La cabane n'aura jamais été synonyme de meilleure fuite qu'aujourd'hui. Quand j'ai peine à garder une silhouette droite, quand je m'en voudrai toute ma vie de montrer le moindre signe de faiblesse à qui que ce soit se contentant maintenant de nos dos, alors qu'on file de notre côté sans jamais regarder par une fois par-dessus notre épaule. Les mots de ma soeur qui tournent en boucle de plus en plus vite et de moins en moins fort, eux que j'efface comme tout le reste, eux qui disparaîtront dans la masse de toutes ces fois où j'y ai cru bien trop stupidement pour que ce soit réaliste. Jamais Jill et moi on arrivera à se comprendre. Jamais on arrivera à faire un pas dans la même direction avec un but commun, jamais je ne serai suffisamment forte pour qu'elle n'ait pas l'impulsion de mordre qui que ce soit j'autorise à être dans ma vie sans qu'elle n'ait approuvé au préalable. Elle m'a fait miroiter sa confiance ma soeur, elle m'a promis de me voir comme son égale ; et encore aujourd'hui, elle a prouvé comme maintes fois à quel point je n'étais rien d'autre qu'une gamine fragile qui s'effrite si elle ne sort pas les crocs.

Et Auden. Auden à qui je m'en veux de m'accrocher si fort. Auden à qui j'ai volé sa liberté par les mots horribles de ma soeur, Auden qui se retrouve avec le poids du monde à porter sur ses épaules par ma faute, lâche gamine qu'on lui a lancée à la gorge comme une cargaison de malheurs et de démons qu'on doit toujours surveiller, qu'on doit toujours guider sans qu'elle n'arrive à le faire elle-même, sans qu'on lui laisse la chance de le faire. Il n'a pas à supporter ça et pourtant il le fait dans tous les sens du terme, quand son bras se love autour de moi pour m'empêcher de tituber, quand ma tête se pose égoïstement sur son torse au fil de nos pas maintenant que je me déteste, que je m'horripile de le faire. Il n'a pas à endurer, il n'a pas à être un choix obligé, il n'a pas à être relégué au plan ingrat où ma soeur lui délègue ma cause perdue, il n'a pas à rester non plus.

La porte qu'il verrouille derrière nous, mes paupières qui se ferment brutalement alors que j'inspire au plus fort, que je souffle tout autant. Elle est toute à toi, Auden. Merci, merci Jill, vraiment. Merci pour la pression sur mes épaules, merci pour la sentence comme énième épée de Damocles, merci pour ma cage thoracique qui se contracte, merci pour m'avoir ouvert une bonne fois pour toutes les yeux aussi. Plus jamais je ne ferai confiance au point de m'ouvrir sur tout un pan de ma vie que j'avais très bien su garder secret depuis presque 15 ans. Plus jamais je ne partagerai le moindre détail de ce nous qui en chambranle aujourd'hui avec qui que ce soit, plus jamais je n'en aurai l'envie ni même la force de toute façon.

Ce nous qui vole en éclats sans qu'on y a fait quoi que ce soit. Ses bras se lovent autour de mes hanches et ses lèvres se posent sur mon front, et j'en tremblerais presque, s'il ne me gardait pas si serrée, si proche de lui que je n'ai aucune latitude pour le faire. « En d’autres circonstances, ça aurait été l’excuse parfaite pour ne manger que des desserts ce soir. » elle est horrible, la culpabilité naissante qui m'avait presque fait bafouer ma promesse et parler à ma soeur avant la marque des trois mois. Il est nocif, le remord d'avoir voulu lui partager le secret de la vie qu'on a créée, celle qui s'est nichée dans mon ventre maintenant qu'on a véritablement le droit de s'aimer. Elle est horrible, la sensation d'avoir été trahie sans même l'avoir vu venir, de me sentir trahie par moi-même de lui avoir laissé tant de place dans ma vie sans jamais redouter qu'on retrouve nos retranchements à la moindre faiblesse de ma part, à la moindre cassure.

Ma tête se dégage de lui et cherche ses yeux, mes prunelles refusent de lui cacher quoi que ce soit quand mes mots peinent à affirmer ce qui reste bloqué, ce qui brûle ma gorge, ce qui bouille trop fort. Elle est allée trop loin, elle est allée trop fort, elle s'est immiscée entre nous et je ne me pardonnerai jamais de le réaliser, mais c'est ma faute et seulement la mienne. Je voudrais lui dire de partir à Auden, je voudrais lui dire de me laisser seule, de ne pas faire tout ça, de ne pas s'en sentir l'obligation. Je voudrais lui dire que je gère alors que justement, je gère rien du tout. Je gère pas mon regard fuyant, je gère pas mes mains qui s'accrochent à son t-shirt, je gère pas mes silences lourds de sens, et je gèrerais encore moins de lui mentir, alors que même pour ça, je n'en ai pas la force.

« Elle a tout gâché - et je l'ai laissée faire. » j'aimerais compenser la liberté que Jill lui a prise en la lui rendant mais à la place, je compense l'impression de l'étouffer quand mes bras font tout l'inverse, le rapprochant de moi bien plus lâchement que je ne l'assumerai jamais.

Sa tête se relève pour chercher mes yeux et la mienne s’abaisse pour trouver les siens, mon front venant finalement se poser contre le sien. Mes mains se refusent encore et toujours à la laisser partir, choix que je ne le la laisse absolument pas prendre alors que j’aimerais en être capable. Si une de mes mains se déloge de derrière son dos c’est seulement pour venir entourer les doigts qu’elle s’obstine à garder accrochés à mon t-shirt, ceux là même que je vois hésiter entre me pousser ou me serrer contre elle. Je tranche pour elle et dépose sa main dans mon dos, ramenant désormais mes doigts le long de sa mâchoire pour l’intimer à relever les yeux. C’est moi, c’est juste moi. On a travaillé là dessus une décennie durant et je ne laisserai pas sa soeur tout réduire à néant en quelques minutes à peine. Elle a grandi, elle a changé, elle est plus forte et plus heureuse que jamais et rien n’y personne n’a le droit de lui enlever ça. Mes doigts remontent désormais entre sa nuque et son cou, chaque geste étant aussi lent que calculé comme l’est le baiser empli de sens que je laisse se poser sur sa joue.

« Elle a tout gâché - et je l'ai laissée faire. » « Tu n'as rien à te reprocher. »

Et si je la revois je la tue, aussi, ce qui réglera bien des problèmes de bien des sortes. Enceinte ou pas, cela ne jettera aucune ombre sur la morale que je n’ai pas. A la simple évocation de sa soeur ma mâchoire se crispe de nouveau mais je fais au mieux pour ne pas souffler ni même crisper aucun de mes doigts, pour le moment trop occupés à caresser doucement ses joues dans l’espoir de la rassurer. Le processus est toujours aussi lent que douloureux, je compte au moins sur les quatre murs qui nous entourent pour l’apaiser bien mieux que je n’en serai jamais capable. « On savait déjà ce qu’elle en pensait, ça ne nous a jamais empêché de vivre. » C’est tout sauf une excuse, c’est tout sauf moi prenant la défense de Jillian alors que je rêve de voir sa tête accrochée au bout d’un pique. C’est tout sauf ce que ça semble être, à vrai dire, quand ma seule et unique priorité reste de rassurer Ginny alors que vraisemblablement sa famille n’en a jamais été capable. « Ça ne change rien aujourd’hui non plus. » On a jamais eu besoin de personne pour vivre alors qu’au contraire on a toujours eu besoin de n’être que nous deux pour se donner le droit d’exister. On avance, on apprend, on s’adapte. Ensemble.

« Tu n'as rien à te reprocher. » c'est là qu'il a tort. C'est là où il a tout faux Auden, et qu'il ait plongé son regard dans le mien ne suffit pas, qu'il ait décalé mes doigts de son torse à son dos n'aide pas, qu'il caresse avec toute la douceur du monde mes joues ne rend le tout que plus douloureux encore. C'est lui qui défend encore et toujours mes dizaines de milliers d'erreurs, c'est lui qui les dédouane en y croyant si fort que je m'en veux, que je me déteste de ne pas y croire autant que lui. J'ai tout à me reprocher et il devrait bien le voir, il devrait bien le savoir aussi. Je m'étais promis de ne pas faire confiance au point où les barrières seraient essentielles et vitales avec qui que ce soit d'autre que lui, je m'étais promis de garder tout ça à moi et rien qu'à moi, d'être égoïste pour la première fois de ma vie d'un bonheur qui n'avait rien à voir avec tout ce que j'avais bien osé m'autoriser au fil des années. Et c'est ça, qui me ronge, c'est d'avoir été naïve au point de croire que ce qui se passe entre lui et moi, ce qu'on s'autorise enfin, pouvait s'articuler, pouvait se partager, pouvait se confier à quelqu'un. Que nos secrets pouvaient être ceux de quelqu'un d'autre, ceux d'une autre. J'ai passé ma vie à tout cacher et pas que ce qui nous concerne, j'ai passé ma vie à tout ravaler, à tout garder pour moi ; j'ai été stupidement aveugle d'avoir fait confiance une seule et unique fois de trop, j'en ramasse à peine les éclats.

« On savait déjà ce qu’elle en pensait, ça ne nous a jamais empêché de vivre. » « Ça nous en a empêché pendant 14 ans. » et si j'avais pu retourner en arrière je l'aurais fait et il le sait, même si désormais ça ne change plus rien. Si j'avais pu remonter le chrono et leur tourner le dos à toutes les fois où c'étaient eux que j'avais choisi plutôt que lui, ou pire plutôt que moi, je l'aurais fait. Si j'avais pu, aujourd'hui, effacer toutes les décisions que j'avais assumées du bout d'un coeur bousillé pour une famille qui avait toujours fini par se choisir eux à ma place sans jamais me laisser la latitude d'avancer par moi-même, je ne serais pas lovée contre lui, non, je serais à les refuser pour revenir une ultime et dernière fois me blottir dans ses bras. « Ça ne change rien aujourd’hui non plus. » mes lèvres se serrent et ma silhouette se braque, s'il avait la mâchoire tendue une seconde plus tôt, c'est mon corps en entier qu'il l'est maintenant.

« Ça change tout Auden. » ma voix ne se casse même pas. Mes mots n'hésitent même plus à sortir, j'y associe leur facilité avec l'évidence qui fait tellement mal que je n'arrive pas à la garder que pour moi, que je n'y arriverai tout simplement pas. L'une de mes mains a rejoint celle qu'il a laissée errer sur ma joue, mes doigts s'enlacent aux siens de la plus suffocante des façons j'ai l'impression. « C'était la pire chose qu'elle pouvait dire. » c'était la pire malédiction qu'elle pouvait nous lancer. Jamais je ne pourrai concevoir qu'elle ait véritablement fait exprès, pourtant, pendant une fraction de seconde, j'en doute. « T'as pas à t'occuper de moi maintenant qu'elle a lâché prise. T'as pas à me gérer comme si j'étais plus son fardeau à elle et que maintenant j'étais devenu le tien. C'est pas comme ça que ça fonctionne. » mais c'est comme ça qu'elle l'a dépeint, et c'est ce qui me rattrape de plein fouet, quand mes doigts le lâchent, quand ma tête se détourne. Un fardeau, encore un. Elle a tout gâché - et je l'ai laissée faire.

Tout est supposé bien aller quand on est dans cet endroit et qu’on n’y est que tous les deux. « Ça nous en a empêché pendant 14 ans. » J’ai le sentiment de la perdre. J’ai la sensation qu’elle m’échappe, qu’elle est de l’eau se faufilant entre mes doigts puisque je n’arrive pas à la contrôler. Je ne veux pas la contrôler, je ne veux pas l’enfermer, je n’ai jamais rien voulu de tout cela et rien ne commencera aujourd’hui. Rien ne se terminera aujourd’hui non plus, pas quand j’écoute mes envies avant les siennes et que je la serre un peu plus fort contre moi, mes bras autour de ses épaules et mes mains à l’arrière de son crâne. La dernière fois que j’avais cette sensation je l’ai réellement perdue et j’apprends, je jure que j’apprends de mes erreurs. Cette-fois ci je ne la laisserai pas partir, même si elle me le demande, même si elle le supplie. « Ça change tout Auden. » Non ça ne change rien Ginny, ça ne change absolument rien, plus personne ne change quoi que ce soit pour nous désormais. On ne les laisse plus faire. Jamais pourtant je ne pourrai en vouloir autant à elle que je continuerai d’en vouloir à sa soeur toute ma vie durant. « C'était la pire chose qu'elle pouvait dire. » Elle ne fait que dire des choses horribles les unes à la suite des autres, encore et encore. Elle ne sait faire que ça, elle ne sait évoluer que comme ça. Pourquoi est ce que ça continue d’étonner qui que ce soit ?

« T'as pas à t'occuper de moi maintenant qu'elle a lâché prise. T'as pas à me gérer comme si j'étais plus son fardeau à elle et que maintenant j'étais devenu le tien. C'est pas comme ça que ça fonctionne. » Alors c’est ça le problème, finalement. Je rigole le temps d’un souffle, par nervosité ou ironie je ne sais pas, le fait est que mes doigts acceptent enfin de se décontracter et mes ongles cessent de s’enfoncer dans ma peau. Si je lui laisse quelques centimètres de marge c’est désormais pour pouvoir la regarder dans les yeux durant un temps. Mon sourire n’a rien de celui qu’elle déteste, là, et il a tout de celui que j’offrirai à notre enfant un jour. « T'as vraiment peur que je devienne soudainement obéissant ? A ta soeur qui plus est ? » Je retourne le problème et lui fais voir le seul angle que je vois, moi, alors qu’elle connaît mon esprit de contradiction bien mieux que personne. Elle sait mieux que quiconque que je n’écoute pas même les conseils que je note moi même sur mes cahiers pour finalement refaire les mêmes erreurs encore et encore. Elle sait mieux que quiconque à quel point je déteste sa soeur, aussi, et à quel point je serai incapable de suivre le moindre de ses conseils et encore moins ses ordres. « Personne ne s’occupe de toi. Surtout pas moi. » Je reste derrière pour récupérer les morceaux et les recoller lorsque c’est nécessaire mais en aucun cas je ne suis devant à la prévenir du moindre obstacle ou de toutes les erreurs qu’elle s’apprête à commettre. Justement, elle essaye, elle échoue, elle recommence, elle s’acharne et finalement elle y arrive. Seule, toujours seule. « T’as fait une erreur et tu ne recommenceras pas. C’est comme ça que ça fonctionne. » Je pourrais entamer un réquisitoire contre sa soeur que ce ne serait pour autant pas juste de la tirailler entre nous deux. Je pourrais lui dire je te l’avais bien dit que cela ne ferait qu’empirer la situation. « Je t’aime. Ça aussi, ça change tout. »

Tout est supposé bien aller quand on est dans cet endroit et qu’on n’y est que tous les deux.

Alors pourquoi est-ce que je les sens qui remontent les larmes, alors qu'il me serre un peu plus fort, qu'il me rapproche et que je veux autant rester que partir? « T'as vraiment peur que je devienne soudainement obéissant ? A ta soeur qui plus est ? » il est las, mon rire, mais il est là, quand il fait écho au sien et que je dégage une main pour venir essuyer ma joue du revers de la paume. J'attrape son coup d'oeil comme il se perd dans le mien, et c'est idiot mais elle se fie à sa respiration, la mienne, ma poitrine n'étant plus autant compressée contre son torse. Tout ça pour finir par la comprendre, l'ironie de la chose. Je l'entends et le vois à sa façon à lui, et même s'ils sont encore bien là les mots de ma soeur, qu'ils m'ont marquée au fer rouge et qu'ils brûlent et qu'ils démangent, ceux d'Auden servent de baume. Il reprend avec un calme que je ne lui connais habituellement qu'en situation pré-plan douteux, quand il tente de rassurer l'assemblée avant de faire des ravages. Pourtant là juste là, il fait tout l'inverse, il reconstruit au lieu de détruire, et il le fait aussi lentement que possible, aussi doucement qu'il en est capable, me laissant le droit d'aider à recoller morceau par morceau dès que je m'en sentirai la force. « Personne ne s’occupe de toi. Surtout pas moi. » et je sais, bien sûr que je sais. Bien sûr que c'est évident quand il le dit, bien sûr que ça fait tous les sens du monde quand ses murmures remontent à mon oreille et que je les repasse en mémoire, chacun des pas qu'on a fait ensemble depuis des mois, depuis qu'on se parle comme ça, depuis qu'on a le droit de se retenir l'un à l'autre comme ça. Et même avant ; il me laisse échouer, il m'a toujours laissée avoir la latitude de tomber, il m'a toujours même encouragée à le faire, sachant qu'au final j'allais simplement me relever plus forte qu'avant. Aujourd'hui n'est qu'un exemple parmi tant d'autres - un exemple horrible, mais un exemple tout de même. Une excellente quoi que violente piqure de rappel. « T’as fait une erreur et tu ne recommenceras pas. C’est comme ça que ça fonctionne. » j'ai fait une erreur et je ne recommencerai pas, plus jamais. Ça fait mal, et ça frappe fort, ça blesse de voir que je me suis rabaissée à ça, c'est immonde et horrifiant de constater que j'en suis là, et je ne recommencerai pas, plus jamais.

« Je t’aime. Ça aussi, ça change tout. » oh, Auden.

« Je t’ai jamais dit pourquoi. » j'inspire doucement, me hissant sur la pointe des pieds pour l'embrasser, pour retrouver un souffle normal même si l'ironie reste que mon souffle se perd à la seconde où mes lèvres trouvent les siennes. Je lui ai jamais dit pourquoi je l'aimais autant que ça, je lui ai jamais dit pourquoi j'ai hypothétiquement dit oui y'a des années, pourquoi j'ai dit oui aussi vite à Florence y'a quelques semaines déjà. Je lui ai jamais dit pourquoi c'est lui depuis le début, je lui ai jamais dit parce qu'il ne l'a jamais demandé, et probablement parce que comme tout ce qu'on ne se dit pas, on a pris pour acquis que pour ça aussi, la réponse aurait été je sais.  

Mes talons se reposent au sol, mes mains remontent contre lui, viennent jouer avec les pans du tissu qui couvre ses épaules, viennent frôler sa mâchoire au passage. « Pour ça. Exactement pour ça. » pour ces mots-là, pour ce support-là, pour ces regards-là, pour ses bras qui me lâchent pas. Pour la liberté qu'il me laisse, pour celle qu'il se garde, et pour celle qu'on se construit, ensemble, enfin.  

Tout va bien quand on est dans cet endroit et qu’on n’y est que tous les deux.

Et elle se love contre lui ma tête, elle vient se nicher dans sa nuque alors que mes yeux se perdent par-dessus son épaule, que mon nez se cache dans son t-shirt et y dérobe égoïstement une inspiration qui sent lui et que lui. « Et tu peux, c'est okay. Tu peux le dire, le "je te l'avais dit". » que je murmure ici est tout sauf calculé ou faussement relié à un égo que je n'ai pas. La seule réaction qu'il aura à dire ça ne sera rien d'autre qu'un éclat de rire de plus, un rire soulagé qu'on soit redevenus nous, qu'on ait évité le pire à cause d'elle aussi, parce qu'on est nous justement.

Le nous d'il y a 4 ans qui me nargue, sur le mur auquel Auden fait dos. Ce nous qui avait gravé sa présence sur le bois d'une cabane qu'on avait investie jadis avec beaucoup plus de désespoir qu'aujourd'hui. Il est nostalgique mais il est gage de mieux, le sourire qui passe sur mes lèvres, quand je pense à notre avant, quand je me complais plus entière que jamais dans notre maintenant.

Un rire, un sourire, ses doigts qui se décontractent dans mon dos. C’est tout ce que j'espérais, c’est tout ce que je voulais. Et petit à petit tout se met en place, tout s’arrange à notre rythme et loin des maux du reste du monde. Je resterai le grand méchant aux yeux de tous et cela m’importe peu, tant qu’elle seule connaît la vérité seule et entière. Elle ne pourra jamais oublier ce que sa soeur lui a dit et ce n’est pas ce que je lui demande, bien au contraire. Je déteste la voir dans cet état là mais si une seule fois suffit à ce qu’elle ne recommence pas la même erreur un nombre infini de fois alors je suis prêt à prendre sur moi et à ravaler ma rage en plus de tout le reste. Si elle n’était pas dans mes bras j’aurais frappé un mur il y a bien longtemps de ça et fait voler en éclat de nombreux objets depuis. Pourtant Ginny est là et moi aussi. On ne bouge plus.

« Je t’ai jamais dit pourquoi. » On a jamais eu besoin de pourquoi et on s’est toujours contenté du comment. Ça nous a occupé pendant quatorze ans, de se cacher tantôt l’un de l’autre tantôt du reste du monde, de tantôt se rapprocher et de tantôt se repousser. On s’est occupés à gérer le comment et ça prenait tout notre temps et toute notre énergie mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’on a enfin trouvé notre stabilité. Pourtant mes lèvres s’accrochent aux siennes quand elle se rapproche et je prends enfin une large inspiration sans ne plus rien penser à quoi que ce soit d’autre, pour une seconde au moins. « Pour ça. Exactement pour ça. » Ses mains jouent avec mes épaules, les miennes glissent jusqu’à sa mâchoire pour ne plus en bouger. Ici c’est un chez nous avant l’heure ; on y est bien et surtout on y est en sécurité, quoi qu’il puisse se passer à l’extérieur. Je souris finalement, comprenant ses mots là où le reste du monde n’y verrait qu’une explication incomplète. Ils n’ont jamais su rien voir, de toute façon. « Je sais. » Et un jour elle va m’interdire de prononcer ces deux mots ; ce jour là je lui interdirai de s’expliquer sur des sujets qui ont toujours été naturels pour nous.

Elle se replace au plus près de mon cou, elle pourra en entendre les battements du coeur bien trop rapides pour être normaux et c’est okay. Je lui fais confiance. A elle et à elle seule. Mes mains retrouvent leur place plus bas sur ses hanches sans plus ne la serrer un seul instant, désormais. Elle ne partira pas. « Et tu peux, c'est okay. Tu peux le dire, le "je te l'avais dit". » Le rire que j’ai en est un de soulagement, sans aucun doute. Si elle recommence à rigoler c’est qu’elle va mieux. Elle ne va pas encore bien, pas pour le moment, mais elle va mieux. Mes pouces se glissent sous le hoodie qui est le mien, s'immiscent entre un peu plus loin entre son tee-shirt et sa peau pour venir doucement caresser cette dernière au dessus de l’os de son bassin. Ma main toute entière finit par se poser sur son ventre, envahissante et brûlante sur sa peau à peine froide, là où la vie commence à peine à se créer. J’aurais dû la prévenir à ce propos, j’aurais dû lui dire que j’allais être le futur père le plus lourd de l’univers qui allait poser ma main sur son ventre à chaque heure du jour et de la nuit rien que parce que ça signifie quelque chose maintenant. « C’est nul maintenant t’as gâché l’effet de surprise. Je le garde pour plus tard. » Mes lèvres se posent ultimement sur sa tempe, promesse silencieuse que je ne la laisserai plus jamais refaire la même erreur, peu importe à quel point elle pensera que son aînée a changée.

« Je sais. » il sait, je sais qu'il sait, mais je voulais le dire. Il sait mais je voulais qu'il l'entende encore, je voulais le répéter et je le répéterai autant de fois qu'il le faudra, que je sois dans ses bras ou pas. On a passé tellement d'années à ne pas le dire, on a fait passer tellement de silences à la place des mots qui auraient vraiment pu tout sauver, tout ralentir, tout aider, tout réparer plutôt que de tout anéantir. Je ne les tairai plus, ceux qui veulent sortir, surtout pas quand ils le veulent désespérément. Maintenant que j'ai le droit, je ne resterai plus muette face à tout ça.

Son coeur bat tellement vite que mes lèvres se posent instinctivement sur sa nuque, là où je sens l'écho des palpitations qui résonnent à travers sa peau. C'est con et ça ne changera rien et c'est ma faute tout ça. C'est juste ma faute à moi, mais je me dis que si j'égare un baiser et dix autres sur sa peau, à un moment il se calmera, à un moment tout se calmera. Je me calme moi, et ses mains pareil, celles que je sens se relâcher, se replacer un peu plus délicatement contre mes hanches. Il a des doigts qui se perdent sous mes vêtements, ces mêmes doigts qui dessinent des lignes imaginaires sur mon ventre qui lui s'occupe à abriter la vie qu'on a créée parce qu'on avait enfin le droit de s'aimer. Il riait il y a une seconde à peine Auden, et maintenant, il sourit, et je jure que j'arrive à sourire plus facilement moi aussi. « C’est nul maintenant t’as gâché l’effet de surprise. Je le garde pour plus tard. » « Même pas désolée. » sa chaleur se niche sur ma tempe, mes paupières se ferment avec bien plus de douceur que tout le reste, quand on retrouve nos marques. Ces mêmes marques qui nous ont sauvés des tas de fois déjà, et qui refont le même schéma aujourd'hui sans que ça n'étonne qui que ce soit. On a appris à tomber aussi bien qu'à se relever, et peu importe à quel point la chute fait mal, il y aura toujours l'assurance que l'un et l'autre seront là pour aider à recoller les morceaux autant qu'on les recollera ensemble. Pas parce qu'il s'en sent obligé, pas parce qu'il a troqué sa liberté, mais parce qu'il veut être là, parce qu'il veut autant que moi tout recoller. Parce que ça vaut la peine, parce que ça l'a toujours valu, et aujourd'hui encore plus que jamais.

« Est-ce qu'on peut dormir ici, ce soir? » ma voix finit par reprendre sa place dans le silence confortable à travers lequel on évoluait, depuis de longues minutes déjà. Sa silhouette s'est calée sur le canapé d'une autre époque. La mienne s'est blottie contre son flanc de la plus naturelle des façons après un bref tour rapide passé à entrouvrir la fenêtre, à allumer les quelques lampes de bric à brac qui jonchent encore le sol. Tout ira mieux demain, et c'est bien loin d'être de la lâcheté que de ne pas vouloir quitter un des endroits où on s'est enfin sentis nous-même, où on a enfin eu le droit de l'être, y'a une vie de ça. Je prends tout ce que je peux pour nous reconstruire, parce que c'est pas qu'à lui de le faire, j'ai promis.