Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
Les beaux-arts, Paris. Je me rappelai encore de ma scolarité là-bas. De mon jeune âge lorsque j’ai quitté Berlin pour m’expatrier en France. De l’acclimatation, de la barrière de la langue. Et de lui. Étudiant comme moi, du même blond que mes cheveux, il m’a souri. J’étais à l’époque si candide, si naïve. Je pense que d’une manière, je le suis encore. J’étais si jeune. Ma mère avait-elle le même âge que moi lors de sa grossesse ? Pierre semblait différent. Et pourtant, il s’avéra être exactement comme les autres. Un connard.
Assise sur le canapé, une tasse de café fumante posée sur la table basse devant moi, je tentai de démêler les cheveux de ma fille. Lisa avait la même chevelure que son père. Une nuance plus claire que la mienne et beaucoup plus fins. Les miens partaient dans tous les sens depuis que je les avais coupés. Ma couleur n’était pas naturelle puisque je suis plus foncée d’ordinaire. Mais j’ai trouvé bon de me les décolorer, il y a sept ans lors d’une soirée trop arrosée. Et je n’ai jamais pu réussir à retrouver ma couleur naturelle. « Tu peux me faire une couronne tressée, EvE ? » Je grimace. Cette manie qu’ont mes enfants de me surnommer ainsi. J’ai dû voir le film d’animation une bonne dizaine de fois, étant le préféré de mon aîné et je ne suis pas aussi courageuse que le petit robot. « Bien sûr, me contentai-je de répondre. » Mes doigts jouent habilement avec ses boucles pour leur donner la forme attendue. Puis, ma fille se tourne vers moi, me fixant de son visage qui ressemble trait pour trait aux miens. De son père, elle a le caractère et les cheveux. De moi, elle a tout le reste. Bien que je suppose qu’elle sera plus grande que moi d’ici quelques années. « Prends ton sac, nous allons être en retard. » Avalant ma tasse cul sec, je grimace alors que le liquide me brûle la gorge. Puis, je me dirige vers Jacob qui est déjà prêt à aller à la crèche. Sa toux semble s’améliorer et la directrice a bien voulu le reprendre parce qu’il ne fait pas d’histoire. Lui a les yeux de son père, le même prénom mais la comparaison s’arrête là. Je soupire avant d’aviser les deux molosses qui décident de ne pas bouger. Deux gros chiens dans un si petit appartement, mais je n’ai jamais été du genre raisonnable.
Une heure plus tard, je pénètre dans le musée en passant mon badge au portique de sécurité. Puis, je vais dans le vestiaire pour troquer ma robe contre mon habituel salopette recouverte de plâtre et de peinture. La fresque demande un travail minutieux et je dois être pleinement concentrée. Fort heureusement pour moi, l’aile n’est pas encore ouverte au public et je peux donc travailler en toute tranquillité. Un chouchou dans mes cheveux que je redresse en demi-queue et je sors de la pièce pour passer outre les bâches qui recouvrent l’entrée de mon domaine. Tout le monde a déserté depuis peu. Sans doute à cause du virus ou parce que les travaux sont finis. Nous ne sommes pas nombreux en tant que restaurateurs et je peux dire que je suis fière d’environ cinq œuvres qui ornent les murs de ses murs nouvellement bâtis. Cette extension du musée promet. Mais je dois me remettre à l’ouvrage. J’attache donc mon harnais de sécurité -avec ma maladresse, nous ne sommes jamais trop prudents- puis, je passe par-dessus l’échaudage avant de mettre ma station Bluetooth en marche pour coller un peu de musique.
Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé lorsque je me rends compte que je n’ai plus de plâtre. Un bruissement me fait comprendre quelqu’un d’entrer. « Miss Zimmer ? » Je passe la tête par-dessus pour voir que le conservateur me jauge au-dessus de ses lunettes. « Puis-je vous parler ? » Mon cœur commence à s’affoler et j’opine avant de descendre en rappel -sans tomber pour une fois- et lui faire face. « Voilà, il y a un professeur d’université qui va venir voir notre musée. Et je voulais savoir s’il pouvait accéder à la nouvelle aile sans danger ? » Je me pince la lèvre, me remémorant l’incident de la semaine passée. Celui où j’ai fait tomber un carreau sur une peintre. « Bien sûr. De toute façon, je ne le gênerai pas, je serai dans mon perchoir à oiseaux. » Malaise. Je ne suis décidément pas la plus qualifiée pour discuter avec mes supérieurs. Il m’offre un sourire avant de tourner les talons tandis que j’essuie les mains sur mes vêtements et que je me détache. C’est toujours une épreuve que d’aller chercher un sac de plâtre parce que je suis petite, chétive et que c’est affreusement lourd. Tandis que la voix de Survivor nous entonne l’air de Rocky, je m’en vais dans la réserve avec le chariot pour les matériaux manquants. Sauf que je vous l’ai déjà dit que j’étais maladroite ? Je pense. Je me saisis d’un sac qui se renverse sur ma tête et me recouvre de la tête aux pieds. Je viens tousser bruyamment avant de me débarrasser d’un léger surplus pour charger les sacs. Sans me rendre compte que je dois être blanche comme un fantôme, je déboule dans la salle pour regarder mes mains. Merveilleux. Je ne suis pas assez affreuse comme ça, il faut en plus que je sois recouverte de poussière. Sans me soucier d’un éventuel visiteur, j’ôte le haut de ma salopette pour me saisir du sceau et d’un torchon pour essuyer mon visage et le haut de mon décolleté. « Oh c’est pas possible, j’en ai par… » Un bruit me fait relever la tête et j’en perds mes mots.
Ok. Donc, il faut que j’arrête de me mettre dans des positions inconfortables devant de parfaits étrangers. Surtout des mecs… séduisants. Nom de dieu. Un homme me fait face alors que je fais tomber le linge par terre. J’étais en train de m’essuyer entre les seins et je dois faire peur. Alors qu’il est tiré à quatre épingles. Mais qu’est-ce qu’il fiche là ? Je ne mets pas deux secondes à comprendre qu’il s’agit du… « Vous êtes le monsieur de l’université, dis-je avant de secouer la tête. » Ils ne sont pas censés être moches et petits ? Pays de géants. Je viens fixer ma main. « Je vous serrerai bien la main mais j’ai eu un léger incident. Je suis Evelyn Zimmer. Je restaure la fresque. Faites le tour. Je ne vous dérangerai pas. » Sauf le rythme de a-ha et de son Take on me qui casse un peu l’ambiance. Il faut vraiment que je revois l’ordre des priorités. Et surtout que je change de pays. Ou que j’aille me mettre sous un rocher jusqu’en 2042. EvE la malchance pour vous servir.
Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
Les musées et les galeries d’art sont devenus des lieux rassurants pour toi au fil des années. Tu en visites plusieurs par semaine par pur plaisir mais également parce que cela fait parti de ton métier. Tes élèves attendent de toi des recommandations d’expositions, de galeries à visiter pour que leur culture artistique s’agrandisse. Tu mets un point d’honneur à leur donner tout le matériel nécessaire pour cela. Lors de ta dernière visite dans un musée de la ville, tu avais pu discuter avec le responsable des expositions qui t’avait indiqué qu’ils préparaient une magnifique exposition d’art classique dans une aile du musée actuellement fermée aux visiteurs. Etant un habitué des lieux et commençant à connaître une certain nombre d’employés, il t’avait proposé de pouvoir pénétré dans cette aile en avant première en quelques sortes en échange de ton avis sur la manière dont était organisée l’exposition. C’était une offre qui ne se refusait pas et vous conveniez d’un jour et d’une heure pour la semaine suivante. Tu avais veillé à lui proposer une journée où tu n’avais pas de cours et où tu serais totalement libre de tes mouvements. En te levant ce matin, tu avais écouté le dernier message de ta soeur laissé au beau milieu de la nuit pour te rappeler que tu devais l’amener à dîner dans la semaine. Levant les yeux au ciel, tu la rappelais et lui laissais un message lui conseillant de dormir et pas quelques heures dans un studio parce qu’elle avait la flemme de rentrer chez elle. Tu réservais ensuite votre restaurant favoris pour la fin de semaine et lui envoyais le jour et l’heure par texto. Les téléphones portables n’étaient pas ta spécialité mais tu devais reconnaître qu’ils pouvaient être utiles même si tu ne savais pas utiliser la moitié des fonctionnalités proposées. Après avoir pris ton café, tu pris une douche rapide et tu enfilais un jean et une chemise avant d’arranger tes cheveux. Ton côté perfectionniste s’étendait aussi sur ton apparence et tu ne voulais rien laisser au hasard. Voilà longtemps que tu ne cherchais plus spécialement à plaire, c’était juste un besoin de bien présenter que tu avais. Quittant l’appartement et prenant ta voiture, tu t’arrêtais dans ta boulangerie française favorite pour acheter un pain au chocolat que tu mangeais sur le parking du musée en attendant son ouverture. L’été était agréable et beau à Brisbane, tu profitais d’être dehors avant de passer les prochaines heures enfermé.
Quand le musée ouvrit ses portes, tu laissais les premiers visiteurs entrer avant de te joindre à eux. Tu te présentais à l’accueil et on t’appela le responsable qui t’amena jusqu’à l’entrée de la nouvelle aile. « Nous avons une restauratrice qui travaille actuellement sur une oeuvre, elle vous attend et pourra répondre à toutes vos questions sur les oeuvres. Revenez voir mes collègues à l’accueil quand vous aurez terminé, je vous amènerai déjeuner pour discuter de l’exposition. » Tu hochais la tête avant de le remercier : « Merci beaucoup, je n’y manquerai pas ! » Tu laissais ensuite l’homme repartir vaquer à ses occupations. Tu attrapais la poignée de la porte et tu rentrais dans l’aile avant de la refermer derrière toi. Découvrir une nouvelle exposition avant tout le monde avait toujours été excitant pour toi. Tu t’avançais donc dans les grandes pièces vers les bruits que tu pouvais entendre. Autant te présenter et faire savoir que tu étais arrivé. Toutefois, tu ne t’attendais pas au spectacle que tu découvris en tournant au coin d’un couloir. Devant toi se tenait une jeune femme, très petite mais surtout couverte de plâtre. Le haut de sa salopette est défait et elle semble être en train de se nettoyer le visage. Tu fronces les sourcils légèrement inquiet et ne fait pas attention où tu mets les pieds. Tu marches sur une bâche sur laquelle repose des outils dans lesquels tu donnes un coup et le bruit que cela produit fait se retourner brusquement la jeune femme qui pensait jusqu’ici être seule très certainement. Après quelques secondes de silence où elle reprit ses esprits, elle te dit : « Vous êtes le monsieur de l’université » Tu hoches la tête avec un petit sourire amusé sur les lèvres. C’est bien toi en effet. Tu ne t’attendais pas à trouver une restauratrice couverte de plâtre mais s’il y avait une chose que tu savais bien faire c’était t’adapter. Et puis le rouge qui lui montait aux joues la rendait d’autant plus jolie. « C’est bien moi en effet. Marius Warren, vous pouvez m’appeler Marius. » Tes élèves étaient déjà bien assez nombreux à t’appeler Monsieur ou Monsieur Warren, tu n’avais nullement envie de rentrer dans ce genre de relation avec la demoiselle. « Je vous serrerai bien la main mais j’ai eu un léger incident. Je suis Evelyn Zimmer. Je restaure la fresque. Faites le tour. Je ne vous dérangerai pas. » Tu lui souris avant de lui dire : « C’est un plaisir. Je vais donc faire un petit tour, je repasserai quand j’aurai terminé. » Lui dis-tu décidant de lui donner l’espace qu’elle désire pour reprendre ses esprits. Te retournant, tu repars au début de l’exposition et regarde les oeuvres une par une. Il te faudra certainement un deuxième tour pour apprécier la manière dont elles sont disposées.
Une vingtaine de minutes plus tard, tu revins vers Evelyn pour t’intéresser à la fresque qu’elle s’est remise à restaurer. Elle semble avoir enlevé le maximum de plâtre, tu espères surtout que ce n’est pas dangereux de se retrouver couvert de cette substance. « C’est encore moi. » Lui dis-tu doucement pour ne pas la faire sursauter. Quelque chose te disait qu’elle pouvait être maladroite quand surprise de la mauvaise manière. « Cette exposition va être magnifique. » Dis-tu en te positionnant de l’autre côté de la fresque en face d’elle. « J’espère que l’accident est résolu et que vous n’avez rien. Vous ne vous êtes pas fait mal ? » Te trouvas-tu obligé de lui demander. Tu n’y connaissais rien mais tu préférais qu’il n’arrive rien à la jeune restauratrice. « Vous travaillez sur cette fresque depuis longtemps ? » Parler d’art, c’était quelque chose que tu aimais faire et de par son métier, Evelyn devait au moins apprécier cela également.
Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
Se plonger dans une passion. en trouver une. Et s’y donner à cœur joie jusqu’à en oublier son existence. Le bébé semblait grandir correctement, je pouvais le sentir se développer. Normalement, lorsqu’on est enceinte, l’utilisation de la peinture est proscrite mais je n’en ai toujours fait qu’à ma tête. Mes longs cheveux blonds étaient relevés en chignon lâche alors qu’un bruissement m’apprit la présence de quelqu’un derrière moi. « Tu as bientôt fini ? » Il me faisait face du haut de son mètre quatre-vingt. Un sourire naquit sur mes lèvres alors que mon rythme cardiaque s’accéléra. L’amour est puissant vecteur pour le corps humain. Mais alors que reste-t-il quand on nous l’arrache ?
On dit souvent la métaphore suivante : mon cœur est mort. lorsque l’on nous arrache un être cher, on dit que notre cœur est mort. Que ce dernier a cessé de battre. Depuis l’aube des temps, l’être humain a toujours associé l’amour comme étant une activité affective et non cérébrale. Et je n’en fais pas exception. Lorsqu’on m’a retiré Jacob, ma vie s’est suspendue. Le temps s’est arrêté soudainement comme si le professeur Xavier avait daigné y contribuer. J’ai vécu comme ralenti pendant longtemps. Je ne sais pas encore ce qui est à l’origine de mon réveil. S’il s’agit de mon fils qui grandit et ressemble de plus en plus à son père ou si le temps a fait son œuvre. Je me rappelle encore ce besoin irrépressible de changement après avoir perdu tout ce qui me caractérisait. J’ai pris le couteau de cuisine pour les couper. Auparavant, ils étaient doux au toucher. Ils étaient d’or avec de simples reflets. Et maintenant, ils étaient ternes. Un peu comme moi.
La petite dame grise. L’endeuillée. J’ai eu si peur de la mort, de m’évaporer que je me suis retranchée dans mon château de verre. J’ai érigé des barrières mentales que j’espère puissantes pour ne laisser personne les toucher. Personne ne s’y est essayé. En devenant une maman, j’ai perdu tout mon atout de séduction. Je ne suis plus qu’une femme ayant donné la vie et plus une femme simplement. Pourquoi les femmes perdent-elles en capital de séduction dès l’instant où elles ont rempli leurs missions ? Les tableaux les démontrent, nues, comme objets de convoitises. Puis subitement les artistes les couvrent de vêtements d’apparats alors que la nudité revient au chérubin. Marie n’a-t-elle pas été sacralisée après avoir donné vie au messie ? J’ai passé assez d’heures sur mes toiles, avec mes pinceaux à la main pour comprendre que le désir, la chimie, tout repose sur la nudité.
Mon corps fut transformé deux fois par ma maternité. Incapable d’être belle en soi. Incapable d’être un objet de convoitise. J’ai aspiré à devenir transparente. Je n’ai aimé que deux fois dans ma vie et les deux fois ne se sont soldées qu’en tragédie. La malédiction est puissante et me cloue au sol. Elle m’entrave, me fait comprendre que je terminerai avec mes enfants, puis ils partiront et alors je resterai seule. J’ignore si c’est un vide à combler ou si c’est ce désir charnel qui me pousse à sortir chaque jour. J’ai envie de sentir le toucher, la chaleur d’une peau masculine sous mes doigts graciles. Sentir une odeur musquée, voir le sourire d’un homme, pouvoir lire les étoiles dans son regard. Mais la chose m’est interdite et l’alliance qui siège sur mon cœur n’est un énième rappel que ma faim ne sera jamais assouvie.
Je coupe court à toutes pensées quand je travaille. Je ne m’imagine plus rencontrer un homme. Plus l’homme avec un grand L. Mais plutôt un parmi tant d’autres qui saura me réveiller, me permettre de mordre l’éternité. J’éteins tout ça pour me mettre à l’ouvrage. Et mon esprit rêveur se met à imaginer une histoire sur les œuvres que je travaille. Cette femme qui porte cette coiffe était-elle forcée de la porter ou était-ce un ajout esthétique ? Les artistes mentent, se veulent vindicatifs. Légèrement misogynes. Alors que je suis couverte de plâtre, je fais face à l’un d’entre eux. Dites-moi très cher universitaire, quand vous relaterez cette rencontre, comment me décrirez-vous ? Je penche un peu la tête de côté. « C’est bien moi en effet. Marius Warren, vous pouvez m’appeler Marius. » J’ai un petit sourire. La signification du prénom me revient en mémoire, les recherches étant ultérieurs à deux ans lorsque je cherchais un prénom pour Jacob. « Le marin viril. » Le prénom lui sied à merveille. Il a une carrure impressionnante comparé à moi. Mais tout le monde semble massif à côté de moi. Je remets le haut de ma salopette, gênée par la situation. Ma voix n’est qu’un murmure alors que mes joues se mettent à chauffer. Voilà sans doute la raison pour laquelle je ne suis plus un objet de désir. Ce manque de confiance, cette timidité.
Je retourne à mes occupations, baissant le volume de la musique avant de vérifier que mon visage est dégagé. Puis, je commence à préparer le plâtre. Le silence ne me fait pas peur. J’entends les pas de Marius Warren qui se répercutent sur les murs, résonnent pour m’avertir du moindre de ses mouvements. Je connais cette galerie par cœur et je suis capable de savoir devant quelle œuvre, il se trouve. Je commence donc à travailler le plâtre de mes mains avant de prendre mon pinceau et de disposer un carreau. Je décide de rester sur la Terre ferme, l’universitaire ayant manifesté le désir de revenir s’entretenir avec moi. Pourquoi ? Pourquoi ça Marius ? N’avez-vous pas compris que je ne suis pas digne d’intérêt ? Que je suis transparente ? « C’est encore moi. » Sa voix se veut douce, chaleureuse. Elle m’enveloppe presque. Je le vois passer sur le côté pour se mettre en face de moi. « Cette exposition va être magnifique. » Je me sens rougir jusqu’à la pointe de mes oreilles avant de venir poser mon carreau avant que la colle ne sèche. « Merci, dis-je dans un souffle d’une voix timide. » Je n’ai jamais été capable d’une certaine assurance face à une personne de sexe masculin. J’ai toujours eu cette tendance à perdre mes moyens. « Malheureusement, nous avons dû repousser la date d’ouverture à cause de la pandémie. » Je confesse ceci malgré moi. Il s’agit d’un tout comme d’un rien. Soit, je parle trop, soit je reste muette. Je viens me saisir d’un nouveau matériau pour faire la moue. « J’espère que l’accident est résolu et que vous n’avez rien. Vous ne vous êtes pas fait mal ? » Je viens d’ouvrir la bouche avant d’avoir un petit rire avant secouant la tête de droite à gauche. « Ne vous inquiétez pas. Comme vous l’avez surement remarqué je ne suis pas très grande. Et dans votre pays, vous êtes tous… » Je le montre de haut en bas avec mon pinceau. « Vous êtes tous si grands. » Et également semblez sortir d’un magazine de GQ. Pourquoi tout le monde est si beau, Marius alors que je demeure commune ? Je penche la tête sur le côté avant de poser mon pinceau. « Je suis… maladroite. Très maladroite. Et ce n’est pas à mon avantage. Souvent je suis couverte de bleus ou d’égratignures mais aujourd’hui le destin a décidé que je rencontrerai le marin viril, déguisée en dame blanche. » Pourquoi est-ce que vous donne d’emblée ce surnom ? Je donne des surnoms à tout le monde. Mon cerveau divague légèrement, vous imaginant sur un bateau au gré des vagues et du vent. Je vis moi-même acculé par la mer. Sauf que la mienne ne sert qu’à me noyer, nullement pour me transformer en sirène dont le chant pourrait vous attirer. Je retrouve la réalité alors que vous me questionnez sur la fresque. « Quelques semaines. J’étais occupée sur la dame en bleu avant. C’est ma cinquième œuvre dans cette galerie. » Je me sens penaude avant de me balancer d’avant en arrière. « Qu’est-ce que vous enseignez à l’université ? Vous avez… votre voix est celle d’un orateur. Je suis certaine que tous vos étudiants doivent vous vouer une certaine admiration. » Mister Jones. Mes professeurs de la Sorbonne n’étaient pas aussi séduisants, charmeurs. « C’est assez drôle car la fresque en elle-même laisse entrevoir l’océan par les diverses variances de bleus. » Je lui montre les quantités astronomiques de carreaux que je possédai dans les sacs posés un peu partout. « On pense qu’elle date de l’ère Pompéienne. Et qu’elle rendrait hommage à Poséidon » Je viens sans comprendre refermer l’une de mes mains propres sur son poignet pour l’attirer près de moi. « Regardez-en haut on peut voir un petit bout de trident. Je sais pas si cette histoire parle d’Ulysse ou si… c’est juste un hommage au grand patron de la mer. Je suis navrée, je parle trop quand je suis nerveuse. » Mes doigts se détachent de son poignet et je laisse retomber ma main le long de mon corps. Je grimace avant de venir mordre ma lèvre inférieure, gênée. « Et je m’emballe quand on me parle de mon travail. Il faut dire que je… je n’ai pas trop d’amis/ Donc je passe presque tout mon temps ici. » J’ai une petite moue désolée avant de passer une main dans mes cheveux qui sont couverts de poussière. « Est-ce que… vous voulez monter pour voir le dessus ? Je travaille dessus avant ma transformation en terreur des nuits. Et c’est la partie la plus avancée. » Je lui fais mon sourire le plus lumineux comme pour l’enjoindre à me suivre près du ciel. Peut-être que nous pourrons toucher les étoiles ?
Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
Dire que tu étais surpris de tomber sur une jeune femme assez petite et couverte de plâtre était un euphémisme. Tu ne t’attendais pas à ce genre d’accueil dans cette galerie presque déserte mais cela t’amusait plus qu’autre chose. Contrairement à ce que tes proches semblaient penser, tu savais t’amuser et te détendre, tout n’avait pas besoin d’être sérieux pour toi. Tu fus soulagé que la jeune femme ait été prévenue de ta visite et tu te présentais sans attendre. Introduire un prénom était une manière de briser la distance et Evelyn était un prénom magnifique. C’est malgré toi que ton coeur se serra un peu en pensant à une autre Evelyn qui était désormais sortie de ta vie et dont l’absence se faisait sentir plus que tu ne voulais l’avouer. Tu chassais ces pensées alors que la jeune femme te dit : « Le marin viril. » Tu fronçais les sourcils, incapable de comprendre pourquoi elle te disait cela. Et puis tu te souvins de la signification de ton prénom. Tes parents l’avaient choisi pour sa sonorité et ne se doutaient pas de sa signification. Toi par contre, tu l’avais appris bien plus tard en tombant sur une spécialiste de ce genre de choses à Paris. Laissant échapper un petit rire, tu lui répondis : « Ah oui … Ironiquement, mes parents ne savent toujours pas ce que ce prénom signifie. » Lui dis-tu totalement amusé désormais. Ne voulant pas embarrasser plus Evelyn qui semblait vouloir se remettre au travail, tu pris son invitation au mot et te dirigea vers l’entrée de la galerie pour contempler les oeuvres exposées.
L’art n’était pour tes parents qu’un sujet parmi tant d’autre, un sujet de culture générale dont il fallait connaître les bases pour briller dans les dîners avec les amis et les connaissances.c’était à travers ce genre de dîners que tu avais été introduit au sujet. Et puis tu t’étais mis à dessiner et tu avais insisté auprès de ta mère pour prendre des cours qu’elle avait bien voulu t’offrir. Après tout, l’art était un domaine distingué alors pourquoi pas ? Tu ne t’attendais pas à tomber sous le charme des tableaux, des textures, des oeuvres que l’on te mettait sous le nez. Tu avais mis un moment à accepter que tu voulais te diriger dans cette voie, la peur de décevoir tes parents si importante. Mais en apprenant que tu comptais étudier l’histoire de l’art et l’enseigner à l’université, ils avaient semblé satisfaits de la position sociale que cela te donnerait et leur donnerait également par procuration. Aujourd’hui, tu reconnaissais avoir eu beaucoup de chance que tes aspirations aient été en ligne avec ce que tes parents attendaient de toi. Dans le cas contraire, tu n’aurais sans doute pas eu le courage et la détermination de tes cadets à faire entendre leur voix. Se poser devant des oeuvres et les étudier, tu pouvais le faire pendant des heures sans te lasser. Il y avait quelque chose d’unique dans la manière dont les artistes laissaient parler leur talent dans chaque oeuvre, une histoire qui était en partie la leur mais en partie une histoire bien plus grande qu’eux. C’était ce que tu aimais dans l’art, la capacité qu’il avait de vous parler d’une époque tout en s’installant dans une universalité qui vous dépassait tous.
Finissant ton tour, tu revins tranquillement vers Evelyn qui s’était remise au travail. Tu la comprenais, cela devait faire presque une heure que tu tournais autour des tableaux, les observant eux mais également la manière dont ils étaient disposés et l’histoire qu’ils racontaient. Tu pouvais déjà imaginer exactement ce qui serait écrit sur les tableaux explicatifs de chaque coin de salle et tu souris à cette idée. Joanne t’avait déjà fait remarque que tu pourrais te reconvertir et travailler dans un musée si tu le désirais. Tu n’en doutais pas mais l’enseignement était ta vocation, les années te l’avaient confirmé. Tu la complimentais sur l’exposition qui allait pour sûr avoir du succès. « Merci. Malheureusement, nous avons dû repousser la date d’ouverture à cause de la pandémie. » Tu hoches la tête. Ce n’est pas la seule chose qui a dû être repoussé avec la pandémie mais chaque chose en son temps. La santé de l’Australie devait passer avant l’art même si tu voyais dans ce dernier un moyen d’échapper à l’anxiété ambiante de votre société actuelle. Tu n’avais rien à répondre à cela par contre, tu pris des nouvelles d’Evelyn pour vérifier qu’elle ne s’était pas blessée ou qu’elle n’avait pas respiré trop de plâtre suite à son accident. « Ne vous inquiétez pas. Comme vous l’avez surement remarqué je ne suis pas très grande. Et dans votre pays, vous êtes tous ... Vous êtes tous si grands. » Un sourire en coin apparut sur ton visage. Effectivement, même si tu n’aurais jamais mis le doigt dessus par politesse et parce que cela n’avait aucune importance à tes yeux, il existait une différence de taille certaine entre vous et elle semblait être importante pour la demoiselle. « Je suis désolé que la taille des Australiens vous causent autant de problèmes. Si l’Australie n’est pas votre pays, d’où venez-vous ? » Lui demandas-tu curieux. Tu avais joué le rôle de l’expatrié à Paris quand tu y avais vécu à deux reprises et ce n’était pas toujours facile de se faire sa place dans ce pays adoptif. « Je suis… maladroite. Très maladroite. Et ce n’est pas à mon avantage. Souvent je suis couverte de bleus ou d’égratignures mais aujourd’hui le destin a décidé que je rencontrerai le marin viril, déguisée en dame blanche. » Décidément, ton interlocutrice semblait raffoler de métaphores. Tu espérais que quand elle parlait de bleus et d’égratignures, elle parlait de blessures sans conséquence et pas de quelque chose de plus grave mais ce n’était pas ta place de demander de toute manière. « Je ne vous en tiendrai pas rigueur, les accidents arrivent à tout le monde. Au moins nous nous souviendrons de cette rencontre. » Lui répondis-tu. Décidant de changer de sujet et ne préférant pas mentionner que ce surnom te mettait légèrement mal à l’aise, tu l’étais souvent avec des inconnus qui se permettaient ce genre de familiarité, tu la questionnais sur la fresque qu’elle restaurait et qui te semblait un sujet moins hasardeux. « Quelques semaines. J’étais occupée sur la dame en bleu avant. C’est ma cinquième œuvre dans cette galerie. Qu’est-ce que vous enseignez à l’université ? Vous avez… votre voix est celle d’un orateur. Je suis certaine que tous vos étudiants doivent vous vouer une certaine admiration. » Tu aimais penser que c’était le cas et que tes étudiants t’admiraient mais tu savais que ce n’était pas le cas de tous et ta voix ne suffisait pas pour les garder tous éveillés à tous les cours. Qu’importe, tu faisais de ton mieux ! « Je ne pense pas être source d’une forte admiration, pas quand je conte à mes élèves passer le plus clair de mon temps à étudier des oeuvres. » Dis-tu un sourire amusé sur les lèvres. « J’enseigne l’histoire de l’art depuis une quinzaine d’années maintenant à l’Université du Queensland. » Répondis-tu simplement à sa question. C’était un métier que tu aimais beaucoup et auquel tu avais consacré la majeure partie de ta vie et quasiment toute ton énergie depuis ton adolescence. Les yeux rivés sur la fresque, Evelyn ne semblait pas en avoir fini avec son explication toutefois : « C’est assez drôle car la fresque en elle-même laisse entrevoir l’océan par les diverses variances de bleus. On pense qu’elle date de l’ère Pompéienne. Et qu’elle rendrait hommage à Poséidon. Regardez-en haut on peut voir un petit bout de trident. Je sais pas si cette histoire parle d’Ulysse ou si… c’est juste un hommage au grand patron de la mer. Je suis navrée, je parle trop quand je suis nerveuse. Et je m’emballe quand on me parle de mon travail. Il faut dire que je… je n’ai pas trop d’amis/ Donc je passe presque tout mon temps ici. » Tu suis les différentes indications de la jeune femme, étudiant cette fresque que tu n’avais observée que de loin jusqu’ici. En effet, les nuances de bleu son magnifique et l’ambiguïté soulevée est bien là. « Ne vous en faites pas. Comment les jeunes appellent ça ? … Ah oui, vous parlez à un geek d’histoire de l’art, je trouve cela fascinant. » Lui dis-tu avec la plus grande sincérité. « Depuis combien de temps êtes-vous à Brisbane ? Je sais à quel point l’expatriation peut être difficile mais une fois réussie, c’est une magnifique expérience. » C’était comme cela que tu avais vécu la tienne en tout cas. Evelyn te semblait être une jeune femme charmante quoiqu’un peu maladroite mais cela ne semblait pas suffisant pour repousser toute tentative d’amitié. les Australiens étaient en général plutôt agréables. « Est-ce que… vous voulez monter pour voir le dessus ? Je travaille dessus avant ma transformation en terreur des nuits. Et c’est la partie la plus avancée. » Regardant l’échelle qu’elle te pointant du doigt, tu hochais la tête avant de lui dire : « Avec plaisir ! Je vous suis comme ça, si vous tombez je vous rattraperai et vous éviterai de nouveaux bleus. » Lui dis-tu pour la taquiner la laissant se diriger vers l’échelle. Son sourire était lumineux et il était clair à tes yeux qu’un peu de compagnie ne lui faisait pas de mal.
Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
« Vous devez sortir et voir du monde. » J’étais demeurée comme figée sur le canapé de mon psy. Il me suivait depuis un an maintenant. Depuis que Jacob n’était plus. Chaque jour était un vrai défi, je devais réapprendre à respirer, à vivre. A faire des gestes mécaniques. Seulement en me demandant de sortir à nouveau, il me demandait de réapprendre à sortir de cette mécanique rouillée. De redevenir un être humain et de ressentir à nouveau. Mais j’en étais incapable.
L’agoraphobie. Nom féminin Peur des espaces libres et des lieux publics.
Une saleté. Je souffre d’une véritable saleté. Cette peur de mettre le pied dehors, cette boule dans ma gorge qui grandit lorsque je croise des inconnus. Et cette pandémie qui aggrave mon cas. Je ne sortais que pour les choses nécessaires. C’est-à-dire le maintien d’une forme physique tôt le matin alors que la ville était encore endormie, emmener les enfants à l’école, à la crèche puis le travail. Je ne considérai pas le musée comme un lieu public puisque je n’étais pas en contact avec mes pairs. Certes, depuis qu’on m’a diagnostiquée cette maladie, je me suis faite aider. Je prends des calmants en plus de mes antidépresseurs. Je suis suivie par un psychiatre en plus de mon psychologue habituel. Je vois des amies qui essaient de me sortir de cette léthargie dans laquelle j’ai plongée. On a tenté de me refaire sortir, de me donner des rencards. Je n’ai eu la force que deux fois. la première, c’était pour me poser sur une chaise, devant une table vide. L’homme n’est jamais venu.
La seconde dans un festival réservé aux fans de jeux-vidéos. Car quand on se confine soi-même, on doit apprendre à s’occuper. J’ai essayé le tricot mais après avoir manqué de blesser Debussy, j’ai rangé les aiguilles. Ensuite, il y a la peinture avec mon style propre à moi mais après avoir peint trois fois le paysage vu du haut de mon balcon, on se lasse assez vite. Donc, j’ai ouvert l’ordinateur. Les jeux aident. On s’évade, on pense à autres choses. C’était ça ou être échouée sur le canapé avec les enfants devant le chien pompier. Beaucoup de parents ont cette politique de non-télévision. Étant mère de deux enfants, elle m’est devenue indispensable. Ma meilleure amie, ma sauveuse. Si mes enfants tiennent de leurs pères, ils ne seront pas très intelligents et s’ils tiennent de moi, ils seront névrosés. Dans tous les cas, ils sont foutus. Quoiqu’il en soit, ce second rendez-vous fut un échec dès lors qu’il m’a dit que je ressemblais à son ex, étouffant ainsi tout espoir d’une seconde entrevue dans le futur. Une femme ne veut pas entendre ce genre de choses. Non, une femme veut être…
… Unique. On veut se sentir précieuse, comme la plus belle chose auprès des hommes. et pas qu’il pense à une autre en nous regardant. Mon cœur a pris froid car j’ai tendance à m’énamourer facilement pour un homme. Il suffit de regarder mon passif amoureux peu glorieux. Mon premier amour a fui en apprenant ma grossesse et le second est mort. sans doute, une malédiction pèse-t-elle au-dessus de ma tête ? Et suffira-t-il du baiser du prince charmant pour y mettre fin ? Quand on a deux enfants en bas âge, le prince charmant on n’y croit plus. Et pourtant lorsque j’étais enfermée entre quatre murs, durant cette jeunesse triste et désolée, je l’ai dessiné ce prince. Je le voyais assez grand, assez athlétique, avec des yeux clairs. Etant blonde, j’aurai aimé le voir brun. Mais il n’est jamais venu. Ou alors on me l’a ôté si brutalement que refaire ma vie est impossible.
La voix grave et chaude de Marius Warren m’arrache à mes rêveries. J’aurai pu voir en lui cette aura salvatrice si le contexte avait pu être différent. Mais j’en suis incapable. Sans doute car cette rencontre demeure dans le cadre professionnel mais pas personnel. Après tout Marius, me serai-je arrêtée sur vous si vous n’étiez pas venu à moi ? Il y a des personnes que l’on sait trop séduisantes pour nous. Et cet homme en fait parti. Des bras assez imposants, des cheveux qui tendent à avoir des reflets cuivrés et je n’ose m’aventurer à regarder ses yeux. Je reste focalisée sur mes mains pâteuses, sur ma salopette recouverte de plâtre. « Ah oui … Ironiquement, mes parents ne savent toujours pas ce que ce prénom signifie. » Comme beaucoup de parents. Lisa qui signifie Dieu est plénitude et un dérivé de l’hébreu alors que Jacob « Dieu a soutenu ou protégé. » Je n’aurai jamais pensé à ce genre de prénom pour mon enfant mais c’était surtout symbolique en mémoire de ce père qui ne le connaitra jamais. « J’aime bien savoir la signification des prénoms. Le mien veut soit dire remerciement soit source de vie. Ce qui n’est pas faux quand on apprend à me connaître. » Dû au fait que j’ai deux enfants. Je devrais sans doute lui dire mais comme je l’ai énuméré un peu avant dans ma tête de déséquilibrée, ce n’est qu’une entrevue professionnelle et non personnelle.
Et de toute façon, un homme pareil refuserait catégoriquement de fréquenter une femme comme moi en dehors des murs du musée. Je suis comme dans un coma sentimental. Incapable de me projeter ou d’avoir confiance en mes pairs. La conversation meurt dans l’œuf alors que je me remets à l’ouvrage. Je n’ai pas mes lunettes qui sont restées en suspension sur l’échafaudage mais je n’ose remonter. Le respect est une valeur inculquée durement lorsqu’on grandit dans un orphelinat géré par des bonnes sœurs. Je sursaute cependant en entendant de nouveau la voix de Marius. Il a un timbre bien particulier, ni trop rauque, mais pas fluette non plus.
« Je suis désolé que la taille des Australiens vous causent autant de problèmes. Si l’Australie n’est pas votre pays, d’où venez-vous ? » Cette question que l’on me pose souvent. « Ich bin Deutscher, dis-je avec une moue gênée, allemande. Cela ne fait pas vraiment rêver. » J’ajoute ceci avec un rire avant de passer la main dans mes cheveux poussiéreux. « En Europe, les gens sont plus petits. Moins… » Je le dessine avec mes doigts comme brassés dans l’air. « … massifs. Vous faites quoi ? Je dirai un bon mètre quatre-vingts ? Je mesure à peine un mètre cinquante-deux. » Et étant seule, je peux dire que ma petite taille me dessert énormément. Je me balance un peu sur mes pieds alors que la conversation s’écoule plus naturellement que je ne l’aurai cru au prime abord. Après tout, je ne suis pas douée pour me lier avec mes pairs. « Je ne vous en tiendrai pas rigueur, les accidents arrivent à tout le monde. Au moins nous nous souviendrons de cette rencontre. » J’éclate d’un franc rire à sa remarque avant de me sentir rougir. « C’est sûr. Comment avez-vous connu la restauratrice professeur Warren ? Oh en plus de sortir tout droit du pays des Schtroumfs, elle était également dôtée de deux mains gauches. » Alors que lui semble si classe. « C’est assez ironique, cette fichue maladresse quand on apprend à me connaître. Car je fais très attention dans mon métier et dans ma vie personnelle. » Il n’y a vraiment que lorsque ma taille est en jeu que je me comporte comme la pire des gourdes.
Changeons donc de sujet inconfortable pour nous deux. Je peux voir que lorsque je prononce ce surnom, il a un rictus gêné. Et le complexe dû à ma taille tend avoir envie de me donner de fuir le plus loin possible. Un professeur d’université se tient devant moi. et je dois être impressionné car j’ai toujours voué une certaine admiration pour les miens. « Je ne pense pas être source d’une forte admiration, pas quand je conte à mes élèves passer le plus clair de mon temps à étudier des oeuvres. » Je l’écoute me donner son explication avant de remarquer qu’il est en train de sourire. A l’intérieur de ma tête, une alerte s’allume et je me rappelle le dessin-animé vu avec ma fille quelques jours auparavant. Mes émotions s’affolent d’elle-même et je dois adjoindre mon cerveau de prendre une bonne respiration tandis que l’orateur poursuit son explication. « J’enseigne l’histoire de l’art depuis une quinzaine d’années maintenant à l’Université du Queensland. » J’ai un sifflement d’admiration devant ses quinze années de service. « C’était ma matière préférée quand j’étais étudiante. Je ne connais pas votre université, j’ai fait mes études… enfin, je me suis expatriée à Paris pour étudier à la Sorbonne, je ne sais pas si vous connaissez. Et le professeur que j’avais était un peu comme vous. Assez grand, avec un très beau sourire. Très communicatif. » Et j’ai conscience de le gêner en le complimentant de la sorte. Alors je rentre peu à peu ma tête dans mes épaules comme on essaierait de se cacher dans les tréfonds de la Terre. « je suis désolée pour le compliment. Je ne cherche pas à vous mettre mal à l’aise, je vous assure. » Après tout, ce faible que j’ai eu pour mon professeur d’histoire de l’Art est bien lointain. Et j’étais certaines que bon nombre d’étudiantes devait avoir le même. « Est-ce que… cela vous gênerait si je venais assister à l’un de vos cours ? Après tout, vous m’avez vu travailler donc ça ne serait que… justice. » Mon sourire s’agrandit avant que le sujet ne dérive sur mon œuvre.
Je m’emballe trop lorsque je parle des œuvres d’arts. Je n’aurai jamais la prétention de l’enseigner. Sauf à des enfants. « Oh et moi aussi, je suis enseignante. C’est juste que mes élèves sont plus petits que moi. » J’aimais trop les enfants. Après tout, j’en avais deux et j’ai décidé de palier à ce manque concernant le domaine artistique après un commentaire de Lisa sur sa professeure alors qu’elle n’avait que cinq ans. je mets cependant un point d’honneur à ne pas être dans la même école que ma fille. Pour ne pas l’embarrasser en premier lieu et ensuite pour ne pas la brusquer. Marius reprend la parole et je me balance d’avant en arrière, ayant apprivoisé le chant mélodique de sa voix. « Ne vous en faites pas. Comment les jeunes appellent ça ? … Ah oui, vous parlez à un geek d’histoire de l’art, je trouve cela fascinant. » J’éclate à nouveau de rire devant cette mention. « Vous n’êtes pas si vieux Marius. » Je lui adresse un petit sourire. « Je dirai que le terme passionné vous convient bien. » Cependant, il n’en a pas fini de sa parole et je me prends à l’écouter. « Depuis combien de temps êtes-vous à Brisbane ? Je sais à quel point l’expatriation peut être difficile mais une fois réussie, c’est une magnifique expérience. » Cette question me prend légèrement au dépourvu. Je viens passer une main dans ma nuque, gênée. « Je dirai décembre 2017. Je crois. Non novembre car j’étais enceinte de quatre mois quand j’ai suivi mon… » je marque une pause. « Ce n’est pas les Australiens qui pêchent, c’est… c’est moi le souci. » Je viens me mâchouiller la lèvre inférieure pour réfléchir à comment tourner ma réponse. « Je suis maman. De deux jeunes enfants et étant rangée dans la caste des célibataires, c’est assez difficile de s’intégrer quand on est… enfin regardez-moi, j’ai deux mains gauches et avec des enfants, ça fait fuir pas mal de monde.. » Et surtout agoraphobe. Mais on ne va pas dévoiler toutes nos névroses à un parfait inconnu.
Je change de sujets pour lui demander s’il voulait monter voir le dessus. Après tout, j’ai les carreaux en parfait état qui n’attendent qu’à être posés. « Avec plaisir ! Je vous suis comme ça, si vous tombez je vous rattraperai et vous éviterai de nouveaux bleus. » Je me sens rougir jusqu’aux oreilles lorsqu’il dit ça. « Quel gentleman, murmurai-je en passant à ses côtés. » Je monte donc à l’échelle en priant pour ne pas terminer dans ses bras. Allez ne sois pas complètement godiche pour une fois. Je manque un barreau cependant et je me retrouve confrontée à son regard clair que je le veux ou non. Je reste un instant à le regarder. « Danke. » Je souffle ceci avant de finir par arriver au sommet. Je me pose donc en tailleur avant de poser les lunettes sur le dessus de mon nez. « Vos yeux, ils ont une teinte étonnante. A un moment, j’ai cru qu’ils étaient verts mais ils sont aussi bleus par moment. Vous êtes un vrai mystère artistique, Professeur. » J’enduis le carreau avant de regarder où je dois le poser. « Vous voulez… vous voulez en poser un, demandai-je timidement, histoire d’apporter votre pierre à l’édifice. » J’ai un petit sourire timide, consciente que nous étions maintenant au-dessus du monde, plongés dans une certaine intimité. Mais ma peur de l’inconnu peut l’emporter à tout instant. Et j’espère que ses mots sauront calmer les battements affolés de mon cœur. Ce cœur qui me chante une toute autre mélodie depuis que j’ai croisé son regard il y a quelques minutes. Foutue agoraphobie à la con.
Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
L’expérience que tu avais dans le milieu de l’art t’avait appris que tu pouvais rencontrer toutes sortes de personnes dans ce milieu. Tu avais rencontré des artistes exubérants et en manque de considération, des artistes qui osaient à peine montrer leur visage à l’ouverture de leur exposition et toutes sortes de personnes entre les deux. La jeune femme que tu avais devant toi aujourd’hui était une énigme pour toi. Il te semblait évident qu’elle était timide et pourtant, une fois qu’elle ouvrait la bouche, elle ne semblait plus capable de s’arrêter et de filtrer ce qui sortait de sa bouche. Il était assez drôle de voir les fois où elle allait plus loin que ce que son esprit aurait voulu. Avec le flot d’élèves en tous genres que tu voyais tous les ans, tu n’étais plus déstabilisé par ce genre de comportement et par des remarques que tu aurais pu trouvé offensantes à une époque. Tu ne te considérais pas comme quelqu’un d’imposant ou quelqu’un d’intimidant pourtant, tu avais l’impression que c’était ce qui était en train de se passer avec Evelyn. Une certaine nervosité semblait transparaître dans vos échanges et tu essayais de faire au mieux pour ne pas la brusquer dans quoi que ce soit. Après avoir fait le tour de l’exposition, tu étais revenu vers elle parce que tu étais réellement curieux de découvrir ce que ce petit bout de femme pouvait t’apprendre sur l’exposition mais aussi pourquoi pas sur son métier. Tu avais déjà rencontré des restaurateurs par le passé mais chacun était unique et avait ses méthodes et manières de voir les choses. « Ich bin Deutscher ... allemande. Cela ne fait pas vraiment rêver. » Tu ne comprenais pas vraiment cette remarque. Elle trouvait qu’Australien cela faisait rêver ? Tu faisais parti des gens qui étaient fiers de leurs origines, Evelyn se devait de l’être aussi, ses origines étaient ce qui faisaient d’elle ce qu’elle était. « Pourquoi pas ? C’est un pays rempli d’histoire et singulier dans sa créativité artistique. » Tu n’avais visité que Berlin quand tu te trouvais en Europe mais c’était un pays que tu aurais dû plus explorer certainement. Le temps avait juste filé trop vite. « En Europe, les gens sont plus petits. Moins… massifs. Vous faites quoi ? Je dirai un bon mètre quatre-vingts ? Je mesure à peine un mètre cinquante-deux. » Ta taille était clairement un sujet sensible pour la demoiselle qui était effectivement petite. Ce n’était pas un détail sur lequel tu t’étais arrêté mais elle semblait souffrir de cette caractéristique. « Vous avez l’oeil, je mesure un mètre quatre-vingt-trois. Mais vous ne devriez pas y attacher une si grande importance, la taille ne fait pas tout. » Lui dis-tu un sourire amusé sur les lèvres. Tu n’y avais jamais attaché une attention particulière quand tu étais à Paris mais effectivement, tu faisais parti des personnes les plus grandes. Pourtant, cela n’avait semblé gêner personne et tu continuais à penser que ce n’était pas important. Tu fis remarquer à la jeune femme que votre rencontre restera au moins singulière : « C’est sûr. Comment avez-vous connu la restauratrice professeur Warren ? Oh en plus de sortir tout droit du pays des Schtroumfs, elle était également dôtée de deux mains gauches. C’est assez ironique, cette fichue maladresse quand on apprend à me connaître. Car je fais très attention dans mon métier et dans ma vie personnelle. » Cette confession te surprend et en même temps pas vraiment. Etre restaurateur d’oeuvre d’art signifie faire preuve d’une grande précision et d’un oeil pour le détail. Evelyn ne pouvait donc pas être maladroite tout le temps. « Je ne suis pas certain que je l’aurais formulé ainsi. Ne vous en faites pas, je ne compte pas raconter cette rencontre à tout mon département, votre réputation restera intacte. Et tout le monde a ses moments de maladresse, l’essentiel c’est de ne pas se faire mal. » Tu n’étais toujours pas persuadé qu’elle ne s’était pas fait mal avec tout ce plâtre mais bon, tu n’avais pas d’autres choix que de la croire et elle semblait cohérente dans tout ce qu’elle te racontait, c’était déjà ça !
Parler de ton métier était ce que tu savais faire de mieux. Après l’art, l’enseignement était ta deuxième passion et ta carrière était le bébé dont tu prenais soin et remplacerait certainement l’enfant que tu n’auras jamais. « C’était ma matière préférée quand j’étais étudiante. Je ne connais pas votre université, j’ai fait mes études… enfin, je me suis expatriée à Paris pour étudier à la Sorbonne, je ne sais pas si vous connaissez. Et le professeur que j’avais était un peu comme vous. Assez grand, avec un très beau sourire. Très communicatif. Je suis désolée pour le compliment. Je ne cherche pas à vous mettre mal à l’aise, je vous assure. » Tu n’étais pas habitué à recevoir de quelconques compliments sur ton physique. Sur tes capacités pédagogiques, sur le contenu de tes cours, sur ta carrière, ça c’était courant. Pour le reste, c’était bien plus rare. Tu sentis le rouge te monter légèrement aux joues mais tu préférais faire comme si de rien n’était et comme si cela ne te faisait pas réellement d’effet alors que c’était tout le contraire. Etrangement, tu avais même oublié le fait que tu pouvais plaire. « Vous avez étudié à Paris ? » Lui dis-tu étonné. « Je connais bien cette université et peut-être votre ancien professeur. J’ai enseigné deux ans à l’Ecole des Beaux Arts de 2016 à 2018. C’était une magnifique expérience. Paris est la ville parfaite pour étudier l’histoire de l’art. » Parce qu’elle en regorge mais aussi parce qu’elle est située en Europe et qu’il n’est pas difficile de s’envoyer pour quelques jours en Italie ou de pendre le train pour quelques jours en Angleterre. Peut-être aurais-tu pu croiser Evelyn à Paris si vous y étiez en même temps ? Qui sait ? « Est-ce que… cela vous gênerait si je venais assister à l’un de vos cours ? Après tout, vous m’avez vu travailler donc ça ne serait que… justice. Oh et moi aussi, je suis enseignante. C’est juste que mes élèves sont plus petits que moi. » Amusé du parallèle qu’elle vient de faire entre vos deux métiers, tu ne perds pas de temps pour lui répondre : « Bien sûr, passez quand vous voulez, l’emploi du temps de mes cours est disponible sur le site de l’université. » Lui dis-tu avant de t’arrêter quelques secondes sur la deuxième partie de l’information qu’elle vient de te donner. Elle est enseignante ? Mais de quoi ? Elle n’est pas restauratrice ? Peut-être qu’il était possible d’être les deux, tu ne t’étais jamais posé la question mais tu décidais à ton tour de jouer au curieux. « Vous restaurez des oeuvres et vous enseignez en même temps ? Vous enseignez quoi ? » Tu savais le temps que cela prenait de préparer des cours, l’énergie que cela demandait de se tenir devant des élèves. « Rassurez-moi, vous vous reposez de temps en temps n’est-ce pas ? » Lui demandas-tu pour la taquiner. Il ne faudrait pas qu’elle en fasse trop et termine en burnout.
Parler d’art c’était pour toi un passe temps et quelque chose dont tu ne pouvais pas te lasser. Voilà pourquoi tu avais essayé de rassurer Evelyn sur le fait qu’elle n’avait pas à s’excuser de partir dans des tangentes, cela ne te dérangeait pas. « Vous n’êtes pas si vieux Marius. Je dirai que le terme passionné vous convient bien. » Des fois tu avais l’impression d’être très vieux. Toutes les épreuves que tu avais vécues étaient des épreuves qui commençaient à marquer ta vie mais elle avait raison, tu n’étais pas si vieux que ça malgré tout. « Si vous le dites. » Lui dis-tu avec un clin d’oeil avant de lui demander depuis combien de temps elle est à Brisbane. Tu as l’impression qu’elle vient d’y arriver si elle se sent aussi seule et tu as du mal à comprendre comment elle n’a pas pu se lier avant aujourd’hui car Evelyn te semble tout à fait charmante. « Je dirai décembre 2017. Je crois. Non novembre car j’étais enceinte de quatre mois quand j’ai suivi mon… Ce n’est pas les Australiens qui pêchent, c’est… c’est moi le souci. Je suis maman. De deux jeunes enfants et étant rangée dans la caste des célibataires, c’est assez difficile de s’intégrer quand on est… enfin regardez-moi, j’ai deux mains gauches et avec des enfants, ça fait fuir pas mal de monde.. » Cela allait faire deux ans et demi qu’elle était à Brisbane et elle n’avait toujours pas réussi à y trouver une attache ? Tu retins ta mâchoire de se décrocher, cela devait être bien solitaire de vivre ainsi. Tu absorbais toutes les informations qu’elle venait de te donner parce qu’elle avait également deux enfants et cela devait être une grosse responsabilité si elle s’en occupait seule. « Et vous êtes seule à Brisbane ? Vous n’avez pas de la famille, rien ? » C’était peut-être cruel comme question mais tu n’arrivais pas à croire qu’elle arrivait à gérer tout cela toute seule. Passant une main dans tes cheveux tu lui dis : « Je suis désolé, c’était mal placé de ma part mais … Comment est-ce que vous tenez encore debout ? C’est … admirable, vos enfants ont de la chance. » Lui dis-tu très sincèrement. Pour t’être occupé de Moïra pendant quelques années seul, tu osais à peine imaginer ce que vivait actuellement Evelyn. « Je pense que vous voyez le verre à moitié vide. S’entourer ne passe pas toujours par la recherche de l’âme soeur, trouver des gens sur qui vous reposer pour faire une pause, c’est important. » Lui dis-tu sincèrement. Tu avais arrêté de chercher ‘la bonne personne’, préférant t’entourer de gens qui t’étaient chers et sur qui tu pouvais compter. Et si un jour ton coeur voulait s’ouvrir de nouveau, tu verras à ce moment là.
Répondant de manière affirmative à l’invitation d’Evelyn, tu la suivis sur l’échelle prenant bien soin de passer derrière elle. Et tu as bien fait car elle manque un barreau et tu l’aides à retrouver son équilibre. A son merci, tu réponds avec un sourire et quelques minutes plus tard, vous arrivez en haut de la plateforme : « Vos yeux, ils ont une teinte étonnante. A un moment, j’ai cru qu’ils étaient verts mais ils sont aussi bleus par moment. Vous êtes un vrai mystère artistique, Professeur. » Cette fois, tu sens le rouge te monter aux joues et tu ne peux pas le retenir. Tu ne sais pas comment réagir, tu n’as jamais trop su en vérité. « Vous êtes bien la première à le penser. Mais mes yeux ne sont rien comparés aux oeuvres qui nous entourent. » Dis-tu en faisant un geste de la main vers la galerie pour essayer de détourner l’attention de la jeune femme sur autre chose. Attrapant un petit carreau, elle te demande : « Vous voulez… vous voulez en poser un ... histoire d’apporter votre pierre à l’édifice. » Tu la regardes étonné mais tu attrapes le petit carreau sentant l’excitation t’envahir. L’idée de pouvoir participer, même d’une toute petite manière, à cette oeuvre cela t’éblouis. « Qu’est-ce que j’en fais ? » Lui demandas-tu curieux, prêt à suivre chacune de ses instructions.
Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
Je n’ai jamais été complexée par mes origines. Certes, je ne les connais pas. Sans doute ne suis-je pas allemande mais russe ? Je n’ai jamais vraiment cherché à connaître ma mère. La seule information que j’ai réussi à glaner était sa jeunesse. Trop jeune pour devenir mère à une époque où cela était mal vu. J’aurai pu agir de la même façon avec ma première grossesse. Abandonner Lisa à son propre sort sans me retourner. Mais dès que j’ai entendu les battements de son cœur, dès que je l’ai vu apparaître à l’écran, je fus saisie de deux émotions. La première était que j’étais terrifiée et ensuite que je l’aimais. J’aimais cet enfant qui n’était pourtant pas encore né d’un amour différent que celui que j’avais voué à Pierre ou à Martin. Je savais que je pourrais déplacer des montagnes pour elle. Et je savais jusque dans mes entrailles que je serai capable de tout pour elle, quitte à renier mes origines et rester m’établir en France. Le destin en a décidé autrement mais je sais que l’allemand n’est pas une langue mélodieuse sous la langue. J’écoute cependant Marius lorsqu’il me reprend plus ou moins sur mon manque de confiance concernant ma nation. « Pourquoi pas ? C’est un pays rempli d’histoire et singulier dans sa créativité artistique. » J’ai un petit sourire. Effectivement, pour être rempli d’histoire, notre pays l’est. Entre les guerres, les atrocités, le vol d’œuvres et ensuite la séparation du pays en deux. Je ne l’ai pas vécu car Berlin était réunifié après ma naissance. Mais j’ai pu voir la différence entre les deux. L’est, l’ouest. Le côté russe, très appauvri et le côté américain qui prospérait. Dans le fond, le pays ne s’en est jamais vraiment relevé. « Je parlais de la langue. L’allemand n’est pas la plus harmonieuse des langues. Contrairement à l’anglais ou même le français. » Je dis ceci d’une voix étonnamment douce même si mon accent ressort un peu trop à mon goût. Même après deux ans dans ce pays, je me retrouvais avec ce petit détail qui me collait à la peau, qui ne voulait pas disparaitre. Mais cela faisait partie de moi, de même que mes cheveux blonds comme les blés ou encore mes yeux clairs. Un autre détail physique outre ma taille qui peut alerter les gens sur mes origines, je peux me mettre tant que je veux au soleil, ma peau restera d’albâtre. Alors que celle de mon interlocuteur a une jolie teinte dorée. « Vous avez l’oeil, je mesure un mètre quatre-vingt-trois. Mais vous ne devriez pas y attacher une si grande importance, la taille ne fait pas tout. » Oh que si Marius, la taille joue grandement. Qu’il s’agisse de celle de votre âme ou de votre corps. J’ai cependant une moue plus taquine sur le visage. Chose qui me surprend car je ne le suis avec personne. « Essayez de faire vos courses au pays des nains et vous verrez si votre taille ne vous gêne pas, Gulliver. » Oserai-je un clin d’œil ? Non. A la place, je me contente de froncer un peu le nez avant de replacer une mèche rebelle derrière mon oreille. Mon épaule me lance légèrement des suites de la chute de ce sac de plâtre d’une bonne dizaine de kilos mais je m’en accommoderai. Je devais terminer mon travail à tout prix avant que l’on ne nous confine chez nous. Je détestai le travail non fini. C’est pour cette raison que j’étais aussi méticuleuse que possible, que je prenais mon temps quitte à y passer mes nuits à la maison. « Je ne suis pas certain que je l’aurais formulé ainsi. Ne vous en faites pas, je ne compte pas raconter cette rencontre à tout mon département, votre réputation restera intacte. Et tout le monde a ses moments de maladresse, l’essentiel c’est de ne pas se faire mal. » Je reste admirative devant cet homme inconnu qui me fait face. Sa gentillesse me surprend car les gens ne le sont jamais envers moi. Les gens se contentent de me regarder comme si je n’étais qu’un insecte que l’on devait écraser ou dégager. Et pourtant, même si un seul lien semble nous unir pour le moment, j’avais le sentiment que Marius était quelqu’un de bien. Je pourrais bien entendu le dire à voix haute mais cela me semble un peu prématuré. Après tout, ma naïveté ne m’a-t-elle pas desservi durant ma jeunesse ? N’avais-je pas eu foi trop vite en Pierre ? En l’humanité ? Cette même humanité qui m’a prise mon mari, qui me l’a subitement arraché avant même que je ne puisse savourer les joies de la vie maritale.
« Je n’ai pas vraiment de réputation. J’aspire à devenir transparente et je peux dire que cela me réussit assez souvent, dis-je avec un rire. » La transparence. Le fait de n’avoir que très peu d’amis ici. Si je n’avais pas eu la mère de Jacob qui est ma seule famille, je pense que j’aurai mis les voiles vers un nouveau pays. Je me sentais attirée par les pays de l’Amérique du Sud, par leur culture que je ne connaissais que trop peu, par leur art avant-gardiste, avec des siècles d’avance. Souvent, je me suis demandée si je n’aurai pas dû me tourner vers la recherche plutôt que vers la restauration. Mais ayant eu Lisa, j’ai dû revoir mes espérances à la baisse et je me suis prise à aimer ce métier ainsi que cet univers solitaire dans lequel je gravitais. Je peux voir cependant que je le mets mal à l’aise lorsque je vois un léger rouge lui monter aux joues. Le professeur serait-il donc un grand timide dans le fond ? Un homme aussi séduisant que lui devait avoir des conquêtes ? Ou même une femme ? Nom de dieu. Oui, cela doit être ça et ceci expliquerait la raison de sa gêne, le fait qu’il soit marié ou engagé dans une relation. A-t-il le sentiment que je flirte avec lui ? Par chance, Marius se décide à rebondir sur la mention de Paris dans ma précédente litanie. « Vous avez étudié à Paris ? Je connais bien cette université et peut-être votre ancien professeur. J’ai enseigné deux ans à l’École des Beaux-Arts de 2016 à 2018. C’était une magnifique expérience. Paris est la ville parfaite pour étudier l’histoire de l’art. » Je demeure stoïque, limite avec la bouche entrouverte. La coïncidence est énorme tout de même. ainsi je peux sentir ce lien qui se tisse entre nous se raffermir un peu. « Eh bah dis donc, c’est… En 2016, j’étais à l’école du Louvre. En fait, j’ai fait ma licence d’Histoire de l’art à la Sorbonne et ensuite je me suis tournée vers l’Ecole du Louvre. J’étais l’élève de Jean Charbonneaux. Et à la Sorbonne, Olivier de Cazanove. Je suis spécialisée en Arts et archéologie de l’Antiquité classique. Et vous, c’est quoi votre domaine de prédilection ? » Je demeure sans doute trop curieuse mais cela m’intéresse. Surtout s’il est d’un autre domaine que le mien. Même si devant le peu de restaurateurs, je dois me spécialiser dans un peu tout. Mon affection toute particulière va à la peinture à huile car c’est sans doute le procédé le plus simple. Bien que faire des portraits me manquent. Je peux me rappeler toutes les fois où je suis restée assise à cette fenêtre avec le chat de l’orphelinat sur mes genoux à dessiner les gens qui passaient dans la rue ou le paysage.
Je peux donc lui dire que je suis moi aussi « professeure ». Bien que je sois plus une simple intervenante qu’une conférencière comme lui. « Bien sûr, passez quand vous voulez, l’emploi du temps de mes cours est disponible sur le site de l’université. » je hoche donc la tête, suivi d’un sourire pour lui dire que je le ferai. J’étais certaine qu’il devait être passionnant comme homme. Rien que dans sa manière de se tenir et la chaleur qui en dégageait, j’avais sans doute quelque chose à apprendre. J’ai toujours cette soif de me perfectionner au fond de moi, de m’améliorer et espérer devenir une meilleure personne. « Vous restaurez des œuvres et vous enseignez en même temps ? Vous enseignez quoi ? » Et voilà ce qui en coûte d’ouvrir ton bec, Eve. « En fait, je suis intervenante en arts dans les écoles élémentaires. J’en fais 3. C’est un projet pédagogique mis en place par le musée pour sensibiliser les jeunes au domaine artistique. Je suis plus dans le cadre pratique. En fait, je vise à faire… » je cherche les bons mots car je ne suis pas habilité à fournir de grandes explications sur ma pratique. Après tout, j’ai encore du mal avec l’anglais, affectionnant plus le français. « … faire ressortir la… comment vous dites ? Créativité de chaque élève. Leur permettre de s’exprimer par diverses pratiques et ensuite je fais le parallèle avec certaines œuvres que nous pouvons trouver au musée. » Et on peut applaudir pour l’explication la plus nulle de cette nouvelle décennie. Bonjour honte, tu peux venir t’asseoir à côté de solitude et timidité. Je me sens rougir jusqu’aux oreilles avant de relever le nez. « Rassurez-moi, vous vous reposez de temps en temps n’est-ce pas ? » J’ai un petit sourire. Oh Marius, avec deux enfants en bas âge, deux chiens et deux travails, bien sûr que non. « Oui, ça m’arrive. Ne vous inquiétez pas pour moi. » Oh le gros mensonge. Mais bon, je ne le connais pas vraiment et je ne me vois pas m’étaler sur ma vie extérieure à celle du musée. Même si dans ma tête, je me vois me faire rouler dessus par un rouleau pâtissier pour finir en pâte à modeler. Des fois mon esprit est bien étrange.
Évidemment, je ne peux pas m’empêcher de parler de mes enfants. Et là, le petit moi intérieur se facepalme si fort que cela résonne dans mon esprit. Je peux voir les traits de Marius changer. Dans combien de temps va-t-il fuir ? « Et vous êtes seule à Brisbane ? Vous n’avez pas de la famille, rien ? » Sa question me prend un peu au dépourvu. Ma solitude ne m’a jamais gênée jusque-là. Au début, j’avais le bon espoir de me faire adopter puis à force de voir mes amis partir et de stagner au même endroit, l’espoir est mort. Ensuite, il est venu de nouveau pour qu’on me tourne violemment le dos alors que je venais d’annoncer ma première grossesse. Et enfin, je l’ai définitivement enterrée alors que l’on sortait un cercueil vide d’un avion. Donc effectivement, la solitude est ce qui me convient le mieux. Je m’apprêtai à répondre alors que Marius ouvre de nouveau la bouche. « Je suis désolé, c’était mal placé de ma part mais … Comment est-ce que vous tenez encore debout ? C’est … admirable, vos enfants ont de la chance. » Sa confession a pour but de me faire rougir jusqu’aux oreilles. Mais bon sang qui est cet homme beaucoup trop parfait pour être vrai ? Il est aussi séduisant que gentil. On calme les battements du cœur et on essaie de formuler une réponse convenable sans attirer une quelconque pitié. « Eh bien, je suis orpheline. Donc j’ai appris très tôt à être autonome. Et j’ai ma belle-mère pour m’aider de temps en temps. C’est d’ailleurs pour elle que je reste ici car Jacob, mon cadet, est très attachée à sa grand-mère et je ne veux pas le priver de la seule famille qu’il possède. Quant au fait de rester debout, je pense que… je dirai que je tire ma force de mes enfants. C’est un peu cliché, répliquai-je en grimaçant, mais c’est pour eux que je fais tout ça. Vous en avez ? Si ce n’est pas trop indiscret comme… question. » Ah tiens, timidité refait surface. Je me sens gênée alors que Marius enchaîne. Sa manière de vouloir se montrer réconfortant est touchante. Un peu maladroite mais touchante. « Je pense que vous voyez le verre à moitié vide. S’entourer ne passe pas toujours par la recherche de l’âme-sœur, trouver des gens sur qui vous reposer pour faire une pause, c’est important. » Tiens voilà la gêne. Je me mets à jouer avec mes mains avant de fuir son regard comme à chaque fois que je suis nerveuse. Je dégage donc ma nuque avant de tirer sur la chaîne où trônent les plaques militaires de Jacob ainsi que mon alliance. « Je ne cherche pas l’amour, professeur. J’ai juste passé ma vie toute seule. A Paris où j’avais mon bébé et mes études, et ici où j’ai mes enfants. J’ai un rythme de vie trop speed pour réussir à y laisser rentrer des gens. Et concernant l’âme sœur… » Je fais une moue enfantine avant de regarder ailleurs, passant une main dans mes cheveux, trop nerveuse. « je ne sais même pas si cela existe. » Les questions deviennent un peu moins professionnelles et plus personnelles. « Je vous aurai bien invité à déjeuner pour parler d’arts, de la France ou d’autres sujets mais je ne pense que vous devez avoir d’autres projets. » Comme une madame par exemple. car il était inconcevable dans mon esprit, qu’un homme bien soit seul. « Mais merci, votre inquiétude me touche. Je vais bien. » Ou pas. Mais c’est un autre débat.
Je décide donc de grimper à l’échelle pour remonter. Normalement, j’aurai dû mettre mon harnais mais en présence d’un homme tel que Marius, c’est naze. Je termine cependant dans ses bras et pendant quelques secondes mon regard capture le sien. Regard que je ne peux m’empêcher de trouver fascinant d’un point de vue artistique. Bien évidemment, je ne peux m’empêcher de l’ouvrir et je peux voir clairement le rouge lui monter aux joues. « Vous êtes bien la première à le penser. Mais mes yeux ne sont rien comparés aux œuvres qui nous entourent. » C’est à mon tour de m’empourprer sous sa remarque. « Oh je ne voulais pas… je ne flirte pas avec vous. C’était juste d’un point de vue artistique. J’ai bien conscience qu’un homme comme vous… enfin je veux dire aussi gentleman… » Charmant aurait été le mot le plus adéquat mais je n’ai pas envie de le voir sauter du haut de l’échafaudage pour s’en aller. « Vous ne devez pas être… libre. Et je suis contente pour vous. Comme l’a dit un certain professeur d’université, c’est parfois bien d’avoir quelqu’un sur qui se reposer pour faire une pause. » Mon sourire s’agrandit alors que je lui propose d’apporter sa petite touche personnelle. Je lui tends donc le carreau. « Qu’est-ce que j’en fais ? » J’ai un petit rire avant de baisser la tête. « Ok, je vous aide pour la première. Vous ferez la seconde tout seul. » Je me place donc derrière lui pour venir prendre son poignet. « Mettez-la à la verticale. » Je veille à rester assez éloignée pour ne pas le tâcher avec le plâtre. « Ensuite, comme un puzzle, cherchez la forme à laquelle cela peut se rapprocher. » Je pose ma petite main sur son poignet massif pour le guider. « J’ai au préalable dessiné les cases pour chaque symbole. Mais la fresque n’est pas aussi technique que la mosaïque. Ici, tout est une question de symbole. » Je me rehausse pour passer mon visage près de lui, laissant vaquer ma main libre sur mon travail déjà accompli. Puis, je guide sa main. « Veillez à laisser environ 1 cm pour les joints. Et ensuite, vous posez délicatement. Le mélange de plâtre et de ciment fera office de colle et le tour sera joué. » Doucement, je viens l’aider à poser le carreau à la bonne place avant de me reculer pour me heurter à la limite de l’échafaudage. « Sentez les battements de votre cœur qui se sont accélérés par l’excitation de trouver le bon morceau. C’est ce que j’éprouve tous les jours quand je restaure mes œuvres. Ça vous a fait quel effet ? » Je m’éloigne de lui pour replacer mes lunettes avant de me saisir d’un linge pour repasser sur le carreau précédemment posé histoire d’en nettoyer les contours avant que le plâtre ne sèche. Peinant à ralentir les battements de mon cœur, vrillé par l’excitation de la découverte, de la beauté de cette œuvre qu’il ne me tarde de voir finie. Et également par la précédente proximité que j’ai instauré avec Marius pour lui apprendre comment faire. « Je suis désolée si j’ai été trop proche. Mais c’était le meilleur moyen de vous guider. » Excuse à moitié forcée car je repenserai sans doute à ce moment pendant quelques temps. Comme premier acte de rapprochement avec un homme qui est certes inabordable mais qui m’a rappelé que je devais faire quelque chose d’important. Je devais vivre à nouveau. Et pour moi seule.
Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
Tu ne saurais dire pourquoi mais quelque chose te dit que la restauratrice que tu as en face de toi est une personne singulière. Tu n’arrives pas à deviner ses réactions comme tu pourrais le faire avec la plupart des personnes que tu rencontrais et cela t’intriguait, t’intéressait. Tu n’étais pas quelqu’un qui cherchait la compagnie des autres et pourtant, tu appréciais l’échange que tu étais en train d’avoir avec Evelyn. « Je parlais de la langue. L’allemand n’est pas la plus harmonieuse des langues. Contrairement à l’anglais ou même le français. » Ne parlant pas un mot d’allemand, tu n’avais pas beaucoup de connaissances sur le sujet mais tu avais déjà entendu cette langue dans des conférences internationales et à Paris quand l’Allemagne n’était pas un pays lointain mais un pays voisin. Oui, l’Allemand avait des sonorités bien particulières mais cela ne voulait pas dire qu’une mélodie n’existait pas. Elle était juste plus tournée vers des accords mineurs qui ont tendance à accrocher plus les oreilles que des accords majeurs. Et pourtant, il n’a jamais été question de supprimer ces accords des mélodies. « Chaque langue a sa propre harmonie. L’Allemand accroche peut-être plus nos oreilles mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas lui trouver une certaine beauté. » Dans ton domaine, la beauté était relative et pour toi elle existait dans chaque tableau, dans chaque oeuvre. Il est possible de trouver de la beauté en toute chose, il faut des fois aller la chercher un peu plus loin que le bout de son nez. La remarque initiale de la jeune femme sur ta taille t’avait fait sourire car personne ne t’a jamais fait remarquer que tu étais plutôt grand. Tu savais que c’était le cas mais tu ne t’attardais pas sur ce genre de détail physique surtout que tu étais loin de faire parti des hommes les plus grands de ce pays mais tu étais déjà trop grand pour Evelyn qui souffrait de sa petite taille. « Essayez de faire vos courses au pays des nains et vous verrez si votre taille ne vous gêne pas, Gulliver. » Un sourire apparut sur ton visage à ces analogies et tu secouais la tête. Tu ne répondis pas parce que de toute manière, il n’y avait pas grand chose que tu pouvais faire pour aider, votre taille à tous les deux était indépendante de vos volontés. Votre rencontre par contre, elle dépendait complètement de vous et elle ne s’était pas passée comme Evelyn aurait aimé qu’elle se passe, cela était évident. Mais ce n’était pas un problème, c’était sans doute plus drôle et singulier qu’elle se soit passée ainsi parce que vous vous en souviendrez. « Je n’ai pas vraiment de réputation. J’aspire à devenir transparente et je peux dire que cela me réussit assez souvent » Cette admission ne te surprend pas le moins du monde mais elle t’attriste. Tu peux comprendre cette envie de disparaître, de se faire tout petit parce que tu l’avais ressentie des centaines de fois quand tu étais avec ta famille mais malgré tout, tu n’avais jamais eu envi d’être transparent. Personne ne méritait de ne pas être vu parce que chaque personne était unique et apportait quelque chose à ce monde, apportait quelque chose aux personnes qu’elle croisait. « Je trouve cela dommage, même si la transparence vous va bien, avez-vous pensez que vous pourriez vous épanouir dans un brin de lumière ? Chaque personne est capable de grande chose et mérite d’être vu. » C’était ce que tu disais à tes élèves. Tous ne deviendront pas les prochains Monnet ou Da Vinci mais ils auront tous quelque chose à proposer que ce soit à travers leur art ou à travers autre chose d’ailleurs voilà pourquoi ils méritaient de ton temps.
Alors qu’Evelyn te parlait de son parcours, tu te rendis vite compte que vos chemins auraient pu se croiser à un tout autre moment de votre vie et dans un tout autre endroit. Vous étiez tous les deux à Paris et dans les mêmes cercles au même moment. Bine entendu, la jeune femme était bien plus jeune que toi et était étudiante quand tu enseignais mais malgré tout, vous auriez pu vous croiser. Cela te surprit autant qu’Evelyn quand tu lui confiais avoir enseigné à Paris. « Eh bah dis donc, c’est… En 2016, j’étais à l’école du Louvre. En fait, j’ai fait ma licence d’Histoire de l’art à la Sorbonne et ensuite je me suis tournée vers l’Ecole du Louvre. J’étais l’élève de Jean Charbonneaux. Et à la Sorbonne, Olivier de Cazanove. Je suis spécialisée en Arts et archéologie de l’Antiquité classique. Et vous, c’est quoi votre domaine de prédilection ? » Parcours impressionnant pour ce petit bout de femme. Comme tu l’avais imaginé, derrière la transparence et l’envie de disparaître d’Evelyn se cachait une artiste qui voulait s’ignorer à tout prix. Si tu avais eu ce genre de formation, tu aimais à penser que tu aurais développé une confiance en toi un peu plus importante que celle que tu voyais chez ton interlocutrice. « Vous avez un parcours magnifique, je suis presque jaloux. Vous n’aviez pas envie de poursuivre dans un parcours universitaire ? » Tout le monde n’en avait pas envie et nombreux étaient ceux qui préféraient aller travailler comme restaurateurs ou autres, les métiers de l’art étaient nombreux et avec de tels noms sur son CV, Evelyn aurait pu frapper à n’importe quelle porte. « Ma spécialité est la période de la Renaissance. Du moins, c’est celle que je connais le mieux. Mais je commence à appréhender l’art moderne, la deuxième moitié du XXème siècle m’interpelle en ce moment. » Ajoutas-tu en pensant aux derniers papiers que tu avais lu et ton envie de te plonger dans cette histoire de l’art très récente mais bien plus palpable. En plus d’un parcours exceptionnel, Evelyn te confia ensuite qu’elle était aussi enseignante ce qui te laissa interdit. Restauratrice et enseignante ? Deux métiers bien différents et qui devaient demander tous les deux beaucoup de temps comme tu le lui fis remarquer. « En fait, je suis intervenante en arts dans les écoles élémentaires. J’en fais 3. C’est un projet pédagogique mis en place par le musée pour sensibiliser les jeunes au domaine artistique. Je suis plus dans le cadre pratique. En fait, je vise à faire … faire ressortir la… comment vous dites ? Créativité de chaque élève. Leur permettre de s’exprimer par diverses pratiques et ensuite je fais le parallèle avec certaines œuvres que nous pouvons trouver au musée. » Tu écoutes son explication avec intérêt alors qu’elle ne semble pas vraiment à l’aise de te la donner. Pourtant, c’est une très belle initiative et tu es le premier à faire du lobbying pour que l’art ait plus de place dans les écoles, que ce soit des arts plastiques ou autres. Décidément, ce petit bout de femme était bien plus que ce qu’elle ne voulait te faire croire. « Je trouve cela très admirable. J’essaie d’utiliser mon influence pour pousser nos chers politiciens à investir plus massivement dans l’art à l’école avec plus ou moins de succès je l’avoue. Mais c’est tout à fait le type de projet qui peut faire découvrir une vocation à des enfants, merci d’y participer. » Lui dis-tu le plus sincèrement du monde. Tu n’en étais pas l’instigateur mais cela ne t’empêchait pas d’apprécier l’effort que fournissait Evelyn en plus de ses heures à restaurer des oeuvres. D’ailleurs, tu ne pus t’empêcher de lui demander si elle se reposait : « Oui, ça m’arrive. Ne vous inquiétez pas pour moi. » Tu n’en étais pas convaincu mais tu n’avais d’autres choix que de la prendre au mot.
Evelyn te confia ensuite avoir deux enfants dont elle s’occupait seule en plus du travail qu’elle fournissait pour le musée. Etait-elle vraiment sûre de se reposer de temps en temps ? Tes questions et tes remarques firent monter le rouge à ses joues mais tu le pensais vraiment, ses enfants ne savaient pas la chance qu’ils avaient. « Eh bien, je suis orpheline. Donc j’ai appris très tôt à être autonome. Et j’ai ma belle-mère pour m’aider de temps en temps. C’est d’ailleurs pour elle que je reste ici car Jacob, mon cadet, est très attachée à sa grand-mère et je ne veux pas le priver de la seule famille qu’il possède. Quant au fait de rester debout, je pense que… je dirai que je tire ma force de mes enfants. C’est un peu cliché mais c’est pour eux que je fais tout ça. Vous en avez ? Si ce n’est pas trop indiscret comme… question. » Beaucoup d’informations en peu de temps, il fallait que tu avales tout ce qu’elle venait de te dire. Donc elle était orpheline mais avait quand même sa belle-mère pour l’aider. Tu ne savais pas où était le père de ses enfants mais quelque chose te disait que poser la question serait mal venu. « Je n’ai pas d’enfants et je commence à croire que je n’en aurai jamais. J’ai une nièce cependant dont je me suis occupé quelques années mais qui vit avec son père aujourd’hui. Je la vois de temps en temps. » De plus en plus d’ailleurs depuis que Tommy et toi aviez mis les choses au point. Tu n’initiais que rarement le contact pour t’occuper de Moïra comme tu l’avais promis mais ta nièce finissait toujours par te proposer quelque chose ou alors ton frère avait besoin d’un coup de main. La première fois qu’il t’avait appelé pour le dépanner, tu avais cru rêver. « Je ne cherche pas l’amour, professeur. J’ai juste passé ma vie toute seule. A Paris où j’avais mon bébé et mes études, et ici où j’ai mes enfants. J’ai un rythme de vie trop speed pour réussir à y laisser rentrer des gens. Et concernant l’âme sœur… Je ne sais même pas si cela existe. Je vous aurai bien invité à déjeuner pour parler d’arts, de la France ou d’autres sujets mais je ne pense que vous devez avoir d’autres projets. Mais merci, votre inquiétude me touche. Je vais bien. » Un sourire amusé se dessina sur tes lèvres à cette invitation qui n’en était pas vraiment une car Evelyn avait décidé que tu étais fait pour de plus grandes choses que discuter avec elle. « Même si vous allez bien, vous devriez laisser entrer des gens dans votre vie. Vous verrez, partager ses problèmes et ne pas avoir à tout supporter seul c’est agréable aussi. » Il t’avait fallu du temps pour le comprendre parce que tu avais un penchant indéniable pour la solitude et pour le rôle du martyr. Mais tu avais fini par trouver un bon équilibre dans ta vie et Evelyn pourrait le trouver aussi.
En haut de l’échelle, c’est une autre vision de la galerie et de l’oeuvre à restaurée qui s’offre à vous. « Oh je ne voulais pas… je ne flirte pas avec vous. C’était juste d’un point de vue artistique. J’ai bien conscience qu’un homme comme vous… enfin je veux dire aussi gentleman… Vous ne devez pas être… libre. Et je suis contente pour vous. Comme l’a dit un certain professeur d’université, c’est parfois bien d’avoir quelqu’un sur qui se reposer pour faire une pause. » Tu laissais échapper un rire amusé à ces paroles. Si Evelyn voulait s’appuyer sur toi pour faire une pause, tu n’y voyais pas d’inconvénient. Tu étais un peu moins à l’aise avec les remarques plus personnelles et qui se rapprochaient en effet d’un flirt mais cela avait toujours été le cas. Tu aimais charmer mais des fois tu avais du mal à accepter cela des autres. « Je ne sais pas pourquoi vous êtes persuadée que je devrais être en couple mais ce n’est pas le cas. La solitude a toujours été mon vilain défaut. » Lui dis-tu pour la contredire car tu avais l’impression qu’elle était en train de se faire un certain nombre de films dans sa tête. Qu’importe, tu attrapais le carreau qu’elle te donnait avant de lui demander quoi en faire. Tu suivis ses instructions et la laissais te guider. Après tout, c’était elle la restauratrice, pas toi. Tu ne t’attendais pas à une telle proximité physique cependant et tu essayais de ne pas y penser parce que tu faisais parti de ceux qui avaient besoin de connaître les gens au minimum avant de les laisser s’approcher de trop près. Une fois le carré posé, elle te demanda : « Sentez les battements de votre cœur qui se sont accélérés par l’excitation de trouver le bon morceau. C’est ce que j’éprouve tous les jours quand je restaure mes œuvres. Ça vous a fait quel effet ? Je suis désolée si j’ai été trop proche. Mais c’était le meilleur moyen de vous guider. » Tu hoches la tête ne sachant trop quoi dire. De toute manière, le moment est passé, le petit carreau est posé à l’endroit exact où il devait se trouver. « L’effet est singulier, c’est … C’est une montée d’adrénaline sans pareille mais je préfère ma vie plus tranquille. » Lui dis-tu avec un sourire apaisé. Tu n’étais pas fait pour ce genre de métier où il fallait se salir les mains. « Merci pour l’expérience en tout cas. » Lui dis-tu sincèrement car tu étais heureux d’avoir pu y participer.
Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
Les gens ne comprennent pas cette phobie. Avoir peur de l’inconnu, des grands espaces. Lorsque l’abandon s’invite dans votre vie alors que vous êtes si jeunes, lorsque la mort s’ajoute : il ne nous reste plus rien. Je ne suis plus rien. Je ne suis qu’une particule infime dans le vaste univers. Je ne suis rien. Ce besoin de disparaître, de n’être plus rien. De disparaitre dans cette infinité. De redevenir les cendres que nous étions au départ.
J’ai toujours aimé passer inaperçue. En Allemagne, je me fondais aisément dans la masse. J’étais petite, blonde aux yeux bleus. Je pouvais passer inaperçue sans aucun problème. C’est sans doute pour cette raison que l’on ne m’a jamais adopté. Le couplet de la pauvre orpheline qui a passé sa vie, seule. À regarder ses amis partir, les uns derrière les autres sans revenir. On apprend à se détacher. Au début, la chose nous fait souffrir. On a l’impression de se sentir trahi, de ne plus avoir de repères. Et puis, on s’habitue. Je me suis faite à cette transparence. Et pourtant face à Marius, je sens que mes repères vont voler en éclats. Je le vois à son froncement de sourcils qu’il ne comprend pas. J’ai besoin de m’effacer de ce monde, Marius. Je ne veux plus en faire partie depuis qu’il m’a tout pris. Mon cœur, mon âme, mon identité. « Je trouve cela dommage, même si la transparence vous va bien, avez-vous pensez que vous pourriez vous épanouir dans un brin de lumière ? Chaque personne est capable de grande chose et mérite d’être vu. » Je baisse la tête pour venir passer une main dans mes cheveux courts. J’essaie de comprendre le sens de ses paroles trop philosophiques pour mon si petit cerveau. « Je… Je n’ai pas envie d’être vu. » j’en ai plus envie en tout cas. Mon cœur s’emballe de manière démesurée alors que je me sens blanchir sous cette couche de plâtre.
Je décide donc de changer de sujet pour palier à ce début de crise d’angoisse. Comme lorsqu’une personne me voit. Je fais tellement d’efforts pour me fondre dans la masse. J’en ai fait du moins. En Australie, la chose est différente car le monde me semble si grand. J’ai l’impression de me retrouver dans Inception lorsqu’Ellen Page modifie la réalité. J’ai vu les magasins grandir et je me suis sentie comme piégée. J’aurai voulu fuir si loin mais j’avais mes enfants. Jacob et Lisa. Ils ne méritaient pas que je les arrache à leurs repères. Je me suis donc retranchée dans mon appartement sans possibilité de sortie. comme lorsqu’on entame une partie de Monopoly et que l’on se retrouve en case prison. Je suis sur cette case depujis deux ans. Le déclic ne peut venir que de vous, m’a dit mon psy. Un déclic qui tarde et qui me fait passer à côté de tant de choses. Alors que je parle de mon parcours, je ne le trouve pas si glorieuse. Quelle opinion aurais-tu de moi Marius si tu savais que j’étais tombée enceinte si rapidement ? « Vous avez un parcours magnifique, je suis presque jaloux. Vous n’aviez pas envie de poursuivre dans un parcours universitaire ? » Je ne me suis jamais posée cette question. Pourquoi ? Parce que l’université ne m’a jamais attirée. C’est trop grand encore une fois. Tout est question de taille lorsqu’on souffre de ma maladie. « Je ne sais pas. Je voulais plus me concentrer sur les recherches. Aller sur le terrain pour découvrir des œuvres, la culture. J’ai toujours rêvé d’aller en Grèce ou en Egypte. La chose ne s’est pas faite. » C’est surtout que la mère supérieure mourante et un enfant en bas âge, cela ne s’est pas fait. La vie est pleine de circonstances qui font que tels des dominos nos rêves s’effondrent. Se brisent en mille morceaux.
« Ma spécialité est la période de la Renaissance. Du moins, c’est celle que je connais le mieux. Mais je commence à appréhender l’art moderne, la deuxième moitié du XXème siècle m’interpelle en ce moment. » L’art moderne. Je n’ai jamais été attirée par ce courant. Je suis plus aimantée vers le berceau de l’art en lui-même que vers sa finalité. « Je ne connais pas grand-chose en l’art moderne. J’ai un de mes collègues qui en est friand par contre. » Tu as toqué à la mauvaise porte, Marius. La mienne n’est pas faite pour être entrouverte. Je n’en vaux pas la peine. « J’ai étudié la Renaissance quand j’ai restauré une œuvre à Versailles. C’était intéressant. J’ai pu déceler plein de techniques différentes dans le tableau que je restaurai. Vous peignez ? » Après tout, s’il s’intéressait à l’art, il devait peindre. Ça coulait de source et ma question est stupide.
J’en viens à discuter de l’école. J’expose mon cheminement sans dire le pourquoi de cette seconde vocation. Je n’aime pas trop parler de mes enfants avec des inconnus. Sans doute parce que devant ma jeunesse, les gens sont prompts à me juger. Trainée, comment une femme aussi jeune peut-elle tomber enceinte avec les moyens de contraception actuels ? Par bêtise. Quelle sotte. Alors je lui parle du projet que j’ai soutenu avec le musée. Le conservateur ayant été emballé par cette idée. « Je trouve cela très admirable. J’essaie d’utiliser mon influence pour pousser nos chers politiciens à investir plus massivement dans l’art à l’école avec plus ou moins de succès je l’avoue. Mais c’est tout à fait le type de projet qui peut faire découvrir une vocation à des enfants, merci d’y participer. » Je ne réponds pas, me contentant d’un hochement de tête comme pour lui dire « pas de quoi ». Mais je ne trouve pas ma démarche si admirable que ça. Je ne suis pas professeur d’université à plein temps. Chacun son métier comme on dit. Je pourrais me confondre en excuse et j’ai bien conscience que le stress qu’engendre cette discussion me tourne en ridicule.
« Je n’ai pas d’enfants et je commence à croire que je n’en aurai jamais. J’ai une nièce cependant dont je me suis occupé quelques années mais qui vit avec son père aujourd’hui. Je la vois de temps en temps. » Je me tourne vers lui. Si nous avions été assis, j’aurai posé ma main sur la sienne mais je me contente juste de plonger dans son regard, un petit sourire timide. « Il ne faut jamais dire jamais. Je ne pensais pas tomber enceinte aussi jeune. J’avais tout un programme et s’est arrivé. Et puis maintenant, beaucoup d’hommes ont des enfants à votre âge. » Comme lui qui m’incite à me voir en pleine lumière. Je ne pense pas que Marius restera indéfiniment sans enfant. Il a cette étincelle dans le regard qu’ont tous les gens qui aiment les enfants. Et il ferait un bon père selon moi. S’il a été capable de s’occuper de l’enfant d’un autre pendant quelques années. « Elle a quel âge ? Votre nièce ? » Je passe une main dans mes cheveux pour dégager mon front. Comme un tic nerveux. Je viens presque à rire lorsqu’il me dit de ne pas me fermer aux autres. « J’aimerai bien… mais je n’y arrive pas, dis-je tout bas. » Je ne peux pas me permettre de laisser entre d’autres personnes dans ma vie. « J’ai… une pathologie étrange. Je suis… » Complètement tarée. C’est un fait établi. « Je souffre d’agoraphobie. Depuis un peu plus de deux ans. C’est pour ça que je suis isolée dans ma vie et au musée. » Si tu savais par quoi je suis passée pour en être arrivée là, Marius. Tu ne me pousserais pas à aller vers l’inconnu. Sans doute te le dirai-je un jour pour Jacob ? Mais en attendant, n’oublions pas que cette rencontre n’est que professionnelle. Rien de plus.
Je le laisse grimper à l’échelle avec moi pour venir encore une fois me montrer maladroite. Quant à la couleur des yeux. J’aurai dû me taire et je me sens piquer un fard alors que je balbutie quelques mots grotesques. « Je ne sais pas pourquoi vous êtes persuadée que je devrais être en couple mais ce n’est pas le cas. La solitude a toujours été mon vilain défaut. » Parce que tu es trop bien pour être seul Marius. « Vous êtes un véritable paradoxe. Vous me dites de m’ouvrir aux autres mais vous ne le faites pas. Et les gens séduisants sont rarement seuls. » Célibataires. Il devait le savoir qu’il plaisait à la gente féminine. Un homme aussi charmant devait en avoir. Contrairement à moi qui disparait dès qu’un rayon de soleil pointe le bout de son nez. « Je ne sais pas flirter de toute manière. Et je n’oserai pas. J’ai trop de respect pour vous pour nous ridiculiser tous les deux. » Me ridiculiser surtout. Je sais ce que cela fait d’essayer de charmer quelqu’un. D’essayer de construire quelque chose avec un homme. Je le sens se raidir à mon contact alors que je guide sa main. Je sens qu’encore une fois, je génère un malaise avec une personne tierce. Cette manie que j’ai de toucher tout le monde. Le fait que le tout partait d’une bonne intention et que je sens la personne se tendre à chaque fois me perce un peu plus le cœur. Je me recule donc avant de venir reprendre ma place à ses côtés. « Je vous en prie. » A mon sens, je ne sais pas si cette conversation est terminée ou pas donc je reste en silence poser mes carreaux à une vitesse ahurissante. « Si vous avez d’autres questions ou si vous voulez rester à me regarder travailler. Je ne pense pas que cela soit très passionnant mais votre compagnie est agréable. » Je me sens rougir avant de venir refaire le mélange qui a tendance à se figer. « Sinon, je passerai… j’essaierai de sortir pour passer assister à l’un de vos cours. Vous m’avez intriguée avec le courant moderne. » J’ai un petit rire sans oser le regard. Gênée par le fait de l’avoir mis mal à l’aise. « Si je vous ai mis mal à l’aise, ce n’était pas… c’est pas intentionnel. Je suis aussi maladroite avec les mots qu’avec mes mains. »
Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
Se fondre dans la masse, ne pas de faire remarquer. C’était quelque chose que tu pouvais comprendre car tu avais ressenti ce besoin également quand tu grandissais. Ton adolescence s’était déroulée sans heurt et tu n’avais qu’une envie, ne pas te faire remarquer. Pourtant, tu n’avais jamais voulu disparaître complètement. Ta voix avait toujours porté et ton parcours universitaire t’avait permis de trouver ce qui pouvait te rendre unique dans une foule d’inconnus. Evelyn, elle, ne semblait pas vouloir sortir de la masse, jamais. Tu trouvais cela triste parce que toute personne méritait d’être reconnue pour quelque chose et elle semblait avoir de multiples talents. « Je… Je n’ai pas envie d’être vu. » Tu le déplorais mais c’était son droit. Tu pouvais voir que tes paroles l’avaient mise très mal à l’aise, qu’elle semblait avoir du mal à respirer alors tu préférais ne rien ajouter, c’était mieux comme ça. Tu laissais donc la voix de la jeune femme résonner dans la galerie alors que le sujet changeait et se posa sur le parcours d’Evelyn qui était impressionnant. Les écoles et les formations qu’elle avait intégrées auraient pu la mener dans des directions bien plus prestigieuses que la position qu’elle occupait actuellement. Pas que son métier de restauratrice était un sous métier mais elle aurait pu aspirer à plus, à autre chose. Toutefois, tu commençais à comprendre qu’Evelyn fuyait tout ce qui pouvait être prestigieux, comme si elle avait décidé ne pas le mériter, ne pas en être capable et donc elle n’essayait même pas d’y accéder. Tu étais curieux cependant de avoir pourquoi elle n’avait pas voulu poursuivre dans une université, ne serait-ce que pour une thèse. N’importe quelle école doctorale lui aurait donné une bourse avec son cursus. « Je ne sais pas. Je voulais plus me concentrer sur les recherches. Aller sur le terrain pour découvrir des œuvres, la culture. J’ai toujours rêvé d’aller en Grèce ou en Egypte. La chose ne s’est pas faite. » C’est comme si tu pouvais lire sur le visage d’Eve ses rêves qui se sont écroulés les uns après les autres. Tu entends dans sa voix les regrets et à cet instant précis, tu comprends que ses enfants n’ont peut-être pas été voulus. Car à tes yeux, ce ne sont que des enfants qui peuvent vous empêcher de réaliser votre rêve. Et même si tu ne dois jamais en avoir, au moins tu ne pourras pas leur reprocher de t’avoir retenu dans ta carrière, à aucun moment. « Vous êtes encore jeune, vous avez encore le temps de vous envoler vers ces destinations. » Te contentas-tu de lui dire en espérant sincèrement qu’elle en aurait l’occasion. De cette conversation découla celle de tes propres centres d’intérêts et donc de tes dernières recherches. La Renaissance t’avait toujours passionné mais tu te tournais de plus en plus vers l’art moderne. « Je ne connais pas grand-chose en l’art moderne. J’ai un de mes collègues qui en est friand par contre. J’ai étudié la Renaissance quand j’ai restauré une œuvre à Versailles. C’était intéressant. J’ai pu déceler plein de techniques différentes dans le tableau que je restaurai. Vous peignez ? » C’était pour cette raison que tu avais choisi d’étudier La Renaissance. C’était une période tellement charnière de l’histoire de l’art, un moment dans le temps qui allait laisser des traces dans toutes les périodes à venir. Et plus tu l’étudiais, plus tu y découvrais des secrets cachés. « Je fais de l’aquarelle mais pas sérieusement, pour le plaisir. Je n’ai jamais été très doué artistiquement assez ironiquement. » Tu aurais pu peut-être mais tu étais avant tout un intellectuel, pas un artiste. Tu faisais de l’aquarelle parce que tu aimais ça et parce que tu n’étais pas si mauvais mais tu n’avais jamais eu aucune prétention d’en faire quoi que ce soit. Même si un nombre conséquent de personnes savaient que tu en produisais, tu ne les montrais que très rarement. Le nombre de personne les ayant vues se comptaient littéralement sur les doigts d’une main.
Evelyn était mal à l’aise quand tu la complimentais sur son travail pourtant, tu voulais noter le fait que son engagement dans les écoles était quelque chose d’important, qu’elle le voit comme cela ou non. Elle en vint à te demander si tu avais des enfants et la réponse était bien entendu négative mais tu ne pouvais t’empêcher de parler de ta nièce. « Il ne faut jamais dire jamais. Je ne pensais pas tomber enceinte aussi jeune. J’avais tout un programme et s’est arrivé. Et puis maintenant, beaucoup d’hommes ont des enfants à votre âge. » Elle avait raison mais ce n’était pas une question d’âge. La question était plutôt de trouver une femme avec qui avoir des enfants et tu avais bien conscience d’être quelqu’un de difficile. Tu n’étais pas le genre d’homme qui tombe amoureux au premier regard. Tu peux être charmé au premier regard mais guerre plus. Alors cela prend du temps et certainement trop de temps quand on veut construire une famille. « Elle a quel âge ? Votre nièce ? » Cette question te sort de tes pensées et un sourire vient automatiquement se dessiner sur ton visage. Moïra n’est pas ta fille mais tu en parles toujours avec une telle fierté que c’était tout comme. « Elle a onze ans déjà, les années filent sans qu’on ne les voit passer. » Dis-tu en secouant la tête. Moïra allait rentrer dans sa période adolescente et vu la crise qu’avait traversée son père et celle qu’Alice avait traversée de ce que tu en avais compris, tu ne doutais pas que la chambre d’amis que tu avais dans ton loft risquait d’être la cachette préférée de ta nièce. Elle n’avait pas de chance, ton frère et toi commenciez à trouver un terrain d’entente et tu espérais qu’elle n’allait pas essayer de vous jouer l’un contre l’autre. « J’aimerai bien… mais je n’y arrive pas. J’ai… une pathologie étrange. Je suis… Je souffre d’agoraphobie. Depuis un peu plus de deux ans. C’est pour ça que je suis isolée dans ma vie et au musée. » Agoraphobie … C’était une maladie dont tu avais déjà entendu parler mais dont tu ne connaissais pas bien les symptômes et les effets. Peur de la foule, peut des autres aussi ? Tu n’en savais rien et tu te sentis un peu bête soudainement. Evelyn n’avait pas choisie de ne pas être entourée. « Je suis désolé. » Lui dis-tu sincèrement. « C’est … C’est quelque chose qui se soigne ? Vous pensez pouvoir vaincre cette phobie ? » Les phobies n’étaient pas toujours rationnelles et pas simples à soigner. Tu ne savais même pas si cette question n’était pas déplacée mais tu espérais que la réponse soit oui pour que la jeune femme puisse revivre plus normalement.
Pour une raison que tu ignores Evelyn s’est persuadée que tu étais en couple. Tu ne comprends pas l’importance de ce détail mais tu préfères lui dire que tu ne l’es pas pour éviter la multiplication des films qu’elle peut avoir à ton sujet. « Vous êtes un véritable paradoxe. Vous me dites de m’ouvrir aux autres mais vous ne le faites pas. Et les gens séduisants sont rarement seuls. Je ne sais pas flirter de toute manière. Et je n’oserai pas. J’ai trop de respect pour vous pour nous ridiculiser tous les deux. » Tu n’étais peut-être pas l’homme le plus charmeur de tous les temps mais tu espérais ne pas te ridiculiser complètement en flirtant avec une femme. Tu étais par moment maladroit certes mais de là à te ridiculiser, il y avait un grand pas. Tu ne répondis pas cependant préférant te concentrer sur la tâche à accomplir en posant ce petit carreau au bon endroit. Avec l’aide d’Evelyn tout se passa comme prévu mais tu n’avais pu cacher ta réticence à être touché. Très peu tactile, tu n’étais pas très à l’aise dans ce genre de situations. Redescendant de l’échelle, tes pieds retouchèrent le sol et Evelyn reprit la parole : « Si vous avez d’autres questions ou si vous voulez rester à me regarder travailler. Je ne pense pas que cela soit très passionnant mais votre compagnie est agréable. Sinon, je passerai… j’essaierai de sortir pour passer assister à l’un de vos cours. Vous m’avez intriguée avec le courant moderne. » Tu hoches la tête, Evelyn pouvait décider de passer à l’université quand bon lui semblait. « Je peux rester encore un peu mais je ne vais pas tarder à devoir vous quitter. » Cette visite avait comme créé une faille spatio-temporelle pendant quelques temps mais en regardant ta montre tu avais remarqué que tu ne pourrais pas rester trop longtemps non plus. « Si je vous ai mis mal à l’aise, ce n’était pas… c’est pas intentionnel. Je suis aussi maladroite avec les mots qu’avec mes mains. » Tu ne voulais pas qu’elle s’en veuille, après tout ce n’était pas de sa faute si tu n’étais pas quelqu’un de tactile, quelqu’un qui n’aimait pas qu’on se touche sans prévenir. « Ne vous en faites pas, vous ne pouvez pas savoir. Je ne suis pas une personne très tactile mais vous ne pouviez pas le savoir, je ne vous en tiendrai pas rigueur. » Elle n’avait fait que poser ses mains sur tes poignets, tu allais t’en remettre.
Je n'ai trouvé de repos. Que dans l'indifférence. Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence. Mais rien n'a de sens. Et rien ne va. Tout est chaos A côté tous mes idéaux, des mots Abîmés. Je cherche une âme, qui pourra m'aider. Je suis d'une génération désenchantée (Mylène Farmer, Désenchantée )
☆ Marius & Eve ☆
Je n’ai jamais été douée en société. Je dois dire que j’y ai fait mon entrée assez tardivement. J’avais dix-sept ans quand j’ai quitté l’orphelinat avec une belle bourse en poche. Assez pour voir autre chose que l’Allemagne et le Berlin dévasté dans lequel j’avais grandi. Monter dans un train, voir l’inconnu, cela ne m’effrayait pas outre mesure. Contrairement à aujourd’hui où rien qu’à l’idée de mettre un pied dehors, je devais faire des efforts considérables. Où mon cœur faisait une embardée aux vues de nouveaux contacts, de prochains amis. Je ne voulais pas me lier avec les Australiens. Je n’aspirai qu’à la transparence. N’étant nullement jolie, ni charismatique, c’est le cœur en berne… Que j’y arrivais parfaitement.
Face à un professeur d’université, je devais l’avouer, j’étais intimidée par Marius Warren. Sa haute stature athlétique, son regard vif, je ne savais plus trop quoi penser et quoi dire. Incapable d’avoir une idée cohérente en présence d’une personne du sexe opposé, j’avais conscience que j’étais purement et simplement godiche. Il y avait deux sons de cloches en moi : le démoniaque qui me disait de flirter, de ne pas laisser échapper un morceau pareil. L’angélique qui me disait de rester dans les convenances dû à mon métier. Professionnelle. Il fallait que je reste professionnelle. Et aux vues de la conversation qui déroulait avec simplicité entre nous, je dirai que l’idée n’avait pas effleurée Marius de son côté. Que je n’étais qu’une parfaite étrangère. Sans aucun doute, trop jeune, trop candide pour les yeux bleus du professeur. Alors lorsque nous en venons à aborder un sujet qui me fâche, je me surprends à me balancer sur mes pieds, d’avant en arrière. « Vous êtes encore jeune, vous avez encore le temps de vous envoler vers ces destinations. » Pas avec ma pathologie malheureusement. Je viens baisser la tête, me sentant perdre le peu de couleur que j’avais sous ma couche de plâtre. Ravie que ce que j’avais sur le visage puisse cacher mon trouble. « On verra. Je dois déjà aller à Sydney pour rapatrier une œuvre. Je sais que cela ne fait pas partie de mes habilitations mais ce sont mes bébés et il est hors de question que je les laisse dans d’autres mains que les miennes. » Consciente que j’en avais trop dit, je vins me pincer la lèvre un peu trop fort avant d’engouffrer mes mains dans ma salopette. Marius ne va me faire aucun mal. Il avait plutôt une démarche bienveillante. Je pouvais lire de la douceur dans ses yeux. Le désavantage d’être solitaire est qu’on apprend à interpréter des comportements. Et je me sentais en confiance avec lui bien que j’avais peur que mon propre corps ne puisse me trahir. « Je fais de l’aquarelle mais pas sérieusement, pour le plaisir. Je n’ai jamais été très doué artistiquement assez ironiquement. » Je viens chasser une mèche de cheveux qui décide de n’en faire qu’à sa tête avant de me tourner vers lui. « Vous êtes spécialiste de la Renaissance et vous utilisez une technique empruntée à l’ère classique. Et cessez donc de vous dévaloriser. » ça te fait du bien de dire ça Evelyn. Douce ironie quand tu nous tiens. « Je suis certaine que c’est très bien. Si un jour vous voulez m’en montrer une, je serai ravie de la regarder. » Après tout, ce n’était pas tous les jours qu’un homme admettait s’adonner à l’art. Certes l’aquarelle semblait aux primes abords assez simplistes mais c’est une méthode plus complexe qu’il n’y paraît. Tout est question de dosage. « Je… je dessine des portraits. Et quand je fais des insomnies, je peins des paysages. C’est… C’est pour ça que dès que je rencontre un étranger, je lui demande une photo. Mais, ma spécialité résulte dans les portraits depuis… je crois que je devais avoir sept ans quand j’ai dessiné celui du chat. » Je pourrais fouiller dans ma poche et sortir celui que j’avais fait des enfants mais cela serait inconvenant. Professionnelle, il faut demeurer professionnelle.
« Elle a onze ans déjà, les années filent sans qu’on ne les voit passer. » Je viens avoir un sourire attendri sur le visage. Onze ans. C’est grand. « Lisa a six ans et Jacob, enfin on l’appelle tous J.J, il a deux ans. J’ai l’impression que c’était hier… » Ma main vint se porter machinalement sur les plaques qui trônaient près de mon cœur en-dessous de mon tee-shirt. « Je confirme qu’on ne voit pas les années passées. » J’ai un petit sourire malgré moi. mes enfants étaient toute ma vie. C’était pour eux que je me levais chaque matin, que je respirai et que j’avançai. Certes, je le faisais seule ou avec Ivana de temps en temps mais je faisais de mon mieux. Je n’estimai pas avoir besoin d’un homme dans ma vie pour m’occuper de mes enfants. A vrai dire, il me faudrait un certain temps pour le présenter à Lisa et J.J. Quand cela concernait mes amis, il n’y avait pas trop de problèmes mais quand c’était sentimental… La question ne s’était pas encore posée. Et mon cœur étant inexistant, je doutais que l’opportunité ne puisse se présenter un jour. J’en viens donc à trépigner sur place pour parler de ma phobie. Instinctivement, je viens entrer ma tête dans mes épaules comme une tortue avant de déglutir. Je suis désolé. C’est … C’est quelque chose qui se soigne ? Vous pensez pouvoir vaincre cette phobie ? » Machinalement, j’en viens à mordre ma lèvre inférieure pour déglutir. « Avec une bonne… enfin un bon thérapeute et de la patience, oui. Le simple fait que je sois encore là… enfin que je parle avec vous, ça aide beaucoup. » Je me sens gênée de dire ça et je me sens rougir jusqu’aux oreilles avant de prendre une profonde inspiration.
La suite de notre entrevue se passe un peu mieux. Même si j’en viens à me mélanger les pinceaux comme je le fais tout le temps. Mais j’ai toujours eu cette tendance à mettre les pieds dans le plat. Et le contact de son poignet sous mes doigts me brûlent encore la peau. Je viens reprendre ma place à ses côtés pour continuer mon travail. L’enceinte Bluetooth était éteinte, moi qui avais cette habitude de travailler en musique. Et je me prie à apprécier la tonalité de la voix de mon compagnon improvisé. Il avait une voix apaisante. Et j’avais le sentiment que je pourrais l’écouter parler encore un peu. « Je peux rester encore un peu mais je ne vais pas tarder à devoir vous quitter. » Bien sûr qu’il devait retourner à sa vie. J’eus malgré moi une moue déçue avant de hocher la tête sans savoir quoi répondre. Je repris donc mes gestes mécaniques en essayant de débrancher mon cerveau. Mais il reprend la parole alors je tourne la tête vers lui. « Ne vous en faites pas, vous ne pouvez pas savoir. Je ne suis pas une personne très tactile mais vous ne pouviez pas le savoir, je ne vous en tiendrai pas rigueur. » Un petit rire s’échappe d’entre mes lèvres. « J’ai l’habitude. Je… c’est assez bizarre mais je suis tactile. Et j’ai remarqué que les hommes avec qui je discutais ne l’étaient pas. Il n’y a pas de malaise. » Tu parles. Je m’apprêtais à dire quelque chose alors que mon regard fut happé un moment par le sien. Tandis qu’un sourire vint pointer le bout de son nez. Sans doute l’un des rares sincères qu’on pouvait voir orner mes lèvres.
La magie fut rompue alors que j’entendis un bruit derrière moi. « Eve ? » Je vins me pencher pour voir que le conservateur se tenait en contrebas. « Vous n’avez pas vu Monsieur Warren ? » Ah, la vie qui reprend son court. « Il est avec moi en haut. » Je l’entends qui pousse un énorme soupir alors que je me sens gênée pour le coup. « Pouvez-vous libérer le professeur ? Que nous allions déjeuner. » Je hochai la tête avant de me tourner vers Marius. « ce fut pour le moins surprenant. » Je vins poser ma main sur ma poitrine. « Pour moi, je parle. Mais agréable. Comme promis, je viendrai… » Je vaincrai ma phobie pour vous, Marius. Je vins avoir une petite moue avant de hocher la tête, pas tactile, je note. « Vous voir. Mais sans plâtre sur la tête. Et je m’en excuse d’avance. » Suis-je en train de faire une blague ? Ok, il est temps que cet échange se termine. « Faites attention en descendant et encore merci de m’avoir tenu compagnie » Je le saluai d’un mouvement de tête avant d’attendre que le calme soit revenu pour remettre ma musique. Et aussi captivante fut cette rencontre, la vie reprit sa course habituelle. Alors que la rencontre avec le professeur m’avait donnée une idée. Qui mettrait du temps à se mettre en place. Mais après tout, je n’allais nulle part.