Il n’était pas dans ses habitudes de rester enfermée chez elle la majorité de ses soirs libres, mais Kelly n’avait pas la tête à aller en ville depuis quelques temps. Se pomponner, prendre la voiture, payer le parking, se ruiner en cocktails et alimenter des conversations vides pour quelques photos Instagrammables qui prouveraient à tout le monde qu’elle n’était pas qu’une divorcée au fond du trou, cela était bien trop d’efforts en comparaison d’un moment cocooning bien chez soi, avec Tobey et un verre de vin devant une comédie romantique. Ses habituelles camarades de soirées entre filles s’inquiétaient de ne plus parvenir à la faire venir à leurs apéros réguliers. L’australienne recevait des messages de leur part, un peu chaque jour. Elles continuaient de l’inviter, ne désespéraient pas, mais elles ne demandaient jamais comment elle se portait. Et si Kelly appréciait généralement que l’on ne la pousse pas à parler d’elle-même, elle se surprenait à attendre mieux de la part de prétendues “amies”. Les semaines passèrent et le vent tourna. Les textos se raréfièrent tandis que la brune déterrait un peu d’entrain ; il n’y avait plus rien dans le catalogue de Netflix pour la retenir chez elle, il était temps qu’elle mette à nouveau le nez dehors. Et puisque le grand ménage de son existence passait également par la fin des fausses amitiés, la jeune femme sut immédiatement vers qui se tourner ; Leena. Non, elle n’écouterait pas Pam se vanter de la perfection de son second mariage, elle n’irait pas non plus rassurer Jennifer à propos de la taille tout à fait normale de ses cuisses. Elle ne voulait pas se forcer à sourire aux plaisanteries imbéciles de Chelsea, et non, elle n’encouragerait pas les moqueries de Jenna sur tous les êtres vivants ayant le malheur de croiser son regard. Elle ne se souvenait plus la raison pour laquelle elle traînait avec elles en premier lieu. Kelly avait besoin de vrai, quelque chose que seule l’authenticité brute de sa cousine pouvait lui donner. Un vrai moment sans faux semblants, sans prétendre, sans jouer la comédie. Quelques heures où elle n’était qu’une fille de Toowomba gobée toute crue dans la grand ville, maladroite en humour, et en mal d’amour. Elle avait lâché ses cheveux bruns et sorti du placard une robe noire cousue main dont elle n’avait encore jamais eu l’audace d’assumer le décolleté plongeant -issu d’un mauvais coup de ciseau qu’elle n’avait pu corriger. Hauts les coeurs, songeait-elle ; après tout ce temps passé à se morfondre, elle pouvait bien oser l’inédit pour ce retour à la vie normale. Cette soirée devait sonner le glas de sa mélancolie : dès le lendemain matin, Kelly reprendrait sa vie en main, il le fallait.

Elle arriva en avance au bar où Leena lui avait donné rendez-vous. Méfiante vis à vis du trafic dans les rues de Brisbane, Kelly quittait toujours son domicile avec une marge de quelques minutes en cas de contretemps sur la route. Être à l’heure, c’était déjà être en retard dans le monde de Mademoiselle Ward. Sa cousine fit son apparition, éternellement entourée de cette aura pétillante qui attirait tous les regards -et éclipsait entièrement Kelly. Rien que l’accolade qu’elle échangèrent lui réchauffa le coeur, et elle ne regretta pas instant d’avoir mis sa morosité au placard pour partager ce moment avec elle. “Ca va, répondit-elle sans s’encombrer de nuances plus sombres liées aux peines que sa cousine connaissait déjà fort bien. Je suis si contente de te voir !” Cela était peu dire, et on le devinait aisément au large sourire d’oreille à oreille que la brune affichait sans aucune retenue. Elle emboîta le pas de la jeune femme à l’intérieur du bar jusqu’au comptoir. Leena n’avait pas les connaissances de sa cousine en terme de vins et, déformation professionnelle obligeant, celle-ci se voyait déjà en train d’éplucher la carte à toute vitesse afin de dégoter le meilleur ratio qualité/prix de l’établissement. “Le Bald Rock Creek 2016, s’il vous plaît.” qu’elle compléta donc pour la commande à la volée. Le barman acquiesça et s’enquit de déboucher une bouteille du cru indiqué. “C’est une cuvée de chez Sirromet, il faut encourager les productions locales.” justifia Kelly pour son intervention. Elle plaçait leurs vins chez bon nombre de ses clients ; leur gamme était assez large pour plaire à de nombreux palais plus ou moins affûtés. En tant que sommelière, l’australienne gagnait sa vie très convenablement. Travailler dans un hôtel avec le prestige de l’Emporium avait des avantages, et sa clientèle en indépendant était constituée de connaisseurs qui ne craignaient pas de mettre la main au portefeuille. En somme, Kelly vivait confortablement malgré le divorce, et elle avait conscience que sa cousine n’avait pas la même chance ; ce qui la prit d’autant plus au dépourvu quand celle-ci déclara financer la soirée. “T’es un amour, mais ne te ruine pas pour moi.” fit Kelly qui ne se permit pas de refuser la générosité de Leena. “A la nôtre.” souffla-t-elle alors que leurs verres tintaient délicatement. La première gorgée de vin eut un goût de liberté -ainsi qu’un léger bouquet fleuri, un arôme de poire et de vanille, équilibré dans sa sucrosité et sa texture soyeuse en bouche. “Ca fait du bien de mettre le nez dehors pour autre chose que le travail… et des dates totalement infructueux.” Contre toute attente, l’irrécupérable romantique accrochée aux traditions qu’était Kelly s’était bel et bien essayée aux sites de rencontre et autres applications mobiles de surconsommation du flirt. Faute de réelle accrocher à qui que ce soit par message, elle avait accepté trois ou quatre invitations à boire un verre ou à dîner avec les spécimens paraissant les plus civilisés et respectables. Mais ni Peter, ni Jerry, ni Garreth n’étaient parvenus à lui inspirer autre chose que de l’ennui et la frustration d’avoir perdu de précieuses heures de vie qui ne seront jamais rendues. “Je pense que je vais abandonner le flirt 2.0, ce n’est vraiment pas pour moi, en conclut-elle. En plus on dirait vraiment que toutes les applications sont sponsorisées par l’association des chauves célibataires du Queensland.” A moins que les statistiques de calvitie ne crèvent le plafond dans cet état particulier du pays pour les hommes à partir de 35 ans, auquel cas Kelly avait tout intérêt à se résigner à apprendre à apprécier les crânes luisants sous le soleil australien. “Je vais retourner dans ma tour, me laisser pousser les cheveux sur trente mètres, et attendre qu’un prince charmant passe par là.”

Sa cousine se moquait gentiment, et elle avait raison de le faire. Kelly avait terriblement honte d’être tombée dans le piège des sites de rencontre, cela lui donnait un air plus désespéré qu’elle ne l’était déjà. La seule autre personne à être au courant de ces vaines tentatives de flirt était Hassan, son voisin. Il l’avait surpris, quelques mois auparavant, à attendre un prétendant diablement en retard au Sixteen Antlers. Le brun ne s’était pas exactement payé sa tête comme le faisait Leena avec humour. Il lui avait tenu compagnie jusqu’à ce que le fameux Pete daigne faire son apparition. La jeune femme regrettait encore terriblement d’avoir choisi d’honorer son rendez-vous galant avec un homme qui considérait la ponctualité comme d’une option et non le B.A.BA de la politesse. Elle se voyait encore quitter la table avec son chauve du jour, laissant Hassan derrière elle avec embarras. Elle le savait, au fond d’elle, qu’elle avait ruiné une rare chance d’avoir un véritable date avec son voisin. Et puis, Chad avait fait son coming out, comme disent les personnes comme lui. Il avait révélé la supercherie derrière leurs dix années de vie commune et quelques mois furent à peine suffisants pour que Kelly se remette d’aplomb. Hassan ne fut plus l’une de ses priorités, et elle n’était pas certaine que cela ne soit plus le cas ; l’australienne devait se concentrer sur elle, comme il le lui avait conseillé. Elle devait vivre pleinement en tant que Kelly Ward, et laisser Mrs Taylor derrière elle. Elle ne reprendrait pas les rencontres sur le net pour autant, très peu pour elle. “J’ai juste essayé de sortir de ma zone de confort !” se justifia-t-elle vaguement, cachée derrière le verre de vin qu’elle portait à ses lèvres pour faire passer le goût de l’embarras. Il était évident que ces pratiques digitales n’étaient pas faites pour une femme dans son genre. Ce que ces expériences lui avait apprises, c’était qu’il ne servait à rien d’essayer de forcer le destin à tout prix. Il y avait forcément quelqu’un pour elle, quelque part, et la vie, ou le Seigneur, le mettrait sur sa route lorsque cela serait le bon moment, autant pour lui que pour elle. Alors, tout serait parfait. Il suffisait de s’armer de patience et de rester attentive aux signes. C’était l’idée, derrière sa prétendue volonté de s’isoler dans une tour en attendant le prince charmant -idée dont Leena tenta immédiatement de la dissuader. “Le chauve de tes rêves n’attend plus que tu sautes le pas !” lança Kelly. Elle riait de bon coeur, souhaitant tout de même intérieurement à sa cousine de ne pas perdre son temps avec ces sites et ces applications. Elle valait tellement mieux que la brochette de spécimens de ces viviers de célibataires désespérées dont la sommelière avait eu un avant-goût. Pour beaucoup, la raison de leur solitude était une évidence qui n’échappait qu’au concerné. C’était toujours les ex-femmes et les ex-petites amies qui étaient folles, psychorigides, frigides, et jamais eux qui manquaient d’attention, se montraient trop exigeants, rustres et égoïstes. Kelly ne se prétendrait jamais féministe, cependant elle avait assez de jugeote pour savoir que les problèmes d’un couple étaient toujours issus des torts des deux partis, et ceux qui prétendait le contraire étaient le poison du romantisme. “Peut-être qu’il a pris un mauvais croisement, t’as essayé de chercher au milieu du désert ?” renchérit la brune à propos du futur cher et tendre de sa cousine, vraisemblablement incapable d’utiliser un GPS pour le mener vers la jeune femme. Quoi qu’il en fût, mieux valait-il encore attendre que de se prendre au jeu d’internet. Kelly acquiesça en reprenant une fine gorgée de blanc, se jurant qu’on ne l’y reprendrait plus. Pas démotivée à aider sa cousine à se recaser, Leena la mit au défi de choisir une cible parmi les hommes présents dans le bar, peut-être quelqu’un avec qui s’entraîner à l’art du flirt -qui n’était pas son fort- et pourquoi pas avec qui repartir plus tard. L’australienne écarquilla les yeux en regardant autour d’elle comme craignant que la totalité de la clientèle ait pu entendre Leena. “Quoi ? Non. Non, non. De un, tu as perdu la tête, et de deux… Je ne sais pas faire ce genre de chose !” Aller à la chasse au mâle ne faisait définitivement pas partie de ses hobbies, encore moins de ses talents. Elle ne saurait pas qui choisir, de peur de viser trop haut sans pour autant se résigner à viser plus bas afin de s’assurer de ne pas essuyer un rejet. Elle ne saurait pas comment l’aborder, ni même si elle le devait directement ou si certains codes physiques suffisaient à harponner un de ces messieurs. Et après tous ces obstacles, il restait celui de la conversation ; si le small talk vide de sens était sa spécialité, la brune en attendait plus d’un véritable flirt et d’un potentiel coup de coeur. Or, elle n’aimait pas parler d’elle, elle était gauche en humour, et la nervosité la transformait en écrevisse bouillie. Il n’était pas question qu’elle se tourne en ridicule en public de la sorte. “Ce n’est vraiment pas ce genre d’histoire que je cherche. Traite-moi de fleur bleue, mais prier pour tirer une vraie histoire d’un coup d’un soir pioché dans un bar, ce n’est pas moi.” Romantique, elle l’était. Ses étagères débordaient d’histoires à l’eau de rose sur des pages de livres ou des couvertures de DVD. Elle voulait quelque chose de digne d’un téléfilm de Noël, et de longs baisers de cinéma sous la pluie. Ses propres attentes la dépitaient, bien sûr. Elle avait passé les trent-cinq ans, elle était divorcée, et l’unique chose à son avantage était qu’elle n’avait aucun enfant à charge -information qui se retournerait contre elle à la seconde où sa stérilité serait abordée. Alors oui, elle avait baissé ses prétentions et eu quelques dates avec des ratés. Oui, elle pouvait bien donner une chance à quelqu’un présent dans ce bar. Mais elle n’en avait pas le courage. “Pas la moi sobre, en tout cas.” elle conclut avec une nouvelle gorgée de vin.

“Sweet Jesus.” lâcha Kelly en observant, pantoise, sa cousine descendre son verre de vin fraîchement commandé d’une seule traite. Ce pauvre cru méritait définitivement mieux. Peut-être pas un repas en sept services avec homard et caviar, mais certainement pas une grande gorgée bien ronde droit dans l’estomac. Son regard suivit le verre à pied tout du long avec une forte compassion et autant de désarroi. Il termina vide sur le comptoir, sans plus d’utilité. Et Leena ne tarda pas à l’abandonner -et la brune aussi par la même occasion- pour foncer droit vers la table de ces deux hommes qu’elle avait repéré de loin -avec option sur le blond. “Leena, att-...” Inutile, elle était déjà à mi-chemin et visiblement déterminée à atteindre sa cible. Kelly soupira, laissée derrière avec le choix d’admirer les talents de séduction de sa cousine jusqu’à se sentir un peu plus misérable en comparaison avec elle, ou la rejoindre, jouer le jeu, et parfaire une quelconque technique de flirt dont elle n’avait pas une seule ligne de théorème. La peste ou le choléra, d’après elle. Mais rapidement, rester seule et plantée comme un piquet ne fut pas une option. “Tu peux le faire.” se dit-elle à elle-même. Elle jeta un coup d’oeil vers Leena afin de s’assurer que tout allait bien. La jeune femme souriait à pleines dents, charmante et adorable comme un chiot le soir de Noël. Et les deux messieurs paraissaient fortement intéressés par son numéro. Elle gâcherait tout en y allant, c’était certain. Seule, Leena avait ses chances, mais avec elle… Non, elle se ridiculisera et embarrassera sa cousine par la même occasion. C’était une mauvaise idée. Une terrible idée. Alors quoi, allait-elle simplement demeurer auprès du bar comme une sotte ? C’était exactement pour cela qu’elle était venue ce soir, c’était ce dont elle avait besoin. Leena savait la bousculer, la faire sortir de sa zone de confort. Kelly avait décrété que les choses changeraient à partir de cette soirée, qu’elle reprendrait sa vie en main, qu’elle renforcerait sa confiance en elle ; et Leena le lui offrait sur un plateau. Elle devait le faire. Elle pouvait le faire. “Tu peux le... “ Elle porta son verre à ses lèvres, prête à le gober tout rond comme sa cousine avant elle, puis se ravisa au dernier moment. “Non, ça non.” Définitivement, il y avait des limites.

Elle emportait donc son verre avec elle tandis qu’elle approchait d’un pas discret de la table des deux hommes à son tour. “Salut.” elle souffla avec un maigre sourire. La brune était naturellement à l’aise dans un contexte social et se faire des amis n’était pas un problème pour elle ; aborder une personne dans le but de la séduire, en revanche, était une manoeuvre avec laquelle l’australienne peinait à se familiariser. “Je suis Kelly. Nous sommes cousines.” ajouta-t-elle en désignant Leena qu’elle laissait à son approche du fameux blond. “Soirée entre filles, hein ?” rebondit le second homme attablé. A son regard qui la détaillait avec insistance, Kelly regretta soudainement l’ampleur de son décolleté. “C’est ça. Mais on s’est dit qu’un peu de compagnie ne nous ferait pas de mal.” Du moins, c’était visiblement ce que Leena s’était dit, et sa cousine estimait de plus en plus que cela était une mauvaise idée. Sa nervosité, elle l’avala dans une gorgée de vin. Elle espérait que le brun lui demande ce qu’elle faisait dans la vie afin de le noyer sous sa passion pour le monde viticole, parler d’oenologie et de cavistes, d’accords mets et vins, de sujets qu’elle maîtrisait largement plus que les paroles suaves et les regards aguicheurs. La question ne vint jamais. L’homme en question semblait plus amusé par la comparaison entre les deux cousines ; “C’est drôle, elle, elle est petite avec de gros boobs et toi t’es… enfin, tu vois ?” Oui, tout ce que la puberté avait eu pour effet sur Kelly était de lui allonger les jambes comme un flamant rose. Oui, elle était au courant. Et ce commentaire valut au médisant de recevoir la fin de son verre de vin droit dans la figure dans une geste vif et incontrôlé de l’australienne vexée. “Bald Rock Creek 2016, si tu ne l’avais pas encore goûté.” lâcha-t-elle en lui jetant une serviette dans les mains avant d’attraper sa cousine par la main et de l’éloigner de cette table de rustres. “Viens, Leena.” Direction le bar, et un second verre pour se dédommager de celui dont le contenu était désormais en train de brûler la rétine de l’homme à l’autre bout de la salle. Intérieurement, Kelly était mortifiée. Comment avait-elle pu ? C’était comme si son geste avait anticipé ses pensées, elle n’avait rien pu faire pour s’en empêcher. Le vin était déjà hors du verre lorsqu’elle avait réalisé son geste. “Toujours pas charmée par l’option attendre le prince charmant dans une tour ?” demanda-t-elle à Leena avec un petit rire. Car souvent, mieux valait s’enfoncer dans le célibat plutôt que de se retrouver au bras de pareil idiot mal élevé.

Mortifiée. Il n’y avait pas d’autre mot pour qualifier l’état dans lequel se trouvait Kelly tandis qu’elle jetait régulièrement un regard par dessus son épaule, en direction de l’homme sur lequel le contenu de son verre de vin avait atterri. Elle se voyait encore le fait, seconde par seconde, comme un déroulé d’image par image qui décortiquait le mouvement dans son ensemble, du verre à pied basculant entre ses doigts, du liquide s’envolant sur une dizaine de centimètres pour rencontrer le visage du blond en question, et la surprise générale avant qu’elle prenne la fuite avec sa cousine. Bien sûr qu’il l’avait cherché, mais jamais la brune n’aurait pensé avoir ce genre de réflexe en elle. “Incroyable ?” reprit-elle de la bouche de Leena qui, elle, était extatique. Elle était telle une puce qui ne tenait plus en place, complètement remontée à bloc par l’incident qui avait attiré sur elles une foule d’attention dont Kelly se passait volontiers. “Je sais pas si c’est le terme approprié…” Lèvres pincées, la sommelière regardait autour d’elle avec, toujours, cette boule au ventre. Elle qui avait tant besoin du regard des autres, des inconnus, pour valider ses faits et gestes, elle ne savait pas bien quoi déduire des regards qui leur étaient adressés. “Je devrais sûrement aller m’excuser, je…” Alors qu’elle s’apprêtait à quitter le comptoir pour revenir sur ses pas et demander pardon au jeune homme, un serveur à la mine sévère eut un discours qui ressemblait fortement à de la réprimande. “Oui, bien sûr, je suis tellement désolée, pardon…” s’écrasait-elle, mais dès lors que l’employé s’éloigna, quelque chose se mit à hurler en son fort intérieur. Que ce n’était pas juste. On l’avait offensée, on avait été rustre avec elle, et c’était à elle de se faire petite, de s’humilier un peu plus en étant désolée ? Non, cela ne tournait pas rond. Ce n’était pas normal.

« J'espère que sa remarque ne t'a pas blessé. » s’inquiétait Leena, sortant Kelly de ses pensées révoltées. A dire vrai, elle ne savait pas si elle était supposée avoir passé l’âge de prendre à coeur les commentaires désagréables sur son physique ou si ce pincement au coeur qu’elle avait ressenti était normal. Même si elle l’adorait plus que tout, l’australienne souffrait parfois de la comparaison avec sa cousine. Leena était son parfait opposé, et forcément, cela mettait en exergue tout ce qu’elle n’avait pas et tout ce à quoi elle aspirait. Leena n’avait pas un visage froid naturellement, elle inspirait automatiquement de la sympathie. Elle avait le plus adorable des sourires, le regard le plus brillant qui soit. Elle était toute en courbes et assez petite pour ne pas avoir l’air intimidante. Kelly, elle, était un squelette monté sur échasses. Elle ne se considérait pas comme quelqu’un de complexé au quotidien, elle était à l’aise avec elle-même et ne portait pas de jugement sur le physique dont le Seigneur l’avait affublée. Elle se plaisait, en somme. Ce qui la touchait, c’était de constater que cela n’était pas toujours le cas des autres. “De quoi ? Oh, ça. Non, ce n’est rien. C’était… stupide.” babillait-elle en haussant les épaules. “Ce n’est qu’un idiot de toute manière. Ce n’est pas comme si son avis importait.” Du moins, ce n’était pas supposé être important.

Un second serveur se pencha vers les deux cousines en déposant un verre devant elles. Kelly reconnaissait le vin qu’elle avait choisi à sa seule odeur. En croisant le regard de l’employé, elle sentit le rouge lui monter aux joues. “Oh, merci. C’est gentil.” souffla-t-elle, la gorge étranglée par la nervosité. Il repartit, aussi vite qu’il était arrivé. Immédiatement, elle sentit le coude de Leena lui tapoter le bras. Son sourire l’encourageait à tenter sa chance avec le serveur, lui qui paraissait de leur côté. Songeuse, Kelly l’observa de loin, le détaillait avec une certaine attention. Il n’était pas très grand, brun, harmonieusement formé par un entraînement régulier. Il avait l’air doux, aimable, tempéré. Il releva son regard vers elle, comme s’il avait senti qu’elle le scrutait. Ils échangèrent un rictus délicat. Et ce fût tout. “Il est plaisant, mais je pense que je vais me contenter de ta compagnie pour ce soir, si tu veux bien.” répondit finalement Kelly avant de prendre une gorgée de vin bien méritée, suite à ces émotions. “Après tout, tu ne m’as pas raconté les derniers gossips de ton boulot, et je veux absolument savoir si ta collègue du refuge a enfin réussi à conclure avec… comment il s’appelle déjà…”

L’univers aurait voulu leur hurler de laisser tomber la chasse au prince charmant pour ce soir qu’il n’aurait pas mieux fait. Leena devait se résigner à se contenter de la seule compagnie d’une Kelly qui se remettait difficilement de son dépits. Cependant, cette dernière savait que d’ici la fin de son verre, l’incident de tout à l’heure serait oublié. Elle reprit d’ailleurs une gorgée en écoutant sa cousine lui rapporter les derniers développements d’une relation entre deux de ses collègues de travail dont le flirt avait débuté il y avait déjà quelques temps. La sommelière était tellement avare de ce genre de petits ragots, les commérages alléchants qui ne faisaient pas vraiment de ma à qui que ce soit. Elle-même avait les oreilles baladeuses et ne pouvait s’empêcher d’écouter aux portes ou par dessus l’épaule de quelqu’un. Pour elle, c’était un peu comme donner vie à des personnages de roman ; de vagues inconnus dont elle interceptait une bribe de leur quotidien à travers une fenêtre entrouverte. Son imagination faisait le reste. « J'ai revu Harley récemment. Je ne savais même pas qu'il était encore en Australie, ni qu'il était encore journaliste. » lui révélait ensuite la jeune femme qui osait lâcher dans la conversation le nom de son ex sans de plus amples détails. “Pitié dis-moi que cette histoire ne se termine pas dans un lit.” Ou dis-moi que oui, hurlait la partie de Kelly qui vivait ce genre d’histoires par procuration. « Y'a rien de spécial à dire, je veux dire, ça s'arrête là, on ne s'est pas revus ni rien. Mais ça m'a fait penser : à quoi ressemblerait ma vie si j'avais pas foiré toutes mes relations ? » L’étincelle de curiosité maladive dans le regard de la sommelière s’éteignit immédiatement, laissant place à une grande compassion pour sa cousine. Elle se rendait responsable la fin de chacun de ses amours et cela désolait Kelly de l’entendre. “Leena…” soufflait-elle en posant une main sur celles de la jeune femme. Elle savait qu’elle exagérait, mais le sentiment n’en était pas moins le même. La sensation d’échec dans lequel Kelly se retrouvait aisément. « Je sais que je suis un peu intense. Mais c'est fou, je vais finir par être la folle à chats de la famille. » Lee ne pouvait s’empêcher de se demander ce que les chats avaient fait d’aussi terrible pour qu’ils deviennent la menace employée contre toutes les femmes qui ne trouvaient pas chaussure à leur pied -autant celles qui n’avaient tout bonnement pas de chances que celles qui ne cherchaient pas spécialement. “Tu n’es pas “intense”. Qu’est-ce que tu racontes ?” D’accord, Leena pouvait l’être un peu. Lorsqu’elle se passionnait pour quelque chose -ou quelqu’un en l'occurrence- elle n’y allait pas par le dos de la petite cuillère. Est-ce que cela pouvait faire fuir ses prétendants ? La brune ne se prétendait pas experte pour en tirer la moindre conclusion. Elle admirait bien trop sa cousine pour comprendre qu’on puisse lui tenir rigueur de quelque chose qu’elle trouvait remarquable. “Tu es bien trop dure avec toi-même. Tu es parfaite comme tu es, et tu trouveras quelqu’un qui sera parfaitement d’accord avec ça.” Une personne pour qui elle n’aurait ni besoin de changer, ni de s’excuser d’avoir son caractère. Une personne qui la chérirait telle quelle, car elle ne méritait pas moins. “Et puisqu’il sera d’accord avec moi, ce sera forcément quelqu’un de bien.” ajouta Kelly avec un sourire taquin afin de détendre l’atmosphère. Elle ne voulait pas que le sujet de conversation lui fasse broyer du noir. « Si tu as des conseils à me donner... je suis toute ouïe » Lee manqua de s’étouffer dans son verre qu’elle venait tout juste de porter à ses lèvres. “Des conseils ?” Elle ? Depuis quand y connaissait-elle quoi que ce soit ? Elle n’avait jamais vraiment eu de petit ami avant Chad, ses parents ne l’aurait jamais permis. Et lorsqu’elle s’aperçut, à la fin de ses études, que sa relation avec celui-ci était assez solide pour durer, elle s’était assurée de verrouiller d’option avec un mariage qui n’avait rien d’amoureux. En somme, Kelly avait calculé même l’unique romance de sa vie, et s’était contentée de cela. Ce qui l’avait menée au désastre dont elle assumait les contre-coups depuis trois ans. “Leena, je suis divorcée. Par dessus le marché, j’ai découvert que j’ai passé dix ans de ma vie mariée à un homosexuel sans jamais voir le pot-aux-roses. Je suis la dernière personne au monde qui soit en mesure de te conseiller.” confessa-t-elle. Sa cousine était la toute première personne à qui elle révélait l’orientation sexuelle de Chad, et cela lui ôta un immense poids des épaules. Lee s’était jurée de ne jamais en parler à qui que ce soit, mais le secret la dévorait. Et l’échec, la honte que cela représentait pour elle, était comme un éléphant assis sur sa poitrine à longueur de temps.

Le soulagement de sa confession fut de courte durée ; dès que Leena esquissa une réaction, Kelly fut immédiatement assaillie par un sentiment de culpabilité. Depuis des mois, elle gardait cette révélation pour elle seule et en portait tout le poids sur ses seules épaules. C’était la honte qui la torturait, celle d’avoir été jouée tout ce temps, de ne rien avoir vu. Elle avait été ce bouclier pour Chad, cette façade, cette apparence derrière laquelle se cacher ; et elle, naïve, avait été si fière de ce mariage parfait, si cordial, si harmonieux. Combien de fois s’était -elle vantée d’avoir un mari si attentif et agréable ? De leur entente parfaite, de leur routine rodée ? Elle s’était bercée d’illusions, et elle ne pouvait s’empêcher de se demander si d’autres avaient deviné la fumisterie avant elle. Qui avait eu un sourire en coin en l’observant étaler son prétendu bonheur ? Combien de leurs amis communs furent désolés pour elle dans son dos, pauvre chose qui ne voyait pas l’évidence juste sous ses yeux, dans son lit tous les soirs ? Depuis combien de temps se ridiculisait-elle à s’accrocher bec et ongles à ce mirage ? Au final, la surprise sur le visage de sa cousine était une maigre consolation. Si Leena ne lui riait pas au nez en se moquant du temps que Kelly avait mis pour ouvrir les yeux, alors d’autres comme elles n’avaient vu que du feu au manège de Chad. « Quoi ? Chad est gay ? » Lèvres pincées, l’australienne hocha vivement la tête. Elle ne pouvait le dire tout haut à nouveau, elle ne pouvait émettre le moindre son. Ses mains se serrèrent sur la table, contenant l’émotion dans ses paumes. La blessure était si fraîche, la trahison palpable. « Je... je suis désolée, Kelly, je ne savais pas... enfin, tu n'as pas à t'en vouloir, je veux dire, comment tu aurais pu savoir ? » Les crises de jalousie de Casey, le voisin de palier de Chad, étaient une chose qui auraient pu lui mettre la puce à l’oreille au début de leur relation. Kelly s’était simplement dit qu’il s’agissait d’un ami trop dépendant affectivement, qu’il craignait l’abandon. Puis, pendant leur années de mariage, il aurait suffit à n’importe qui de jeter un coup d’oeil dans le lit conjugal pour comprendre que quelque chose ne tournait pas rond. L’absence de libido de Lee n’était plus à prouver, mais le sentiment d’obligation avec laquelle Chad effectuait son devoir conjugal valait tous les coming-out du monde. “Je ne sais pas, j’ai l’impression que c’était évident depuis le départ et je n’ai simplement pas voulu le voir.” Avait-elle sciemment fermé les yeux sur tous les signes ? Elle pour qui l’homosexualité était une orientation inenvisageable, un péché terrible, l’idée n’aurait jamais pu l’effleurer. Après tout, Chad était issu de parents aussi croyants que les siens. Comment se douter de quoi que ce soit ? « Est-ce que... est-ce que c'est pour ça que vous avez divorcé ? » demanda Leena qui, comme tout le monde, n’avait sûrement jamais vraiment compris ce qui avait pu pousser le couple parfait à se séparer. Kelly n’avait jamais fait l’étalage de ses raisons. Elle pensait alors que sa stérilité était une assez grande honte pour en garder le secret ; jamais n’aurait-elle cru en découvrir un second. “Non, non… Le divorce était mon idée, mais j’ai découvert tout ça très récemment. En revanche, nous ne nous parlons plus depuis qu’il me l’a dit.” Kelly ne s’en sentait pas capable. A peine pouvait-elle envisager de regarder son ex-mari dans les yeux, de respirer le même air. “Enfin, tu vois pourquoi je suis si mal placée pour t’aider.” L’enchaînement d’erreurs dans sa vie, le fiasco de son mariage, sa naïveté à tous égards, l’absence général de sentiment amoureux dans son existence ; c’étaient assez d’arguments pour plaider son incapacité et son illégitimité en tant que conseillère pour sa cousine, aussi perdue celle-ci pouvait-elle penser être. « Mais Kelly, ça ne veut pas dire que ton avis ne compte pas. Peu importe ce qui a pu se passer dans ta vie sentimentale, j'ai toujours besoin de toi, de ton regard, pour m'épauler. Tu sais bien que je suis toujours un gros bébé de ce côté là » Lee eut un sourire triste. Elle posa sa main sur celle de Leena, elle-même étreignant son bras. “Toi tu écoutes ton coeur, et tu es fidèle à toi-même. C’est plus que ce que j’ai fait ces dix dernières années.” Une relation calculée, un mariage de facilité. Kelly avait fermé son coeur au véritable amour avant même de se donner la chance de le croiser, de peur que tout le schéma de vie parfaite, toute la chronologie de cette existence millimétrée soit mise en péril. Elle avait fait tout de travers depuis le départ dans le but de rentrer dans une case, pensant agit comme elle le devait pour rendre son entourage fier. Mais elle était pleine de fêlures, pleine d’imperfections inscrites à même sa chair. Elle n’était rien de tout ce qu’elle s’était figuré. Elle ne savait plus quel chemin emprunter. "Est-ce que d'autres personnes sont au courant ?" Elle secoua négativement la tête. “Non, tu es la première… la seule.” Et pourquoi le lui avoir confié ? Kelly ne saurait le dire ; peut-être était-ce devenu trop lourd pour elle seule, ou avait-elle besoin d’être rassurée, consolée, plutôt que de se laisser ronger par ses propres pensées. Tout ceci avait ruiné sa confiance en elle comme un château de cartes emporté dans un coup de vent. Son orgueil était à genoux pour celle qui n’admettait jamais ses torts, ses défauts, ses incertitudes. Son éternel sourire lui était si lourd à porter. “Je me sens tellement humiliée, si tu savais. Le divorce était assez difficile comme ça, et maintenant ça... J’ai l’impression que dix ans de ma vie n’étaient qu’un vaste mensonge.”

Elle n’en avait jamais parlé, et c’était mieux ainsi, elle en avait la conviction. Kelly ne voulait pas qu’on ait de la peine pour elle, qu’on la prenne en pitié, qu’on la devine vulnérable et dans une situation émotionnelle délicate. C’était une fissure, un craquèlement dans sa carapace, dans son paraître si lisse. C’était sa cousine, ce n’était pas si grave, aurait-elle pu se dire. Pourtant Lee se sentait coupable d’avoir étalé cette vérité sous ses yeux, de lui avoir imposé ses problèmes, ses doutes. Elle ne pouvait s’empêcher de se mortifier malgré toute la bienveillance de Leena, ses paroles douces et affectueuses, son regard sincère et son sourire rassurant. La sommelière esquissait un sourire triste, vaguement, voulait donner l’air de se reprendre et de garder contenance alors que tout semblait parfois s’effondrer autour d’elle. Personne n’avait à être le témoin impuissant de tout ceci. Elle prenait régulièrement une gorgée de vin, faisant baisser le niveau de son verre à trop bon rythme, buvant ses émotions et toute la honte que les révélations de Chad avait fait naître en elle depuis des mois. Aveuglée par son confort, elle n’avait jamais remis en question la moindre brique de ce petit univers parfait qu’elle s’était construit, qu’importe à quel point celui-ci était factice. Elle avait baigné dedans, l’esprit enclavé par son désir maladif de normalité, de réussite dans tout ce qu’il y avait de plus banal et cliché. Un mari, un chien, une clôture blanche. Désormais elle payait le prix de ce trop long rêve éveillé.
Kelly refusait de croire que ces dix années de vie commune aient été difficiles en quoi que ce soit pour Chad. Il l’avait utilisée comme façade, comme bouclier pour se forcer dans le moule qu’elle lui proposait. Il avait sauté sur l’occasion, il n’avait pas hésité un seul instant, et il en fut bien heureux. Ces années de paix, ce pseudo-bonheur qui n’avait été qu’une farce, Lee y songeait désormais avec horreur et dégoût. Oui, tout était gâché, mais pouvait-elle le clamer à Leena sans paraître insupportablement défaitiste ? Pouvait-elle continuer à lui montrer la profondeur de ses blessures, la forcer à regarder la suppuration de ses pensées qui lapidaient sa naïveté ? “Si, il a tout gâché, répondit-elle, incapable de maintenir l’illusion sans rien dire, de laisser Chad s’en tirer aux yeux de sa cousine sans lui dévoiler le vrai visage de cet ex-mari qui s’était montré si cruel et injuste avec elle. A partir du moment où il a insinué que je faisais partie du problème, que j’étais une des raisons de son mensonge, il a tout ruiné. Il m’a fait passer pour le monstre, de nous deux. Comme si j’avais été une tortionnaire pendant dix ans alors que c’est lui qui n’a jamais eu le courage de dire la vérité.” Chad l’avait mise dans le même panier que le reste de ce “monde” auquel il avait voulu plaire en se prétendant hétérosexuel, et si les convictions de Kelly à ce sujet condamnaient en effet sa réelle orientation, elle ne lui avait pas mis de couteau sous la gorge pour qu’il l’épouse. Elle ne savait rien, ne voyait rien. Elle aspirait seulement au bonheur, et c’était lui, dès les premiers instants, qui avait fait le choix de prétendre être ce qu’il n’était pas.
« Je ne peux pas savoir ce que ça fait... quoi que je suis sûre que certaines de mes relations se sont terminées pour la même raison. Mais rien n'est perdu, Kelly, tu as la vie devant toi. Au moins, les probabilités que cette situation se reproduise sont extrêmement faible. » Elle en rit faiblement en terminant son verre. Elle avait plus de trente-cinq ans. A cet âge là, comme on dit, tous les meilleurs sont pris. Etait-elle supposée attendre la vague des divorces afin de se contenter des miettes d’une autre ? Etait-ce tout ce à quoi elle pouvait aspirer désormais ? Elle était dépitée, découragée. Peut-être valait-il mieux qu’elle reste seule, sa propre compagnie ne pouvait pas être si terrible que ça, si ? « En tout cas... tu sais que je suis là pour toi, à n'importe quel moment. Si tu as besoin de parler. » Lee remercia tacitement sa cousine avec un fin sourire. Son verre était bien trop vide. “Je n’aime pas vraiment m’étaler à ce sujet, en réalité.” confessa-t-elle. Ce n’était pas en évoquant cet échec qu’elle tournerait plus rapidement la page, d’après elle. Par ailleurs, ce n’était pas pour que Kelly monopolise tout l’oxygène avec ses problèmes qu’elles étaient venues ici ce soir. “Anyway, si j’ai un seul conseil à te donner, c’est : prend un chien. Lui, au moins, il ne te laissera jamais tomber, et il t’adorera pour au moins douze ans.” C’était le cas de Tobey, fidèle compagnon qui savait toujours quand et comment la faire rire. Il était vieux mais vivace. Il allait sur ses toutes dernières années, elle le savait. Ce serait un autre chapitre à clore, mais à chaque jour suffisait sa peine.