Où penses-tu qu'ils ont décidé de nous envoyer ? La production avait décidé du lieu où le nouveau couple que formaient Elwyn et Heïana irait passer sa lune de miel, et ce devait être une surprise jusqu'à la salle d'embarquement. Aussitôt les festivités terminées, les deux mariés avaient dû sauter dans une voiture affrétée par l'émission, car il était prévu que les couples mariés devaient vivre leur première nuit ensemble une fois sur le lieu de leurs vacances. La brune posa une main devant sa bouche, pour bailler plus discrètement. Elle jeta un regard vers Elwyn, avec un petit sourire d'excuse. Pardon; la journée a été assez rythmée. Il était dix-neuf heures passées, et elle commençait à fatiguer. Ils ne s'étaient pas arrêtés, depuis la fin de matinée où chacun d'eux s'était passé la bague au doigt: remerciements aux invités pour leur venue, buffet dînatoire (ils n'avaient pas prévu de repas à table, en raison de la destination secrète des tourtereaux qui les obligeait à ne pas partir trop tard), interview pour la post-production, puis départ chacun d'un côté de studio pour le déshabillage, démaquillage, une bonne douche... Et les voilà arrivés à l'aéroport de Brisbane. La brune était habillée d'une très belle robe, pourtant assez simple: blanche aux larges motifs de feuilles d'arbres tropicaux, elle n'avait ni manches ni bretelles, les larges lanières sur sa poitrine se rassemblant au niveau de sa gorge. Il était rare que la jeune femme s'achète de nouveaux vêtements, mais quelques jours auparavant, elle s'était dit que ce jour particulier serait l'occasion d'être à la fois à l'aise et apprêtée. Un simple bracelet, une montre et sandales avec des liens fins de corde souple, remontant le long de ses chevilles, finalisaient la tenue. La Tahitienne regarda Juanita, que son mari avait gardé avec lui, dans une sorte de cage de transport aménagée pour le confort de mademoiselle. D'où vient son prénom ? demanda la sage-femme avec curiosité, se disant qu'avoir une tortue comme animal de compagnie n'était déjà pas commun, sembler l'aimer autant encore moins, mais un tel prénom... ! Non, vraiment, il semblerait qu'elle avait gagné le jackpot au loto des maris aux passions les plus étonnantes. Pas que ça la dérangea foncièrement; elle était plutôt intriguée, en réalité.
Je prendrai bien un café ! annonça la maïeuticienne, voyant une échoppe Paul non loin d'eux. Ca me requinquera sûrement... Tu veux quelque chose ? Elwyn et Heïana se dirigèrent donc vers le magasin miniature, et contrairement à ce qu'elle aurait fait habituellement, se prenant une pâtisserie en plus, là elle n'en fit rien. La fatigue et il faut le dire, une certaine dose de stress, lui nouaient l'estomac. La boisson chaude, rendue sucrée et onctueuse par une dosette de saccharose et un filet de lait mousseux se suffirait bien à elle-même. Les deux époux arrivèrent à l'enregistrement des bagages; sachant qu'ils en avaient pour six jours de voyage, Heïana n'avait pas prévu une trop grosse valise. On leur avait conseillé de ne pas prévoir de vêtements trop chauds, mais de s'équiper en maillot de bain. Probablement allaient-ils sur une île, ou alors sur la côte d'un pays quelconque. Quelques minutes plus tard, ils atteignirent la salle d'embarquement. La brune chercha leur vol, et donc la destination promise: Hum... Tu vois notre numéro sur le tableau ? Nous avons le n°3582. Bien que d'un naturel joyeux, enthousiaste et sociable, ce qu'elle ne perdait certainement pas au contact d'Elwyn, la demoiselle était un peu plus hésitante. En même temps, elle restait assez intimidée: comment imaginer que ce parfait inconnu il y a quelques heures, et à peine plus cerné maintenant, était son mari ? La Tahitienne avait l'impression de planer au-dessus des nuages et de ne pas être encore redescendue, ne réalisant pas vraiment tout ce qu'il se passait, et le ressentant encore vivement. Elle replaça une mèche rebelle de ses longs cheveux, laissés détachés.
Elle était bizarre cette bague au doigt, est-ce qu'elle allait se transformer en matière en fusion dès qu'il allait se retrouver dehors, face au soleil? Elwyn avait bien raison de se poser la question parce que tout cela aurait très bien pu être une farce grandeur nature, bien meilleure que les blagues Carambar et leurs chutes toujours lamentables, ce qui n'était pas bien difficile au demeurant. L'idiot Cadburry avait pris le temps d'observer autour de lui, sans vraiment savoir ce qu'il faisait là, à son mariage. Il fallait dire que les caméras ne l'aidaient pas beaucoup à s'y figurer, lui qui avait plutôt l'habitude d'être devant sa télévision que devant un cameraman qui lui posait des questions sur le sens de sa vie. Durant ladite interview, il avait bien réussi à citer trois ou quatre philosophes de renom, passant de Voltaire à Socrate sans trop de difficultés, il n'avait plus qu'à remercier son encyclopédie en vingt deux tomes qui traînaient dans les placards de l'appartement. Pas besoin de préciser que le quarantenaire connaissait la moindre page par coeur, comme quoi c'était utile d'avoir une mémoire d'éléphant, lui qui adorait ces animaux majestueux et qui s'étonnaient toujours de la taille de leurs défenses. Il n'oserait pas le dire mais il rêvait vraiment d'avoir les mêmes, quoique ce devait être lourd à porter mine de rien, il faudrait qu'il se renseigne sur la question quand il aurait deux minutes, pourquoi pas quand ils arriveraient à destination? Parce qu'il y aurait des éléphants là où ils allaient, non? Elwyn en rêvait en tout cas et Juanita aussi, enfin quand elle ne dormait pas au fond de sa cage, clairement pas dérangée par l'ambiance vive qui l'entourait. "Avec les éléphants! Ou alors là où il y a des grands buildings et où la sauce tomate est considérée comme un légume. Ou alors s'ils sont vraiment dingos, à Fucking. Ouais, c'est un petit village d'environ 150 habitants dépendant de la municipalité de Tarsdorf, en Haute-Autriche et rien que le nom, ça donne envie!" Pas sûr qu'un avion puisse atterrir dans un tel bled mais le sens des réalités d'Elwyn était quand même salement amoché depuis des années, à croire qu'on l'avait bercé beaucoup trop près des murs, merci les Cadburry premiers du nom. Heïana baillait de son côté et Elwyn souriait en regardant le moindre panneau qu'on lui présentait. Il y avait toujours une panoplie de gens autour d'eux et Cadburry ne pouvait pas s'empêcher de leur parler, sûrement parce que le silence le rendait fou. "Oh, Juanita? C'était ma vieille voisine qui s'appelait comme ça... Elle m'a filé la tortue pour me remercier de lui avoir donné la recette de la vinaigrette alors je l'ai appelée comme elle, en hommage." Il avait l'air proprement ridicule avec ce genre d'anecdotes alors qu'ils arrivaient au lieu d'embarquement. Plus qu'à attendre, Elwyn posant Juanita au sol en observant autour d'eux, est-ce qu'ils allaient voir des éléphants? "Si ça se trouve, ils nous emmènent à Paris et peut être qu'on va vivre dans un château, non? Et je suis sûr que dans les châteaux, on peut voir des cafards. Tu savais toi qu'il existe environ 4000 espèces de cafards différentes? Dire que j'en connais pas le tiers, c'est fou." On les appelait déjà pour monter à bord et Elwyn laissa Heïana passer devant en parlant, parlant et parlant encore, histoire de faire taire cette nervosité étrange. "Après, ça me dérangerait pas de voir la mer Morte, il y a pas de poissons qui vivent dedans, ça doit être unique en son genre ça, je te le dis." Elle allait sûrement le tuer avant la fin du premier jour.
Là où il y a des hauts buildings et où la sauce tomate est considérée comme un légume ? La Tahitienne sourit en répétant les paroles d'Elwyn, il n'y avait bien que cet homme - dans son cercle de connaissances du moins - pour créer une telle périphrase, tout ça pour désigner (en tout cas très probablement) une ville du genre de New-York. Heureusement pour elle-même, Heïana était bon public, et avait un minimum de culture générale, ce qui l'aidait à suivre les élucubrations totalement dispersées les unes par rapport aux autres de l'homme qui l'accompagnait. J'ai entendu dire que là-bas, les déserts alimentaires sont monnaie courante, et qu'il y a des enfants qui ne savent même pas à quoi ressemble une tomate réellement ! C'est fou, quand même. Elle haussa les épaules lorsqu'Elwyn lui parla d'un village autrichien du nom de Fucking; c'était drôle, mais pas si inattendu. Elle lui passa l'extravagance de l’atterrissage d'un avion dans ce petit hameau, ce n'était qu'un détail dans la masse d'informations qu'il pouvait apporter en une minute et trente secondes. Taquine, elle répondit: Il y a pas mal de noms étranges pour les villes. En France, par exemple, avec Beaufou ou Montcul ! Ses joues rougirent un peu, et elle ricana, amusée; franchement, qui avait idée de créer des noms pareils ?! Lorsqu'Elwyn lui raconta l'histoire de celui de sa tortue d'ailleurs, la sage-femme sourit, attendrie; c'était une jolie histoire qu'il lui racontait là. Très anecdotique, mais au moins tout aussi mignonne. Ta recette devait être vraiment délicieuse, qu'elle ajouta d'un air pensif. Gourmet et gourmande comme elle l'était, la brune ne risquait pas de passer sur un fait comme celui-là. Tu aimes bien cuisiner ? demanda-t-elle, essayant d'en apprendre un peu plus sur lui. Après tout, ils étaient... mari et femme.
Soudainement dubitative à cette pensée - comme 1400 fois par heure depuis le milieu de journée - elle baissa ses yeux sur l'alliance qui se trouvait à son annulaire gauche. Une bague fine, plutôt simple, avec juste quelques petites pierres faisant le tracé du côté supérieur du bijou. Plus les heures passaient, et plus elle constatait à quel point Elwyn, bien qu'il soit gentil et intéressant, était décalé. Réalisait-il ce qu'il venait de passer, du moins autant qu'elle-même ? Voyait-il qu'il n'était pas le seul impliqué dans tout ça, mais qu'ils étaient deux êtres à parts entières, avec leurs propres envies et sentiments ? Que de questions se bousculant d'un seul coup dans la tête de la Tahitienne; trop pour qu'elle ait vraiment envie de les traiter à cet instant. Elle les dédaigna, les rangea dans le fond d'un tiroir de son cerveau, et se réserva la clef pour plus tard. Bon, apparemment, ils ne parviendraient pas à trouver leur vol. Heïana commençait à être trop fatiguée pour vouloir scruter le tableau, et son... mari était totalement ailleurs. Pas grave, ils le découvriraient bien assez tôt. Elle répliqua lorsqu'il parla des cafards: Si le château est un minimum nettoyé, je parie plus sur des araignées. Elles aiment les endroits sains. Un frisson la parcourut, elle ne les aimait pas plus les uns que les autres. Elle s'exclama, mi-incrédule mi-admirative, lorsqu'il parla des quatre mille espèces différentes: Ce qui est fou, c'est que tu en connaisses autant ! C'était dingue cette culture générale qu'il dévoilait tout naturellement, et elle ne le connaissait que depuis quelques heures.
Finalement, ils furent appelés pour l'embarquement, Elwyn imaginant cette fois un voyage vers la Mer Morte, pour voir de ses propres yeux l'absence de poissons. La brune déclara avec une moue désolée: Je préfère les endroits où l'on peut voir plein de poissons nager entre nos pieds ! Une mer sans poissons, ça doit être bien triste. Ils arrivèrent dans le sas d'entrée après avoir passé les différents checkpoints, et furent accueillis dans l'avion par des hôtesses. Un peu désorientée par toute cette journée, Heïana salua distraitement les employées, et se rendit vers les places qu'on leur avait attribués. Je peux me mettre près du hublot ? demanda-t-elle à l'homme. J'adore voir l'extérieur, de là-haut. Elle n'avait gardé avec elle qu'un petit sac à dos, qu'elle n'eut aucun mal à glisser entre ses jambes. Une dizaine de minutes plus tard, le commandant de bord s'adressa à eux à partir des hauts-parleurs. Mesdames et Messieurs, bonsoir ! Ici votre commandant de bord pour ce vol N°3582 en direction de Tahiti... Le reste échappa totalement aux oreilles de la Polynésienne, dont l'attention envers les paroles du pilote s'évapora totalement à la mention de la destination. Un petit cri de joie lui échappa, et elle se tourna vers Elwyn, des étoiles plein les yeux. On va à Tahiti, c'est génial ! Dans son euphorie, elle ne pensa même pas à lui préciser le pourquoi du comment de son contentement, notamment le fait qu'elle était à demi-Polynésienne, et qu'elle avait vécu près de sept ans là-bas. Son visage irradiait de joie, en revanche, et ça c'était plus que perceptible.
Rentrer dans le jeu du Cadburry n'était pas chose courante, certaines essayaient certes mais ils finissaient par jeter l'éponge face à autant de connaissances qui ne semblaient avoir ni queue ni tête. C'était le fonctionnement de son cerveau qui était de travers parce qu'il n'avait jamais appris à trier les informations, qu'on l'avait laissé faire à sa sauce sans prendre conscience qu'il pouvait vite devenir un danger imminent pour la société. Alors, Elwyn traînait dans le coin depuis quarante longues années, à emmerder joyeusement le monde avec tous ses discours qui duraient cent ans parce qu'il n'était même pas capable d'y intégrer une réelle ponctuation. Pourtant, c'était un fanatique du dictionnaire: il adorait passer des heures à chercher les mots les plus longs ou ceux à l'étymologie abracadabrantesque, juste parce qu'il lui fallait de quoi terminer sa journée de bonne humeur. Oui, lui trouvait que c'était une distraction parfaite quand d'autres faisaient du sport ou allaient cueillir des champignons, quoique Elwyn aussi adorait faire cela. Le problème résidait là dedans d'ailleurs: il aimait tout, était curieux de la moindre activité qu'il finissait par en donner mal aux neurones de tout le monde. Le moindre petit fait de société devenait un détail majeur aux yeux de Cadburry et il était capable de transformer le tout en expérience scientifique d'envergure, quitte à risquer la survie de tout son voisinage. Alors, dans un contexte tel que celui-ci, il ne restait qu'à souhaiter bon courage à Heïana pour les six jours à venir, ils allaient être loin de la définition même de vacances ou de repos mérité. "Ni les tomates ni les navets. C'est la fin du monde là bas, en plus, ils ont tout un tas de lois farfelus, je t'en apprendrais quelques unes si ça t'intéresse." Ils étaient censés apprendre à se connaître, offrir un minimum de show pour divertir les téléspectateurs et pas parler de la loi qui autorisait aux orangs-outans de conduire des véhicules dans des contrées étranges. Cela étant, la notion de divertissement était unique dans le cerveau d'Elwyn que lui trouvait cela parfaitement normal de s'y oser en racontant la première histoire qui lui passait par la tête. "Ah oui, Montcuq, j'en ai entendu parler! Cuisiner, genre avec des vrais aliments? Alors, une fois, j'ai essayé de faire un couscous avec de la citrouille mais du coup, je te conseille moyen... Pourquoi?" Il n'allait tout de même pas lui dire qu'il avait fait exploser un micro-ondes avec une poire une fois ou bien qu'il avait fait se déclencher l'alarme incendie de tout l'immeuble à cause d'une expérience incluant des coquilles d'oeufs, c'était peut être un poil prématuré pour ce genre d'informations justement très croustillantes. "Les araignées aussi, c'est fascinant, le nombre d'espèces qu'il y a, c'est merveilleux! C'est National Geographic ça, faut les remercier de faire de sacrées émissions. Tu regardes pas, toi?" Non, il n'y avait que les fanas de pêche à la crevette pour se perdre sur ce genre de chaînes mais Elwyn ne les côtoyait pas encore et puis, il fallait grimper dans l'avion, attacher sa ceinture et écouter le commandant de bord qui leur annonçait la bienvenue et tout le toutim. Cadburry sursauta un peu au moment d'entendre le cri de joie de Heïana, pour sûr qu'ils allaient passer ce moment à l'antenne. Il n'y avait pas d'éléphants à Tahiti alors, comment expliquer une telle réaction? Son physique aurait dû lui fournir un semblant de réponse mais Cadburry était un scientifique avéré, il avait besoin de plus que de quelques indices parsemés ici et là. "C'est parce que t'adores les tortues toi aussi que t'es aussi contente? Juanita aussi, elle est super contente. Enfin, elle va rencontrer des congénères. Et il y a des noix de coco là bas? Des gros requins? Des serpents? Du coup, tant pis pour le chapitre 14, Section 1211 du Code Pénal Américain qui rend illégal pour les citoyens américains d'avoir tout contact avec des extraterrestres, on va faire du surf. Non? Oui? On ne sait pas." L'avion décollait et Elwyn resta de marbre, s'extasiant de chaque petit nuage, aussi curieux qu'un marmot. "Celui là, on dirait un ourson, dis." Le voyage serait inévitablement long avec un coco pareil.
Ah, les navets non plus n'étaient pas connus là-bas. Pas que ce soit une grande perte aux yeux d'Heïana qui, sans être difficile, n'était pas spécialement fan de ce légume. Trop... Pas assez... Elle saurait à peine le définir, mais il lui manquait quelque chose, définitivement. A son goût, en tout cas. En revanche, ce qui concernait les lois farfelues ne pouvait qu'intéresser la jolie Tahitienne, qui était d'une nature curieuse et toujours férue de nouvelles connaissances (quoi que ce soit à un stade bien moins avancé que celui d'Elwyn, apparemment). Ainsi, elle lui sourit avec un enthousiasme certain et lui demanda: Peux-tu m'en raconter une maintenant ? Je trouve le sujet assez intriguant. En échange, je pourrais te donner des exemples de loi française totalement dépassées. Elle ponctua sa réponse d'un silence évocateur, avant de reprendre d'un ton malicieux: Enfin, si tu ne les connais pas déjà. Autant dire que l'émission serait obligée de faire de formidables coupes au montagne, si elle voulait rester dans son format traditionnel avec beaucoup de discours à l'eau de rose ou au contraire plein de doutes, et des discussions assez peu haut-niveau. Oui, Heïana n'avait clairement pas une bonne opinion de l'émission à laquelle elle-même participait. Déjà, de base, elle n'était pas du genre à vraiment regarder la télévision, à part pour découvrir quelques films ou séries. La téléréalité, ce n'était vraiment pas son truc. Au moins sur cela, ils avaient un point commun de plus avec Elwyn. En revanche, pour ne pas tomber dans la marmite sans avoir été vraiment au fait de son contenu, la brune s'était... renseignée. Autrement dit, elle avait demandé à Moana de partager un après-midi ensemble à regarder d'anciens épisodes de "Mariés au Premier Regard". Et, comment dire ? Autant elle ne se permettrait pas de juger les participants, qui vivaient bien comme ils le voulaient, mais... C'était d'un plat ! Pas de réel contenu, quelques langues de vipères et beaucoup de "Je veux lui faire un câlin mais j'ose pas..." . Dear God, keep us safe. Bien sûr, Heïana elle-même ne savait pas trop comment se comporter "physiquement" avec son mari, mais elle essayait de ne pas trop y penser pour ne pas stresser davantage; elle suivrait le courant. Et en attendant, elle trouvait très intéressantes, quoi qu'un peu farfelues, ses discussions avec Elwyn ! En tout cas, entre leur désintérêt envers la téléréalité et leurs conversations, ils semblaient loin d'être le "couple type". Mais après tout, ça pourrait changer, innover justement, non ? De toute façon, Heïana ne changerait pas sa manière d'être pour les caméras. Au pire, ils feraient des cuts.
Il était assez incroyable de voir à quel point l'homme ne savait pas faire de lien avec des choses qui semblaient assez évidentes, et qu'il en créait avec d'autres qui ne semblaient pourtant avoir aucun point convergent de prime abord. Alors, quand il lui demanda pourquoi elle s'interrogeait sur le fait qu'il cuisine, Heïana pouffa de rire. Ca le rendait... mignon. Si décalé, mais vraiment attendrissant. Elle secoua la tête négativement, répliquant: Comme ça. J'aime beaucoup cuisiner. Si tu t'en sens le courage, j'essayerais de faire ma propre version d'un couscous à la citrouilles, et tu m'en feras un feedback. Il était certain qu'avec la demoiselle comme femme, s'ils étaient voués à vivre ensemble un jour (ce qui est le but d'un mariage à la base après tout), Elwyn ne mourrait pas de faim. Sans prendre de poids pour autant - quoique, à deux kilos près... - car la Tahitienne se faisait un point d'honneur à varier son alimentation, et à utiliser beaucoup de produits frais. Autant que possible, en fait. Vous la verrez rarement avec un plat préparé et vendu en barquette dans le commerce entre les mains. J'aime bien National Géographic, mais je regarde peu la télévision; je préfère les chaînes qui parlent d'Histoire, ou encore les chroniques d'ABC. Tu connais celles d'@Alfie Maslow sur l'anthropologie ou d'@Hassan Jaafari sur le Moyen-Orient ? C'est super intéressant !
Finalement, ils montèrent dans l'avion, et Heïana fut à peine surprise que son mari ne fasse pas le lien entre leur lieu de destination et son excitation soudaine. Elle ne le connaissait que depuis quelques heures, mais si elle avait bien remarqué quelque chose chez lui, c'était son sens de la logique bien à lui, échappant au commun des mortels, et le fait qu'il ne créait donc pas de relation cohérente entre d'autres éléments qui le sont pourtant de base. Elle sourit lorsqu'il multiplia les questions, et lui répondit une fois que son petit monologue fut terminé. Je suis heureuse d'y aller car je suis à demi-Tahitienne; j'ai vécu sept ans là-bas ! Tu verras, je pourrais t'y faire découvrir plein de choses. La jeune femme réfléchit un instant, et dit: Je connais un bon endroit pour Juanita; je te montrerais.
Finalement, Elwyn se pencha un peu afin de mieux apercevoir le ciel à travers le hublot, dont la jeune femme était la plus proche. La Tahitienne décida de faire fi de la sensation de chaleur qui venait taquiner ses joues, alors que l'homme s'était rapproché bien plus qu'ils n'avaient été proches jusqu'alors (sauf à la mairie, bien sûr). Elle chercha l'oursin qu'il lui désignait, et le trouva assez vite. C'est vrai ! A son tour, comme une enfant, elle se mit en quête de figures, symboles et dessins dans ces voluptés blanches qui s'offraient à eux. Oh, regarde; ici, on dirait un cheval, dit-elle en désignant quelques tracés. Petit à petit, la terre ferme s'était éloignée, et ils étaient désormais haut dans le ciel.
Parler pour ne rien dire était sûrement la raison pour laquelle on l'avait fait naître, pallier effectivement au manque de mots d'autres individus proches de lui, faire en sorte que le silence ne tue pas ceux qui en avaient peur... En fait, Elwyn était un remède à lui tout seul. Peut être que, dans quelques années, on aurait besoin d'un moulin à paroles pour sauver le monde entier et à ce moment là, Elwyn serait l'homme parfaitement indiqué pour la situation, enfin un rêve qui se réalise, devenir un Avenger nouvelle génération même s'il doutait très clairement de son aptitude à être sexy avec des collants aussi serrés. Oui, les fantasmes d'un homme se portaient à très peu de choses, surtout avec un garçon comme lui qui n'avait jamais eu des envies comme les autres: quand les gamins rêvaient d'avoir le dernier camion de pompier à la mode pour Noël, il commandait le dernier essai de Einstein sur on ne savait quelle notion scientifique. Un véritable petit intello qui pouvait paraître insupportable pour tant de gens mais en réalité, Cadburry n'essayait jamais de se mettre en avant: c'était même plutôt l'inverse puisqu'il allait se perdre dans un bouquin ou devant un documentaire et ne réapparaissait qu'une fois qu'il avait épuisé tous les savoirs à apprendre à travers le médium utilisé. Il n'en parlait pas nécessairement tout de suite une fois qu'il sortait d sa caverne, préférant largement se perdre dans une autre grotte emplie de savoirs. Elwyn était clairement singulier, sur énormément de points et il fallait espérer que Heïana avait le coeur suffisamment accroché pour subsister face à un tel débit de mots qui ne semblait jamais diminuer. "Oh, ça t'intéresse? J'en ai plein mais allez, je vais essayer de pas en dire trop aussi pour garder le mystère. A San Francisco, il est illégal de nettoyer sa voiture avec des sous-vêtements usagés. Il est illégal de pleurer à la barre des témoins du tribunal de Los Angeles. Ah et en Caroline du Nord, i un couple passe la nuit dans un hôtel en prétendant être mariés alors qu'ils ne le sont pas, ils deviennent automatiquement mariés. Toutefois, dans le même état, tous les couples résidant dans un hôtel doivent avoir des chambres avec des lits jumeaux séparés d'au moins soixante centimètres. La loi précise qu'il est interdit de faire l'amour entre les lits. Imagine les délires, à ton tour!" Il aimait bien ce jeu, le quarantenaire, forcément. Dès qu'il était question d'apprendre de nouvelles choses, il était de la partie, se fichant éperdument de sa prétendue réputation ou de la honte qu'il pourrait obtenir en retour si son partenaire de crime n'appréciait pas ce genre d'idioties. Enfin, pour Elwyn, tout sujet était très sérieux alors quand Heïana mentionna ses talents de cuisinière et qu'elle parla de tenter le couscous à la citrouille, ses yeux pétillèrent instantanément. "Vrai de vrai? Après, si c'est trop dur, il y a aussi l'omelette sans oeuf et la paella sans riz mais avec des patates! Avec plaisir pour le feedback, tu voudras des notes et tout? Ou juste un exposé argumenté point par point sur les réussites et autres améliorations à proposer?" Il avait certainement dû faire trop d'études pour proposer une dissertation sur les talents cuisiniers de sa femme. Clairement, Elwyn avait dû manquer d'oxygène depuis le début de la journée et c'était une bonne chose qu'il réussit à se taire deux petites secondes, ne serait-ce que pour reprendre un semblant de souffle après une telle litanie. Il ne voulait pas non plus que la tahitienne en ait marre de lui tout de suite parce qu'il restait tout de même six bons jours à ce séjour et il voulait réellement aller au bout, c'était le but, non? "Oh, tu connais Alfie? Mais, c'est un de mes meilleurs amis! L'autre jour, on est allés faire de la spéléologie lui et moi, il a toujours de brillantes idées, je l'adore. Tu l'as déjà rencontré?" Et surtout, est-ce qu'elle avait tenu le coup? Parce qu'il était sacrément bavard lui aussi quand il le voulait, à croire qu'ils n'étaient pas amis pour rien ces deux là, usant le monde une diatribe à la fois. Au moins, ils étaient enfin dans l'avion et il n'y avait a priori plus aucun moyen de s'échapper puisqu'ils s'étaient attachés, parés au décollage. Elwyn s'extasia bien vite d'apprendre les origines de Heïana, à croire que le monde était bien fait. "Mais c'est génial! Toi, tahitienne? Mais ça y est, Juanita est fan! Et je suis toujours prêt pour la découverte. On ira dans la jungle? Il y a des crocodiles? T'en as déjà vu? Et des requins?" Et à nouveau, mille questions fusaient, Cadburry au meilleur de sa forme. Il finit par se concentrer sur les nuages, se collant sans faire attention à la tahitienne pour voir à travers le hublot, rire comme un môme de trouver quelques formes le temps qu'ils puissent voir les moutons blancs. "Oh et là, un poney! C'est merveilleux, vraiment. Et on voit plus rien... Il dure combien de temps le voyage? Oh et t'as de la famille là bas? D'ailleurs, tu fais quoi dans la vie? Pourquoi t'es pas restée à Tahiti? Attends, j'me bâillonne. " Effectivement, il mit sa propre main sur sa bouche en grommelant, signifiant qu'il se faisait doucement taire, non sans rire de ses bêtises... Dire qu'il avait quarante ans, grand dieu.
La jeune femme écouta religieusement les paroles d'Elwyn, alors qu'i décrivait quelques-unes des lois les plus absurdes des Etats-Unis ! Et en effet, elles étaient à dormir debout ! Ou à dormir séparés, au vu des dernières. Vraiment, quelles drôles d'idées. Plus que leur réelle portée, ce qui intéressa alors Heïana, c'était alors de savoir d'où elles pouvaient bien sortir. Ainsi, quand il termina de raconter chacune de ses diverses anecdotes, elle répliqua, l'air pensif: Le truc c'est que généralement, lorsqu'une loi est créée, c'est parce qu'il y a eu des précédents, pour lesquels il est nécessaire d'avoir un cadre juridique. J'aimerais bien connaître les raisons qui ont poussé un Etat à avoir de telles règles... Je verrais si je peux me documenter ! Après tout, on ne sait jamais; peut-être qu'un obscur site internet donnerait des sources d'époques expliquant par le menu la raison de ces bizarreries de la législation. Cependant, elle n'en aurait pas l'occasion à des kilomètres au-dessus de la terre ferme; et puis, c'était à son tour de contribuer au vaste édifice de la culture générale. En France, il est interdit de se marier avec son oncle ou sa tante, sauf si le Président de la République l'autorise. Alors, pour quels cas est-ce-que ça pourrait être justifié... Elle esquissa un sourire dubitatif, avant de reprendre: L'alcool dans le cadre professionnel est interdit. Sauf pour la bière, le vin et le cidre. La jeune femme leva les yeux au ciel, argumentant: L'alcool, c'est presque une religion, selon les régions de la métropole française. Alors ça ne m'étonne pas trop. Et sinon... Ah, oui ! Les cendriers et les poubelles sont considérés comme des armes létales par la jurisprudence; j'imagine qu'il y a eu des cas avérés, du coup. Heïana pouvait donc se montrer très bavarde elle aussi, à partir du moment où elle avait un minimum d'intérêt pour la conversation; ainsi, son mari avait su susciter son intérêt.
La Tahitienne n'hésita même pas pour répondre à Elwyn lorsqu'ils parlèrent cuisine: Je relèverai tous les défis culinaires que tu me proposeras ! Pour la notation, je pense que combiner les deux systèmes dont tu parles serait parfait: une note globale, et quelques commentaires sur les points positifs ainsi que sur ceux à améliorer. Bon, par contre, vu les ingrédients, il faudra être de retour en Australie pour le faire; il n'y aura pas tout ce qu'il faut à Tahiti. Notamment les citrouilles, entre autres. Sans même s'en rendre compte, Heïana venait de rendre leur couple (c'était bien leur statut, après tout) plus réel, le projetant au-delà de leur "voyage de noces". Il n'y avait plus qu'à espérer que leur relation tiendrait jusque-là, ce qui n'était pas le cas de tous dans cette émission. A peu près 80% des couples créés artificiellement finissaient par divorcer, tôt ou tard; généralement tôt, en fait. Dans les mois qui suivaient. Cette pensée n'effleura même pas la Polynésienne, qui pour l'instant, ne trouvait pas de défaut à Elwyn. Il était bavard, mais elle n'en ressentait aucune gêne. Au moins était-il très sympathique et véritablement cultivé, il y avait de quoi discuter avec lui; mieux valait mille fois une pipelette intello qu'un mur glacial ou qu'un playboy au Q.I. d'une huître. Ce fut une véritable surprise d'apprendre qu'Alfie Maslow était ami avec son mari. Que le monde pouvait être petit ! La jeune femme secoua la tête négativement, répondant: Non, je n'ai pas eu cette chance; je ne le connais que par ses chroniques.
Lorsqu'elle annonça à son mari qu'elle était Tahitienne, ce fut un nouveau tourbillon de questions qui lui tomba dessus. Elle ne manqua pas cependant la note résolument positive des paroles d'Elwynn, qui avait dit que sa tortue était fan; voilà une note tout à fait enthousiasmante. La maïeuticienne répondit avec patience aux interrogations de l'homme: Bien sûr qu'on ira dans la jungle; certains endroits sont vraiment exceptionnels. Je n'ai jamais vu de crocodile, je ne crois pas qu'il y en ait. En revanche, plusieurs espèces de requin sont présentes, et il est possible de plonger pour les observer, avec des plongeurs expérimentés. Il y a aussi plein de variétés de poissons, des baleines, des dauphins, des tortues, des raies ! Il y a peu d'espèces animales terrestres autochtones, à part le gecko, peut-être. Un véritable naturaliste, cet Elwyn. Il serait au paradis à Tahiti, notamment pour les espaces marins. La brune se retint d'éclater de rire lorsque, suite à une nouvelle salve de questions, son mari se bâillonna véritablement la bouche avec ses mains. Il était.. rafraîchissant. Voir le monde avec des yeux si curieux et doucement enfantins était rare, chez les adultes. Heïana, qui s'était sentie assez tendue et fatiguée à l'aéroport, sentait ce coup de mou s'envoler au fur et à mesure des discours et pitreries de son compagnon. Alors, elle lui fit la grâce de lui répondre: On nous a mis dans un vol sans escale - ce qui est très rare au partir de Brisbane - alors on devrait arriver d'ici... moins de trente minute. Sinon, il y en aurait pour plus de onze heures, avec les escales. La plaie. J'ai quelques cousins éloignés, avec qui je m'entends très bien d'ailleurs ! Mais c'est tout. Elle lui sourit avec indulgence; elle ne comptait pas lui parler de sa famille proche et des circonstances de son départ pour Tahiti maintenant. Ça viendrait bien assez vite. Je suis revenue à Brisbane car je reste Australienne de naissance, et surtout, j'ai suivi ma petite soeur qui est venue y faire des études de droit. Puis, elle décida qu'ils allaient jouer: Devine mon métier, et je devrai deviner le tien. D'après toi, que fais-je dans ma vie professionnelle ? Premier indice: c'est un métier où je côtoie tout le temps du monde.
Elle était bien plus bavarde qu'elle ne le laissait suggérer, sa femme, elle en donnait la preuve à l'heure actuelle en rentrant dans les jeux idiots d'Elwyn. Celui-ci n'avait pas vraiment de filtre et passait vraiment beaucoup de temps à exposer la moindre pensée qui lui passait par la tête, sans faire attention au contexte ou fait que son interlocuteur était en train de lui offrir des informations importantes de son côté. La vie avançait toujours à mille à l'heure pour Cadburry et il n'avait pas le temps de réfléchir beaucoup à ce qu'il disait ou la manière dont il agissait: non, il fallait qu'il enchaîne tout à la vitesse du diable, quitte à ce qu'il perde tout le monde dans son sillage. Jusque là, Heïana s'accrochait, buvant apparemment la moindre de ses paroles, s'osant même à en donner de son côté pour participer activement à la discussion en cours. Il était touché, le brun, vraiment et il avait les yeux qui pétillaient en entendant tout ce qu'elle avait à lui apprendre sur les lois françaises, il aurait vraiment dû s'y intéresser un peu plus car les individus là bas avaient l'air d'être particulièrement singuliers. "Figure toi que je vais me documenter aussi en rentrant. On parle pas assez de ces créatures étranges que sont les français. Certes, ils ont Montcuq... Enfin pas le mien mais la ville, enfin tu m'as compris... La baguette, le vin et le fromage mais vraiment, sous ses bérets, qui sont-ils? Si ça se trouve, ce sont des petites souris déguisés en êtres humains et on n'en sait rien, hein." Il aurait probablement dû s'arrêter avant Montcuq ou bien ne pas parler du tout: cela, en règle générale, c'était fort utile pour lui éviter toute une tonne de déconvenues mais Elwyn restait Elwyn et il n'y avait franchement personne qui avait réussi à le faire taire pour en arriver jusqu'ici. Quand il était nerveux, ce fait avait tendance à empirer et les pauvres personnes qui devaient se le coltiner finissaient tous par envisager le meurtre... Sauf Heïana, un ange descendu du ciel. Au moins. "Tu m'en vois ravi. Je note aussi dans un coin tout ça et je vais préparer une liste de recettes de mon cru aussi parce que t'as l'air d'aimer les challenges, non? On fera un top chef mariés au premier regard, ça se fait, tu penses?" Et il en était le jury, autant dire que les convives devaient s'attendre au pire mais lui était clairement excité par l'idée, tellement qu'il gigotait au fond de son siège une petite minute, le temps que Heïana lui assure qu'elle ne connaissait pas Alfie, son cher ami Alfie, dans la vie réelle. Il réparerait l'affront sûrement quand ils seraient de retour en Australie car le monde se portait bien plus mal sans le brun pour égayer tout cela. Elwyn et Alfie, deux terreurs qui n'auraient sûrement jamais dû se rencontrer mais cela, la tahitienne ne l'avait pas encore découvert. Pour le moment, elle était juste heureuse de voir Tahiti bientôt arriver sous ses yeux ébahis et peut être aussi un peu sonnée de toutes les questions qu'Elwyn pouvait avoir à la minute, insatiable de savoirs qu'il était. "Oh, trop bien! Une jungle, des requins, des tortues. T'aimes la plongée, hein? Dis moi oui, je veux voir plein d'animaux marins, c'est mes préférés!" Il la suppliait presque, prêt à se mettre à genoux pour la demander en mariage ici et maintenant si elle acceptait... Ah mince, ils étaient déjà mariés, c'était vrai qu'il avait un alliance autour du doigt, il avait une capacité à oublier vite ce genre de choses. "Trente minutes, le temps d'un documentaire court sur le tigre du Bengale, parfait! T'aimes les tigres?" Lui les trouvait magnifiques mais il aimait tous les animaux, Elwyn, peut être pas autant que les nuages qui disparaissaient de sa vue, tournant totalement son corps vers Heïana en détachant sa ceinture parce qu'elle lui proposait un jeu. Il aimait les jeux. Beaucoup trop. "OK... Vendeuse? Mannequin? Infirmière? Professeure? En fait, il y a trop de métiers où on côtoie les gens... Du coup, t'es pas avocate, ça c'est ta soeur, j'ai noté, t'as vu? Pompière? Attends... Vétérinaire? Là, je t'épouse. Déjà fait, c'est vrai! T'aimes les bébés loutres? Ou les bébés tout courts? Médecin? Je pose trop de questions, je vais me bâillonner deuxième édition." Même pas besoin de sa main, il se mit juste à ressembler à un poisson en gonflant ses joues d'air pour s'empêcher de parler une petite minute. "Tu comprends c'qu'j'dis quand j'parl'com'ça?" Il souffla tout son air, haletant parce que c'était sportif tout de même cette affaire. "Mon indice euhhh... J'aide les gens." Façon de parler puisqu'il guidait au magasin et sauvait les mamies des explosions d'ordinateur programmées. Un vrai Jésus avec des lunettes et un quotient intellectuel élevé.
Heïana esquissa un léger rictus devant tous les préjugés de son mari sur les Français. Il ne s'en était pas rendu compte, mais il se trouvait face à l'une d'entre eux ! Enfin, une demi. Qui était à la base plus de culture Australienne. Qui avait vécu tout de même sept ans à Tahiti, dont la métropole était la France. Sans nier le fait que la culture entre l'archipel du Pacifique n'était clairement pas la même que celle de son Etat de rattachement, quoi que de nombreuses choses importées par les anciens colons aient désormais des racines bien ancrées en Polynésie. L'administratif, par exemple. Bon, pas des meilleurs, mais bien réel quand même. La langue, bien évidemment, et tout ce qui y était rattaché. Le concours Miss France, auquel les insulaires étaient très fidèles, c'était l'événement de l'année que l'élection de la Miss Tahiti, puis de la participation de celle-ci au concours national. En tout cas, Elwyn n'avait pas fait le lien pour l'instant, et cela ne dérangeait pas la métisse; un peu de suspens ne ferait pas grand-mal à leur relation. Il fallait savoir garder un peu de mystère, et quelques surprises dans sa poche. Elle le laissa donc bien imaginer ce qui lui faisait plaisir, et ne répondit qu'en ce qui concernait leurs expériences culinaires à venir. J'aime les défis oui, et encore plus si ça se rapporte à la cuisine ! Un Top Chef serait drôle, mais encore faudrait-il connaître les autres... couples. En effet, à moins d'en avoir parmi ses fréquentations par avance, ce serait un miracle d'en rencontrer; la production de la téléréalité ne les avaient pas mis en contact, ne jugeant probablement pas cela nécessaire. Tu pourras en parler à May, ajouta la brune avec un clin d'oeil complice, n'imaginant que trop bien la tête de la chasseuse de profils pour les émissions si Elwyn arrivait devant elle, la bouche en coeur, pour lui faire une telle proposition.
Bien sûr que j'aime la plongée, répliqua Heïana d'un ton sans appel; cela semblait presque aussi naturel pour un Polynésien de nager, de plonger ou de faire de la pyrogue que de marcher. Alors le nombre de fois où elle était allée retrouver les espèces sous-marines pour mieux les observer et les admirer ne se comptaient même plus sur les doigts de ses mains et de celles d'Elwyn réunies. Tu verras, c'est vraiment un magnifique aperçu du paradis, commenta la brune d'un ton rêveur. Elle adorait l'Australie, bien sûr, mais une partie de son coeur (la moitié, au moins) resterait résolument Tahitien pour toujours. Lorsque son mari lui demanda si elle aimait les tigres, elle hocha simplement la tête positivement; elle n'avait rien contre la plupart des animaux, après tout. Et puis, les tigres, ils avaient quand même une sacrée classe et une aura de puissance assez phénoménale. Heïana les trouvait d'ailleurs plus beaux et majestueux que les lions, mais ce n'était qu'un point de vue très subjectif. D'ailleurs, vu qu'ils devaient apprendre à se connaître, elle n'hésita pas à lui poser l'alternative: Tu préfères les tigres ou les lions ?
Le jeu "dis-moi ton métier et je te dirai qui tu es" débuta juste après, et la brune ne put s'empêcher de rire devant la myriade de propositions d'Elwyn. Il était si proche du but, mais sans jamais donner le bon terme, la bonne vocation ! Avec, bien évidemment, une question sur les bébés loutres, car qui aurait pu les oublier dans une telle discussion ? La jeune femme mit fin au suspense lorsque son compagnon lui annonça qu'il allait se taire, pour la seconde fois. A croire que ça devait être assez rare, assez pour compter les intervalles auxquels ça lui arrivait. Aucune de tes propositions n'était juste, mais plusieurs se rapprochaient. Je suis maïeuticienne, déclara-t-elle finalement, sans avoir le moindre doute qu'il saurait que c'était un synonyme ancien au mot plus usuel aujourd'hui de "sage-femme", au vu de sa culture générale de dingue. Elle opina du chef lorsqu'il lui demanda si elle le comprenait malgré ses joues gonflées, et ne put s'empêcher d'être attendrie devant la vision de cet homme à l'âme d'enfant. Elle s'exclama devant son indice: Mais c'est plus que large ! Elle réfléchit une seconde, et commença elle aussi à essayer de deviner la profession de son partenaire. Hmm.. Tu peux aider des gens dans plein de métiers, notamment tout ce qui a rapport à la santé. Je ne te vois pas trop là-dedans, pourtant. Par contre, tu as beaucoup de connaissances, et tu es très avenant. Soit tu pioches ton savoir dans de très nombreux livres - et je t'admire de lire autant si c'est le cas, j'aime cela aussi mais peut-être pas à ce point - ou alors sur Internet. Du coup, je dirai un métier dans le commerce ou le service, vu que tu aides les gens. Du style bibliothécaire, ou alors vendeur dans une boutique spécialisée ?
La jeune femme jeta un coup d'oeil à travers le hublot: le ciel qui était encore azur avec quelques volutes roses et violettes, typiques d'un début de crépuscule, il y a une vingtaine de minutes, avait désormais tourné au bleu nuit. Ah ! J'en avais presque oublié le décalage horaire. Il est de quatre heures entre Brisbane et Tahiti. Elle jeta un coup d'oeil à son portable, qui indiquait vingt-heures trente. Il serait donc près d'une heure du matin lorsqu'ils débarqueraient à Papeete. Elle regarda à nouveau Elwyn, voulant profiter du fait que, dans l'avion, ils n'étaient pas sous le feu des projecteurs ni sous la pression des caméras pour aborder des choses plus intimes avec lui. D'un ton timide, un peu hésitant, elle demanda: Ce mariage... Ça représente quoi, pour toi ? Mieux valait qu'ils soient honnêtes l'un envers l'autre dès le début, afin de s'éviter des déconvenues, ou de trop espérer en vain. La jeune femme avait encore en mémoire ce premier baiser, doux et intense à la fois, qu'Elwyn avait déposé sur ces lèvres une fois leur union scellée. Elle en était encore assez retournée, comme une adolescente devant un prince charmant. Son côté adulte, cependant, restait présent pour rationaliser un peu son côté fleur bleue, ce qui valait peut-être mieux, elle n'en savait rien.
Il était peut être tombé sur la meilleure prétendante de tout le jeu, comme quoi May l'avait apprécié le jour de leur rencontre. Bon, elle s'était sûrement mise à rire en le voyant galérer dans son costume de requin marteau et elle l'avait pris en pitié, ce qui n'était pas vraiment un fait qui dérangeait Elwyn. Il avait l'habitude qu'on se moque de lui avec ses idées saugrenues et ses discours qui duraient vingt plombes. Néanmoins, Heïana tenait fermement le cap, lui proposant même de nouvelles idées à mettre en oeuvre dès qu'ils auraient fini leur petite balade au delà de l'océan. Cadburry eut un sourire élargi grâce à cette histoire de cuisine avec le reste des candidats de Mariés au premier regard: pour sûr qu'il était en mesure de lancer un programme divertissant qui plairait à May. "T'es la meilleure, on te l'a déjà dit j'espère!" Il sortit le petit carnet de la poche de son pantalon car Elwyn en avait bien sûr toujours un sur lui pour n'oublier aucune pensée d'importance lors des journées où son cerveau était particulièrement prolifique. Certaines personnes avaient un journal intime, Cadburry, lui, tenait un carnet avec tous les savoirs plus inutiles du monde mais qu'il trouvait absolument essentiels pour embellir ce monde. Il avait les yeux qui brillaient constamment, c'en était presque gênant d'être aussi excité par si peu de choses mais on parlait tout de même d'aller à Tahiti, d'apercevoir des tortues et des baleines en plongeant au fond de l'océan, autant dire que c'était un rêve éveillé pour lui et Heïana était plus que partante, un bonus parfait. Ils allaient vraiment passer un excellent moment, surtout si les dilemmes de la jeune femme étaient aussi aisés à résoudre. "Les tigres, toujours les tigres. T'as vu la singularité de leur pelage? La taille de leur mâchoire? Y a rien qu'on peut plus respecter qu'un tigre, t'es pas d'accord?" Est-ce qu'il allait vraiment chercher un débat sur un sujet aussi peu intéressant? Toujours parce qu'il était Elwyn Cadburry et qu'on ne l'arrêtait jamais lorsqu'il s'agissait de parler jusqu'à épuisement et il avait bien trop d'énergie à revendre à l'heure actuelle par dessus le marché. Alors, il buvait les paroles de Heïana, absolument admiratif d'apprendre qu'elle mettait au monde des enfants. Evidemment qu'elle était une reine sur cette terre. "Tu crées les bébés quoi, t'es une super héroïne! T'es la Wonder Woman des accouchements, bon dieu, c'est le rêve. T'en penses quoi d'elle, d'ailleurs? Non, parce que si c'est ton nouveau rôle, il faut que tu l'apprécies un minimum." Il était comme un môme en imaginant Heïana dans le feu de l'action, à sauver de nombreux couples face au désespoir de ce moment intense. Elwyn n'aurait jamais pensé rencontrer quelqu'un comme elle mais il avait mille questions sur le sujet, tant mieux donc. "Et ça se passe comment un accouchement? C'est dur? T'as peur? T'utilises quel outil le plus souvent? Histoire d'alimenter mes statistiques..." Il ne devrait sûrement pas tenir autant de tableaux graphiques sur des sujets obscurs mais à son âge, on n'allait tout de même plus changer le grand brun à lunettes. Le jeu continua ensuite alors que Heïana trouvait plus ou moins du premier coup sa branche professionnelle, il ne put qu'applaudir face à une telle performance. "Non mais t'es la Wonder Woman des devinettes aussi? C'est fort ça! Je tiens une bouteille geek et je suis aussi informaticien à mes heures perdues donc je te donne le point, hein." Il était aussi scientifique paumé et papa d'une tortue mais cela faisait un poil trop d'informations pour le moment. Il se contenta donc d'un sourire en observant à son tour la noirceur du ciel. Il aimait la nuit, Elwyn, alors c'état un aubaine d'arrive à Tahiti à ce genre d'horaires, s'asseyant plus confortablement dans son siège alors qu'une bombe atterrit dans la conversation. Son avis sur le mariage? Olala, il allait suer sang et eau face à ce genre de questions qui pouvaient faire exploser toute l'Australie. "C'est une expérience sociologique merveilleuse, tu trouves pas? Non, puis je me suis dit... Si encore sept pour cent des américains croient qu'Elvis est encore vivant, pourquoi ne pas tenter l'expérience de l'amour? Non, mais quand t'y penses, c'est vrai, j'ai quarante ans, il fallait forcément que je me demande si une femme était en mesure de me supporter ou si j'étais un cas trop désespéré. Toi, tu t'es inscrite comment?" Cette expérience lui plaisait bien au final, Birdie avait eu tort comme toujours mais il était tout de même nerveux, Elwyn, de savoir. "T'es pas obligée de répondre si c'est indiscret mais je veux dire... t'es Wonder Woman, t'es quand même super jolie et t'as l'air de tout savoir sur les lois françaises et sur la géographie du pays en règle générale, on cherche encore tes défauts et tu te maries avec un inconnu, ça interpelle mon cerveau de scientifique. Montre moi un arbre de probabilités pour me calmer parce que là, je vais parler jusqu'à ce que j'ai plus de souffle, attention..." Ouf, il en arriva à bout et il avait parlé vite, Cadburry. Habituel. Oui, franchement, quelle angoisse de lui balancer tout cela sans réfléchir.
La meilleure. Les voilà, tous les deux dans un avion en direction de leur voyage de noce, alors qu'ils étaient encore de parfaits inconnus, ou peu s'en faut, l'un à l'autre. Et déjà, Elwyn la complimentait, et pas de la moindre des flatteries. Il avait utilisé un des superlatifs qui était sûrement des plus agréables à entendre, lorsqu'il est dit avec sincérité. Ses joues se pigmentèrent un peu sous l'appréciation de ce commentaire, et un large sourire étira ses lèvres charnues. Tu n'es pas mal non plus, répliqua-t-elle d'un air malicieux. Petite lilote comme réponse, dont le principe était d'en dire moins pour en suggérer plus, une autre manière de souligner le côté agréable d'Elwyn. Si ses bavardages quasi-ininterrompus auraient pu en agacer plus d'une, ce n'était pas le cas de la brune, qui préférait largement avoir de belles discussions sur n'importe quel sujet, même en ayant du mal à suivre, que de se trouver face à un mur. Au moins, on ne risquait pas de s'ennuyer, et il y avait même un bonus spécial culture ! De plus, l'homme à ses côtés était très sympathique et possédait un certain charisme. Personne ne pouvait savoir de quoi l'avenir serait fait, mais pour l'instant, les jours à venir se profilaient sous de bons augures. Elle sourit lorsque son compagnon lui dit que les tigres étaient définitivement ses préférés, argumentant sur la taille de leur mâchoire. En effet, je ne vois pas ce qu'il pourrait y avoir d'autre. Elle sourit et ajouta: J'ai appris qu'il existait des croisement lions-tigres, appelés ligres ou ligrons. Ils sont énormes, très imposants, mais stériles, et ont souvent des problèmes de santé. Leur discussion pouvait sembler anodine au possible, et même clairement inintéressante pour les spectateurs de télé-réalité; mais les relations humaines se basent sur des interactions les plus simples, au final.
Lorsqu'Elwyn s'extasia sur son métier, la métisse pouffa de rire. On aurait presque dit la nièce d'Evelyn Pearson qui l'imaginait en Moana, princesse Disney de Tahiti, mais en version adulte et plus... geek ! Au moins, son mari avait de l'imagination à revendre. Elle se pencha vers lui, d'un air de complot. J'ai une confession à te faire. La jeune femme vint près de son oreille, et chuchota: ... Je n'ai jamais vu le film Wonder Woman. Ni lu les comics. Elle avait bien conscience de leur existence, mais étant peu portée sur la télévision, et n'ayant pas vraiment eu le temps ces dernières années de binge-watcher, elle ne s'était pas trop intéressée à la pop culture actuelle; ou du moins, pas dans son entièreté. Elle était allée au cinéma voir Avengers avec sa petite soeur qui l'y avait traîné, et avait apprécié partager des soirées films avec elle sur cette même veine par la suite, mais certains films manquaient au peloton. Malgré tout, elle voyait bien le style d'héroïne qu'était Wonder Woman, et elle conclut donc : De ce que j'en sais, elle est vraiment badass, et se bat pour la justice, les faibles, c'est ça ? Alors, pour le peu que je connais, je la trouve vraiment cool. Heïana rit lorsque son mari lui demanda des détails sur son métier; apparemment, il tenait des tableaux statistiques. Elle dit alors: Je pourrais t'en parler pendant des heures; mais je ne pense pas que l'avion soit l'endroit idéal pour t'en faire un exposé complet. Pour faire simple, oui, ça peut être dur parfois. Mais c'est le plus souvent merveilleux. Il m'arrive d'avoir peur, pour des accouchements compliqués, des grossesses à risque; mais je ne dois pas le laisser transparaître. Elle jeta un coup d'oeil au hublot, et crut apercevoir l'archipel Polynésien, encore assez éloigné mais se rapprochant de minute en minute, visible grâce aux lueurs des éclairages publics. Oh ! On ne devrait pas tarder à arriver. Si tu veux, je te décrirai plus précisément mon métier pendant la semaine; tu n'auras qu'à me poser toutes tes questions... Mais une à une ! dit-elle d'un air de défi, se doutant que cela constituerait un challenge, ou presque, pour le réceptacle toujours ouvert à la connaissance qu'était l'homme à ses côtés.
Son impression avait été la bonne, finalement; Elwyn tenait une boutique geek, et était aussi informaticien. La jeune femme sourit, victorieuse, puis demanda avec intérêt: Du coup, tu vends quoi ? Des jeux sur toutes plateformes, ou plutôt rétro ? Des goodies ? Elle n'avait pas une connaissance illimitée sur le monde des jeux vidéos et des univers s'y rattachant, mais à ses quelques heures perdues, il lui arrivait de s'asseoir devant une console ou devant un ordinateur et d'y passer du bon temps. Ils abordèrent ensuite le sujet de leur vision du mariage, ou du moins de celui qu'ils venaient de contracter, dans des conditions si particulières. Elwyn répondit quasiment d'une traite, prenant à peine le temps de respirer. Ainsi, il eut le temps de donner sa vision des choses, comme de demander celle de la brune auprès de lui tout en l'encensant. Elle sourit lorsqu'il lui parla d'un arbre de probabilités, et chercha quelques secondes pour lui répondre. La brune décida d'abord de partir sur des éléments qui feraient pencher sa balance de "Wonder Woman" (même si elle appréciait ce titre à sa juste valeur) en faveur de celle de "femme normale". Eh bien, que dire... Je suis trop gourmande, et hors de mon cadre professionnel, je suis très maladroite. Je suis allergique aux fruits de mer, ce qui est un comble pour une Tahitienne. Je suis totalement tête en l'air, j'oublie toujours un de ces petits détails quotidiens pourtant si importants: mes clefs, un papier... Ce qui m'amène - et mes proches avec, parfois - dans des situations vraiment ubuesques. Pour le reste, il faudrait demander à Moana, ma petite soeur; je suis sûre qu'elle me trouverait plein d'autres défauts. Elle sourit et continua sur sa lancée: Par rapport à l'émission, c'est elle qui m'y a inscrite, sûrement pour me tester et m'embêter. Mais j'ai décidé d'y aller, déjà pour répondre à sa provocation, mais aussi parce que... eh bien... Elle hésita un peu, confuse. Je pense que j'ai eu un peu un coup de tête. En mode "et pourquoi pas ?". J'étais curieuse de savoir ce qu'était une relation sérieuse avec quelqu'un, enfin, si nous deux ça... Heïana se tût, toujours plus troublée, ne sachant pas vraiment comment exprimer qu'elle espérait au fond d'elle que leur relation dépasserait la semaine télévisée, mais qu'elle ne voulait forcer Elwyn à rien non plus.
Elle n'allait pas lui laisser le luxe de faire tout un tas de compliments: Elwyn ne les maîtrisait pas certes, c'était toujours difficile lorsqu'il était question de contrôler les mots qui s'échappaient de sa bouche mais en règle générale, ils n'étaient qu'à l'image de ses pensées. Heïana était intéressante, elle était singulière et avait apparemment énormément de choses à lui apporter: déjà, elle paraissait bien plus calme que lui qui avançait toujours à deux cent à l'heure sans regarder s'il fonçait droit dans le mur ou s'il prenait le bon virage, elle était en mesure de parler sans qu'elle n'use tout le monde et par dessus le marché, elle était beaucoup plus timide et mesurée. Pour Cadburry, ce n'était que des qualités qu'il pouvait envier parce qu'il n'avait jamais su être posé, mature et intéressant pour tous les gens qui tentaient d'avoir une conversation durable avec lui. Avec Heïana, tout cela semblait plus simple car elle ne se laissait pas déstabiliser par son flot de paroles parfois insensées, parfois parfaitement réfléchies mais qui n'étaient pas cohérentes avec la discussion en cours... Non, la tahitienne se laissait tout simplement porter par les flots de tous les mots échangés, sans se poser une ribambelle de questions sur ce qui pouvait bien se passer à l'intérieur de la boîte crânienne du quarantenaire. Ce qui était certain, c'était qu'il y avait une bonne tonne de toiles d'araignées là haut, qui créaient moult déviations, autant dire que ce n'était pas simple pour le geek d'aller au bout des choses. Il tâcherait de faire des efforts car sa nouvelle femme en valait la peine, elle qui s'accrochait pour lui parler d'animaux hybrides, la tasse de thé du Cadburry. "J'ai vu un reportage sur cette espèce, c'est juste fascinant, même si effectivement, ils vivent pas très longtemps. Ce sont quand même des pièces uniques dans la nature alors moi, j'trouve que c'est majestueux et qu'ils ont leur place." Tous les êtres un peu étranges l'avaient avec Elwyn car il aimait la singularité, ceux qui osaient dire non et qui ne suivaient pas des chemins réglés par une société qui détruisait la faute et la flore qu'il aimait tant. Cela dit, le brun resta bouche bée face à la révélation de Heïana, elle n'avait jamais vu Wonder Woman et apparemment ne maîtrisait pas le moins du monde le sujet, il lui fallut deux secondes pour refermer la mâchoire, question de principe. "OK, quand on rentre, on regarde ce DVD, il faut que tu sois calée et je te prêterai les comics aussi, si tu veux. Il faut que tu saches à qui tu es comparée, dans les détails." Pas sûr qu'on trouve un lien logique entre une sage-femme et une amazone mais tout pouvait être trouvable avec Elwyn, il ne se mettait jamais la moindre frontière et surtout pas dans sa curiosité. Pour preuve, il l'interrogeait sur les accouchements, les bébés et tout ce qui faisait de son métier une passion. Evidemment, elle s'amusa un peu de lui en l'implorant de se calmer sur le flot de questions à l'avenir ce qui fit naître un sourire contrit sur les traits d'Elwyn. "Et il y en a qui filment? Une seule question, t'as vu? Enfin, non, du coup là, c'est devenu deux, merde." Il avait l'air idiot -pour changer- mais s'il arrivait à faire sourire Heïana, c'était déjà cela de pris étant donné que leur destination arrivait sous leurs yeux, Elwyn se retrouvant dans un état d'impatience qui le rendait encore plus hyperactif que d'habitude sur son siège. "Des goodies principalement et quelques babioles aussi. Rien qui sauve le monde comme toi!" Il n'avait pas de quoi être fier non alors qu'il lançait tout un flot de compliments à nouveau à sa partenaire, elle qui se défendit bien vite en rétablissant la vérité. "Je note qu'on va éviter les crevettes. Et je garde les clés... Même si j'suis pas franchement mieux à ce sujet, va t-on revenir en vie de ce voyage?" Il riait et cela illuminait son visage, au moins un petite dizaine de secondes avant qu'ils ne retournent sur un terrain plus sérieux en parlant de leur vision respective de ce mariage. "Heureusement que ma soeur m'a pas inscrite à quelque chose, elle aurait choisi le truc où ils sont tout nus dans la jungle là et il faut survivre, du moins c'est ce qu'ell a dit. Oui, c'est la fille qui parlait de Dragibus en plein milieu de la cérémonie." Toujours à se faire remarquer un Cadburry, des vraies plaies. "T'as jamais eu de vraies relations? Enfin, j'suis pas obligé de t'interroger sur ton passé non plus, je peux aussi me taire et penser au fait que en 1972, une hotesse de l'air du nom de Vesna Vulovic a survécu a une chute de 10160 mètres parce que... ATTERRISSAGE!" Il s'était vite rattaché alors que l'avion descendait inexorablement. Cinq minutes plus tard, ils étaient à terre, nuit noire dehors à se détacher alors qu'Elwyn faisait preuve de galanterie pour laisser Heïana toucher sa terre natale en premier.
Heïana fit la moue devant l'opinion de son mari sur les ligres. Je ne sais pas trop... Ils sont le pur produit d'expériences humaines, et au final, ils passent souvent leur vie avec de multiples pathologies. A mon sens, ils ne devraient pas exister, car c'est en leur défaveur. Elle soupira, se disant que l'Homme, dans sa Toute-Puissance imaginée, pouvait vraiment faire n'importe quoi parfois. Elle ajouta, pour étayer son argumentation: Ce sont comme les multiples espèces de chiens-loups. Les hommes les ont créées pour leur beauté, mais ils sont souvent inadaptés à la vie en tant qu'animal de compagnie, et ils sont les premier à en pâtir. Abandons, maltraitance, problèmes de santé mentale dû au stress... Non vraiment, l'être humain ferait mieux de s'abstenir d'être trop curieux parfois. Le sujet suivant fut bien plus léger, en l'honneur de Wonder Woman. Heïana pouffa de rire devant l'enthousiasme du quarantenaire, et répliqua: Je me prêterai de bonne grâce au visionnage de film. Pour les Comics, je suis plus que partante, j'adore lire. Qui sait, peut-être que ça l'éclairerait un peu plus sur le lien entre sa profession et l'héroïne amazone ? La brune était curieuse d'en découvrir plus là-dessus, car ça lui paraissait assez ténu comme comparaison. D'ailleurs, un point plus que d'autres souleva la curiosité d'Elwyn, et la sage-femme ne releva pas la question de trop. Elle répondit avec un simple sourire, quelques souvenirs en particulier revenant en tête: Cela arrive, oui. Pour ceux qui veulent garder un souvenir cependant, nous leur conseillons de poser la caméra dans un coin et de la laisser tourner. Vivre le moment est bien plus important que de l'enregistrer, en tout cas c'est ce que je crois.
Heïana haussa un sourcil lorsque l'homme à ses côtés annonça que son métier ne valait pas grand-chose comparé au sien. Certes, les enjeux n'étaient clairement pas les mêmes et n'avaient pas la même importance, mais la brune n'aimait pas voir son entourage s'auto-dénigrer. Pourtant, elle ne commenta pas, ne voulant pas froisser Elwyn alors qu'il venait de lui faire un énième compliment. Elle se contenta de dire d'un air taquin: Je suis sûre que tu es un super vendeur. Vu son bagout, ça ne faisait même aucun doute. D'ailleurs, il prit bien note de l'allergie d'Heïana, et promit de veiller sur les clefs, enfin autant que sa propre étourderie le lui permettrai. Les deux mariés rirent de bon coeur, bien évidemment qu'ils reviendraient. D'autant plus que la métisse connaissait les lieux comme sa poche, ou peu s'en faut. Quelques minutes plus tard, la Polynésienne bénit véritablement le moulin à paroles qui servait de bouche à Elwyn; alors qu'il venait lui-même de s'intéresser aux potentielles anciennes relations de sa femme, il continua tant à parler qu'elle ne put lui répondre. Puis, le moment de l’atterrissage arriva, et au final, ils ne revinrent pas sur ce sujet, ce qui arrangeait bien la demoiselle. Non pas qu'elle ait honte de quoi que ce soit, mais elle se sentait encore un peu trop intimidée et pas assez proche de son mari - quelle ironie - pour qu'ils discutent de leurs "exs". Ce qui aurait été assez rapide pour la jeune femme au final, qui n'en avait pas.
La jeune femme remercia d'un regard Elwyn lorsqu'il la laissa passer devant lui, et elle posa avec un immense plaisir le pied sur le sol de l'aéroport de Tahiti Nui. Elle en profita pour donner quelques explications à son mari: Nous voici arrivés à Tahiti ! Ce n'est qu'une île de la très vaste Polynésie, les gens confondent souvent les deux. A Tahiti par exemple, la plupart des plages sont de sable noir, et non blanc; il faut aller à Bora-Bora pour ça. D'ailleurs, selon les autres îles que l'on souhaite visiter, on peut avoir jusqu'à quatre heures de vol ! Ils se dirigèrent vers leurs valises, qui arrivaient sur les pistes roulantes dédiées au dépôt des bagages, et les trouvèrent assez rapidement. Ils se dirigèrent alors vers la sortie de l'aéroport, et furent accueillis par un comité de l'émission, accompagnés d'une guide locale qui avança vers les tourtereaux pour leur passer un large collier de fleurs en guise de bienvenue. Connaissant bien cette tradition, la brune inclina légèrement la nuque en avant. On leur expliqua que, pour cette première nuit, ils dormiraient sur les hauteurs de Papeete, la capitale, et que le lendemain, ils partiraient justement à Bora-Bora, dans l'un des hôtels de luxe de l'île, une petite maison sur pilotis. Le trajet en voiture jusqu'à la petite maison louée pour ce soir-là fut dans un calme presque total, car Elwyn avait retrouvé sa tortue et s'en occupait avec adoration, ce qui fit sourire la Tahitienne. Une illumination la traversa, et Heïana dit alors avec entrain : Tu sais qu'à Tahiti, nous avons une chanson sur les tortues ? Honu Iti E. Je te la ferai écouter.
Elwyn à Tahiti, on avait de quoi s'inquiéter pour chaque parcelle de terre qu'il arpenterait parce qu'il parlerait à outrance, sans aucun doute, qu'il prendrait le plus clair de son temps à pavaner en observant le moindre animal qui passait. Autant dire qu'aucune tortue ne pourrait continuer à vivre sa vie parfaitement paisible à l'intérieur de sa carapace car Cadburry toquerait à la porte pour demander son chemin, pour sûr. Il n'avait jamais été un grand adepte du silence de manière générale et se retrouver au beau milieu d'espèces exotiques était sûrement la chance de sa vie d'être le plus proche possible de sa chaîne animalière préférée, National Geographic. Cette chère Heïana manquait cruellement de chance car c'était elle qui devrait le supporter en première ligne dans les jours à venir et un Elwyn surexcité de tout découvrir était un Elwyn particulièrement insupportable pour les gens qui n'appréciaient pas vraiment les personnes volubiles. Cela dit, de temps en temps, il arrivait à se taire pour écouter son épouse, qui lui donnait d'ailleurs son point d& vue sur les espèces hybrides et pour une fois, peut être une première par ailleurs, il choisit de ne pas surenchérir. Peut être que c'était dû à la vitesse dont l'avion avançait dans le ciel pour se diriger vers la Terre, tout cela le rendait encore plus impatient et l'atterrissage arriva si vite qu'il n'eut même pas le temps d'entendre la réponse de la sage femme concernant sa vie amoureuse. Le quarantenaire aurait sûrement l'occasion d'en apprendre plus ultérieurement, entre deux lectures ou visionnages de Wonder Woman, tout était faisable. Pour l'heure, les jeunes mariés sortirent de la coque en compagnie d'un sacré comité d'accueil, majoritairement l'équipe de l'émission qu'Elwyn avait bien failli oublier dans l'affaire, grossière erreur de sa part, sans aucun doute. "On va aller sur une plage de sable noir, hein, hein, hein? Et y a des requins quand même? On les voit pas avec le sable noir, c'est ça? Faut inventer des radars pour qu'on se fasse pas attraper à la place d'une tortue... T'inquiète pas Juanita, je te sacrifie pas, non." Effectivement, ils furent bientôt en route pour la maison qui les accueillerait lors de la semaine à venir, Elwyn comblant de papouilles son animal de compagnie, comme si c'était parfaitement normal de l'amener jusqu'à Tahiti quand une personne de confiance aurait sagement pu la garder à la maison, en Australie. "Il y a carrément une chanson? T'entends ça, Juani, c'est ton pays ici! On va p'tet déménager là, tiens! Tu crois qu'une boutique geek, ça intéresse les tahitiens?" Les chemises à fleurs, en tout cas, c'était le dada de Cadburry, un peu moins les cahots sur tout le chemin jusqu'à leur demeure qu'ils atteignirent quelques temps plus tard. L'homme s'échappa bien vite du véhicule pour observer le grand luxe face à eux. "Y a une piscine? Un jacuzzi? C'est sûr, je sens à l'odeur qu'y a tout ça. Olala, manque plus que le château gonflable et hop, c'est idéal. T'en penses quoi, toi?" C'était vrai qu'il n'avait pas demandé les goûts en termes d'aménagement intérieur de la jeune femme, ils étaient certainement bien meilleurs que les siens mais là encore, ce n'était pas bien difficile vu le bordel ambiant qu'était Elwyn Cadburry.
La jeune femme sourit devant la nouvelle phase de surexcitation d'Elwyn à la mention des plages de sable noir, et tout ce qui pouvait bien aller avec. Elle lui répondit avec indulgence: On découvrira tout ce que tu veux; enfin, dans le temps qui nous sera imparti. Au vu de la passion pour la Connaissance avec un grand "C" d'Elwyn, nul doute qu'il leur faudrait au moins trois mois pour assouvir sa soif curieuse envers Tahiti uniquement, sans parler du reste des îles de la Polynésie française... Et elles étaient nombreuses ! Heïana observa distraitement son mari parler à sa tortue, et mentionna alors la chanson "Honu Iti E", qui deviendrait sans aucun doute l'hymne de Juanita d'ici moins de.. deux secondes, apparemment. Le quarantenaire n'avait même pas encore entendu la mélodie que déjà, il s'enthousiasmait. Il avait vraiment une capacité incroyable à s'émerveiller de tout et de rien; c'était beau à voir, chez un adulte, se dit la brune. Peut-être que ça risquait d'être fatiguant, mais au moins, la monotonie ne devait pas exister avec lui. Elle esquissa un sourire un peu... triste lorsqu'Elwyn parla d'une boutique geek, et elle avoua d'un air assez mitigé: Cela les intéresserait sûrement, mais... Plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, ici. Pas besoin d'en dire plus.
Les pensées d'Heïana voguèrent vers le souvenir de sa mère, Poehina, dont le carriérisme s'était toujours expliqué par les origines sociales, que cette-dernière avait toujours essayé de faire disparaître. Sa famille avait été si pauvre que, lorsqu'ils étaient enfants, Poehina et ses frères n'avaient connu comme cadeaux de Noël que des trouvailles de décharges et invendus de magasin jetés dans des containers, récupérés juste avant leur démolition. Autant dire que son acharnement dans les études avait payé, et qu'elle n'avait pas poussé son aînée vers des voies prestigieuses pour rien. Heïana était consciente de la chance qui était la sienne, d'avoir eu des parents d'un niveau socialement haut comme les siens; ceci se rappelait à son bon souvenir d'autant plus quand elle revenait en Polynésie, où elle et sa soeur possédaient plusieurs maisons et appartements, héritage parental si incroyable aux yeux d'une bonne partie de la population locale.
Elle fut finalement tirée des méandres de son esprit par leur arrivée à leur maison d'une nuit, et par la question d'Elwyn. Par rapport à quoi ? demanda-t-elle, ne sachant s'il parlait du potentiel jaccuzi ou du château gonflable. Ils avancèrent dans la demeure, qui était splendide. Grande, assez harmonieuse, dans un style moderne mais terne comme c'était souvent le cas. De nombreux objets déco' étaient présents, ainsi que plusieurs plantes vertes, quelques couleurs flashy sur les meubles ajoutant la touche finale à cette jolie combinaison. La pépite du lieu était sans conteste son extérieur: une superbe terrasse avec grande piscine, jaccuzi et vue sur le lagon. Superbe et vraiment agréable. La Polynésienne posa ses bagages près du canapé, et se tourna vers Elwyn: Tu es fatigué, ou bien tu veux profiter de la maison ? Autour d'eux, les caméramans, aussi discrets que possibles, tentaient de capter les meilleures images, et espéraient voir un rapprochement, sans nul doute. L'audimat, l'audimat ! Soudainement, le ventre de la jeune femme gargouilla, lui faisant prendre une teinte rouge tomate, drôle de mélange avec sa peau caramel. Leurs regards s'entrecroisèrent. Une seconde de silence. Les deux jeunes mariés éclatèrent de rire, retrouvant leur souffle après quelques instants Bon, ma destinée semble tracée : direction le frigo ! déclara Heïana d'un air conquérant. Pourvu que la production ait prévu de quoi !