Can I take you to a moment Where the fields are painted gold And the trees are filled with memories Of the feelings never told?
Pendant un court instant, elle ferma les yeux et laissa la brise marine emporter sa chevelure dans un tourbillon aux allures de danse. Le soleil balayait son visage, faisant miroiter ses rayons sur sa peau halée. Elle s’imprégna de cette douce quiétude, si courte et si intense, avant de rouvrir les paupières et d’aviser Gabriele qui jouait tranquillement à quelques mètres d’elle. Cela faisait un petit moment qu’elle était assise sur la plage et n’avait pas encore daigné ouvrir le livre qu’elle avait emporté avec elle. Elle n’était qu’à deux pas de chez elle, mais elle chérissait profondément ce rituel du week-end qu’elle avait instauré avec Gabriele les semaines où il vivait chez elle. Lorsque le temps le permettait, ils passaient la fin de l’après-midi sur la plage, à construire des châteaux de sable et à patauger dans l’eau. Enfin, elle construisait pour lui, et il s’amusait bien rapidement à marcher dessus et tout détruire en riant aux éclats. Cet enfant la faisait rire autant qu’il la fatiguait, mais elle n’aurait échangé son rôle de mère pour rien au monde. Chaque fois qu’elle le regardait, elle s’émerveillait de voir un petit garçon vif, coquin, au caractère bien trempé, et si curieux de son environnement. Elle le regardait s’émerveiller de tout, et en apprendre un peu plus chaque jour. Parfois, elle se plaisait à l’observer de loin, tandis qu’elle prétendait de lire un livre mais était en réalité plus distraite qu’autre chose, gardant en permanence un œil sur lui. Il lui ressemblait sur tant de points, et était si différent sur d’autres, qu’elle ne pouvait s’empêcher d’y voir certains traits de son ex-compagnon. Plutôt que d’en être attristée, elle préférait être reconnaissante que leur amour passé ait pu créer un petit être si extraordinaire.
Alors qu’elle se penchait pour attraper son livre, elle entendit un bruit sourd derrière elle qui la fit se retourner instantanément. Ne voyant pas bien d’où cela provenait, et puisque personne ne semblait en tenir rigueur, elle attrapa son livre et posa à nouveau les yeux sur Gab… rien. Gabriele, qui avait un don incroyable pour se faufiler en douce et surtout le faire aux pires moments, venait de s’élancer en courant du haut de ses petites jambes à l’exact opposé de là où elle se trouvait. Tout droit en direction de l’océan. Sans prendre le temps de passer sa robe par-dessus son maillot de bain, elle empoigna ses affaires des deux mains et s’élança derrière le petit qui semblait bien plus s’accommoder de courir sur le sable qu’elle-même. Dans ces moments-là, elle se demandait toujours ce qui pouvait bien passer par la tête de son fils. Tiens, je sais que Maman déteste quand je m’éloigne sans prévenir, si je tentais un énième coup tout de suite ? Alors qu’elle tentait tant bien que mal de tenir d’une main son livre, sa robe et ses clés, et de l’autre d’essayer de rattraper sa capeline qui aurait elle aussi bien profité d’un coup de vent pour s’enfuir, elle comprit que Gabriele ne courait pas vers l’océan mais vers un homme assis un peu plus loin. Il avait toujours adoré s’approcher des inconnus et commencer à leur parler sans absolument aucune raison, ce qui l’avait parfois mise dans des situations un peu cocasses. Un peu rassurée qu’il n’ait quand même pas l’intention d’aller plonger dans l’océan, elle le rattrapa au bout d’une dizaine de mètres, non sans qu’il ait déjà eu le temps de s’adresser à cet homme comme si cela était absolument normal et socialement acceptable d’aller déranger des inconnus en plein milieu de la plage.
Gênée, comme à son habitude lorsque son fils lui échappait, elle s’approcha de l’homme avec un sourire navré sur les lèvres. « Je suis vraiment désolée, il arrive toujours à me battre au sprint. J’espère qu’il ne vous a pas trop dérangé ». Elle n'avait pas entendu ce qu'il avait bien pu lui dire, mais priait pour que ce ne soit rien d'impoli. Elle avisa son fils d’un regard en coin qui lui fit bien vite comprendre qu’il allait se faire disputer pour avoir encore désobéi, mais qu’il avait droit à un instant de répit tant qu’ils ne seraient pas tous les deux. Il n’était pas question de s’énerver en public, ce n’était pas son genre et elle n’aimait pas crier. Elle préférait largement se poser et expliquer à son fils pourquoi il ne devait pas agir ainsi. Puis, enfin, elle baissa le regard et réalisa qu’elle était encore en maillot de bain et que celui-ci n’était pas totalement resté en place durant sa petite course. En essayant de contenir sa gêne, elle referma les bras sur sa robe qu’elle plaça devant elle tout en réajustant vaguement son haut, comme pour convaincre son côté pudique que cela était suffisant. En plus, le visage de cet homme lui rappelait quelque chose, mais elle n’arrivait absolument pas à le fixer. Il ne manquerait plus qu’il s’agisse d’un des professeurs de Gabriele, et elle était cuite pour apparaitre comme la mère de l’année à l’école.
Marius & Livia ≈ Can I take you to a moment Where the fields are painted gold And the trees are filled with memories Of the feelings never told?
L’automne avait débarqué à Brisbane et avec de nouvelles températures encore estivales à tes yeux, de nouvelles couleurs faisaient leur apparition. Tu avais remarqué ces subtils changements tout au long de la semaine, enfermé dans ton bureau à l’université ou quand tu rentrais chez toi. A chaque fois, tu n’avais qu’une envie c’était d’attraper tes carnets de dessin et tes pinceaux et d’aller trouver le meilleur endroit pour dessiner et graver dans ton esprit et sur le papier ces belles couleurs. Malheureusement, tu avais été trop occupé dans la semaine et bien trop fatigué pour ressortir de chez toi une fois que tu avais fini de manger. Alors dès que tu eus du temps pour toi et que tu pus faire une pause, tu savais ce que tu allais faire et par quoi commencer. La plage de Bayside te semblait le meilleur endroit pour tes premiers dessins et puis si jamais tu n’avais pas les vues que tu voulais, ce n’était pas bien grave, tu pouvais au moins prendre le soleil. Tu avais donc attrapé ton drap de plage et enfilé ton short de bain même si tu n’avais aucune intention de te baigner. Tes collègues aimaient te taquiner sur la blancheur de ta peau alors que tu habitais dans une ville à l’ensoleillement important. Ce n’était pas un secret que tu passais la plupart de ton temps à travailler et ton travail se faisait dans un bureau, dans des salles de classe, dans des musées ou des galeries d’art. Et si tu n’étais pas la personne la plus à l’aise dans la nature, personne n’avait besoin de le savoir. Tu glissais dans ton sac une bouteille d’eau et des gâteaux avec tout ce dont tu avais besoin pour tes aquarelles et tu quittais ton loft pour ta voiture. Une vingtaine de minutes plus tard, tu te trouvais sur la plage de Bayside pas aussi occupée que tu pensais la trouver. Qu’importe de toute manière, une fois installé, personne ne venait te déranger. Tu avais trouvé un coin de sable libre pas très loin de l’eau où tu pouvais voir le paysage de la ville et de l’eau qui se rencontrait dans cette lumière si particulière. Cela te suffisait pour t’occuper toute la journée. Après avoir mis de la crème solaire et avoir chaussé tes lunettes de soleil, tu t’installais pour dessiner le paysage que tu peindrais ensuite. Les bruits qui t’entouraient te berçaient au lieu de t’énerver comme cela serait le cas en temps normal. Des enfants s’amusaient dans l’eau, d’autres à faire des châteaux, des adolescents bronzaient et faisaient des parties de beach volley, tous ces bruits d’une vie que tu touchais du doigt mais qui t’était complètement étrangère. Tu n’avais pas envie de penser à tout cela aujourd’hui et c’est sereinement que tu terminais l’esquisse de ton paysage. Satisfait du résultat, tu fis une petite pause en mangeant une barre de céréale et en commençant à préparer tes aquarelles.
Tu peignais depuis une quinzaine de minutes quand soudain, une ombre vint se poser sur toi, te faisant légèrement sursauter alors qu’une petite voix te demandant : « Tu fais quoi ? » Tu levais brusquement les yeux pour les poser sur un petit garçon qui devait avoir entre deux et quatre ans, tu ne savais pas réellement dire. Il te regardait avec des yeux curieux et semblait vouloir s’approcher mais en même temps ne pas oser complètement. Un léger sourire se dessina sur ton visage. Tu n’avais pas l’habitude que l’on t’aborde et encore moins que ce soit un enfant qui vienne te poser des questions mais tu lui répondis : « Je peins. Ca s’appel … » Tu n’eus pas le temps de finir ta phrase qu’une jeune femme en maillot de bain arriva à votre hauteur, essoufflée en disant : « Je suis vraiment désolée, il arrive toujours à me battre au sprint. J’espère qu’il ne vous a pas trop dérangé » Tu levais les yeux vers celle qui était la maman de ce petit garçon curieux et un sourire amusé se dessina sur ton visage. Dans sa panique et dans sa course effrénée, son maillot de bain n’était pas resté complètement en place. Mais contrairement à beaucoup, ce n’était pas ton genre de te rincer l’oeil et tu détournais le regard alors que les joues de la demoiselle s’empourpraient. Te tournant vers son fils tu lui dis : « Je peins le paysage avec un type de peinture qui s’appelle les aquarelles. Le principe est de mélanger de la peinture et de l’eau. » Tu avais toujours été incapable de parler aux enfants autrement que de la manière dont tu parlais aux adultes. Tu détestais les personnes qui s’adressaient à eux comme à des idiots alors que tu avais appris que les enfants étaient souvent plus intelligents que beaucoup d’adultes. « Regarde. » Lui dis-tu en lui montrant l’aquarelle sur laquelle tu travaillais. Alors que le petit garçon semblait observer ton oeuvre, tu te tournais de nouveau vers la maman en lui souriant pour la rassurer et en lui disant : « Il m’a surpris mais pas dérangé. Il voulait savoir ce que je faisais. Les enfants sont curieux de nature, je ne lui en tiendrai pas rigueur. » Lui dis-tu en te relevant pour ne plus te tordre le cou pour parler à la jeune femme. Une fois à sa hauteur, tu remarquais que son visage était familier mais tu ne pouvais pas encore te rappeler où tu l’avais vu. « Marius Warren, enchanté. » Lui dis-tu en lui tendant la main. Il fallait être aveugle pour ne pas remarquer que la jeune femme était d’une beauté époustouflante mais tu gardais cette remarque pour toi. Et soudain, tu penses te souvenir où tu as pu la croiser : « Est-ce que vous travaillez dans une épicerie bio ? J’ai l’impression que l’on s’est déjà croisé mais je peux me tromper. » Tu étais plutôt physionomiste mais des fois, tu t’emmêlais les pinceaux.
Malgré ses joues empourprées, Livia tentait de maintenir une contenance face à cet inconnu qui s’était plus qu’à quelques dizaines de centimètres d’elle. Lorsqu’il se détourna d’elle pour s’adresser à son fils, elle s’empressa de réajuster son maillot de bain et de passer sa robe par robe par-dessus, le remerciant intérieurement de lui avoir laissé quelques secondes pour être davantage présentable, même si ce n’était peut-être pas l’intention de cet homme. Quoi qu’il en soit, il s’adressait à Gabriele avec un sérieux qui la surprit agréablement – les gens avaient l’habitude de lui dire que son fils était bien mignon, mais lorsqu’ils s’adressaient à lui, c’était presque comme s’ils parlaient à un bébé. Elle s’amusait de voir que certaines personnes, le plus souvent sans enfants, devaient imaginer que les enfants ne comprenaient rien et leur parlaient comme s’ils étaient un peu bêtes. C’était loin d’être le cas. Les enfants étaient juste plus simples, ils ne se posaient pas des dizaines de questions alambiquées, et leurs réflexions étaient plus directes, plus pures, sans artifice et sans arrière-pensée. Elle laissa donc Gabriele se pencher sur les aquarelles de l’homme avec les yeux écarquillés de curiosité, tandis qu’il lui prenait le temps de lui expliquer ce dont il s’agissait. « Je peins le paysage avec un type de peinture qui s’appelle les aquarelles. Le principe est de mélanger de la peinture et de l’eau. Regarde. »
Lorsque l’homme se retourna vers elle et se leva pour se mettre à sa hauteur, elle lui sourit à son tour. « Il m’a surpris mais pas dérangé. Il voulait savoir ce que je faisais. Les enfants sont curieux de nature, je ne lui en tiendrai pas rigueur ». Il n’avait pas tort, et elle le savait bien, mais c’était la manie de Gabriele de lui échapper constamment qu’elle aurait bien aimé calmer. Qu’il lui demande la permission d’aller voir un peu plus loin, c’était une chose, mais qu’il se mette à courir comme un dératé et lui fiche une sacrée frayeur, c’en était une autre. « Marius Warren, enchanté. Est-ce que vous travaillez dans une épicerie bio ? J’ai l’impression que l’on s’est déjà croisé mais je peux me tromper ». Il lui suffit de ces quelques mots pour que les pièces du puzzle s’emboitent dans sa tête et qu’elle fasse le lien. Elle avait tendance à reconnaitre facilement les personnes qu’elle avait déjà croisées, mais n’arrivait jamais à les replacer. En revanche, elle épluchait régulièrement son fichier client et retenaient les noms de famille avec une facilité assez étonnante, compte tenu du fait qu’elle n’arrivait pas forcément à replacer les visages des clients sur les noms qu’elle avait retenus. Pour elle qui était très professionnelle, cela l’embêtait quelque peu de ne pas l’avoir reconnu tout de suite, mais il semblait pas lui en tenir rigueur. Pas plus que du fait qu’elle n’arrivait pas toujours à contrôler son fils. Il faudrait le mettre en laisse, pensait-elle parfois en riant.
Après avoir rapidement retrouvé une contenance et rendu sa poignée de main à Marius, elle jeta un rapide coup d’œil à Gabriele qui était toujours absorbé par les couleurs qui s’entremêlaient sur l’aquarelle. « Livia Visconti, et mon fils Gabriele. Je gère l’épicerie bio sur Latimer Road, c’est ça. Vous venez assez régulièrement, il me semble ? » Puis elle pointa les aquarelles et Gab du doigt. « En tout cas, vous venez de me donner une nouvelle idée pour l’occuper, je l’ai rarement vu aussi intéressé par quelque chose qu’il ne peut ni casser ni lancer » lâcha-t-elle d’un air mi-sérieux, mi-amusé. Elle aurait pu continuer des heures sur l’énergie parfois incontrôlable que pouvaient avoir les enfants, mais elle ne connaissait même pas cet homme et elle n’aurait pas voulu l’embêter plus longtemps alors qu’il essayait peut-être simplement d’être poli. Livia avait tendance à ressentir assez rapidement si la personne en face d'elle dégageait des ondes positives, ou l'exact contraire, et cet homme lui semblait sincère et lui inspirait même une forme de respect, mais ce n'était pas dans sa nature à elle de s'attarder, elle avait toujours bien trop peur de déranger. Elle voulut appeler son fils qui ne s’était pas retourné une fois vers elle depuis qu’il avait découvert les toiles. « Gab, vieni qui ». L'italien était sorti tout seul, comme le plus souvent lorsqu'elle commençait à s'impatienter. Il l’ignora comme si elle venait de lui parler chinois, car elle ne s’était sûrement pas montrée assez insistante pour qu’il se sente obligé d’obéir. En d’autres circonstances, elle aurait répété son ordre avec un peu plus de vigueur, mais elle était très gênée à l’idée de passer pour mère qui ne se faisait pas du tout respecter, devant un de ses clients. En attendant qu’il daigne revenir vers elle, elle se tourna à nouveau vers Marius avec une moue d’excuse. « On ne va pas vous déranger plus longtemps, vous aviez l’air bien occupé. Vous êtes peintre ? ». Avec un peu de chance, son fils finirait bien par se lasser et revenir vers elle, et elle pourrait laisser une chance à Marius de retourner à sa toile. Et s'il lui disait qu'il avait l'habitude de venir par ici, elle n'aurait plus qu'à essayer de faire en sorte que Gabriele ne le voit pas la prochaine fois qu'ils viendraient se poser sur la plage.
Les enfants étaient des êtres fascinants. Tu avais pu le découvrir avec Moïra quand ton frère t’en avait laissé la responsabilité pendant quelques années. Ils ne voient pas le monde comme vous, pour eux, rien ne peut les blesser, rien ne peut les toucher. Cette naïveté et cette innocence sont des biens précieux dont ils devront se séparer bien assez tôt … Tes proches ont pour habitude de dire que tu as tendance à laisser penser que tu es comme un ours mal luné. Pourtant, le petit garçon n’a pas hésité une seconde à te demander ce que tu étais en train de faire, pas du tout terrifié par les ondes que tu pouvais renvoyer. Et il n’avait pas à s’en faire car s’il y avait bien une chose qui adoucissait tes traits immédiatement, c’était le regard rempli de curiosité d’un enfant. Tu avais été rassuré de voir qu’il n’était pas seul et l’arrivé de sa mère à vos côtés était une bonne chose même si le petit garçon ne semblait pas convaincu vu qu’il s’était fait légèrement reprendre. En même temps, s’il s’était précipité vers toi sans prévenir sa mère, elle était en droit de le reprendre un petit peu. Laissant la maman reprendre ses esprits, tu expliquais au petit garçon ce que tu étais en train de faire et ce dernier sembla fasciné. Ce n’était pas souvent que ce genre de choses arrivait, c’était même l’une des rares fois car tes aquarelles étaient ton jardin secret. Tu n’en parlais pas, à personne et tes proches ignoraient que tu ne faisais pas qu’enseigner l’histoire de l’art, que tu participais à la création artistique également. C’était important pour toi de garder cela pour toi mais le partager avec ce petit garçon et sa maman que tu ne connaissais pas vraiment ne te dérangeait pas. Ce n’était pas comme s’ils allaient se précipiter chez tes proches pour leur dire que tu peignais. Tu cherchais avant toute chose à rassurer la jeune femme sur le fait que son fils ne te dérangeait pas et alors que tu lui parlais et que ton regard se posait sur son visage, il te rappela quelqu’un. Comme si tu avais déjà croisé la demoiselle auparavant pourtant, tu étais incapable de te rappeler de son nom. Et puis tu te souvins ensuite que c’était parce qu’elle ne te l’avait jamais donné alors qu’elle encaissait tes achats. « Livia Visconti, et mon fils Gabriele. Je gère l’épicerie bio sur Latimer Road, c’est ça. Vous venez assez régulièrement, il me semble ? En tout cas, vous venez de me donner une nouvelle idée pour l’occuper, je l’ai rarement vu aussi intéressé par quelque chose qu’il ne peut ni casser ni lancer » Un sourire amusé se dessina sur tes lèvres à ces paroles. Tu n’avais jamais été un enfant qui aimait courir partout, lancer des projectiles et casser des objets. Tu avais toujours été la force tranquille de la famille même si l’expérience avait montré que tu savais t’énerver mieux que quiconque et frapper là où cela faisait mal. Mais tu avais vu ce genre de comportement avec ton petit frère et tu avais vu ta mère s’épuiser à essayer de lui trouver une occupation qui puisse l’occuper tranquillement un moment. Gabriele semblait en effet fasciné par tes aquarelles ce qui te touchait beaucoup car il était l’une des premières personnes à les voir à part toi bien entendu. « L’art est un domaine fascinant. Si ça l’intéresse je pourrai vous donner le noms des meilleurs cours d’éveil aux arts plastiques de Brisbane. » Tu étais resté en contact avec tes premiers professeurs et par ton métier, tu avais fait ta mission de connaître les meilleurs cours et les meilleures écoles de la ville pour tous les âges. « Vos produits sont excellents, il ne m’en faut pas plus pour faire de moi un client fidèle. » Lui dis-tu avec le sourire. Tu n’étais pas le meilleur cuisinier de la ville mais tu ne te débrouillais pas trop mal derrière les fourneaux. Il fallait avouer que tu faisais parti des gens qui avaient besoin des meilleurs ingrédients possibles pour cuisiner sinon cela n’en valait pas la peine. Avec tes revenus et parce que tu n’entretenais que toi depuis des années, tu pouvais te faire ce plaisir. Et puis c’était bien meilleur pour la planète également. « Gab, vieni qui » L’injonction en italien te sortit de tes pensées. Tu aurais sans doute dû te douter que Livia était Italienne. Son nom et son prénom ne trompaient pas mais des fois, les origines ne sont que ça, des origines. Tu connaissais quelques mots en italien mais rien de bien sérieux. C’était le Français que tu avais appris en vivant à Paris et tu étais bilingue aujourd’hui. « Vous êtes italienne ? C’est une langue magnifique. » Tu en aimais beaucoup la sonorité et tu avais pu voyager quelques fois en Italie lorsque tu avais vécu en France il y avait cinq ans de cela. Gabriele ne semblait pas vouloir repartir avec sa mère ce qui la gênait au plus haut point. Il ne fallait pas, tu ne lui tiendrais pas rigueur. « On ne va pas vous déranger plus longtemps, vous aviez l’air bien occupé. Vous êtes peintre ? » C’est fou le nombre de personnes qui pensent que tu es un artiste, un peintre, un dessinateur. La réalité est bien moins glamour, tu n’es qu’un professeur d’université, amoureux de l’art et qui aime dessiner et peindre sur son temps libre. « Je n’ai jamais été assez doué pour être peintre, je suis professeur d’histoire de l’art à l’université du Queensland. » Répondis-tu avant d’ajouter : « Je n’ai pas de date limite pour terminer cette aquarelle, ce n’est qu’un passe-temps. » Lui dis-tu pour la rassurer. Te tournant vers le petit garçon, tu lui dis : « Si ta maman est d’accord, je peux te montrer comment on fait si tu veux. » Tu n’avais pas de doutes que dans une quinzaine de minutes, le petit garçon aurait besoin de se dégourdir les jambes, de courir s’amuser dans l’eau et serait lassé de te voir peindre. Mais pour l’instant il semblait en effet fasciné. Tu laissais Gabriele décider si ton offre l’intéressait avant de te tourner vers sa mère et de lui demander : « Même si s’occuper de votre petit fugueur doit vous prendre beaucoup de temps, vous avez une passion pour vous changer les idées ? » Question peut-être vraiment hasardeuse mais vous étiez sur le sujet et ce n’était pas trop personnel comme interrogation.
Livia était du genre à toujours essayer de voir le bon côté des gens, mais elle n’était pas naïve et avait bien conscience que malheureusement, beaucoup de personnes avaient souvent des comportements égoïstes et individualistes en société. Alors, lorsqu’elle croisait quelqu’un qui se montrait sincèrement intéressé par une simple conversation, ou même qui proposait de l’aider alors qu’elle n’avait rien demandé, cela participait à alimenter son espoir qu’il existait toujours de belles personnes qui valaient la peine d’être connues. Bien qu’elle ne connaisse rien de Marius, le fait qu’il se montre aussi doux envers son fils, et propose même à Livia de lui donner l’adresse de cours d’éveil aux arts plastiques ne faisaient que conforter sa première impression de se trouver en face de quelqu’un de vrai, de bon. Elle le gratifia alors d’un sourire sincère et le remercia, car cela pourrait en effet bien l’intéresser. Au-delà du fait qu’elle ne disait pas non à une nouvelle activité qui pourrait canaliser l’énergie débordante de son fils, elle s’était récemment fait la réflexion qu’elle voulait lui permettre de développer sa créativité et ses envies, et que ce serait bien qu’elle lui fasse découvrir de nombreuses activités ou même pratiques sportives, pour voir ce qui lui plairait le plus. Cela semblait assez paradoxal de présenter son fils comme une petite terreur qui ne tenait pas en place, maintenant que le petit garçon n’avait pas pipé un mot depuis qu’il avait découvert l’aquarelle. « Vos produits sont excellents, il ne m’en faut pas plus pour faire de moi un client fidèle. » Livia ne put s’empêcher de rougir à cette phrase. C’était bien bête, car après tout elle ne faisait que vendre des produits que ses clients pouvaient bien trouver dans d’autres magasins – à part quelques spécialités italiennes, mais le fait qu’elle ne se soit pas contentée de racheter une boutique, mais bien de monter de toutes pièces la sienne, la rendait extrêmement fière. Alors, lorsqu’elle recevait des compliments, cela la touchait personnellement, car elle avait aussi à cœur de créer un vrai lien avec ses clients. Elle sélectionnait elle-même toutes les références des produits vendus, et elle se rappelait encore les mois de travail avant même l’ouverture où elle n’avait pas compté les heures, pour pouvoir proposer une offre qu’elle espérait suffisamment complète pour attirer un minimum de clientèle. Même si cela faisait maintenant des années que l’épicerie tournait bien, elle se sentait toujours emplie de gratitude lorsqu’elle recevait des compliments, qui confirmaient son choix d’exercer un métier prenant, mais qu’elle aimait profondément. Alors, pour la seconde fois, elle remercia Marius chaleureusement. Elle ne savait plus trop où se mettre face à cet homme qui se montrait si gentil avec elle, tandis qu’elle le dérangeait peut-être et que Gab se fichait totalement de ses appels. Elle fut surprise lorsque Marius releva les mots qu’elle venait de prononcer pour rappeler son fils à l’ordre. « Vous êtes italienne ? C’est une langue magnifique. » Lorsqu’elle parlait, il lui arrivait de ne faire aucune différence entre les langues, au point de ne pas forcément réaliser qu’elle s’exprimait en italien – même si elle ne l’utilisait plus que ponctuellement. « J’ai grandi en Italie, mais je suis arrivée ici il y a dix ans. En principe ça ne s’entend pas, mais l’accent ressort parfois lorsque je parle trop vite ou que j’essaie d’attirer son attention » lâche-t-elle avec un petit sourire en coin, tout en avisant son fils du regard. Avec les années, elle a quasi perdu la totalité de son accent italien, et peu de personnes arrivent donc à cerner tout de suite qu’elle n’est pas originaire d’ici.
Pour appuyer ses dires, elle s’excuse une nouvelle fois auprès de Marius, qui s’empresse de la rassurer et de rebondir sur la question de ses peintures. « Je n’ai jamais été assez doué pour être peintre, je suis professeur d’histoire de l’art à l’université du Queensland. Je n’ai pas de date limite pour terminer cette aquarelle, ce n’est qu’un passe-temps ». Etonnée, Livia jette un coup d’œil plus précis à l’aquarelle, tandis que Marius se penche vers Gabrielle et lui propose de lui montrer comment peindre. Elle ne peut s’empêcher de penser que le début d’aquarelle est particulièrement bien réalisé pour quelqu’un qui ne fait cela que sur son temps libre. Après tout, il ne suffit pas de s’y connaitre en art pour savoir peindre, et elle trouve donc que Marius a un certain talent, qu’elle ne partage absolument pas. S’il y a bien une chose qu’elle ne maitrise pas du tout, c’est le dessin et la peinture, car elle ne sait jamais par où commencer. Elle n’a pas cette idée créatrice qu’elle attribue aux artistes. Lorsque Gabriele retourne donc son visage vers elle, enfin, pour chercher son approbation, elle ne peut s’empêcher de lui sourire et lui signaler d’un mouvement de tête qu’il peut bien s’attarder encore quelques minutes, puisque Marius lui propose. Cela dit, qu’il n’aille pas penser que tout est oublié et qu’il ne se fera pas gronder, mais à cet instant-là, elle n’a pas le cœur à lui dire non alors qu’elle peut lire un si grand intérêt dans ses petits yeux d’enfant. « J’aimerais m’y connaître davantage en art, parce que je trouve dommage de simplement regarder les œuvres sans comprendre les volontés de l’artiste derrière. Cela dit, j’aime beaucoup les touches de vos aquarelles, si je peux me permettre. Et vous avez déjà gagné un grand fan ». Petit à petit, ses bras se desserrent autour de ses affaires, et son sourire devient plus franc, tandis qu’elle ose enfin répondre sans avoir peur de l’importuner puisque visiblement cela ne le dérange vraiment pas, et elle s’en trouve rassurée. Elle ne peut s’empêcher de penser qu’il doit être si cultivé, de par son métier, et qu’elle serait bien vite à court de mots face à lui. Cependant, contre toute attente, il ose lui retourner la question. « Même si s’occuper de votre petit fugueur doit vous prendre beaucoup de temps, vous avez une passion pour vous changer les idées ? » Et là, tout d’un coup, Livia a un blanc. Elle n’a jamais vraiment été passionnée par quelque chose en particulier, et elle s’est toujours trouvée divisée entre plusieurs choses entre lesquelles elle n’a jamais réussi à choisir. En réalité, si elle se considère comme quelqu’un de passionné dans la vie, elle ne saurait diriger cette passion dans une seule direction. Et puis, dire qu’elle se trouve en admiration devant le nombre incalculable de plantes qui peuplent son appartement serait sans doute un peu idiot, surtout comparé à l’aquarelle. Elle se trouve un peu désemparée, mais ce n’est pas dans sa nature de se prétendre quelqu’un qu’elle n’est pas, alors elle hésite, bredouille un instant, puis finit par se lancer : « Hm, pour être honnête, je passe souvent trop de temps au travail… Mais j’aime bien m’occuper au jardinage et à la cuisine ». Après tout, c’est ce à quoi elle a toujours aspiré, au fond. Elle n’avait jamais rêvé de grands voyages, de sensations fortes ou de découvertes, mais d’une famille avec laquelle passer les week-end à cuisiner et à s’occuper de la maison. Elle n’aurait simplement pas imaginé que sa famille serait si réduite, imploserait si tôt, et qu’elle en serait rendue à quitter la maison dans laquelle elle pensait finir sa vie.
Et puis, comme à son habitude lorsque sa langue commence à se délier, elle commence à s’aventurer sur des terrains un peu glissants. Marius lui semble si attentif à Gabriele, et lui parle à la manière de quelqu’un qui a l’habitude des enfants, si bien que la question sort d’elle-même. Et puis, il lui a parlé de cours d’éveils, alors cela doit bien vouloir dire qu’il en a fréquenté avec ses enfants. « Vous avez initié le reste de la famille à l'aquarelle ? ». Puis elle réalise un peu tard qu’il se peut qu’elle se soit montrée trop indiscrète. Lorsqu’elle se sent en confiance face à quelqu’un, elle peut parfois se montrer trop directe.
Réservé, tu n’en restais pas moins avenant. Tu n’aurais pas eu la carrière que tu avais eue si tu n’avais pas été capable de te créer un réseau et de l’entretenir au fil des années. Tu avais appris qu’il était possible de converser avec les gens en leur faisant croire qu’on leur révélait une partie de nous tout en ne disant pas grand chose. C’était un art que tu avais perfectionné avec les années, en particulier dans les galeries d’art où tu étais régulièrement invité pour des vernissages. Parler de toi tout en ne disant pas grand chose, c’était ce qui mettait hors d’eux tes frères et soeurs. Parce qu’ils ne l’interprétaient pas comme une réserve, ni comme de la timidité mais comme une envie de leur cacher des choses, de ne pas les faire rentrer dans ta vie, dans ton intimité. Ce n’était pas toujours contre eux, pas vraiment c’était simplement que tu n’avais jamais su trouver ta place et ton équilibre dans cette famille et tu avais fini par ne plus essayer. Tu en payais aujourd’hui le prix en essayant de te rattraper. Mais les erreurs et les blessures sont nombreuses et ne pourront pas toutes se refermer, qu’importe ce que te disait Beth à ce sujet. Le lien entre la mère et l’enfant était évident et alors que Gabriele aimait tester les limites, il regardait souvent sa mère pour vérifier qu’elle gardait un air approbateur. C’était d’ailleurs étrange que tu ne lui adresses la parole qu’aujourd’hui car tu étais un client régulier de son épicerie. Tu passais souvent après tes cours, en vitesse, sans trop t’attarder. Tu n’étais pas quelqu’un qui se liait facilement et tu détestais faire les courses. Tu vivais seul depuis toujours alors tu avais appris à supporter cette corvée mais tu n’aimais toujours pas cela et tu n’aimeras jamais contrairement à ce qu’essayait de te faire entendre ta mère. Par contre, tu aimais cuisiner et comme avec l’art, tu refusais de cuisiner des produits médiocres. Livia accepta ton compliment avec un sourire et son visage reflétait la fierté qu’elle ressentait à l’égard de son commerce. Cela ne devait pas être simple de tenir un commerce avec un enfant en bas âge mais son conjoint devait sans doute lui donner un coup de main. Enfin si elle en avait un, après tout les mères célibataires étaient nombreuses et tu avais appris à ne plus présumer de rien en rencontrant de nouvelles personnes. La réprimande en italien ne sembla surprendre que toi car Gabriele ne leva pas vraiment les yeux, peu surpris d’entendre cette nouvelle tonalité sortir de la bouche de sa mère. Parce que tu t’étais rendu compte que la voix prenait un autre ton quand une personne sait parler une langue de manière courante. C’était fascinant d’entendre cette transformation, encore plus quand tu ne l’attendais pas. « J’ai grandi en Italie, mais je suis arrivée ici il y a dix ans. En principe ça ne s’entend pas, mais l’accent ressort parfois lorsque je parle trop vite ou que j’essaie d’attirer son attention » Elle avait raison, son accent italien avait disparu quand elle parlait anglais. Tu n’aurais pas imaginé que la jeune femme parlait italienne si cette réprimande de son fils ne lui avait pas échappé. Tu te contentes d’hocher la tête à ces paroles alors que votre attention se repose sur son fils qui ne semble pas du tout enclin à retourner auprès de sa mère.
La question de Livia ne te surprit pas. Tu étais en train de peindre après tout et tu devais renvoyer certaines ondes d’homme tranquille et solitaire qui aimait avoir ses moments de créativité. C’était le cas mais tu ne peignais pas pour vivre. En plus d’être persuadé que tu n’étais pas spécialement doué, tu n’aurais jamais supporté la précarité qui vient avec ce genre de métier, la nécessité de produire oeuvre après oeuvre pour vivre et si tu avais eu de la chance et avait connu le succès, il aurait fallu jouer avec les médias et te créer une image. Non, cela tu le laissais aux autres bien trop heureux d’enseigner et de peindre sur ton temps libre. « J’aimerais m’y connaître davantage en art, parce que je trouve dommage de simplement regarder les œuvres sans comprendre les volontés de l’artiste derrière. Cela dit, j’aime beaucoup les touches de vos aquarelles, si je peux me permettre. Et vous avez déjà gagné un grand fan » Un sourire sincère et touché se dessine sur tes lèvres. Livia ne le sait pas mais elle est une des rares personnes à avoir posé les yeux sur tes aquarelles. L’autre personne qui les avait vues était ta nièce car quand tu t’occupais d’elle, tu ne pouvais pas peindre sans l’entraîner avec toi. Mais elle était bien la seule à avoir posé ses yeux sur tes aquarelles car même si tu ne cachais pas ce passe-temps, tu n’étais pas non plus toujours très à l’aise pour le partager. « Je pense que c’est ce qui m’a poussé à m’intéresser au sujet quand j’étais jeune. Ce besoin de comprendre d’où venait chaque coup de pinceau. Cela donne une autre dimension à chaque oeuvre et certains musées arrivent mieux que d’autres à mettre cela en valeur. » Pour avoir passé beaucoup de temps dans les musées, tu avais eu le temps d’étudier les comportements de chacun. Tout le monde était émerveillé mais tout le monde n’était pas intéressé. Cela demandait du temps d’écouter un guide ou un audio-guide ou de lire les petits panneaux pour en savoir plus sur chaque oeuvre. Toi tu étais passionné mais tu comprenais que cela ne soit pas le cas de tout le monde. « Et je vous remercie pour le compliment. Je suis ravi de savoir qu’elles sont jolies pour d’autres que moi. » N’étant pas destinées à être partagées, tu n’avais jamais cherché à dessiner et peindre des choses qui pourraient se vendre ou plaire à d’autres. Mais savoir que tu n’étais pas totalement mauvais était un peu rassurant il fallait l’avouer. Tu retournais la question à Livia alors que son fils s’installait à tes côtés. Contrairement à ce que sa mère t’avait annoncé, il semblait calme et posé et faisait attention à là où il mettait les pieds. Enfin, autant qu’un enfant de son âge bien sûr. « Hm, pour être honnête, je passe souvent trop de temps au travail… Mais j’aime bien m’occuper au jardinage et à la cuisine » Tu seras le dernier à lui rapprocher de passer beaucoup de temps à son travail alors que c’est ce que tu fais également depuis que tu as commencé ta carrière. Tu as mis du temps à comprendre que certaines personnes n’avaient pas de passion. Toi tu t’étais passionné par l’art et son histoire très jeune mais certaines personnes n’avaient pas besoin de cela. Et Livia ne semblait pas en souffrir c’était le principal. « J’aime beaucoup cuisiner également, cela me détend. Quel est votre spécialité culinaire ? » Lui demandas-tu curieux car il n’était jamais trop tard pour apprendre de nouvelles recettes ou même découvrir des plats dont tu ne connaissais pas l’existence. La cuisine avait toujours une forte dose personnelle en fonction des habitudes alimentaires de chacun.
Mettant ton aquarelle de côté, tu attrapais une nouvelle feuille car pour faire une démonstration à Gabriele, mieux valait partir d’une feuille blanche. Attrapant un crayon, tu commençais à dessiner la plage en gros traits, simplement pour te donner une base. Tu prends le temps d’expliquer à l’enfant qu’il peut être utile de d’abord dessiner quelques traits pour se donner des repaires mais ce n’est pas obligatoire. « Vous avez initié le reste de la famille à l'aquarelle ? » Malgré toi, tu sens ta posture se raidir. La famille est un sujet sensible pour toi mais tu n’en veux pas à Livia d’avoir demandé. Elle pensait certainement que tu avais des enfants. Tu laissais échapper une grande respiration pour te détendre de nouveau. « Vous pouvez vous asseoir si vous voulez, on va pas avoir terminé de suite. » Lui dis-tu en lui indiquant le drap de bain que tu as étendu et qui est bien assez grand pour qu’elle s’assoit elle aussi. Finalement, avant d’attraper les pinceaux et de te mettre à peindre, tu lui dis : « Je n’ai pas la chance d’avoir eu des enfants à qui enseigner cela. Très peu de personnes savent que je peins et encore moins ont déjà vu une de mes aquarelles. Mes frères et soeurs n’ont pas la moindre affinité artistique et ma nièce trouvait cela très beau mais après quelques essais m’a avoué ne pas être très inspirée ou intéressée. Je n’ai pas insisté. » Dis-tu en haussant les épaules. Loin de toi l’idée de forcer Moïra à faire quelque chose qu’elle ne voulait pas faire et puis tu faisais de l’aquarelle pour toi avant tout. « Vous avez de la famille à Brisbane ? » Lui demandas-tu à ton tour. C’était peut-être ce qui l’avait amenée en Australie.
Livia saisit très bien la réflexion de Marius sur les musées, et leurs capacités parfois bien différentes à mettre en valeur leurs œuvres. Dans certains, elle ne prenait aucun plaisir à lire les médiations, les trouvaient trop techniques et peu pratiques, alors que dans d’autres, elle pouvait passer de longues minutes à lire avec minutie tous les textes. A cette pensée, elle réalisa qu’elle n’avait pas mis les pieds dans un musée depuis longtemps, alors qu’elle aimait beaucoup se balader entre les tableaux des maîtres de l’époque moderne, lorsqu’elle était plus jeune. Cette dernière année avait filé à toute vitesse, et elle avait mis de longs mois à enfin trouver son rythme dans la nouvelle dynamique familiale, la garde partagée et son travail. Mais surtout, de longs mois à retrouver son goût pour la vie – pendant un moment, elle s’était sentie si perdue face à cet avenir qu’elle ne reconnaissait plus, et elle ne vivait plus son quotidien qu’à travers l’épicerie et Gabriele. Puis, petit à petit, elle avait repris plaisir à profiter des choses du quotidien, comme une balade sur la plage, qui l’avait cette fois menée à Marius. Elle fut contente de voir que son compliment sur ses aquarelles l’avait touchée, car ce genre d’échanges sincères et sans arrière-pensée la tenait particulièrement à cœur. Dès qu’elle avait l’occasion de prononcer quelques mots gentils, elle le faisait avec grand plaisir, car elle trouvait que ce genre de phrases se perdait. Pour beaucoup de gens, les relations étaient donnant-donnant, elles impliquaient de donner quelque chose en espérant recevoir autre chose en retour – et Livia ne fonctionnait pas comme ça.
Un peu gênée de sa réponse assez banale en ce qui concernait ses passions – ne voulant pas se lancer dans une tirade justifiant qu’avant d’être maman, elle était sans doute moins ennuyante – elle fut surprise lorsque Marius la prit au mot. « J’aime beaucoup cuisiner également, cela me détend. Quel est votre spécialité culinaire ? » Son ex n’était vraiment pas un bon cuisinier, et elle ne connaissaient pas beaucoup d’hommes qui aimaient particulièrement passer du temps en cuisine. Trouvant enfin quelqu’un avec qui partager cet intérêt et qui semblait réellement intéressé par sa réponse, elle ne se priva pas de répondre en détails. Après tout, peut-être pourrait-il la conseiller en retour. « C’est assez cliché, mais j’aime beaucoup revisiter les recettes italiennes avec lesquelles j’ai grandi. Rien de tel que des pâtes à la carbonara et un bon risotto ». Livia n’était pas vraiment chauvine, mais elle restait attachée à son pays, notamment à sa culture et à sa cuisine. Plutôt que d’imaginer des plats complexes dignes de restaurants, elle aimait beaucoup revisiter les classiques. D’autant plus que depuis quelques temps, elle songeait à se tourner vers une alimentation de plus en plus indépendante des produits animaux, et recréer certaines de ces recettes sans fromage était un sacré défi. « Je pense même à ouvrir un espace traiteur dans l’épicerie depuis un moment. Si vous avez des idées de recettes qui marcheraient bien, je suis preneuse. Qu’est-ce que vous aimez cuisiner, vous ? ». Elle ne devait peut-être pas donner ce genre d’informations, car ce projet était loin d’être vraiment lancé, mais elle avait eu envie de partager ça – après tout, cela ne ferait pas de mal d’avoir l’avis d’un client, ou même des idées nouvelles pour ses propres recettes. Elle avait du pain sur la planche pour tout revisiter si elle souhaitait vraiment arrêter pour de bon les produits animaux un jour.
S’asseyant sur la serviette que Marius lui avait indiquée, elle regardait Marius montrer quelques bases de l’aquarelle à son fils, qui ne semblait pas s’être lassé de l’activité pour l’instant. Elle sentit que la question de la famille n’était peut-être pas la meilleure, car l’homme lui répondit sans la regarder, tandis qu’il se mettait à peindre. « Je n’ai pas la chance d’avoir eu des enfants à qui enseigner cela. Très peu de personnes savent que je peins et encore moins ont déjà vu une de mes aquarelles. Mes frères et sœurs n’ont pas la moindre affinité artistique et ma nièce trouvait cela très beau mais après quelques essais m’a avoué ne pas être très inspirée ou intéressée. Je n’ai pas insisté ». Il haussa même les épaules, et elle ne put s’empêcher d’y voir un certain regret, qui laissait penser à travers ses paroles qu’il ne partageait pas forcément les mêmes affinités que sa fratrie. Elle n’en savait rien, et ce n’était qu’une idée, sans doute fausse, mais elle trouvait dommage que ses proches ne connaissent même pas cet intérêt-là. A l’inverse, lorsqu’elle se plaisait à quelque chose, Livia avait souvent besoin de le partager – elle trouvait son intérêt décuplé si elle pouvait en parler à d’autres personnes. Mais elle comprenait bien que certaines personnes soient plus réservées, et préfèrent garder certaines choses pour eux. Elle était néanmoins impressionnée par son côté très pédagogue envers Gabriele, et avait vraiment cru qu’il devait avoir l’habitude des enfants. Ne sachant que répondre sur ce sujet épineux, Livia ne dit rien pendant un instant, ce qui lui permis de se saisir de la question retour, sans se sentir obligée de faire un commentaire sur la situation familiale de Marius. « Vous avez de la famille à Brisbane ? » Cela dit, le sujet n’en était pas plus plaisant pour elle. Elle n’avait pas vu ses parents depuis longtemps, la dernière fois qu’elle était retournée en Italie, puisque ces derniers n’avaient jamais daigné faire le déplacement – pas même pour la naissance de son fils. S’il y a quelques années encore, elle pouvait se targuer d’avoir choisi d’élire domicile à l’autre bout du monde pour des raisons d’amour, cette famille-là s’était également émietté. Cependant, elle était restée en Australie quand même, car ce pays était devenu sa nouvelle maison depuis toutes ces années, et elle n’avait jamais envisagé séparer Gabriele de son père. Alors qu’elle allait répondre, elle hésita, pensant subitement à Vittorio. Ce demi-frère qu’elle avait rencontré en Australie, avec qui elle n’avait pas eu de contacts pendant très longtemps, et qui était récemment revenu vers elle. Comptait-il comme de la famille, avait-il réellement décidé de la connaître pour de bon cette fois ? Elle ne le savait pas encore, et ne préférait pas s’avancer sur ce chemin glissant, car elle ne saurait pas bien comment expliquer qu’un inconnu avait un jour débarqué dans sa vie pour lui avouer que son père était un con fini. Marius lui avait posé la question d’une manière suffisamment large pour qu’elle se défile sans avoir besoin de mentir. « Mon ex-conjoint vit ici, on se partage la garde » lâcha-t-elle en faisant un signe de tête en direction de Gabriele. Nul besoin de mentionner son prénom, et de risquer que l’enfant se mette à écouter cette conversation. Elle avait dit cela d’une voix neutre, presque chaleureuse même, car cela ne la dérangeait plus de parler de cela – avec le temps, elle s’y était habituée. Du moins, elle donnait bien le change, ne laissant pas transparaître le fait qu’elle vivait cela comme un échec qui avait morcelé son rêve d’une famille nombreuse. Elle aurait pu s’étendre davantage sur la question, mais le fait qu’elle ait précisé qu’elle n’était pas originaire d’ici suffisait sans doute à répondre à la question quant au reste de sa famille.
Contre toute attente, elle s'en voulait de s'être montré curieuse, alors qu'elle pensait poser une question assez superficielle. « Vous avez l'air d'avoir l'habitude des enfants, et vous avez mentionné des cours d'éveil, j'ai supposé que... ». En effet, il avait eu l'air de donner l'impression qu'il n'avait pas eu la chance d'avoir des enfants, et non pas qu'il n'en avait pas voulu - alors elle se disait que sa question avait peut-être touché une corde trop sensible. « Je suis navrée ». Elle avait lâché cela comme s'il lui avait annoncé qu'il était malade. Après tout, elle ne savait pas pourquoi il n'avait pas eu d'enfant, et cela serait déplacé de lui demander plus de détails qu'il n'avait visiblement pas jugé bon de préciser. Assise sur sa serviette, elle se mit à jouer avec ses mains, ne sachant plus trop où se mettre après une bourde pareille. Elle avait beau avoir la trentaine, elle donnait l'impression de se comporter comme un enfant surpris en pleine bêtise.
Ne pas s’imposer, ne pas poser de questions trop personnelles. C’était les premières règles que ta mère t’avait inculqué quand tu rencontrais des inconnus. Toujours rester sur la réserve, ne pas faire un trop grand pas en avant, pas tant que l’on est pas sûr de la manière dont cela sera reçu. Voilà sans doute pourquoi tu n’avais jamais pris le temps d’adresser la parole à Livia lors de tes visites à son épicerie bio. Bien sûr, tu la saluais mais cela n’allait jamais plus loin. Il avait fallu que son fils joue au curieux et crée cette occasion pour que tu en apprennes un peu plus sur la propriétaire de cet établissement où tu te rends au moins une fois par semaine pour faire tes courses. Une partie en tout cas. C’est étrange comment les choses se passent dans la vie mais cela ne te dérange pas. Gabriele semble réellement intéressé par l’aquarelle que tu es en train de peindre et tu peux prendre le temps de lui montrer comment tu fais, cela te changera les idées quelques instants. Il est encore très jeune et tu ne doutes pas qu’il se lassera rapidement de cette activité qui demande du temps et de la patience, deux choses qui viennent avec l’âge le plus souvent. Il aurait été étrange que tu passes du temps à peindre avec le fils sans discuter avec sa mère. Livia était sans aucun doute une mère attentive à son fils et elle ne le lâchait que rarement des yeux. Il lui avait échappé mais il valait mieux qu’il se soit mis en tête de venir t’embêter plutôt que de s’élancer vers l’eau où il pourrait plus facilement se noyer. De ta passion pour l’art, c’est la passion de Livia pour la cuisine qui se fit une place dans votre conversation. « C’est assez cliché, mais j’aime beaucoup revisiter les recettes italiennes avec lesquelles j’ai grandi. Rien de tel que des pâtes à la carbonara et un bon risotto » Tu hoches la tête car effectivement, cela semble appétissant. Tu n’es pas un grand cuisinier, tu prépares des petites choses mais tu te dis que tes plats ne doivent pas être comparables à ceux de Livia, particulièrement quand elle prépare des pâtes. Tu es australien après tout, ce n’est pas votre spécialité. « Je pense même à ouvrir un espace traiteur dans l’épicerie depuis un moment. Si vous avez des idées de recettes qui marcheraient bien, je suis preneuse. Qu’est-ce que vous aimez cuisiner, vous ? » Idée très intéressante. Cela te sauverait de la nourriture de la cafétéria de l’université que tu mangeais bien trop souvent à ton goût. Tu admirais les personnes qui tenaient un commerce car il y avait une forme de renouvellement perpétuel à trouver pour garder les clients. Tout le monde semblait vite se lasser de tout dans votre société et cela ne devait pas être facile de fidéliser les gens et de trouver ce qui leur convient. « C’est une excellente idée ! Je dois avouer que vos recettes italiennes m’ouvriraient l’appétit personnellement. » Lui dis-tu parce que pour toi, c’était le genre de service où la simplicité primait sur le reste. « Je n’ai pas d’idée de recette mais faites simple. Les gens qui achèteront vos plats auront certainement à le manger froid ou réchauffé au micro-ondes donc la simplicité avant tout ! » Parce qu’en cuisine, tu trouvais que c’était le meilleur. Pour avoir essayé un grand nombre de grands restaurants de Brisbane avec ta soeur qui en raffolait, tu n’étais pas convaincu que ce soit la meilleure nourriture que tu mangeais. « Je n’ai pas de spécialité, j’essaie de faire un peu de tout en fonction de ce que j’ai au frigo. Depuis mon séjour en France, je fais régulièrement des gratins dauphinois pour accompagner ma viande mais la plupart du temps c’est beaucoup moins sophistiqué. » Si on considérait que le gratin dauphinois l’était ce qui n’était pas évident. Mais pour toi ça l’était car tu n’étais pas un as des fourneaux donc cela te suffisait comme complexité.
Avec les aquarelles vint le sujet de la famille. Sujet épineux pour toi car il faisait remonter beaucoup de regrets. Il n’y avait pas un seul membre de ta famille avec qui tu avais une relation à peu près correcte et avec qui les regrets n’existait pas. Même Beth, qui se rapprochait de cela, tu avais réussi à la blesser et tu te retrouvais aujourd’hui à devoir panser les plaies que tu avais créées. Alors non, tu ne partageais pas tes aquarelles, tu ne partageais pas grand chose avec ta famille à vraie dire et tu vis la surprise sur le visage de ton interlocutrice. Cependant, comme toi, on avait dû lui apprendre à ne pas appuyer là où ça fait mal avec des inconnus. Décidant de continuer la conversation sur le sujet, tu retournais la question dans l’espoir qu’elle ait plus de chances que toi côté familial. Mais Livia ne semblait pas plus à l’aise avec le sujet que tu ne l’étais. « Mon ex-conjoint vit ici, on se partage la garde » Ton regard se pose sur le petit garçon à tes côtés alors que tu continues de peindre. C’est très courageux de la part de la jolie brune que d’élever son fils seule. Tu le voyais chez tes amis, tu le voyais chez ton frère, être un parent célibataire c’était compliqué. Encore plus quand il y avait une garde partagée. Gabriele semblait être un petit garçon on ne peut plus heureux à première vue mais des fois les choses n’étaient pas aussi simples. Tu laissais le silence s’installer alors que le bruit des vagues vous parvenait du bord de l’eau. « Ça ne doit pas être facile tous les jours. Tenir un commerce et être maman à plein temps, c’est admirable. » Et cela devait être épuisant. Pour avoir eu Moïra à ta charge pendant un an et demi, tu te souvenais que tu n’avais jamais été aussi fatigué qu’à cette époque-là. « Si la garde se passe bien avec votre conjoint, vous pouvez faire des pauses et prendre du temps pour vous. » Lui dis-tu en haussant les épaules. Tu ne savais pas exactement pouvoir tu avais rajouté cela mais ça te semblait essentiel que chaque parent célibataire ne soit pas défini seulement par ses enfants. Moïra commençait à entrer dans l’adolescence et même si ton frère ne le reconnaitrait jamais, cela le faisait paniqué car depuis son retour à Brisbane, toute se vie tournait autour de sa fille. Alors que tu rinçais ton pinceau pour changer de couleur en expliquant pourquoi à Gabriele, Livia te dit : « Vous avez l'air d'avoir l'habitude des enfants, et vous avez mentionné des cours d'éveil, j'ai supposé que... Je suis navrée. » Avais-tu été aussi transparent que cela ? Certainement vu que Livia s’excusait d’avoir touché une corde sensible. Elle ne pouvait pas deviner que tu avais toujours voulu des enfants mais la vie avait fait que tu n’en avais pas et n’en aurait certainement jamais. C’était ton incapacité émotionnelle, le fait que tu n’avais jamais vraiment pu t’ouvrir après Alice, pas assez pour arriver à construire une relation qui t’avait amené là. « Ne vous excusez pas, ce n’est pas la peine. » Lui dis-tu le plus sincèrement du monde en posant tes yeux dans les siens. Elle ne t’avait pas blessée, c’était à toi de t’habituer à ce que ce genre de sujet soit mis sur la table. « Je me suis occupé de ma nièce pendant un an et demi il y a quelques années, cette expérience m’a beaucoup appris sur les enfants et j’aime pouvoir envoyer les enfants de mes amis dans des classes d’éveil à défaut d’y envoyer les miens. » Lui dis-tu tranquillement. Il n’y avait personne à blâmer pour l’état de ta vie sentimentale et familiale à part toi alors tu n’allais pas passer ton amertume sur Livia qui n’avait rien demandé. « Si vous rencontrez mon frère, il sera ravie de vous dire que c’est bien mieux que je n’ai pas procréé, mes enfants seraient insupportables. » Dis-tu un sourire en coin sur les lèvres pour détendre l’atmosphère. Oh Tommy te l’avait dit à de nombreuses reprises lors de vos disputes, aujourd’hui il le disait toujours mais sur un ton un peu plus taquin. Il ne pouvait pas te penser être si mauvais que cela vu qu’il avait eu assez confiance en tes capacités pour te laisser sa fille pendant un an et demi.
C’était la première fois que Livia partageait ses futures idées pour l’épicerie avec quelqu’un d’autre que ses amis proches ou ses collègues, et elle ne put contenir un sourire lorsque Marius lui dit qu’il serait personnellement intéressé. Ce n’était qu’un début, une idée en germe, et le retour d’un seul client était bien loin d’être suffisant, mais cela lui donnait l’envie de creuser davantage. Et puis, il avait raison, elle ne pourrait proposer de choses trop compliquées, car le but d’une telle offre était la simplicité pour ceux qui en profiteraient. Lorsqu’il partagea ce qu’il préférait cuisiner avec elle, Livia ne put s’empêcher de tiquer, piquée par la curiosité. « Je n’ai pas de spécialité, j’essaie de faire un peu de tout en fonction de ce que j’ai au frigo. Depuis mon séjour en France, je fais régulièrement des gratins dauphinois pour accompagner ma viande mais la plupart du temps c’est beaucoup moins sophistiqué ». Pour avoir habité les vingt-trois premières années de sa vie en Italie, elle avait eu l’occasion de se rendre plusieurs fois en France – moins avec ses parents trop occupés pour prévoir les vacances dont elle aurait rêvé, qu’avec ses amis toujours partants pour s’envoler le temps d’un week-end. L’avantage d’avoir des parents qui manquaient d’attention, c’était qu’ils qui laissaient faire sa vie et lui faisaient confiance pour ne pas s’embarquer dans des situations dangereuses – ce qui n’avait jamais trop été son genre. Alors, elle avait eu l’occasion de visiter Paris plusieurs fois, mais aussi le sud du pays, embarquée en voiture avec ses meilleures amies. En revanche, elle avait rarement croisé des Australiens si loin de leur pays d’origine. « Vous avez habité en France ? » demande-t-elle avec une curiosité non dissimulée, car cela faisait bien longtemps qu’elle-même n’avait pas mis les pieds là-bas. Pendant de nombreuses années, elle avait toujours été attirée par ce pays même si elle ne pouvait s’empêcher de pointer toutes les différences culturelles qui existaient avec l’Italie. Depuis qu’elle habitait en Australie, elle se rendait compte que finalement, ces pays voisins n’étaient pas si différents, une fois comparés à la culture anglo-saxonne qu’elle avait mis un moment à intégrer réellement.
Alors que Livia venait d’évoquer le fait qu’elle était séparée et gardait son fils en garde alternée, Marius se montra plus compréhensif qu’elle ne l’aurait imaginé. Bien plus que beaucoup de personnes qui avaient plusieurs enfants, et des situations bien plus complexes que la sienne – un enfant une semaine sur deux, elle n’avait pas vraiment de quoi se plaindre, selon elle. « Ça ne doit pas être facile tous les jours. Tenir un commerce et être maman à plein temps, c’est admirable. Si la garde se passe bien avec votre conjoint, vous pouvez faire des pauses et prendre du temps pour vous ». Elle hocha la tête à l’écoute de ces derniers mots, car elle avait en effet du temps pour elle, bien qu’elle choisissait de le passer au travail bien souvent - pour prendre de l’avance sur la semaine suivante où elle ne pourrait pas autant se le permettre. « C’est une organisation, mais j’ai vraiment de la chance ». Il était vrai qu’elle avait tout de même beaucoup de temps, notamment en soirée, pour voir ses amis ou penser à autre chose qu’à ses obligations familiales ou ses stocks de pomme de terre à l’épicerie. Cela dit, elle aurait tout donné pour se lancer à nouveau dans les couches, et cela transparut dans ses yeux et se fit ressentir dans sa voix lorsqu’elle lâcha « Mais ça ne m’aurait pas dérangé de devoir consacrer plus de temps à ma famille ». C’était un euphémisme, car au contraire, elle aurait même souhaité pouvoir se consacrer toute entière à la famille unie qu’elle n’avait plus. Plus jeune, elle était éprise d’un besoin de liberté et avait du mal avec la notion d’engagement, sans réellement savoir ce qui lui faisait peur. A l’inverse, depuis qu’elle était maman, elle avait découvert en elle un besoin viscéral de maternité, qu’elle n’aurait pas imaginé si pressant étant donné l’image qu’elle avait eu de sa mère. Mais dès lors qu’elle était tombée enceinte, cela lui avait semblé comme une évidence, et rien ne l’aurait rendue plus heureuse qu’un autre enfant, ou même deux. Ces enfants rêvés qui n’existaient plus que dans son esprit. Malgré tout, elle se savait et se sentait déjà comblée par Gabriele.
Elle se sentait donc vraiment mal d’avoir touché un sujet si sensible auprès de Marius, bien que celui-ci tenta de la rassurer, en la regardant d’un air sincère. Elle ne pouvait même pas imaginer se mettre à sa place, car il était impossible pour elle de faire demi-tour, maintenant qu’elle avait connu ce qu’impliquait le fait de fonder sa propre famille. Mais elle se rappelait de ce temps lointain où elle n’avait pas l’impression de manquer de quelque chose. Peut-être qu’on ne pouvait manquer de quelque chose que l’on n’avait jamais eu, après tout. « Je me suis occupé de ma nièce pendant un an et demi il y a quelques années, cette expérience m’a beaucoup appris sur les enfants et j’aime pouvoir envoyer les enfants de mes amis dans des classes d’éveil à défaut d’y envoyer les miens ». Le cœur de Livia se serra à ces mots. Il semblait donc que Marius avait connu cela « par défaut », sans qu’il ne s’agisse de ses propres enfants. Elle n’avait aucune idée des raisons qui avaient menées à cette situation, mais elle se sentit touchée par cette histoire, car les mots de Marius ne laissaient pas vraiment transparaitre une fin si heureuse. « Si vous rencontrez mon frère, il sera ravie de vous dire que c’est bien mieux que je n’ai pas procréé, mes enfants seraient insupportables ». Marius avait beau sourire à cette idée, cela n’empêchait pas que ces mots sonnaient si durs aux oreilles de Livia. Elle en connaissait un paquet sur les frères difficiles, mais Vittorio n’avait jamais osé s’attaquer à sa manière avec ce genre de mots. Et puis, elle ne pouvait qu’être étonnée par les deux phrases mises bout à bout, au point qu’elle se montra encore plus indiscrète. S’il ne voulait pas en parler, il pourrait très bien lui faire remarquer, et elle le comprendrait tout à fait. « Votre frère ? Le père de votre nièce ? » Peut-être pas. Sûrement pas, d’ailleurs. Comment pourrait-il faire une telle remarque si sa fille avait vécu chez lui ? Elle avait beau se montrer de nature discrète, elle s’était forcée à contenir la remarque qui lui était venue instinctivement – c’était quand même extrêmement hypocrite de la part de son frère de dire des choses pareilles. Puis Livia ne put s’empêcher de s’enquérir de cet enfant qui avait occupé une place à part entière pour Marius, visiblement. « Quel âge a-t-elle ? ». Disant cela, elle jeta un regard à Gabriele – pour rien au monde elle ne le confierait à quelqu’un d’autre. Même lorsqu’elle le laissait chez son père, alors qu’elle avait une pleine confiance en lui en ce qui concernait leur fils – elle ne pouvait s’empêcher de se faire du soucis. « Je ne connais pas votre frère, mais vous ne renvoyez pas l’image de quelqu’un incapable de bien s’occuper d’enfants, au contraire ». Puis elle lâcha en riant et en pointant Gabi du doigt « Vous passeriez le test du baby-sitter bien mieux que les trois-quarts que j’ai pu avoir ».
L’épicerie de Livia avait de beaux jours devant elle, tu n’en doutais pas. La jeune femme semblait avoir des idées pour développer son commerce et ne pas se reposer sur ses acquis, c’était un gage à tes yeux d’une grande clairvoyance. Tout allait tellement vite de vos jours qu’il ne fallait pas se reposer sur ses lauriers. Même si ce n’était pas la même chose à l’université, tu avais pu être témoin des changements d’époques depuis que tu avais commencé à enseigner. Le sujet vous amena à parler de la passion de Livia pour la cuisine ou du moins de son intérêt prononcé pour cette activité. Tu n’étais pas un excellent cuisiner mais tu te débrouillais et surtout, tu n’avais pas peu d’essayer. Il état vrai que tu préférais exceller dans ce que tu entreprenais mais tu savais que ce n’était pas possible de le faire en tout. Ton commentaire sur le plat que tu aimais beaucoup préparé car il te rappelait ton passage en France sembla piquer la curiosité de ton interlocutrice : « Vous avez habité en France ? » Si elle avait vécu une grande partie de sa vie en Italie, il y avait de fortes chances qu’elle ait fait un voyage en France quelques fois. Enfin, tout dépendait où elle habitait en Italie et si elle aimait voyager. Tu te souviens de la fascination que tu avais éprouvée quand tu t’étais rendu compte que des pays totalement différents se tenaient à portée de main. Ce n’était pas le cas de l’Australie, pays très grand. Oh d’un côté à l’autre de l’Australie, les différences étaient importantes mais ce n’était pas pareil que de passer les frontières européennes. Hochant la tête, tu dis : « J’ai habité à Paris à deux reprises. La première fois lors de ma thèse et j’y suis retourné en 2016 lorsque l’on m’a proposé un poste d’enseignant dans une grande école de la capitale. J’y suis resté deux ans. » Dis-tu sans t’étendre plus que ça. Les raisons réelles de ton départ étaient tout autre et cette proposition de poste n’était qu’un prétexte qui était arrivé au bon moment. Tu avais encore aujourd’hui du mal à croire que les évènements aient pu si bien se conjuguer. « Vous connaissez la France ? » Lui demandas-tu curieux. Peut-être que vous pourriez partager des souvenirs de lieux où vous vous étiez rendus tous les deux. La France te manquait mais pas assez pour que tu envisages la possibilité de retourner y vivre. Tu avais été ravi d’accompagner Quinn à la conférence mondiale de sa profession toutefois, retrouver les rues de la capitale avait été un véritable plaisir.
Livia te confia ensuite qu’elle s’occupait de son fils seule quand ce dernier n’était pas chez son père. Tu trouvais cela admirable, ces femmes et ces hommes qui élevaient leurs enfants tout seul. Cela faisait bondir ta mère à chaque fois qu’elle en parlait et ce n’était pas un schéma que tu aurais choisi. Toutefois, pour t’être occupé de Moïra seul quand Tommy te l’avait laissé, tu savais à quel point cela était un travail à plein temps. Et tu avais eu Beth et tes parents pour t’aider à l’époque, un soutien que Livia ne semblait pas avoir en Australie. « C’est une organisation, mais j’ai vraiment de la chance » Elle ne semblait pas du tout regretter les choix qui l’avaient menée ici. Tu retournais ton attention vers Gabriele qui t’observait toujours avec de grands yeux, se penchant toujours un peu plus sur ton dessine. « Mais ça ne m’aurait pas dérangé de devoir consacrer plus de temps à ma famille » Tu fus surpris de l’entendre prononcer ces paroles car tu pensais que le sujet était clos. Cependant, alors que tes yeux se posaient sur le visage de Livia, tu remarquais qu’il semblait laisser transparaître autre chose. Tu n’étais peut-être pas le seul à regretter de ne pas avoir la situation familiale que tu avais espérée. « Vous vouliez une grande famille ? » Te retrouves-tu à lui demander un peu malgré toi. Ce ne sont pas tes affaires et Livia n’a pas à te confier ce qu’elle aurait aimé avoir ou pas dans sa vie. « Si c’est ce que vous souhaitez, cela peut encore arriver. Vous avez encore le temps de construire une famille si c’est ce que vous désirez. » Bien sûr, il lui faudrait trouver un partenaire très certainement car Livia n’était pas une femme qui semblait vouloir un enfant juste pour avoir un enfant. Elle avait bien dit que ce qu’elle voulait s’était une famille. Son ex-compagnon n’avait pas pu lui donner cela mais elle était encore jeune et charmante, elle avait le temps de tomber amoureuse. C’était sans doute très maladroit de ta part mais tu espérais que Livia ne le prendrait pas mal.
Elle te demanda ensuite si tu avais des enfants. Sujet sensible pour toi mais on te posait régulièrement la question. L’entrée dans la quarantaine signifiait qu’aux yeux des gens, tu avais l’âge parfait pour être un train d’élever des enfants, peu envisageaient que tu puisses ne pas en avoir. Mais la question de Livia ne venait pas de ce genre de réflexion mais plutôt de la manière dont tu agissais avec son fils. Avoir à t’occuper de Moïra avait eu un effet positif sur tes talents auparavant inexistants pour t’occuper des enfants. Tu fis d’ailleurs remarqué à Livia qu’il était peut-être préférable que tu n’aies pas d’enfants, Tommy t’avait assez fait remarquer que s’ils étaient aussi chiants que toi, ce ne serait pas un cadeau. C’était à une autre époque, c’était dans un contexte particulier mais tu n’étais pas le genre de personne à oublier ce type de remarque. « Votre frère ? Le père de votre nièce ? » Livia semblait chercher une confirmation que tu ne tardais pas à lui donner : « Tout à fait, j’ai un frère cadet et deux soeurs. Mes parents ont fait dans la parité. » Dis-tu un sourire amusé sur les lèvres. Tes parents n’avaient pas choisi et ils s’en fichaient. Ce qu’ils voulaient c’était des enfants à moduler comme ils l’entendaient et à très mal éduquer. Enfin, vous n’étiez pas mal éduqués, vous n’étiez juste pas une fratrie normale. « Quel âge a-t-elle ? » Parler de ta nièce était ton passe-temps favoris. Beth aimait te taquiner en te disant qu’au moins en parlant d’elle, tu avais l’air humain et pas complètement coupé du monde. « Elle a dix ans, elle fera onze ans cette année. Elle était à peine plus âgée que votre fils quand mon frère me l’a laissée. » Cela te semblait si loin aujourd’hui, tant de choses avaient changé … Ta relation avec Tommy évoluait. Tu ne savais pas vers quoi et tu n’étais pas certain que cela dure mais tu te devais d’espérer au moins. « Je ne connais pas votre frère, mais vous ne renvoyez pas l’image de quelqu’un incapable de bien s’occuper d’enfants, au contraire. Vous passeriez le test du baby-sitter bien mieux que les trois-quarts que j’ai pu avoir » Tu laissais échapper un petit rire presque nerveux à ces paroles. Les enfants étaient pour toi des êtres à chérir. Leur innocence était sans doute ce qui te mettait le plus à l’aise avec eux car tu étais à peu près certains qu’ils ne pouvaient pas te poignarder dans le dos. « Assez étonnamment, mon frère me reproche beaucoup de choses mais jamais de m’être mal occupé de sa fille. C’est sans doute pour cela qu’il l’a laissée avec moi. » Beth aurait été un bien meilleur choix pourtant et il devait avoir plus confiance en elle. Pourtant, c’était vers toi qu’il s’était tourné, un choix incompréhensible encore aujourd’hui et une confiance dont tu avais abusé. « J’aimerais dire que la famille est une chose merveilleuse, pour moi c’est juste très compliqué. » Dis-tu en haussant les épaules. C’est pour ça que tu aurais aimé avoir la tienne, pour pouvoir te reposer sur des personnes en qui tu avais une entière confiance. « Mais je suis intrigué désormais, quel test faites-vous passer à vos baby-sitters ? » Demandas-tu à la jeune femme.
Depuis qu’elle avait élu domicile en Australie, Livia n’avait pas rencontré tant d’Européens – du moins, peu avec qui elle avait vraiment eu l’occasion de discuter de son continent d’origine. Elle avait connu quelques personnes qui y avait habité un moment, ou y étaient parties en vacances, mais elle n’avait jamais eu l’impression qu’il s’agissait des premiers choix des australiens en termes de voyage. Ce qui semblait assez logique, lorsqu’elle y réfléchissait, car elle-même ne se serait pas lancée dans un périple aussi long pour quelques jours ou semaines seulement. Lorsqu’elle était arrivée en Australie, elle avait même mis au point une liste très organisée de tout ce qu’elle voulait visiter dans le pays, car elle n’était pas certaine d’y revenir un jour. A ce moment-là, elle ne se doutait pas qu’il s’agirait de l’inverse, et que ce serait l’Italie qu’elle reverrait si peu dans les années suivantes. Cela faisait plus d’un an qu’elle n’y était pas rentrée, et elle devait avouer que le pays lui manquait – davantage que ses parents, aussi triste que cela puisse sonner. Mais elle repoussait le moment où elle devrait s’y rendre à nouveau, car elle ne savait pas encore bien si elle réussirait à pardonner à son père un jour. En revanche, cela lui faisait toujours plaisir de discuter de ce vieux continent avec d’autres personnes – elle se sentait emplie de nostalgie à l’évocation de l’Italie ou de la France, mais cela lui faisait du bien, malgré tout. « J’ai habité à Paris à deux reprises. La première fois lors de ma thèse et j’y suis retourné en 2016 lorsque l’on m’a proposé un poste d’enseignant dans une grande école de la capitale. J’y suis resté deux ans. Vous connaissez la France ? » En effet, il était plus que légitime à perpétuer la tradition des gratins dauphinois, pour avoir fait le grand voyage autour du monde à plusieurs reprises. Livia aurait bien voulu pouvoir échanger avec lui sur les musées qu’il avait sans doute fréquenté à Paris, mais lorsqu’elle voyageait avec ses amies à l’époque, le petit groupe s’intéressait davantage aux soirées qu’aux tableaux de maîtres. « J’ai eu la chance d’aller à Paris une fois, mais je n’y suis restée que quelques jours, donc vous connaissez bien mieux que moi. J’allais souvent sur la Côte d’Azur plutôt, depuis l’Italie ça n’est pas si loin… Comparé aux distances australiennes » dit-elle avec un sourire amusé. Comparé à l’Australie, tout semblait si proche en Europe.
Lorsque Livia mentionna qu’elle était du genre à aimer s’occuper de sa famille, l’expression sur son visage la trahit suffisamment pour que Marius saisisse instantanément ce qui la tiraillait. « Vous vouliez une grande famille ? » Elle aurait pu répondre un simple oui, franc et direct. La vérité, dans sa forme la plus pure et la plus honnête. Mais par rapport à elle-même, elle n’aimait pas à avouer cela de manière si directe, car elle essayait justement de se convaincre au quotidien que la famille qu’elle avait pouvait lui suffire. Malgré tout, ce manque au fond d’elle ne pouvait être complètement enfoui. « J’ai toujours imaginé avoir une famille nombreuse, oui » « Si c’est ce que vous souhaitez, cela peut encore arriver. Vous avez encore le temps de construire une famille si c’est ce que vous désirez. » Ses paroles se voulaient rassurantes, et elle lui sourit sincèrement à l’écoute de ses mots. Étonnamment, la plupart de ses amies lui disaient l’inverse – qu’elle n’avait qu’à apprendre à se satisfaire de sa famille telle qu’elle l’avait construite, et qu’elle ne devait pas se laisser emporter par les regrets. Avec le temps, elle avait donc intériorisé l’idée qu’elle n’aurait pas d’autres enfants. Techniquement, elle n’était pas si vieille et cela était toujours envisageable, mais elle ne concevait tout simplement pas d’avoir d’autres enfants avec quelqu’un d’autre. Elle était restée avec Cameron si longtemps qu’elle avait du mal à imaginer sa famille sans lui. Et en l’état actuel des choses, leur histoire était définitivement terminée. Les mots de Marius trouvèrent donc un nouvel écho en elle, rallumant une petite lumière qu’elle s’efforçait pourtant de contenir chaque jour. « Vous avez raison. » Il avait tout dit, et avait visé juste, alors elle n’avait pas grand-chose à ajouter. A part une chose. « Je ne peux que vous souhaiter la même chose, d’ailleurs. » Elle le connaissait depuis quinze minutes, autant dire pas du tout, et pourtant ils s’étaient tous deux suffisamment confiés pour qu’elle comprenne qu’ils partageaient cette peine-là. Il lui semblait être quelqu’un de bien, qui méritait également de connaitre de bonheur. D’autant plus qu’il semblait aussi connaître la dure réalité d’une famille quelque peu dysfonctionnelle.
Après lui avoir confié qu’il avait un frère et deux sœurs, il lui parla de sa nièce. « Elle a dix ans, elle fera onze ans cette année. Elle était à peine plus âgée que votre fils quand mon frère me l’a laissée. » Livia ne comprenait pas bien ce qui avait pu se passer pour qu’il se retrouve en charge de sa nièce, mais elle pouvait déceler dans sa voix et son regard l’affection qu’il lui portait. Une tendresse de parent, en quelque sorte. La jeune femme n’eut pas le cœur de briser cet instant en lui demandant davantage de détails indiscrets sur cette situation assez singulière qui l’avait laissé s’occuper de sa nièce. Elle se contenta de lui dire qu’il donnait bien le change et semblait savoir y faire avec les enfants. « Assez étonnamment, mon frère me reproche beaucoup de choses mais jamais de m’être mal occupé de sa fille. C’est sans doute pour cela qu’il l’a laissée avec moi. J’aimerais dire que la famille est une chose merveilleuse, pour moi c’est juste très compliqué. » Cela avait l’air plus que compliqué, en effet. Lorsque Livia entendait de telles histoires, cela lui permettait de relativiser sur sa situation et se rendre compte qu’elle était loin d’être la seule avec des histoires familiales compliquées. Même si elle n’était pas du genre à se plaindre souvent, réaliser qu’elle n’était pas la seule à souffrir des complications de la vie lui donnait l’envie de profiter encore davantage de son quotidien – qui n’était finalement pas si dramatique, au contraire. Malgré tout, elle préféra ne pas se lancer dans des questions au sujet du frère de Marius, car cela paraissait déjà être un sujet sensible, et elle n’avait aucune légitimité pour fouiller ainsi dans sa vie. La curiosité la titillait, mais son respect et sa politesse l’empêchait de se montrer trop indiscrète – elle-même n’aurait pas aimé qu’un inconnu vienne trop fouiller dans ses affaires familiales compliquées. « Je comprends vraiment, je n’ai pas eu la chance d’avoir une famille parfaite non plus. J'espère que vous continuez à voir votre nièce quand même. » Elle se tut un instant puis ajouta. « En revanche, votre frère doit avoir une confiance infinie en vous malgré ce qu’il peut dire. Je ne confierais mon enfant qu’à la personne en qui j’ai le plus confiance. »
Puis elle ne put contenir un rire franc à l’évocation du test des baby-sitters, qui semblait l’intriguer. « Ce n’est pas vraiment un test fixe, mais j’aime bien voir si la personne arrive à résister à la manipulation d’un enfant de trois ans. » A cette évocation, il était possible d’entendre le sourire dans sa voix. Son fils la faisait beaucoup rire, et la rendait incroyablement heureuse et fière, même lorsqu’il se comportait en petit chenapan prêt à tout pour obtenir ce qu’il voulait. « Il me raconte tout le lendemain, alors j’ai l’habitude d’interdire aux baby-sitters de le laisser regarder son émission préférée. La plupart craquent devant son petit sourire, malheureusement… mais certains sont suffisamment motivés pour l’occuper avec une autre activité. Je suis sûre que la peinture pourrait marcher, justement. » En parlant de peinture, cela faisait un petit moment que Gabi traçait des lignes et des formes totalement abstraites, avec l’aide régulière de Marius qui venait compléter ses traits de pinceau. Il n’était pas encore en train de piaffer d’impatience pour aller se jeter dans l’eau, mais cela ne saurait tarder. « D’ailleurs, il risque de ne pas s’arrêter tant que vous ne lui direz pas qu’il a réussi. Déformation familiale, il a besoin de savoir qu’il a bien fait avant de passer à autre chose » dit-elle en souriant tandis qu’elle haussait les épaules.
Il y avait un certain nombre d’expatriés européens à Brisbane. Enfin, tu avais surtout eu l’occasion de croiser des Britanniques donc la question de leur appartenance à l’Europe était posée mais ce n’était qu’un détail. C’était certainement le pays européens avec le plus de ressortissants. Tu n’avais pas croisé beaucoup de Français mais il y en avait quelques uns. C’était la première fois que tu croisais une Italienne cependant mais tu avais toujours été très ouvert aux nouvelles cultures et aux apports que cela pouvait avoir sur vos habitudes australiennes. Quand tu étais en Europe, tu aurais dû plus prendre le temps de visiter tous ces pays à portée de main mais tout s’était bousculé et tu n’étais pas dans les meilleures dispositions psychologiques à l’époque. Tu avais donc un peu voyagé mais pas trop. Une petite visite de Rome s’était imposée, en temps qu’amoureux de l’art, tu ne pouvais pas faire sans. « J’ai eu la chance d’aller à Paris une fois, mais je n’y suis restée que quelques jours, donc vous connaissez bien mieux que moi. J’allais souvent sur la Côte d’Azur plutôt, depuis l’Italie ça n’est pas si loin… Comparé aux distances australiennes » Les Européens avaient du mal à imaginer ce que pouvaient être les distances en Australie. Tu ne pouvais pas leur en vouloir, ils avaient tout à côté chez eux et beaucoup n’en profitaient pas. Mais c’est normal, chacun aime avoir ce que l’autre a et a du mal à se contenter de ce qu’il a sous la main. C’est un classique. Mais en Australie, les vacances sont plus rares et elles se déroulent principalement en Asie ou dans le pays. Il y a tellement de choses à visiter que vous n’êtes pas en manque de nouveautés. « Vous avez eu l’occasion de visiter un peu l’Australie depuis votre arrivée ? » Lui demandas-tu pour rebondir sur sa remarque. Ce n’était pas toujours le cas et puis avec son fils cela devait changer les choses quand il était question de vacances. Tu te souviens des vacances que tu avais passé avec Moïra, il t’avait fallu quelques jours pour trouver le rythme qui vous convenait à tous les deux, toi qui voyageais auparavant seul ou avec des amis, ce n’était pas la même chose.
Les regrets se dessinaient dans le regard de Livia alors que vous parliez de construire une famille. Elle avait déjà Gabriele et peut-être que cela devrait être suffisant. Mais cela ne l’était pas pour elle. Avoir un enfant serait déjà merveilleux à tes yeux mais certains ont d’autres ambitions. Quand tes soeurs semblent bien décidées à n’en avoir aucun ou alors dans un futur lointain pour Scarlett, se dire que Livia en voulait plusieurs était une autre manière de voir les choses. Le besoin d’enfant n’était pas ressenti par tout le monde pareil et il fallait le respecter. « J’ai toujours imaginé avoir une famille nombreuse, oui » Tu ne savais pas quel âge avait Livia mais elle te semblait assez jeune pour avoir encore une chance de réaliser ce rêve, cette ambition. Certes, ce ne sera peut-être pas ce dont elle avait rêvé car elle aura un premier enfant d’une union et les autres d’une autre union mais est-ce que cela avait vraiment de l’importance ? L’essentiel était qu’elle soit heureuse et si elle trouvait une personne qui avait ce même désir qu’elle, il serait idiot de s’en priver. « Vous avez raison. Je ne peux que vous souhaiter la même chose, d’ailleurs. » Autant tu arrivais à être optimiste pour d’autres, autant quand c’était de toi que l’on parlait … Tu souris à la jeune femme parce qu’elle avait raison en soi. Il n’y avait aucune raison que tu ne puisses pas construire une famille un jour. Mais tu doutais que cela se produise pour toi parce que tu commençais à rentrer dans un âge où ce n’est plus vraiment ce que l’on veut, ce que l’on cherche. Mais il ne fallait jamais dire jamais. Tu n’allais pas chercher à forcer le destin, tu verras bien ce qu’il te réservera. « Peut-être que si nous y croyons assez fort, nous aurons de la chance. » Lui dis-tu simplement. Avant d’y croire, il faudrait que tu réussisses à ouvrir ton coeur à une femme et à pouvoir établir une confiance telle que tu arrêteras de douter de toi à chaque tournant.
Parler d’enfants vous amena à parler de vos familles. Surtout parce que la seule enfant que tu connaissais et dont tu t’étais occupé était ta nièce, Moïra. La relation conflictuelle avec ton frère faisait que tes rapports avec ta nièce n’étaient pas aussi fréquents que tu le voudrais mais les choses s’étaient beaucoup améliorées ces derniers temps et tu mesurais la chance que tu avais de continuer à la voir. « Je comprends vraiment, je n’ai pas eu la chance d’avoir une famille parfaite non plus. J'espère que vous continuez à voir votre nièce quand même. » Livia marqua une pause et sembla réfléchir avant d’ajouter : « En revanche, votre frère doit avoir une confiance infinie en vous malgré ce qu’il peut dire. Je ne confierais mon enfant qu’à la personne en qui j’ai le plus confiance. » Tu avouais ne pas très bien comprendre le choix de ton frère de te laisser sa fille. Tu aurais parié sur Beth, sur vos parents, sur Scarlett même mais pas sur toi. Tu avais abusé de sa confiance, c’était certain mais tu n’avais pas imaginé ne pas t’occuper de la petite fille quand il te l’avait déposée. Peut-être qu’il s’était dit que tu ferais de ton mieux au nom de ta relation avec Alice ? Tu ne lui avais jamais demandé et c’était un mystère pour toi. « Je ne l’ai pas vue pendant mes années en France mais depuis que je suis de retour à Brisbane, je la vois de temps en temps. Mon frère et moi mettons de l’eau dans notre vin, Moïra est assez grande pour nous remettre à notre place. » Elle ne l’avait pas encore fait mais tu ne doutais pas que l’adolescente qui grandissait ne tarderait pas à vous faire savoir quand vous seriez en train de faire un faux pas. Vu l’adolescence de ton frère, tu avais commencé à préparer ta chambre d’amis car ta nièce risquait de vouloir l’utiliser quelques fois.
Tu interrogeais ensuite Livia sur son test des baby-sitters, très amusé de cette idée car il n’est pas simple de résister aux enfants. « Ce n’est pas vraiment un test fixe, mais j’aime bien voir si la personne arrive à résister à la manipulation d’un enfant de trois ans. Il me raconte tout le lendemain, alors j’ai l’habitude d’interdire aux baby-sitters de le laisser regarder son émission préférée. La plupart craquent devant son petit sourire, malheureusement… mais certains sont suffisamment motivés pour l’occuper avec une autre activité. Je suis sûre que la peinture pourrait marcher, justement. » Tu laissais échapper un petit rire à ces paroles. Non, il n’était pas facile de résister à un enfant, en particulier quand on le gardait de temps en temps. Mais il est vrai que les occuper n’est pas toujours chose facile. Et puis derrière son air de petit ange, tu ne doutais pas que Gabriele devait être une petite terreur quand il le voulait. « C’est un bon test ! Je ne doute pas que ton fils se serve à merveille de ses meilleures armes. » Les enfants étaient beaucoup plus intelligents que la plupart des gens le pensaient. Mais c’était une intelligence innocente, pas une intelligence malveillante. « D’ailleurs, il risque de ne pas s’arrêter tant que vous ne lui direz pas qu’il a réussi. Déformation familiale, il a besoin de savoir qu’il a bien fait avant de passer à autre chose » Cela ne te dérangeait pas de laisser le petit garçon peindre sur la feuille que tu avais mise à sa disposition. Tu posais ton regard sur Livia, pensif. Déformation familiale ? Sa mère devait avoir besoin du même type de réassurance alors. Te tournant vers son fils, tu lui dis : « C’est très bien, tu es très doué. » Tu laissais ainsi le choix à l’enfant de continuer ou de se lever pour aller courir vers l’eau ou vers ses outils pour faire un château de sable. Tu tournais ton regard vers Livia, espérant avoir bien fait. Gabriele ne tarda pas à se lever et tu attrapais la feuille avant de lui tendre : « En souvenir de cette première tentative. S’il persévère et devient célèbre, ce bout de papier se vendra à prix d’or. En attendant vous pouvez l'accrocher sur votre frigo. » Dis-tu à la jeune femme amusée. Peut-être que Gabriele ne peindra plus jamais, peut-être que ça ne l’intéressera pas vraiment mais ce n’est pas le sujet, pas quand un enfant est si jeune et qu’il a encore toute sa vie pour décider ce qu’il veut faire.
Livia prenait plaisir à échanger avec Marius, qui bien que semblant posséder un aspect assez réservé, était curieux et intéressé par beaucoup de choses. Les conversations simples avec des inconnus, cela se faisait du plus en plus rare avec l’âge ; du moins c’est l’impression qu’elle en avait, lorsqu’un homme l’approchait avec une arrière-pensée, ou qu’une maman de l’école ne lui adressait un grand sourire que dans le but d’espérer voir en Livia une potentielle babysitter pour ses bambins. « Vous avez eu l’occasion de visiter un peu l’Australie depuis votre arrivée ? » Oh que oui, aurait-elle presque répondu. Elle avait sans doute vu en dix ans davantage de choses en un seul pays, qu’elle n’avait pu en explorer en vingt en Europe. Lorsqu’elle avait rencontré Cameron, ils partageait cette bougeotte qui les avait mené aux quatre coins du pays, à travers divers voyages et roadtrips. Qu’ils soient à deux ou entre amis, ils avaient participé à plusieurs courses, trails, randonnées et autres activités sportives que Cameron ne cessait de prévoir tout au long de l’année. Livia l’avait suivi dans presque toutes ses aventures, bien trop heureuse de découvrir par la même occasion les nombreuses facettes de ce pays aux allures de continent. Malgré tout, cela faisait quelques années qu’elle n’avait pas prévu de vacances au-delà des environs de Brisbane ; la séparation avec joué, le manque de temps, d’envie, mais cela commençait à lui manquer et elle envisageait de s’accorder bientôt une sortie ponctuelle en dehors de son quotidien, maintenant que ce dernier s’était stabilité. « J’ai pas mal voyagé quand j’étais plus jeune, nous avions l’habitude de participer à des évènements sportifs à travers tout le pays. Je peux dire que j’ai eu la chance de ce côté-là » dit-elle en souriant, sincèrement reconnaissante d’avoir pu voyager avant que les responsabilités familiales ne la rendent plus occupée.
Alors qu’elle n’avait réellement pu cacher ses pensées quant à la famille qu’elle aurait désiré, elle pouvait bien voir que Marius n’était pas non pleinement satisfait de sa situation. Sans doute l’était-il dans son quotidien, mais la manière dont il parlait de sa nièce – et le simple fait qu’il s’en soit occupé pendant des années – trahissait quelque peu ce manque des enfants qu’il n’avait jamais eu. « Peut-être que si nous y croyons assez fort, nous aurons de la chance. » « Peut-être, oui. » Livia lui adressa un sourire discret mais qui en disait long, ne souhaitant pas gâcher par des paroles une belle idée qu’elle chérissait dans un coin de son esprit. Il ne croyait peut-être pas vraiment à ses propres mots, et elle-même n’était pas certaine de réussir à entretenir cet espoir, mais pendant quelques instants elle préférait se laisser aller à cette douce idée. « Je ne l’ai pas vue pendant mes années en France mais depuis que je suis de retour à Brisbane, je la vois de temps en temps. Mon frère et moi mettons de l’eau dans notre vin, Moïra est assez grande pour nous remettre à notre place. » A cette mention de la nièce de Marius, Livia ne put retenir un rire. Les enfants avaient un don incroyable pour comprendre lorsqu’une situation était sur le point de dégénérer entre adultes, et s’immiscer dans la conversation en prônant que « c’est mieux quand tout le monde est gentil et pas méchant » ; ce qui, bien qu’idéaliste, avait le mérite d’être une pensée bien pure que beaucoup d’adultes avaient tendance à oublier de par leurs histoires et leurs expériences personnelles. « Je suis contente pour vous qu’il y ait un terrain d’entente et que vous puissiez voir votre nièce, surtout après vous en être autant occupé. » Elle ne savait rien des circonstances familiales qui entouraient cette histoire si particulière, mais il n’y avait aucun doute que cela serait infiniment difficile de ne plus voir un enfant que l’on avait peut-être pu considérer comme le sien. Elle n’avait pas mentionné Vittorio jusque-là, mais les détails que Marius lui donnait sur sa famille la poussa à s’ouvrir davantage. « J’ai un demi-frère avec qui j’ai eu très peu de contacts jusqu’à aujourd’hui et j’ai l’impression que nous arrivons enfin à mettre nos problèmes de côté pour nous concentrer sur l’essentiel… donc je comprends tout à fait que les relations familiales soit parfois complexes, mais qu'on ne puisse jamais s'en défaire vraiment, heureusement. » Elle ne savait pas bien quoi rajouter, et savait bien que son histoire familiale n’avait sans doute rien à voir avec celle de Marius ; mais elle avait toujours apprécié savoir que certaines personnes comprenaient ses problèmes, pour en avoir traversé des semblables. Ils ne se connaissaient pas, elle et lui, mais d’une certaine manière leurs vies semblaient se faire écho. Sur quelques points, du moins.
Elle se put s’empêcher de rire elle-même alors qu’elle racontait la manière dont elle « piégeait » les pauvres babysitters qui pensaient sans doute bien faire en cédant aux moindres caprices du petit garçon. « C’est un bon test ! Je ne doute pas que votre fils se serve à merveille de ses meilleures armes. » Elle acquiesça avec un grand sourire ; il avait tout compris, et nul doute qu’il avait lui-même connu cela avec sa nièce. Les enfants avaient ce pouvoir auquel il était parfois facile de résister, elle devait l’avouer ; elle n’était même pas sûre d’être une bonne babysitter elle-même, car elle craquait parfois devant la bouille de Gabriele, même lorsqu’elle s’était jurée de ne rien laisser passer. Lorsque Marius se tourna pour féliciter son fils, bien qu’elle lui ait soufflé l’idée, elle sourit devant tant de bienveillance. « C’est très bien, tu es très doué. » Elle ne doutait pas que Gabriele attendait cette remarque avec impatience, et sans grande surprise, il sembla se détourner de l’activité dès lors qu’il considéra avoir réussi. C’était parfois si facile de satisfaire les enfants, et elle prenant donc plaisir à le féliciter dès qu’elle en avait l’occasion ; c’était essentiel à ses yeux. Marius lui tendit le chef-d’œuvre de son fils, trois gribouillis qui se couraient après mais dont elle prétendit être admirative alors que Gabriele guettait du regard sa réaction, qu’elle voulut clairement exagérée, lâchant un petit « wow » émerveillé. « En souvenir de cette première tentative. S’il persévère et devient célèbre, ce bout de papier se vendra à prix d’or. En attendant vous pouvez l'accrocher sur votre frigo. » « Va pour le frigo pour l’instant » lâcha-t-elle en riant alors que son fils commençait à agripper le bas de sa robe et à la tirer pour lui indiquer très clairement qu’il ne sentait plus concerné par cette conversation et aurait bien aimé aller voir ailleurs. Passant la tête dans ses cheveux et espérant qu’il patiente quelques secondes supplémentaires, elle se releva de la serviette sur laquelle elle était assise et se tourna à nouveau vers Marius. « Je ne sais pas comment vous remercier, je pense qu’il a vraiment apprécié découvrir les aquarelles. Je vais essayer d’en acheter, et peut-être que si nous nous recroisons ici il aura produit des chefs-d’œuvre d’ici-là. » Elle sourit puis ajouta, tout en commença à rassembler ses maigres affaires qu’elle avait dispersé sur la serviette. « Si j’ai votre contact, peut-être que je pourrais même me servir de vous comme cobaye pour tester mes recettes à emporter, la prochaine fois que vous passerez à l’épicerie ? Si ça vous tente, évidemment. » Elle ne voulait rien lui imposer, bien évidemment, et lui avait donc laissé une porte de sortie en ne lui demandant pas directement son numéro. Il ne manquerait plus qu’il croit qu’elle ait des arrière-pensées – bien qu’il ait un certain charme, elle devait l’avouer – et elle n’avait donc osé lui demander de manière frontale. « Je tâcherai de ne pas vous empoisonner, c’est promis. » La dernière remarque était sortie toute seule, mais il lui inspirait suffisamment de sympathie pour qu’elle se permette de ne pas compromettre son intégrité professionnelle en lâchant une blague qui pourrait être considérée comme douteuse, vu son métier.
L’Australie était un grand pays, un immense pays même et tu avais un peu honte de dire que tu n’avais pas visité ce dernier autant que tu aurais dû. Tu avais été aux quatre coins du pays pour des conférences et tu profitais de ces occasions pour visiter un peu les villes où tu te trouvais. Mais tes vacances, tu les passais souvent à Brisbane ou aux alentours même si tu aimais aller à Sydney quand tu avais une semaine ou deux devant toi. Si Livia venait d’Italie et qu’elle aimait découvrir de nouveaux paysages et de nouvelles villes, tu espérais qu’elle avait pu voyager avant d’avoir son petit garçon. Pas qu’avoir des enfants empêchait de voyager mais cela réduisait le champs des possibles et on ne voyage jamais de la même manière. « J’ai pas mal voyagé quand j’étais plus jeune, nous avions l’habitude de participer à des évènements sportifs à travers tout le pays. Je peux dire que j’ai eu la chance de ce côté-là » Vous aviez chacun vos raisons de voyager. Toi c’était pour le travail alors que Livia c’était plutôt pour des raisons sportives. Tu l’avouais sans mal, tu n’étais pas un très grand sportif et tu n’étais pas un grand aventurier. Tu aimais le confort que t’offrait la ville, tu avais toujours été mal à l’aise à la campagne. Les rares fois où tu allais te promener sur des sentiers était pour chercher de l’inspiration pour tes aquarelles et tu n’allais jamais loin, l’idée de croiser des insectes et des animaux sauvages ne te plaisait pas du tout. « C’est bien d’en avoir profité. » Lui dis-tu simplement pour clôturer la conversation. Quand Gabriele sera plus grand, elle pourra certainement lui faire découvrir ce que c’est que de découvrir de nouveaux endroits, ce que c’est que de voyager. Tu ne sais pas si elle l’a déjà emmené en Italie mais ce sera sans doute quelque chose qu’elle voudra faire. Comme tu espérais pouvoir emmener un jour Moïra à Paris mais ce n’était clairement pas au programme avant plusieurs années pour toi parce que tu doutais que ton frère te fasse assez confiance un jour pour te laisser emmener sa fille hors de Brisbane et surtout hors de l’Australie.
La famille était un sujet compliqué et cela faisait longtemps que tu n’avais pas croisé quelqu’un qui avait les mêmes regrets que toi. Certes Livia avait déjà un fils et c’était plus que ce que tu n’auras jamais probablement mais elle n’était pas satisfaite de sa situation et tu trouvais cela dommage. Mais elle était encore jeune, bien plus jeune que toi, tout pouvait encore basculer pour elle. « Peut-être, oui. » Suite aux propos que tu avais tenus sur ton frère et votre entente douteuse, tu tenais à rassurer la jolie brune en lui disant que tu voyais désormais ta nièce régulièrement. C’était la seule chose qui t’importait et c’était pour cette raison que tu mettais autant d’eau dans ton vin quand tu étais avec ton frère. Surtout que désormais, Moïra avait son mot à dire et tu doutais qu’elle vous laisserait revenir en arrière aussi facilement que cela aurait pu se passer si elle n’était pas là. « Je suis contente pour vous qu’il y ait un terrain d’entente et que vous puissiez voir votre nièce, surtout après vous en être autant occupé. J’ai un demi-frère avec qui j’ai eu très peu de contacts jusqu’à aujourd’hui et j’ai l’impression que nous arrivons enfin à mettre nos problèmes de côté pour nous concentrer sur l’essentiel… donc je comprends tout à fait que les relations familiales soit parfois complexes, mais qu'on ne puisse jamais s'en défaire vraiment, heureusement. » Livia avait donc un demi-frère … L’idée d’une famille recomposée ne s’était jamais présentée à toi pour la simple et bonne raison que tes parents ne pouvaient pas divorcer. Certains éclateraient de rire à ces paroles mais c’était le cas. L’amour n’avait jamais été présent dans leur mariage et le divorce était un mot banni de leur vocabulaire. Les dynamiques dans une famille recomposée devaient être toute autre et ayant déjà du mal à gérer celles de ta famille, c’était pas plus mal que tu n’aies pas à y faire face. « Si j’avais pu me défaire de mes liens familiaux, je l’aurais sans doute fait. Mais ma mère et ma soeur sont persistantes, cela n’était pas vraiment possible. » Si tu étais resté vivre à Paris et que tu n’étais jamais revenu à Brisbane, tu étais certain qu’ils auraient fini par t’oublier. Tu serais devenu le frère perdu dont on échange quelques brèves nouvelles de temps en temps. Mais Brisbane était ta maison, tu n’avais pas eu envie de dire au revoir à cette ville mais avant tout à Moïra.
Livia te parla ensuite du test qu’elle faisait passer à ses baby-sitters. Tu n’étais pas surpris que Gabriele cherche à les faire flancher avec les armes qu’il avait c’est-à-dire ses petits yeux et son beau sourire. Les enfants sont bien plus malins qu’on ne le pense, particulièrement à l’adolescence ou au début de la vie adulte quand on se croit plus malin que tout le monde. Suivant les conseils de la jeune maman, tu pris le temps de féliciter Gabriele qui ne tarda pas à se détourner de l’aquarelle sur laquelle il avait travaillé pour aller réclamer l’attention de sa mère et passer à une autre activité. Un sourire amusé se dessina sur ton visage en voyant la scène et tu ne tardais pas à tendre l’oeuvre du petit garçon à sa maman. « Va pour le frigo pour l’instant » Son fils insistant, Livia se leva et tu fis de même, cela te permettait de te dégourdir les jambes. « Je ne sais pas comment vous remercier, je pense qu’il a vraiment apprécié découvrir les aquarelles. Je vais essayer d’en acheter, et peut-être que si nous nous recroisons ici il aura produit des chefs-d’œuvre d’ici-là. » L’idée que tu puisses être à l’origine d’une future passion pour le petit garçon te remplissait de fierté. C’était peu probable, les enfants surtout si petits aimaient un peu tout essayer mais dans tous les cas, ce sera une bonne expérience pour lui. « S’il persévère, je ne doute pas qu’il me surpassera rapidement. » Dis-tu amusé avant d’ajouter : « Vous n’avez pas à me remercier, c’est avec plaisir. » Tu le pensais réellement. Votre discussion avait été agréable et son fils était concentré, tranquille et bien élevé, cela ne t’avait rien coûté du tout. « Si j’ai votre contact, peut-être que je pourrais même me servir de vous comme cobaye pour tester mes recettes à emporter, la prochaine fois que vous passerez à l’épicerie ? Si ça vous tente, évidemment. Je tâcherai de ne pas vous empoisonner, c’est promis. » C’était une manière comme une autre de demander ton numéro. Cela ne te dérangeait pas de le donner à la jeune femme, tu doutais qu’elle en abuserait. Et puis si elle était bonne cuisinière comme elle te l’avait laissé entendre, jouer au cobaye te semblait être une très bonne idée. Tu te baissais et attrapais un morceau de papier sur lequel tu griffonnais ton numéro de téléphone et ton prénom que tu tendis ensuite à Livia : « Voici mon numéro de téléphone. Je vous fais confiance pour ne pas m’empoisonner. » Lui dis-tu avec un clin d’oeil avant d’ajouter : « Je vais vous laisser partir, il y en a un qui semble s’impatienter. » Gabriele avait été patient mais sa patience venait de trouver ses limites. « Je vous dis à bientôt à l’épicerie. Il me tarde de découvrir vos spécialités italiennes. » Dis-tu sincèrement à la jeune femme. La mère et le fils te saluèrent avant de s’éloigner pour retrouver leurs affaires et passer à une autre activité. Tu repris ta place dans le sable et te remis à ton aquarelle, de bien meilleure humeur que précédemment.