J'y ai presque pas cru en vrai, qu'il allait gagner. À voir à quel point il hésitait le gars, comment il était à deux doigts d'avoir des sueurs froides qui lui coulaient sur la nuque le pauvre.

Sa jambe qui s'agite sous la table et les miennes qui se balancent en rythme, mes prunelles l'ont détaillé à outrance pendant toute sa partie quand ma silhouette est restée sagement perchée sur l'un des sièges accoudés au bar, parfaitement dans l'angle pour surveiller la joute de poker qui se trame à quelques mètres à peine. Il mise et il angoisse, il a les prunelles qui le trahissent une fois une seule, mais il se reprend au dernier moment. Il souffle et personne le remarque, personne sauf moi. Il a l'air de celui à qui tout réussit et pourtant il flippe je le sens, il ravale et il cale son whisky à ses lèvres, alors que je mime le geste, cale mon verre de scotch aux miennes. Et il gagne, là, il célèbre et il sourit et il s'éclate vraiment, y'était temps.

« Félicitations. » j'ai pas totalement pris le temps de calculer la somme entière qu'il vient de rafler, mais j'en vois les jetons s'accumuler devant lui. Le croupier se charge de compter les billets quand je passe du tabouret sur lequel j'avais prévu rester une bonne partie de la soirée à la table de poker, là où je finis par m'installer en tailleur face à lui, les yeux qui le lâchent pas, l'intérêt avec. S'il avait prévu continuer à jouer et miser à nouveau c'est loupé, maintenant que ses gains sont comptés dans l'angle et que je constate d'un coup d'oeil à peine voilé le fric qu'il agite bien haut en offrant la prochaine tournée. La serveuse s'arrête à notre hauteur, il commande moi pareil, et à la seconde où on est seuls à nouveau, mes coudes viennent s'ancrer dans mes cuisses, mon regard capte le sien au vol.

« T'as prévu faire quoi pour célébrer ta victoire? » les autres m'intéressent pas parce qu'ils ont perdu, les autres m'intéressent pas et je leur tourne le dos de la plus effrontée des façons.

< Humm... tu pourrais m'aider à la célébrer dignement ? ... > oh, please. Et je le retiens, le rire de glisser sur mes lèvres carmin, bien trop occupée soit dit en passant.

Ses doigts s'égarent, ils jouent et lui avec, quand il s'empare des divers billets, les compile en même temps que moi. Le silence est d'or mais il continue de scruter la seconde d'après. Soit. « Ça dépend. » de l'index, je tâte son verre qu'il a reposé sur la table entre temps. Tout autour, ça jacasse, ça jubile, ça gagne, ça perd. Et lui il blufferait presque, avec ses avances de type qui se croit tout permis, et mes paupières qui battent la cadence comme si c'était acquis.

« Y'a pour combien, là? » le fond de ma pensée que je dévoile au compte-goutte, étirant une jambe pour enrouler mon pied autour de la patte de sa chaise, le rapprochant d'à peine une poignée de centimètres le temps que ma main se faufile à l'intérieur de sa veste, remonte jusqu'à la poche secrète où il a sagement rangé sa liasse une vie plus tôt. Mes prunelles n'ont pas quitté les siennes le temps que prend ma paume à trouver les billets, qu'elle caresse le tout du bout des doigts avant de laisser un énième sourire en coin, moqueur au possible, venir se dessiner sur mes lèvres. « Attends, je compte pour toi. »

La seconde d'après c'est l'élan de bonne volonté doublé d'égoïsme qui se charge du reste quand je ramène l'argent entre mes mains, que je le lui dérobe avec l'air d'un ange. Bien sûr que j'ai aucune malice, vous me prenez pour qui. Les billets qui se suivent et se ressemblent, les additions que je cumule dans ma tête, chantant d'un murmure la trame musicale qui emplit le bar au passage. Il ne retrouvera son dû que lorsque j'aurai fini d'imaginer ce que moi, je ferai avec, pour célébrer.

Je sais qu'elle est là elle me l'a dit. On s'est revu quelques fois avec Ariane depuis quelques semaines. Je sais pas pourquoi on fait ça, certainement parce qu'elle est seule et que moi aussi. Elle joue au poker ce soir, et on va certainement pouvoir plumer un paquet de personne pendant toute la soirée. On a toujours fait une bonne équipe tous les deux, et je le dirai pas à voix haute mais je suis content de la retrouver de temps en temps. Personne dans les parages pour nous dire quoi faire, on peut juste faire des conneries, s'enfoncer toujours un peu plus loin ensemble. C'est toujours ça qu'on fait quand on est ensemble de toute manière.

Je suis en retard, parce qu'elle m'a donné une heure et que donc j'ai décidé que j'arriverai une demi-heure en retard. Je la vois sa chevelure rousse entre les table. Et elle est proche d'un mec que je déteste déjà rien qu'à voir ses yeux qui pétillent en regardant Ariane. Et je jubile de l'autre côté parce que je sais qu'il n'a aucune chance, elle ne lui tourne autour que pour son argent et les choses utiles qu'il pourrait lui apporter. Mais est ce qu'un gamin pareil a réellement quelque chose à lui apporter ? Je reste un peu en retrait, je l'observe, elle n'a pas vraiment besoin de moi à ce que je vois mais je la surveille quand même. Mais mes pieds sont plus rapides que mon cerveau et je suis déjà en train de marcher vers elle. Je me retrouve devant elle, et mes yeux ne quittent pas les siens. Comment on la joue Ariane ? Qu'est ce qu'on fait ce soir ? Comment on s'amuse ? Alors je fais comme si je ne venais pas pour elle, comme si je ne venais que pour le jeu. « Y'a encore de la place à cette table ? » Je m'adresse autant à elle qu'à l'inconnu. Je passe derrière le mec et lance un clin d’œil et un sourire à la rousse. Elle a peut-être choisi une bonne proie, il a déjà l'air sous le charme. Mais si il essaie d'aller trop loin mon poing risque de malencontreusement faire la rencontre de son nez ou son arcade sourcilière. Ou les deux, ça saignera beaucoup dans les deux cas.

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< Hey ! > oh mais oui, réagis mille ans après mon gars, ça rend ça encore moins fun pour la peine. Et je pouffe, bien sûr que je pouffe de rire, de voir comment il se débat presque comme si ça allait pas lui donner l'air d'un gamin à qui on a volé sa surprise au matin de Noël. S'il y tenait tant que ça à son fric, il l'aurait pas agité sous les yeux de qui que ce soit, sauf si c'est un complet idiot qui capte pas comment le monde est monde. J'ose pas lui prêter des intentions aussi stupides si tôt dans la conversation, s'rait pas poli. < J'ai toute la soirée > « Ça sonne presque comme une invitation. »

Et c'était presque dans la poche, la mienne pas la sienne, si Jet avait pas décidé de faire son entrée en grand. Il se la joue roi de Brisbane quand je fais que rouler des yeux et battre des paupières de son statut de duc ou de vicomte, un ou l'autre, à tracer au même rythme que lui la ligne entre le jeu et entre le réel. « Y'a encore de la place à cette table ? » l'une de mes jambes passe par-dessus la tête du pauvre type à la liasse confisquée, mon pied pousse le dernière chaise restante vers un Etish quand mon sourire n'en finit plus de grandir. « Fais gaffe, c'est la dernière on commence à être serrés. » mes mots qui flottent vers le musicien, ma silhouette elle qui saute de la table le temps de m'installer sur les cuisses de la proie de ce soir. Jet va rager, Jet va hurler, Jet va cogner - mais pas tout de suite, pas avant qu'on ait gagné. « Mords pas. » j'ai même soufflé à son oreille l'avertissement, la voix chantante, me penchant à son intention et qu'à la sienne avant de revenir porter mon attention sur le gros poisson que personnifie Ash.  

« Tout le monde mise? » tout le monde mise, oui, et je ne me faire pas prier de pousser les pions d'Ash en plein milieu de la table, mes prunelles qui dérivent vers la main de Jet à voir s'il mise aussi.

Je m’avance, bien sûr que je m’avance quand je vois qu’Ariane a trouvé le pigeon parfait pour la soirée. Elle aurait pu lui voler tout ce qu’il avait sur lui quand lui se serait accroché à ses yeux jusqu’à la fin de la partie. Il ne sait sûrement pas jouer au poker correctement. Mais elle le colle Ariane et ça ça m’énerve quand je sais déjà que c’est le genre de mec qui va vouloir poser ses mains partout sur elle. Donc je m’avance, je m’assois et j’ai juste envie d’arracher leurs deux têtes quand elle saute sur ses genoux. Tu sais pas dans quoi tu t’embarques gamin.

Il me dit de m’asseoir comme si j‘avais une seconde émis l’hypothèse qu’il avait son accord ou un putain d’avis à donner. Si y’avait plus eu de chaise c’est la sienne que j’aurais prise et il me l’aurait donné sans broncher. Je serre les dents quand elle me dit de ne pas mordre. Oh non. Je ne compte pas mordre. Les morsures ça laisse pas assez de traces. “Quand j’aurais plumé tout le monde y’aura des chaises libres.” Et je jette un regard noir au type que je connais pas avant de planter mes yeux dans ceux d’Ariane parce que je sais qu’elle cherche à m’énerver et elle sait toujours comment y arriver en moins d’une minute.

Je hoche la tête, bien sûr que je mise. J’ai toujours été meilleur qu’Ariane au poker et je suis certainement bien plus doué que le gamin perdu qui tient encore Ariane sur ses genoux. “J’ai déjà ce qu’il faut.” Et je sors une bière qui était dans la poche de ma veste. Quand j’en ai une autre qui y traine parce que les serveurs sont cons et que j’ai réussi à en voler derrière le bar. Dommage Ariane t’as choisi les mauvais genoux. “Alors prêt à perdre ?” J’aurais pu rajouter gamin. Mais je ne cherche pas encore à le faire sortir de ses gonds. J’ai tout son argent à prendre alors que la partie commence et que mes pions sont au centre de la table. “Et elle joue pas la petite rousse ?” Mon sourcil se hausse. Personne ne sait qu’on se connait, et, si elle veut continuer de jouer avec le brun qui est collé à ses basques elle ne peut pas s’énerver tout de suite. Elle s’énervera ce soir, quand on sera tous les deux, quand ce sera bien plus amusant.

< Ok je propose une blinde à cinquante > il gonfle le torse le gars, bombe le tout comme s'il était un roi entrant dans son domaine et ça me prend tout, mais alors tout pour ne pas rouler des yeux, pour ravaler mon rire et mes soupirs au passage. S'il gagne gros pour strictement jouer dans la cours de récré, s'il préfère rester dans son bac à sable plutôt que de rejoindre les adultes, c'est son problème à lui et désormais le mien parce qu'il est le poulain que j'ai malheureusement ciblé pour la soirée.

Avant que Jet ne fasse son entrée. < Tu veux boire quelque chose ? > “J’ai déjà ce qu’il faut.” là, par contre, je retiens rien, ni le soupir sonore et exagéré, ni ma main qui attrape le verre qu'Ash s'est commandé pour en prendre une longue et dévouée gorgée, mes prunelles braquées dans celles d'Etish. Il se la joue avec sa bière camouflée qu'il exhibe aux yeux de tout le monde comme s'il était un vrai truand, en voilà un autre qui se surestime maintenant.

“Alors prêt à perdre ?”
« Arrête de parler et joue. »

Ça pique de testostérone et c'est lassant, quand j'entends les cartes être brassées, que je me décale pour assister au mélange et à la passe le plus sérieusement du monde. Certains sont attentifs, pour vrai. “Et elle joue pas la petite rousse ?” « La petite rousse attend que t'aies tout perdu comme un idiot pour te montrer comment les vrais gagnent à ce jeu. » je réponds du tac au tac, même pas je le regarde Jet, même pas je lui accorde la moindre attention. On se connaît pas là, qu'il bousille rien le gars ou sinon je me ferai un plaisir de le lui rappeler à coup de claques derrière la tête et de coups de poing sur le nez.

La partie roule et les autres misent, tout le monde tourne et mes yeux suivent, comptent, additionnent, avisent. J'ai la stratégie en tête et je teste tout, je régis tout et anticipe encore plus quand ils en viennent à une manche encore plus corsée. « Que cinquante? » que je m'entends roucouler à l'oreille de Ash, sa mise de départ que je rêve de le voir augmenter, et les jetons qu'il pourrait si facilement multiplier sans broncher.

Blablabla elle m’énerve. Mais je la connais pas ce soir, pas pour le moment en tout cas. Et ce mec est si con qu’il y croit certainement. Il a une tête d’enfant, à quel moment il peut bien être crédible autour d’une table de poker ? “Oh il est trop jeune il a pas encore appris à parler peut-être ?” Mes yeux évitent ceux d’Ariane et fixe ceux de l’inconnu sur lequel elle est assise. Il réagit à ce que dit la rousse, mais il ne parle toujours pas. Quelle gamin, vraiment Ari aurait pu trouver une meilleure proie pour la soirée, il commence vraiment à m’énerver celui là. “Oh pardon je croyais juste que tu jouais les potiche qui cherchent les mecs riches autour des tables de poker.” Et là mes yeux se recalent dans ceux de la rousse. Elle m’amuse, on joue, moi je joue en tout cas.

Il mise, je suis, parce que j’ai de bonnes cartes. J’ai toujours de bonnes cartes quand je joue au poker. Je l’entends, il n’a pas confiance et il a raison. Mais si seulement il pouvait savoir que la plus dangereuse de toutes les personnes autour de cette table c’est la rousse qui a pris place sur ses genoux. Je lève les yeux au ciel et je calcule, je réfléchis à combien j’ai sur moi. Et tout va bien se passer pour moi, je ne perdrai pas face à lui. Le seul scénario possible c’est moi qui gagne, et lui qui n’a plus un sous à la fin de la soirée. Et Ariane qui râlera sûrement parce que j’ai pas misé assez ou que j’ai trop misé. Elle est jamais contente de toute façon. Et puis, si elle voulait gérer, elle aurait pas dû se caler sur deux genoux qu’elle ne connait pas. “Merci j’avais pas remarqué.” Mes yeux lancent des éclairs, il croit que je connais pas comment fonctionne une table ou quoi ? Et j’ai bien assez vendu de sachets ce soir pour suivre. “Je suis.” Et peut-être que je finirai par aller au tapis, juste pour montrer à cet enfant que la prochaine fois il devrait faire attention avant d’essayer de poser un pied dans la cours des grands.

La scène est facile à suivre de l'extérieur, mais elle est encore plus fun à connaître de l'intérieur. Jet rage comme un gamin jaloux, Ash jubile comme un gamin aveugle. Et moi j'oscille entre les deux, mes prunelles qui ne lâchent pas les jetons qui se cumulent, les cartes qui sortent. Ce soir je joue pas, je manipule. < Ouais, je le sent pas ce mec. > « Avoue il pue jusqu'ici. » pauvre Etish qui va râler, pauvre Etish qui va souffler. Qu'il roule pas trop des yeux, il finirait presque par m'arracher une larme de pitié le chaton.

“Oh pardon je croyais juste que tu jouais les potiche qui cherchent les mecs riches autour des tables de poker.” il pique, je pique en retour. « Apparemment t'as pas assez le profil pour moi. » le baiser soufflé, piquant, que je lui envoie l'est à la seconde où ma chaise humaine se concentre sur ses cartes à lui, qu'il me laisse gérer les cartes de Jet à distance. L'une glisse vers lui, l'autre glisse dans ma manche, ni vu ni connu.

Et ça pue l'égo. < A toi de jouer > et ça pue l'orgueil. “Merci j’avais pas remarqué.” et la testostérone, et la totale. « Mise. » jusqu'à ce que ça pue l'argent. Mise à Jet, mise à Ash, les gars restent tous deux à jouer à la table pour la prochaine ronde, les autres sont tous couchés au tapis.

« J'ai soif. » que je laisse glisser sur mes lèvres carmin, l'air d'ingénue avec. J'ai bu le verre d'Ash et celui de Jet, l'excuse est à chier mais elle me suffit à me lever, à errer au bar. À attendre les 5 minutes réglementaires pour dévier vers le couloir intimiste des toilettes, voir Etish arriver sur l'entrefaite. « Tu gagnes et tu me piques le reste des 500 balles dans sa veste, j'pars avec toi. » on a à peine le temps de comploter avant que la partie ne recommence, j'ai pas une seconde à perdre à négocier - qu'il me fasse pas supplier.