L'atelier venait tout juste de se terminer et Molly était restée comme je l'avais espéré. Elle semblait terriblement lointaine la journée où elle était venue à ma rescousse à la maison à Logan City, il me donnait l'impression d'avoir eu lieu y'a des millénaires l'après-midi où elle avait vaillamment mis les mains à la pâte à mes côtés pour décorer mon atelier aux couleurs de Noël.

Aujourd'hui par contre, on a tout notre temps pour rattraper les moments perdus depuis les Fêtes, et pour discuter entre filles extra Noah, alors que la terreur erre à quelque part dans l'atelier sans que je ne sache vraiment où. Je crois que je l'ai entendu comploter avec Lola et/ou Robin et/ou Auden il y a une bonne heure déjà, ce qui est autant une bonne qu'une mauvaise chose. Je me garde en note mentale de partir en éclaireur dans la galerie dès que Molly lèvera les yeux de son canevas. J'en profiterai pour l'amener découvrir un peu plus les coulisses des lieux avec moi.

« Le cours est terminé depuis presque mille ans, tu sais. » je raille, joueuse au possible, le sourire le plus rassurant du monde aux lèvres et l'oeil brillant en arrivant à la hauteur de mon amie.

Pas une seule chance qu'elle se sente pressée quand je me pose doucement au chevalet à côté du sien, jouant avec le pinceau que j'ai toujours entre les doigts quand j'enseigne, pinceau barbouillé de corail comme à son habitude sans que ça ne surprenne personne. « T'as envie de parler de ce que tu as dessiné, ou pas du tout? » il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses avec moi, et surtout pas à propos de ça. Je ramène l'un après l'autre mes pieds sur le tabouret, m'assurant de ne pas déloger mes yeux de ceux de Molly, sans jamais une fois dériver vers son tableau. Ma notion d'intimité protégée que je lui partage, le sourire aux lèvres.

Je suis à l’atelier cette après-midi. J’avais besoin de me changer les idées. J’ai tout appris il y a un peu plus d’une semaine, et j’en avais marre d’être constamment enfermé dans l’appartement à me morfondre. J’avais besoin d’air, de sortir un petit peu. Et quoi de mieux que l’atelier pour ça ? Ginny donne un cours, j’ai encore toutes les horaires et les jours dans mon agenda même si ça fait quelque temps que je ne suis pas allée la voir. Alors aujourd’hui, je me suis posée au fond de la salle et j’ai suivi toutes ses instructions. Mon dessin est bien plus sombre qu’à mon habitude mais j’écoute les conseils de Ginny. Ca m’avait manqué, j’ai bien fait de revenir par ici, au moins pour une après-midi.

Et je me perds dans mes pensées pendant un long moment, je continue de dessiner et j’ai vraiment l’impression de n’avoir aucun talent pour ça. Mais je m’amuse, ça me détend et c’est le principal. Mon pinceau est dans ma main et je continue de faire quelques traits aléatoire, comme je le ressens. Ce n’est même plus moi qui dessine vraiment à cet instant. Et c’est la voix de Ginny qui me fait sursauter. Et je regarde autour de moi, il n’y a plus personne. “Oh pardon… j’étais perdue dans mes pensées j’ai pas vu le temps passer.” Je secoue la tête en répondant à son sourire rassurant comme je le peux.

Elle me parle de mon dessin et de nouveau mes yeux se tournent sur ma toile. C’est bien différent de ce que je peux lui montrer habituellement. Je capte son regard et hoche la tête. “T’en dirais quoi toi ?” Est ce qu’on dessine vraiment ce que l’on ressent ? Peut-être qu’elle verra avec tout ça Ginny que je ne suis pas au meilleur de moi-même. Qu’il s’est passé des tas de choses depuis qu’on s’est vu la dernière fois. Je sais que je ne vois pas assez les gens que j’aime et ça m’énerve un peu. Mais je ne peux pas être sur tous les fronts. Et là, ces derniers temps, j’ai besoin de temps pour moi.

“Oh pardon… j’étais perdue dans mes pensées j’ai pas vu le temps passer.” sa voix se casse, fluide et fluette, mes sourcils se froncent doucement. À peine elle les verra tant je m'applique à camoufler le moindre rictus d'inquiétude, soucieuse de ne pas lui ajouter une pression supplémentaire. Je regrette presque de l'avoir dérangée alors qu'elle semble si secouée, l'impression qu'elle ne va absolument pas qui me laisse un goût âpre sur la langue. « Y'a pas de mal, c'est moi habituellement que m'égare dans mes pensées. » alors je dédramatise, je calme, tente de blaguer même. « Fais gaffe, à force tu vas finir par me voler ma réputation de tête en l'air. » mais il n'y a qu'un rire las qui englobe l'espace maintenant rien qu'à nous de la galerie. Elle ne va pas.

De ses ressentis, je passe à ses croquis. Je sais que c'est l'un de ses médiums préférés pour laisser aller ses craintes, surtout celles qui grattent, qui piquent et qui dérangent. La question est donc ouverte, lui laisse amplement le droit de divaguer ou de ramener à elle si c'est ainsi qu'elle se sent à l'aise. “T’en dirais quoi toi ?” qu'elle m'offre le choix aurait dû me rassurer, qu'elle me laisse décider aurait dû m'inspirer l'impulsion nécessaire pour l'amener à se confier. À chasser ce voile qui brouille trop à mon goût son regard, à calmer sa mâchoire tendue sans avoir même dilué la moindre information sur son état. « J'en dirais que j'ai tout mon temps. » que je souffle, avec toute la douceur du monde, avant de laisser ma paume presser délicatement son épaule. Un support ici, et un support par là aussi.

« Et j'en dirais qu'on peut commencer par un thé, déjà. » pas à pas, sans rien brusquer. On est sur le même rythme elle et moi, et un simple thé devrait déjà lui apporter un touche de sécurité en plus du reste. J'ai pas menti ; j'ai vraiment tout mon temps pour elle.

J’étais perdue dans mes pensées. Et pendant un long moment visiblement. Puisqu’il n’y a plus personne dans cette salle. Je suis la seule à encore me tenir devant ma toile. Je n’ai pas fait attention à ce que je faisais. Comme un robot, j’ai suivi les conseils de ma prof préférée sans savoir si les couleurs que je choisissais allait bien ensemble, sans savoir si c’était trop clair ou trop sombre. Je ne sais plus. Je suis venue pour me changer les idées, mais, visiblement, ça ne marche pas. Je sursaute quand Ginny attire mon attention, je devrais partir, ne pas la gêner avec tous mes problèmes. Elle doit certainement en avoir bien assez pour que je vienne pleurnicher à cause des miens. Je ne suis pas ce genre là, je préfère garder tout à l’intérieur, et il n’y a que moi qui gère après tout ça. Je ris un peu, c’est vrai que la peintre a pour habitude de se perdre dans ses pensées elle aussi. “Je te fais déjà de la concurrence depuis qu’on se connait. Je me demande laquelle de nous deux est la pire.” C’est léger et ça fait du bien. On se ressemble avec Ginny, et j’aime passer du temps avec la jeune femme.

Je ne sais pas quoi dire de ma toile, je la trouve différente de ce que je fais d’habitude. Après je ne saurais pas dire si c’est mieux ou moins bien. J’attends l’avis de la professionnelle en essayant d’éviter son regard au maximum. Et je sais qu’elle le voit Ginny, qu’elle le sent tout ça. Je suis sûre qu’elle sait déjà avant même que j’ai prononcé un mot, que ça va pas. “T’as pas d’autres cours ?” Je ne veux vraiment pas rester là si je gêne, et elle le sait très bien la McGrath. Un thé, c’est une bonne idée ça. Alors je hoche la tête en laissant le pinceau à sa place. Je crois que ma toile est finie, je n’en sais strictement rien en fait. Peut-être que ça m’aiderait à extérioriser de continuer. Mais je préfère suivre Ginny, tant qu’elle veut bien de moi dans les parages. “Tu fais les même qu’à Noäl ou c’est encore des différentes ?” Je souris, je me souviens de ce moment où on a décoré l’atelier.

Il passe sur son visage, son sourire en coin, son éternel sourire solaire. Il est bref et il est diffus, je n'arrive pas à le retenir avant qu'il ne s'envole non plus. “Je te fais déjà de la concurrence depuis qu’on se connait. Je me demande laquelle de nous deux est la pire.” « Voleuse. » pourtant, je pouffe, lui tire presque la langue tant je tente de rendre le tout un peu plus léger. L'ambiance est étrange, mais Molly sait aussi bien que moi que jamais je ne ferai quoi que ce soit pour l'alourdir, pour la stresser à parler. On y va à tâtons, mais on va exactement où elle veut aller, elle.

“T’as pas d’autres cours ?” évidemment qu'elle s'inquiète. La galerie est vide d'autres étudiants et même de profs, les derniers meubles ont été depuis un bon moment déjà transférés à la galerie de Spring Hill. Elle n'a rien à craindre ici, encore moins de déranger qui que ce soit. « Non, pas avant ce soir. » ce qui nous laisse amplement le temps pour un thé, pour discuter, ou pour peindre. Ce qu'elle voudra, je m'y plierai. “Tu fais les même qu’à Noël ou c’est encore des différentes ?” je pouffe, sélectionne mon sachet à moi, lui tend la boîte pour qu'elle en fasse de même. « Je varie selon les saisons. » comme s'il s'agissait d'un secret d'état, mon murmure fend mon visage d'un air aussi espiègle qu'enfantin.

L'eau bout, le silence englobe la pièce non sans alléger un brin les esprits. Dehors, le soleil a décidé qu'il se chargerait de nous donner une journée parfaite, une journée sans le moindre nuage. J'ai la cruelle impression que même le beau temps n'aidera pas Molly à aller mieux, à penser à autre chose. Pourtant, lorsque je la guide vers la grande baie vitrée d'où on peut s'installer sur le rebord plus large de la fenêtre, j'espère candidement que la chaleur lui réchauffe doucement le coeur.

L'instant d'après, ma voix se charge de calmer le reste. « Tu sais, même si j'enseigne tout à l'heure, tu peux rester autant de temps que tu veux. » autant de temps que tu as besoin.

Elle me fait rire Ginny. Et, tout à coup, je me dis que j’ai bien fait de venir ici. Et je le savais sûrement déjà, c’est certainement pour ça que je suis ici, que je suis inconsciemment restée même après le cours. Que mon corps est resté figé devant ma toile. Je souris, et je n’ai pas envie de partir d’ici. Je vais rester proche d’elle jusqu’à ce qu’elle me vire je pense. Elle est pleine de bonne humeur, de sourire et d’ondes positives. Mon sourire revient furtivement, c’est difficile, mais je suis contente de l’avoir dans ma vie. C’est un ange Ginny, je ne sais pas comment elle fait pour être aussi parfaite avec tout le monde. “J’oserais pas.” Je hausse un sourcil. Je me demande vraiment qui de nous deux est la plus maladroite, je pense qu’on se vaut, et ça me fait rire de croiser quelqu’un qui me ressemble. Chacune de ses conneries je pourrais la faire.

Je ne veux pas la déranger, alors je m’assure que tout va bien pour elle. Qu’elle n’a pas d’occupation ailleurs, quelque chose de plus important que moi. Elle me propose un thé et je souris. Ca me rappelle Noël, quand on avait toutes les deux décoré l’atelier. On avait fait des thés, et des chocolats chauds. Des tonnes de choses pour nous remettre de tant d’efforts. Elle était belle cette après-midi là, et je ne la regrette pas d’avoir passer presque une journée à fouiller dans tous les cartons de Ginny pour créer une ambiance film de Noël. Je prends un sachet au hasard. “Ton secret sera bien gardé avec moi.” Je chuchote, comme elle. Elle me change les idées et je ne la remercierai jamais assez pour ça.

Le silence est long mais pas pesant quand je tiens ma tasse entre mes mains et que Ginny nous emmène jusqu’à la fenêtre. “J’avais juste besoin de sortir de l’appartement. J’avais besoin de me changer les idées, et je le fais grâce à toi.” Je ne peux pas la remercier assez, alors je capte son regard et lui sourit.

Le thé bouillant, la camomille infusée, la tasse qui brûle les doigts, tout ça, ça aide un temps. Ça aide à remettre un sourire sur son visage, il aide à la faire rire un peu. Il aide à la distraire, elle ne me le confirme que trop. Son “J’avais juste besoin de sortir de l’appartement. J’avais besoin de me changer les idées, et je le fais grâce à toi.” qui sonne autant comme le plus beau des compliments que comme la plus triste des sentences.

Molly ne va pas et je n'arrive pas à mettre le doigt sur la raison qui y est à l'origine. En soit, je ne devrais même pas vouloir le faire, en soit ce n'est même pas de mes affaires. Mais je rôde et j'essaie, je tente surtout et du mieux que je peux de l'amener à penser à autre chose. Sa toile reste le point d'ancrage qu'on se donne, celui-là même autour duquel je finis par l'entraîner quelques minutes plus tard. Les palettes de peinture traînent ça et là, les pinceaux avec, le parquet de la galerie est taché de toutes les couleurs du monde quand je nous y installe. Initiant le mouvement, mes pieds se croisent sous mes cuisses le temps qu'elle me rejoigne au sol.

« On ajoute de la couleur ici? » que je propose, doucement, la voix qui rassure et le regard qui s'y ajoute. Je pointe docilement le coin du canevas encore libre, lui laissant le choisir de décider si elle veut y barbouiller ou non. « Pour chaque ajout à la toile, t'as le droit de dire un truc qui va pas, ou un truc qui va. Au choix. » qu'elle se vide le coeur, ou qu'elle voit le positif. Je juge pas, je dirai même rien, sauf si elle me demande de le faire.

Le silence est moins lourd que d’habitude. Mes pensées ne prennent pas toute la place dans mon esprit quand Ginny se pose avec moi derrière cette baie vitrée. Quand elle me donne une tasse fumante de son thé de la bonne saison. Quand je regarde le soleil et le ciel sans nuage au travers de la vitre. Je respire un peu, je souffle et je reste silencieuse en gardant mes mains enroulées autour de la tasse brûlante. Je ne dis rien, je ne bouge pas, je ne sais pas quoi faire ou dire pour rassurer Ginny. Mais c’est elle qui prend les choses en main, qui m’emmène jusqu’à la toile. Je je me dis qu’elle va me parler de la toile, ou me demander d’en parler. Je ne sais pas ce qu’elle veut faire, et j’ai tellement peur de parler de tout ça que mes lèvres se pincent rien qu’à l’idée que je vais devoir finir par le dire à voix haute.

Mais on s’assoit sur le sol, le sol qui est déjà plein de différente couleur, qui est une toile à part entière finalement. De vrais dessins par ci, seulement des tâches de pinceaux tombés au sol par là. C’est beau, c’est lumineux, ça ressemble à Ginny. Tout cet endroit la représente bien je trouve. Il y a encore quelques petits endroits qui paraissent terriblement vides. Et elle en point un du doigt la McGrath, elle me montre un coin et je hoche la tête. Je n’ai jamais dessiné sur le sol, c’est pas vraiment un truc que les gens s’autorisent à faire en temps normal il me semble. Mais ici, tout est différent, tout est doux. Une bulle de confort dans laquelle j’aimerais être enfermé pendant un long moment encore. “Tu trouves qu’il faudrait rajouter quoi ?” Mon sourire s’étire quand mes yeux se posent sur la palettes aux milles possibilitées de combinaisons. “Et tu fais la même chose ?” Ou est ce que je suis la seule à suivre les règles du jeu ? Les deux me vont, je ne veux pas la forcer à dire quoi que ce soit. Je prends un pinceau et je choisi du violet, un de ceux que Ginny crée sans y faire attention. “J’habite à plein temps chez Léo.” Sky a disparu des radars sans laisser de nouvelles, et Léo à accepté que je vive chez lui. On peut compter ça dans les choses qui vont, s’il n’avait pas été là après toutes ces annonces, je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui.

“Tu trouves qu’il faudrait rajouter quoi ?”
« Une couleur que t'aimes pour un truc bien, une couleur que t'aimes pas pour un truc moche. »

On dirait presque que l'idée est habituelle, qu'elle est devenue notre routine alors que j'improvise depuis la seconde où j'ai remarqué une leur bien trop sombre dans le regard pourtant éternellement illuminé de Molly. Elle a su sans même le savoir me remonter le moral des dizaines de fois, elle a su toucher des tas d'autres gens de son sourire, de sa voix douce et de ses gestes qui le sont tout autant durant les ateliers et même avant, après. Aujourd'hui elle mérite qu'on s'occupe d'elle avec la même tendresse qu'elle éprouve pour les autres, sans jamais la brusquer. Les pinceaux sont à elle comme les couleurs et mon regard ne reste sur son profil qu'une poignée de secondes à la fois. La pression que je veux voir s'envoler de ses épaules et non l'inverse. “Et tu fais la même chose ?” et voilà qu'elle me fait une place, la brunette. Qu'elle veut qu'on soit égales, probablement qu'ainsi elle arrivera à mieux s'ouvrir, qu'elle arrivera à sentir qu'elle n'est pas la seule à monopoliser l'exercice quand bien même elle le pourrait, elle en aurait tous les droits. « Deal. » mais voilà, je préfère aller à son rythme à elle mille fois plus que mon rythme à moi.

“J’habite à plein temps chez Léo.” courageuse Molly qui débute, qui souffle. « Et c'est quelque chose qui va ou pas? » mon sourire en coin n'est là que pour la soulager, la rassurer encore. Je sais bien que c'est une bonne chose, je sais bien aussi que c'est probablement ce que l'un comme l'autre a besoin en ce moment. Même si jamais ils n'auront l'impulsion de l'affirmer de peur de mettre trop de poids sur les décisions de l'autre. À trop vouloir se protéger l'un et l'autre, ils se font du mal à eux-mêmes.

« La galerie déménage à Spring Hill. » à mon tour de peindre et d'ajouter du corail, ma couleur préférée, à sa toile. Oui, c'est une bonne chose ; pas pour tout le monde, mais pour Auden et moi, ça l'est, ça l'est parfaitement.

Elle est vraiment gentille Ginny. La bonté incarnée. Je ne le remercierai jamais assez d’être dans ma vie. De me supporter et de me donner tous les cours de peinture dont je peux avoir besoin même si je n’ai aucun talent. Je souris quand on commence à dessiner sur le sol, elle me parle de couleur que j’aime ou que je n’aime pas. J’ai du mal à choisir des couleurs que j’aime pas. Je ne suis pas compliquée, et j’ai pour habitude de dire que j’aime pas quelque chose. Tout est beau à sa manière, même les couleurs. “Je vais essayer.” Ca peut peut-être seulement être des couleurs que j’aime moins par rapport à d’autres, ça je suis capable de les trouver. Elle me dit qu’elle va faire la même chose et je soupire de soulagement. Je hoche la tête, je peux très bien commencer maintenant que je sais qu’elle va me suivre et qu’on va pouvoir jouer à ce jeu des confidences pendant un long moment. Personne ne devrait nous déranger là, on est seul, et on s’aide. Je ferai tout pour l’aider si jamais elle a un quelconque problème.

“Quelque chose qui va jusque là.” Je souris, on s’entend bien avec Léo. Je ne sais pas s’il y a de l’amitié, de l’amour ou absolument rien entre nous, mais tout se passe bien jusque là. Je trouve ça rassurant qu’il me supporte et qu’il m’ait laissé entrer dans sa vie aussi rapidement. Il aurait pu refuser, abandonner. Je ne comprends d’ailleurs pas bien pourquoi il ne l’a pas déjà fait.

“Oh” La galerie déménage, et elle a l’air souriante Ginny, alors je souris aussi. C’est son choix, et je ne suis personne pour le contester. “Vous allez continuer les cours ?” J’espère que oui, j’aime beaucoup m’évader avec elle dès que je ne suis pas au meilleur de ma forme. “J’ai été adopté.” Une ligne noir sur le sol, c’est la couleur que j’aime le moins parce que je la trouve bien trop sombre. Et mon regard se porte vers Ginny alors que mon sourire a temporairement disparu.

Son mariage avec Léo a eu la suite à laquelle tout le monde s'attendait, leur emménagement dont elle parle avec un léger, avec un doux sourire sur les lèvres. “Quelque chose qui va jusque là.” c'est tout ce que j'ai besoin de savoir. Ce n'est pas mes affaires de gratter plus loin, de pointer le compte à rebours qu'elle avance doucement. C'est à eux et juste à eux, n'en reste que je me note bien évidemment mentalement d'être toujours là, suffisamment pour qu'elle puisse se sentir à l'aise de parler si à un moment ou un autre, ça ne va plus.

“Vous allez continuer les cours ?” Toowong restait bien sûr l'épicentre des tous débuts, là où les ateliers avaient vraiment pris leur envol. Mais ce serait mentir de dire que de les donner chez moi ne me manque pas. « Tu seras la première avertie quand l'horaire sera fait. » j'ignore encore si la galerie à Spring Hill en restera une, si elle deviendra autre chose, si elle évoluera à travers. Je sais seulement que je continuerai d'enseigner coûte que coûte, et que si elle veut suivre le mouvement, elle aurait mon adresse le plus rapidement possible.

Puis elle change, elle passe au noir. Je le vois de suite et du coin de l'oeil, sans insister, sans en laisser paraître le moindre signe. Ça ne va pas, maintenant.

“J’ai été adopté.”
« Pizza a attrapé une tique de sable. »

Ma réponse vient au taquet, dans un besoin criant d'équilibrer ses mots et d'ainsi lui donner l'impression qu'elle n'est pas seule. Impression qui n'en a que le nom, quand je réalise que d'instinct, ma main a vite trouvé la sienne dans l'élan. « Je suis désolée, je peux pas compétitionner avec ça. » que je souffle, tentant d'adoucir les coins, tentant de rendre sa révélation plus digeste en y ajoutant mes propres soucis. La vérité étant que je ne parle jamais de mes problèmes. Que les siens valent tout le reste du monde aussi, surtout. « T'as envie de me dire comment tu te sens? » son pinceau noir que je laisse de côté, à mon tour d'attraper une teinte que j'aime moins, un beige vide, fade, faible, sans vie.

Il est apaisant ce moment, cette bulle qu’on partage avec Ginny le temps d’une après midi. Jusqu’à ce qu’elle retourne à sa vie et à ses occupations. Le pinceau roule entre mes doigts et j’observe toutes les couleurs qui s’étalent au fur et à mesure des aveux. Je lui fais confiance comme je fais confiance à la terre entière bien trop facilement. Je soupire de soulagement quand elle me dit que les cours vont continuer. Je ne sais pas dessiner et je n’aurai sûrement jamais de talent pour ça, mais j’aime ces petits moments que je m’offre pour moi-même. J’en ai besoin, et je suis ravie que Ginny n’abandonne pas l’enseignement, elle est bien trop douée pour ça.

Et ils sortent les mots, ceux que je fuis depuis des jours. La couleur est morne, sans saveur et sans relief. C’est une couleur que j’aime pas, qui me donne envie de pleurer, autant que toutes les larmes que j’ai déjà versé depuis qu’Allie m’a avoué la vérité. Je ne peux retenir un rire quand elle essaie de contrebalancer en parlant de Pizza. Qui n’est pas là aujourd’hui d’ailleurs. Je baisse les yeux sur sa main qui rejoint la mienne et me mord l’intérieur de la joue pour ne pas encore me mettre à pleurer. Je ne veux pas verser de larme, j’ai déjà bien trop pleuré pour cette histoire. Comment je me sens ? Même moi je ne le sais pas bien. “Je me sens…” Je cherche mes mots, quelque chose d’assez fort pour décrire ce qui se passe à l’intérieur de moi. “Vide.” Et je ne trouverai pas mieux. Moi qui adore ressentir toutes les émotions positives possibles, je ne ressens plus rien. A part un vide sombre et terrifiant, aussi terrifiant que la couleur que je viens d’utiliser pour faire ce trait bien trop large sur le sol. “Mais ça ira.” Il le faut.