Il a l'air immense aujourd'hui, vu de dehors, le DBD.

Il a l'air immense, et moi je me sens si minuscule que je me fais pitié, quand je vois la silhouette de Swann apparaître à ma gauche, et celle de Jill à ma droite. C'est étrange parce que d'aussi loin que je me souvienne, on est venus des dizaines de centaines de fois ensemble ici. On s'y est rejoints, on s'y est installés, on en a fait notre domaine et il l'est encore, malgré tout ce qui s'est passé et malgré tous les drames qu'on a cumulés. Swann est arrivé au beau milieu du pire, il s'y est adapté comme un roi, et aujourd'hui encore c'est égoïstement qu'on l'a invité Jill et moi en mode médiateur pour tenter de faire les choses bien, ou du moins, d'essayer de toutes nos forces.

« Il est encore temps de - oh, non, okay, mauvaise tactique. » que je lâche, lâche, quand tous les deux arrivent à ma hauteur. C'est pas la bonne tactique à avoir, ça l'est pas et ça ne le sera jamais, et je me ressaisis aussi vite que possible, redressant le menton et les épaules pour la peine. Le plan est simple et Matt est déjà au courant : chacun notre tour, on confie quelque chose qui nous a heurté, qui nous a fâché ou qu'on a à partager avec la famille. On demande pas d'avis, on demande pas d'excuses, on demande pas d'explications ni de justifications, on fait que vider notre sac. Trop souvent on en a fini par se disputer pour des milliers de centaines de raisons, quand de simplement dire les choses sans gratter pour pire aurait probablement pu nous sauver.

Alors je passe la porte la première, parce que je ne flancherai pas, et parce que c'est important qu'ils le voient. Matt est derrière le comptoir quand je vais à sa rencontre, posant mes paumes sur le bois vernis pour me hisser suffisamment et attraper son regard dans l'angle. « Saluuut. » Deklan suit notre cortège des yeux, l'air mi-inquiet mi-amusé, avant de lancer la préparation des cafés de chacun en oubliant les autres clients tant il sait que ce sera la seule intermission qu'on risque de s'autoriser d'ici jusqu'à ce qu'on ait terminé. « J'ai apporté des macarons. » que je statue, bonne joueuse, lui tendant à lui seul le sac de papier kraft rempli de ses macarons préférés d'une pâtisserie cachée à Bayside que j'ai découverte la semaine dernière et qui est devenue ma seconde (troisième) maison. Ça, c'est son offrande pour s'assurer que Matt ne soit pas dérangé une seule fois par le moindre client pendant les prochaines heures.

Pourquoi elle a dit oui déjà ? Certainement parce que Gin lui a demandé de venir et parce qu'elle a dit qu'il y avait Swann. C'est les seules raisons pour lesquelles elle est venue. Elle avait pas envie de voir Matt, encore moins de lui parler. Mais la grossesse commence à vraiment se voir. Elle préfère qu'il l'apprenne d'elle plutôt que de quelqu'un d'autre. Donc elle lui adressera la parole seulement pour lui dire qu'elle est enceinte, de jumeau, et qu'elle s'est mariée aussi. Parce que ça non plus, Matt et Swann le savent pas. Le temps passe trop vite, elle n'a eu le temps de rien dire, rien faire, qu'elle est déjà à presque à 5 mois de grossesse. Son ventre s'arrondit à une vitesse impressionnante maintenant qu'elle sait qu'ils sont deux à grandir au même endroit. Elle mange encore plus et tout le monde trouve ça normal alors elle en profite. Mais aujourd'hui, elle ne pense pas à manger, elle ne pense pas aux bébés, elle pense à la réaction de Matt. Elle ne lui a pas adressé la parole depuis longtemps, et pourtant, elle arrive vers lui avec deux annonces plus qu'importantes.

Ginny a apporté des macarons, le meilleur moyen pour corrompre Decklan. Elle sait qu'ils vont avoir besoin de temps, Jill a l'impression que ça fait une éternité qu'ils ne se sont pas retrouvés tous les quatre assis autour d'une des tables du café pour parler de tout et n'importe quoi. Jill passe derrière le bar et dans l'arrière boutique pour récupérer quelques gâteaux à grignoter en buvant leurs cafés. Ok elle pensait quand même un peu à manger. Elle s'arrête à côté de sa sœur au bar, elle observe Swann qui les attend assis et elle croise le regard de Ginny. « ça va bien se passer. » Elle essaie de convaincre qui là ? « Au pire, garde ton téléphone sous la main, qu'on ait de quoi les prévenir si jamais il décide de s'enfuir pour aller les tuer. » Matt n'apprécie pas du tout Auden, et pas vraiment Bailey aux dernières nouvelles. Mais Jill soupire, elle ne peut pas fuir maintenant. Elles rejoignent Swann avec plusieurs cafés et les paquets de gâteaux et de chips volés dans la réserve. Et Jill pose un sachet pour pouvoir passer sa main dans les cheveux de son petit frère et le décoiffer. « Alors t'as des trucs à raconter toi aussi ? » C'était la soirée des confidences non ?

« Saluuut. »
« Saaalut. »

Je suis des yeux ses mains à la cadette, quand elle tend le sac de pâtisseries à Deklan comme si c'était le paiement le plus logique et normal au monde. Ça l'est, dans notre cercle très restreint, ou du moins ça l'était quand on était pas tous montés les uns contre les autres ou eux trois contre moi à les voir rentrer en communion comme si ils avaient fusionné et que j'étais juste l'autre raté sur le bord du chemin qu'on avait laissé pour mort en prenant la première bretelle de l'autoroute pour s'en tirer le plus loins possible.

Ils ont des trucs à me dire et je me lave les mains là, y'a des restes de tasses de café dessus, des trucs collants non identifiés que tu prends pas nécessairement la peine d'identifier quand tu bosses dans un commerce et que la majorité du temps tu touches des fonds de verres et des fonds de plats qui sont collants anyways. Passons au moment où elles sont sèches mes paumes, où je file sous le comptoir pour les rejoindre, où je scrute mes soeurs et mon frère qui sont là bien là, le trio infernal que j'aurais dû passer ma vie à protéger mais envers qui j'ai failli à la tâche un nombre incalculable de fois. Passons au moment où je pointe la banquette en retrait, celle où y'a des canapés, celle où on aura pas l'air d'être dans un des salons de riches des parents pour être un peu plus dans un espace cosy - pas cosy cosy vu la suite des choses, mais cosy genre y'a des coussins tu peux pas vraiment vouloir t'entretuer quand y'a des coussins. Passons, j'ai dit.

Et je m'installe, et je les regarde chacun à tour de rôle et je parle aussi, parce qu'apparemment c'est ça le but d'aujourd'hui. « Je veux pas le demander, mais j'le demande quand même : qui commence? »

« Saluuut. »
« Saaalut. »
« Saaaluuut. »

Il chante à son tour, il improvise, il fait au mieux. On lui a dit de garder les apparences intacte et c’est ironique quand on sait que c’est ce qu’il fait depuis le premier jour, Swann. Garder les apparences intactes devrait être le motto de leur famille, à force. Il ne panique pas parce qu’il n’en a pas le droit, pas quand Ginny est déjà en état d’alerte maximal et que Jillian risque de mordre quiconque oserait se mettre en travers de son chemin. Il a ses propres rancœur contre la plus grande des soeurs mais ce n’est pas le moment de les exposer. Aujourd’hui, la fratrie a besoin de paraître soudés à défaut de l’être réellement.

Les coups d’oeil s’échangent et les offrandes avec, le blond reste en retrait comme si cette scène familiale n’était pas tout à fait la sienne encore. Ils l’ont toujours accepté, tous les trois, et jamais il ne pourrait assez le remercier de cela mais ils ne peuvent pas rattraper vingt années de séparation et de mensonges. Aussi forts soient-ils, aussi parfaits soient-ils à ses yeux, cela ne change rien aux mensonges d’un paternel. En tant que médiateur officiel-non officiel, il prend la décision de s’asseoir le premier et de leur dégoter la meilleur banquette en U du bar. Loin des clients mais pas trop loin quand même pour que tout le monde se sente obligé de parler convenablement*.

Jillian le rejoint en premier et il ravale sa fierté un temps, non pas parce qu’elle joue avec ses cheveux comme s’il avait dix ans à nouveau mais à cause de l’esclandre qu’elle a causé au mariage de Matt. Il ravale et il repousse à plus tard, un ‘plus tard’ qu’il ne mettra sans doute jamais au clair puisqu’il lui aura tout pardonné avant, à sa soeur. Il le fait toujours. « Alors t'as des trucs à raconter toi aussi ? » Il sourit doucement, bien plus pour la bienséance qu’autre chose, et profite d’un moment d’inattention de sa part pour furtivement venir voler de la nourriture dans son paquet de chips - le traître, l’infâme, le goujat, le fourbe. « T’auras pas d’aveux exclusifs, même avec des chips. » Cette fois ci il sourit plus franchement avant de la laisser avec un simple coup d’oeil, laissant Matt prendre place à sa droite et Ginny à sa droite. Ils n’ont sûrement jamais autant été organisés dans leur vie et c’est louche, tout ça, bien plus louche encore de Matt qui essaye de parer aux apparences en faisant semblant de bien aller. Il le fait toujours. On pourrait en conclure que c’est un truc de frères McGrath alors qu’en réalité c’est un truc de McGrath tout court.

« Je veux pas le demander, mais j'le demande quand même : qui commence? » Le regard de Swann dévie vers son aîné un temps et il s’en veut de ne pas avoir été assez bon pour continuer de le relier au reste de la famille. Il dévie ensuite vers Ginny et il s’en veut de ne pas avoir su lire en elle, lors de toutes ces soirées du jeudi. Il s’arrête enfin sur Jillian et cette fois-ci il s’en veut de ne toujours pas être capable de drainer de sa haine à l’égard si ce n’est du reste du monde alors au moins sa propre famille. Ce n’est pourtant pas parce qu’il a échoué en tout point jusque là qu’il compte abandonner et au contraire, son rôle n’en est que plus important. « On pose des règles avant. » Ses mains remontent sur la table, il redresse son dos alors que son regard balaye désormais toute la fratrie. Son sourire n’est plus, n’en reste que son sérieux. « On parle chacun notre tour. Plus de tabou, plus de mensonges. On ne juge personne, on ne fait aucun commentaire. Et personne ne tape personne, pas même sous la table. » S’il avait voulu jouer il aurait lancé un regard à Jillian, il aurait agrémenté le tout d’un sourire joueur avant de reprendre son sérieux. Sauf que maintenant plus personne ne joue. « Si personne ne veut commencer, je peux le faire. » Il laisse l’éventail de possibilité encore ouvert, ne cherche à brusquer personne, ne souhaite braquer qui que ce soit encore moins. Ils font ça pour que les choses s’arrangent, pas l’inverse.

* sauf Jillian.
* ‘convenablement’ signifiant ici sans hurler ni en venir aux mains

« ça va bien se passer. » je sais que Jill se veut la plus rassurante possible, pourtant c'est tout l'inverse que je ressens. Qu'elle ait besoin de me le dire est un signal d'alarme autant pour moi - ça veut dire que j'ai pas du tout réussi à cacher mon trouble - que pour elle - ça veut dire qu'elle réussit pas du tout à cacher son trouble. J'inspire pour nous deux, verrouillant mes prunelles à la silhouette de Swann qui évolue dans le café comme s'il y avait toujours été. J'oublie, souvent et le plus involontairement du monde, qu'il n'est pas là depuis le début. « Au pire, garde ton téléphone sous la main, qu'on ait de quoi les prévenir si jamais il décide de s'enfuir pour aller les tuer. » « Il s'enfuira pas et on aura pas besoin d'appeler qui que ce soit à notre rescousse. » mon ton est calme, posé, ma voix pareil. Matt a promis et je l'ai cru. Ce soir on essaie d'être bons les uns pour les autres.

Les places s'assignent sans que quiconque ne les déterminent. Jill et Matt sont face à moi, je ramène mes jambes en tailleur sur le canapé en murmurant mes excuses à Swann à ma gauche que j'ai semi-heurté dans l'élan. « Je veux pas le demander, mais j'le demande quand même : qui commence? » « On pose des règles avant. » les gars se toisent et je les toise aussi, dédiant un coup d'oeil vers Jill juste pour m'assurer qu'elle aussi tient bon malgré le fait qu'elle rage d'être posée à côté de notre aîné. « On parle chacun notre tour. Plus de tabou, plus de mensonges. On ne juge personne, on ne fait aucun commentaire. Et personne ne tape personne, pas même sous la table. » j'hoche de la tête, docile, bonne petite élève qui connaît tout par coeur parce que j'ai passé le plan dans ma tête des dizaines de fois dans l'espoir de m'assurer qu'il n'ait aucune faille et qu'on s'en sorte tous pour le mieux. L'entendre narrer me fait paniquer, mes mains se glissent sous mes cuisses pour ne pas le montrer.

« Si personne ne veut commencer, je peux le faire. » « J'y vais, c'est bon. » ma tête qui se tourne d'office vers le blond du quatuor, le sourire aux lèvres, un sourire de ceux qui disent des tas de trucs en silence mais surtout qui disent que ça va. Ses iris me calment, ma respiration glisse naturellement, et finalement, je tourne la tête vers Matt, lui seul ne sachant pas que ce que je vais articuler pour briser la glace. « J'ai épousé Auden à Florence il y a deux mois. » la notion de pays n'est pas là pour vanter quoi que ce soit, simplement pour lui expliquer que si c'est arrivé sans qu'il sache il y a tant de temps déjà, c'était pas contre lui du tout.

Il faut que tout se passe bien. Tout le monde l'a promis. Personne ne s'énerve, personne ne juge, personne ne quitte la table tant que ce n'est pas fini. Il y a trop de non-dits, de cachotterie dans cette fratrie. Et aujourd'hui, ils ont décidé de tout mettre à plat. Ça va être dur, mais ils vont y arriver. Les McGrath sont soudés, et quoi qu'il arrive, ils finissent toujours par se retrouver. Et là, ils sont 4. Ce n'était pas arrivé depuis un bout de temps mais ils sont tous ensemble. Jill s'avance vers la table, Ginny à ses côtés. Jill se retrouve à côté de Matt et elle évite son regard, elle se concentre sur ses doigts avec lesquels elle joue sous la table. Mais elle écoute tout, elle entend Matt demander qui commence, Swann énoncer les règles. Jill hoche la tête, plus de tabou, plus de mensonges. Ils en ont tellement besoin.

Ginny décide de commencer, et ça l'étonne Jill. Elle lève les yeux vers sa sœur pour l'encourager. Les annonces ne vont pas plaire, elle le sait très bien. La première annonce, elle est mariée à Auden. Jill n'essaie même pas de décrypter la réaction de ses frères. Elle s'assure que Ginny a fini de parler, soupire et se lance à son tour. « Et moi je me suis mariée avec Bailey pour le nouvel an quand on est parti à Bali. » Elle a gardé le secret longtemps. Elle ne savait pas comment l'aborder devant Matt, elle n'a pas vu Swann depuis le mariage de Matt. Une annonce à la fois, le mariage n'est pas la plus importante à son goût mais elle attend déjà de voir si Matt tient ses promesses. Elle continue de jouer avec ses doigts et regarder tour à tour Swann et Ginny. La pression est à son comble et ils viennent à peine de s'asseoir.

Les aveux passent d’un membre McGrath à un autre, d’une bouche à une autre. Swann se fait patient, il laisse le temps à chacun de trouver ses mots et l’intonation adéquate. La benjamine commence et bouscule tant les codes que les idées préconçues, rendant le blond fier au possible. Il ne cache pas un sourire en coin sur son visage alors qu’il pose ses yeux près d’elle sans pour autant la forcer à aucun contact visuel. Il se sent proche de chacun des membres de sa famille mais n’a aucune idée de ce dont chacun s’apprête à parler, raison pour laquelle il souhaite leur laisser du temps à tous. La fratrie en a grandement besoin, ils apprennent aujourd’hui à se reconstruire. Il se décale légèrement pour laisser à Ginny la placer de s’installer à sa convenance sans lui en vouloir à aucun instant de lui écraser la cuisse au passage.

« J'ai épousé Auden à Florence il y a deux mois. »
« Et moi je me suis mariée avec Bailey pour le nouvel an quand on est partis à Bali. »

Il dodeline de la tête, sourit de nouveau à l’énonciation de ces deux secrets qui ne l’étaient plus pour la moitié d’entre eux déjà. Les filles se marient, les filles sont heureuses ; c’est tout ce qui compte. Qu’elles aient eu besoin de s’enfuir à Florence et Bali pour le faire devrait les alerter mais il l’a dit lui même : aujourd’hui personne ne fait aucun commentaire. Son attention est davantage tournée vers Matt, lequel il n’est pas certain acceptera les deux nouvelles avec autant de facilité. En attendant la réaction de l’aîné, Swann offre son plus beau sourire à Jillian, heureux pour elle, alors qu’une de ses mains se cache sous la table pour venir serrer les doigts de Ginny un instant. Tout se passera bien pour elles et c’est désormais à son tour de parler.

Celui qui se veut être le soleil du groupe n’a pas de véritable secret pour sa famille et il est désormais le seul du groupe à ne pas être marié, ce n’est donc pas ce dont il s’apprête à leur parler. A vrai dire il aurait pu se contenter de jouer l’arbitre et d’être hors jeu mais il a été la pièce rapportée de la fratrie pendant bien trop longtemps pour choisir de l’être aujourd’hui encore. Il prend donc une longue inspiration et détache son regard de son aînée en même temps qu’il délie ses doigts de ceux de la benjamine pour venir attraper le couteau allant avec le plat de nourriture - un McGrath ne faisant jamais rien sans de la nourriture à côté de lui.

Il coupe un à un chaque bracelet de ficelle contenu autour de ses poignets, laissant peu à peu apparaître les marques blanches horizontales sous ses poignées, lesquelles étaient à l’abri des regard depuis de nombreuses et douloureuses années. « Je me suis scarifié les poignets pendant longtemps et j'ai fait une tentative de suicide avant de venir en Australie. » La date précise n’a pas d’importance, les raisons exacte n’ont pas à être soulevées puisqu’il sait qu’elles éveilleront de la culpabilité en chacun eux, laquelle n’a pas lieu d’être. Il leur devait un secret et il le leur a donné, maintenant il refuse de cacher les marques de son histoire à qui que ce soit d’autres. Elles font partie de lui au même titre que n’importe quelles autres cicatrices et pour le moment encore s’occuper à couper les bracelets lui donne une bonne raison de ne regarder personne dans les yeux.

Swann statue les règles et on a presque l'air d'y tenir, à tout ça. On a presque l'air de vraiment vouloir arranger les choses, on a presque l'air d'être là pour les bonnes raisons et d'y croire et pas juste l'air en vrai parce qu'enfin, c'est le cas. Ça fait des années qu'on fait tout ce qu'on peut pour empêcher qui que ce soit d'infiltrer dans notre noyau, pendant que de l'autre côté on le fait imploser les uns contre les autres et les uns avec les autres.

De pas parler nous ressemble pas.
De tous se fixer en silence nous ressemble pas, et d'être dans l'attente les uns des autres sans se presser non plus.
Gin se ressemble pas de vouloir commencer.
Jill se ressemble pas de la couver du regard.
Je me ressemble pas de la fermer docilement quand je les ai vus, bien sûr que je les ai vus, les anneaux à leur doigt.
Swann est le seul qui se ressemble, parce qu'il a toujours été comme ça avec nous, il a toujours été bien trop doux, bien trop patient, bien trop parfait pour qu'on voit au-delà.

« J'ai épousé Auden à Florence il y a deux mois. » ça goûte le fer dans ma bouche, mes dents qui mordent ma joue avec une force qui m'étonne pas. Inspire Matt, ça ira.
« Et moi je me suis mariée avec Bailey pour le nouvel an quand on est partis à Bali. » le rire nerveux et la putain d'ironie que je ravale en même temps que ma salive sèche. Inspire Matt, ça ira.
« Je me suis scarifié les poignets pendant longtemps et j'ai fait une tentative de suicide avant de venir en Australie. » là, je le gère pas, le frisson qui se casse sur mon échine, et je la hais la chair de poule qui en fait mal. Inspire Matt, ça ira - well nope, là, on fait arrêt sur image.

Et ma main va chercher un autre couteau, un deuxième, avant que mes gestes soient aussi lents que possible maintenant que j'allonge ma silhouette par-dessus la table et que j'attrape l'un des deux poignets de Swann. J'en coupe avec toute la délicatesse que j'ai un bracelet, juste un, juste parce que, juste parce que ça m'occupe les mains et que ça m'occupe l'attention et que ça m'empêche de dire quoi que ce soit et merde pourquoi je savais pas et fuck pourquoi je l'apprends que là. Mes soeurs qui ont droit à un répit d'une seconde à peine quand mes yeux trouvent ceux de Swann, pas un mot de plus, surtout pas. Et mon corps qui se repose finalement au creux de mon siège, se calant sur les coussins.

Gin se ressemblait pas parce qu'elle est heureuse, maintenant, ça se voit au fond de ses iris de gamine qui brillent autant d'émotion envers lui que d'appréhension envers moi.
Jill se ressemblait pas parce qu'elle s'est enfin ouverte à quelqu'un, qu'elle s'est enfin autorisée à baisser ses barrières et que maintenant, elle y a pris goût.
Swann ne se ressemble plus du tout par contre, parce qu'il a levé le voile sur une partie de sa vie qu'on ignorait, partie qu'il assume et qu'on assumera à partir de maintenant avec lui parce que même si on était pas là à ses côtés à l'époque, on le sera maintenant coûte que coûte aujourd'hui.

« Allie était enceinte quand on est partis à Londres. Je l'ai su y'a quelques semaines seulement. » et moi, je me ressemble pas, parce que j'assume enfin de le dire à haute voix.

Jill parle de son mariage, je parle du mien. Les cartes volent et Matt reste impassible, j'en ai peur, je suis terrifiée si vous me demandez. Pourtant, on a promis, et pour le moment tout le monde tient bon au point où j'ai confiance que le café reste intact et que nos relations en viennent presque à s'adoucir d'ici la fin du plaidoyer.

Puis, Swann prend la parole.
Puis, mon coeur se brise d'un coup d'un seul.

« Je me suis scarifié les poignets pendant longtemps et j'ai fait une tentative de suicide avant de venir en Australie. »

Matt aide d'un côté Swann à se libérer des liens de tissus qui cachaient ses poignets, quand j'en attrape un de poignet, au vol, avec toute la douceur dont je suis capable. Il était de l'autre côté du globe, avec nous sans l'être, quand on ne le savait même pas. Il y était et il avait mal, et moi aussi. Mais lorsque mes lèvres se posent sur l'un des poignets de Swann, et qu'elles répètent sur le second, j'ai le bref, le naïf surtout, espoir que ses plaies se pansent un peu, que lui aussi, aille mieux.

« Allie était enceinte quand on est partis à Londres. Je l'ai su y'a quelques semaines seulement. »

Et ce coup d'oeil que je partage avec mon frère, celui-là et le seul qu'on s'autorise. Londres nous avait tous cassés en mille morceaux les uns après les autres et entre nous bien plus qu'on le dira un jour, qu'on l'acceptera surtout.

Ils sont brisés les McGrath, ils le sont bien au-delà des cicatrices et des drames de famille, ils le sont bien plus qu'ils ne l'avoueront jamais, trop occupés à enfiler des masques et à faire croire que le temps arrange les choses. Pour nous, le temps ne fait que tout empirer.

Jill n’ose pas regarder ses frères et sa soeur. Elle garde son regard fixé sur ses mains qui restent entourées autour d’une des tasse. Elle respire comme elle le peut quand elle sait qu’elle va devoir tout balancer à ses frères en une seule discussion. Elle est terrifiée, elle ne sait pas comment ils peuvent bien réagir à de telles annonces. Ils avouent tour à tour, et Jill a terriblement mal au coeur quand elle voit à quel point les McGrath vont mal sans même vouloir le montrer. Elle soupire et elle croise le regard de Swann. Il n’y a plus aucune rancoeur, les problèmes qu’ils ont bien pu avoir au mariage de Matt sont laissés de côté et elle ne parle pas, mais ses yeux parlent pour elle. Elle sait, beaucoup de monde dans cette famille sait ce que c’est d’en arriver à un tel point de non retour. Elle ne peut rien dire, personne ne peut le faire. C’est un secret qu’il dévoile comme les filles ont pu le faire avant lui. Si elle était à côté de lui elle aurait attrapé sa main, mais Matt et Ginny le font très bien à sa place.

Son souffle se coupe quand c’est Matt qui parle. Comment ils ont bien pu en arriver là ? Pourquoi tout leur arrive à eux ? Ils ne seront jamais, et pourtant, ils sont tous les quatres assis autour de cette table, à dévoiler tout ce qu’ils gardaient pour eux depuis des jours, des mois, des années même. La main de Jill vient serrer celle de Matt malgré tout ce qu’il a bien pu se passer entre eux. C’est une nouvelle difficile, c’est encore un mauvais souvenir associé à Londres. Cette ville qui les a tous détruit un par un. Elle ne dit rien une nouvelle fois, elle attend son tour qui n’est pas encore arrivé. Elle attend d’être sûre d’avoir continué à respirer aussi. Elle aurait des tas de choses à avouer sur Londres, mais rien dont ils ne se doutent pas. L’alcool, la drogue, même Swann est au courant de tout ça. Ginny ne parle pas non plus, ils laissent tomber les masques les McGrath juste le temps de ce rendez-vous familial. Et c’est fou de voir à quel point leurs visages peuvent être expressifs quand ils les laissent faire.

Et c’est à Jill de respirer parce qu’elle a peur de prononcer ces mots, elle a peur de cette annonce. Elle regarde sa soeur, parce qu’elle sait Ginny, elle sait depuis quelques semaines déjà. Mais elle n’a pas le droit d’être lâche, ils ont parlé eux, alors elle doit le faire encore une fois elle aussi. “Je suis enceinte.” Elle parle tout juste assez fort pour que tout le monde puisse l’entendre, et elle n’ose même pas lancer un regard à Matt. Et plus le temps passe, plus elle prononce ces mots à voix haute, plus tout ça devient réel, et de plus en plus terrifiant.

Ils sont tous brisés, les McGrath. Chacun à leur manière, ils ont tous perdu l’éclat dans le fond de leurs yeux. Ils s’observent sans jamais réellement se comprendre et ce même s’ils essayent parfois de tout leur corps et de toute leur âme. Le blond continue de garder espoir en sa famille mais ça n’empêche pas son regard de se poser tour à tour sur chacun des membres autour de la table, prêt à ce que l’un d’eux brise déjà les règles et amorce la fin du jeu de manière anticipée. Pour autant ce n’est pas le cas et il se permet de souffler doucement et de manière inaudible, Matt occupé à l’aider à couper un des bracelets alors que Ginny soigne des plaies qui continueront toujours de le brûler. Il se fait docile et laisse ses poignets entre les mains de son propre sang, pantin bien heureux de ne pas avoir à user de ses forces pour se mouvoir.

Ses yeux trouvent ceux de Matt et il cligne des paupières pour le remercier, l’air grave. Les lèvres de Ginny ont fait de leur mieux pour ses poignets et à son tour les siennes viennent la remercier en se reposant sur sa tempe. Il garde une main de l’autre côté de sa tête le temps du bref baiser, ses poignets marqués par le manque de soleil. « Allie était enceinte quand on est partis à Londres. Je l'ai su y'a quelques semaines seulement. » Et c’est à ce moment là que ses yeux se ferment douloureusement alors que son esprit a déjà fait le lien avec Allie et l’absence totale d’enfant dans sa vie. Toutes les possibilités envisageables sont soit horribles soit atroces, le pire dans tout ça étant que Matt aurait été le père parfait. Même à l’époque. Surtout à l’épaule, même, alors que la famille McGrath n’avait pas usé de sa malédiction sur lui. Ginny lui vole le premier coup d’oeil, Swann dérobe le second. Il n’a jamais été question de ne pas faire un acte II, plus tard, pour avoir la version complète de l’histoire, celle dans laquelle il sait qu’il n’aura jamais rien à craindre du jugement de son cadet. Sa confession n’a rien à voir avec celle de leurs soeurs.
Les filles sont enfin heureuses et les garçons n’ont toujours pas appris à l’être.

“Je suis enceinte.” Le regard de Swann remonté jusqu’à son aînée, son sourire avec. Elle est radieuse et elle rayonne de joie, elle est mariée et elle est enfin heureuse. Elle le mérite, Jillian, elle le mérite réellement. “Félicitations.” Son sourire le lui fait comprendre, il sera le plus heureux tonton du monde et elle sera une mère parfaite, à n’en pas douter. Le timing est le plus horrible qui soit mais il faut croire que c’est un don transmis dans les gènes de la famille.

La banquette grince sur le carrelage et le corps du blond se lève douloureusement. Les bracelets défaits glissent jusque dans la poche du trentenaire qui les jettera un jour ou un autre, sûrement pas avant bien longtemps. Ses pas dérivent derrière la banquette alors que ses mains ne quittent jamais sa cadette d’un mois à peine, présence constante supposée rassurante. Il embrasse de nouveau le côté de son crâne avec douceur et lui glisse des mots qu’elle seule pourra entendre. “Sois heureuse. Tu le mérites.” L’ironie est qu’il aurait pu proférer exactement les mêmes mots pour Matt, lui qui a passé les dernières années de sa vie à tenter de panser les plaies de tout le monde sans jamais se préoccuper des siennes. Dérivant d’une soeur vers la seconde, ses prochains mots sont dédiés à Jill et à elle seule. “Tu seras parfaite. Tu l’es déjà.” Ses lèvres se déposent à l’arrière de son crâne sans amertume aucune, toujours sincères. Elle sera parfaite si elle s’en donne la chance.

Enfin il dérive jusqu’à l’aîné, le coeur en vrac et le corps contracté à la suite de la simple écoute de ce secret qu’il a gardé pendant bien trop longtemps. Peu importe si ledit temps se compte en jours ou en mois, il a tout ressassé seul pendant bien trop de temps. Il s’en veut d’avoir instauré des règles auxquelles il aimerait bien déroger, il aimerait faire mille commentaires à ce sujet pour le rassurer d’autant de façons possible et pourtant ce n’est toujours pas le bon moment pour ça. Il le cherche des yeux tout en posant une main triste sur son épaule, celle là même qui s’y accroche sans doute bien trop fermement. A Matt il ne dit rien et se contente d’hocher imperceptiblement la tête. Il s’ancre ses yeux dans les siens et refuse de s’en dégager, il respire au rythme de son aîné simplement pour s’assurer qu’il se donne encore ce droit là. Pour autant là n’est plus sa place, à Swann, et l’instant d’après il relâche son emprise fraternelle. “Le reste je ne peux pas le faire pour vous.” Ils ont une vie de secrets et de reproches et peu importe à quel point ils l’ont intégré à la famille, il ne fait pas parti de ce temps là. Il a replongé une main dans sa poche, celle qui est vide. L’autre pend dans le vide, ses yeux passent d’une soeur à l’autre, de son frère à une soeur. “C’est votre monde.” Il n’a rien d’amer, Swann, il voit simplement la vérité en face. Il peut tenter de réparer bien des choses mais il n’a aucun don de magicien et il est surtout fatigué de se battre pour le monde entier, parfois.

On en parle si tu veux.

Quand tu veux.

C’est pas de ta faute.

Il a tourné talons, envoyé les sms à Matt. Les filles n’ont pas besoin de tout savoir. Personne n’a besoin d’être informé de quoi que soit en dehors de ce qu’il a bien voulu dévoiler. Lui même n’insistera pas si son frère n’a pas besoin de sa présence à ses côtés. Pour le moment en tout cas il repasse derrière le comptoir pour s’occuper des clients et garder un œil attentif sur tout ce qui se joue au loin, Lucia toujours présente à ses côtés pour occulter ses propres maux.