La maison est devenu un terme bien particulier, encore plus aujourd’hui maintenant que la maison de ses parents est tout sauf sa maison à elle. Elle l’observe de loin sur la route, se souvient de tous les bons comme les mauvais souvenirs mais n’arrive en réalité qu’à garder en tête les mauvais. Les hurlements, les cris, la douleur, le son du cuir déchirant le silence pesant de la maison. Est ce que les autres enfants n’ont jamais su quel était ce son si particulier du cuir heurtant la chair de la peau ? Est ce que c’était réellement ce dont elle pouvait parler lors des journées découvertes, quand chacun devait raconter une anecdote nouvelle sur lui pour que ses camarades apprennent à le découvrir ? Non, bien sûr que non. Ce n’est pas son histoire à elle, de toute façon. Tout ça ne regarde que Joseph quand Lily préférerait plutôt apprendre à cuisiner avec sa mère et échanger des regards aussi lourds que significatifs. La campagne ne lui rappelle désormais plus que ces souvenirs là, maintenant qu’elle a su rassembler les bons dans la ville et en oublier les quelques mauvais qui y étaient liés. Brisbane ne lui a pas apporté que du positif mais la ville lui a sûrement amené bien plus de positif que n’importe où ailleurs.
La campagne n’est pas non plus associée à que du négatif, elle ne peut pas mentir à ce sujet. Elle en retient des bonnes choses, elle en retient des amis, elle en retient ses débuts dans la vie d’adulte. Elle a tout appris, ici. Elle a grandi au milieu des tracteurs et du bétail, au milieu des chiens de troupeaux et des chèvres allant avec. Ce n’est en rien quelque chose qu’elle regrette, tout ça. Ce que regrette la brune c’est seulement … Tout le reste. Mais pas ça, pas le champs des oiseaux, pas le calme ambiant, pas la douceur des habitants et leur capacité à tout prendre du bon côté même quand Lily elle même n’arrivait pas à trouver de bon côté à tout ça. Et au milieu de ses souvenirs se tient Ezechiel, son premier amour, celui dont la gamine qu’elle était s’était totalement amouraché du jour au lendemain. Ils s’offraient des pâquerettes et des bouquets faits de bric et de brac et ça résonnait comme monts et merveilles, à leurs yeux, quand un rien suffisait à les rendre heureux. Tout était simple en leur temps ou en tout cas tout semblait l’être mais aujourd’hui qu’elle se retrouve dans leur village (pour régler des papiers dûs à la vente de la maison de ses parents et non par choix), elle ne sait plus quoi dire à cette silhouette si connue qui s’avance vers elle. « Ça te va bien. Ta chemise. Quand tu ne prends pas celles de ton père, elles te vont mieux. » Elle esquisse un sourire, fait au mieux, agit comme si elle n’avait pas coupé les ponts avec lui du jour au lendemain à l’âge de seize ans sans jamais lui donner une seule explications. « Salut. » Ses dents pincent sa lippe, elle est de nouveau une adolescente.
Il ne voyait jamais personne à la ferme puisqu'il n'y avait aucun point d'intérêt aussi loin de la ville, au milieu des animaux qui piaillaient et des champs à perte de vue. Zeke, lui, s'y trouvait parfaitement à sa place ces derniers temps, sûrement parce qu'il savait que son frère le méprisait et qu'il culpabilisait d'avoir osé brisé ce lien si éternel entre eux. Il n'avait vraiment aucun moyen d'arranger la situation, à part attendre, ne pas voir Chloe et souffrir en silence, à croire que c'était son chemin de vie le plus probable, la solitude. Au moins, il avait de quoi ne pas réfléchir à la ferme, se perdant entre les rondins de bois à couper, arborant une de ses vieilles chemises à carreaux, cliché complet du fermier au travail. La journée avançait vite et Ezechiel était bien décidé à aller au bout de sa tâche ce soir-là, quitte à s'épuiser puisqu'il ne voulait pas rejoindre son lit en ayant tout un flot de pensées qui le paralyseraient. Alors, il ne faisait pas attention au décor, le Blythe, ignorant les quelques lapins qui passaient à côté de lui. D'habitude, il leur aurait offert un sourire, ramené de quoi manger mais là, il était bien trop occupé à ne pas se disperser. Du moins, jusqu'à ce qu'il constate qu'il mourait de soif. Comme un idiot, Zeke avait oublié la bouteille d'eau sur la table du salon, de quoi le rendre ronchon alors qu'il relâchait sa hache deux minutes pour se diriger vers la grande bâtisse familiale. Il en ressortit avec ladite ration d'eau, avalant une grande gorgée de liquide au moment où ses yeux se portèrent vers la maison voisine, Zeke croyant y apercevoir une silhouette familière. Un poil curieux, il s'avança vers la personne qui voguait dans la région, constatant en s'approchant qu'il s'agissait bel et bien de Lily Keegan, une sacrée surprise depuis le temps. Elle sembla capter très vite qu'il était là, commentant son accoutrement ce qui le fit sourire jusqu'aux oreilles, les réminiscences du passé. "T'as arrêté les robes à fleur de ta mère, de ton côté? On grandit, incroyable." Ils avaient été deux adolescents gauches et pas très à l'aise avec l'idée de socialiser mais ils s'étaient retrouvés quelque part au milieu de leur intense solitude et cela les avait aidés à supporter les journées plus difficiles. "Qu'est-ce que tu fais de retour dans le No Man's Land?" Une manière comme une autre de savoir ce qu'elle était devenue, si elle avait trouvé quelque chose de meilleur ailleurs, ce qui n'avait pas dû être extrêmement difficile pour elle.
Le simple sourire d’Ezechiel arrive à la réconforter, comme s’ils étaient de nouveau plongés vingt ans en arrière et comme si rien n’avait changé. Ce serait utopiste de croire une telle chose, certe, pourtant Lily s’accroche à ces bribes de souvenirs qui lui reviennent lesquels ont tous en commun son sourire. C’est tout ce à quoi elle peut se raccrocher alors elle y tient comme à la prunelle de ses yeux, comme si sa vie dépendait finalement réellement de la chose. Tout était si simple, avant. Tout paraissait l’être en tout cas. Ils étaient jeunes, cons et amoureux, ça leur suffisait amplement. "T'as arrêté les robes à fleur de ta mère, de ton côté? On grandit, incroyable." Elle sourit à son tour et abaisse la tête vers le sol une seconde à peine, presque gênée de ce compliment voilé sur sa nouvelle apparence. Heureusement qu’elle ne ressemble plus à un chiffon du XVIIIe siècle, d’ailleurs. Les habits de Matt sont bien plus confortables que ne l’ont jamais été les robes choisies par sa mère, qu’elles soient pour elle ou pour sa fille. « T’avance pas trop vite, t’es tombé sur un bon jour. » Elle raille, dédramatise la situation, fait comme s’ils étaient de grands amis de toujours qui s’étaient à peine quittés deux jours. Deux jours, dix huit ans, où est la différence ? Dans l’esprit aussi tronqué que biaisé de la jeune femme (et un poil mauvaise foi), il n’y en a aucune.
"Qu'est-ce que tu fais de retour dans le No Man's Land?" Le nom est bien trouvé, elle s’en veut presque de ne pas avoir su le trouver avant lui. Ils ont tous les deux grandi ici et si elle a décidé de sortir de cet endroit elle est paradoxalement heureuse que lui ait eu le courage de rester. Comme les enfants de Derry, vous voyez. Le club des losers. Ils sont tous partis, sauf un. Et c’est lui qui finit par les regrouper, au final. Il n’y a pas de monstre clown, il n’y a pas de club, il n’y a aucune malédiction ou sombre histoire ni quoi que ce soit (okay, à vrai dire il n’y a pas beaucoup de cohérence dans cette comparaison) mais la vérité c’est qu’elle compte autant sur Zeke que les enfants comptaient sur leur ami resté à Derry. La distance n’est qu’un chiffre tout comme le sont les années, elle aimerait pouvoir gommer le tout pour tout oublier - ou, au contraire, ne jamais avoir à le faire. « Je me suis mariée et les parents ont vendu la maison. Ça donne mon poids en papiers à signer et à regrouper alors je deviens une sorte d’assistante bibliothécaire ces derniers temps. » Sa vie est bien vite résumée et les raisons de sa présence ici sont données. Elle fait au mieux pour condenser sa vie au maximum et rester la plus politiquement correcte possible - ça passe par le fait de ne parler que du présent et surtout pas la manière dont ils ont brusquement cessés de se voir. Un problème à la fois, comme on dit. « T’as l’air de plutôt bien t’être habitué à vivre dans ce No man’s land. » Elle observe à son tour et se retient de faire une nouvelle comparaison foireuse avec le gamin qui a réussi à vivre seul sur Isla Sorna entouré de milliers de dinosaures. Sauf que la campagne n’est pas supposé être un monde dangereux. Ce n’est même pas supposé être un monde à part. Keyword : supposé. « Tu fais quoi, maintenant ? Le village ne grouille pas tellement d’occupation que ça. » Le village n’a pas de plage où aller surfer, c’était une raison suffisante pour aller vivre ailleurs selon Lily. Ça, et un bon millier d’autres trucs.
Lui, il était resté là mais Zeke avait toujours dit qu'il ne bougerait pas d'un cil. La ferme, le rien qui l'entourait, c'était sa maison depuis qu'il était né. Pour quasiment tous les gens qu'il rencontrait, il était fou: qu'est-ce qu'un jeun pouvait trouver comme attrait à la région? Il n'y en avait pas, non, pour ceux qui étaient actifs et qui avaient besoin de voir une dizaine de personnes au minimum par jour mais Blythe ne rentrait pas dans ce genre de catégories. Il aimait le silence, il aimait la solitude, il aimait les animaux alors on ne pouvait pas vraiment dire qu'il était un jeune commun, si tant est qu'on pouvait encore l'appeler jeune. Certes, il était l'habitant le moins âgé du village parce qu'ils étaient tous retraités dans le coin, que les jeunes s'en allaient en ville dès qu'ils le pouvaient, comme Lily avait pu le faire mais elle n'avait pas été la seule. Personne ne revenait ici pour porter des robes à fleurs dignes de la petite maison dans la prairie, tout le monde s'en allait et il n'y avait jamais de retour dans le No Man's Land. Zeke souriait en l'entendant dire qu'elle était dans un bon jour, allez savoir si elle plaisantait ou non, il ne la connaissait plus vraiment et encore, il ne savait même pas en réalité s'il l'avait franchement connue un jour. Lily était restée un mystère à ses yeux durant de longues années mais Blythe avait arrêté de s'intéresser à ce casse tête il y avait déjà longtemps maintenant. Il était d'ailleurs heureux d'entendre qu'elle avait trouvé l'amour, que les choses trouvaient leur place dans sa vie, n'ayant pas l'air de vouloir perdre trop son temps dans la région. "Mariée? Wow, le temps passe." Comme s'il doutait de cela alors qu'elle était justement partie pour épouser quelqu'un mais il ne savait pas si les choses s'étaient faites ou non et Zeke n'avait pas réellement envie de l'interroger à ce sujet, pas son genre de manière générale. "Et tes parents sont où?" Est-ce qu'il leur était arrivé quelque chose? Le fermier ne suivait pas les ragots, trop occupé à courir entre la ferme et la scierie pour se tenir informé des dernières nouveautés en date. "J'y ai toujours été habitué. Je suis toujours fermier, chez mes parents. J'ai pas changé, tu vois." C'était le moins que l'on pouvait dire, le bon veux Ezechiel qui stagnait toujours dans son existence, une constante qui ne devait pas étonner Lily. "T'as fait quoi, toi, en partant d'ici?" Vivre par procuration, c'était encore le seul luxe qu'il pouvait s'offrir, pas prêt de prendre ses valises pour retrouver l'air pollué d'une grande ville.
Ça sonne adulte que de dire qu’elle est mariée, maintenant. Ça sous entend des années de relation sérieuse, ça sous entend une confiance sans faille qu’elle accorde à une seule et même personne. Ça sous entend des projets et un avenir commun, ça sous entend d’autres milliers de choses encore qui seraient toutes aussi fausses les unes que les autres alors que tout ce dont elle est certaine pour le moment c’est qu’elle aime Matt mais que rien ne sera facile pour eux. Ils ont été propulsés l’un contre l’autre et forcés de s’aimer, le même scénario qui l’avait séparée d’Ezechiel il y a une vie de ça alors qu’à cette époque ci c’est contre Nolan qu’elle avait été envoyée. L’histoire se répète mais pas entièrement puisque cette fois elle le jure, la fin sera bien différente. Matt lui même est différent, tout comme les sentiments qu’elle lui voue et ceux que, elle l’espère, il lui voue. Aujourd’hui de toute façon Zeke ne fait plus parti du tableau, lui qui l’a un jour quitté sans jamais y revenir. Il vit sa vie de son côté et elle la sienne, ils ont pris des chemins bien différents et chacun en semble comblé. C’est tout ce qui devrait finalement compter.
Elle sourit timidement à sa question, attendrie qu’il pense à ses parents. « Ils ont déménagé en ville, contre leur gré. » Parce que sa mère est malade, et par ‘malade’ elle sous entend surtout ‘mourante’ et que ce n’est pas dans leur campagne qu’ils allaient pouvoir avoir un suivi régulier à l’hôpital. Les détails n’ont pas d’importance ; elle pourrait passer des heures à expliquer comment cette histoire l’a reproché de Joseph et comment elle s’est éloignée de lui la seconde suivante. Sa vie est un cercle vicieux qui ne cesse de se répéter. « De tous ceux que j’ai connu ici, j’ai toujours su que tu étais le plus à même de rester. » Alors que tous aspiraient à une autre vie, une vie meilleure, une vie à la ville, une vie en dehors du bétail et des kilomètres à faire pour trouver le moindre commerce ; Ezechiel a toujours été différent à ce niveau là. Il ne rêvait pas des mêmes choses, si tant est qu’il rêvait même. Elle l’a toujours forcé à ne pas lui dire les vœux qu’il faisaient en observant des étoiles filantes sans doute parce qu’elle avait trop peur qu’il ne s’autorise pas à rêver alors qu’elle passait des journées entières à ne faire que ça. Elle avait bien trop peur qu’un des deux ait un problème et que ce soit finalement elle. « J’ai fait mes études et je suis devenue pharmacienne. Maintenant je travaille pour être infirmière. Et j’ai adopté deux chats au milieu de ça. » Vingt années de vie résumées en trois phrases à peine, voilà tout ce qu’elle s’autorise à lui divulguer puisque les failles n’ont pas leur place dans toutes ses explications. « La vie ici te plaît toujours autant ? » Elle se retient d’ajouter un sérieusement condescendant au possible mais après tout ce sont ses choix à lui et lui seul.
Elle était forcément différente que la dernière fois où il l'avait vue parce qu'ils n'étaient encore que des mômes à l'époque, même s'ils avaient déjà atteint leur taille adulte depuis un moment. Zeke n'avait jamais réellement pris le temps de repenser à tout cela, il ne pouvait même pas s'y oser parce qu'il aurait eu peur de ne pas comprendre. Tout ce qu'il savait, c'était que leur lien avait été détruit en mille morceaux le jour où elle avait annoncé ses fiançailles et qu'à partir de là, ils avaient pris des chemins radicalement différents. Au fond, Blythe était heureux pour elle car elle semblait plus vivante que jamais, elle qui n'avait jamais été faite pour la campagne. Lily était bien trop active pour se contenter de ce sentiment de trop peu qui régnait ici: trop peu d'aventure, trop peu de suspense, trop peu d'individus... Rien n'allait et c'était un environnement qui pouvait uniquement satisfaire quelqu'un comme Ezechiel. Lui n'avait jamais regretté de ne pas avoir été propulsé ailleurs parce qu'il n'avait jamais rien attendu de la vie, si ce n'était d'entendre les oiseaux chanter et les arbres offrir de leur odeur. Le reste n'avait toujours eu que peu d'importance à ses yeux alors, pourquoi tout abandonner? "Oh, il s'est passé quelque chose de grave?" Les parents Keegan avaient toujours eu l'air de se plaire dans la région, ce qui interrogeait forcément Zeke sur leur prise de décision de quitter les lieux. Il ne voulait pas paraître trop curieux et se concentra donc sur les récits de Lily, beaucoup plus palpitants que les siens par ailleurs. "Comme tu dis, c'est mon monde. Métier noble, ça te va bien." Elle avait toujours eu de la générosité, Lily, et se retrouver en sauveuse lui seyait à merveille. "Ouais. J'ai trois chiens. J'ai un atelier dans la grange. Je travaille le bois. Je m'occupe de la ferme. Je viens en ville parfois." Ce qui lui faisait mal au coeur plus qu'autre chose récemment puisque Yele le méprisait pour cette raison. "Tu traînes où, toi?" Il la croiserait peut être un jour dans une rue de Brisbane, qui sait?
Il prend le temps de faire remonter chacun de ses mots et de leur donner de l’importance, une des nombreuses raisons pour lesquelles Lily avait tant d’estime pour lui à l’époque. Si ce n’est plus le cas aujourd’hui ce n’est pas parce qu’il a changé mais parce qu’elle s’est forcée à le diaboliser pour ne plus avoir à le faire souffrir. Elle devait épouser Nolan et il ne devait pas être dans le tableau ; cela aurait fait du mal à tout le monde et ce n’est jamais ce qu’elle a voulu. Ils étaient de toute façon trop différents, trop jeunes et trop naïfs. Tout date d’il y a une vie et désormais elle ne voit plus qu’en lui l’ami qu’il a toujours été malgré les années et malgré la distance. Il se plaît à vivre ici et elle a la chair de poule à chaque fois qu’elle voit un champs. Trop différents. "Oh, il s'est passé quelque chose de grave?" Elle sourit face à son inquiétude et en oublie finalement la véritable raison pour laquelle ses parents ont effectivement délaissé la maison familiale et tous les souvenirs allant avec. « Rien de grave, ils se font simplement vieux et ont besoin d’être à proximité des commerces. » Et surtout de l’hôpital pour quand maman va faire sa chimiothérapie. Ah oui, et ça aussi. Un des milliers de détails de sa vie qu’elle ne partage qu’à une poignée d’élus triés sur le volets et qui ont su lui prouver plus d’une fois que jamais ils ne l’abandonneraient, eux, quoi qu’il advienne.
Le résumé de la vie d’Ezechiel est factuel et elle en rit, amusée qu’il se contente de si peu pour résumer ce qui ont pourtant été plus de quinze années sans se parler. Ses fossettes se creusent, ses yeux sont rieurs, la discussion autour de sa mère est déjà rangée dans un coin de son esprit et prête à ne plus jamais en ressortir. « Tu me diras quand tu reviens en ville ? On pourrait aller manger ensemble ou boire un café, si ça te dit. » Les adultes font ça, à ce qu’il paraît. Cette fois ci c’est promis elle ne lui prépare aucun mauvais coup à base de recette surprise et express de gâteaux aux mille saveurs et aux milles coeurs fondants. Pas cette fois. La prochaine, peut être, si déjà il accepte une première rencontre à la ville. « T’as trois chiens et j’ai deux chats. Et un mari qui se prend pour un chat, donc ça fait trois partout finalement je pense. » Détail qui n’intéresse personne, certes, mais l’esprit de compétition de la nouvelle McGrath a tendance à s’éveiller pour un rien. Une simple question du nombre d’animaux de compagnie suffit à la réveiller et si jamais il avait évoqué le nombre de fourchettes chez lui elle en aurait fait de même, précisant qu’il y a les siennes et celles de Matt et toutes celles qu’elle vole au DBD sans même s’en rendre compte. « On habite à Logan City. Il a un café. Et en fait mon trajet se résume surtout à maison-café. » Pour aller voler à manger, pour aller voler à boire, pour aller voler de l’attention de Matt. Voilà tout ce à quoi elle occupe ses journées, dans la plus grande des joies non dissimulée. « Bref c’est nul, on s’en moque. Tu travailles sur quoi ? Tu peux me montrer ou c’est genre secret défense ? C’est promis, j’ai appris à ne plus trop toucher. Plus d’échardes. » Elle lève les mains, conciliante, ne se souvenant que trop bien de toutes ses fois où elle a réussit à se rentrer des échardes dans la peau alors qu’il lui montrait ce qu’il avait fait de sa journée.
Les circonstances avaient définitivement changé et on pouvait dire qu'il était désormais loin le temps où ils jouaient les adolescents épris l'un de l'autre en silence. Zeke avait vite repris le cours de sa vie de toute façon après le départ de Lily parce qu'il n'était pas le genre de garçons à se morfondre pour des histoires de relations humaines. Il avait compris très jeune qu'il ne serait jamais bon dans ce domaine et qu'il était hors de question d'y accorder trop d'importance: ce serait prendre le risque de se blesser de manière irrémédiable et Ezechiel se voulait plus intelligent que cela. Il ne serait jamais aimé, voilà l'idée qui était restée ancrée dans son crâne à partir de là parce qu'il avait connu les moqueries, les abandons, les ennuis en tous genres et Blythe savait que les seuls individus qui ne lui feraient jamais de mal, c'était ses animaux. Alors, il arrivait à faire la part des choses aisément face à Lily, elle qui prétextait un adieu à la mise au vert de ses parents pour qu'ils n'aient plus de souci pour avoir accès à tous les services essentiels. Zeke n'y avait jamais pensé pour ses propres parents et il resta pensif une minute ou deux puisque son père était malade, qu'il devrait bientôt envisager de le rapprocher d'un service de santé. Il fallait qu'il fasse disparaître cette pensée, rien de mieux pour cela que de changer de sujet de conversation, souriant en constatant que Lily avait encore énormément à dire sur cette histoire d'animaux de compagnie. "T'oublies une variable... Mes moutons, mes vaches, mes poules... Mais bien évidemment, on se voit un verre quand tu veux, je suis jamais loin." Il travaillait juste à la scierie tous les jours de la semaine avant de rentrer pour s'occuper de la ferme, heureusement qu'il avait besoin de très peu de sommeil ou il serait déjà mort d'épuisement depuis plusieurs années. "Ton mari a l'air d'être un phénomène." C'était tout ce qu'il pouvait en dire car Zeke n'arrivait pas tellement à imaginer un homme qui faisait le chat, il était bien trop à terre pour cela. Elle avait l'air heureuse malgré tout, Lily, avec sa vie bien rodée, les événements qui s'y répétaient, Zeke était tout de même content pour elle qu'elle ait trouvé de quoi sourire. "Direction la grange si tu veux voir." A croire que c'était devenu une attraction ces derniers temps, après le passage de Ginny, voilà qu'il entraînait Lily vers sa remise à meubles en tous genres. L'endroit n'avait pas changé tant que cela après toutes ces années et elle pourrait aisément y retrouver ses anciennes marques, Blythe se dirigeant instinctivement vers les quelques meubles qui traînaient ça et là. "Je suis sur un buffet là, ça me donne du fil à retordre. D'ailleurs si t'as besoin d'une connerie dans le genre, hésite pas, j'ai du stock." Il ne savait clairement pas quoi en faire de tous ces meubles qui allaient bientôt mettre hors service sa grange mais peut être que la brune aurait une idée lumineuse en la matière.
Sans pour autant n’être certaine de quoi que ce soit, Lily espère secrètement qu’ils ne viennent pas de faire ce genre de promesses qui resteront à jamais infondées. La relation qui la liait auparavant à Ezechiel n’a plus rien à voir avec ce qu’il en est aujourd’hui mais il reste une personne chère à son coeur et au milieu de tous les bouleversements que connaît sa vie aujourd’hui, elle serait heureuse de retrouver une certaine stabilité en la présence des figures de son passé. Il est un incontournable de l’une d’elles, même si aujourd’hui ils ne semblent plus avoir quoi que ce soit en commun. Il s’attache à ces terres, à ses animaux et à la vie qu’il a construit ici alors qu’elle fait tout pour justement s’en détacher et ce peu importe le coût.
Sans connaître Matt il parle de lui comme un phénomène, terme on ne peut plus approprié qui l’amène à sourire de nouveau. ”Okay tu gagnes le point avec les poules mais ce n’est que partie remise.” Mauvaise perdante, elle imagine déjà un jeu sorti de nulle part et n’ayant aucun fondement pour regagner ce point perdu bien trop rapidement, bien trop facilement. Ce n’est pas pour autant qu’elle cesse de sourire, hochant au contraire rapidement la tête dès lors qu’il lui propose d’aller dans la grange. A ses oreilles, cela sonne désormais comme la découverte d’une Huitième Merveille, pas plus, pas moins.
Autant elle a promis de ne rien toucher, autant elle n’a pas promis de fermer la bouche et de garder ses yeux sur une seule chose à la fois. Ils occupent tout l’espace, s’intéressent à tout, vadrouillent du sol au plafond pour découvrir ce monde qui n’a définitivement rien à voir avec celui aseptisé de la pharmacie ou de l’hôpital. Les chemins qu’ils ont pris ont dérivé il y a bien longtemps déjà. ”La dernière lubie en date était un pont suspendu pour les chats, mais je crois que c’est bien mieux qu’on ait abandonné l’idée.” Si elle en parle c’est que l’idée n’est pas tant oubliée qu’il n’y paraît. Elle se permet encore d’en rire, haussant les épaules avec désinvolture comme si chaque couple rêvait d’avoir ce genre de chose pour leurs chats. Ils sont traités comme des rois et cela n’est finalement un secret pour personne, encore moins depuis que Lily se met à parler d’eux comme de ses enfants et avec tout autant de fierté. ”T’as créé tous ces meubles ? Tout seul ? Tu ne t’ennuies pas ? Et tu … Tu ne les vends pas dans des marchés ou des choses comme ça ?” Est ce qu’il a au moins trouvé quelqu’un avec qui il se sent bien, depuis tout ce temps ?
Ce n'était qu'un jeu ridicule, qu'un jeu qui avait l'odeur d'un passe qu'ils avaient en commun malgré tout, même si Lily essayait certainement de l'oublier. Elle n'avait jamais été à son aise dans la région et c'était peut être pour cette raison que Zeke n'avait pas tenté de la retenir à ce moment là, parce qu'il savait pertinemment qu'elle serait beaucoup plus heureuse ailleurs. Il avait eu raison, le grand brun, comme toujours, son sens du sacrifice avait fini par payer. Oui, c'était assurément triste de voir la vie seulement ainsi, en termes de sacrifices plutôt qu'en comptant les moments de joie mais les Blythe n'en dénombraient pas cinquante de leur côté. Bien au contraire, leur vie était d'une morosité exemplaire et Ezechiel ne désirait cela pour personne, sauf pour lui-même apparemment puisqu'il n'avait jamais essayé de se sortir de là, comme s'il se complaisait dans cet immobilisme latent. Il montrait que c'était lé cas cela dit, même si c'était regrettable de penser que son existence ne se résumait qu'à cela, qu'au nombre de moutons qu'il avait dans le champ voisin mais c'était effectivement la seule chose qu'il avait en plus par rapport à Lily, elle qui remettait cette bataille à plus tard car ils rentraient dans a grange qui servait d'atelier au fermier. Zeke ne savait pas tellement pour quelle raison il conservait tous ces tas de bois mais il n'envisageait pas de tout balancer maintenant, même s'il se rattachait uniquement à des bouts de planche comme le laissait entendre sa mère. "Faut avouer que le bois, c'est pas ce qu'il y a de plus ergonomique pour un chat. " Il n'aurait pas été en mesure de répondre aux besoins de ce type d'être vivant: lui, à part les clôtures, il ne manipulait pas grand chose pour construire des meubles pour les animaux. Zeke était apparemment beaucoup plus à l'aise avec ce concept dépassé de meubles en bois, même si la majorité des gens ne le comprenaient pas. "Non. Je les garde, va savoir pourquoi. Clairement, ça sert à rien mais qui voudrait de ça?" Pas les gens qu'il avait croises en tout cas, Blythe en était persuadé. "Tout seul, ouais, ça change pas, même si ça aurait dû sûrement." Il tâchait de ne pas être nostalgique en s'asseyant sur un des rondins de bois qu'il utilisait quand il prenait ses pauses d'ébéniste. "Si t'en veux un, hésite pas. Je pourrais te le ramener en ville avec le pick-up." La charité, toujours avec Ezechiel, même si c'était là encore un concept clairement dépassé autour de lui.
Dans un sens, elle et Ezechiel se ressemblent beaucoup. Ils ont ce côté rationnel et terre à terre, ils ont ce goût de suivre le droit chemin au préalable tracé pour eux. On leur dit que c’est pour leur bien, on leur dit que c’est mieux comme ça et ils y foncent tête baissée parce qu’ils sont du genre à faire confiance trop vite et trop fort, encore plus lorsqu’il s’agit de figures d’autorité. Ils ont toujours écouté les enseignements de leur parent, ils ont toujours fait tout ce que le monde entier attendait d’eux même lorsque le tout était en totale contradiction avec ce que eux voulaient réellement.
Ils se ressemblent beaucoup, dans un sens seulement. Il est terre à terre quoi qu’il en soit, elle devient rêveuse dès qu’on le lui autorise un minimum. Elle évoque l’installation pour chats avec humour et il la ramène à la réalité en un rien de temps, la faisant rigoler par habitude. Ils ne changent pas. ”C’est un métier à part entière, ça veut bien dire que beaucoup de personnes cherchent des meubles.” Elle a bien du mal à le rassurer pleinement ou même à utiliser sa voix douce et rassurante alors qu’il se dénigre lui même. Elle voudrait lever les yeux au ciel et le secouer, sans doute trop habituée à vivre à la dure dès qu’elle retourne à la campagne.
Elle le regarde s’installer sur le tronc de bois comme ils en avaient tant l’habitude avant alors qu’en parallèle elle préfère rester debout, sagement en place, aucun de ses pieds ne s’amusant à basculer d’avant en arrière alors qu’elle trouve son équilibre en plaçant ses mains derrière son dos. Ses doigts sont accrochés les uns aux autres comme le ferait un enfant à qui on a demandé de se tenir pendant quelques minutes. ”Je t’en aurais pris un avec joie mais on vit en appartement et j’ai déjà ramené beaucoup trop de choses …” Elle le pense, elle le pense vraiment. Lily ne lui ment jamais, encore moins pour tenter de simplement lui faire plaisir. ”Mes parents m’attendent. Tu les connais, la ponctualité … tout ça tout ça. Je le pensais vraiment quand je disais qu’on pourrait aller boire un verre ensemble en ville.” Son visage s’orne de l’esquisse d’un sourire, tentant d’être rassurante au possible.