fait remettre un devoir et qui le fera coûte que coûte. Je cache mes joues rosies sous le beanie que je lui ai volé y'a une vie, priant pour que mon espresso arrive dans la seconde et que je puisse prétexter une langue brûlée question de ne pas avoir à répondre à ses vannes sur mon statut d'étudiante modèle.

Je l’entends crier mon nom mais il n’y a rien de nouveau là dedans puisqu’apparemment elle a toujours une raison ou une autre en stock pour avoir des trucs à me reprocher ou pour simplement venir bourdonner à mes oreilles sans qu’il n’y ait de raisons à ça. C’est okay, on prend presque l’habitude de son accent anglais à force. Rien ne sera pire que son accent quand elle parle le français, de toute façon, c’est acté aussi profondément que je ne ferai pas un seul effort pour rendre cette dissertation. « T'as triché, t'as fait exprès de parler des cookies. » - « Ouaip. » La réponse vient le plus naturellement du coup tellement je n’en ai pas honte. Bien sûr que j’ai triché, bien sûr que j’ai utilisé une des dix millions d’armes que j’ai sous le coude pour appâter Ginny, et si ça n’avait pas été les cookies ça aurait été autre chose puisque la vérité est telle que cette escapade aurait été beaucoup moins drôle sans elle à mes côtés pour râler en choeur avec moi pour des raisons bien différentes.

Le café est notre chez nous numéro deux ou, en tout cas, un chez nous sur une longue liste qu’on ne peut même pas quantifier. On est chez nous là où on le désire, là où j’ai des gens à rendre fou et là où elle peut manger, ça sonne chez nous, ça sonne okay, ça sonne qu’on peut faire tout ce qu’on veut. Et ici on peut faire tout ce qu’on veut, absolument tout, et la seule chose qu’elle choisit de ramener ce sont les devoirs qu’on doit rendre. Oh, Ginny. « C'est pas ce que tu crois ... okay oui c'est exactement ce que tu crois. » Mes lèvres se scellent, je souffle, relève mes yeux vers elle à défaut de son sac plus lourd qu’elle encore.

Je finis par lever les yeux au ciel, clôture parfaite de mon spectacle de comédien-dramaturge. Mon bras s’étend quand je souris une dernière fois, ce même sourire qu’elle déteste toujours autant depuis la première heure. Mes doigts s’enroulent autour de mon beanie sur son front, je le fais basculer sur son visage pour le lui barrer et gagner au moins une seconde de silence de sa part avant qu’elle n’utilise les dix suivantes pour se plaindre du traitement que je ne cesse de lui réserver. « T’es presque belle comme ça. » Une seconde de moins pour laquelle on ne travaillera pas sur le devoir, pour laquelle je peux me contenter de lever la main et commander tous les cookies qu’ils proposent pour qu’au moins elle ne se plaigne pas que je n’ai pas été foutu de choisir son préféré - je sais lequel c’est, je le sais très bien. « Tu parles la français toute seule et moi je te regarde perdre ton temps. Deal ? » Question rhétorique, c'est un deal.

Spoiler:

« T’es presque belle comme ça. »
« Toi aussi t'es presque beau comme ça, en plus c'est un deux pour un je te vois pas et je vois pas ton sourire-tu-sais-très-bien-lequel. »

Il fait noir là, il fait noir et sa laine pique, et c'est assuré que ce soir je passe le bonnet à la machine parce qu'il sent étrange et que je peux parier que ça a à voir avec le fait que c'est lui qui le portait hier et quand il porte ses trucs avant moi ils sentent toujours bizarre sans que j'en ai la moindre explication - et sans que je la demande, aussi.

Ma main me libère le visage et mes mèches partent dans tous les sens quand je glisse rageusement l'une d'entre elles derrière mon oreille, la rage qui se dissipe à la seconde où mon café est posé devant moi. Il a le sien et ils lui ont fait un design de chaton en mousse de lait sur le dessus, c'est presque cute, presque, avant que je le casse en lui lançant le premier cube de sucre qui venait avec mon espresso, le deuxième finissant d'achever sans pitié son félin. Il préfère les chiens de toute façon, je suis certaine que les chats, ça l'ennuie. « Tu parles la français toute seule et moi je te regarde perdre ton temps. Deal ? » tout dans sa phrase sonne comme si l'entente était déjà prise et bien sûr qu'elle l'est, quand on entend le bruit distinctif de mon crayon et de lui seul qui commence à gribouiller les pages d'office sans plus de regards courroucés envers lui. « Pas perdre mon temps : m'assurer une carrière et un avenir. » je grave son nom à côté du mien, lui laissant l'espace après le va te faire foutre traditionnel pour qu'il y inscrive le nom de famille de son nemesis du jour, puis commence à compléter le tout en ramenant mes jambes en tailleur, la banquette qui m'appartient.

Il fait sa vie de l'autre côté de la table, pendant que de mon côté aussi je fais la mienne. « Tu veux faire quoi après? » que ma voix lui demande, quand j'en suis à la deuxième page déjà, presque la moitié de complétée sans qu'il n'ait levé le petit doigt pour me corriger une seule fois. « Après la retenue, et après l'Académie? » je précise, la mention de carrière et d'avenir qui trotte autant dans ma tête que je me doute qu'il a chassée de la sienne. On parle pas de l'après parce qu'on aime mille fois mieux parler du présent, on parle pas de l'avant non plus, il n'a étonnamment jamais eu vraiment d'importance à ses yeux comme aux miens. Faut croire que je suis curieuse d'entendre sa réponse autant que de penser à la mienne, pour une fois.

Du coin de l'oeil je vois sa main qui s'agite, je le vois qui étire le bras pour faire je sais pas quoi mais qui emporte avec lui sa tasse et la mienne, les deux encore miraculeusement presque pleines. « Aude attenti- » c'est inévitable, il noie entièrement le devoir et les réponses avec, le chaos est total et il n'y a plus moyen de voir quoi que ce soit sur presque l'entièreté des pages quand je les soulève les unes les autres, détrempées, qui dégoûtent à en noyer la table elle-même. « Les cookies te sauveront pas, là. » ils ont presque fini de préparer notre assiette en plus, ça aussi, je l'ai vu.

SPIN.THAT.WHEEL.:

Elle gratte le papier comme si sa vie en dépendait, la gamine. Elle est rapide et précise et elle ne dit pas autant de bêtises que j’aurais pu le croire, finalement, de ce que j’arrive à lire à l’envers de son devoir. « Tu veux faire quoi après? Après la retenue, et après l'Académie? » Je fais la moue, repose mon attention ailleurs que sur ses questions pour lesquelles elle a déjà la réponse. J’en profite pour m’adosser au mur, la tête posée sur la vitre froide (laquelle ne serait pas si froide que ça si personne n’avait eu l’audace de voler mon bonnet) et mes yeux perdus partout sauf dans mon café au dessin de chat explosé. « Et toi ? » Je veux être peintre et je serai peintre. Rien ne saurait se mettre en travers de mon chemin et le temps passé sur les bancs de l’Académie n’est qu’une distraction comme une autre, rien ne faisant d’importance ici.

Y’a un geste de travers, un seul, et tout va trop vite et tout tombe. C’est comme si on jouait à la tour infernale et que je venais de retirer le mauvais bout de bois, faisant ainsi tomber la tour toute entière et les cafés allant avec. Oups. « Les cookies te sauveront pas, là. » Pris sur le fait, j’esquisse un sourire qui ne me sauvera pas non plus. Les feuilles de papier sont translucides et j’aperçois son air contrarié de l’autre côté de ces dernières. Elle a ses sourcils qui se froncent, Ginny, et elle en serait presque crédible si elle ne ressemblait pas à une gamine. Peut être qu’elle le sera un peu plus dans dix ans, quand je continuerai à passer mon temps à la contrarier pour toutes les raisons du monde. « Tu dis ça parce que tu les as pas encore goûtés. » L’assiette est prête, elle est là pour nous, le serveur n’ose pas s’approcher à cause du désastre auquel il vient déjà de faire face. Il a peur, c’est sûr et certain - tant pour lui que pour elle alors qu’à mon sens il devrait se focaliser sur son propre sort.

« A emporter. » L’ordre de commande change tout comme les priorités viennent de nouveau de changer elles aussi. On a à peine eu le temps de se poser qu’on repart de nouveau puisque j’anticipe déjà toute la comédie qu’elle va faire si jamais on ne rend pas ce devoir. Je sais à quel point ça compte pour elle, aussi, mais si on me demande seule la première raison sera dévoilée. « Boude pas, on va retourner chercher un sujet. » Retour à la case départ avec seulement un sachet plein de cookies en plus. Ils sont brûlants, ils sentent bon et surtout surtout ils dégoulinent de chocolat et de caramel et de tout ce qu’il fera qu’elle aura les doigts collés dans quelques minutes à peine. « Prends les. » Pas mes cookies, pas mon devoir, pas mes problèmes.

Je fais au mieux pour trouver des alternatives plus réjouissantes pour la suite de la journée et passe mon bras autour de ses épaules dans le seul et unique but d’être lourd à souhait. « J’occupe Sanders et tu vas dans son bureau chercher des sujets. Prends un truc cool, pas le fauvisme. Si tu vois Michelangelo sur un sujet, je t’aiderai peut être à rédiger. » Parce que dans mon esprit il y aura tout un tas de sujets sur son bureau, lesquels iront de ‘ennuyant à mourir’ à seulement ‘ennuyant’.

C’est bien moins drôle de retourner dans notre prison dorée que de s’enfuir, raison pour laquelle cette fois-ci on marche à son rythme à elle. Je suis certain que si on aurait pu faire demi tour, on l’aurait fait, parce que là on a rien d’une équipe de winner et en plus on manque cruellement de caféine dans le sang. Autant dire qu’on a de sales gueules (elle plus que moi, d’ailleurs).

Spoiler:

« A emporter. » qu'il déclare avec la voix qui sonne comme une sentence de mort. Je fronce d'office les sourcils, il les verra sûrement pas tellement mes cheveux et le bonnet cachent toute pointe d'autorité que je pourrais peut-être me vanter d'avoir, un jour, peut-être, je sais pas, j'en doute. « Boude pas, on va retourner chercher un sujet. » et il est bizarre, il est louche, il se coltine mon silence le plus complet et mon air le plus dubitatif. Je mime chacun de ses gestes en me levant au ralenti de la banquette et en suivant ses pas hors du café sans que jamais il ne dise une bêtise de plus, sans qu'il ne se moque de ma naïveté en raillant qu'il m'a bien eue, et en disparaissant dans un nuage de fumée et autres croix sataniques la minute d'après. « Prends les. »

« Y'a une arnaque. » c'est la seule et unique conclusion que j'arrive à en tirer, quand il me tend les cookies, quand il pose lourdement son bras autour de mes épaules et que je tiens son regard coûte que coûte même si on a commencé à marcher en direction de l'Académie comme s'il s'agissait de notre nouveau chemin de croix commun du jour. « C'est quoi l'arnaque? » il répondra pas, il va pouffer de rire, il va me pousser dans les bosquets les plus piquants de roses et j'aurai que son sourire à deux balles auquel me rattacher quand il me sortira de là la seconde d'après en me convaincant que c'était drôle et que d'office je devrais presque pas râler parce que j'ai des biscuits pour calmer mon égo d'avoir chuté.

Mais la troisième dimension se poursuit quand il m'expose le plan, plan qu'il a apparemment déjà défini. « J’occupe Sanders et tu vas dans son bureau chercher des sujets. Prends un truc cool, pas le fauvisme. Si tu vois Michelangelo sur un sujet, je t’aiderai peut être à rédiger. » j'arque la nuque, finis par hocher de la tête sans me dégager de son emprise, bien trop terrifiée de changer quoi que ce soit à la situation actuelle, et qu'il réalise à quel point il est un allié là et pas juste le grand méchant qui s'amuse à m'embêter 24/7 depuis le tout premier jour. Je sais plus trop à quand ça remonte maintenant, le premier jour, tellement on se lâche pas depuis et tellement il y en a eus des jours ensuite. On dirait qu'il a juste toujours été là, mais je le nierai si on me le demande, encore plus si ça vient de lui.

L'Académie aussi, est étrange. Et dangereusement silencieuse. Le bureau de Sanders où les devoirs intacts se trouvent est au bout du couloir, couloir qu'on traverse sur la pointe des pieds sans jamais se faire repérer. J'y crois, qu'il a payé un concierge pour qu'on ne nous trouve pas, qu'il lui a promis monts et merveilles avec toute la fourberie dont il est capable mais j'arrive pas à trouver un seul moment où il aurait pu se libérer pour le faire, et donc la logique en prend un coup. D'office, je garde donc son bras autour de mes épaules en agripant ses doigts des miens, le tirant devant sans aucune possibilité qu'il s'échappe. Si on m'attrape, on l'attrapera en même temps que moi. « Ton plan est nul, Sanders est nulle part, tu viens avec moi et je dis que c'est ta faute si on me demande ce que je fais là, que tu m'as menacée et - oh. »

Mes yeux se perdent au fil de mes mots, ma main libre qui dégaine la liste des choix de sujets, et Michelangelo - oui, je le dis de la bonne façon maintenant, il me fait vivre dans un climat de terreur constant si je ne respecte pas mon engagement - s'y trouve tout en haut. « C'est cool ça. » on suggère une salle secrète où il traçait ses croquis à Florence, on liste une cachette que je ne connais logiquement pas et que je suis persuadée qu'il dira connaître, même si c'est faux. Mais je lève les yeux pour le lui demander de toute façon, encore et toujours persuadée qu'à moi, il dit toujours la vérité. « Tu savais que ça existait? »

Le moment volé dure à peine le temps règlementaire avant qu'on entende à nouveau un bruit dans l'angle, de l'autre côté de la porte qu'on a bien pris soin de fermer derrière nous. « Bouge pas bouge pas bouge pas bouge pas. » que je chuchote, comme si ça changeait quoi que ce soit, comme si d'être plantés à deux dans une pièce où rien ne peut nous cacher et de ne pas bouger n'allait pas compliquer la suite.

suzmcsuz edition:

Je l’entends qui parle à mes côtés mais je ne l’entends pas, sûrement que ça a quelque chose à voir avec mes doigts qu’elle tire et c’est sûr que toute mon attention dérive vers ces derniers au lieu de nulle part ailleurs. « C'est cool ça. » Mes yeux dérivent à ce moment, pile quand j’arrête de les laisser se faufiler sur les étagères poussiéreuses et qu’enfin je me concentre sur la liste de sujets mise à disposition. Je m’entête à vouloir lui voler les feuilles des mains, mon bras se resserrant encore un peu plus autour de son cou pour la faire plier dans une position qui n’a rien de naturelle. Encore une fois, oups. « Tu savais que ça existait? » Il est question de Firenze, il est question de secrets et de salle secrète et mon attention est naturellement attirée par la feuille. « J’en ai entendu parler quand j’étais à Florence. » Mon esprit est ailleurs, je me replonge dans ces années de découvertes dans les villes italiennes. Tout ne remonte pas à si longtemps, tout était beau, tout se nourrissait d’art et Florence surtout, Florence était belle, Florence était grandiose. « Je voulais y aller mais j’étais trop occupé à vouloir dessiner Santa Maria del Fiore et - » « Bouge pas bouge pas bouge pas bouge pas. » Et okay. Pas d’histoire sur Florence, aucun récit dans lequel je n’avais (pour une fois) pas prévu d’exagérer quoi que ce soit quand je voulais pour une fois lui parler franchement de mon passé qu’elle ne connaît pas. Foutu Sanders.

La feuille de papier entre ses mains, les miennes viennent se poser sur sa bouche pour l’intimer à se taire, ce qui nous aiderait bien plus que de ressembler à des statues de marbre au milieu de la pièce. C’est aussi la raison pour laquelle je nous déporte vers le mur, ses épaules plaquées contre ce dernier alors que je me place face à elle, me contentant de prier pour que cela suffise à ne pas être repérés. « Shhht - non non fais pas ces yeux là shhht. » J’ordonne en chuchotant, ma crédibilité désormais aussi basse que la sienne. « AUDEEEEN Je sais que t’es lààà. » A mon tour de souffler, la voix caractéristique de Suzie venant perforer mes tympans. Je relâche totalement ma tête et la laisse se reposer contre le mur derrière elle, soufflant longuement par dessus son épaule. « Je te laisse pas détruire Michelangelo toute seule. Je reviens. Promis. » Mon visage se déporte près du sien alors qu’on entend les talons de Suzie de l’autre côté de la porte, mes lèvres se déposent sur sa joue et s’y enfoncent le temps d’un instant.

J’ouvre finalement la porte avant de laisser Suzie entrer, désireux de pouvoir garder ma couverture aussi longtemps que possible. « Suzie je t’avais envoyé mes horaires où j’étais occupé avec mes plans, tu fais exprès à force. » L’attention se détourne ailleurs, je nous emmène dans une autre direction et prévoit tout autant de fausses réponses à toutes les questions bien trop compliquées et bien trop personnelles qu’elle pourrait me poser.

Je l’entends qui parle à mes côtés mais je ne l’entends pas, sûrement que ça a quelque chose à voir avec la peur panique de me faire prendre à nouveau sur le fait, sûrement que ça a quelque chose à voir avec les tentatives de me rebeller qui se succèdent depuis qu'il est partout dans ma vie et qu'il me pousse à éternellement faire pire parce qu'au final, ça en devient toujours meilleur.

Mais les bruits de l'autre côté de la porte se multiplient et on est loin du Auden qui se moquait de moi au café, on est loin du couloir désert, on est loin de la salle vide de retenue. Si ils nous trouvent là, c'est fichu, les scénarios recommencent à tourner dans ma tête et la seule façon de ne pas finir en stress, roulée en boule au fin fond de la salle réside à ce que je lève les yeux vers lui et déborde de mots et de phrases et de conséquences et de discours, le tout qu'il stoppe en plaquant ses mains sur mes lèvres et en me plaquant moi-même sur le mur. « Shhht - non non fais pas ces yeux là shhht. » ces yeux-là, ils sont presque aussi pires que ce sourire-là, sourire qu'il n'arbore pas parce qu'on n'a rien de glorieux en ce moment, et encore moins de conquérant à flipper tous les deux comme des enfants.

« AUDEEEEN Je sais que t’es lààà. » Suzie, bien sûr que c'est Suzie.

C'est pas Sanders au moins, c'est pas un autre prof non plus, c'est pas la directrice de l'Académie et c'est certainement pas quelqu'un à qui il va dire non quand je sais très bien à quoi ressemblera la suite. Et je jure que je suis entièrement okay avec le fait qu'il se tire et qu'il aille passer la journée complète, que dis-je la vie entière avec elle, c'est cool, ça va, y'a rien, et y'a surtout pas son souffle qui se casse sur ma nuque et y'a certainement pas ses mots qui s'additionnent à mon oreille. « Je te laisse pas détruire Michelangelo toute seule. Je reviens. » il a dégagé sa paume de ma bouche, mon murmure répond au sien. « C'est une promesse? » « Promis. » ça sert à rien de garder tes doigts autour de son poignet Ginny, ça sert à rien de le retenir parce qu'il l'a dit. Il revient, il a promis. Son baiser volé se plaque sur ma joue mais ma main ne le lâche qu'à la dernière seconde, quand je me hisse à sa hauteur et détourne la tête, la commissure de mes lèvres rencontrant celle des siennes.

Il ouvre la porte et elle entre, il raconte n'importe quoi sur ses horaires et sur ses plans qu'elle ne saura jamais vraiment parce qu'il change tout le temps Auden, parce qu'il mélange les cours et les dates et parce qu'il fait à sa tête et parce que je le connais son planning finalement, je le connais par coeur. Il lui fait faire volteface maintenant que je retourne rapidement ramasser l'exemplaire de devoir laissé lâche sur le bureau, le filant dans mon sac que je glisse sur mon épaule avant de viser la fenêtre par laquelle je sortirai comme il me l'a montré. J'ai à peine le temps de capter son regard dans l'embrasure de la porte que je disparais déjà, le devoir à faire en main, le sourire qui fait écho au sien.