Tu n'as pas compris quand Saül t'a parlé de voyage, de prendre du recul de tout ça. Enfin, si, tu étais d'accord. Tu avais clairement besoin de souffler un peu, de reprendre le contrôle afin de pouvoir affronter les prochaines épreuves à venir. Mais tu n'avais clairement pas compris qu'il viendrait avec toi, parce qu'il dit toujours qu'il vient et se trouve toujours une défaite à la dernière minute pour ne pas venir. Même rendue à l'aéroport, tu t'attendais à ce qu'il reçoit un appel important de dernière minute ou une soudaine indigestion peut être. Mais non, il est entré dans l'avion avec toi et s'est même rendue à destination. Étrange. Ce matin là, tu te réveilles seule, dans un lit beaucoup trop grand pour deux personnes. Saül est apparament déjà debout. Tu t'étires de tout ton long juste avant de te redresser dans le lit. Peignoir enfilé, c'est un odeur de café qui vient te chatouiller le nez à ta sortie de la chambre. Toujours aucun Saül en vue, seul son portable à l'abandon. Vraiment ? Il peut vivre sans ? C'est lorsque tu sors sur le balcon que tu le vois enfin. Son regard vient croiser le tien. Silence et malaise sont au rendez-vous. L'ambiance est toujours aussi lourde depuis les fêtes. Tout va mal. Vous vous évitez le plus possible, sinon la troisième guerre mondiale éclate. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé entre lui, toi et Cosimo. Tout a éclaté. Il ne reste les non-dis, les regrets, la culpabilité. Tout ça bien enfouis sous vos deux orgueil surdimensionné. Tu as envie parfois de t'excuser. Tu te sens cruellement responsable du départ de Cosimo. Mais malheureusement, entre vous deux, les hostilités sont plus faciles que les mots doux. « Pas de portable ? Me dit quand même pas que c'est des vrais vacances ? » que tu lui lance en prenant place sur une chaise assez loin de la sienne pour être honnête. Ton regard a déjà fuis le sien, se plongeant dans l'horizon et dans la mer à perte de vue. C'est beau ici. Il a bien choisit.
L'air marin, Saül le respire les yeux grands ouverts, sur cette falaise. L'endroit est splendide, retiré. On n'entend pas les voitures, ni même les rumeurs de la ville - tout simplement parce qu'il n'y a pas de ville aux alentours. Rien, sinon le bruit des vagues qui s'écrasent sur les rochers, en contre-bas. Rien, sinon le vent qui glisse sur l'herbe autour de ses pieds. Rien, sinon les arbres qui se frôlent, et qui lui rappellent un instant le Canada. Le Canada, quand tout allait plus ou moins bien. Quand Cosimo n'était qu'un petit gars, qui vivait encore avec ses parents, avant que Saül ne l'envoie à l'autre bout de la planète. Tout était plus paisible, à cette époque là. L'italien n'éprouve jamais de regrets, sinon une quelconque mélancolie en pensant à cette époque là. Elise la regrette-t-elle, elle aussi ? Cosimo y pense-t-il, parfois ?
Mais Cosimo est parti de la maison. Il vit dans un autre endroit de la ville, désormais. Saül et Elise se retrouvent seuls, dans cette immense villa qui résonne, aux murs froids et impersonnels. Il n'y a que le silence pour les entourer, la plupart du temps. Les deux époux ne font pas semblant, quand ils sont chez-eux. Ils se reposent avant la prochaine mise en scène, s'appliquent à manger ensemble une fois par jour, n'ont pas besoin de se rappeler qu'il sont alliés pour l'être, voilà tout. C'est comme ça que les choses ont toujours été, avec Elise de son côté et Saül du sien, sans pour autant que ces deux là soient séparables. Ils ont tout et rien vécu ensemble, sinon la venue au monde de Cosimo et toutes les conséquences de cette naissance.
Voilà pourquoi ils ont besoin de se retirer un peu du monde. D'ordinaire, Saül ne voyage jamais avec Elise. C'est autant à elle qu'à lui qu'il offre cette porte de sortie, lorsqu'il lui paye un billet d'avion. Mais aujourd'hui, les choses sont différentes. Aujourd'hui, tout menace d'exploser. « Pas de portable ? Me dit quand même pas que c'est des vrais vacances ? » Les mains sur le garde-fou, Saül ne détourne pas les yeux de l'horizon. Derrière lui, Elise s'installe. « Tu ne me crois pas capable de laisser mes affaires de côté ? » Et elle aurait raison : il ne sait pas faire autrement, Saül, que de tout maîtriser. Prendre ces quelques jours de congé a été la décision la plus difficile qu'il lui aura été donnée de prendre. Déléguer ses responsabilités... un crève cœur. Lentement, il quitte l'horizon des yeux pour faire face à sa femme, adossé à la balustrade. « Je pensais que tu serais contente de t'éloigner un peu de tout ça. » Tout ça, leur maison qui ressemble à un cercueil, maintenant que la seule petite étincelle de vie susceptible de l'allumer un peu est partie pour de bon. Cosimo ne reviendra pas. Saül avait beaucoup misé sur sa venue - beaucoup trop, peut-être. « Je me suis trompé ? », qu'il lance, un léger sourire aux lèvres.
« Tu ne me crois pas capable de laisser mes affaires de côté ? » « Je le sais » que tu réponds sûr de toi. Quand son portable sonnera, il décrochera. Si ce n'est pas la première fois, ce sera la deuxième. Et d'un simple appel reviendra des réunions téléphonique, des appels qui finissent plus. Saül qui n'arrivera plus à penser à autre chose qu'à se "problème" au boulot. Parce que, bien sûr, s'il le contact ce ne sera pas pour lui annoncer que tout va bien. Il a beau déléguer, Saül est le meilleur dans ce qu'il fait. Tu n'en a jamais douter. « Ils peuvent pas se passer de toi. Et toi non plus. » que tu ajoutes. Tu gardes pour toi le fait que Saül préfère gérer de la merde au bout plutôt que de passer du temps avec toi. Même si, de toute façon, c'est réciproque, ou presque. Tu ne sais même pas ce qui te déceverait ne plus; qu'il aille bosser ou qu'il reste avec toi. « Je pensais que tu serais contente de t'éloigner un peu de tout ça. Je me suis trompé ? » Et voilà un semblant de sourire qui se dessine sur les lèvres de ton époux. C'est presque terrifiant tellement on le voit peut souvent. Presque. Ça te suffit toutefois à ravaler tes commentaires hostiles. Il était visiblement de bonne foie, ou essayait de l'être du moins. C'était la moindre des choses de faire de même. « Non » Non. Il ne se trompait pas. Tu appréciais d'être loin de tout vos problèmes, mais même si vous étiez loin de tout ça physiquement, il était plus difficile de laisser les pensées qui venait avec. Tu t'avances finalement aux côtés de Saül sans pour autant croiser son regard. « Il arrête pas de poser des questions. Il est en train de me rendre folle » Cosimo. Ce n'était pas nécessaire de préciser son prénom. Tu ne savais plus quoi lui dire. Peu importe ce que tu lui disais, peu importe la façon de l'aborder, rien n'y faisait. Il remettait tout en question. Absolument tout. Il espérait probablement que tu finisses par te mêler dans tes mensonges, mais non. Tu tenais ta version dure comme fer. « Il est aussi borné qu'Auden » que tu ajoutes en tournant le regard vers Saül.
« Ils peuvent pas se passer de toi. Et toi non plus. » L'italien lâche un rire, par dessus un souffle. Elle a raison, Elise. Ils ne peuvent se passer de lui. Il ne peut se passer de ce qui le maintient en vie depuis des décennies - son travail. « Mon téléphone est éteint. », qu'il lance pour plaider sa cause. C'est vrai, quoi. C'est un séjour pour que lui et son épouse se retrouvent, pour enterrer un peu la hache de guerre. Pour qu'ils se souviennent qu'il n'y a qu'eux qui comptent, eux et Cosimo. Le reste n'est pas très intéressant, ne le sera jamais.
Il sait qu'il a raison, que Elise allait aimer le voyage. D'habitude, les époux ne voyagent pas ensemble. Mais ne dit-on pas qu'à situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles ? Doucement, Elise se lève. Saül ne bouge pas, mais ne la lâche pas des yeux pour autant. Il sait combien la proximité leur est désormais étrangère, comme elle sait de toute façon habilement l'éviter - et comme il sait également si bien le faire. « Il arrête pas de poser des questions. Il est en train de me rendre folle. » L'italien perd un instant son regard sur l'horizon, alors qu'il se tourne à nouveau vers l'océan. « Et toi, que lui réponds-tu ? » Il sait que Elise ne craquera pas, car il sait aussi que Cosimo est tout, pour elle. Les quarantenaires ont joué ce jeu là des années - ce n'est pas un petit accroc qui les fera vaciller. Ils sont debout. Ils affrontent tout ensemble. « Il est aussi borné qu'Auden. » « Ne dis pas ça. », qu'il gronde en lâchant l'océan des yeux au profit de Elise. Soudain son regard a changé. « Il ne ressemble pas à Auden. Auden ne l'a pas élevé. Auden est son oncle, qu'il n'a pas vu pendant des années. Auden n'est rien d'autre que son géniteur, à la rigueur. Point. Final. » Pour couper court à la conversation, l'italien file à travers la maison, pour attraper un pull dans lequel il s'enroule. Il a soudain froid, l'homme d'affaires inébranlable. Lorsqu'il revient sur le balcon, il se sent un peu calmé.
« Je suis borné, moi aussi. Tu es bornée, toi aussi. Ce garçon tient de nous, Elise. De nous, et de personne d'autre. » Seulement pour la première fois, c'est le doute qui s'installe dans la voix de Saül, lui a toujours tenu à sa grande et belle version du père de substitution ayant secouru cet enfant de l'orphelinat. Il sait très bien qui est le géniteur - il se refuse à employer le mot père, même en pensée, qu'il se réserve - de Cosimo. Il le sait très bien et il enrage. Il enrage mais ne connaît pas les bornes de sa peine, pas encore. Peut-être les touchera-t-il du doigt au moment où Auden lui annoncera qu'il va être père - pour la deuxième fois. Et là, les choses seront différentes. Pour l'instant, Saül ne sait rien, et c'est très bien comme ça. « J'aurais voulu que tu ne saches rien de l'ascendance de ce petit. J'aurais porté ce secret moi, tout seul. C'aurait été plus facile pour toi, pour moi, et pour le reste de la famille. » Non, il sait que non. Si ce secret tient, c'est avant tout parce que Elise est là pour le porter à bout de bras, avec lui.
« Mon téléphone est éteint. » Tu retiens un sourire qui vient se creuser au creux de tes joues au rire de Saül. Soudainement, tu as l'impression que tes épaules se décrispent. Bon, peut être que, finalement, ce ne sera pas si mal qu'il soit là. Peut-être que c'était vraiment ce dont vous aviez besoin tous les deux. Même si tu n'es pas convaincu qu'il n'y aura aucun boulot qui ne viendra interférer dans ce voyage, il fait un effort. Un effort qu'il n'avait jamais fait auparavant. « Et toi, que lui réponds-tu ? » Tu soupires un peu. Cosimo ne manque pas une occasion de savoir ce qui se trame entre son père et son oncle. Il se sent concerné sans que tu ne comprennes pourquoi. Il sait pourtant qu'entre les deux frères Williams ce n'est jamais tout rose. Tu ne comprends pas pourquoi il ne lâche pas le morceau. « Je lui ai demander de respecter votre silence, que ça ne le concernait pas. » Bien sûr que tu avais choisi la voie de la douceur, puisque l'autorité de Saül n'avait mener à rien. Tu lui avais même demander de faire ça pour toi, de les laisser avoir droit à leur secret. Ça l'avait marcher les premiers jours, mais Cosimo trouvait toujours un moyen surnois de revenir sur le sujet. « Ne dis pas ça. Il ne ressemble pas à Auden. Auden ne l'a pas élevé. Auden est son oncle, qu'il n'a pas vu pendant des années. Auden n'est rien d'autre que son géniteur, à la rigueur. Point. Final. » Tu as envie d'ajouter que, justement, il a la génétique d'Auden. Pas la votre. Mais Saül met un point final à cette conversation en retournant à l'intérieur de la maison, te faisant presque regretter ton commentaire. Tu penses pendant un instant qu'il ne reviendra pas, mais non. Il ré-apparait quelques minutes plus tard avec un pull sur les épaules. « Je suis borné, moi aussi. Tu es bornée, toi aussi. Ce garçon tient de nous, Elise. De nous, et de personne d'autre. » Tu acquesces d'un signe de tête, plus pour lui faire plaisir que parce que tu crois à ce qu'il dit. Bien sûr, c'est vous deux qui l'aviez élevé. Vous lui avez inculquer vos valeurs, votre manière de vivre. Mais sa personnalité, son caractère, vous n'aviez rien à faire là dedans. Tout ça venait de sa mère et de son père biologique. « J'aurais voulu que tu ne saches rien de l'ascendance de ce petit. J'aurais porté ce secret moi, tout seul. C'aurait été plus facile pour toi, pour moi, et pour le reste de la famille. » Ta tête se penche légèrement sur le côté, alors qu'un regard attendrit se pose sur ton époux à voir son désir de t'épargner de tout ça. Tu aurais finit par le savoir tôt ou tard. Il valait mieux depuis le début plutôt que tout t'éclate au visage vingt ans plus tard. Tu tends ta main qui vint à la rencontre de la sienne alors que tes doigts viennent se mêler au sien. « Je porterai tous tes secrets. Quel qu'il soit. » Comme il portait tous les tiens. Ton plus gros; ton infertilité. Au fond, tout ça, c'était de ta faute. C'est toi qui n'arrive pas à faire de bébé comme tout le monde.
Il ne leur faudra pas longtemps avant d'aborder les sujets qui fâchent. Pourtant, si Saül a choisi cette destination avec elle, c'est avant tout pour oublier ces moments là, d'échafaudage de plans, qu'il a décidé de laisser à Brisbane. « Je lui ai demander de respecter votre silence, que ça ne le concernait pas. » L'italien opine du chef d'un mouvement sec, approbateur. « Bien. » Même si Cosimo venait à ne jamais lâcher l'affaire, même s'il venait à creuser encore dans les secrets qui unissent la famille Williams, Saül ne lui cédera pas une miette des informations qu'il détient. Enfin, à ce sujet, il change d'avis tous les jours, préférant tantôt laisser à son fils le loisir de découvrir d'où lui vient cet attrait pour l'opposition - tantôt Saül est-il prêt à tout pour protéger, envers et contre tout, cet élément qui appartenait jusque là au passé. Depuis peu, le passé a drôlement envie de resurgir, semble-t-il.
Comme pour mettre tout ça derrière eux, Saül s'éclipse du balcon. Il sent bien qu'elle n'est pas convaincue, Elise, par son plaidoyer. Probablement qu'il s'en fiche, au fond, tant que le tout tient vaille que vaille. « Je porterai tous tes secrets. » Les mots suivants, l'italien les pense en même temps qu'ils passent la barrière des lèvres de sa femme. Un instant, il la couve de ce regard qu'on lui croyait oublié, ce regard de l'homme qui s'en remet à son épouse. Elle tient, Elise, il sait qu'elle tiendra contre vents et marées, contre tous les tsunamis que leur enverra la vie. « Tu devrais te préparer. Pour marcher sur la plage, avec moi. » Les doigts de sa compagne se sont mêlés aux siens. Dans un infime mouvement de tendresse, le pouce du quarantenaire glisse sur le dos de la main d'Elise, juste avant qu'il ne se détourne pour aller rejoindre leur chambre.
Les embruns le décoiffent, et Saül a en sainte horreur cette désagréable sensation de désordre, qui plane au dessus de sa tête. Les mains dans les poches, il tire son menton hors du col de la veste qu'il a fermée jusque en haut avant de rejoindre la plage, frileux. L'endroit est désert, malgré le soleil et la chaleur. Autour d'eux, les rochers de la crique forment une jolie dentelle sauvage. « Le Canada me manque, parfois. », qu'il hasarde en soupirant, les bras maintenant croisés sur les reins. Ses yeux trouvent ceux de Elise. « Je risque de retourner en Europe, très bientôt. Pour le travail. » La France. Paris. Mais surtout, ne pas sous entendre qu'elle puisse l'accompagner.
Et il avait eu raison -non tu ne lui donnera jamais raison- pour ce voyage. C'est ce que tu penses du moment où ta main se noue à la sienne, du moment où ses lèvres viennent chercher les tiennes, où ta main vient se glisser derrière sa nuque le temps de quelques secondes. Si pour la plupart des couples ce sont les embûches qui finissent par les détruire, vous deux, c'est plutôt le contraire; s'allier dans les ténèbres, se souder pour mieux affronter l'adversité, parce que temps que les deux piliers tiennent debout, rien ne peut vous arrivez. Tu en es convaincu. « Tu devrais te préparer. Pour marcher sur la plage, avec moi. » Tu lèves les yeux vers lui, pinces les lèvres. « Okay. Donne moi deux minutes » Deux minutes. Deux heures. C'est du pareil au même. Tu n'es pas la vitesse incarné quand vient le temps de se préparer, comme toutes les femmes du monde si on demanderait l'avis de leur partenaire. Reste qu'en vingt minutes seulement, tu avais réussi à te changer, replacer tes cheveux et même te maquiller un peu. Voilà un exploit qui mériterait d'être souligné. En fait, c'est surtout que tu ne voulais pas effriter la patience de Saül. Il semble de bonne humeur. Il vallait mieux pour toi que tu mettes toutes tes chances de ton côté pour que ça perdure. Bref, quelques minutes plus tard, vous voilà donc sur la plage à marcher en bordure de la mer. « Le Canada me manque, parfois. » « Je préfèrais l'Italie » Le Canada pour toi est surtout le souvenir de Saül qui t'arrache Cosimo pour l'envoyer à Londres. L'Italie, c'était mieux.« Je risque de retourner en Europe, très bientôt. Pour le travail. » Tu tournes finalement la tête vers lui. Était-il vraiment en train de t'avertir d'avance de son prochain voyage d'affaire ? Tout un exploit. « Tu as besoin que je vienne avec toi ? » Si, si. Besoin pas veut. Besoin dans le sens où il y aurait ses soirées ultra ennuyeuse où ses hommes d'affaires viennent pavaner leur femmes sans vraiment s'occuper d'elle. Une belle parure voilà ce qu'elles étaient réellement. « Tu pars combien de temps ? » que tu lui demandes ensuite même si ça n'avait pas vraiment d'importance. Qu'il soit en Australie ou ailleurs, Saül n'était pas vraiment présent de toute façon. Quelque chose qui ne s'améliorait pas avec les années et encore moins depuis le scandale des fêtes.
Le Canada lui manque. Le vrai froid. Tout ça, même si c'est aussi synonyme du départ de Cosimo, de ses premières années à l'étranger. Même si pour Elise, ça veut probablement dire lâcher son tout petit garçon. « Je préférais l'Italie. » « Je sais. » Bien sûr qu'elle préférait l'Italie, le temps de la tranquillité, le temps des premiers pas de Cosimo. Le temps des repas de noël - sans Auden, certes - mais apaisés. Pas encore le temps des premiers cernes, pas encore le temps des premières vraies disputes. Pas encore le temps gâché des premières déchirures et des blessures qu'on laisse se refermer seules et qui cicatrisent mal.
Et il y a l'Europe, déjà. La fuite, encore. Pour le travail, qu'il lance à la volée, sa meilleure carte, la plus cornée à tous les coins. « Tu as besoin que je vienne avec toi ? » « Ne t'embête pas. Ça sera mortellement ennuyeux. » Et c'est vrai, juste des dîners, des "je vous présente mon épouse", des regards en biais et des plats trop chers. Elle y crèvera d'ennui, Elise. « Tu n'as qu'à choisir une destination. Je ne serai pas parti longtemps, ça te fera peut-être du bien d'être loin de tout ça. » Pour une fois, il n'y a pas une once d'agacement dans la voix de l'italien. C'est vrai, tout pourrait aller mieux s'ils sont loin. S'ils oublient un peu toutes ces péripéties de merde, s'ils font comme d'habitude. « Tu pars combien de temps ? » « Je ne sais pas exactement. Quelques jours. » Quelques jours, juste assez pour encore creuser l'écart, sans doute.
« Si je te le proposais, tu voudrais y retourner, en Italie ? Pour y vivre. » Que dirait-il, lui ? Probablement non, plus maintenant. Leur vie est ici, aussi chaotique soit-elle. « Et si on n'avait pas eu Cosimo, hein ? », qu'il lance maintenant dans le vent, le ton pensif, les yeux dans le même registre.
« Ne t'embête pas. Ça sera mortellement ennuyeux. » « Comme tu veux. » que tu lui réponds simplement en haussant légèrement les épaules. Tu n'insistes pas. Tu n'avais pas vraiment envie plus qu'il ne le fallait d'y aller de toute façon. Il le disait lui même, ce serait ennuyeux. Et tu savais parfaitement que ce serait vrai. C'est pas comme si c'était ta seule chance d'aller au Europe. Tu pouvais y aller demain matin si le coeur t'en disait. « Tu n'as qu'à choisir une destination. Je ne serai pas parti longtemps, ça te fera peut-être du bien d'être loin de tout ça. » « C'est pas ce qu'on est en train de faire ? » C'était déjà le but de ses vacances, non ? De prendre du recul de tout ce qui était entrain d'arriver dans vos vies. Oui c'était nécessaire. Oui, tu avais vraiment eu besoin de t'éloigner de tout ça, mais après ce voyage, la vie devra recontinuer. Vous ne pouviez pas simplement éviter tous vos problèmes éternellement. Non. La vie reprendra son court naturel. Advienne que pourra. « Je resterai à la maison » qu'elle ajoute simplement. Avec de la chance, peut-être que Cosimo reviendra passer quelques jours à la maison en l'absence de son père. Avec beaucoup de conviction, peut-être reviendra t-il sur sa décision de quitter le nid familiale, une décision complètement insensé selon toi. Mais toi, où est-ce que tu étais à vingt ans ? Tu avais tout planté pour aller vivre à des milliers de kilomètres de tes parents pour un homme que tu connaissais à peine. « Si je te le proposais, tu voudrais y retourner, en Italie ? Pour y vivre. » Retourner en Italie ? Tu n'avais jamais vraiment pensé à cette alternative. Et de toute façon, Saül, il ne te demande jamais ton avis. Un jour, il est promu ailleurs et la famille déménage. Et c'est tout. « Je sais pas. Est-ce que ça changerait vraiment quelque chose ? Ici ou ailleurs ? » Non. Votre vie ne serait pas mieux dans une autre ville. Vos emmerdes vous suivrait. Même si, oui, tu dois l'avouer que ça t'étais passé par l'esprit de déménager loin de l'Australie. Loin de Auden surtout. Loin de celui qui pouvait tout détruire. Mais ce n'était pas le bon moment. Cosimo ne suivrait pas. Pas en ce moment. « Et si on n'avait pas eu Cosimo, hein ? » Tu fronces rapidement les sourcils. « Quoi si on n'avait pas eu Cosimo ? » Cette phrase dites sur un ton tout sauf menaçant te fait l'effet d'un coup de poignard. Était-ce déjà la fin des quelques minutes pas trop désagréable de ce voyage ? « Tu insinues quoi là au juste ? » que tu ajoutes par la suite sur la défensive, alors que tu t'arrêtes soudainement. C'était quoi la véritable question derrière tout ça ? Votre mariage ? C'est là qu'il veut en venir ? Votre mariage qui aurait été encore plus lamentable sans Cosimo. Seriez-vous toujours ensemble sans enfant ? Possiblement oui. Toi, tu serais resté. Lui ? Tu as envie de croire que oui, mais, au fond, qu'est-ce que t'en sais.
« C'est pas ce qu'on est en train de faire ? » L'italien ralentit le pas, fronce les sourcils. « Si. » D'accord, c'est ce qu'ils font. D'accord, ils s'éloignent de tout ça. De toute façon, ils en reviennent toujours aux mêmes sujets. Aux mêmes disputes. Saül plie son agacement face aux questions d'Elise, ellipse ses soupirs et reprend son pas. Elle a raison. C'est ce qu'ils sont en train de faire. Ils s'éloignent du monde, ils prennent une pause. « Je resterai à la maison » Comme elle voudra. Son homme d'affaires de mari se contente de hocher la tête, les mains toujours solidement croisées sur les reins.
« Je sais pas. Est-ce que ça changerait vraiment quelque chose ? Ici ou ailleurs ? » Saül pousse un soupir, qui se perd dans le vent apporté par l'océan. « Je ne sais pas. Cosimo serait ailleurs, de toute façon. C'est un grand garçon. » Mais ici, il y a Savannah. Il y a Bella, il y a Auden. Il y a le petit monde qu'ensemble, ils ont construit. Qu'ensemble, ils ont intégré, aussi, intrus - conquérants - arrivés après les autres. Il y a tout, ici. Plus qu'ailleurs. Plus encore qu'en Italie, où ne subsistent que les souvenirs, les limbes. « Quoi si on n'avait pas eu Cosimo ? » Le regard de Saül se déporte à nouveau vers les yeux de Elise, qui semble soudain prête à lui sauter à la gorge. « Tu insinues quoi là au juste ? » « Je m'interroge, c'est tout, arrête d'être toujours coincée derrière tes défenses de mère scandalisée. », qu'il persifle, lui aussi arrêté dans son pas. C'est la fin des vacances, probablement. « Si on avait pas adopté cet enfant, si Auden l'avait gardé, ou pas gardé peu importe- » si, c'est là qu'est le point essentiel, là qu'est le nœud du problème. « -aurait-on rempli ces putains de papiers d'adoption qui sont restés à traîner sur mon bureau pendant des semaines au milieu du reste ? » Probablement pas, au final. « Parce que, qu'auraient dits les gens de ce couple si formidable, et pourtant incapable de donner la vie, de fonder une famille ? » C'est son ton du sarcasme, son ton qui pique, qui accuse injustement Elise d'être responsable quand c'est lui qui ne pouvait pas se résoudre à se lancer vraiment dans les recherches, homme aussi peiné qu'elle en contemplant ce ventre qui jamais, ne porterait la vie. Probablement moins qu'elle parce que lui ne pourrait jamais savoir ce que cela produisait sur le corps et l'esprit, le couperet du mot stérile.
Déjà, l'amertume de sa langue faiblit. « Parfois je me demande comment les choses auraient été, si Auden avait été père, père pour de vrai. » Parfois lui se demande comment ça aurait s'il avait lui-même été père, père pour de vrai, pas juste père de substitution comme il l'a toujours un peu senti, malgré les mensonges dont il a toujours semblé s'auto-persuader. On ne peut jamais vraiment se mentir complètement. Elise, elle, a probablement réussi ce tour de force avec brio, et c'est bien là l'agent provocateur de toutes leurs disputes amères. On croirait que c'est vraiment la centième fois que les époux ont cette discussion.
Tu restes bête sous les horreurs qui sortent de la bouche de ton mari. Tu figes sous les mots qu'il te lance sans aucune douceur. Ferme là. Tu vas aller trop loin. Mais il n'arrête pas Saül et ils arrivent enfin, les mots qui blessent, ceux qui blessent vraiment, ceux qui me devraient jamais être prononcé, ceux qui auront probablement raison de vous deux, du peu d'amour et de dignité qu'il vous restait encore. Pouf. Envolée. En une seule phrase. La plupart des couples ne passe pas au travers de ça, l'infertilité. Vous n'étiez définitivement pas fait pour passer au travers ça, mais vous aviez jouer a l'autruche. Vous aviez fait comme si le problème n'existait pas. Mais il était bien là. Et vingt ans plus tard, il vous explose en plein visage. « Parce que, qu'auraient dits les gens de ce couple si formidable, et pourtant incapable de donner la vie, de fonder une famille ? » Dans la même seconde, ta main vint s'abattre violemment contre sa joue. « Va te faire foutre » que tu lui craches la rage au ventre. Vingt-quatre heures. Vous n'aurez même pas réussi à passer vingt-quatre heures ensemble sans vouloir vous entretuer. « Parfois je me demande comment les choses auraient été, si Auden avait été père, père pour de vrai. » « Au moins Cosimo en aurait eu un père, un vrai » Mais pas de mère. La vie est parfois injuste. Elle lui avait voler un père pour une mère, mais il ne pouvait avoir les deux. « Elles sont nul à chier tes vacances. » Un dernier regard meurtrier avant de simplement le laisser là en plan, tout seul comme un con sur cette plage paradisiaque. Le soir même, tu feras probablement tes valises et tu prendra assurément le prochain vol vers Brisbane. C'était officiellement la première et la dernière fois que vous irez en voyage tous les deux.