| we should take a walk someday, talk about what we could've been (jessian&grace#2) |
| | (#)Ven 10 Avr 2020, 23:38 | |
| Ce n’était pas faute d’avoir essayé, d’avoir tenté d’adoucir la chose en instaurant un rituel mensuel bien précis et respecté - c’était toujours aussi dur de laisser Gold Coast derrière elle pour revenir à Brisbane, qu’importe combien son chat lui avait manqué, ou Jordan, ou Lola, ou tous les projets qu’elle avait sous le coude à la fois. C’était toujours le même pincement au coeur en laissant Chicken Salad et son père les bras ballants dans leur grande maison bien vide depuis que tous les enfants étaient partis. Le même petit tremblement de la lèvre inférieure quand il fallait tourner le dos à sa soeur sur le parking de la gare ; toujours le même petit sentiment de vide en arrivant devant la porte de son appartement. Habituellement, toute la soirée consistait elle aussi en un rituel bien développé pour combler le vide : allumer l’écran et enfoncer le dernier DVD d’Esprits Criminels dans le lecteur, puis allumer simultanément l’enceinte et mettre une de ses playlists plus ou moins agitées selon l’humeur, forcer Kim Possible à venir dans ses bras et réchauffer un plat abandonné le vendredi soir de son départ.
Ce soir aussi, tout y passe : les miaulements de protestation de Kim Possible, qu’elle serre contre elle pendant dix bonnes minutes (et c’est un record à noter), une playlist de soul qui se partage le petit espace avec la voix d’Hotchner et les coups de feu réglementaires. Pas de repas à finir en catastrophe avant la date de péremption, cela dit : ce soir, Grace a promis de cuisiner. Parce que ce soir, Jessian vient pour la première fois chez elle, et c’est un événement qu’elle ne peut pas se permettre de gâcher. Alors elle a tout prévu : un appartement rangé, des photos sorties pour l’occasion spéciale, et un risotto qui cuit lentement et qui n’est pas du tout sûr d’être réussi. Elle part du principe que Jessian se souviendra certainement de ses incontournables talents en cuisine et ne lui en voudra pas trop en cas d’indigestion qui les clouerait au lit pendant une semaine.
19h10. Plus que cinq minutes. Dernier regard circulaire sur la pièce : tout est à peu près en ordre (on ne changera jamais complètement une indécrottable bordélique, bien qu’on puisse essayer), le plat ne tardera pas à être prêt, Kim Possible ne fait pas ses griffes sur le revêtement de la salle de bains et l’odeur de cigarette est presque partie - du moins l’espère-t-elle, parce que c’est de ces choses impossibles à deviner, et elle ne veut surtout pas que son appartement rappelle un repaire de vieux clopeur. Elle est presque sûre de repérer encore un élément, peut-être un bouquin qui traîne, qu’elle aurait pu changer au paysage domestique - trop tard, parce que Jessian sonne. Et Grace, en grande galante, descend lui ouvrir, toujours persuadée que son appartement, au troisième étage en face de l’ascenseur, est incroyablement dur à trouver juste parce qu’il n’y a pas encore son nom dessus.
“Hey”, salue-t-elle simplement, un sourire presque soulagé aux lèvres.
Elle en vient à apprécier cette habitude qui s’installe, de se voir régulièrement, d’échanger sur tout et rien, se retrouver sans que ça ne soit plus quelque chose de presque incroyable mais que ça reste toujours aussi formidable. Une surprise sans en être une. “Ca a été, ton week-end ?” Elle remonte les escaliers de sa démarche toujours un peu claudiquante, ne demande jamais si ses invités veulent prendre l’ascenseur - une habitude de kinésithérapie qu’elle n’a jamais questionnée outre mesure. Elle ouvre la porte sur son cocon et immédiatement, le gros sacré de Birmanie arrondit le dos, peu amène face aux nouvelles têtes. “J’ai fait risotto aux champignons, j’espère que ça t’ira. Sinon on peut toujours commander indien. Ouais, indien, c'est bien aussi.” C’était après une longue heure à débattre de si Jessian était bien végétarienne ou si elle l’avait imaginé - sa mémoire n’était plus si performante qu’elle l’aurait voulu. “J’ai du vin. Et j’ai aussi du jus d’orange. Et du jus de pêche, pour varier les plaisirs.” C’est peut-être la première fois qu’elle réalise qu’elle ne sait même plus ce que Jessian aime ou préfère, en boissons, en plats. Elle aurait su, à l’époque, elle était sûre qu’elle aurait su. Aujourd’hui, et sur toutes leurs dernières entrevues, elle n’aurait pas été capable d’en dresser un tableau aussi précis. Elle l’invite d’un geste de la main à se mettre à l’aise, à se débarrasser à côté du canapé et de la table basse où les verres sont déjà sortis.
“Et j’ai un peu de tout, en fait. Fais comme chez toi.” |
| | | | (#)Lun 13 Avr 2020, 10:02 | |
| La journée avait été longue et pénible. Quand on t’avait proposé ce photoshoot, tu avais su que ce serait un challenge et tu en avais terriblement besoin. Tu avais donc proposé à Abel d’avancer son week-end avec Morgane ce qu’il n’avait pas tardé à accepter. Mieux valait que ta fille soit avec son père plutôt que chez tes parents pendant les longues heures où tu allais travailler. Comme tu l’avais prévu, ce photoshoot pour une nouvelle marque de maillot de bain fut une rude épreuve. Les photos furent nombreuses, les poses très différentes et les lieux également ce qui faisait que tu fus en mouvement pratiquement toute la journée, incapable de te poser. Il y avait quelque chose d’excitant dans cette agitation toutefois et quelque chose de rassurant. Tu adorais ton métier et l’idée de te plaindre était bien loin de ton esprit. Quand la séance se termina et que les créateurs de la marque furent satisfaits des clichés, tu pus repartir avec un maillot de bain de ton choix. Contrairement à d’autres fois où tu te serais éternisée, proposant à tes collègues d’aller prendre un verre et de sortir, ce soir, tu pris rapidement la direction de ta voiture pour rentrer chez toi. Grace t’avait proposé de venir dîner chez elle quelques jours plus tôt et refuser l’invitation ne t’avait pas traversé l’esprit. Tu savais que la journée allait être bien remplie mais tu n’avais pas envie de louper cette occasion. Depuis vos retrouvailles, vous échangiez régulièrement par message et vous vous voyiez aussi souvent que possible mais vos emplois du temps n’étaient pas toujours coordonnés ce qui faisait que les opportunités comme celle-là ne se présentaient pas aussi souvent que tu en aurais envi. En rentrant chez toi, tu t’arrêtais à une pâtisserie dans laquelle tu achetais des cupcakes et des cookies pour le dessert. Grace t’avait dit qu’elle cuisinerait et tu ne te voyais pas arriver les mains vides. Rentrant chez toi, tu pris le temps de te doucher, profitant de ce moment pour te reposer un peu. Tu enfilais ensuite une robe et des talons et tu te maquillais et te coiffais sans trop d’artifices. Même si tu savais que ce rendez-vous n’était pas vraiment un ‘date’, tu avais envie d’être présentable et jolie pour Grace. C’était plus fort que toi …
Il est dix-neuf heures cinq quand tu te gares devant l’immeuble de Grace. Enfin tu espères que c’est son immeuble et que le GPS ne s’est pas trompé. C’est la première fois que tu viens chez la jolie brune. D’habitude vous vous retrouvez quelque part dans Brisbane mais ce soit, c’est comme une nouvelle étape, un pas de plus dans l’intimité de ton amie. Tu te regardais une dernière fois dans le miroir de ta voiture avant d’attraper les cupcakes et les cookies et de traverser la rue. C’est soulagée que tu trouvais le nom de Grace sur l’interphone et tu sonnais. Persuadée que Grace allait débloquer la porte, tu ne comprenais pas pourquoi tu attendais depuis plusieurs minutes jusqu’à ce que la jolie brune t’ouvre elle-même la porte de l’immeuble. « Hey. » Un sourire apparaît immédiatement sur tes lèvres pour venir répondre à celui de Grace. Tu es heureuse de voir qu’elle semble aussi heureuse que toi de te voir. « Hey ! Merci d’être venue m’ouvrir. » Lui dis-tu simplement avant de la suivre dans les escaliers. « Ca a été, ton week-end ? » Tu avais presque oublié que c’était le week-end en vérité. Il n’était pas rare que tu travailles le week-end même si tu évitais quand tu avais Morgane avec toi. Des fois, les photographes les plus prisés ne pouvaient pas se libérer en semaine et certaines marques ne voulaient que certains noms. « Oui, ça s’est bien passé. Pas aussi reposant que prévu, j’ai travaillé toute la journée mais c’était plutôt agréable. » Et très fatiguant mais agréable malgré tout parce qu’il n’y avait aucun jour de la semaine ou du week-end où il faudrait te prier pour que tu poses derrière un appareil photo. « Et toi ? Tout s’est bien passé à Gold Coast ? » Tu te souvenais que Grace t’avait mentionné son retour sur ses terres dans un message. Elle avait l’air heureuse en tout cas et tu n’avais pas cru comprendre qu’elle avait laissé de mauvaises relations derrière elle même si tu pouvais te tromper, vous n’en aviez pas vraiment discuté. Arrivées devant l’appartement de la jeune femme, elle te fit entrer et tu souris en découvrant son chez elle. Tu pouvais la retrouver dans chaque recoin de la pièce … « J’ai fait risotto aux champignons, j’espère que ça t’ira. Sinon on peut toujours commander indien. Ouais, indien, c'est bien aussi. J’ai du vin. Et j’ai aussi du jus d’orange. Et du jus de pêche, pour varier les plaisirs. Et j’ai un peu de tout, en fait. Fais comme chez toi. » Amusée, tu penches légèrement la tête. Tu n’es pas bien difficile pour manger, du moment qu’il n’y a pas de viande, tu ne vas pas te plaindre. « Je suis sûre qu’il n’y aura aucune raison de commander indien, le risotto a l’air délicieux. » Tu n’avais pas manqué l’odeur dans laquelle était plongé l’appartement, tu faisais totalement confiance à Grace. « Tiens, je nous ai amené des cupcakes et des cookies pour le dessert. » Lui dis-tu en lui tendant la boîte pour qu’elle puisse la déposer où ça l’arrangeait. Il était évident que Grace avait rangé son appartement pour la soirée, tu te souvenais des fois où vous aviez partagé une chambre d’hôtel et il ne fallait pas plus d’une heure avant qu’elles ne soient envahies d’objets en tout genre. Tu te dirigeais ensuite vers le canapé que Grace t’avait montré en lui disant : « Merci beaucoup de pour l’invitation. Tu as l’air bien installée, tout comme Kim Possible. » Le chat n’avait pas bougé de sa place depuis ton arrivée et te regardait avec un regard méfiant ce qui t’amusait. Peut-être qu’il se fera à toi au fil de la soirée ? Tu verras bien … « Je vais prendre du jus de pêche, tu en veux ? » Lui demandas-tu en attrapant la bouteille et en te servant un verre. « Comment vas-tu depuis la dernière fois qu’on s’est vues ? » Finis-tu par lui demander pour lancer la conversation.
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| | | | (#)Jeu 16 Avr 2020, 01:15 | |
| « Hey ! Merci d’être venue m’ouvrir. » Loin d’elle l’idée de commencer à parler de rituel dans leur cas, mais une habitude avait commencé à s’installer depuis qu’elles s’étaient recroisées. Des cafés, régulièrement, des déjeuners parfois, des sms si le temps manquait. Jessian et Grace avaient réinstauré l’habitude de prendre des nouvelles l’une de l’autre, la jeune femme était redevenue une constante dans la vie de l’aînée du duo et elles retrouvaient ce sens de familiarité qu’elles avaient côtoyé pendant près de trois ans l’une près de l’autre. On était loin de la complicité d’antan : non, c’était quelque chose de nouveau, qui correspondait à ce qu’elles étaient aujourd’hui, et voir qu’elles arrivaient à reconstruire par-dessus quelque chose qui semblait si lointain et dissocié d’elles-mêmes faisait incroyablement plaisir à Grace. Malgré les années, malgré les changements radicaux, une partie d’elles-mêmes, celle qui faisait qu’elles étaient si proches, n’avait pas disparu avec tout le reste.
« Oui, ça s’est bien passé. Pas aussi reposant que prévu, j’ai travaillé toute la journée mais c’était plutôt agréable. »
Le sourire ne quittait pas les lèvres de Grace, mais rivalisait non sans mal avec sa nervosité : c’était la première fois que Jessian rentrait dans son sanctuaire, ce lieu sacré où si peu de personnes avaient eu accès. C’était aussi la première fois depuis l’époque où elle essayait de lui faire à manger et les enjeux lui semblaient incroyablement hauts. “Ah, oui, la nouvelle marque, c’est ça ? Tu penses travailler avec eux sur d'autres projets ?” La jeune femme passe encore mentalement en revue l’appartement dans lequel elle s’apprête à faire entrer Jessian, scanne toute trace possible de poils de chats, de vêtements ne lui appartenant pas, de livres déplacés... Elle a du mal à déstresser. Bien sûr, qu’elle a remarqué que Jessian s’était rendue présentable pour elle, même après sa longue journée, parce que ça aussi, semblait être devenu une habitude qui s’était glissée dans leurs dernières retrouvailles. Elle avait toujours feint de ne pas le remarquer, tout en en faisant de même de son côté. “Tu es superbe ce soir.” Ce soir, elle ne fait pas semblant d’ignorer.
“Oh, Gold Coast, c’était… Gold Coast. Beaucoup d’agitation à la maison. Je sais pas si je t’avais dit, mais ma mère et son nouveau mari sont passés. Lena s’entend super bien avec les deux garçons, d’ailleurs. Et mon père aussi. Comme quoi, quand il veut...”
Elle qui avait toujours érigé sa famille en modèle face à Jessian ne s’était que très peu épanchée sur le divorce de sa mère, sa chute dans l’alcool et les sorties, ses retrouvailles d’un amour calme et sans passion aux côtés de Calvin, qui avait déjà deux enfants. Calvin et son père s’étaient entendus à merveille, s’empresse-t-elle de préciser, parce qu’elle est étrangement fière de toutes ces civilités dans cette famille recomposée de toutes parts. “Mais ça m’a fait plaisir de les voir. Et toi ? Comment va Morgane ?” La question sort timidement en même temps que les clés tournent dans la serrure. La porte s’ouvre sur son chez-elle : petit, compact, inhabituellement rangé et embaumé d’une odeur qui n’est pas celle de nouilles instantanées. Un changement énorme comparé à ses coutumes. “Merci, pour les desserts, fallait pas. T’es adorable.” Adorable d’avoir couru partout après une longue journée pour éviter à Grace la honte suprême de tenter de faire un dessert et d’échouer misérablement - dans son coeur, ça signifiait beaucoup.
“Pas de souci. Ca me fait plaisir de t’avoir chez moi et c'est un immense honneur d’avoir l’opportunité de t’intoxiquer une nouvelle fois avec un plat horrible”, rit-elle en rangeant les desserts au frigo.
Elles en avaient plaisanté mille fois, de ses cauchemars en cuisine à l’époque - certes, Grace n’avait jamais réellement intoxiqué quelqu’un, mais elle avait plus d’une fois frôlé la crise. “Fais pas gaffe à Kim Possible, il aime pas grand monde. Le truc, c’est de lui donner une miette, qu’importe de quoi, et là tu pourras convoiter le poste de meilleure amie.” Elle lui adresse un clin d’oeil faussement complice, décoche un regard amusé au chat qui la lorgne depuis sa chaise de bureau. Elle se retient de dire qu’elle-même galère encore à avoir des câlins de plus de cinq minutes avec lui. “Va pour le jus de pêche”, renvoie-t-elle en touillant le risotto. A l’odeur, pas son pire, mais elle n’avait pas vraiment de meilleur non plus. La recette est inédite - à la place de Jessian, beaucoup se seraient contentés d’un sandwich au vegemite. La jeune femme rejoint son invitée sur le canapé, saisit son verre et le fait trinquer contre celui de Jess : “A la tienne. Merci d’être venue.” Pas d’éternel clin d’oeil, cette fois - rien d’autre qu’un vrai sourire, un des plus pétillants, pour lui signifier combien le fait de s’être retrouvées est important pour elle.
“Ca va. J’ai été pas mal occupée, finalement. J’ai trouvé un nouveau contrat pour un film, le nouveau de Katelyn Moyer, je t’en avais parlé, je crois ?” Une de ses réalisatrices préférées, un de ses génies ultimes dont elle connaissait les films par coeur. “Ca a été galère, par contre. Du genre, j’avais peur que ma carrière soit finie, avec, tu sais...la lenteur, tout ça.” Elle désigne son bras, un peu plus mobile que la première fois qu’elles s’étaient vues, mais toujours loin d’être brillant. Son éternel problème. “Oh ! D’ailleurs, j’ai même essayé de décrocher un peu de ma branche. Tu vas pas le croire, mais j’ai tenté l’érotique, même. En tant que photographe, hein, pas en tant que modèle.” Un rire ponctue sa phrase, comme si c’était une idée complètement absurde - ça ne l’était pas, du tout. “C’était un projet d’une réalisatrice, filmer des scènes de vrais couples et leur demander de raconter leurs fantasmes. C’était plutôt sympa.” Elle n’a pas le temps d’élaborer, parce qu’une autre pensée bouscule la première : “Ah, et l’autre jour, j’avais oublié de ramener le cadeau que j’avais pris en Islande…” Elle s’éclipse un instant vers son bureau, retrouve rapidement les deux paquets et les tend à Jessian : “C’est pas grand-chose, en fait. Un petit bracelet avec une pierre volcanique, je me suis dit que ça pourrait faire plaisir à Morgane. Et des petits produits cosmétiques, pour toi. Ils ont des produits dingues là-bas.” Elle ignore si c’est de trop, mais tant pis : c’est déjà fait. “Et je vais bientôt exposer des photos, aussi, avec une amie. En mai, sûrement. Je te passerai les détails, si tu veux venir.” Elle ignore pourquoi elle n’a pas parlé de Lola à Jessian. Parler d’une amie ne lui semble pas juste, mais face à Jess, parler de plus que ça non plus. Elle se redresse dans le canapé, prend quelques gorgées de son jus, et observe la jeune femme, l’espace de quelques secondes. Se demande si elle se fera un jour à cette familiarité, cette sensation que tout est à sa place.
“Et toi, alors ? J’ai l’impression que ça fait...pfouh, trois mois, au moins. Tu m’as manqué. A force de te voir aussi souvent, je vais finir par m’habituer.” |
| | | | (#)Dim 19 Avr 2020, 16:32 | |
| Retrouver Grace c’était toujours agréable. Tu avais encore du mal à croire que malgré les années, malgré ce que vous aviez traversé chacune de votre côté, vous étiez arrivées à en arriver là aujourd’hui. Il n’était plus question de laisser Grace s’échapper de ta vie et même si tu n’arrivais pas toujours à savoir sur quel pied danser avec la jolie brune, tu t’en fichais parce que le plus important pour toi c’était de l’avoir dans ta vie. Grace t’avait connue à une période de ta vie où tu avais été libre et irresponsable. A une période où rien ne te faisait peur. Et encore aujourd’hui tu avais l’impression qu’elle lisait en toi comme un livre ouvert mais cela ne te faisait pas peur, cela te rassurait. Parce que Grace sera là pour te remettre en place quand tu vrilleras si cela devait arriver. « Ah, oui, la nouvelle marque, c’est ça ? Tu penses travailler avec eux sur d'autres projets ? » Tu prends la première marche quand elle te pose la question et même si elle ne te voit peut-être pas, tu hausses les épaules. C’est toujours une possibilité mais jamais une certitude. Les choses se sont bien passées aujourd’hui et tu comptes te rendre disponible au maximum pour cette marque pour essayer de signer un contrat sur une durée plus longue. « C’est trop tôt pour le dire. Cela va dépendre de la réception de la publicité en grande partie. Mais j’aimerais bien. » Parce que cela ne servait à rien de prétendre autre chose et que tu n’avais jamais caché tes ambitions professionnelles. Arrivées en haut de l’escalier, Grace prend le temps de poser son regard sur toi et tu en fais de même : « Tu es superbe ce soir. » Tu sens malgré toi le rouge te monter aux joues. Etrangement, c’est important pour toi que Grace te voir toujours sous ton meilleur jour. Peu importe ce qui se passera dans le futur, elle restera ton premier amour, celui qui t’a fait découvrir bien plus que l’amour, qui t’a fait découvrir une partie de toi-même et l’envie de l’impressionner reste là. « Tu n’es pas mal non plus. » Lui dis-tu un sourire sincère sur les lèvres. Grace avait toujours été une femme magnifique, elle le restera, qu’elle le croit ou non. De la même manière que Grace avait pris de tes nouvelles, tu pris des siennes en particulier de son week-end à Gold Coast avec sa famille. « Oh, Gold Coast, c’était… Gold Coast. Beaucoup d’agitation à la maison. Je sais pas si je t’avais dit, mais ma mère et son nouveau mari sont passés. Lena s’entend super bien avec les deux garçons, d’ailleurs. Et mon père aussi. Comme quoi, quand il veut... Mais ça m’a fait plaisir de les voir. Et toi ? Comment va Morgane ? » La famille de la belle brune était pour toi une énigme. Il fut un temps où tu étais incapable d’imaginer une famille qui n’était pas composée d’un couple marié et de leurs enfants. C’était bête et réducteur mais tu étais née dans ce genre de famille. Divorce n’était pas un mot que tu avais entendu une seule fois dans la bouche de tes parents pourtant, ils avaient dû vivre des moments difficiles. Alors tu admirais beaucoup ce qui se passait dans la famille de Grace et par dessus tout, cela te donnait de l’espoir quant à ta propre situation avec Abel dans le futur. « Ça fait toujours du bien de revoir ses proches. C’est génial que vous ayez pu trouver un équilibre qui fonctionne. » C’était ce que tu recherchais avec Abel sans le trouver pour l’instant mais tu ne désespérais pas, cela allait venir. « Morgane se porte très bien ! Elle est chez son père ce week-end, je la récupère demain à la sortie de l’école. Et moi j’ai profité de mon week-end pour me reposer et voir des amis, c’était un bon week-end. » Tu allais très bien. Tu étais légèrement fatiguée de ta journée mais à part ça, tu étais de très bonne humeur et tu ne pouvais pas vraiment te plaindre de quoi que ce soit. De toute manière, cela ne te ressemblait pas. « Merci, pour les desserts, fallait pas. T’es adorable. » A tes yeux c’était la moindre des choses. Ta mère aurait trouvé le moyen de te dire que tu aurais dû les préparer toi-même mais ta mère n’avait jamais travaillé donc elle n’avait pas de commentaire à te faire à tes yeux.
Alors que Grace te demandait si tu voulais manger son risotto ou commander, tu lui assurais que tu étais partante pour l’aventure culinaire qu’elle te proposait : « Pas de souci. Ca me fait plaisir de t’avoir chez moi et c'est un immense honneur d’avoir l’opportunité de t’intoxiquer une nouvelle fois avec un plat horrible. » Ton rire accompagna celui de la demoiselle car tu te souvenais des tentatives culinaires de Grace. Si jamais, vous pourriez toujours commander plus tard, c’est pas grave. « Pourquoi penses-tu que j’ai amené le dessert ? » Lui répondis-tu au tac au tac en secouant la tête. « Je me suis dis que tu t’étais peut-être améliorée, ça ne sent pas le brulé et la cuisine n’est pas en feu. » Ajoutas-tu pour la taquiner. A l’invitation de Grace, tu pris place sur le canapé sous le regard sceptique de Kim possible. « Fais pas gaffe à Kim Possible, il aime pas grand monde. Le truc, c’est de lui donner une miette, qu’importe de quoi, et là tu pourras convoiter le poste de meilleure amie. » Regardant le chat en levant un sourcil, tu gardais cette information pour un peu plus tard. Il semblait heureux de te toiser du regard pour l’instant donc tu le laissais faire. Grace alla vous chercher les verres de jus de pêche pour vous permettre de trinquer : « A la tienne. Merci d’être venue. » Tu lui rendis son sourire en lui disant : « Merci de m’avoir invitée. » C’était plus intime que lorsque vous étiez dans des cafés ou des restaurants. Un peu comme cette première rencontre que vous aviez terminée chez toi. Tu pris donc des nouvelles de Grace après ta première gorgée et elle se lança dans des explications détaillées de ces dernières activités : « Ca va. J’ai été pas mal occupée, finalement. J’ai trouvé un nouveau contrat pour un film, le nouveau de Katelyn Moyer, je t’en avais parlé, je crois ? » Tu hochais la tête, la laissant continuer sur sa lancée : « Ca a été galère, par contre. Du genre, j’avais peur que ma carrière soit finie, avec, tu sais...la lenteur, tout ça. » Les inquiétudes de Grace, tu les sentais régulièrement lors de vos discussions. Tu pouvais les comprendre mais en même temps, son implication et sa motivation à ce que tout fonctionne devait bien rattraper le reste non ? « Ca s’est bien passé finalement ? C’était comment de rencontrer Katelyn ? » Lui demandas-tu curieuse. Cela était habituel pour toi de rencontrer des acteurs, des chanteurs, des sportifs, des gens connus. Tu avais appris qu’ils n’étaient rien d’autres que des gens normaux comme toi mais quand c’était des personnes que l’on admirait, c’était toujours différent. « Oh ! D’ailleurs, j’ai même essayé de décrocher un peu de ma branche. Tu vas pas le croire, mais j’ai tenté l’érotique, même. En tant que photographe, hein, pas en tant que modèle. C’était un projet d’une réalisatrice, filmer des scènes de vrais couples et leur demander de raconter leurs fantasmes. C’était plutôt sympa. » Heureusement que tu n’avais pas bu une gorgée de jus de pêcher sinon tu l’aurais recrachée sous le coup de la surprise. Tu n’avais pas pensé entendre ces mots sortir de la bouche de Grace mais en même temps, tu aurais peut-être dû. « C’est inattendu ! Mais il faut tout essayé, ça permet de savoir ce que l’on veut faire ou ne pas faire. Tu retenteras l’expérience ? » Lui demandas-tu un sourire amusé sur les lèvres. Les photos que tu faisais en sous-vêtements ou maillot de bain étaient à la limite de ce genre-là et tu le savais, tu adorais en jouer quand on t’en laissait l’occasion. « Ah, et l’autre jour, j’avais oublié de ramener le cadeau que j’avais pris en Islande… » Grace se leva et disparut dans une pièce pour en revenir avec un paquet avant d’ajouter : « C’est pas grand-chose, en fait. Un petit bracelet avec une pierre volcanique, je me suis dit que ça pourrait faire plaisir à Morgane. Et des petits produits cosmétiques, pour toi. Ils ont des produits dingues là-bas. Et je vais bientôt exposer des photos, aussi, avec une amie. En mai, sûrement. Je te passerai les détails, si tu veux venir. » Il y avait eu tellement d’information dans tout ce que venait de te dire la belle brune que tu pris le temps de tout absorber. Tu n’ouvris pas le sachet du cadeau pour Morgane car elle adorera l’ouvrir elle-même mais par contre tu regardes rapidement les étiquettes des produits de beauté avant de te lever te de venir prendre Grace dans tes bras pour la remercier. « Merci beaucoup, tu n’aurais pas dû ! Je vais les essayer et je t’en dirai des nouvelles ! » Tu déposais un baiser sur sa joue avant de revenir t’asseoir en ajoutant : « Attends-toi à un coup de téléphone de Morgane pour te remercier, elle va adorer. Merci beaucoup. Et l’Islande c’était comment ? Tu as des photos ? » Lui demandas-tu curieuse avant de rebondir sur la dernière information qu’elle venait de te donner. Bien sûr que tu seras présente si Grace expose des photos dans une galerie ! « C’est super pour cette exposition ! Tu peux compter sur moi ! Je savais pas que tu cherchais à exposer tes photos mais c’est une super nouvelle, tu le mérites ! Tu exposes avec quelqu’un que tu connaissais déjà ou c’est quelqu’un que tu as rencontré à Brisbane ? » Ce n’était vraiment pas de la curiosité mal placée, tu cherchais juste à en savoir un peu plus sur cette exposition qui se préparait.
« Et toi, alors ? J’ai l’impression que ça fait...pfouh, trois mois, au moins. Tu m’as manqué. A force de te voir aussi souvent, je vais finir par m’habituer. » Un petit rire s’échappe de tes lèvres à ces paroles. Elle a raison, d’aucun contact vous étiez passés à des contacts réguliers mais tu n’allais pas t’en plaindre, bien au contraire. « Je suis plutôt contente de m’y être habituée. » Lui dis-tu un sourire en coin sur les lèvres avant d’ajouter : « De mon côté je continue à enchaîner les contrats en tout genre même si les contrats à l’étranger sont plus difficiles à décrocher il semblerait cette année. Après avoir été poussée par l’agence, j’ai enfin choisi une association dans laquelle m’engager. Cela a rassuré mon manager mais je tenais à faire le bon choix. Je … C’est une association qui intervient principalement dans les hôpitaux pour rendre le sourire aux enfants malades. Pendant quelques heures je me transforme en princesse Jasmine. » Cela avait rendu complètement folle Morgane qui ne se remettait pas de t’avoir vu dans le costume d’une princesse Disney. « A part ça, Abel m’a fait comprendre qu’il aimerait que l’on remette à plat la garde de Morgane pour emprunter un nouveau rythme où Morgane serait plus avec lui et … » Tu soupires en passant une main sur ton visage. « Je comprends mais en même temps, ne pas avoir Morgane avec moi tous les jours c’est juste inimaginable. » Tu savais que cela arriverait un jour pourtant, tu t’en doutais …
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| | | | (#)Mer 22 Avr 2020, 17:01 | |
| « Pourquoi penses-tu que j’ai amené le dessert ? Je me suis dis que tu t’étais peut-être améliorée, ça ne sent pas le brulé et la cuisine n’est pas en feu. » Tout ce qui lui répond c’est un rire désabusé qui se positionne clairement : elle n’a aucune idée de comment Jessian peut encore lui faire confiance avec tout ce qui touche à la nourriture. Dans le monde culinaire, Grace est un peu un Midas inversé : tout ce qu’elle touche se transforme en pourriture immangeable. Mais ce soir, elle s’est appliquée, parce qu’elle a toujours envie de se dépasser pour Jessian, pour lui plaire, pour une raison qu’elle préfère ne pas s’expliquer. Elle ne sait pas ce qui l’attire autant chez Jess, si c’est cette nostalgie qui les lie par-delà leurs vies actuelles, un renouveau des sentiments qui n’ont pas eu le temps de se conclure d’eux-mêmes, ou simplement une entente trop belle pour n’être que ça… Grace joue avec le feu, elle le sait. Retomber dans les émotions de l’époque revient à en attendre la même chose et c’est injuste de sa part. Elles ne sont plus comme ça, ni l’une ni l’autre ; l’une a un enfant issue d’un divorce tumultueux, l’autre sort d’une relation qui l’a trop marquée pour qu’elle se relance dans une autre, sans savoir pour autant cadrer sa proximité avec Lola… Tant d’éléments auxquels elle devrait faire face un jour, mais jusqu’à ce soir, et ce soir encore, elle n’y pense pas.
“Rencontrer Kaitlyn, c’était… Bizarrement, c’était exactement ce que je m’imaginais. Une femme grande, impressionnante, qui sait ce qu’elle veut. Elle en impose, j’avais l’impression d’avoir trois ans face à elle.”
Elle en rit, mais c’est d’habitude le rôle qui lui est réservé. Grace est connue pour ses méthodes retorses, son inflexibilité et son perfectionnisme au travail : rarement rencontre-t-elle son égal et se sent-elle impressionnée par la personne en question. La conversation embraye naturellement sur son incursion dans l’érotique : “Je sais pas si je retenterai. Peut-être, c’était sympa. Mais sûrement avec d’autres réalisateurs… On n’a pas forcément accroché, avec celle-ci. Personnalités trop incompatibles, j’imagine.” Trop similaires, surtout : deux fortes têtes dans la même pièce, ça avait tendance à prendre de la place, surtout quand l’une d’elles avait autant d’orgueil que la photographe… “Mais il me reste pleins de choses à découvrir”, conclut-elle. Bref : affaire à suivre, et clairement pas sa priorité, avec l’exposition qui se prépare. Grace va plutôt récupérer les cadeaux ramenés d’Islande qu’elle aurait dû lui offrir il y a des semaines déjà, mais qu’elle oubliait systématiquement. Jessian la prend dans ses bras, et elle se retrouve à serrer un peu plus fort, s’attarder dans l’étreinte, savourer la marque brûlante que laissent ses lèvres sur sa joue. “Oh, c’était top.” Jongler entre la semaine passée en Islande et la soirée présente est un exercice mental conséquent. “Tu verras quelques photos à l’exposition, si tu viens. Pour les autres, j’ai pas encore trié, mais je t’en montrerai plus tard.” Elle en profite pour placer l’exposition : il lui semble impensable de ne pas inviter Jessian. Après tout, c’est avec elle qu’elle a fait ses premiers pas dans le monde de la photographie, Jessian devant l’objectif et elle derrière… “Je la connais de Brisbane, en fait. Enfin, d’un peu avant. Tu sais, je t’avais dit qu’à l’époque je venais toutes les semaines pour mes séances à l’hôpital ? Pendant ce temps, Jeremy avait des sessions d’art-thérapie. C’était sa prof, on s’est rapprochées quand j’ai emménagé.” Des mois après avoir appris à connaître Lola de manière personnelle, elle a du mal à la relier à la prof qui lui était alors si antipathique. Et en rétrospective, elle aurait eu tout le mal du monde à s’imaginer organiser une exposition avec la personne qu’elle pensait connaître à l’époque.
La jeune femme repose son verre sur la table basse et s’accoude au dossier du canapé pour mieux regarder son invitée. Elle écoute ses nouvelles avec attention : entre international et engagements associatifs, la carrière de Jess a l’air de battre son plein. “C'est génial, ça. C'est à St-Vincent's ? Si on se croise, j'ai le droit à une photo avec Jasmine même si j’ai trente ans ?” Regard taquin sous moue suppliante. “Ca consiste en quoi ? Tu leur lis des histoires, tu leur racontes des blagues, tu discutes juste avec eux ?” Elle qui n’a d’engagement associatif qu’à la SPA du coin a du mal à voir comment ces missions se déroulent. Elle y aurait pensé, si seulement elle n’était pas écoeurée de l’hôpital, à force d’en arpenter ses couloirs deux fois par semaine. « A part ça, Abel m’a fait comprendre qu’il aimerait que l’on remette à plat la garde de Morgane pour emprunter un nouveau rythme où Morgane serait plus avec lui et… Je comprends mais en même temps, ne pas avoir Morgane avec moi tous les jours c’est juste inimaginable. » La photographe contemple un instant cet aveu de peur en demi-teinte. “Oh.” Elle essaie avec peine de se projeter : elle n’a jamais été confrontée à cette situation. En d’autres situations, elle aurait fait fi de ce problème pour se concentrer sur comment changer les idées de Jessian, mais elle sent bien que celle-ci a besoin d’en parler. Qu’importe sa maladresse : il faut qu’elle l’aide et trouve un parallèle à faire. Garde partagée de Kim Possible ? Aucun rapport. Force est de constater, au final, que le problème se retourne : “Tu sais, de mes parents, mon père était le plus apte à s’occuper de nous, et c’est ce qu’il a fait. Ma mère savait pas cuisiner, ni jouer avec nous, elle n’était jamais là, on n’a jamais trop su se confier à elle. Elle se rattrape avec Lena, mais pour Jeremy et moi…” Elle hausse les épaules imperceptiblement, pas à l’aise avec le sujet, ni le fond ni la forme. “C’était logique que notre père s’occupe de nous, parce qu’il savait faire. Il nous a inculqué le respect, la patience, il jouait avec nous, il m’a poussé à faire des études et à les quitter en se rendant compte que ça me rendait pas heureuse. J’ai plus grandi avec lui qu’avec ma mère, et souvent je le remercie, parce que je sais pas quelle foire ça aurait été autrement.” Elle revoit Alexis, ses paniques face à un Jeremy violent ou perturbé qu’elle ne savait pas comment calmer. A bien des égards, Grace avait joué son rôle auprès de sa fratrie. Et avec le recul, c’était exactement le problème.
“Pourtant, j’aurais aimé que ma mère soit plus présente. Malgré les bourdes, les incompréhensions, les engueulades. J’en aurais voulu plus, même. Parce qu’un seul parent, qu’importe combien il est plus apte à prendre soin de son gamin que l’autre, ça suffit pas.”
Elle pince ses lèvres entre elles. Peut-être que Jessian aurait aimé un regard plus compréhensif et de soutien qu’une vision objective et sûrement très éloignée de la réalité… “Mais ça dépend de beaucoup de choses. Tu le penses apte à s’occuper d’elle ?” Après tout, elle n’a pas entendu grand-chose d’Abel, mais l’idée qu’elle s’était faite du personnage n’était pas très rutilante : pointe de jalousie ? “Je veux dire : est-ce que Morgane est bien avec lui ? Elle n’est pas en danger ?” La question lui semble stupide, voire insultante. Elle se rattrape aussi vite que possible : “Tu le sais mieux que n'importe qui, en fait. De quoi tu as peur, au fond ?” |
| | | | (#)Ven 24 Avr 2020, 15:16 | |
| Malgré une fréquence de contact en augmentation depuis vos retrouvailles, chaque nouvelle rencontre amenait son lot de nouveautés dans la vie de l’une comme de l’autre. C’était étonnant comme le temps passait avec une vitesse folle et comme vous avanciez avec même sans vous rendre compte. Grace était de tous les fronts mais cela ne te surprenait pas. Tu te surpris à laisser un sourire nostalgique se peindre sur ton visage en l’écoutant te raconter ses derniers exploits. Il fut un temps où tu partageais presque tous ces exploits, où tu avais une place dans chaque petite histoire mais la vie en avait voulu autrement. « Rencontrer Kaitlyn, c’était… Bizarrement, c’était exactement ce que je m’imaginais. Une femme grande, impressionnante, qui sait ce qu’elle veut. Elle en impose, j’avais l’impression d’avoir trois ans face à elle. » Tu étais amusée par cette anecdote parce que tu n’avais pas le souvenir d’avoir vu Grace impressionnée par qui que ce soit à l’époque. Toi tu étais impressionnée par la belle brune et tu ne l’avais pas caché. Elle était tout ce que tu voulais être sans y arriver à l’époque. Alors imaginer Grace impressionnée par quelqu’un, c’était quelque chose. Mais c’était normal, elle admirait cette femme depuis plusieurs années. « Tu sais maintenant comment je me sentais au début quand on s’est rencontrées. » Ajoutas-tu sur le sujet. Tu ne sais pas si Grace s’était rendue compte de l’impact qu’elle avait eue sur toi au moment de votre rencontre. Tu avais eu souvent l’impression de passer pour une idiote à ses côtés et tu t’étais souvent demandé ce que Grace t’avait trouvé. Son expérience dans la photographie érotique ne semblait pas s’être déroulée de la meilleure manière possible, du moins, assez mal pour qu’elle ne retente pas immédiatement l’expérience. « Je sais pas si je retenterai. Peut-être, c’était sympa. Mais sûrement avec d’autres réalisateurs… On n’a pas forcément accroché, avec celle-ci. Personnalités trop incompatibles, j’imagine. Mais il me reste pleins de choses à découvrir” » C’était une autre forme de photographie pour quelqu’un qui avait pris en photos des paysages, des joueurs de football et encore pleins d’autres choses. Ce qui était admirable avec la jeune femme c’était qu’elle ne se fermait aucune porte. Si l’opportunité se représentait, elle retenterait l’expérience. « Si jamais tu as besoin de modèles, tu sais où me trouver. » Lui dis-tu avec un clin d’oeil même s’il était évident que pour l’instant, elle préférait se focaliser sur d’autres projets. En t’amenant les cadeaux qu’elle avait ramenés d’Islande, Grace te rappela qu’elle avait quitté le territoire récemment. « Oh, c’était top. Tu verras quelques photos à l’exposition, si tu viens. Pour les autres, j’ai pas encore trié, mais je t’en montrerai plus tard. » Tu n’avais jamais été en Islande. Cela s’expliquait certainement par l’absence de plages sur ce pays et par une occasion qui ne s’était jamais présentée. Mais de ce que tu connaissais de ce pays, cela ne te surprenait pas que Grace ait adoré. « Je ne dis pas non au visionnage de quelques photos, je n’ai jamais eu l’occasion d’y aller et ça a l’air magnifique. » Tu prends le temps de remercier Grace pour ton cadeau et celui de Morgane qu’elle adorera quand tu le lui donneras demain. Grace ne peut pas le savoir mais c’est bientôt son anniversaire et elle ne dit jamais non quand il est question de s’entraîner à ouvrir des cadeaux. Curieuse de cette exposition que Grace prépare, tu joues la curieuse sur sa partenaire : « Je la connais de Brisbane, en fait. Enfin, d’un peu avant. Tu sais, je t’avais dit qu’à l’époque je venais toutes les semaines pour mes séances à l’hôpital ? Pendant ce temps, Jeremy avait des sessions d’art-thérapie. C’était sa prof, on s’est rapprochées quand j’ai emménagé. » Le mot ‘rapprocher’ pouvait vouloir dire tout et rien à la fois. Tu essayais de lire entre les lignes mais tu n’avais pas envie de trop en faire non plus. Tu réalisais soudain que tu ne connaissais rien de la vie amoureuse de Grace aujourd’hui et depuis que vous vous étiez quittées. Elle avait mentionné une relation lors de vos retrouvailles, une relation terminée mais rien de plus. « C’est toujours plus sympa d’avoir quelques visages connus quand on arrive dans une nouvelle ville. Elle fait de la photo elle aussi ? Elle photographie quoi ? » Lui demandas-tu curieuse comme pour avoir un trailer de ce qui t’attendra lorsque tu te rendras à cette exposition. Tu faisais confiance à Grace, elle ne mettrait jamais son nom à côté de quelqu’un qui n’avait pas de talent.
Ce fut ensuite à toi de donner de tes nouvelles et tu confiais à Grace tes premiers pas dans une oeuvre de charité. Cela sembla intéresser la jeune femme : « C'est génial, ça. C'est à St-Vincent's ? Si on se croise, j'ai le droit à une photo avec Jasmine même si j’ai trente ans ? » Tu secoues la tête à la question narquoise de ton amie mais tu lui réponds : « Bien sûr que tu pourras, tu devrais savoir que je ne dis jamais non à une photo. » C’était la vérité, tu n’avais jamais été timide derrière un appareil photo peu importe que tu te sentes bête habillée en Jasmine. « Ca consiste en quoi ? Tu leur lis des histoires, tu leur racontes des blagues, tu discutes juste avec eux ? » Tu commençais petit à petit à prendre tes marques pour les différentes activités proposées mais il fallait avouer que tu t’étais engagée sans savoir exactement ce que tu allais faire, tu avais fait confiance aux personnes t’acceptant en te disant qu’elles se disaient forcément que tu pouvais le faire. « C’est ça. En fait ça dépend de chaque enfant. On essaie de leur proposer ce qui leur plaira le plus. Pour l’instant j’ai surtout parlé avec eux, je leur ai lu des histoires, on a joué ensemble aussi et ils m’ont fait chanter. » Heureusement que c’était en tout petit comité, tu n’étais pas encore prête pour les numéros collectifs. « Mais il y a des numéros plus élaborés qui peuvent se mettre en place avec d’autres membres pour créer une sorte de spectacle mais je n’en suis pas là. » Pour l’instant tu prenais tes marques, tu avais le temps de découvrir le reste. « Je suis terrifiée à l’idée de mal faire mais étrangement, les enfants semblent surtout à la recherche de compagnie. Leurs parents ne peuvent pas être là à toute heure de la journée. » Souvent, leurs parents travaillaient d’arrache pied pour payer les soins non couverts par les assurances. Plus tu passais de temps à l’hôpital, plus tu prenais conscience de réalités auxquelles tu n’avais pas été confrontées. Tu confiais ensuite à Grace le souhait de plus en plus pressant d’Abel de modifier votre accord de garde de Morgane. C’était quelque chose qui te turlupinait depuis quelques temps et même si Abel n’en avait pas parlé, tu savais qu’il y pensait. « Tu sais, de mes parents, mon père était le plus apte à s’occuper de nous, et c’est ce qu’il a fait. Ma mère savait pas cuisiner, ni jouer avec nous, elle n’était jamais là, on n’a jamais trop su se confier à elle. Elle se rattrape avec Lena, mais pour Jeremy et moi… C’était logique que notre père s’occupe de nous, parce qu’il savait faire. Il nous a inculqué le respect, la patience, il jouait avec nous, il m’a poussé à faire des études et à les quitter en se rendant compte que ça me rendait pas heureuse. J’ai plus grandi avec lui qu’avec ma mère, et souvent je le remercie, parce que je sais pas quelle foire ça aurait été autrement. » Ton regard étonné se pose sur Grace. Tu es étonnée qu’elle te parle ainsi de sa famille. Tu connaissais les grandes lignes de la famille Coughlin mais elle ne t’avait jamais parlé de tout ça aussi ouvertement. « Pourtant, j’aurais aimé que ma mère soit plus présente. Malgré les bourdes, les incompréhensions, les engueulades. J’en aurais voulu plus, même. Parce qu’un seul parent, qu’importe combien il est plus apte à prendre soin de son gamin que l’autre, ça suffit pas. » Tu le sais et c’est ça le pire. Tu es celle qui a insisté pour donner ce week-end par mois à Abel quand il a débarqué à Brisbane alors que tes parents ont insisté pour que tu ne le fasses pas. Justement parce que tu étais persuadée que Morgane avait besoin de son père. Tu soupires et tu passes une main dans tes cheveux alors que Grace te demande : « Mais ça dépend de beaucoup de choses. Tu le penses apte à s’occuper d’elle ? Je veux dire : est-ce que Morgane est bien avec lui ? Elle n’est pas en danger ? Tu le sais mieux que n'importe qui, en fait. De quoi tu as peur, au fond ? » Des reproches à faire à Abel tu en as des milliers. Sur des sujets variés et qui touchent un peu à tout ce que vous avez vécu ensemble mais tu ne peux rien lui reprocher en ce qui concerne Morgane. Jamais il ne la mettra en danger, tu en es sûre et certaine. « Morgane n’est pas en danger avec Abel, elle ne le sera jamais. S’il y a une chose sur laquelle je lui fais encore confiance, c’est ça. Il fera des erreurs, comme tous les parents je suppose mais Morgane ne sera jamais en danger, ce n’est pas vraiment ça la question. » Tu ne sais pas vraiment de quoi tu as peu en vérité. Avoir Morgane plus souvent chez son père voulait dire plus de temps pour toi pour vivre la vie de jeune femme que tu aimerais avoir par moment. Et pourtant … « Je sais que Morgane a besoin de son père. On en a jamais parlé mais si elle le voit aussi régulièrement aujourd’hui c’est parce que j’ai insisté, tout mon entourage essayait de me convaincre de faire sortir Abel de sa vie. » Tu soupires en repensant à tous ces moments où tu as dû t’affirmer, où tu savais que tu décevais tes parents mais où tu ne voulais pas faire de compromis. « Je suis juste habituée à l’avoir tout le temps avec moi, ma vie s’est organisée autour de Morgane et si elle n’est plus là … » C’était certainement le problème de tous les parents célibataires. Réapprendre à avoir une vie en dehors de leurs enfants. « J’ai pas envie de me rendre compte qu’en dehors de Morgane je n’ai peut-être plus grand chose. » Dis-tu dans un murmure car tu n’étais même pas certaine de ce que tu étais en train d’avouer.
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| | | | (#)Ven 24 Avr 2020, 22:23 | |
| « Tu sais maintenant comment je me sentais au début quand on s’est rencontrées. » Grace la regarde avec une surprise non-dissimulée mais non, Jessian ne se moque pas d’elle. Elle est tentée d’en rajouter une couche, mais elle n’arrive qu’à s’exclamer : “Sérieusement ? J’étais une sale gosse ! Une sale gosse beaucoup trop fière, en plus. Tout ce que j’avais d’impressionnant, c’était ma grande gueule.” Elle en rit, et pourtant elle n’a pas tant changé que ça depuis l’époque. Elle a mûri, a gagné en humilité, mais le fond reste similaire : elle ne sort son assurance que d’un gros ego. Mais alors elle se rappelle de Jessian, timidité incarnée, à peine déracinée de ses parents… “Faut dire que j’essayais un peu de t’impressionner, aussi. Je comprends toujours pas comment t’as fait pour ne pas voir que je te draguais.” Et pourtant, ce n’était pas faute d’avoir essayé : immédiatement, Jessian avait plu à l’aînée. Peut-être pour sa candeur, son renfermement qu’elle avait envie de percer pour l’amener avec elle dans ses conneries…
« Si jamais tu as besoin de modèles, tu sais où me trouver. »
Cette fois, c’est à elle de manquer de s’étouffer avec son jus de pêche. Elle ne peut s’empêcher de sourire face à son clin d’oeil, moitié tentée, moitié surprise. “C'est une vraie proposition ? Parce que je vais te prendre au mot.” Si c'est le cas, Grace ignore si c'est une bonne idée ou non. La dernière des choses dont elle a besoin, c'est de retomber encore davantage dans le passé et s'accrocher à des chimères. Mais ce soir, le risotto sent bon, elle est de bonne humeur, et elle est loin de toute considération de bien-être ou de raisonnable pour elle-même. Les deux jeunes femmes passent à l’Islande, aux cadeaux et à l’exposition qui se prépare et, irrémédiablement, la conversation dévie vers Lola. “Elle est peintre, en fait. Je ne saurais te dire exactement de quoi, je n’ai encore vu aucune de ses toiles. Mais elle dessine beaucoup, aussi, et elle est très douée.” Le croquis qu’elle avait surpris d’elle-même avait été plutôt flatteur, presque même trop. Enfin, l’idée que les deux jeunes femmes puissent se rencontrer à l’exposition la percute comme une claque au réveil, et Grace ne sait quoi penser de la perspective, si ce n’est qu’elle n’aime pas mêler des mondes aussi différents et confus à la fois.
La conversation passe au volontariat à l’hôpital, puis à Abel et Morgane, et Grace tente maladroitement d’offrir un conseil à Jessian - elle qui n’a aucune expérience avec les enfants, si ce n’est sa mère et ses frères et soeurs, est bien incapable de guider la jeune femme dans la réflexion et pour la première fois, le fossé des années qui s’est creusé entre elles la frappe. Parfois, elle a tendance à oublier à quel point leurs chemins se sont éloignés depuis l’époque, combien les considérations de leur vie respective se sont diversifiées. Evoquer sa famille de façon si précise et ouverte face à Jessian est une première pour elle : elle n’aime pas s’étaler sur ce qu’elle considère une structure propre à eux et non-perfectible, de peur de l’étaler aux critiques de regards extérieurs. Elle n’aime pas l’idée qu’on dénigre sa mère, ou qu’on la félicite pour quelque chose qu’elle avait toujours considéré comme une évidence, en la plaignant pour son manque d’enfance : elle s’était largement rattrapée une fois jeune adulte. Tout comme sa mère avait fait de son mieux. Elle le comprenait, même si leur lien était encore entièrement à construire. « Morgane n’est pas en danger avec Abel, elle ne le sera jamais. S’il y a une chose sur laquelle je lui fais encore confiance, c’est ça. Il fera des erreurs, comme tous les parents je suppose mais Morgane ne sera jamais en danger, ce n’est pas vraiment ça la question. » Grace opine du chef, un peu plus confuse encore : le principal problème qu’elle imaginait n’existe visiblement pas, et toute entrave face à un changement d’accord de garde lui reste floue. « Je sais que Morgane a besoin de son père. On en a jamais parlé mais si elle le voit aussi régulièrement aujourd’hui c’est parce que j’ai insisté, tout mon entourage essayait de me convaincre de faire sortir Abel de sa vie. » Nouveau hochement de tête : elle se rappelle que Jessian lui a mentionné qu’Abel était venu refaire sa vie en Australie pour sa fille. Elle imagine Jessian en position d’adversité, face à des parents désapprobateurs, des amis inquiets, des proches trop protecteurs.
« Je suis juste habituée à l’avoir tout le temps avec moi, ma vie s’est organisée autour de Morgane et si elle n’est plus là … »
Et alors que Jessian termine sa phrase dans un murmure, Grace prend conscience du problème : la peur du vide, de n’avoir rien à faire d’autre une fois qu’une extension de soi n’était plus là pour prendre le moindre de votre temps libre et réclamer toute votre attention. “Pourquoi tu n'aurais pas grand-chose ?” demande-t-elle. Peut-être la question semble bête, pour quelqu’un qui aurait connu le problème. “T'as une carrière très active. Si ça se trouve, cette nouvelle liberté va même te permettre de décrocher plus gros, plus long...” Elle parle, et plus elle parle plus elle se demande à quel point elle peut se fourvoyer. La solitude dont parle Jessian, celle qu’elle appréhende tant, c’est la même qui enveloppe Grace depuis qu’elle a quitté l’appartement avec son frère et balancé sa relation avec Alexandria pour emménager ici : une solitude qui ne se contente pas d’arriver dans les moments vides, les moments de flottement, mais qui enveloppe jusqu’à empêcher de faire le reste, de ne serait-ce que s’y motiver. Elle poursuit, pourtant : “Tu as l'hôpital, maintenant.” Un index se lève. Elle est bien partie pour énumérer sur ses doigts. “Tu peux adopter un chat, même. Crois-moi, ça tient énormément compagnie, quand ça tire pas la gueule et que ça grimpe pas sur tes rideaux de douche…” rigole-t-elle. C’était une chose qu’elle ne regrettait pas, ceci dit : avoir un animal de compagnie la forçait à se lever pour prendre soin de quelqu’un d’autre qu’elle, débarrasser la litière sous peine de mourir intoxiquée par l’odeur. Mais là encore, peut-être Jessian n’en viendrait pas au même stade de désespoir qu’elle.
“Tu as personne dans ta vie ? Ce sera peut-être l'occasion de faire des rencontres, de te redécouvrir en tant que femme et plus te limiter à ton rôle de mère...”
L’annulaire se lève : et de quatre, semble-t-elle dire, victorieuse, mais le questionnement est réel. Elle se rend compte qu’elles n’ont jamais abordé le sujet : elle sait que Jessian ne vit avec personne, parce qu’elles ont abordé ce point le soir de leurs retrouvailles ; du reste, elle n’en sait rien. Et depuis le temps, une relation plus sérieuse a eu le temps de s’établir. |
| | | | (#)Lun 27 Avr 2020, 10:34 | |
| Revenir sur le passé, faire des parallèles, c’était plus fort que toi. Ce n’était pas toujours simple de faire la part des choses, de reconstruire une relation dans un présent où vous étiez les mêmes mais totalement différentes en même temps. Etrange sensation, équilibre inexistant. « Sérieusement ? J’étais une sale gosse ! Une sale gosse beaucoup trop fière, en plus. Tout ce que j’avais d’impressionnant, c’était ma grande gueule. Faut dire que j’essayais un peu de t’impressionner, aussi. Je comprends toujours pas comment t’as fait pour ne pas voir que je te draguais. » A l’époque, tu sortais d’un milieu et d’une éducation qui t’avaient surprotégée, qui t’avaient aussi fermée à certaines réalités comme celle qu’une femme puisse te draguer. Tu te souvenais avec nostalgie de la Jess rougissante et légèrement prude que tu avais été. C’était un autre temps, un temps où tu étais naïve et terriblement impressionnable … « Si tu rencontrais mes parents, tu comprendrais mieux pourquoi j’étais impressionnée et aveugle. J’ai toujours été attirée par les fortes personnalités et c’était impensable pour moi d’être attirée par une femme à l’époque. » Dis-tu en haussant les épaules. Tu en avais parlé avec Grace au début de ce que vous aviez partagé. Parce que tes hésitations, tes premières fois avaient été remplies de doutes et d’anxiété. Tu aimais dire que tu étais courageuse mais aller à l’encontre de tout ce que l’on t’avait inculqué, cela n’était pas simple, malgré le plaisir que cela t’avait procuré. « Et puis j’avais dix-sept ans, j’étais un bébé. » Ajoutas-tu un sourire amusé sur les lèvres. Grace n’était pas beaucoup plus âgée que toi mais elle avait vu plus de choses, avait eu plus d’expérience. Quand elle te parla de son expérience de photographie érotique, tu lui proposais tes services comme mannequin et elle te demanda étonnée : « C'est une vraie proposition ? Parce que je vais te prendre au mot. » Ça l’était, une vraie proposition. Tu n’avais pas pour habitude de mentir ou de dire ce que tu ne pensais pas, ce serait cruel. Tu n’avais jamais été capable de résister à te retrouver derrière une caméra et encore plus quand Grace se trouvait de l’autre côté de l’objectif. « Bien sûr que c’est une vraie proposition. Si jamais tu décides de te lancer de nouveau. » Lui dis-tu avec un clin d’oeil car tu avais bien compris que c’était loin d’être son projet principal du moment. Son projet actuel était plutôt centré sur l’exposition qu’elle comptait mettre en place avec une amie et tu ne pouvais cacher ta curiosité sur le sujet : « Elle est peintre, en fait. Je ne saurais te dire exactement de quoi, je n’ai encore vu aucune de ses toiles. Mais elle dessine beaucoup, aussi, et elle est très douée. » Tu essayais de dissimuler ta surprise car tu n’étais pas une spécialiste mais tu pensais que quand on exposait avec quelqu’un, c’était que l’on pouvait être sûr de la qualité des travaux de la personne en question. Il devait y avoir entre elles une forme de confiance, quelque chose qui se cachait et que tu n’arrivais pas à déceler, sur lequel tu n’arrivais pas à mettre un mot. Tu n’en parlais pas cependant, ce n’était pas à toi d’amener le sujet si Grace n’avait pas envie de le faire. « Ce sera donc la surprise pour tout le monde lors du vernissage de cette exposition. » Lui dis-tu un petit sourire sur les lèvres n’ajoutant rien. Une chose était certaine, ce vernissage allait te permettre de voir les deux jeunes femmes interagir et tu pourras ainsi répondre aux questions que tu te posais ou probablement une partie d’entre elles.
Cela ne te dérangeait pas de parler d’Abel. Il n’était pas ton sujet préféré mais cela ne te dérangeait pas. Pourtant, ce n’était pas vraiment le fond de ton problème. Lui laisser plus de temps avec Morgane, c’était la bonne chose à faire, tu le savais au fond, mais tu avais peur de ce que cela voulait dire pour toi. Il y a certaines vérités que l’on peut se cacher sans trop de difficultés alors que d’autres sont plus difficiles à admettre. Mais Grace avait raison, tu savais ce qui te faisait peur. « Pourquoi tu n'aurais pas grand-chose ? T'as une carrière très active. Si ça se trouve, cette nouvelle liberté va même te permettre de décrocher plus gros, plus long... » Peut-être, peut-être pas. Tu sais ce que veut dire plus gros, ça veut dire un engagement à cent pour-cent, ça veut dire une année passée à voyager et tu sais que ce ne sera pas possible, pas tant que Morgane est enfant en tout cas. Mais il est vrai que tu pourras certainement décrocher plus de contrats et que cela pourra t’occuper. « Tu as l'hôpital, maintenant. Tu peux adopter un chat, même. Crois-moi, ça tient énormément compagnie, quand ça tire pas la gueule et que ça grimpe pas sur tes rideaux de douche… » Ah le sujet des animaux de compagnie … Morgane serait ravie que tu finisses par en prendre un mais tu n’avais pas vraiment envie de devoir être responsable d’un autre être que ta fille. Cela te suffisait amplement et si tu décrochais plus de contrats, cela voudrait dire moins de temps passé à la maison. « Tu as personne dans ta vie ? Ce sera peut-être l'occasion de faire des rencontres, de te redécouvrir en tant que femme et plus te limiter à ton rôle de mère... » Tu ne t’es jamais limitée à ton rôle de mère, du moins pas vraiment. Tes parents te reprochent assez tes sorties nocturnes pour le prouver. Mais tu n’as jamais envisagé autre chose que des histoires de passage, que des personnes que tu laisses entrer dans ta vie quelques heures avant qu’elles ne disparaissent et qui ne connaissent de toi que ce que tu veux bien leur montrer. Est-ce que tu veux autre chose ? Tu n’en sais rien. Mais tu as fini par te laisser définir par ton rôle de mère et lâcher du leste te fait extrêmement peur, te terrifie. « Non, je n’ai personne dans ma vie. Entre Morgane, la reprise de ma carrière, mon divorce, c’était plus facile de ne rien chercher. » Parce que tu n’avais pas arrêté d’aimer Abel soudainement, sans prévenir. Tu l’aimais encore toujours, d’une certaine manière mais c’était différent aujourd’hui. « Je n’ai pas joué à la Sainte Nitouche ces quatre dernières années mais je n’ai jamais laissé la possibilité à quelque chose de sérieux. Avec Abel, on a tout fait trop vite, je n’avais pas envie de replonger dans tout ça. » Tu avais eu envie de profiter et c’était ce que tu avais fait, sans te mettre aucune limite. Mais il était peut-être temps de grandir de nouveau, ou pas, tu ne savais pas très bien. « Et mes parents ne savent toujours pas que je suis bisexuelle, c’est un autre problème que je vais devoir régler. » Lâchas-tu sans réellement prévenir car c’était un problème de taille pour toi alors que tu refuses de te limiter des tes potentielles rencontres pour leur faire plaisir. « Je trouverai bien à m’occuper, mon manager sera ravi de savoir que je serai plus disponible. » Dis-tu en secouant la tête. Et puis parce que c’était de bonne guerre, tu demandais à Grace : « Et toi ? Tu as quelqu’un dans ta vie ? » Posé de manière innocente, Grace n’était peut-être pas si libre que toi.
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| | | | (#)Mer 29 Avr 2020, 00:58 | |
| « Si tu rencontrais mes parents, tu comprendrais mieux pourquoi j’étais impressionnée et aveugle. J’ai toujours été attirée par les fortes personnalités et c’était impensable pour moi d’être attirée par une femme à l’époque. » C’est vrai qu’à leur première rencontre, Jessian lui avait donné l’impression d’une personnalité pas encore entièrement affirmée - avide de nouveauté, de sensations, sans savoir les réclamer ou s’autoriser à les recevoir. Elle s’était demandée, plus récemment, si ce n’était pas la malléabilité de sa personnalité qui l’avait alors autant attirée : Grace aussi, sortait de sa propre prison, prête à empiler les conneries tout en en ayant déjà un bon nombre à son actif. Ni l’une ni l’autre n’avaient beaucoup parlé famille au cours de leur demi-relation, mais elle avait rapidement perçu, au fil des histoires filées, que la famille de Jessian n’était ni des plus relâchées, ni des plus tolérantes. Elle ignorait d’où lui venait cette tendance à trouver des personnes qui, à son contraire, avaient autant de mal à s’affirmer, à moins que ce ne soit un propre à la communauté LGBTQ+ dans un pays qui se voulait tolérant sans savoir encore exactement comment l’être.
« Bien sûr que c’est une vraie proposition. Si jamais tu décides de te lancer de nouveau. »
Aujourd’hui, l’audace de Jessian pour des sujets qui autrefois l’auraient faite rougir profusément ne l’étonne même plus. L’eau a coulé sous les ponts, mais Grace sait que c’est en partie grâce à elle que Jess s’est ouverte au monde et elle s’en félicite. “Ca peut me tenter, alors”, se borne-t-elle à répondre avec son sourire taquin. Après tout, Jessian avait toujours été son modèle préféré.
Elle se retrouve à devoir s’étendre sur l’exposition avec Lola, alors qu’elles n’ont encore que des ébauches de salles à visiter dans divers quartiers et qu’elle n’a encore sélectionné que quelques photos qu’elle voulait montrer. La jeune photographe sent la surprise dans le ton de Jessian : un choix audacieux, d’exposer avec une personne dont elle n’avait vu que les croquis, mais Grace fait entièrement confiance à Lola sur son art, qu’importe comment elle le gère. Autant d’émotions si savamment tournées en une seule personne ne pouvaient que créer des oeuvres explosives. “Presque la surprise, en tout cas. Je dois voir ses oeuvres la semaine prochaine. Toi, t’auras peut-être droit à une avant-première, si t’es sage et que tu insultes pas mon risotto.” Ses yeux se creusent en croissants de lune, et elle se sent obligée de marquer la pause pour aller vérifier l’état du plat : bientôt prêt.
« Non, je n’ai personne dans ma vie. Entre Morgane, la reprise de ma carrière, mon divorce, c’était plus facile de ne rien chercher. Je n’ai pas joué à la Sainte Nitouche ces quatre dernières années mais je n’ai jamais laissé la possibilité à quelque chose de sérieux. Avec Abel, on a tout fait trop vite, je n’avais pas envie de replonger dans tout ça. »
Grace hoche la tête, compréhensive. Elle présume qu’elle peut compatir avec une telle situation, à des lieues de la sienne et en même temps, pas si éloignée que ça. Elles n’ont jamais mentionné à coeur ouvert leurs échecs en relation, mais elle s’est plusieurs fois identifiée à la douleur qui imprégnait le ton de Jessian lorsqu’elle parlait de l’échec de sa relation avec Abel. « Et mes parents ne savent toujours pas que je suis bisexuelle, c’est un autre problème que je vais devoir régler. » Cette fois, c’est à Grace d’être surprise : après autant de temps, elle aurait naïvement pensé que c’était chose faite. Peut-être plus tôt n’aurait-elle pas compris une telle réticence, elle si privilégiée dans son environnement familial ; aujourd’hui, après avoir côtoyé et rompu avec Alexandria pour ce motif, après avoir connu Mira exclue par ses amis pour une sexualité incertaine et Heather complètement répudiée par la presse, sa vision avait bien évolué. “Tu ne l’as pas encore fait parce que tu préfères attendre d’avoir quelqu’un à leur présenter ? Ou c’est juste toujours aussi compliqué ?” Chance ou pas, elle admire la patience des personnes qui, à leur âge, n’ont toujours pas fait leur coming-out. Elle ne peut qu’en imaginer la souffrance : il aurait été impensable pour elle de cacher une partie aussi importante de sa vie pendant aussi longtemps à ses proches. Et quand Jessian lui retourne la question des relations, pourtant, elle se demande ce qu’il y a qu’elle ne cache pas vraiment. La souffrance aussi, c’est difficile à garder pour soi. “C'est complexe.” Elle sait que ça ne sera pas suffisant, mais elle ignore comment présenter la chose autrement. Après un court silence, elle reprend, tente une explication concise : “Mais je peux faire le parallèle avec toi, en fait. Je sors de quatre ans de relation, et à peine un an après j'ai pas forcément le courage de me relancer dans quelque chose d'aussi important.” Plutôt la peur, surtout ; une trouille dont elle n'arrivait pas à se débarrasser malgré une envie présente. Envie à cause de sa peur du vide, ou envie véritable ? Dur de le savoir. Dans tous les cas, pour le moment, il fallait qu'elle parvienne à s’imaginer seule.
“C'était sûrement pas aussi complexe. Pas de divorce, pas d'enfants, rien de trop compliqué, la preuve c'est que j'ai emménagé sans problème pour refaire ma vie ici mais...”
Haussement d'épaules. Au niveau émotionnel, c'était taxant. Elle ne sait même pas si c'est l'AVC qui a rendu le processus psychologique aussi laborieux, mais il a fallu se détacher d'une idée d'avenir, d'une certitude ancrée, en plus de se détacher d'une personne. Il a fallu revenir sur des croyances chimériques et avouer qu'elle avait eu tort. C’était un travail suffisamment compliqué pour s’avouer par-dessus le marché qu’elle avait développé des sentiments pour Lola. Et ce flou relationnel dans lequel elles se tenaient la main et s’embrassaient sans que rien n’ait de nom par-delà l’amitié ne l’aidait pas à faire la part des choses. Le spectre d’Alexandria, toujours, qui l’empêchait d’avancer. “C'était la première fois que je me projetais autant, tu sais. Et la première fois que j'étais dans une relation exclusive sans avoir peur de ce que ça signifiait.” Jusque là, son grand truc, ça avait été les relations ouvertes – et, qu'elle aille vraiment voir ailleurs ou qu'elle n'en ait pas la moindre envie, elle avait toujours la possibilité comme point d'ancrage : elle ne serait jamais enfermée. Cette envie de liberté, elle l'avait peu à peu quittée avec Alexandria. Si les premiers mois avaient été similaires à ceux de ses autres relations, les deux jeunes femmes s'étaient vite rendues compte qu'elles n'avaient aucune envie de partager l'une l'autre. Et puis, au fil du temps, le reste était venu. Du moins, ça avait caressé l’esprit de Grace, comme une idée en l’air puis comme une volonté : envie d’emménager, de voir plus loin que les mois prochains. Dure avait été la chute. Grace se redresse sur le canapé, réalise que le risotto les attend encore. Une main lui cache la bouche, tic pour voiler ses émotions, et quand elle le réalise, elle en rit : “On est deux grandes handicapées émotionnelles, hein ?” Comme à l’époque, songe-t-elle en caressant distraitement le bras de Jess, sauf qu’à l’époque rien ne semblait aussi compliqué.
“On va manger ?”
Elle s’extirpe du canapé avec une difficulté visible (ça lui apprendra, à délaisser ses étirements quotidiens), vérifie une dernière fois le plat avant de l’amener sur la petite table aménagée à distance du canapé, glisse un regard tentant : “Bon, j’ai théoriquement pas le droit au vin, mais y a moyen que ça cache un peu le goût du risotto. Tu prends un verre avec moi ?” Là aussi, Grace s’est bien retenue de lui préciser que le pas d’alcool ne s’appliquait qu’une fois par pleine lune et, ayant vu l’inquiétude de la jeune femme la première fois qu’elle avait abordé le sujet, elle avait préféré ne pas mentionner ce détail. “La règle, c’est que même si c’est dégueulasse faut me le dire. Sinon je pourrai jamais m’améliorer”, dit-elle très sérieusement en servant le plat dans chaque assiette, suivi par le vin. “C’est la première fois qu’on trinque avec de l’alcool, alors : à nos retrouvailles”, déclare-t-elle. Etonnamment, le plat n’est pas trop mauvais.
“Jess, qu’est-ce qui t’a retenue de faire ton coming out pendant aussi longtemps ?”
Elle n’en vient pas tout de suite à la question la plus importante, et qu’elle ne peut pas poser directement à l’intéressée : est-ce que ce genre de confessions était réservée au moment où on était sûrs de vouloir passer une bonne partie du futur avec la bonne personne, auquel cas elle s’était complètement fourvoyée dans sa relation ? Est-ce que c’était un interdit pur et simple, qu’elle aurait dû comprendre sans discuter dès le début de la relation ? |
| | | | (#)Sam 02 Mai 2020, 15:58 | |
| « Ca peut me tenter, alors. » Ta réponse se dessine dans un sourire. Si Grace te faisait une proposition, tu l’accepteras sans hésiter si le projet qu’elle te présente est intéressant. L’essentiel c’était que Grace sache qu’elle pouvait compter sur toi, pour ce projet ou pour autre chose d’ailleurs. le projet actuel de la jolie brune est cette exposition qu’elle monte avec une amie. Il est évident que tu seras là pour la soutenir lorsque ce projet aura vu le jour, cela ne fait aucun doute. Tu cherches à en savoir plus et tu es légèrement surprise de savoir que Grace n’a pas vu les oeuvres de son amie mais il est évident que le lien qui les lie toutes les deux est assez fort pour que cela ne soit pas un problème. « Presque la surprise, en tout cas. Je dois voir ses oeuvres la semaine prochaine. Toi, t’auras peut-être droit à une avant-première, si t’es sage et que tu insultes pas mon risotto. » Un sourire amusé se dessine sur tes lèvres c’est plus fort que toi. Tu as terriblement envie de voir les derniers clichés de la jeune femme mais en même temps, garder le suspens jusqu’à l’exposition avait quelque chose d’excitant aussi. « Je ne te promets rien, tu sais très bien que je suis une piètre menteuse. » Lui dis-tu en levant tes deux mains à côté de ta tête. Tu pouvais mentir par omission mais pas beaucoup plus. Toutefois, tu doutais avoir besoin de le faire car le risotto sentait plutôt bon ce qui était un bon signe. La conversation perd ensuite de sa légèreté alors que tu confies à Grace avoir peur de laisser Morgane plus souvent chez son père. Ce n’était pas pour Morgane que tu avais peur mais pour toi et les changements que cela signifiaient dans ta vie. Quand tu confiais à ton amie ne pas avoir parlé de ta bisexualité à tes parents, sa surprise était évidente. A l’époque où tu avais rencontré Grace, tu découvrais cette partie de toi et tu vivais loin de tes parents, ce n’était pas une vraie question. Aujourd’hui par contre, c’était une forme de lâcheté bien particulière. « Tu ne l’as pas encore fait parce que tu préfères attendre d’avoir quelqu’un à leur présenter ? Ou c’est juste toujours aussi compliqué ? » C’était un peu des deux. Ta rencontre avec Abel, ton mariage, la naissance de Morgane, tout cela avait rendu non nécessaire cet aveu parce que tu pensais finir ta vie avec Abel à cette époque. A votre divorce, tu n’y avais pas réfléchi parce que Morgane était ta nouvelle priorité mais maintenant, tu savais que tu pouvais aussi bien rencontrer un homme ou une femme et vouloir commencer une relation. En tout cas tu ne te privais pas de ramener des personnes des deux sexes dans ton lit. « Les deux. Quand je me suis mariée, je pensais finir ma vie avec Abel alors la question ne se posait pas. Et depuis que je suis à Brisbane, c’est compliqué. » Dis-tu en soupirant. Ce n’est pas vraiment une réponse mais tu n’as pas envie de t’épanche sur le sujet tout de suite. A la place, tu écoutes Grace te parler de sa vie amoureuse à elle : « C'est complexe. Mais je peux faire le parallèle avec toi, en fait. Je sors de quatre ans de relation, et à peine un an après j'ai pas forcément le courage de me relancer dans quelque chose d'aussi important. C'était sûrement pas aussi complexe. Pas de divorce, pas d'enfants, rien de trop compliqué, la preuve c'est que j'ai emménagé sans problème pour refaire ma vie ici mais... C'était la première fois que je me projetais autant, tu sais. Et la première fois que j'étais dans une relation exclusive sans avoir peur de ce que ça signifiait. » Tu n’avais peut-être jamais expliqué combien de temps avait duré ta relation avec Abel. Ce que Grace avait vécu semblait assez étrangement bien plus complexe et profond que ce que tu avais vécu de ton côté. Ce n’était sans doute pas réellement le cas parce que même si cela avait été rapide, tes sentiments pour Abel avaient été réels et puissants mais vous n’aviez pas réussi à construire une vraie relation en dehors de la passion des premiers temps. « Abel et moi, de notre rencontre à notre divorce, ça a duré à peine plus d’un an et demi. » Avouas-tu à demi-mot. Tu avais parfois l’impression que cela avait duré bien plus longtemps mais ce n’était pas le cas. Il fallait être réaliste, vous aviez été trop vite sous toute la ligne. Mais contrairement à Grace, te lancer dans une relation exclusive ne te faisait pas peur. Tu comprenais ses craintes cependant. « La personne qui te donnera envie de te relancer dans une histoire sera celle qui te donnera une partie de son courage. Tout le monde a été blessé par une histoire. Jamais de la même manière, toujours un peu différemment mais on est tous marqués. » Et donc vous pouviez tous comprendre que l’autre n’était pas toujours sur la même longueur d’ondes. Certaines personnes guérissent plus vite que d’autres, certaines personnes n’ont pas à tout rationaliser mais chaque être humain est différent. « On est deux grandes handicapées émotionnelles, hein ? » Laissant échapper un petit rire, tu lui répondis : « J’en ai bien peur. » Et cela depuis votre première rencontre apparemment.
Quand Grace te propose d’aller manger, tu la suivis à table sans hésiter en attrapant ton verre vide de jus de pêche. « Bon, j’ai théoriquement pas le droit au vin, mais y a moyen que ça cache un peu le goût du risotto. Tu prends un verre avec moi ? » Tu hésites quelques secondes car tu ne veux pas que Grace mette sa vie en danger pour boire avec toi mais si c’est elle qui te le propose, tu ne peux pas lui dire non. « Avec plaisir ! » Tu n’es pas sa mère, c’est à elle de gérer sa vie comme elle l’entend alors tu lui fais confiance. Tu t’installes alors qu’elle amène le vin puis le risotto. Tu sers le vin pendant que Grace sert le plat et te fait promettre de ne pas mentir si tu trouves que cela n’est pas bon. Tu hoches la tête et tu trinques avec elle une fois que vous êtes toutes les deux installées face à face. Tu prends ensuite une bouchée du risotto avec une petite appréhension mais tu es soulagée quand tu mâches et que tu trouves cela très bon. Après quelques bouchées tu lui dis : « C’est pas le meilleur risotto que j’ai mangé mais il est bon. Tu vois, tu n’es pas un cas désespéré. » Lui dis-tu avec un clin d’oeil. Tu avais eu raison d’espérer que Grace se soit améliorée car c’était le cas. Tu pris une nouvelle bouchée de riz quand Grace posa son regard dans le tient et te demanda : « Jess, qu’est-ce qui t’a retenue de faire ton coming out pendant aussi longtemps ? » Tu prends le temps de mâcher ta bouchée et tu poses ta fourchette alors que tu avales. Tu n’as jamais parlé de ce sujet avec personne parce qu’avant aujourd’hui, il n’avait pas été question pour toi d’en parler. Tous tes proches, tes amis, tes collègues savaient que tu étais bisexuelle, c’était presque un miracle que tes parents n’aient jamais entendu une rumeur à ce sujet. Prenant une grande inspiration, tu lui répondis : « Quand on faisait le tour du monde, je pensais que jamais pus je ne retournerai à Brisbane. Je n’avais aucune envie de vivre dans cette ville et j’ai rapidement compris que le moins mes parents en savaient, le plus j’étais tranquille. En dehors de mes parents et de mon aînée, je ne l’ai jamais caché. Mes amis sont au courant, mon manager, Morgane également car je veille à ce qu’elle sache qu’elle peut aimer une fille comme un garçon, ça n’a pas d’importance. » Ce n’était pas une honte de ce que tu étais ni une honte d’un partenaire quelconque, c’était vraiment lié à tes parents. « Et puis j’ai emménagé à Londres, j’ai rencontré Abel et la question ne se posait plus parce que je devais passer le reste de ma vie à ses côtés. Mais le divorce est arrivé et j’avais Morgane comme priorité numéro un, toute relation passait ensuite. » Tu fis une pause dans ta récit parce que c’était le moment le moins évident à avouer pour toi. « J’ai déjà déçu mes parents par mon choix de carrière, par mon choix de mari, par le fait que je ne voulais pas revenir à Brisbane, par mon divorce, par mon rôle de mère célibataire et certainement pleins d’autres choses. Je n’avais pas envie de les décevoir une nouvelle fois. » Mais il y avait pire, il y avait encore une autre facette de cette relation malsaine que tu avais avec tes parents et dont Grace ne pouvait se douter. « Quand je suis rentrée à Brisbane, j’étais terrifiée et je ne savais pas comment m’occuper de ma fille. Mes parents ont été là, ils m’ont offert un soutien inconditionnel sur lequel je me repose encore aujourd’hui malgré leurs nombreuses réflexions. J’ai peur de perdre ce soutien parce que je sais pas si je serai une très bonne mère s’ils n’étaient pas là. » C’est peut-être complètement irrationnel mais c’est ainsi que tu ressens les choses et tu n’en es pas fière. Tu baisses les yeux sur ton risotto, la gorge serrée, incapable d’avaler une autre bouchée.
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| | | | (#)Lun 04 Mai 2020, 18:33 | |
| Rien, il ne lui semble, pour apaiser la douleur de ne pas avoir été suffisante, l’échec cuisant d’une relation vouée de toute façon à une fin prématurée par rapport à ses plans, le désaveu suite à la première relation qu’elle considérait sérieusement comme viable. Elle luttait avec cette pensée depuis plus d’un an sans arriver à se débarrasser totalement des questions : et si Alex ne l’avait jamais présentée à personne parce qu’elle ne se projetait tout simplement pas avec elle ? et si l’interdiction totale d’un possible coming out venait davantage d’elle que du milieu social de la jeune femme ? Si c’était le cas, et c’était la possibilité à laquelle elle s’attachait avec une lubie grandissante, alors tout avait été caduque et chimérique. De son attachement irraisonné mais jamais contredit à ses projections pleines de retenue et de patience, et Alexandria ne l’avait jamais contredite. Pas une fois. A la peine de coeur s’ajoutait la blessure d’orgueil et la combinaison pesait tant sur ses épaules qu’elle avait du mal à se relever. Et à ce qui semblait l’autre bout du monde, du moins une dimension à part, complètement improbable, Jessian lui avouait ne toujours pas avoir fait son coming out, non plus, et elle le prenait plus durement qu’elle ne l’aurait voulu - surtout parce qu’elle espérait en être rassurée, finalement. A ce stade, tout vaudrait pour preuve qu’Alexandria ne s’était pas débarrassée d’elle aussi facilement parce qu’elle le voulait, mais parce qu’elle n’avait pas le choix. C’était un lourd poids à faire porter à Jessian, de lui demander d’universaliser son expérience, et pourtant c’était la seule façon pour elle de rationaliser la douleur qu’elle avait fuie. Mais avant cette conversation, il y en avait d’autres à avoir, et le bain d’incertitude ne faisait que commencer.
« La personne qui te donnera envie de te relancer dans une histoire sera celle qui te donnera une partie de son courage. Tout le monde a été blessé par une histoire. Jamais de la même manière, toujours un peu différemment mais on est tous marqués. »
Elle soupire perceptiblement, le coeur lourd. Aucun courage au monde ne semble encore susceptible de lui faire relever la tête et de considérer autre chose, et Grace est à mille lieues de ne serait-ce que se projeter jusque-là. Toutes ses amorces de relation depuis ont échoué : elle a été horrible avec Birdie, ne sait pas comment se positionner avec Lola, avec laquelle rien n’est clair si ce n’est une envie de davantage de proximité. Elle ne sait même pas si, pour celle-ci, elle peut parler de “relation”, l’Islande étant encore trop proche, trop brûlante, trop difficile à conscientiser. “Tu arriverais à te relancer dans une histoire, toi ?” demande-t-elle d’une voix faiblarde, contemplative. Un an et demi ou non, la relation de Jessian l’avait marquée. C’était significatif : premier mariage, premier divorce, premier enfant. Le caractère éclair de la relation ne la faisait pas tiquer non plus : l’amour justifiait parfois les pires folies ; qui sait où elle en serait si Alexandria n’avait pas imposé les limites de sa sexualité cachée.
« C’est pas le meilleur risotto que j’ai mangé mais il est bon. Tu vois, tu n’es pas un cas désespéré. »
Le sourire que Grace renvoie face au verdict est presque extatique : pour elle, c’est quasiment une consécration. L’espace de cinq minutes, son vague à l’âme a cédé place à son habituel enthousiasme, mais le malaise revient rapidement, accompagné de questions, de doutes, de peurs. Jessian doit comprendre. Jessian est passée par là, d’ailleurs elle y est toujours, et si seulement Grace pouvait savoir pour quelle raison elle y restait, elle aurait sûrement des pistes de réponses - qu’importe si leurs vécus étaient éloignés, qu’importe le côté déraisonné de la question. « Quand on faisait le tour du monde, je pensais que jamais pus je ne retournerai à Brisbane. Je n’avais aucune envie de vivre dans cette ville et j’ai rapidement compris que le moins mes parents en savaient, le plus j’étais tranquille. En dehors de mes parents et de mon aînée, je ne l’ai jamais caché. Mes amis sont au courant, mon manager, Morgane également car je veille à ce qu’elle sache qu’elle peut aimer une fille comme un garçon, ça n’a pas d’importance. » Rien que dans l’amorce se trouvaient des différences fondamentales : Jess n’avait que ses parents à qui cacher cet aspect de sa vie, le reste était au courant. Alexandria, elle, n’avait que quelques amis dans la confidence, et sa carrière excluait toute possibilité d’afficher une telle relation. La jeune mannequin enchaîne : plus le temps, puis peur de décevoir ses parents, qui avaient déjà enchaîné les déceptions selon ses dires, et pour conclure une peur que ceux-ci cessent complètement de la soutenir à la moindre révélation de ce côté-là. Au final, ni l’une ni l’autre n’avait plus faim.
“Merde. Désolée, c’était con, comme question. C’était…” Elle balaie le sujet de la main comme une fantaisie futile, puis se ravise et décide de conclure : “Je cherche bêtement des réponses à un problème qui n’a rien à voir. Mon ex a jamais fait son coming-out, et je l’ai pris personnellement.”
Elle se frotte le front de sa main valide, gênée par ses propres aveux. Au final, elle avait non seulement tiré aucune réponse utilisable de la part de Jess, mais en plus elle avait ravivé des souvenirs et des craintes qu’elle ne voulait pas faire poindre. Pas ici, pas ce soir, pas lors de leurs retrouvailles régulières. Le temps avait passé et attrister Jessian lui était toujours impensable. Elle chasse la gêne aussi prestement qu’elle le peut, se recentre et prend la main de la jeune femme dans la sienne, en signe de réconfort. “Jess, tu gères une carrière, tu élèves une gamine formidable, polie, intelligente. Il y a aucune raison d’être déçue de toi.” Bien sûr, c’était plus facile à dire qu’à faire. Elle avait assez vu et entendu pour le savoir, cette connerie d’être soi-même par-dessus tout et de finir par se faire accepter n’était ni réaliste, ni répandue. Bonne à faire des films et à laisser des gamins crever dans la rue sous prétexte que leur anomalie était trop hideuse à contempler - et en Australie, c’était le pire cas de figure ; ailleurs leur sort n’était pas aussi doux. Grace relève les yeux, cherche le regard de la jeune femme sans le trouver. C’est à son tour de poser une main sur sa joue, comme si une simple caresse pouvait apaiser sa peine. “Je sais que je suis pas de retour depuis longtemps, mais ça se voit. Ta fille t’adore, tu lui as inculqué le respect, la curiosité, la gentillesse. Tu t’en sors extrêmement bien et je pense que si tu lui demandais, elle serait incapable de dire qu’elle se sent délaissée. J’en suis sûre, même.” Leurs entrevues avaient suffi à l’en convaincre : Jess avait une discipline de vie incroyable, une philosophie parentale saine, une enfant qui l’aimait plus que tout. “Et quoi que tu fasses, tu n’es pas seule. Tu as Abel, tu as tes soeurs, tes proches, tu m’as moi…” Elle le pense. “T’as été mise à l’épreuve très tôt dans ta vie. T’as eu beaucoup sur les épaules d’un coup et tu t’en es merveilleusement bien sortie. Pense pas une seule seconde que c’est de la lâcheté que d’avoir eu besoin d’aide à l’âge que tu avais.” Pas plus que ça n’en était aujourd’hui, dans leur économie, avec tout ce que la société comportait de primaire et de vaguement misogyne face à une jeune femme mère célibataire. Elle laisse le silence les envelopper une demi-minute, puis soupire profondément. “Le risotto a plus l’air aussi glorieux, maintenant, hm ? On sort les desserts ?” |
| | | | (#)Dim 10 Mai 2020, 12:16 | |
| Parler de ta vie amoureuse, inexistante, avec Grace avait quelque chose d’irréel. Pourtant, c’était bien ce que vous étiez en train de faire. Tu n’avais pas honte de n’avoir pas pris le temps de rencontrer quelqu’un ces dernières années. Morgane avait pris quasiment tout ton temps et il avait fallu que tu redémarres ta carrière à côté après une pause de presque deux ans et cela t’avait demandé un investissement important. Et puis si tu étais honnête avec toi-même, tu avais eu besoin de temps pour faire la paix avec ton divorce, pour essayer de tourner cette page et accepter la manière dont ta relation avec Abel s’était terminée. Ce n’était pas aussi simple que cela pouvait paraître, pas aussi simple que quand il y a une tromperie ou quelque chose de ce genre. Parce que tu avais quitté Abel en l’aimant encore de toutes tes forces. Tu avais juste accepté que cet amour n’était pas suffisant, que vous aviez tous les deux besoin de choses différentes. Aux questions de Grace, tu compris qu’elle avait aussi été blessée de relations qu’elle avait eue ces dernières années. Tu ne savais rien de ces dernières mais elles avaient eu un effet sur la belle brune, un effet assez néfaste pour qu’elle ait peur de se lancer à nouveau dans une histoire. « Tu arriverais à te relancer dans une histoire, toi ? » Si tes yeux n’avaient pas été sur Grace à ces mots, tu n’étais pas certaine que tu les aurais entendus. C’était une question que tu te posais souvent. Est-ce que tu serais capable de laisser sa chance à quelqu’un si l’occasion se présentait ? Tu n’en savais rien, tu n’en savais strictement rien. Mais tu avais terriblement envie de penser que tu te sentais prête et que la réponse serait oui. Parce que tu savais au fond que Morgane allait grandir et avoir de moins en moins besoin de toi et tu n’étais pas prête à faire face à la solitude qui allait s’installer dans ta vie. « Je n’en sais rien. » Dis-tu honnêtement à Grace parce que tu es une piètre menteuse et que tu sais qu’elle ne te jugera pas. « Mais j’ai envie de me dire que oui. Que si je rencontrais quelqu’un qui me donnait envie de commencer quelque chose, que je leur laisserai leur chance. » Tu n’avais pas envie de louper une belle histoire parce que tu avais eu peur. Ce n’était pas la personne que tu étais, tu avais toujours pris des risques et cela ne changerait pas. « Ça ne voudra pas dire que tout sera réglé, que les doutes ne seront pas là mais au moins je n’aurais pas de regrets. » Dis-tu en haussant les épaules. Tu sentais que les questions de Grace n’étaient pas aussi innocentes qu’elle aimerait te le faire croire. Alors un peu contre toi, parce que tu ne sais pas si tu as vraiment le droit de poser cette question, tu lui demandes : « Il y a quelqu’un pas vrai ? Quelqu’un à qui tu ne sais pas si tu dois leur accorder une chance ? » Même si ton petit coeur en prendra un coup, même si ce n’est peut-être pas le moment et que Grace ne veut pas en parler, tu te dois de lui poser cette question. Tu n’es plus l’adolescente irresponsable qu’elle a rencontré à l’époque, tu peux être l’amie aux bons conseils aujourd’hui si c’est ce dont Grace a besoin.
Vous vous dirigez vers la table pour dîner et le moment est enfin venu de goûter au risotto. Il n’est pas aussi bon que celui du restaurant mais est plutôt réussi quand on connaît les talents en cuisine de Grace. C’est donc naturellement ce que tu lui dis et cela semble lui faire plaisir. Toutefois, elle semble préoccupée par un sujet et tu ne tardes pas à découvrir lequel. Ton coming-out auprès de tes parents et de ta soeur aînée est un sujet compliqué pour toi à plusieurs niveaux. Et parce que la question de Grace est presque accusatrice, tu lui expliques pourquoi ce n’est pas aussi simple que ce qu’elle pense croire. Tu t’en veux d’avoir à te justifier. Tu ne dois après tout rien à Grace et cette histoire te regarde à toi et à personne d’autre. Mais tu n’as jamais pu accepter que Grace ait une mauvaise opinion de toi et cela ne va pas commencer aujourd’hui. « Merde. Désolée, c’était con, comme question. C’était… Je cherche bêtement des réponses à un problème qui n’a rien à voir. Mon ex a jamais fait son coming-out, et je l’ai pris personnellement. » Ah … Voilà ce qui avait blessé ton amie. Tu n’avais jamais été dans une relation durable et sérieuse avec une femme, pas assez pour que la question se pose de ton côté. Avec Grace, il n’avait jamais été question de rencontrer tes parents à l’époque. Il était évident que son ex lui avait joué un sacré tour si elle était autant sur la défensive. « Je pense que l’on a chacun nos raisons et qu’elle n’ont rien à voir avec la personne qui partage notre vie. » Comme Grace avait pu le comprendre dans tes explications, que tu aies une femme dans ta vie ou non, ce n’était pas elle qui changerait les raisons que tu avais exposées. « Dans mon cas, avoir quelqu’un d’assez important pour le partager à mes parents aurait été un accélérateur. Je suis désolée qu’elle n’ait jamais eu le courage de sauter le pas. » Dis-tu en posant ta main sur celle de Grace de l’autre côté de la table. Tu n’osais pas imaginer ce que cela devait être que de se retrouver dans une telle situation. Et pour que ton amie soit marquée ainsi, elle devait avoir durée un certain temps. Grace semble comme se reprendre et bientôt, elle cherche à te rassurer elle aussi : « Jess, tu gères une carrière, tu élèves une gamine formidable, polie, intelligente. Il y a aucune raison d’être déçue de toi. » Toi tu n’étais pas déçue parce que de toute manière, tu n’aurais pas pu faire mieux. Mais quoiqu’en dise Grace, tes parents le seront, c’est inévitable. Ce sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase et peut-être que ce sera temporaire, peut-être pas mais tu sais qu’ils seront déçus. Ils accuseront ta cadette de t’avoir corrompu, ils penseront qu’ils sont victimes d’une malédiction, ils prieront deux fois plus pour que ce ne soit qu’un cauchemar. Non, tu sais qu’ils seront déçus mais tu apprécies ce que te dit Grace : « Je sais que je suis pas de retour depuis longtemps, mais ça se voit. Ta fille t’adore, tu lui as inculqué le respect, la curiosité, la gentillesse. Tu t’en sors extrêmement bien et je pense que si tu lui demandais, elle serait incapable de dire qu’elle se sent délaissée. J’en suis sûre, même. Et quoi que tu fasses, tu n’es pas seule. Tu as Abel, tu as tes soeurs, tes proches, tu m’as moi… T’as été mise à l’épreuve très tôt dans ta vie. T’as eu beaucoup sur les épaules d’un coup et tu t’en es merveilleusement bien sortie. Pense pas une seule seconde que c’est de la lâcheté que d’avoir eu besoin d’aide à l’âge que tu avais. » Tu sentis le rouge te monter aux joues. C’était beaucoup de compliments e peu de temps, tu n’étais pas aussi habituée que les gens le pensaient. Surtout quand ces compliments étaient aussi personnels. Grace avait raison, tu n’étais pas seule et avoir eu besoin de tes parents était sans doute naturel. Mais quand même … Tu ne savais pas ce que le futur te réservait mais tu savais que tu allais devoir sortir cette vérité du placard un jour ou l’autre. « Merci. » Dis-tu en baissant légèrement les yeux avant d’ajouter : « Ça ne changera rien avec mes parents mais merci, c’est rassurant de l’entendre. » Parce que Grace était de l’extérieur, elle était revenue dans ta vie dernièrement et si elle voyait tout cela, c’était rassurant. « Le risotto a plus l’air aussi glorieux, maintenant, hm ? On sort les desserts ? » Tu laissais échapper un petit rire. Tu avais mangé une grande partie de la part que Grace t’avait servie. Mais effectivement, tu n’avais plus très faim. Tu te lèves en disant : « Il était tout de même bon. » Tu aides Grace à débarrasser la table et tu attrapes la boîte à dessert que tu as amené avec toi. La posant sur la table basse du salon, tu te tournes vers Grace en lui demandant : « Tu m’avais promis des photos il me semble. » Vous aviez toutes les deux besoin de retourner dans le passé quelques instants, de retrouver votre double irresponsable et libéré des contraintes pesant sur vos épaules. Il était temps de replonger dans le bon vieux temps, même pour quelques minutes.
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| | | | (#)Dim 17 Mai 2020, 00:33 | |
| Ce n’est pas calculé, sur le coup, mais l’attitude en dit déjà long, et elle l’ignore volontairement, parce que c’est ce qu’elle fait de mieux : elle n’a aucune envie de discuter de Lola pour l’instant. Pas alors que tous les non-dits peuplent encore tout ce qu’elles sont sur des lieues de long et que Grace pourrait se casser la gueule d’un moment à l’autre tant tout est encore si fragile et intangible. Alors, quand Jessian lui pose la question, lui demande s’il y a quelqu’un, elle ne le calcule pas, ne le comprend pas, mais elle élude. “Je sais pas trop. C’est peut-être pas encore assez concret pour que je me pose la question, non plus.” Inconsciemment, la phrase précédente de Jessian lui revient à l’esprit : j’ai envie de me dire que si je rencontrais quelqu’un qui me donnait envie de commencer quelque chose, je leur laisserai leur chance. Elle se demande subrepticement, d’une pensée qu’elle chasse d’un revers de main, pourquoi alors ce n’est pas son cas.
Peut-être parce que ce soir, elle pense trop à Alexandria pour envisager quoi que ce soit d’autre avec qui que ce soit. Parce que son empreinte est encore bien présente sur elle et qu’elle a eu tant de mal à recoller les morceaux qu’elle n’a pas envie de risquer de découvrir les brisures dans son travail bâclé. Et s’il fallait une phrase, une seule, pour enfoncer encore plus Grace dans le doute qui l’habite depuis quelques semaines, c’était bien celle-ci. Sortie pile au bon moment. « Dans mon cas, avoir quelqu’un d’assez important pour le partager à mes parents aurait été un accélérateur. Je suis désolée qu’elle n’ait jamais eu le courage de sauter le pas. » Elle a envie de se demander pourquoi ce n’est pas ce qu’Alexandria a fait, pourquoi quatre ans ne lui ont pas suffi à se libérer de ces chaînes gênantes et pesantes, mais elle n’en a pas le droit. Jessian l’a dit, auparavant : ça n’avait pas forcément de rapport avec la personne qui partageait votre vie. En théorie, c’était quelque chose de facile à comprendre - en pratique, l’orgueilleuse Grace ne peut s’empêcher de prendre la chose personnellement. Et surtout, elle se demande d’où Jessian sort tout son courage, elle qui à l’époque n’osait rien faire sans y être convaincue.
Il s’avère au final qu’elle ne l’est pas forcément, plus courageuse. Elle ne l’aurait pas pensé, parce qu’elles n’ont pas abordé le sujet depuis leurs retrouvailles, mais Jessian est toujours similaire à la gamine de l’époque, qui se cachait dans un coin pour surtout ne pas dépasser de la masse de peur de trop trancher avec le reste de la population. La peur de s’affirmer, notamment près de ses parents, l’habite toujours, simplement par crainte de les décevoir. Forcément, que sur le coup, ça la dépasse. Quelqu’un d’aussi accomplie que Jess, avec une enfant aussi bien élevée, avec des principes aussi forts et ancrés, ça ne peut pas se sentir à ce point honteux face à ses parents. Elle voit la jeune femme rougir lorsqu’elle lui fait part de son ressenti et de son étonnement - elle qui se disait naïvement que rien chez ses futurs gosses ne pourrait jamais la décevoir avait du mal à imaginer que quelqu’un puisse rejeter son enfant pour sa sexualité, mais c’était aussi ignorer des siècles de clichés engoncés dans une oppression systémique en faveur de son propre vécu auprès de parents ouverts et totalement dans le laisser-aller. « Merci. Ça ne changera rien avec mes parents mais merci, c’est rassurant de l’entendre. » Alors elle n’ajoute rien de plus, soucieuse de dire quelque chose de trop. Elle se contente de serrer la main de Jess dans la sienne, lui envoyant un regard aussi empathique que possible, avant de changer le sujet.
Elles délaissent les plats pour le dessert, puis le dessert pour les photos : c’est pour ça que Jessian est venue, après tout, et Grace veut absolument lui montrer tout ce qu’elle a gardé de leurs souvenirs. Pas seulement de ça, mais aussi de ses progrès, à elle. Ca lui semble important, presque une consécration, de montrer son travail plus élaboré à son premier modèle, sa première muse. Et elle qui pensait s’attarder davantage sur le Tibet, sur ses visites moins ordinaires, plus lointaines, moins connues de Jessian, se retrouve à passer plus de temps sur leurs souvenirs partagés, sur les photos plus ou moins bien prises, les photos parfois embarrassantes des lendemains de cuite. Ca lui manque, et pendant un instant, de retour dans cette bulle qu’elles ont partagé il y a presque une décennie, elle se sent bien. Elle se sent à sa place dans un monde qui a cessé d’avoir du sens pour elle. Et qu’importe les implications que cela peut avoir : elle n’a plus envie de réfléchir au fâcheux, ce soir. Quand elle se surprend à baisser les yeux sur les lèvres de Jessian, ou à retrouver des accès tactiles qu’elle ne s’était pas autorisée depuis l’époque, elle fait semblant de ne rien remarquer et n’en fait rien. C’est de passage, et le sol qu’elle recommence à construire doucement sur ses pieds ne risque pas de céder sous ses pieds dans les jours à venir. Certainement pas. |
| | | | | | | | we should take a walk someday, talk about what we could've been (jessian&grace#2) |
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