Ginny a planté ma voiture, voilà le problème. Elle n’était pas vraiment à l’intérieur et encore moins aux commandes au moment où elle est malencontreusement rentré dans le portail du garage but still c’est certain que c’est de sa faute. Elle avait une distance de sécurité d’à peu près dix mètres à respecter et elle ne l’a pas fait, énième preuve que si quelqu’un a quoi que ce soit à se voir reprocher à propos de l’état de la carrosserie et du reste du moteur, c’est bien elle. Mon pied qui a ripé sur les pédales n’a absolument rien à voir là dedans et de toute façon je suis le seul qui doit prendre un taxi pour aller en ville ; parce qu’elle s’entend déjà avec nos voisins et qu’on sait tous que pour moi ça ne sera jamais le cas. Et si jamais vous vous demandez : oui, c’est chiant de voyager en taxi. Ils ont beau changer de tête à chaque fois que je change de voiture, je les déteste tous plus les uns que les autres et l’inverse est tout aussi vrai.

Maintenant je ne perds même plus mon temps à faire semblat d’êtr eun client poli et tout le bla bla bla. Je veux seulement rentrer chez moi et je veux le faire avant Ginny, parce qu’elle a parié que sa voiture à elle était plus rapide et que moi aussi j’aurais pu la prendre, si j’avais été sympa. Elle va voir à quel point ma voiture à moi est plus rapide si j’ajoute quelques dollars à la course, elle va voir à quel point je peux arriver à Bayside une éternité avant elle rien que parce que c’est hors de question que je commence à perdre des défis contre la brune maintenant qu’on est mariés. Je n’en ai perdu aucun de mémoire d’homme et cela ne risque pas de débuter aujourd’hui, raison pour laquelle je m’engouffre dans le premier taxi venu. Je prends la peine de passer du côté droit vu qu’elle est rentrée à gauche, l’autre (l’inconnue, Auden, pas ‘l’autre’) mais personne ne semble prendre le temps de me gratifier de ce geste citoyen alors qu’il est bien plus facile de déjà trouver des choses à me reprocher. Comme si cela changeait réellement quoi que ce soit à mon quotidien.

« Vous n’avez pas vu que ce taxi était pris ? » Oh, c’est un concours de celui qui fronce le plus les sourcils ? Si c’est réellement le cas, je suis désolé pour elle (non), mais elle va se ramasser lamentablement. « J’ai l’air d’en avoir quelque chose à faire ? » A question stupide, réponse qui l’est tout autant. Mon index dessine des cercles autour de mon visage pour lui donner un indice à propos du fait qu’en effet, je n’en ai absolument rien à faire que de savoir que ce taxi était occupé ou non. Elle va faire un petit tour près de la plage et ensuite elle ira peu importe où elle veut aller, quand ça ne sera plus mon problème. « Bayside. » J’ordonne au conducteur sans même le regarder, mes yeux s’étant de toute façon déjà décrochés de l’inconnue. Ils m’importent aussi peu l’un que l’autre et ne passeront que quelques minutes dans ma vie quoi qu’il en soit. Ils seront bien rapidement oubliés. « Je te vois faire la gueule dans ma vision périphérique, là. T’en fais pas ton client ne va pas partir, il a sûrement dépensé un mois de salaire pour te rencontrer. » A en juger par son accoutrement elle est forcément une prostituée, non ? Maintenant personne ne pourra me critiquer et dire que je ne fais pas d'efforts pour être gentil.

Elle tente de ressembler à une rebelle au moment où elle fronce ses sourcils. Je crois. Je n’en suis pas certain. Entre l’image qu’elle tente de dégager et celle qu’elle dégage réellement, il y a un monde dont je ne m’accommode absolument pas. Elle n’est qu’une inconnue rencontrée au détour d’un chemin, laquelle je serai particulièrement heureux de ne surtout plus jamais revoir. « Je dois me rendre à l’hôtel Grand Chancellor. C’est très urgent. » Mignon. Mais à l’opposé de Bayside. Moins mignon. Elle a une voix fluette mais sûre d’elle ; autant dire que je la déteste déjà parce que je suis de moins en moins certain que le chauffeur tranchera de mon côté. Rien de ce qu’elle ne peut faire là bas sera aussi urgent que de gagner une course contre Ginny et rien ne surpassera jamais mon ego, désormais bien trop attaché à gagner ce duel improvisé et ne jamais sortir de l’habitacle du véhicule quoi qu’il arrive. La guerre se joue en deux niveaux, ici, et il est hors de question que je ne lui en laisse gagner un seul. « Déçu que je sois au-dessus de tes moyens ? » Rigolant brièvement, je m’accorde pour au moins lui donner un bon point à propos de son humour. « Si seulement. » Mes yeux dérivent de nouveau vers elle, réprobateurs au possible, un sourcil relevé pour en accentuer le tout. J’ai tout d’un père qui n’a rien d’heureux à voir la tenue du jour spécialement trouvée par sa fille pour sortir. Heureusement qu’elle n’est pas ma fille, je suis certain qu’elle m’aurait eu d’une crise de nerfs il y a des années de ça. Elle a avoué se rendre dans un hôtel et cela ressemble à des aveux à peine voilés. Je n’ai rien à faire de savoir comment elle occupe ses jours et ses nuits ni même de savoir d’où provient l’argent qui la nourrit … tant qu’elle va dans son hôtel de merde après qu’on se soit rendus à Bayside.

Je me retiens de l’imiter au moment où elle passe au niveau suivant de son plan infernal. « S’il-vous-plaît, c’est important. » Ses yeux de chien battu ne lui seront d’aucune utilité alors qu’en face je tends un billet de plus au chauffeur, précisant en même temps le nom de la rue dans laquelle je souhaite arriver. « Wellington Street. » Je ne risque pas de m’abaisser à aucune supplication comme elle vient de le faire quelques secondes plus tôt à peine. Cette idée me semble saugrenue autant que totalement inconcevable et finalement je pense avoir enfin gain de cause au moment où la voiture emprunte l’une des routes principales de la vie … laquelle ne mène ni à son hôtel/haut lieu de la prostitution ni à mon havre de paix près de la plage. Si j’étais paranoïaque, je pourrais presque croire qu’il en a tellement marre de nous deux qu’il cherche simplement à nous laisser sur le bas côté au milieu de nulle part.
Ah, ah.

En attendant de me rendre compte de la réalité des faits, mon sourire de winner est de nouveau bien présent sur mes lèvres, fier au possible, encore ignorant de savoir à quel point je suis en train de me fourvoyer. « Tu sortiras ton numéro de fille éplorée à ton client, ça l’excitera sûrement et ça rattrapera tes vingt minutes de retard. » J’hausse les épaules, de toute façon peu intéressé par ce qu’elle fera. « Ca n’aurait pu être que quinze si t’avais pas fait tout ton numéro. » Bien sûr que tout est de sa faute et seulement la sienne ; cela va de soi.

Elle représente bien la gente féminine, celle la. Elle jacasse, elle piaille, elle se plaint et elle râle, elle fait du bruit et elle brasse de l’air sans que cela ne mène nul part. Son regard noir n’y change rien, ses petits yeux en amande seraient incapable d’effrayer le plus frêle des enfants et le fait est que j’ai dépassé l’âge de l’enfance il y a longtemps déjà. Autant dire, donc, qu’elle n’a aucune chance de me déloger de ce véhicule et que si j’ai grassement payé le conducteur c’est seulement pour être débarrassé d’elle au plus vite. Exciter bla bla bla … malotru bla bla bla … « Allez, sortez. » Hein ? S’il y en a bien un de nous deux qui est la cause de cette sortie anticipée du taxi, c’est bien elle. Je n’ai pas écouté tous les sons qui sortaient de sa bouche mais il est certain qu’elle a dit quelque chose qu’il ne fallait pas à notre chauffeur et on en paye désormais le prix à deux, pour d’obscures raisons que je ne connais point. La faute vient d’elle puisque j’ai été le plus courtois des clients, c’est un fait.

C’est pourtant en râlant autant que possible que me sors du véhicule, un regard noir de perdu tant pour le conducteur que pour la prostituée, tous les deux responsables autant l’un que l’autre de la course que je m’apprête à ne pas gagner contre Ginny (je ne perds pas, jamais, la victoire est seulement repoussée à une date ultérieure). « C’est ici, Wellington Street ? » C’est qu’elle a l’esprit vif en plus de tout ça, la nana. « Si t’entends pas les vagues, on n’est pas à Bayside. » Et ça, là, c’est la réponse la plus pédagogue dont je sois capable en l’instant. Pour preuve, c’est à peine si je lève les yeux au ciel pour lui répondre. Mon petit doigt me dit qu’on n’est pas non plus arrivés à l’hôtel Imperator je-sais-pas-quoi-on-s’en-fout. Mon petit doigt m’annonce aussi que nous sommes dans une merde noire de laquelle il sera difficile de sortir de sitôt. « Si tu restes dans la bagnole je tiens pas à me déplacer pour aller témoigner pour une histoire d’enlèvement et de meurtre et tout le bordel, j’ai mieux à faire. » J’ai certes l’air de quelqu’un de louche mais si vous voulez mon avis, il en est encore pire de celui qui nous a conduit pendant à peine cinq minutes - et mes soupçons débutent par le fait que justement il n’a pas été capable de nous conduire nulle part, le gars.

L’orage gronde derrière nous, le tableau ne fait que s’assombrir et la journée n’en devient que pire à chacune seconde qui passe. Bien que déjà sorti du véhicule, je garde une main appuyée sur la carrosserie et ma tête à l’intérieur ; seulement pour être toujours un peu plus chiant et oppressant. « Je te toucherai pas avec un bâton, si ça peut te rassurer. » On m’a toujours dit que la franchise était quelque chose de bien dans ce monde, n’allez pas me reprocher de lui parler avec mon coeur. « On doit prendre le même chemin, Chiara. » Chiara c’est mon John Smith à moi, ma Jane Doe qui sonne quand même un millier de fois mieux avec l’accent italien et toute la joie (non) que j’utilise pour le prononcer.

Puisque de toute façon sa vie n’est pas mon problème, je referme la portière du véhicule et me dirige entre direction de la ville de nouveau, tout sauf prêt à remonter dans un taxi avant longtemps.

« Je ne te laisserais pas me toucher avec un bâton, si ça peut te rassurer. » Me voilà donc pleinement rassuré maintenant que je sais qu’elle ne risque pas de transmettre une de milliers de maladie contagieuses qui la rongent de l’intérieur. Ni à moi, ni à mon précieux bâton pour autant inexistant mais auquel je tiens déjà comme à la prunelle de mes yeux. Alors oui, vraiment, je suis rassuré et mon sourire en coin le confirme, même s’il ajoute à tout cela tout le jugement dont je suis capable. Promis, la prochaine fois je ferai au moins semblant de ne pas la mépriser à ce point - ah oui, j’oublie, il n’y aura certainement pas de prochaine fois. « Ça arrive souvent dans cette ville ? Que les taxis n’en fassent qu’à leur tête ? » Oui parce que bien sûr elle est une princesse à qui on doit apprendre la vie et c’est le plus naturellement du monde qu’elle m’a choisi comme son guide spirituel pour la guider dans cet apprentissage de la vie. Conneries. Les taxis sont les mêmes partout dans le monde, ils volent votre argent et vous racontent votre vie comme si j’en avais réellement quelque chose à faire de son chat (ou de sa fille ?) Sofia. “Tu viens de quelle planète au juste ?” Voilà là une simple question de routine pourtant je suis prêt à parier qu’elle va prendre la mouche alors que mon ton de voix ne dénote pas tellement de tout l'agacement qu’elle me procure. Finalement cela doit être son super pouvoir à elle ou quelque chose dans le genre. Je crois. J’en sais rien. Je m’en moque, à vrai dire, je veux juste rentrer chez moi et avec ou sans elle cela ne changera rien à mon existence.

« Halsey. » Halsey, Chiara. C’est du pareil au même et je la trouve tatillonne sur des détails qui n’ont finalement aucune importance. Qu’importe son véritable prénom, j’aurai sitôt fait de l’extraire de la mémoire au moment même où elle se soustraira de mon champ de vision. Ce sera simple, rapide et sans douleur. Le pied, en somme. “Ca vient d’où ? Tes parents avaient décidé de te punir dès la naissance ou quoi ?” Je ne cache pas mes jugements à propos de son prénom tout en gardant bien de préciser que mes géniteurs à moi ont finalement décidé que Auden allait devenir un prénom. Je me dis au moins que cela restera toujours moins pire que Massimo ou que l’indémodable Modesto. « Tu sais où on est ? » Elle m’emboîte le pas tel un chiot apeuré alors que j’enlève ma veste en cuir dès les premières gouttes pour finalement la poser sur ma tête, parapluie improvisé qui ne fait absolument pas l’affaire. “On est à quinze minutes de ton hôtel. Je parie que ça ne servira à rien que je te dise quelle rue exactement, hein ?” Elle a un accent d’ailleurs, elle a des habitudes d’ailleurs. Et c’est l’Italien qui le dit, preuve qu’elle est finalement tout sauf discrète. “Tu vas faire quoi dans ce hôtel ? Si tu me dis la vérité je ne ferai pas exprès de te perdre dans la ville.” Ville que je connais comme ma poche et pas elle. La curiosité est un de mes traits de caractère et je ne m’en cache pas, j’espère simplement que son récit aura quelque chose d'amusant puisque je sais pertinemment qu’elle n’est pas une prostituée - tout comme je me doute que la comparaison n’a rien eu de flatteur à ses yeux et n’a fait qu’accroître un peu plus sa haine à mon égard.

Elle pose trop de questions. C’est un fait et il n’y a pas à revenir là dessus tout comme cela n’étonnera personne non plus que je roule des yeux au ciel à chaque fois qu’elle prononce un mot de plus. Pour autant je ne fuis pas et je fais au mieux pour adapter mon rythme de marche au sien, même si cela signifie rester sous la pluie bien plus longtemps. « De Mars, ça ne se voit pas ? » Ça aurait pu être drôle mais ça ne l’est absolument pas et je me contente donc de simplement hausser les sourcils dans un énième signe de dédain. “Maintenant que tu le dis, si.” J’ajoute simplement, dans le seul et unique but d’avoir le dernier mot et ce peu importe sa teneure. Les gouttes font un bruit affreux en venant tomber sur le cuir de mon habit me servant désormais (plus ou moins) de parapluie et je rage de toutes les décisions qui ont pu me conduire à ce moment exact. Elle en fait notamment partie, même si elle clame le contraire aussi fort et stupidement que son petit corps le lui permet. « Tu parles beaucoup pour quelqu’un qui ne sait rien de moi, d’autant que si on est dans cette situation, c’est de ta faute. » Et au fond la seule chose qui la sauve de mon abandonne immédiat au milieu de cette ville et ce quartier qu’elle ne connaît pas, c’est uniquement parce que j’ai toujours cet attrait pour ceux qui ne savent pas garder leur langue bien pendue. Elle le devrait, pourtant, et je suis prêt à parier qu’elle le sait autant que moi. Si cette attitude la sauve aujourd’hui avec moi, je doute qu’il en sera de même pour toutes les rencontres qu’elle fera au cours de sa vie. “Ma faute mais surtout la tienne, quand même.” Elle n’avait qu’à sortir de ce fichu taxi quand je le lui ai demandé le plus gentiment du monde, c’était aussi simple que ça et pourtant elle n’a pas été capable de suivre mes conseils. Voilà où toutes ses conneries, à elle et à elle seule, nous mènent aujourd’hui.

Pour autant si on dit qu’un malheur n’arrive jamais seul, dans son cas il y a toujours une question pour en précéder une autre. « Ça te dérangerait de me dire ton nom ? » Des mots viennent ensuite mais cela je ne les écoute plus, mon ouïe bloquée par mon souffle que j’expire trop vite et trop fort - et de manière trop sonore aussi, sûrement. J’ai été le premier à me moquer de son prénom mais j’imagine qu’elle en fera de même dès lors que j’aurai aligné les deux syllabes composant le mien. C’est con, quand j’y pense, parce que pour une fois j’aurais vraiment dû apprendre à fermer ma gueule. Pour autant au lieu de prononcer mon prénom je me contente de lui faire passer une de ses cartes de visite que Ginny a insisté que je fasse, parce que ça fait ‘cool’ et ça fait ‘pro’ et surtout parce que j’avais perdu un pari et qu’elle sait que je trouve l’idée ringarde et abominable. N’en reste pas moins qu’y sont inscrits mon nom, prénom et numéro de téléphone. Si jamais elle désire un nouveau tour de taxi en enfer, j’imagine qu’elle saura qui appeler maintenant. « C’est là que je vis pour l’instant. Seule. » Je fronce les sourcils, absolument pas préparé à une réponse de la sorte. Aucune répartie ne me vient à l’esprit alors je finis par simplement hocher de la positive. « Ça te va ? J’aimerais qu’on y aille, tout le monde n’a pas de veste pour se protéger. » “Arrête de te plaindre.” Ma veste vole de par dessus ma tête à par dessus la sienne, et maintenant qu’elle a enfin de quoi se mettre à l’abri j’ose espérer qu’elle reconsidère la question et prenne enfin le temps de profiter du silence imparfait de la ville.

Le trajet se fait dans un silence tout ce qu’il y a de moins silencieux, c’est à dire elle posant bien trop de questions et moi ne répondant qu’à la moitié d’entre elles à peine. Je fais le trajet sans même tenter de la perdre en route maintenant qu’elle détient ma veste à laquelle je tiens, pour d’obscures raisons. Son hôtel n’est de toute façon pas difficile à trouver et je sais par avance qu’elle y trouvera de merveilleuses serviettes déjà chaudes dès qu’elle aura gravit les quelques étages construits à base d’or et de diamants (comment ça j’exagère ? A peine.). Pour ma part je n’ai plus qu’à râler pour moi même et commander un nouveau taxi, priant pour que cette fois-ci personne ne soit déjà installé dans ma voiture. “Si jamais tu as un problème, tu sais quel numéro ne surtout pas appeler.” Je la préviens avec toute l’ironie du monde en pointant du bout de l’index la carte où est même spécifiée mon métier. L’ironie est de mise puisque si réellement elle est assez désespérée pour m’appeler moi un jour alors il y a fort à parier que je serais prêt à mettre à mal ma coiffure une seconde fois pour elle. Pour autant, j’ose tout de même espérer que cela n’arrivera jamais.