On part dans une heure trente et en vrai je sais pas du tout ce qui m'a pris d'avoir envie de réorganiser toutes les bouteilles de toutes les sections, de les classer par couleurs et après de les classer par étiquettes et après de les classer par ordre alphabétique et après de les classer par l'ordre de celles qui sont là juste là à traîner et qui me font plus chier les unes que les autres parce qu'il y a aucun ordre qui colle et rien qui colle et pourquoi j'ai dit oui sérieux ça sert à rien c'est con c'est un putain de plan de merde et oh, la sonnette tinte.

On part dans une heure trente et pourquoi il est là si on se rejoint là-bas?

Il a pas de batte de baseball dans les mains, j'ai aucune brique à portée. En soit c'est la première fois où on est dans un périmètre aussi serré - relax dude, c'est 4 mètres qui vous séparent là, t'as pas encore gagné le prix Nobel de la paix avec lui ex-aequo sur le podium - et qu'on s'est pas encore entretué ou menacé de le faire et pour ça, juste pour ça, y'a mention qui mérite d'être faite.

Et je le regarde approcher parce qu'apparemment il est pas venu juste pour le café, il est pas venu juste pour se prendre un truc à bouffer, et il est pas venu non plus parce que Gin l'a traîné. Parce qu'elle est pas là ma soeur, elle erre pas nulle part dans son orbite. Y'a pas sa tête éméchée dans les parages et je sais pas si c'est une excellente chose ou si c'est une horrible nouvelle. Alors je bouge pas, je bouge pas du moindre centimètre, j'ai l'air d'un stupide Bambi qui sert à rien et il va le souligner le gars qui avance, le gars qui fixe, le gars qui sourit pas et ça aussi, je sais pas si c'est une excellente chose ou si c'est une horrible nouvelle.

Le plan est simple, le plan est basique et Matt est pile en face de moi quand j’entre dans le DBD, les narines aussitôt agressée par l’odeur ambiante de café. « Faut qu’on parle. » Il n’y a pas de détour parce qu’on en n’a pas besoin et parce que “parler” est déjà une indication suffisante pour nous deux, lorsque la plupart de nos entrevues se résument généralement à des coups de poings échangés et d’autres insultes. Si on se contente de parler ça sera déjà une amélioration en soi, quoi qu’on puisse se dire. C’est déjà bien, de juste parler. Je ne me suis pas avancé quant au quota d’insulte autorisées donc tout devrait bien se passer. Si j’ai fait le chemin jusque là et si à mon tour je fais l’effort de faire un pas en avant vers lui comme Bailey en a fait un vers moi, c’est parce que je veux réellement que tout se passe bien pour une fois. Pour elle.

« Mais pour le moment y’a que moi qui parle en fait toi tu te tais et t’écoutes juste. » Ne nous avançons pas trop quand même, c’est de Matt et de moi qu’ils s’agit et la hache de guerre sera difficile à enterrer tellement elle remonte à des années de ça. Il est là depuis que je connais Ginny, il est là depuis les premières lueurs de l’aube et depuis il n’a jamais cessé de bourdonner à mes oreilles quand il n’était pas torp occupé à réduire la vie de sa soeur à néant en l’emmenant à Londres. Mais j’ai promis que ça allait bien se passer. J’ai promis et je fais au mieux, là, quand je viens chez lui, quand je m’installer sur une banquette dans un coin, quand je ne fais rien pour hausser le ton non plus. Il y a tous les efforts du monde réunis en ces quelques minutes de temps et ce n’est que le début alors j’inspire calmement, mes yeux fermement ancrés dans les siens et mon visage fermé au possible. « Ferme la, ça sera ton tour après. » J’anticipe comme s’il était mon propre frère, on est bien trop semblables pour qu’il se la ferme réellement avec une seule remarque de ma part. Ca en prendra deux au moins si ce n’est trois, je compte sur le sérieux de la situation pour me contente de deux sommations pour le moment. Il la ferme et je parle, le plan est clair, pourtant. Quand j’aurai fini je me la ferme et il parle. Simple, basique.

Il y a cependant des choses que j’ai besoin de préciser avant toute chose pour ne pas l’induire en erreur. « On est toujours mariés et on habite toujours ensemble, te fais pas de faux espoirs. » Je prends mon temps avec lui, je sépare chacune de mes annonces, j’attends des dizaines de secondes entre chacune de mes phrases comme s’il y avait réellement un quelconque suspens dans tout cela. « Et je viens pas m’excuser pour quoi que ce soit. » Les erreurs c’est lui qui les a entassées au fil des années, pas moi. Jamais je ne l’autoriserai à échanger les rôles qu’on a eu jouer dans la vie de sa soeur quand pour une fois il est le méchant et si je ne suis le gentil alors au moins un personnage neutre.

Finalement je prends une dernière inspiration avant d’enfin en venir au fait, les précautions ayant largement été prises avant. Je ne compte pas m’éterniser ici non plus, je n’ai rien à faire dans son bar et plus vite je m’en irai et mieux on s’en sentira tous les deux. « Cette fois-ci t’as pas intérêt de te mettre en travers de son bonheur. Je ne te demande rien d’autre. Tu ne le fais pas pour moi non plus, juste pour elle. » Ca pourrait compter comme cadeau de mariage, comme présent d’un aîné à sa cadette, comme juste retour des choses, comme relation presque normale dans une fratrie qui ne l’est absolument pas. J’ai besoin de préciser avec un ton menaçant alors que je ne devrais pas et que ça devrait être inné mais je sais que ce ne l’est pas et qu’il faut tout leur expliquer, à ces fichus McGrath. « Laisse la vivre. Elle a grandi. » Elle était grande même en 2010, elle a toujours été grande, elle a toujours assumé toutes les conséquences de ses actions et jamais elle n’agissait sans réfléchir, Ginny. Elle n’a jamais eu besoin de lui, il n’aurait jamais dû se mettre en travers de son bonheur. Ni avant avec Ezra ni encore moins aujourd’hui avec moi. Il ne s’est peut être pas battu pour la garder mais moi je le ferai. Sans compter. Et Matt le sait. « J’ai jamais rien fait contre elle. » Une seconde de plus pendant laquelle je défends brièvement ma propre cause, même si l’idée qu’il se fait de moi n’a pas d’importance. Il a besoin de comprendre à son tour tout ce que tout le monde a déjà compris il y a des semaines si ce n’est des mois de ça. Il a besoin de comprendre qu’il regardait tout avec un point de vue biaisé et que ce temps devrait être révolu, désormais.

Elle a grandi, à ton tour d’en faire de même. « Je sais qu’elle va essayer de rattraper les choses avec toi à un moment ou à un autre et t’as pas intérêt de le décevoir de nouveau. » Je ne le permettrai pas.

« Faut qu’on parle. » lol.
« Mais pour le moment y’a que moi qui parle en fait toi tu te tais et t’écoutes juste. » like i care.
« Ferme la, ça sera ton tour après. » oh come on.
« On est toujours mariés et on habite toujours ensemble, te fais pas de faux espoirs. » dammit.
« Et je viens pas m’excuser pour quoi que ce soit. » how surprising.

J'ai pas bougé d'un centimètre alors qu'il me parle bien assis confortablement de sa banquette. J'ai même lancé la machine à espresso pour faire comme si la vie était normale et que j'avais pas besoin de m'occuper les mains pour pas lui envoyer de la vaisselle à la gueule quand il se la joue procédural le gars, quand il passe par mille chemins quand d'habitude entre nous y'en a qu'un chemin et qu'il nous promet presque toujours un aller-simple aux urgences.

« Cette fois-ci t’as pas intérêt de te mettre en travers de son bonheur. Je ne te demande rien d’autre. Tu ne le fais pas pour moi non plus, juste pour elle. » juste pour elle, la carte joker qu'il doit donc être fier de dégainer, la grande âme qu'il est, le chevalier servant qu'il se donne comme rôle, le héros à qui j'aurais ri au nez si j'avais pas porté ma tasse à mes lèvres la seconde d'après. « Laisse la vivre. Elle a grandi. » j'hoche de la tête en silence, finissant par réduire la distance entre le comptoir et la table qu'il a investie, en m'étonnant moi-même de pas encore avoir cassé une patte de chaise pour la lui enfoncer dans la gorge. Il parle maintenant, moi après. « J’ai jamais rien fait contre elle. » bien sûr qu'il a un sans faute là, c'est certain qu'il a un 10/10 avec mention d'honneur, et évidemment que je vais croire qu'il a jamais fait une seule connerie envers Ginny. Du con, s'il pense que je vais pas passer ma vie à partir de maintenant à fouiller tout ce que je peux pour prouver le contraire il se trompe et il est bien plus idiot que j'aurais pu le croire de pas y avoir pensé au préalable. « Je sais qu’elle va essayer de rattraper les choses avec toi à un moment ou à un autre et t’as pas intérêt de le décevoir de nouveau. »

Il se tait du coup ça a tout pour devenir le plus beau jour de ma vie. « Si elle a tant grandi, pourquoi c'est toi qui me dit tout ça et pas elle? » la question pointe ce qui fait mal, elle pique quand je m'installe sur la banquette face à lui. Je sais qu'elle a grandi ma soeur, je le sais pertinemment et ça me fait chier de la mettre en doute pour les besoins de l'exercice. Mais soyons clairs là. « C'est pas parce que y'a ton nom de famille à la suite du nôtre sur les papiers qu'elle signe maintenant que t'as à te mêler de ses affaires, Auden. » c'est bizarre de dire son prénom et de pas penser qu'en fait son prénom c'est une insulte parmi tant d'autre. Ça lui irait si bien comme nom Connard Williams en vrai, avouez. « Elle sait que t'es là ou elle pense que tu prends l'apéro avec Satan comme d'hab? » elle sait pas, elle sait sûrement pas et je me raccroche à ça comme si c'était le Graal.

« J'ai pas prévu la décevoir de nouveau de sitôt, mais merci de ta considération c'est vraiment fun que t'aies pensé à passer ici pour qu'on en discute comme deux adultes responsables et matures. » si il entend de la condescendance dans ma voix, c'est tout à fait voulu. Il a pas à me montrer comment gérer ma famille quand j'ai tout donné tout sacrifié tout fait toute ma vie pour eux. Mal, j'en conviens, mal je le sais maintenant aujourd'hui. Mais jamais j'ai volontairement voulu blesser mes soeurs et mon frère et mon cousin ; au contraire, c'était le monde entier que j'aurais sacrifié et que je sacrifierais encore en une seconde une seule sans réfléchir pour les sauver eux. « Sinon, j'me demandais, pour ma curiosité personnelle. T'as préparé ton discours pour Jill aussi? Ou tu vas lui déblatérer les mêmes merdes en pensant que ça va te donner un free pass pour qu'on te surveille pas 24/7 autour de Ginny? »

« Si elle a tant grandi, pourquoi c'est toi qui me dit tout ça et pas elle? » Il est trop près. Il est trop près, là. La banquette d’en face c’est pour les amis, c’est pas pour les Matt. Y’a aucune distance de sécurité de respectée et c’est dangereux, trop dangereux. J’ai promis d’essayer de faire les choses bien, j’ai dit que je voulais que les choses se passent bien cette fois ci mais jamais j’ai dit que ça se passerait ainsi. Je sais que je ne peux pas promettre ça alors qu’il est aussi instable que moi cette espèce d’abruti fini. Il pose exactement la première question qu’il n’aurait pas dû poser : celle qui accuse Ginny et qui remet en cause ma présence en ces lieux. Elle est sa soeur et il l’utilise comme cible mouvante, chose que je n’aurais jamais osé faire même avec les miennes. « Ta gueule. » Je suis certain que j’avais pas fini de parler. C’est sûr que j’avais un truc à rajouter encore et qu’il est normal que je lui dise de se taire parce que je l’avais précisé dans les règles au préalable. C’est pas comme si je faisais cela parce qu’il m'énerve déjà bien plus que de raison et que mon poing fermé sur la table ne rêve que de lui casser sa jolie petite gueule de nouveau.

« C'est pas parce que y'a ton nom de famille à la suite du nôtre sur les papiers qu'elle signe maintenant que t'as à te mêler de ses affaires, Auden. » J’ai pas attendu ce moment là pour me mêler de ses affaires, Matt. Elle est là la différence entre toi et moi, quand je fais tout pour elle au jour le jour et que j’attends pas le dernier moment pour entrer dans la mêlée et tout foutre en l’air. Et ça, c’est toi, y’a que toi qui fait ça Matt, juste au cas où t’en doutais encore.

« Elle sait que t'es là ou elle pense que tu prends l'apéro avec Satan comme d'hab? » « C’est ce que je suis en train de faire, là, non ? » C’est con, ça sert à rien, on n’avance pas mais au moins ça a comme avantage de soulager la conscience pendant une seconde au moins quand je m’autorise à lui répondre et pas à simplement fermer ma gueule en attendant qu’il dérape de trop et qu’on en vienne aux mains. Elle sait pas mais elle saura, et lui n’a aucune idée de ce qu’est notre dynamique ni d’à quel point on est honnêtes l’un envers l’autre parce qu’il ne sait pas ce que c’est, il ne connaît rien de ça, il était trop occupé à détruire sa vie pour en avoir quoi que ce soit à foutre de savoir ce qu’elle en pensait, elle, dans tout ça.

« J'ai pas prévu la décevoir de nouveau de sitôt, mais merci de ta considération c'est vraiment fun que t'aies pensé à passer ici pour qu'on en discute comme deux adultes responsables et matures. » Ouais, fun. C’est le mot. Meilleur jour de mon existence, meilleure discussion de ma vie. Sans aucun doute. Jack est jaloux qu’on lui ait volé la place, là. « Sinon, j'me demandais, pour ma curiosité personnelle. T'as préparé ton discours pour Jill aussi? Ou tu vas lui déblatérer les mêmes merdes en pensant que ça va te donner un free pass pour qu'on te surveille pas 24/7 autour de Ginny? » Le rire que j’ai à ce moment là est à 200% nerveux, ouais. C’est pas de ma faute si rien que d’entendre le prénom de leur soeur j’en ai de l’urticaire alors que pour celui du frère on se contente désormais de plaques rouges. Y’a un ordre de priorité tout comme y’a un autre de choses que je peux tolérer ou non ; et elle elle n’est ni une priorité ni tolérable. Pas que Matt soit ni l’un ni l’autre à vrai dire, oh non, mais il est moins pire. « T’es vraiment un frère en or, y’a pas à dire. » On reviendra plus tard pour les explications calmes et posées et bla bla bla et ta gueule Auden, c’était voué à l’échec de toute façon. « Trente secondes de remise en question et t’essayes déjà de vendre ta soeur à la place ? Cool. » Okay, à sa place j’aurais peut être vendu l’âme de Saül. Mais ce n’est pas le sujet. Ce n’est pas pareil et c’est en rien comparable. « Pour ma curiosité personnelle, t’as un créneau horaire ou t’es moins con ou la maladie a atteint le cerveau ? » J'ai promis de rester calme mais je ne l'ai promis qu'à moi même. Je suis certain qu'on est pas à une déception près dans mon corps, ça n'influera pas sur l'avis de personne. « Tu surveilles rien. Tu rôdes et t'attends de voir une putain de faille pour tout foutre en l'air parce que la vérité c'est que tu digères pas qu'elle soit heureuse et pas toi. » Désolé pour toi, mon pote : tu ne trouveras aucune putain de faille dans notre couple.

Si sa voix avait une odeur elle sentirait la merde laissée pour compte en bord de route.
Si ses mots avaient une couleur ça serait celle de son visage une fois que j'aurais passé les 40 prochaines minutes à l'étrangler, avant d'être en retard pour la soirée où on doit faire les beaux et les gentils pour nos femmes.
Si ses gestes quasi absents pouvaient se réveiller et l'envoyer vers le prochain ravin ça me plairait, plutôt qu'il reste là à faire le pantin sur la banquette à couper chaque phrase que j'amène avec tout le self control qu'il me reste.

Mais c'était trop doux pour être vrai sa part de silence, c'était trop parfait pour être réaliste qu'il me laisse vraiment le dernier mot. C'est pas Auden et ça le sera jamais, j'ai été con de croire qu'il m'écouterait aussi sagement que moi - si on oublie que j'ai légèrement eu envie de le tuer 100 fois et 100 autres. « T’es vraiment un frère en or, y’a pas à dire. » oh que ça pique, oh que ça fait mal, oh que je le déteste encore plus mais en vrai je pense que le barème il explose juste là. « Trente secondes de remise en question et t’essayes déjà de vendre ta soeur à la place ? Cool. » il joue avec les mots et moi j'aurais envie de jouer avec son nez et avec ses côtes et avec sa gueule de premier ouais, ce sourire de conquérant là que je connais par coeur parce que je l'exhibe autant que je peux, quand il est pas dans les parages et quand j'oublie qu'il vit et qu'ainsi la vie est donc plus facile. « Pour ma curiosité personnelle, t’as un créneau horaire ou t’es moins con ou la maladie a atteint le cerveau ? » et toi t'as un créneau horaire où t'es moins une succube à gruger tout le bon et tout le beau de ma soeur pour te donner l'impression que t'as une âme, ou?

« Tu surveilles rien. Tu rôdes et t'attends de voir une putain de faille pour tout foutre en l'air parce que la vérité c'est que tu digères pas qu'elle soit heureuse et pas toi. » fuck you.

Je le déteste déjà, mais là il me répugne encore plus parce qu'il a raison. Si elle est heureuse j'ai rien à foutre dans leur vie. Si elle est heureuse j'ai rien à en dire et ça me fait chier à un niveau qu'il l'étale aussi facilement et qu'il s'y complaise le connard parce que jamais, jamais, ja-mais de ma vie j'aurais pu concevoir qu'elle le soit avec un type comme ça. J'aurais jamais pu concevoir qu'elle le soit tout court si vous me demandez, et c'est ça qui est véritablement tragique. Ginny sera jamais vraiment heureuse, elle sera jamais vraiment à sa place, elle sera jamais vraiment elle-même et j'ai une grosse part de responsabilités là-dedans que je commence à peine à assumer. Et c'est certainement pas à force de lui parler et c'est certainement pas à forcer de l'écouter et c'est certainement pas maintenant que je trouve du sens dans ses paroles de merdeux de merde que je vais le réaliser. Nope, du tout, faites erreur.

« Ok on va jouer à un jeu. »

La vérité, c'est que j'ai envie de le croire. La vérité, c'est que j'ai envie qu'il crève aussi, mais à faire un choix, l'un me bousillera que l'égo tandis que l'autre me foutra en taule pour le reste de ma vie. Mais je le croirai jamais vraiment, j'ai pas la confiance facile pour les rats dans son genre, et l'inverse de sa part ne m'étonnerait pas le moins du monde.

« Dek! » alors j'interpelle le juge neutre, j'interpelle le gars qui m'a ramassé un nombre incalculable de fois dans mes pires cuites et qui communique en onomatopées d'ours mal léché avec Gin depuis des années maintenant.

Y'a un soucis, et je pourrais jamais lui faire confiance et lui non plus, ouais c'est bon vous suivez vous avez compris cette partie. Par contre, ce que moi j'ai besoin pour le comprendre lui, c'est de le cogner. Fort, une fois, mille je sais pas je choisis tout mais j'ai pas le droit. Après je pourrai penser, après je pourrai baisser ma garde, après je pourrai voir le reste pour ce que c'est vraiment.

« On va aller dans la ruelle derrière et on va se cogner dessus et après on parlera nouvelles bases et possibilités d'avancement dans notre relation. » simple, clair, précis - et stupide. On sait s'exprimer que comme ça, on sait régler nos conflits que comme ça. Mais si on laisse ça de côté et qu'on extériorise, après, y'a moyen qu'on puisse discuter des vraies choses, et qu'on aille rejoindre les filles sans se sauter à la gorge à la première seconde parce qu'on l'aura déjà. La logique est discutable mais elle est là pour moi, c'est suffisant.

« La seule règle c'est qu'il faut pas laisser de marques. On est attendus. » ma tête se tourne enfin vers Deklan qui arrive, prêt à se prêter au jeu, mes yeux quittent que là ceux d'Auden. C'est à Dek de choisir la suite de la procédure, de distribuer les gains et les pertes avec.

lol ça va faire mal:

Je suis pas le genre de gars qui aime passer ses soirées au tour d’un Trivial Pursuit et d’un verre de vin mais okay, son jeu n’est pas si nul que je l’aurais cru. Il consiste à le frapper, en fait, donc à partir de ce moment là il ne peut qu’être que très bon à défaut d’être incroyable nul. Il pourrait être mieux, par contre, parce que le fait que son ami soit le seul juge n’a rien d’une bonne idée et le fait qu’on soit restreint à ne pas laisser de marque … c’est nul, comme idée. Ginny ne serait pas étonnée que je me sois battu et peu importe comment s’appelle sa nouvelle femme, elle devrait apprendre bien vite que ce n’est pas parce qu’il ressemble à un ange qu’il en est un. Ses yeux quittent les miens mais moi mon regard reste vissé sur lui quand j’anticipe déjà où est ce que je vais pouvoir frapper sans même encore connaître les règles.

Trois coups.
Chacun.
Pile ou face.
Je commence.
Ça va être fun.

L’avantage d’avoir à faire à un Matthew qui anime une colonie de vacances (ou qui en fait parti, on ne sait pas trop) c’est qu’il a toujours des idées par milliers et que celle-ci je commence réellement à l’apprécier. Trois coups c’est beaucoup sans réellement l’être et même si l’enchaînement est déjà bien ancré dans mon esprit, je prends tout le temps du monde à le toise une fois qu’on est à l’extérieur. Je sais qu’il bouille parce qu’à sa place je serais pareil, prêt à m’en prendre plein la gueule simplement en sachant qu’après ce serait à mon tour de rendre la pareille et bien plus encore. C’est à double tranchant mais j’en ai rien à faire, qu’il me retourne ce que j’ai pu lui donner.

Ouais ta gueule Auden on s’en fout. Frappe.
Ça prend un sourire, un seul, le pire, celui de winner, celui qu’ils détestent plus et qu’il saura encore plus détester maintenant vu les circonstances. Alors j’en profite, je le laisse vivre, je croise son regard une dernière fois et en fait je ne le lâche pas avant qu’il le fasse en premier, quand mon premier coup part en direction de son estomac, mon poing fermé. Je ne retiens rien et il en fera de même, ayez pas de pitié pour lui, il ira mieux quand il aura retrouvé son souffle. Les réactions du corps humain sont cependant fascinantes à observer, maintenant qu’il est courbé et que c’est con parce que ça n’arrange pas mon histoire et que j’ai le plus de mal du monde à viser ses côtes pour le coup suivant. Je vise au milieu, pas de pitié, pas de quoi que ce soit de rien du tout c’est Matt come on guys suivez un peu. C’est Matt et il m’a donné carte blanche ; il l’a lui aussi.

Le dernier coup est le plus fourbe de tous, oui. Il arrive quand il commence à peine à se redresser le pauvre gars et qu’il croit maintenant que je vais continuer à m’acharner sur le haut de son corps alors que ma cible se trouve au niveau de ses chevilles, lesquelles se décrochent si facilement du sol dès lors que mon pied passe derrière. Il perd appui, le pauvre, et d’un mètre dix de haut il passe seulement à dix. Sa tête cogne ou ne cogne pas, j’en sais rien, c’est pas mon problème. Il a des cheveux et ça ne se verra pas quoi qu’il en soit, je respecte les règles (un miracle).

Je suis bon joueur mais pas totalement, en fait. Il me reste un coup qui n’en est pas un, il ne s’est pas étalé sur les cas spéciaux et c’est seulement de sa faute si les règles n’étaient pas claires. Un genou se ploie à côté de lui parce qu’il a l’air vraiment encore plus petit, le McGrath étendu au sol. Mes doigts se placent autour de son cou et ce sont ironiquement ceux de la main que sa chère soeur a brisé. Le mouvement me fait autant mal à moi qui y met toute ma force qu’à lui dont la circulation du sang jusqu’au cerveau est largement corrompue. Il va en parler et s’en plaindre pendant une vie mais cela ne dure que quelques secondes à peine, le temps dont j’ai finalement besoin pour venir coller mes lèvres près de son oreille et pour que mon souffle se répercute tant sur le goudron que sur sa nuque. Et il va détester ça autant que mes mots. « Si tu lui refais du tort cette fois ci j’enlèverai jamais ma main. » Notre premier secret de beaux frères, c’en est presque émouvant.

Ma main se retire avant que ce soit son gorille d’ami qui s’en charge et je me redresse, absolument pas prêt à ce que les rôles s’échangent mais un sourire toujours aussi con sur le visage.

Oh, oh que ça devient intéressant.
Oh, oh que ça l'est moins quand il gagne cette manche-là, le connard.

Je le quitte pas des yeux parce qu'apparemment il prend son pied le raté, apparemment il sourit à pleines dents mais il oublie que s'il frappe le premier, ça sera juste pire pour l'après. Que s'il cogne pour lancer les hostilités, ça sera à moi de tout rattraper et d'avoir le dernier mot et de faire mieux, tellement mieux que j'en jubile. C'est un pauvre petit sacrifice qui en vaut tellement plus que non, absolument pas, il partira pas mon sourire de mes lèvres, il s'atténuera certainement pas à cause du sien.

Deklan a suivi dans tous mes plans de merde depuis le début de nos vies en commun et il est encore là fidèle et loyalement là le gars, quand on sort dehors dans la ruelle et qu'il reste en retrait à s'allumer une clope et à surveiller le spectacle quand je sais très bien qu'il n'interviendra jamais. Pas même si Auden devient fou, pas même si moi je saute une case aussi. Il fera rien Dek parce qu'il sait que c'est à nous de tout faire, et il est là que pour tourner une pièce de monnaie, pour statuer des règles et pour s'en griller une. Il espère par contre ça je sais, qu'on soit pas trop longtemps des gamins à l'ego aussi boosté que l'orgueil et qu'il perde à cause de nous une part considérable de pourboire. Il joue à l'adulte mais il joue pas, ceux qui jouent, c'est clairement nous.

Le premier coup qui part, et l'expiration qui vient avec. Le ventre, bien sûr qu'il vise par là, c'est un classique et il m'impressionne pas. Il y va avec des bases et mes yeux eux, ils le lâchent pas une seule seconde même si mon souffle met du temps à revenir. C'est insensé de penser que sa rage additionnée à la mienne vont nous permettre de régler quoi que ce soit, et pourtant c'est la seule suite logique qu'on a pu trouver quand il en rajoute et qu'il vise les côtes avec encore plus d'agressivité si c'est possible. Respirer devient difficile, garder la tête haute le devient tout autant, mais ça va, ça monte la rage, ça monte et ça bouille et y'en reste qu'un, juste un tout petit, juste le clou de son spectacle avant que je puisse mettre en place le mien.  

Et je tombe, du con, qu'est-ce que tu fous là? « Si tu lui refais du tort cette fois ci j’enlèverai jamais ma main. » ma tête qui a heurté le bitume, et sa paume autour de ma nuque, et ses mots de rageur qui gratte mes oreilles et le goût de sang sur ma langue parce qu'évidemment que le choc m'a fait mordre une connerie de joue de merde. Je soupire, je souffle, je brûle, et c'est à moi, c'est fucking à moi. C'est là où ça devient un peu plus cool, c'est là où je sens le regain et l'adrénaline qui se décuplent sans que j'ai fait quoi que ce soit d'autre sauf espérer tout ce que j'avais pour. Il est beau le monde quand je cogne Auden, il est parfait l'univers quand j'imagine déjà ses os craquer sur mes attaques.

Il se relève mais il est encore proche pour que mes mains se plaquent sur son torse et le poussent en arrière, lui qui finit par aboutir comme une épave la tête qui résonne sur le mur à un mètre à peine de Dek. Dek qui jette sa clope par terre et se décale en silence, s'en allume une autre j'pense j'entends le briquet craquer du moins, mais je regarde pas qui ça étonne. Ce que je regarde, c'est son cou maintenant à Auden, le retour de l'ascenseur qui me ferait presque rire quand ma main s'y love pour l'entraîner en avant et que mon genou se loge avec violence au creux de son ventre, là où il m'a frappé plus tôt, là où le miroir fait tant de bien, est si cohérent et si complémentaire que j'en rirais presque, ah non, j'en ri, c'est bon, je rigole là, crache du sang et rigole encore, tout roule.  

Ses côtes m'intéressent pas et je casse la suite que j'ai copiée rien que pour la première partie, quand je le relève avec violence pour le repousser contre le mur, comptant sur les briques pour s'ancrer dans son dos là où jadis y'a ma soeur qui lui avait sûrement fait un beau bleu. On a parlé de 3 coups mais on a pas parlé des pièces rapportés, la pierre qui sert de décor me va entièrement comme alliée. Et ils frappent mes poigns, en même temps, sur ses deux épaules, suffisamment pour que j'entende le doux bruit du craquement quand j'y enfonce mes jointures à lui en déboîter les clavicules. Attendez, si j'ai frappé au même moment, ça compte que pour un seul coup ça non, juste un, right?

« Si tu lui brises le coeur, j'te jure que la prochaine fois y'aura des marques. »

J'expire, fort, crache à nouveau, me recule.
Et si on compte donc, là de suite, il en a donné deux des coups, j'en ai donné deux aussi. Il lui en reste un pour ses pseudos menaces de merdeux, et il m'en restera un pour aller avec les miennes. Et la prochaine fois y'aura des marques.

Ce serait mentir que de dire que le sang colorant peu à peu ses lèvres n’est pas la meilleure chose que j’ai vu aujourd’hui. Pourtant je calme le sourire contre mes lèvres la seconde suivante alors que je suis dégoûté bien plus qu’autre chose à la simple idée que ses doigts se retrouvent sur mon torse sans que cela ne soit en rien calculé par moi même. Sa proximité me dégoûte tout comme son sourire victorieux qu’il affiche déjà, lui qui a trop bien compris les foutues règles de son propre jeu. Ma tête résonne une fois, mes genoux s’arrachent contre le bitume, mon souffle se coupe et à mon tour je goûte le sang sur mes lèvres, le crache sur ses chaussures de merde parce qu’il rigole bien trop fort à mon goût. Le jeu continue et ma tête cogne de nouveau, je ne sais pas dire où mais je sais que ça ne me donne envie que de lui rendre au double voir au triple. Son jeu était une idée de merde, une putain d’idée de merde alors que je fais tout pour que mes yeux ne lâchent pas les siens quand il enchaîne les coups et qu’il se croit fier, qu’il se croit innovant alors qu’on ne fait que répéter le même spectacle finalement.

Je sentais encore l’attaque de son genou contre mon ventre mais ses poings prennent finalement le relai, quand le corps humain se concentre où la douleur est la plus forte pour en oublier le reste. Mes épaules prennent une position anormale, aussi anormale que le bruit qui s’ensuit, aussi anormal que le cri de rage / douleur que j’étouffe dans ma gorge pour ne pas lui faire le plaisir d’entendre aucune chose de la sorte. Ce n’est pas cassé, ce n’est pas brisé, ce n’est rien du tout parce que je connais la douleur de ces choses là et je sais que c’est encore pire, et de toute façon ça ferait de nouveau bien trop plaisir à Matt que je montre un seul instant de plus que je n’ai plus envie de le tuer seulement à cause de ma haine pour lui mais aussi de la douleur dont il est la cause. « Si tu lui brises le coeur, j'te jure que la prochaine fois y'aura des marques. » A mon tour de sourire puisqu’il n’a toujours pas compris que c’est bien la dernière chose que je ferai à Ginny. Il se recule et ma main en profite pour venir essuyer le sang sur mes lèvres une fois de plus, le rictus de douleur que je ravale de nouveau et de même pour les insultes allant avec.

On est cons et on est dans un état misérable mais cela n’a finalement rien de nouveau et si on compare aujourd’hui au reste de nos rencontres, je pense réellement qu’on est en nette amélioration. Peut être que le début de la paix goûte le sang, j’en sais rien, j’ai jamais essayé ce genre de choses. Personne n’a de toute façon promis que ces coups là seraient les derniers, en prouve le compteur qui n’est pas encore descendu à 0 et qui n’y descendra sûrement jamais, la marge de manœuvre qu’on se doit de garder pour parer à toutes éventualités. « On se voit demain, beau-frère. » Bientôt je pourrai dire petit frère mais sûrement que les gens normaux y vont étape par étape dans ce genre de choses.