Ils n’avaient rien fait de ce que j’avais en tête. J’ai dû prendre les bombes et rajouter des traits, de la nuance. En quelques heures, j’ai mis des années d’observation en pratique. À chaque nouveau spray coloré, j’avais en tête les conseils de Ginny. Faire attention au mariage des couleurs, toujours laisser le poignet finir le geste. Laisser son instinct aller. Ce n’était pas exactement l’image que je m’étais construite pendant des semaines, mais c’était bien plus proche de mon envie et de celle de Sam. Le gamin tout ce qu’il souhaite, c’est que son clip soit parfait. Il a exposé un million d’idées pendant des semaines, fait des découpages pour expliquer les couleurs, l’enchaînement de l’histoire. Le pseudo graffeur que mon frère avait engagé n’était clairement pas à la hauteur. J’aurais aimé demander à Ginny de venir. J’avais bien trop peur de la confronter à mon frère ces temps-ci. Alors, j’ai essayé avec mes souvenirs et les millions de toiles et croquis que j’ai pu voir défiler. Sam, il a apprécié. Il m’a remercié. Encore et encore. Il a sous-entendu pour la centième fois le jeune, qu’il ne voulait pas que Sebastian interfère. J’ai promis que ça allait se régler.

Le carton tinte entre mes mains bariolées de couleurs. J’ai tenté de tout faire partir, il faut croire que ça aussi, je l’ai gardé de Ginny. Les mains tâchées de peinture, le tee-shirt barré d’un immense trait rouge signe d’un raté monumental en tenant la bombe dans le mauvais sens. Je pousse la porte vitrée de la galerie de mon épaule. Elles sont rentrées il y a plusieurs jours, les filles. Jill m’a tout raconté. Elle était si heureuse de ce séjour passer rien qu’avec sa sœur. Elles en avaient eu besoin. Et j’ai pensé attendre un signe de Ginny. Lui laissé le temps encore. Mais mon temps à moi et compter. Et la conversation que j’ai eue avec Auden n’a cessé de tourner dans mon esprit tourmenté. On ne reprendra pas notre conversation là où on l’a laissé. On va juste tenter d’avancer. Malgré tout, j’ai ressenti le besoin de venir armer d’une excuse. Au pire, je lui laisse le carton et la liasse de papier qui se cache dans le sac à mon épaule et je m’en vais. Au pire, je lui donne tout l’espace.

Elle est dans son coin de la galerie Ginny. Tout est calme, la journée se termine. Elle gratte ses ongles emplis de peinture et j’ai envie de rire. « T’as du corail sur l’épaule. » que je lui dis alors que je me rapproche d’elle. « Et du cyan sur la joue. » Ça ne changera jamais ça. « C’était quel mélange cette fois ? » Qu’elle couleur as-t-elle voulu créer ? Je serais toujours curieux de son pouvoir créatif. Elle semble désorganiser comme ça Ginny, mais son art, c’est toute une histoire. Je pose le carton sur le haut tabouret près de sa toile. « On allait les jeter. J’ai pensé que t’en ferais bon usage. » Je soulève les pans du carton pour lui dévoiler les bombes de couleurs.

« T’as du corail sur l’épaule. » ma silhouette en entier qui s'immobilise, prise sur le fait, alors que mes prunelles quittent maintenant mes ongles pour tenter de scruter où sur mon t-shirt la peinture s'est étalée. C'est une question piège, c'est partout la réponse, et si Bailey l'a vue avant moi c'est strictement parce qu'il a l'habitude d'une vie d'avant de passer dans mon sillage pour effacer les taches que je laissais sur le carrelage de l'appartement, là-bas. « Et du cyan sur la joue. » je pouffe de rire, ma paume encore rosée et barbouillée qui s'affaire à essuyer ma peau, quand je sais aussi bien que lui qu'en ce moment je ne répare pas les dégâts, je ne fais que les empirer.

Il a l'air bien, Bailey. Un peu fatigué, un peu préoccupé, un peu tout, et ses iris ne me le cachent pas même s'il voulait, même si je n'ose pas non plus les lire aussi longtemps que je le faisais, jadis. Mais il a l'air d'aller mieux, et en ce moment, c'est strictement à ça que je me rattache. « C’était quel mélange cette fois ? » « Mélanges, avec un S. » ma voix est enrouée de ne presque pas avoir parlé de la journée tellement j'étais concentrée sur le tableau qui siège devant moi, sur l'immense chevalet que j'ai déplacé en bordure d'une des baies vitrées de la galerie pour peindre au mieux. « J'essayais de faire du gris. Mais un gris bleu, et ensuite un gris violet, et ensuite - ensuite, je sais plus, mais ça a donné quelque chose de cool. » je pouffe de rire, lui-même se doute d'à quel point je peux devenir butée à tenter de faire la bonne teinte, de trouver les bons assemblages, quand les tubes tous faits ne m'ont jamais convenus, quand je m'en suis toujours tenue si loin.

« On allait les jeter. J’ai pensé que t’en ferais bon usage. » dans ses mains se tient un carton vers lequel j'avance à tâtons, laissant mon regard parcourir l'intérieur et le matériel qu'il y amène. Ça sonne comme un drapeau blanc absolument obsolète à mes yeux. J'y vois l'effort, j'y vois la trêve, j'y vois cet après-midi là sur la plage secrète et tout ce qu'il signifie pour nous, mais je n'y vois pas la seule et moindre raison de lui en vouloir, ni de refuser quelque offrande que ce soit. « T'as bien fait. » pourtant, s'il ne semble pas vouloir me brusquer, je ne le brusque pas non plus. On en reparlera, un jour, quand ce sera moins à vif. Pour l'instant on avance on se l'est promis. On avance doucement mais on avance tout de même, et pour nous deux, ça en devient essentiel, vital.

À mon tour de lancer un drapeau blanc en bonne et due forme. « Y'a du café du prêt, si tu veux voir le résultat final. » la routine qu'on avait prise à Londres qui n'en est rien en soit, une bribe qu'il a peut-être même oubliée. Celle où il passait à mon atelier boire son café de fin de journée, se poster sur le canapé en bordure de mon chevalet pour voir les détails sur lesquels je repassais toujours avant de quitter la pièce pour reprendre ma vie, la nôtre, Noah en priorité.  

Noah d'ailleurs, que j'aborde le plus naturellement du monde, retournant à ma toile quand j'entends ses pas suivre mon sillage. « Noah arrête pas de parler du vidéoclip où il est allé avec toi. Il a adoré ça. » jusqu'à ce que ce que Sebastian se joigne à vous - mais ça, je ne le précise pas, sachant à quel point le sujet est tendu pour Bailey et l'est donc aussi, pour moi.

Mélange au pluriel, excuses à l’exponentielle. J’avance à tâtons dans la pièce, mon carton que j’agite tel un drapeau blanc. Je le pensais nécessaire, au premier sourire, elle me prouve que cela n’était même pas requis. Le dynamique reste inchangé, malgré les derniers ratés, malgré cette après-midi qu’aucun d’entre nous n’es prêt à aborder. Je pense aux paroles d’Auden. Je reste encore chancelant, mon carton en main et c’est elle qui approche. C’est elle qui apaise en parlant de couleurs, en acceptant le premier pas. « Tu as bien fait. » Il est là le sous-entendu. Bien fait de lui amener le reste de matériel. Probablement bien fait d’être revenu aussi rapidement. On a trop souvent laissé traîner en silence. Avec le temps, les erreurs changent. Mon offrande qui se veut comme une excuse silencieuse, une ultime demande de pardon.

Je dois paraître bien trop nerveux, bien trop timide. Et bien entendu, elle le ressent, Ginny. Et à son tour, elle agite un drapeau blanc. Ultime signe de paix. Preuve que tout ira bien, parce que l’on avance tout simplement. « Y'a du café de prêt, si tu veux voir le résultat final. » Un sourire se dessine sur mes lèvres face à l’étrange sensation familière de la proposition. Le café de fin de journée. À Londres. Quand rien n’allait avec mon père et Sebastian, quand les journées au studio ressemblaient à l’enfer, mais que j’y retournais chaque jour. Quand je ne supportais plus leurs remarques et que je partais me réfugier dans le petit atelier de Ginny. Un café et ses toiles. Le noir et les couleurs. Déjà, je nous sers une tasse chacun. Et je profite de la première gorgée comme si je l’avais attendu pendant des années. « Ne le dis jamais à Jill. » que je murmure en souriant malicieusement. « Mais je préfère ton café. » Et c’est sacré ça chez les McGrath, je l’ai appris au fur et à mesure des années. Ils l’aiment tous de la même manière et pourtant la tasse de Jill n’aura jamais le même goût que celle de Ginny.

« Noah arrête pas de parler du vidéoclip où il est allé avec toi. Il a adoré ça. » Il est là, aussi, notre drapeau blanc. Ce petit garçon qui navigue dans nos vies tel un véritable rayon de soleil. Elle avait mal terminé cette petite aventure sur le lieu de tournage. Elle le sait, Ginny, je le vois. On n’en parlera pas. On ne retiendra que le beau, comme Noah. « Toute l’équipe est sous son charme. » Je ne statut que l’évidence. « J’ai hâte de voir ce qu’il a filmé avec sa caméra. » Je lui avais laissé l’autorisation au gamin. Il s’est improvisé metteur en scène le temps d’une après-midi. Il a usé des mètres de film pour un plan en particulier. Il est artistique comme ça Noah. Le silence s’étire entre nous. J’observe sa toile. Elle m’observe. Je soupire et lance hésitant : « T’avais dit qu’on ferait front ensemble. »

« Ne le dis jamais à Jill. » oh, que je déteste ce genre de confessions.
« Mais je préfère ton café. » oh, que je ne retiens pas un éclat de rire, là, de suite, de casser le silence dans la galerie, de filer entre un sourire empli de fierté et un autre.

« Ne le dis jamais à Matt. » alors je joue au même jeu que lui, ajoutant autant de drame que possible à mon propre secret, additionnant même plusieurs secondes de suspense maintenant que je porte ma propre tasse à mes lèvres.
« Mais je préfère le café de Swann. » l'horreur qui détruirait des coeurs si l'information venait aux oreilles du principal intéressé, occupé à diriger son propre coffee shop à l'heure où on se parle. Swann ajoute de la cannelle au sien, et que ça, à mes yeux, ça change tout.

Je fais doucement le tri dans la boîte à surprises que Bailey m'a apportée, posant le tout au sol pour m'y installer en tailleur et laisser mes mains farfouiller à travers les bombes et autres palettes de peinture. « Toute l’équipe est sous son charme. » pendant que lui, il fait les tri des informations au sujet du gamin qui s'est probablement découvert une nouvelle piste de carrière quand il est à l'âge où tous les métiers l'intéressent. Hier, il voulait être océanographe, demain, il voudra être psychologue. « Ils le seront moins quand il aura vidé tout leur buffet en deux passages express. » et je ne pourrais pas être plus fière d'avoir élevé un estomac sur deux pattes, soyons clairs. Mes prunelles remontent vers Bailey alors que ma silhouette fait de même, qu'il poursuit son récit l'oeil brillant. « J’ai hâte de voir ce qu’il a filmé avec sa caméra. » « Oh, d'ailleurs, je pense qu'il est en phase de montage là. Tu veux que je parle à son assistant pour planifier votre visionnement? » je précise, pouffant de rire la seconde d'après, son assistant étant clairement Pizza, et le garçon étant probablement déjà en train de planifier lui-même son visionnement extra popcorn extra chips extra bonbons au moment-clef où il aura terminé de mettre toutes ses images au bout les unes des autres.

« T’avais dit qu’on ferait front ensemble. » à peine une minute de silence, à peine. Mes iris qui s'étaient égarés sur ma toile pour en voir les défauts, pour en analyser les traits et les points à retravailler et à compléter, qui reviennent trouver les siens de la plus naturelle, de la plus rassurante des façons. « Je l'ai dit et je le répèterais encore, si tu voulais l'entendre à nouveau. » au cas où il en doute, je n'aurai absolument aucun mal à le lui rappeler. Et je pourrais lui demander ce qui s'est passé, je pourrais lui demander ce qui l'angoisse, je pourrais lui demander de se vider le coeur, je pourrais en mentionner, bien des drames.

Mais plutôt je vais de l'avant et je vise le résultat, non les causes. Lorsque je demande enfin, aussi sérieuse, aussi investie que possible. « De quoi est-ce que tu as besoin? »

« Ne le dis jamais à Matt. » Je retiens un rire. Elle sait parfaitement que je n’irais jamais confier quoique ce soit à son frère. Mais j’entre dans son jeu, parce qu’elle ne cesse de sourire et que ça me plaît de la voir comme ça. « Mais je préfère le café de Swann. » Oh. Interesting. Je ne m’y attendais pas et je ne peux retenir mon rire franc. Je pourrais lui promettre que je serais une tombe, que je ne vendrais jamais la mèche, mais ce n’est pas nécessaire. Elle le sait. C’est acté depuis bien longtemps.

Je l’observe s’asseoir en tailleur pour fouiller dans le carton que je viens de lui ramener. Elle fouille, grimace en tombant sur une couleur qui ne lui plaît pas tant que cela, mais s’illumine la seconde d’après, parce que déjà, elle a trouvé une utilité à tout ce qui se déverse à ses pieds. C’est dans ces instants-là que la ressemblance avec Noah est des plus frappantes. Ils sont des copies conformes dans leur curiosité et leur ingéniosité. « Ils le seront moins quand il aura vidé tout leur buffet en deux passages express. » Sur ce point, aussi, ils se ressemblent bien trop. Signe distinctif de tous les McGrath qui partage désormais ma vie. Je pourrais m’en plaindre, en réalité, je m’émerveille à chaque fois devant leur capacité à engloutir des sucreries. « Jill était avec nous, compte un seul passage. » Ma femme est aussi enfantine que Noah quand il s’agit de chiper des bonbons ou tout autre snack. Sur ce sujet, ils s’entendent à merveille les deux. « Oh, d'ailleurs, je pense qu'il est en phase de montage là. Tu veux que je parle à son assistant pour planifier votre visionnement ? » Je pouffe avec elle, levant les yeux au ciel. J’apprécie une gorgée de mon café avant de me pencher en avant pour croiser son regard. « Rendez-vous vendredi prochain, chez moi, pour une avant-première ! » Bien sûr que Noah à déjà tout prévu. Il a imposé le jour, le choix du repas. « Auden est le bienvenu. » Et j’offre les possibilités.

Le silence s’impose un temps, avant que je n’ose formuler la véritable raison de ma venue. Je reprends les conditions évoquées, elles les affirment sans même sourciller. « Je l'ai dit et je le répéterais encore, si tu voulais l'entendre à nouveau. » Je sais Gin. Je voulais juste m’assurer que rien n’avait changer. « De quoi est-ce que tu as besoin? » « De toi. » Et l’affirmation paraît bien trop grave, bien trop solennelle et peut être un brin déplacée. « Enfin de ta galerie… Et de toi. » Je me tortille sur mon siège, me penche pour attraper mon sac bourré de dossier en tout genre. « Ça ne va pas avec Sebastian. » Le terme est si faible proportionnellement à la réalité, mais je ne veux pas qu’elle s’inquiète. Le moins, elle sera pleinement impliquée dans cette histoire, le mieux ce sera. Pourtant, c’est à elle que j’ai pensé à la seconde où l’idée de mettre certains de mes artistes à l’abri m’a frôlé l’esprit. « Je veux protéger certains des artistes. » Vraiment les protéger. Ne pas compromettre leur carrière pour des histoires de famille. « Est-ce que tu pourrais les signer ici ? » Je sors les dossiers et les poses sur le bureau. « Je me suis renseigné, ce n’est en rien illégal. Juste… Peut-être ajouter une filiale à l’esprit de ta galerie ? Pendant un temps… »

La passion vlogger de Noah date depuis des mois déjà. Entre le vidéoclip auquel Bailey l'avait amené et les dizaines de centaines d'heures (j'exagère à peine) qu'il passe avec Auden à filmer l'entièreté de sa liste exhaustive de tout ce qui est inutile juste pour pouvoir dégainer à la moindre demande de ma part un "J'peux pas, j'suis occupé à devenir un artiste là!" y'avait absolument aucun doute que la caméra que Williams lui avait offerte en cadeau à son anniversaire était entrée dans son investissement. « Rendez-vous vendredi prochain, chez moi, pour une avant-première ! » « Oui, il m'a dit. » je pouffe de plus belle, revoyant le bambin à faire les cartons d'invitation sur la table du salon à la maison, piquant mes pastels et mon aquarelle pour finalement se charger de prendre la patte de Pizza pour faire les encoches. « Auden est le bienvenu. » « Je lui passerai le mémo. » je vois ce qu'il fait, je sais qu'il essaie du moins. C'est à son honneur d'encore et toujours avoir espoir à tenter de réparer des pots cassés si fort et si souvent, au fil des années.  

Les choses sérieuses viennent vite se poser entre nous, je lui laisse toute la place pour le faire. « De toi. » j'hoche docilement de la tête, sans accepter quoi que ce soit, autre qu'il poursuive son plaidoyer. « Enfin de ta galerie… Et de toi. » mes sourcils se froncent imperceptiblement, peine à vouloir même cacher le fait que je ne comprends pas les liens qu'il semble pourtant lui-même déjà avoir tracé en son sens. « Ça ne va pas avec Sebastian. » mais encore? Ça n'a jamais été avec Sebastian. Ça n'a jamais été à Londres, et force est d'admettre que même sur un autre continent, certaines habitudes sont toujours aussi cruellement tenaces. « Je veux protéger certains des artistes. » la technique du compte-goutte qu'il met en place d'une main de maître, mes mains à moi qui se love sur mes mollets alors que j'ai rapproché sans même le réaliser mes jambes de moi. La barrière est apparemment nécessaire entre ses affaires de famille et les miennes, la protection de gamine que j'ai mise en place instinctivement y'a des années, quand son frère me terrifiait plus que de raison. Il me terrifie encore à voir l'état dans lequel Bailey se met à nouveau à cause de lui, malgré toutes les années qui se sont lentement et sauvagement écoulées. « Est-ce que tu pourrais les signer ici ? Je me suis renseigné, ce n’est en rien illégal. Juste… Peut-être ajouter une filiale à l’esprit de ta galerie ? Pendant un temps… » oula.

Ma voix arrive à monter à ses oreilles dans une galerie absolument vide. Et limite, ça ne me dérangerait même pas qu'il y ait d'autres gens, au sens où s'il y a bien une chose que j'ai apprise, c'est que Sebastian est éternellement aux devants de qui que ce soit. Autant prendre pour acquis qu'il sait déjà même si miraculeusement ce n'est pas le cas. « Qu'est-ce qui s'est passé, depuis la dernière fois? » je demande donc, d'abord. Parce qu'il est vague Bailey, et parce que la situation qu'il avait évoquée lors de notre après-midi à la plage, que justement je n'évoquerai pas, annonçait une nouvelle ère sans me donner de concret, sans me préciser d'où on part. « C'est pas une décision que je veux prendre seule. » ni que je peux, pour être entièrement honnête. Ici, à comprendre qu'Auden n'est pas juste le bienvenu, mais qu'il sera partie intégrante et prenante du plan si c'est ce que Bailey me demande vraiment. Cette valeur-là est tout sauf négociable. J'ai fini de mentir à ceux qui comptent à mes yeux pour le bienfait et la bonne volonté des Fitzgerald et des McGrath, aujourd'hui ne fera certainement pas exception à la règle. « Mais c'est pas un non non plus. » que je rassure le blond, sachant que de me demander le tout a dû prendre l'entièreté de ce qu'il a de forces et de courage dans un moment où il semble dramatiquement en manquer.

« Si on fait ça, je veux tout savoir, absolument tout sur ce que toi tu sais. » je finis par affirmer, une minute plus tard. Pas de secrets, pas de détails voilés pour protéger qui que ce soit, pas d'informations qu'il se garde de me céder parce qu'il se sent redevable pour une raison ou une autre à Jill. Tout.

Depuis des semaines, je suis partagé entre l’envie de lui demander de l’aide et l’envie de la tenir éloigner le plus possible de ce qui semble se profiler pour moi. Des heures à fixer le mur en retournant la situation dans tous les sens. Des nuits passer au studio à recopier les informations des contrats sans jamais rien sortir du serveur. Des insomnies qui s’éternisent alors que je tente de me convaincre que Sebastian n’est encore au courant de rien, que peut-être, pour une fois, j’ai une longueur d’avance sur lui. Et cette même conclusion, encore et toujours : j’ai confiance en elle. Quoiqu’il arrive, j’aurais toujours confiance en Ginny et sa promesse de faire front ensemble ne m’a pas quitté, malgré les derniers événements. Le plan que je déroule de manière vague, a testé le terrain, attendre la moindre de ses réactions. Et le silence me fait comprendre qu’au fond, quelque part, quelque chose s'est brisé depuis longtemps déjà. Je me suis préparé à toutes les éventualités de l’acceptation, au refus total en passant à la négociation. « Qu'est-ce qui s'est passé, depuis la dernière fois? » Et sa question ne m’étonne guère. Perdu dans ce désir de la laisser enfin tranquille, je ne lui ai distillé que quelques bribes d’informations subjective. « C'est pas une décision que je veux prendre seule. Mais c'est pas un non non plus. » Je le sais Ginny. Et ça aussi, je l’avais prévu, depuis le départ. On arrête les erreurs, on prend tout en compte, on avance intelligemment. J’allais parler, mais elle me devance une dernière fois. « Si on fait ça, je veux tout savoir, absolument tout sur ce que toi tu sais. » Elle impose les conditions, je signe déjà en bas à droite. « D’accord. »

Il me faudra quelques secondes pour reprendre mon souffle, pour aligner les idées. Je voulais la protéger, mais elle veut savoir. Alors, je ne lui cacherai rien. Tout sera étalé devant ses yeux, elle ne fera aucun pas à l’aveugle. « Je me suis pas enfui à Londres uniquement parce que ça allait mal dans mon couple. » Et on ouvre les vannes. « Mon père m’a mis un dernier ultimatum pour que je respecte ma part du contrat et j’ai tout perdu à la minute où j’ai dit oui à Jill. » Je pensais le regretter, mais mes journée seul, à tourner en rond dans la maison m’ont fait réaliser qu’il n’y avait rien de mal à choisir mon bonheur plutôt que le jeu tordu instauré par mon paternel. « Je ne sais pas ce qu’attend Sebastian pour lui dire pour le mariage et les jumeaux, mais mon père m’a laissé trois mois et je sais qu’il ne fera rien avant la date butoir. Il reste quelques semaines. J’ai retourné la situation dans tous les sens Gin et pour le moment, c’est tout ce que j’ai trouvé de solide pour protéger les trois pour qui j’ai travaillé si durement. » Tout dans mon ton jure la vérité. Tout lui fait comprendre que je ne voulais pas en arriver là. À chaque nouvelle visite au studio, je prends la peine d’enlever mon alliance, alors qu’au fond de moi, je sais parfaitement que Sebastian est déjà au courant de tout. Il attend le bon moment pour jouer ses cartes, il est temps que je place les miennes. « Ce serait temporaire, je connais un autre producteur, je finirais probablement par lui proposer de les produire, mais je voudrais faire partie du processus et je veux être sûr de pouvoir trouver un accord avec lui. » Je sais qu’Epstein ferait du bon boulot avec eux, j’en suis persuadé, mais je n’ai pas encore le cœur à complètement abandonner mes protégés. Mon regard croise enfin celui de la jeune femme. « C’est tout ce que je sais. » Plus de secrets, aucun détour. Elle voulait savoir, elle sait. Je prends les dossiers que j’ai si soigneusement pris le temps de récolter et les faits glisser devant Ginny. « J’ai tout noté pour vous donner une idée. Je ne vous oblige absolument à rien. » Vraiment. « Je comprendrais que tu ne veuilles pas t’impliquer. »

« Je me suis pas enfui à Londres uniquement parce que ça allait mal dans mon couple. »

Sa part de l'entente qu'il dirige d'une main de chef Bailey quand, suite à une longue inspiration que je ne brusquerais pas même sous la torture, il s'approche, se confie aussi. J'ai l'habitude qu'il prenne le temps de bien choisir ses mots pour chaque explication, ce n'est qu'une question de secondes avant qu'il soit à l'aise de me partager sa version des faits. Bien sûr que je suis consciente que je lui en demande beaucoup, que la vérité n'est pas que la seule variable qui dépend du reste. Pourtant il saute à pieds joints, honnête, authentique. « Mon père m’a mis un dernier ultimatum pour que je respecte ma part du contrat et j’ai tout perdu à la minute où j’ai dit oui à Jill. » j'hoche doucement de la tête, évidemment consciente que nos choix n'étaient que de nouveaux piliers dont nos parents se serviraient définitivement pour nous casser. Du pareil au même, toujours, tragique. « Je ne sais pas ce qu’attend Sebastian pour lui dire pour le mariage et les jumeaux, mais mon père m’a laissé trois mois et je sais qu’il ne fera rien avant la date butoir. Il reste quelques semaines. J’ai retourné la situation dans tous les sens Gin et pour le moment, c’est tout ce que j’ai trouvé de solide pour protéger les trois pour qui j’ai travaillé si durement. » éternellement à la recherche d'armes de plus, des bâtons dans les roues qu'ils adaptaient selon nos bonheurs à nous, qui ne sont que pléthores de malheurs pour eux. « Ce serait temporaire, je connais un autre producteur, je finirais probablement par lui proposer de les produire, mais je voudrais faire partie du processus et je veux être sûr de pouvoir trouver un accord avec lui. » des armes, juste des armes, toujours et encore en mode attaque. Ils s'en lasseront jamais, hen? « C’est tout ce que je sais. »

Des dossiers apparaîssent dans ses mains, il me les tend avec un naturel déconcertant. « J’ai tout noté pour vous donner une idée. Je ne vous oblige absolument à rien. » « Je sais. » ma voix est douce, si elle se casse ce n'est que parce que j'ai sagement gardé le silence durant la totalité de ses explications. « Je comprendrais que tu ne veuilles pas t’impliquer. » un bref sourire rassurant remonte sur mes lèvres, à l'instant où mes yeux trouvent les siens. Les papiers craquent sous mes doigts, les coins que je triture, corne et replis encore, distraite. « C'est okay, si je te reviens avec une réponse dans la semaine? » je sais qu'il confirmera qu'il n'y a absolument aucun problème, qu'il ne pressera jamais rien d'un sens comme de l'autre. Je sais qu'il me laissera tout le temps dont j'ai besoin, lui-même qui semble avoir besoin de rassembler ses idées pour encore quelque temps, suffisamment.

Il ne me reste qu'une seule et unique question, qu'un seul et unique détail à préciser. La culpabilité de demander glisse une unique seconde au creux de mes prunelles, il le remarquera de suite et je m'en veux déjà sans le moindre doute. « Jill est au courant? » lui mentir entre en équation et même si chaque geste qui sera fait suite à cette décision ne le sera que pour son bonheur à elle, aux bébés et à Bailey, je ne me pardonnerais jamais de ne pas l'avoir demandé, de ne pas avoir assumé la suite en toute connaissance de cause.

« Je sais. »

Elle me rassure cette confirmation presque murmurée avec douceur. Elle sait que je ne lui imposerai absolument rien. Elle sait que j’ai retourné la situation un million de fois dans ma tête, au point de ne pas en dormir et de tout penser avec cent sorties de secours, trois backups plans et probablement tout autant de culpabilité. Bien sûr qu’elle sait Ginny. Elle me connaît assez pour savoir tout cela. Un jour, je trouverais le moyen de la remercier pour tout. Un jour, je pourrais lui dire que tout cela a pris fin, que l’on va arrêter de payer les pots cassés. Un jour, peut-être on s’éloignera, mais jamais on ne pourra oublier ce qui nous a unis, ce que l’on en a appris et cette force que l’on se trouve au fur et à mesure que les années s’écoulent et que les bonnes personnes nous entourent.

« C'est okay, si je te reviens avec une réponse dans la semaine? » Elle est rhétorique la question. « Bien sûr. » Comment pourrais-je lui refuser un temps de réflexion alors qu’une fois encore, je cherche à l’impliquer dans des histoires qui la dépasse. Mais elle avait promis que l’on ferait front ensemble et dans le fond, je sais que sans elle, je ne serais pas capable de trouver le courage de faire front. Elle donne l’impulsion Ginny, a moi de faire le grand saut. « Et si tu préfères que j’aille en parler moi-même à Auden, alors je le ferais. » que je lui affirme en souriant avant d’ajouter brusquement : « Ou on peut se retrouver pour en parler à trois. » Et une fois encore, j’insuffle l’idée que tout ira bien, que les choses ont été mise à plat, que je ne cherche plus le conflit. Je suis lassé du conflit. Je voudrais avancer avec ceux qui ont toujours compté dans ma vie.

Elle hésite, Ginny, elle tressaute sur ses pieds, joue avec les papiers. Avant de demander : « Jill est au courant? » La question que j’attendais depuis le départ au final. « Pour le moment, elle est au courant de rien. » Je sais que tout est tendu entre les deux sœurs, je n’imposerai plus jamais rien. On apprend de ses erreurs, parfois. « Elle sait que je suis en contact avec un autre producteur et que je cherche un moyen de me détacher de ma famille, mais ça… » Et j’agite une main entre nous. « Je ne l’ai dit à personne. » Et je croise le regard de la brunette. « Et ce sera à ton rythme. » Si elle préfère être honnête avec sa sœur alors on lui dira. Si elle préfère la tenir éloigné de tout cela, je n’hésiterai pas à garder tout cela secret. Je suis lassé des conflits.

« Merci Ginny. » que je lui murmure doucement alors que ma main effleure à peine son bras. « On se voit bientôt. » Et je la laisse au milieu de ses couleurs et son monde. Ne pas trop s’imposer, avancer en douceur. Reprendre autrement.