« Désolée de passer à l’improviste, j’étais dans le coin et ... » Elle a tapé très exactement trois fois sur la porte d’entrée du duplex de ce quartier de Brisbane qu’elle connaît si bien pour y avoir habité presque toute sa vie durant. Elle a ici ses meilleurs souvenirs et paradoxalement ses pires aussi, ceux avec ses anciens colocataires et ceux avec ses anciens petits d’amis - Bayside, le monde de l’ancien. C’est un incroyable meli-melo créé au fil des ans qu’elle n’abandonnerait pour rien au monde puisqu’il a forgé la personne qu’elle est aujourd’hui et au delà de ça cela signifie surtout qu’il a participé à la création de ses jumeaux et rien que pour ça elle ne voudrait pas en changer une seule once, une seule seconde. Cette nouvelle maison a cependant gagné une signification particulière dans le coeur de Charlie tout comme il en a rapidement été de même pour Livia. Elle s’est reconnue dans ses yeux, elle s’est reconnue dans son sourire et dans son flot interminables de paroles qu’elle était loin de stopper mais bien plus d’alimenter à son tour. Les clients du magasins lèvent les yeux au ciel dès lors qu’elles commencent à parler et que tout le monde sait qu’elles ne s’arrêteront pas avant plusieurs heures, passant avec une aisance remarquable d’un sujet à un autre.
Alors elle est devenue bien plus qu’une commerçante comme une autre. Aujourd’hui elle est tout sauf une commerçante à ses yeux, à vrai dire, étant devenue une amie et une confidente, une figure de confiance et un symbole. Beaucoup de rôles pourraient être collés sur son front si bien qu’elle n’en a réellement aucun de prédéfini. Elle est juste Livia, Livia chez qui la voiture de Charlie s’est aujourd’hui arrêtée par le plus grand des hasards. « Ok non c’est faux. Mais j’ai ramené des cookies. Vegan, je crois, enfin c’est ce que Matt m’a dit. Ce sont ceux que Gabriele aime. » De Spring Hill à Bayside, elle a fait un arrêt tout sauf improvisé à Logan City pour passer voir l’équipe du Death Before Decaf’ et leur laisser le bonjour de sa part … et pour voler des cookies, aussi. Elle vole tout le temps des cookies. Cela ne devrait même plus être considéré comme un vol, à force, tellement tout est devenu routinier ; tellement sa propre boîte hermétique l’attend dans un coin, laquelle elle remplace avec l’ancienne pour qu’ils la remplissent à nouveau pour sa prochaine visite. La mécanique est bien huilée, elle a faim et ils lui manquent : l’histoire d’une vie. Villanelle n’a de toute façon besoin d’aucune excuse pour prendre tous les cookies qu’elle souhaite puisque comme elle l’a dit ils sont les préférés de Gabriele. Et Gabriele, c’est le plus jeune et le plus grand critique culinaire de la planète à ses yeux.
Ce n’est pas parce que la porte est ouverte qu’elle ose encore s’aventurer plus loin, encore bien trop embrouillée dans ses explications qui n’ont rien de clair. « C’est stupide je voulais juste te poser une question mais je voulais que ça soit en face à face alors que c’est pas si important que ça c’est juste ... » La blonde hésite, tâtonne, recommence. Une main malhabile passe dans ses cheveux, sa langue humidifie ses lèvres comme si elle était en plein interrogatoire et qu’elle avançait dans un cul de sac. Elle a choisi d’être ici, pourtant, elle a choisi de parler à Livia, elle a elle même choisi le sujet de la conversation qu’elle a du mal à articuler. Elle a absolument tout déterminé elle même en son âme et conscience et en tant que parfaite jeune mère instable, elle n’est désormais plus certaine de rien. « Comment … Ok, non. Si c’était à refaire, tu choisirais toujours de l’élever seule ? » Ses yeux bleus se relèvent vers son aînée. Elle est une mère qui redevient une gamine le temps d’un instant, elle qui a besoin de conseils de quelqu’un qui connaît tout bien mieux qu’elle pour savoir quel exemple suivre ou ne pas suivre. Charlie sait très bien qu’elle n’a pas réellement élevé Gabriele seule tout comme elle sait qu’elle était avec le père il y a peu encore mais paradoxalement elle est la seule à qui elle peut poser ce genre de question. Puisque la vérité est qu’elle ne sait pas si un jour elle formera un couple stable et solide (ni même un couple tout court) avec le père de ses enfants ou n’importe qu’elle autre personne. Maintenant qu’elle a goûté à la liberté elle ne désire en aucun cas revenir là dessus, et ça l'effraie.
Dernière édition par Charlie Villanelle le Mar 21 Avr 2020 - 10:28, édité 1 fois
Livia n’était presque jamais du genre à refuser de passer la soirée avec des amis, malgré la fatigue ou la lassitude qu’elle pouvait parfois ressentir. Elle avait une conscience aigüe de l’importance de l’amitié dans une vie équilibrée, et de la nécessité de cultiver cette amitié plutôt que de la prendre pour acquise. Après tout, l’amitié était une forme d’amour, et beaucoup trop de personnes la prenait pour acquise à partir du moment où ils avaient une vie bien réglée, et moins de temps à consacrer à d’autres personnes que leur famille proche. Livia n’était pas de ceux-là, et elle profitait souvent des semaines où elle n’avait pas son fils pour sortir dîner, ou inviter des amis chez elle. Mais ce soir-là, pour une fois, personne ne lui avait rien proposé et elle ne s’en portait pas plus mal. Au magasin, elle avait enfin l’impression de sortir la tête de l’eau après avoir trouvé une nouvelle employée, et elle avait pu rentrer chez elle plus tôt qu’elle n’avait eu l’habitude de le faire dernièrement. En déposant enfin ses clés sur la console de l’entrée et en retirant ses chaussures, elle avait réalisé qu’elle avait une soirée entière devant elle, pour faire ce qui lui chantait. Ou rien, parce que des fois elle aurait bien eu besoin aussi. Ces moments étaient rares, et même s’ils n’avaient rien de spécial, elle appréciait plus que tout cette impression d’avoir le temps. Elle avait allumé la télévision en laissant tourner un documentaire animalier en fond, car pour une raison qu’elle n’expliquait pas, ce genre de programme l’apaisait et elle se surprenait parfois à passer une soirée entière à en regarder. Dans la cuisine ouverte, par laquelle elle pouvait regarder la télé du coin de l’œil, elle avait débouché une bonne bouteille de vin et avait entrepris d’inspecter son réfrigérateur après s’être motivée à se lancer dans une recette qu’elle aimait beaucoup. Elle avait le temps, et elle allait donc le prendre pour cuisiner, même si cette fois-là ce n’était que pour elle-même et non pas pour ses amis. Lorsque son plat fut terminé et même lavé, elle s’installa confortablement devant son documentaire, un deuxième verre de vin à la main. Elle n’aimait pas vraiment boire, et n’était pas du genre à fréquenter beaucoup de bars, car elle était vraiment difficile lorsqu’il s’agissait d’alcool. Mais de temps à autre, elle appréciait plus que tout une bonne bouteille de vin rouge, surtout d’une certaine exploitation italienne bio qu’elle avait sélectionnée comme fournisseur pour l’épicerie.
Elle venait de poser son verre sur la table basse lorsque plusieurs coups sur la porte la firent sursauter. Elle n’était pas d’un naturel très méfiant, mais lorsqu’elle n’attendait personne, elle ne pouvait s’empêcher de jeter un coup d’œil par le judas de la porte avant d’ouvrir. Lorsqu’elle aperçut Charlie et tira la porte d’entrée avec un sourire, elle comprit bien vite que la jeune femme n’était pas dans un de ses meilleurs moments. « Désolée de passer à l’improviste, j’étais dans le coin et...». Livia était toujours contente de voir Charlie, même lorsque ce n’était pas prévu, car la jeune femme avait éveillé en elle une bienveillance particulière et une volonté de l’aider du mieux qu’elle pouvait dans sa nouvelle vie de maman. Les deux étaient si différentes, mais Charlie rappelait à Livia certaines des incertitudes de sa jeunesse, qui finalement lui revenaient à nouveau aujourd’hui. « Ok non c’est faux. Mais j’ai ramené des cookies. Vegan, je crois, enfin c’est ce que Matt m’a dit. Ce sont ceux que Gabriele aime ». Livia ne pu s'empêcher de continuer à sourire. Charlie avait cette honnêteté naturelle qu'elle appréciait beaucoup, et ne venait jamais les mains vides même quand elle avait bien d'autres choses auxquelles penser que des cookies. Ce genre d'attentions qui en disait long sur une personne. Cela dit, elle sentait bien que Charlie était assez fébrile et la laissa donc finir, tout en s’écartant de l’embrasure de la porte pour l’inviter à entrer, mais de toute évidence, elle était un peu trop perturbée et avait besoin de faire sortir quelque chose. « C’est stupide je voulais juste te poser une question mais je voulais que ça soit en face à face alors que c’est pas si important que ça c’est juste ... Comment … Ok, non. Si c’était à refaire, tu choisirais toujours de l’élever seule ? » C’était donc ça. Livia savait bien que la vie amoureuse de Charlie ne pouvait pas vraiment être qualifiée de stable, et que sa maternité même n’était pas prévue. Cela dit, Livia non plus n’avait pas prévu d’avoir Gab, mais la situation était tellement incomparable. Charlie n’avait même pas passé les premiers mois les plus difficiles – sans compter le fait qu’elle ne se contentait pas d’un bébé, mais de deux – et en plus de ça, rien ne semblait vraiment clair avec le père de ses enfants. Pour autant, Livia n’avait jamais été du genre à juger. Chaque être portait en lui son lot d’expériences, de pensées, d’émotions, et tant que la personne n’avait pas pour but de faire souffrir les autres par ses actions, tout jugement était simplement déplacé. Elle aurait voulu comprendre Charlie, mais elle était si différente, et tout ce qu’elle pouvait lui apporter était donc son soutien et surtout sa propre expérience à elle, qui n’était pourtant pas si parfaite.
Lorsque Charlie eu l’air d’avoir enfin réussi à sortir ce qui la démangeait, Livia s’approcha d’elle et posa une main sur son épaule, comme en espérant l’apaiser par un simple contact humain, puis l’invita à entrer. Elle ne voulait pas lui répondre dans la précipitation, au contraire. Livia était d’une nature calme, et elle préférait largement se poser tranquillement avant d’avoir ce genre de conversation. Peut-être que Charlie appréciait cela à propos d’elle, et qu’elle lui demandait conseil car Livia pouvait donner l’impression qu’elle savait toujours ce qu’elle faisait… même si ce n’était en réalité pas le cas. « C’est pas stupide du tout… Allez rentre, Gab est chez son père et j’ai du vin d’ouvert ». Lorsque les deux furent enfin à l’intérieur, elle verrouilla à nouveau la porte et attrapa les cookies que Charlie avait apporté. « Et merci, t'as pas à en amener à chaque fois tu sais. Même si avec un peu de chance il sera content de rentrer demain s’il sait que j’ai ses cookies préférés. Cela dit si on les entame ce soir il le saura jamais » lâcha-t-elle d’un air amusé. Le moment où elle récupérait son fils était toujours un peu difficile, car il était à chaque fois un peu triste de dire au revoir à l’un ou l’autre de ses parents, ne comprenant toujours pas vraiment pourquoi il ne pouvait pas les voir tous les deux en même temps. Chassant cette pensée, Livia attrapa un autre verre de vin et se dirigea vers le canapé, posant le deuxième verre sur la table. « T’es sûre que tu veux avoir mon avis, maintenant que tu me vois en train de boire seule devant des documentaires animaliers ? ». Elle n’avait aucune honte de ce qu’elle pouvait bien faire chez elle, mais voulait faire comprendre à Charlie que ses paroles n’étaient que les siennes, et malgré tous les conseils ou tous les avis qu’elle pourrait bien lui donner, elle était loin d’avoir la bonne réponse. « J’ai connu des femmes qui restaient mariées juste pour leurs enfants et j’ai toujours trouvé ça triste, parce que ça se voyait qu’elles étaient pas heureuses, et je suis persuadée que les enfants ça sent ce genre de chose… Je regrette pas de m'être séparée, ça marchait plus. Et crois-moi t’es capable de les élever seule tes enfants, si c'est ce que tu veux ». Elle marqua un moment de pause, parce que malgré sa volonté de rassurer Charlie, elle se devait d’être honnête, et s’avouer à elle-même que ce n’avait été une décision facile, et qu’aujourd’hui encore elle en voyait les conséquences. « C’est juste quand il me regarde et… quand il me demande pourquoi Papa n’est pas là, ça me tue… ». Et pourtant, elle se trouvait à chaque fois tout aussi démunie devant cette question, car elle ne savait jamais comment y répondre correctement.
Si Charlie rassemble toutes ses forces pour avoir un débit de paroles un semblant correct, Livia n’a pas besoin d’en faire autant puisque tout semble lui venir bien plus naturellement. De sa main qu’elle pose délicatement sur l’épaule de la blonde jusqu’à son sourire qui naît doucement, elle ne semble rien forcer et c’est cette douceur naturelle qui a le don de rassurer la jeune mère avant tout le reste. Les deux jeunes femmes sont caractérisées par le jour et la nuit mais ont su se complémenter rapidement, ce qui les emmène aujourd’hui à être de bonnes amies avant toutes choses. Et les amis se soutiennent, même quand ils ne savent pas encore exactement quel maux ils vont devoir traiter chez l’autre encore. « C’est pas stupide du tout… Allez rentre, Gab est chez son père et j’ai du vin d’ouvert ». Elle passe le pas de la porte dans un sourire gêné, sa tête se posant un temps en direction de ses pieds avant de pleinement reprendre contenance. Bien qu’elle aime beaucoup Gabriele, il faut avouer qu’elle est loin d’être déçue de finalement passer une soirée en tête à tête avec son ami, à simplement parler et boire du vin. Même si elle vient en premier lieu pour se confier, elle a choisi Livia parce qu’elle sait qu’une fois ses maux partagés elles pourront peu à peu dériver vers autre chose et rapidement en oublier leurs problèmes.
En sa qualité de maîtresse des lieux, Livia décide pleinement du sort réservé aux cookies pour ce soir et sa jeune amie lui fait totalement confiance. « Motus et bouche cousue. » Son pouce relié à son index passe sur ses joues rosies et étirées d’un sourire pour appuyer encore un peu plus ses paroles. Livia a beau tenter de la persuader de ne plus le faire, elle ramènera encore des cookies à sa prochaine visite et toutes celles qui suivront : Gabriele ne sera jamais en manque quoi qu’il arrive. De plus, elle peut affirmer sans trop s’avancer que le goût des biscuits n’est que plus parfait encore dès lors qu’ils sont associés à quelques verres de vin. « T’es sûre que tu veux avoir mon avis, maintenant que tu me vois en train de boire seule devant des documentaires animaliers ? ». Se voulant à son tour rassurante et bien loin d’elle de juger la manière dont Livia peut bien occuper son temps libre, elle relève les yeux en sa direction et sourit plus distinctement cette fois-ci. « Tu fais les meilleurs choix en terme de boisson et de docu, comment est ce que je pourrais te juger ? » Ne faisant pas dans la fausse politesse, elle s’installer en bout de canapé avant de rapidement remonter ses pieds nus sous ses cuisses comme le ferait un enfant. Sa vie a drastiquement changée en peu de temps mais elle reste la même, au fond.
Ce n’est qu’enfin qu’elle écoute le fond de la pensée de son amie, son attention toute entière posée sur ses mots et non pas sur la télé agissant désormais comme bruit de fond. Se devant de toujours s’occuper les mains lors de moments stressants (si ce n’est dire “tout le temps”), elle utilise le verre apporté par son amie et se sert petit à petit dans la bouteille. Charlie étant du genre à demander des conseils mais à ne les écouter que lorsqu’ils tendent en sa direction, elle serre pourtant des temps face à la réalité des mots de l’italienne. Elle se reconnaît bien trop dans ce qu’elle avance pour être capable d’ignorer la réalité cette fois-ci. « C’est juste quand il me regarde et… quand il me demande pourquoi Papa n’est pas là, ça me tue… ». Ravalant difficilement sa salive, elle hoche finalement de la tête avant de resserrer ses doigts osseux autour du verre. Il y a encore un an de ça elle n’aurait jamais cru parler de ses propres enfants aussitôt dans sa vie mais désormais qu’ils font partie de son quotidien, elle doit faire au mieux pour eux et pour leur avenir. « Tu es restée en bon termes avec son père ? » Le ton de la jeune femme est le plus doux possible puisqu’elle ne cherche en aucun cas à rendre son amie malheureuse ou lui tendre un piège. Ses questions sont factuelles et s’il vaut mieux pour aller que de l’oublier pour passer à la suite alors cela reste une possibilité envisageable. « Il est encore trop jeune mais je reste persuadé qu'il comprendra tout un jour. Les enfants s'habituent vite aux changements, en plus. » Elle joue un instant avec le liquide qu'elle fait tourbillonner dans le verre avant d'en boire une gorgée, bien plus par acquis de conscience plutôt qu'autre chose. « Si c'était la meilleure chose à faire pour toi alors c'était la meilleure chose à faire pour lui aussi. » Et si c'est vrai pour Livia, alors ça l'est tout autant pour Charlie et elle essaye de s'en convaincre.
Alors que Charlie s’installe plus confortablement sur le canapé et attrape la bouteille pour se servir un verre, tandis qu’elle valide ses choix télévisés pourtant plan-plan, Livia ne peut s’empêcher de se faire la réflexion qu’elle apprécie plus que tout ces relations où il n’y a pas faux-semblants et de surplus de politesse à avoir. Elle qui a toujours peur de mal faire ou que ses paroles soient mal interprétées, elle se force sans cesse à bien réfléchir avant de formuler ses pensées, et s’empêche parfois de dire certaines choses car elle sait que certaines personnes pourraient s’en offusquer. Bien qu’elle ne pense pas à mal, elle se rend bien compte qu’en société, il y a tant de choses qui ne peuvent plus se dire, et de comportements qu’il n’est plus si facile d’avoir en dehors des sphères privées. Alors, face à Charlie, dans le confort de son appartement, plus rien ne l’arrête et elle peut se montrer franche, tout comme vulnérable. Elle sait bien que Charlie ne mâche pas ses mots, et ce serait donc sans doute la dernière personne devant laquelle enjoliver la situation. Si la jeune maman se tourne vers elle, Livia sait bien que c’est en partie car elle est plus âgée, a davantage d’expérience en la matière et se montre posée dans ses choix de vie, mais également car elle est sincère et vraie. Évidemment, Livia est du genre à ménager les gens auxquels elle tient, et n’encourage donc pas les choix irréfléchis et pris à la légère, en revanche elle commence à connaitre suffisamment Charlie pour savoir qu’il ne sert à rien de prétendre que leurs situations et leurs caractères sont semblables – mais plutôt qu’il faut se mettre à la place de l’autre pour essayer de la comprendre, ce que Livia est assez douée pour faire. Alors qu’elle s’apprête à enchaîner sur ce que traverse Charlie en ce moment, cette dernière tente de creuser de son côté, avec une douceur méticuleuse qui fait sourire Livia. « Tu es restée en bon termes avec son père ? ». Même si Livia aimerait dire que sa situation familiale lui convient parfaitement, et qu’aucune part d’elle ne regrette une famille unie, elle n’a jamais eu de difficultés à parler de ce genre de sujet complexe, à partir du moment où elle s’adresse à quelqu’un envers qui elle a confiance. Et puis, la séparation était un choix mûrement réfléchi de la part des deux, et Livia a toujours été lucide sur le fait qu’il fallait prendre une décision car cela ne pouvait plus durer. Pour autant, elle n’a jamais ressenti de haine envers lui, car leur relation s’est simplement effritée – lui n’arrivant pas à être un père autant qu’un amant, et elle se concentrant trop sur son rôle de mère aux dépens de son conjoint. Elle n’a jamais connu de trahison de sa part, pas plus qu’elle ne l’a trahi, et elle ne s’est donc jamais résolue à vouloir le sortir complètement de sa vie, ne serait-ce que pour le bien de Gabriele.
Sans même attendre que Charlie la rassure – alors qu’à la base, elle s’est tout de même retrouvée ici car c’était elle qui avait besoin d’être rassurée – cette dernière la conforte dans son choix. « Il est encore trop jeune mais je reste persuadé qu'il comprendra tout un jour. Les enfants s'habituent vite aux changements, en plus ». Livia hoche alors la tête, car elle sait bien que la jeune femme a totalement raison. « Oui, totalement ». Gab est jeune, il a du mal à comprendre, mais c’est également cette jeunesse qui lui permet d’être malléable. « Si c'était la meilleure chose à faire pour toi alors c'était la meilleure chose à faire pour lui aussi ». A ce moment-là, Livia ne sait pas à qui Charlie s’adresse vraiment, et si cette phrase n’est pas adressée à elles deux, pour tenter de se rassurer à travers l’histoire de Livia. Cette dernière est convaincue que Charlie sait se montrer très forte, et qu’au fond d’elle, elle sait sans doute déjà ce qu’elle veut, mais qu’elle a besoin que d’autres personnes la confortent dans ses choix. Alors, elle se prête à la question de Charlie, si son expérience peut lui servir. « On s’entend vraiment bien, on se voit toutes les semaines pour déposer Gab et on est souvent en contact ». Elle s’arrête un instant puis lâche la seule chose qui lui pèse vraiment et l’a toujours dérangé dans sa séparation, malgré les apparences qui semblent finalement si banales et faciles. « Mais on est presque en trop bons termes, parfois j’aurais préféré que ça se termine un peu mal parce que ça serait plus facile d’avancer. Même si c'est bête de penser comme ça, parce que c'est vraiment mieux pour Gab que ça se passe bien ». Non pas qu’elle soit en train d’avouer qu’elle l’aime encore ou qu’elle regrette cette séparation, car ce n’est pas le cas, mais elle est d’un naturel nostalgique qui rend difficile d’oublier dix années de relation, et les deux premières années de leur fils, vécues ensemble. Peut-être que cela joue sur le fait qu’elle n’est pas du tout prête à rencontrer quelqu’un d’autre, d'ailleurs.
Lorsqu’elle termine sa phrase, Livia ne sait pas bien si elle doit interroger Charlie sur les raisons de sa venue, ou si cette dernière avait peut-être juste besoin d’une présence de manière urgente, pour calmer un coup de stress monté trop vite. Alors, pour ne pas trop s’avancer, en espérant que la jeune femme se confiera si elle en ressent le besoin, elle préfère l’interroger sur quelque chose qui lui semble néanmoins important, surtout lorsqu’on s’occupe de deux nouveau-nés en même temps. « Et toi, t’en es où ? T’arrives à avoir du temps pour toi un peu ? ». Elle s’arrête un instant puis l’idée lui vient subitement, et elle se demande pourquoi elle ne l’a pas proposé plus tôt. « Tu sais, les semaines où j’ai pas Gab je peux les garder si tu as besoin de te changer les idées, c’est vraiment important si t’es seule pour gérer ». Et ça, elle doit s’avouer que c’est une des raisons qui l’ont poussée à se séparer. Ils étaient deux, mais elle était seule à gérer la plupart du temps, et cela lui avait bien trop pesé.
Le vin tourbillonne dans le verre et la blonde l’observe comme s’il allait l’illuminer de toutes les Vérités du monde et faire autre chose que simplement la saouler petit à petit pour qu’elle en oublie ses problèmes. C’est une habitude simple et rapide qu’elle a su prendre au fil des ans mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle tente petit à petit de s’en détacher, elle qui a trop peur qu’on l’appelle au beau milieu de la nuit pour gérer un problème relatif aux jumeaux et qu’elle ne soit pas en capacité de le faire. Ce n’est que pour eux qu’elle ne boira qu’un verre ou peut être deux ce soir, pour eux et pour personne d’autre.
C’est cependant pour son amie qu’elle l’écoute silencieusement évoquer les liens qui la relient encore au père de Gabriele et tout ce qu’ils signifient encore à ses yeux. Les pieds de la jeune femme viennent se cacher encore un peu plus sous ses cuisses, elle se fait petite dans un monde bien trop grand auquel personne ne l’a jamais préparée. Une part d’elle est réellement et sincèrement heureuse de savoir qu’elle entretient toujours de bonnes relations avec son ex-petit ami alors que l’autre ne sait que trop bien ce qu’elle ressent et où elle veut en venir. Les deux situations sont bien différentes et elle n’ose pas imaginer à quel point tout est pire encore pour Livia qui a aimé cet homme pendant de nombreuses années. Finalement Charlie se contente d’acquiescer en silence, ses yeux divaguant sur la table du salon à défaut d’avoir le courage d’observer la vérité en face.
Pourtant le boomerang des questions difficiles finit toujours par revenir vers elle. Elle devrait le savoir, elle devrait s’y habituer. Tout devrait être bien plus facile avec la douceur dont fait toujours preuve Livia et ce peu importe le sujet abordé. « Et toi, t’en es où ? T’arrives à avoir du temps pour toi un peu ? » Ses yeux remontent, emplis d’un espoir nouveau. La jeune femme a l’impression que le pire est passé tout comme elle a l’impression de se sentir pousser des ailes qui n’ont pourtant pas lieu d’être. Dans cette maison qui n’est pas la sienne et à ainsi parler de personnes qu’elle ne connaît pas personnellement, elle se sent réellement apte à parler à son tour sans crainte aucune du jugement de son amie. Il n’a jamais été question de ceci entre elles, ni même de rien d’autre qui se rapporte à autre chose que de l’entraide. Livia est rapidement devenue une grande soeur à ses yeux. Selon l’image qu’elle se fait d’une grande soeur, c’est ce à quoi elle devrait sûrement ressembler. « On les garde à tour de rôle. Il n’y a rien de précis encore mais je crois qu’on trouve petit à petit notre rythme, là. » Les faits avant les émotions, c’est l’accord tacite qu’elle a passé avec elle même lorsqu’il s’agit de répondre à des questions épineuses. Les faits sont ce qu’ils sont, jamais ils ne pourront blesser ; encore moins alors qu’elle répond totalement à côté de la plaque sans réellement le chercher. La véritable réponse à sa question ne vient finalement que plus tard alors que la blonde hoche la tête et se veut rassurante? « Oui, oui j’ai du temps pour moi. Je ne peux pas me plaindre de ça. » Ni de quoi que ce soit d’autre, ce n’est pas ce que je voulais dire. Attend, on peut recommencer ?
Une inspiration plus tard, elle reprend ses mots à propos du père de Gabriele. « Je vois ce que tu veux dire en parlant de bons termes. Et du fait que tu aurais aimé que ça se passe autrement. » Mots qu’elle ne connaissait que trop bien, tout comme toutes les émotions qui semblent l’assaillir sans qu’elle ne se sente à l’aise pour les expliquer ou même poser de mots dessus. Charlie sait, elle ne lui demandera pas de s’expliquer plus en détails. Cela ne servirait à rien, certaines choses ne peuvent pas être expliquées seulement avec des mots. Parfois elles se sentent, voilà tout. « Tu sais, les semaines où j’ai pas Gab je peux les garder si tu as besoin de te changer les idées, c’est vraiment important si t’es seule pour gérer. » Elle sourit et rigole, toujours gênée qu’on lui offre la charité alors qu’elle ne s’en pense pas méritante. Certaines choses et sentiments ne sentent jamais, bien trop ancrés dans son propre métabolisme. « Non non ne t’en fais pas. Enfin oui, merci, c’est vraiment gentil de ta part et je sais que je peux te compter sur toi mais … tu sors à peine des couches, je ne vais pas t’y replonger de suite. » Cette fois-ci le rire se veut bien plus amusé que gêné. Gabriele a trois ans, elle a déjà bien assez vécu tout ce avec quoi la blonde jongle au jour le jour et cette dernière fera donc autant d’efforts que possible pour ne pas l’importuner avec ses enfants, d’autant plus qu’ils sont au nombre de deux et inséparables.
La seconde partie de sa question, celle là même qui n’était même pas une question, mérite réellement d’être évoquée de nouveau peu importe à quel point elle brûle encore la gorge et le coeur de la jeune mère. « Il est un bon père, vraiment. » Elle lui reproche sans doute bien des choses mais cela reste pleinement personnel et il a bon nombre de qualités que jamais elle ne pourrait lui retirer ; celle d’être un bon père passe avant tout. Il était là quand les jumeaux en avaient besoin et elle n’a aucun doute à propos du fait que cela restera toujours le cas. Mais. Il y a toujours un mais. Il vient en contre coup, l’inévitable mais. « Mais on ne veut pas les mêmes choses au même moment et je crois que … finalement on n’était peut être pas faits l’un pour l’autre. » Il veut se poser, il veut être un adulte, il veut avoir une vie stable et prévoir son futur alors qu’elle n’y arrive toujours pas. Elle a essayé, elle a vraiment essayé. De toutes ses forces et de tout son coeur, elle a simplement réussit à perdre une part d’elle même dans le processus. Il n’a pas à passer une vie à l’attendre tout comme elle n’a pas à changer pour lui, c’est tout ce que tout le monde devrait retenir de cette histoire. Cela ne les empêche pas de se respecter et de continuer à faire au mieux pour les jumeaux.
Prenant une dernière grande inspiration, elle finit par rigoler tout seule en secouant doucement la tête. « Je suis venue pour avoir une réponse alors que de toute façon ma décision est prise, c’est stupide. » La jeune femme trempe ses lèvres dans le vin et le déguste lentement, comme le font les adultes et non pas ceux qui cherchent à se saouler le plus rapidement possible. « Et j’aurais dû prévenir que ça allait tourner en soirée mec. » L’adolescente en elle rigole de nouveau, sa tête se reposant finalement contre le dossier du canapé. « L’offre de baby sitting est à double sens, tu sais. Je ne t’ai jamais demandé comment tu gérais Gabi avec le boulot, mais pour le moment je n’ai pas repris le mien alors si tu as besoin … je pourrai lui apprendre à faire ses cookies préférés. »
Livia laisse les mots venir petit à petit, car elle est bien la première à détester lorsque quelqu’un tente de la faire tout déballer alors qu’elle n’a aucune envie de parler de certaines choses. Alors, face à Charlie, elle se contente de l’écouter tranquillement, buvant ses paroles avec bien plus d’assiduité que son verre de vin, tout en essayant de se mettre à sa place. Ce n’est pas facile, de son point de vue à elle de trentenaire, longtemps casée, mais elle tente de se rappeler de celle qu’elle était, il y a quelques années. Toujours sérieuse, et sans doute bien différente de Charlie même à son âge, mais elle se rappelle de cette peur de l’engagement qui l’a longtemps taraudée. Elle n’a jamais vraiment su mettre le doigt sur la raison qui l’a poussée à attendre si longtemps pour avoir un enfant – qui n’était même pas prévu, ou de ne jamais s’être mariée. Sans doute car même si sa vie semblait alors bien rangée, au fond, elle se savait encore libre de changer d’avis et tout envoyer valser tant que rien de concret ne la retenait. Ce qu’elle n’a finalement jamais fait, car les années passant, elle ne s’est jamais plus sentie capable d’effacer tout ce qu’elle avait construit, et n’avait jamais eu le courage prendre une décision dans un sens ou dans l’autre – prévoir mariage et enfant, ou tout effacer et recommencer. Elle ne regrette rien, surtout pas sur son fils, mais elle a bien conscience aujourd’hui qu’elle aurait peut-être fait différemment si elle avait l’occasion de tout revivre. Elle ne se torture pas souvent à cette pensée, mais elle a bien conscience que parfois, elle a été bien plus spectatrice qu’actrice du cours de sa vie. Mais à quoi bon ressasser le passé, se dit-elle souvent.
Alors, quand elle écoute Charlie, elle se rend bien compte que ce genre de questionnement est universel, mais elle sait aussi que la jeune femme a plus de caractère qu’elle ne pouvait en avoir alors, et qu’elle n’a pas l’air du genre à s’enfermer dans une situation qui ne lui convient pas. « On les garde à tour de rôle. Il n’y a rien de précis encore mais je crois qu’on trouve petit à petit notre rythme, là ». C’est bien tout ce que Livia peut lui souhaiter, et elle hoche donc la tête lorsque Charlie la rassure, plutôt que de se plaindre de sa situation. « Tant mieux » se contente-t-elle alors de répondre, car elle ne ressent pas le besoin de se répéter, et de s’assurer que ce que lui dit Charlie est véridique. Si cette dernière a l’air assurée en lui disant cela, elle se contente de la croire, et d’être heureuse pour elle qu’elle ait la chance de pouvoir se reposer sur quelqu’un d’autre malgré tout. « Non non ne t’en fais pas. Enfin oui, merci, c’est vraiment gentil de ta part et je sais que je peux te compter sur toi mais … tu sors à peine des couches, je ne vais pas t’y replonger de suite ». Elle sait bien que Charlie se débrouille visiblement très bien, et qu’elle n’est clairement pas la seule personne dans sa vie qui serait bien contente de lui rendre ce service, mais elle tenait à lui proposer de vive voix. Elle veut bien croire que beaucoup de choses se comprennent dans le non-dit, mais elle trouve important de rappeler régulièrement aux gens qui lui tiennent à cœur qu’elle est là pour eux. Elle ne prend jamais ses relations pour acquises, et chez elle, cela passe notamment par les attentions et les mots de soutien, qu’elle trouve trop rare chez beaucoup de personnes.
Elle ne veut donc surtout pas insistante, mais elle ne peut lâcher ce qu’elle a réellement sur le cœur, et qui malheureusement occupe tant son esprit ces derniers mois. « Ça peut paraître étrange, mais je donnerai tout ce que j’ai pour y retourner dans les couches ». Enfin, tout sauf son sommeil, mais ça vaut le coup. Elle se veut légère, et lâche un petit rire également, mais elle pense si fort chacun des mots qu’elle vient de prononcer, que cela se voit bien sur son visage qu’elle ne se contente pas de plaisanter. Mais comme à son habitude, le petit sourire qu’elle arbore en permanence arrive à masquer le fait que son regard se perd parfois, lorsqu’elle aborde certains sujets qui la touchent vraiment. Très vite, elle se ressaisit pour écouter Charlie, qui prend le temps de peser chacun de ses mots. Livia sait qu’il s’agit d’un sujet sensible, et ne cherche pas à pousser Charlie au-delà de ce qu’elle veut bien dévoile elle-même. Elle se contente de boire tranquillement et de laisser son regard vagabonder entre Charlie et la télévision, pour ne pas créer une pression supplémentaire sur la blonde. « Il est un bon père, vraiment. Mais on ne veut pas les mêmes choses au même moment et je crois que … finalement on n’était peut-être pas faits l’un pour l’autre ». Livia le conçoit totalement, et le plus important pour elle est d’entendre de la bouche de Charlie qu’elle considère que le père de ses enfants est fiable lorsqu’il s’agit d’eux. A partir de là, la brune n’a pas à convaincre Charlie de quoi que ce soit, car tant qu’elle et ses enfants sont en sécurité, le reste est désormais à sa discrétion, et Livia ne veut surtout pas imposer ses idées à la jeune maman. Au contraire, elle l’admire de savoir s’imposer, d’avoir la maturité de prendre conscience que tout ne s’arrête pas aux sentiments et à l’attachement de deux personnes. Elle a le courage de continuer à penser à elle, et à ses enfants, et à ne pas se laisser arrêter par la société qui prône volontiers qu’être une jeune maman célibataire n’est pas supposé être un choix – alors que si, et Charlie le porte bien. Lorsque Charlie finit par lâcher un petit rire, Livia comprend bien qu’elle a livré ce qu’elle avait besoin de faire sortir. « Je suis venue pour avoir une réponse alors que de toute façon ma décision est prise, c’est stupide ». Livia rejette cette idée d’un signe de main et d’une petite moue – évidemment que ce n’est pas stupide. « Oui, je pense que tu sais très bien ce que tu veux pour l’instant, et que tu feras au mieux pour toi et les jumeaux dans tous les cas. Franchement, j’aurais aimé qu’on se connaisse y a dix ans, t’aurais pu me coacher en prise de décision difficile », lâche-t-elle en riant. « Et j’aurais dû prévenir que ça allait tourner en soirée mec ». Ça ne la dérange pas du tout que la soirée ait tournée sur ces sujets, parce qu’à son âge, ses autres amies sont pour la plupart mariées et heureuses, alors ce n’est pas forcément à elles que Livia confie aussi facilement ses états d’âme sur la complexité des relations amoureuses. « Oh ça me rajeunit tu sais ! Même si au final peu importe l'âge, la question qu’on se pose c’est toujours la même, est-ce qu’on est heureuse dans cette situation ? ». Balayant le sujet d’un signe de la main, elle finit son verre – à croire qu’elle a bu plus rapidement qu’à son habitude – puis lâche un grand sourire quand Charlie lui retourne son offre de baby-sitting. « C’est super gentil, un de ses jours faudra lui organiser une session cookies oui. Mais j’ai vraiment de la chance, avec la garde une semaine sur deux ça me laisse le temps de me consacrer au magasin ».
Puis Livia attrape la télécommande et zappe, dans l’espoir de trouver un programme sur lequel elles pourraient se laisser aller à des petits commentaires dignes d’adolescentes. Déjà deux verres, et Livia en oublierait presque qu’elle a l’habitude d’afficher l’image respectable d’une mère de famille qui ne prononce pas un mot de travers – c’est bien elle, elle ne cherche pas à s’en cacher, mais parfois elle aurait bien envie de se lâcher un peu. Puis elle se retourne vers Charlie. « Au fait, t’as mangé ? Je peux te cuisiner un truc, parce que je te laisse pas repartir en voiture si t’as juste bu ». La voilà, la maman responsable qui ne peut s’empêcher de revenir au galop. Enfin, pas toujours. « C’est clairement pas le moment, mais faut quand même que je te précise au cas-où que le nouveau voisin est pas mal du tout ». Sur ces mots, elle lève un sourcil en signe d’auto-approbation et prend une nouvelle gorgée. Ça n’est pas vraiment dans le ton des échanges précédents, mais rien de tel pour détendre l’atmosphère qu’une remarque d’ado dénuée de toute réflexion.
Pour des raisons bien différentes, nul doute que Charlie aurait aimé rencontrer Livia il y a de ça dix ans. Malgré leur différence d’âge, elles auraient peut être déjà pu se trouver des atomes crochues à l’époque et être présentes l’une pour l’autre dans les différentes étapes de leur vie. Livia aurait su apprécier la fougue de son homologue blonde alors que Charlie aurait détesté écouté ses réponses réfléchies mais l’aurait tout de même écoutée quoi qu’il soit dit. Désormais elles ne peuvent pas rattraper toutes ces années perdues, seulement faire au mieux pour rattraper les dommages qui ont déjà été causés et en éviter d’autres, sans doute pire encore. Parler de sa relation avec Timothy lui a fait du bien pour le temps que ça a duré, être auprès d’une oreille attentive extérieure à leur histoire est un bien précieux que jamais elle ne saurait rabaisser quelles qu’en soient les circonstances. La brune n’est pas entrée dans sa vie il y a longtemps de cela mais désormais elle ne l’image plus en ressortir, peu importe si leurs discussions sont loin d’être quotidiennes elles n’en restent pas moins essentielles.
Chaque jeune femme finit son verre de vin sans plus de commentaire à ce sujet, comme s’il s’agissait là de la manière la plus logique de continuer la soirée. Alors que Charlie s’enfonce un peu plus dans le canapé, le coeur paradoxalement bien plus léger, elle observe son amie passer d’une chaîne à une autre, un sourire au coin des lèvres. Cette maison sonne comme un chez soi improvisé et la présence de son amie ne fait que renforcer cette idée, ce qu’elle prouve une fois de plus en proposant un repas. « Au fait, t’as mangé ? Je peux te cuisiner un truc, parce que je te laisse pas repartir en voiture si t’as juste bu. » « Depuis quand les cookies ne rentrent plus dans la case “repas d’adulte sain et équilibré ?” » La bienveillance de Livia la rassure et elle est loin d’être belliqueuse ce soir, elle se pliera donc à tous les bons vouloir de son amie peu importe qu’elle décide de la séquestrer ou de la nourrir à coup de chocolat chaud donnés au biberon. A en juger par son niveau de fatigue, la blonde serait prête à s’adapter à tous les cas de figure s’ils suffisent à faire plaisir à Livia ou à la rassure
« C’est clairement pas le moment, mais faut quand même que je te précise au cas-où que le nouveau voisin est pas mal du tout ». Charlie éclate de rire dans la seconde, loin de s’imaginer que la discussion allait prendre une telle tournure aussi rapidement. « Du genre pas mal du tout je dois me porter volontaire pour garder Gabriele le jour où tu l’inviteras à dîner ? Ou pas mal du tout du genre tu vas avoir une fuite d’eau ? Ou pas mal du tout t’as besoin de farine ? Ou pas mal du tout tais toi Charlie on est pas dans un film ? » Les scénarios de la blonde s’accumulent, elle ne manque malheureusement pas d’imagination et son sourire en fait que grandir un peu plus à chaque fois qu’elle propose une nouvelle réponse possible à ce qui n’était même pas une question. Livia pourrait très bien avoir inventé ce fameux voisin de toutes pièces qu’elle serait de toute façon tombée dans le piège, toujours trop envieuse d’en apprendre plus au sujet des relations des autres tout en espérant que cela reste moins catastrophique que pour elle. Comme quoi, l’espoir est toujours permis. « Et si tu parlais vraiment pour moi, j’ai aussi de très gentils voisins, ne t’en fais pas. » Par gentils elle entend attirants, par voisins elle entend tout sauf des voisins. Les noms résonnent dans son esprit, elle ne les prononce pas à voix haute de peur de jeter le mauvais sort - et de toute façon cela n’aiderait pas Livia à se les représenter. « Si je mange, je vais dormir dans la minute. Sinon je peux très bien rentrer en voiture, tu m’as volé la bouteille pendant tout le temps qu’on parlait et je te jure que je ne sais même pas à quoi elle goûte. » Presque pas, mais l’histoire n’a pas besoin de se souvenir de détails tels que celui-ci. Charlie lève les mains au niveau de sa tête pour montrer patte blanche, une moue sur le visage pour accentuer le tout encore un peu plus. Finalement, elle ne veut pas être un poids mort pour Livia et la laisse seule juge de la suite de la soirée, tous les scénarios convenant à la blonde. « T'as déjà été en couple depuis qu'avec son père vous ... ? Enfin je veux dire, t'as rencontré du monde ? » Sa curiosité revient pourtant bien vite au galop, les mots sortant de sa bouche bien avant qu'elle n'ait pu penser à une quelconque tournure politiquement correcte pour ses questions qui n'ont justement rien de correct.
A cet instant-là, ce n’est pas tant qu’elle est prise d’une folle envie de cuisiner, mais plutôt que sa nature sérieuse reprend le dessus – car il y a certaines choses avec lesquelles elle ne s’amuse pas, notamment la conduite. En temps normal, elle n’est jamais totalement rassurée de conduire la nuit ou de voir ses amis prendre repartir dans le noir, mais lorsque l’alcool entre en jeu, elle se montre encore plus intraitable. « Depuis quand les cookies ne rentrent plus dans la case “repas d’adulte sain et équilibré ?” ». Perdue dans leur discussion assez sérieuse, elle en aurait presque oublié les cookies que Charlie a ramené, et dont elle sait très bien que la blonde elle-même en raffole. Bien qu’elle soit du genre à faire relativement attention à ce qu’elle mange, et à préférer cuisiner elle-même, elle est loin de refuser une gourmandise en fin de soirée. Elle valide donc cette idée d’un petit rire. « Depuis jamais, t’as raison ». Alors qu’elle se lève pour attraper la boîte de cookies qu’elle a posé sur le bar de la cuisine lorsque Charlie est arrivée, cette dernière éclate de rire à l’évocation du voisin de Livia. Aussitôt revenue avec les cookies et deux assiettes pour ne pas en mettre partout – on ne se refait pas, et Livia reste bien trop prévoyante – elle s’amuse de l’enthousiasme soudain de Charlie pour la question. Quelque soit l’âge, certains sujets universels attirent toujours autant l’attention. « Du genre pas mal du tout je dois me porter volontaire pour garder Gabriele le jour où tu l’inviteras à dîner ? Ou pas mal du tout du genre tu vas avoir une fuite d’eau ? Ou pas mal du tout t’as besoin de farine ? Ou pas mal du tout tais toi Charlie on est pas dans un film ? ». A son tour, Livia éclate d’un rire franc en laissant Charlie s’emmêler dans son imagination. Pour aussi peu sérieuse que soit cette conversation, Livia ne peut s’empêcher de se sentir légère et momentanément libérée de toutes les autres discussions habituelles qu’elle échange avec les mamans de son âge - qui tournent moins autour des voisins séduisants que des marques de petits-pots et des compétitions entre parents qui tentent chacun de mettre en avant l’intelligence incroyable de leur bambin de trois ans, capable de mettre des triangles dans des trous de couleur. « Et si tu parlais vraiment pour moi, j’ai aussi de très gentils voisins, ne t’en fais pas ». Assez paradoxalement, elle mentionnait cet inconnu pour Charlie, plutôt que pour elle, alors que la situation est pourtant plus claire de son côté, puisqu’elle n’a vraiment personne dans sa vie. « Je disais ça pour toi, tu m’imagines aller toquer pour demander de la farine alors que j’en ai 300 paquets au boulot ? Je serais vite grillée ». Elle rigole, mais au fond d’elle, question de farine ou pas, c’est plutôt l’idée d’aller toquer pour une raison bidon dont elle se sent bien incapable.
Alors qu’elle n’a pas encore ouvert la boite de cookies, mais continue à descendre doucement son verre, elle ne peut qu’hocher la tête avec un sourire presque coupable lorsque Charlie lui en fait la remarque. « Si je mange, je vais dormir dans la minute. Sinon je peux très bien rentrer en voiture, tu m’as volé la bouteille pendant tout le temps qu’on parlait et je te jure que je ne sais même pas à quoi elle goûte » « Touchée, j'abuse là. Mais quand même, t’as une réputation à tenir avec les cookies en plus » dit-elle en faisant glisser la boite vers elle, après s’être servie. Elle a évidemment croisé Charlie au Death Before Decaf’ plusieurs fois, suffisamment pour savoir que c’est une habituée du lieu. Alors que Livia déguste le premier cookie, elle lâche un soupir qui ne cache pas à quel point elle n’a absolument aucun regret de voler les friandises destinées à son fils. Enfin, elle n’en mangera que deux – ou trois – et lui laissera le reste, car ce n’est quand même pas une maman indigne. Ou suffisamment indigne pour se servir de ces cookies comme récompense s’il accepte de se montrer sage le lendemain. Sans trop de surprise, Charlie rembraye sur la discussion précédente, ce que n’aurait pas osé faire Livia seule en ayant peur de trop toucher la corde sensible, mais elle se prête avec joie au jeu des questions réponses. Bien qu’elle n’ait pas de réponse vraiment intéressante à fournir. « T'as déjà été en couple depuis qu'avec son père vous ... ? Enfin je veux dire, t'as rencontré du monde ? ». Face à certaines personnes, elle se serait posé la question de ce qu’elle aurait dû dire ou garder pour elle, de peur d’être jugée dans un sens ou dans l’autre. Mais devant Charlie, elle n’éprouve vraiment aucune honte. « J’ai rencontré quelqu’un y a un moment mais rien de sérieux. Je sais plus faire en fait, ça fait plus de dix ans que je suis plus dans le dating game, je suis trop rouillée j’ai l’impression d’avoir quinze ans ». Elle n’aurait pas pu mieux résumer son sentiment face aux hommes ces derniers temps – qu’elle soit intéressée ou non, elle perd facilement ses moyens, encore plus qu’avant. Elle ne sait même pas si elle est vraiment intéressée par le fait de retrouver quelqu’un, d’ailleurs. On lui avait toujours dit qu’à partir d’un certain âge, les femmes prenaient de l’assurance, mais de ce côté-là elle a l’impression d’avoir évolué dans le sens inverse. Plus jeune, elle se posait moins de questions, et prenait davantage de risques – à tous points de vue. Prise de curiosité, elle veut retourner la question à Charlie mais ne connaissant pas exactement où elle en est à ce niveau-là, elle esquive la question frontale pour laisser une ouverture à la blonde dans sa réponse. « Et toi ? Je t’imagine bien plus sûre de toi à ce niveau-là ». Elle croque un autre bout de son cookie et rempile, bien trop lancée sur ce nouveau sujet. « Imaginons. Le fameux voisin là, si tu voulais l’aborder en montrant que t’es intéressée mais sans passer pour une désespérée, tu ferais comment ? ». Autant dire qu’elle lance l’idée comment s’il s’agissait de Charlie, mais elle pose véritablement la question pour elle. Elle a mentionné le voisin sans être vraiment sérieuse, et plus pour la jeune femme que pour elle, mais elle doit avouer qu’elle a plusieurs fois louché dans sa direction en le croisant. Sauf qu’elle n’a jamais imaginé vraiment l’aborder. Peut-être que Charlie pouvait se montrer suffisamment inspirante pour qu’elle se décide à sortir de sa petite zone de confort, pour une fois.
Charlie a toujours les yeux d’une enfant dès lors qu’il s’agit d’écouter les histoires de coeur d’une personne qui n’est pas elle même. La blonde part du postulat que peu importe ce qu’il peut être raconté, ce sera toujours moins catastrophique que la tempête permanente qui se passe dans son propre coeur. Les aveux de Livia la touchent de par leur humanité, son aînée qui doute de son droit de encore parle de dating quand bien même elle a encore l’âge de tout, son amie. En revanche elle ressemble effectivement à une adolescente, elle qui sourit dans le vide, elle qui n’ose rien de peur de ne pas dire ce qu’il faut. Le sourire de la jeune mère face à elle ne se fait que plus grand encore, plus rassurant aussi si elle le peut. Jamais il ne lui viendrait à l’esprit de reprocher à Livia d’avoir une vie sentimentale plus calme et un peu moins proche du chaos et de l’effondrement. « Et toi ? Je t’imagine bien plus sûre de toi à ce niveau-là » Elle a un rire gêné qu’elle cache en dodelinant de la tête. Ce n’est pas la question en elle même qui l’incite à avoir ce genre d’attitude là mais simplement l’idée que se fait Livia selon laquelle tout devrait être plus simple en ayant confiance en soi à propos du dating. Ce serait mentir que de dire que la blonde ne connaît pas ce qu’elle vaut, ou, en tout cas, qu’elle ne connaît pas tous les regards qu’elle a le don d’attirer sur sa personne sans réellement le vouloir. Elle n’a jamais eu de problème à plaire, elle en a cependant bien plus à se poser et s’accorder un peu de temps pour elle, pour être heureuse avec une seule et unique personne pendant plus de quelques jours, semaines, mois. Elle se lasse vite, sachant déjà qu’elle saura trouver quelqu’un d’autre en un rien de temps, elle qui ne cherche jamais à savoir si la personne sera quelqu’un de bien ou non. Charlie s’est toujours contentée d’un rien, simplement heureuse qu’on puisse lui apporter de réconfort lorsqu’elle en demande - c’est à dire tout le temps.
Elle prend le temps de manger une partie du cookie, faisant à son tour bien attention à ne laisser aucune miette se faufiler en dehors de l’assiette. Elle gagne une seconde de plus, deux, laisse à Livia le temps de peaufiner sa demande et y ajouter tout un scénario allant avec - et cette fois-ci Charlie rigole réellement, amusée. « Imaginons. Le fameux voisin là, si tu voulais l’aborder en montrant que t’es intéressée mais sans passer pour une désespérée, tu ferais comment ? » Le voisin prend mille visages différents dans son esprit, du plus au moins doux, des meilleurs souvenirs jusqu’aux pires. Elle sourit dans le vide, perdue dans ses pensées et dans les milliers de scénarios qui en découlent. “Tu peux toujours dire que t’es nouvelle dans le voisinage et lui proposer le meilleur truc que tu saches cuisiner ? Parce que le but c’est pas de l’empoisonner ni qu’il te fuit comme la peste après avoir mangé un truc immangeable, tu vois, ça serait un mauvais début.” Tout coule de source mais elle s’amuse à ajouter des explications qui sont pourtant logiques. Charlie a déjà oublié que la question était supposément pour elle et a changé pour un discours à la troisième personne, bien plus adapté à la situation sans qu’elle ne le sache réellement. La blonde a son coeur séparé en bien de nombreuses personnes, cela fait bien longtemps que les voisins ne viennent la voir que pour lui demander de baisser le son de la musique. “Aller se balader sur la plage est toujours un très bon choix.” Reposant le reste de cookie à moitié mangé et son assiette sur la table devant elle, la blonde en vient à replier ses jambes sous elle et se reposer contre le dossier du canapé. Elle affiche un sourire rêveur, imaginant déjà Livia vivant pleinement sa vie de jeune mère bien installée dans la vie et désormais aux bras d’un autre. A ses yeux elle mérite tout le bonheur du monde et bien plus encore. “Tant que tu ne l’embrasses pas dans la seconde après avoir ouvert la porte, je suis certaine que tu seras parfaite dans le rôle.” Sa tête glisse sur le tissu du canapé, ses yeux bleus remontent vers son amie en même temps que le sourire allant avec. Elle est loin d’avoir besoin de quelconques conseils de la blonde. “Tu veux que je joue le rôle de la désespérée ? Je peux être incroyable là dedans, et après t’auras l’air d’un ange tombé du ciel à côté. J’imagine que tout dépend d’à quel point ce fameux voisin est charmant ?”
Sa question est restée sans réponse, mais Livia ne s’en offusque pas. En y réfléchissant bien, ce n’était peut-être pas tant une question qu’une remarque retournée contre elle. En déviant l’attention sur l’assurance qu’elle décède dans le comportement de Charlie, cela lui permet d’éviter de mentionner qu’elle en manque parfois, de cette assurance-là. En revanche, la blonde se montre tout de suite bien plus loquace lorsqu’il s’agit d’imaginer en détails nombre de situations hypothétiques que Livia n’osera jamais vraiment tenter, et elle le sait bien. Mais elle aime rêver à l’idée de se montrer parfois plus entreprenante, et les paroles de Charlie lui permette de s’imaginer une autre personne durant quelques secondes. « Tu peux toujours dire que t’es nouvelle dans le voisinage et lui proposer le meilleur truc que tu saches cuisiner ? Parce que le but c’est pas de l’empoisonner ni qu’il te fuit comme la peste après avoir mangé un truc immangeable, tu vois, ça serait un mauvais début. » L’idée de base n’est même pas si improbable puisqu’elle invite régulièrement ses amis à goûter sa cuisine, mais Livia manque cruellement de cette petite dose de courage et de confiance en elle suffisante pour proposer la même chose à quelqu’un qui lui soit presque inconnu. Elle ne sait même plus où elle l’a perdu, ce courage, ou si elle l’a déjà eu. Lorsqu’elle était étudiante, elle a eu plusieurs histoires amoureuses dont certaines n’ont pas été bien sérieuses, sans que cela lui pose le moindre problème. Et puis, elle n’a pas hésité à partir à l’autre bout du monde pour ne jamais en repartir, ce qui ne fait pas vraiment d’elle une froussarde peureuse d’approcher les inconnus, au contraire. Quand elle y repense, cette aisance de vivre qu’elle avait à l’époque ne reposait même pas sur du courage ou du culot, mais une forme de lâcher prise qui suffisait à attirer les gens auprès d’elle. Elle n’avait jamais été du genre à faire un premier pas forcé, en amitié comme en amour, mais les évènements venaient à elle sans qu’elle ait besoin de les chercher, car elle dégageait quelque chose de solaire qui la rendait facile à vivre et à approcher. Elle n’a pas tant changé, et c’est davantage son expérience de vie qui l’a transformée – après avoir passé dix ans avec quelqu’un, elle s’est persuadée toute seule qu’elle ne saurait plus se comporter envers un homme, alors qu’elle en a simplement perdu l’habitude. Lorsqu’elle est à l’aise, elle est loin d’être aussi timide qu’elle l’imagine, et elle sait au fond d’elle qu’en réalité, elle n’aurait qu’à se replonger dans le bain pour que la peur de l’inconnu commence à s’effriter. « Aller se balader sur la plage est toujours un très bon choix. » Ça, c’est davantage son genre, et elle hoche la tête pour valider l’idée. Même si finalement, la meilleure idée à ses yeux, ça reste que la rencontre soit fortuite, et qu’elle ait la chance de croiser ce fameux voisin – ou même quelqu’un – par hasard, ce qui rendrait le contact moins forcé de son côté. « Tant que tu ne l’embrasses pas dans la seconde après avoir ouvert la porte, je suis certaine que tu seras parfaite dans le rôle. » Elle ne retient pas un rire franc, parce qu’elle sait pertinemment que Charlie la prévient d’avance contre une situation qui n’arriva jamais, ce qui rend l’idée drôle et absurde à la fois. Elle essaie de s’imaginer sauter au cou du voisin sans le prévenir, et son imagination lui fait croire un instant que ce serait une sacrée entrée en matière, mais ça ne lui ressemble en rien. « Ça risque pas ! L'idée du dîner est pas mal, ça c’est dans mes cordes. Enfin faudrait qu’il accepte un vrai dîner et qu’il préfère pas les cookies, lui. » Elle lui lance un regard mi-accusateur, mi-amusé. Malgré son léger manque de confiance en elle, elle ne ressent aucune gêne face à Charlie, qui sait détendre l’ambiance comme personne ; et la transporter dans des situations qui donneraient presque envie à Livia de se lancer dans l’idée de les reproduire, tant elles paraissent faciles et logiques dans les mots de Charlie. L’idée de fond est vraie, et Livia le sait ; si elle veut quelque chose, elle devrait se lancer.
Mais toute cette discussion n’est finalement qu’hypothétique, elle ne cherche pas vraiment de réponses à des questions précises. Mais loin d’en avoir terminé avec son imagination débordante, Charlie pousse l’idée encore plus loin, ce qui accentue le sourire de Livia et lui tire un nouvel éclat de rire alors qu’elle termine un deuxième cookie et manque d’en cracher les dernières miettes. « Tu veux que je joue le rôle de la désespérée ? Je peux être incroyable là-dedans, et après t’auras l’air d’un ange tombé du ciel à côté. J’imagine que tout dépend d’à quel point ce fameux voisin est charmant ? » « J’apprécie que tu te donnes autant dans cette histoire, mais je pense pas être désespérée à ce point-là quand même, en tout cas j’espère pas renvoyer cette image-là » lâche-t-elle d’un air amusé, mais ses yeux trahissent un réel questionnement. Charlie a beau trouver la situation amusante, Livia espère quand même qu’elle ne la prend pas réellement pour une désespérée totale. Au fond, elle a quand même une pointe de fierté assez tenace, et si elle s’amuse à s’apitoyer sur son propre sort, ce n’est que superficiel et elle ne cherche pas à ce qu’on la plaigne vraiment. Son quotidien lui convient très bien, alors la dernière chose dont elle aurait envie serait de passer pour une malheureuse perdue. « En tout cas je te promets que la prochaine fois qu’on se verra, j’aurai une histoire un peu plus intéressante à te raconter. Ça me forcera à me lancer. » Elle va pour attraper son dernier verre de vin, maintenant que la bouteille est terminée, puis se ravise avant de reprendre. « A la fac j’avais fait un pari avec une amie. On s’était promis qu’un jour, dans un bar, on irait chacune aborder un inconnu. » Elle lève un sourcil, comme pour instiller une idée sans vraiment oser la prononcer. « Ça s’est jamais fait, dommage parce que ça aurait pu être drôle. Ou très gênant, mais quand même drôle après. » Alors qu’elle déplie ses jambes presque endolories de n’avoir pas été dépliées depuis un moment, elle attrape la bouteille vide pour aller la poser avec ses autres déchets en verre. Revenant vers Charlie, elle lui laisse le soin de requérir une nouvelle bouteille, ou de préférer en rester là pour ce soir. Ce qui serait sans doute plus sage, car Livia ne laisserait pas Charlie boire bien plus, et elle se retrouverait donc à enchaîner elle-même bien plus de verres que de raison. Il ne manquerait plus qu’elle n’ait pas les yeux en face des trous le lendemain devant les clients – à son sage, et vu le peu qu’elle boit habituellement, elle a malheureusement des lendemains difficiles quand elle pousse un peu trop la boisson.
Imaginer l’hypothétique futur amoureux de Livia avec son voisin qu’elle ne connaît ni d’Eve ni d’Adam aura au moins eu comme conséquence d’amuser la blonde pendant un temps. Elle s’est vue au milieux de plans improbables comme elle seule sait les créer, elle a envisagé la pierre dont serait sertie l’anneau faisant office de bague de mariage pour son amie. Elle avait même en tête la forme générale de la robe de l'épicière, pour vous dire à quel point son cerveau peut tourner à vive allure dès lors qu’il s’agit de faire des plans sur la comète en partant d’un rien. Elle est devenue incroyablement douée dans ce domaine ci à défaut d’être capable de garder les pieds sur Terre en aucune manière. On se sent plus léger, dans l’espace, que voulez-vous. “Tu renvoies pas une image de désespérée, c’est promis.” Charlie l’assure d’un sourire franc pour appuyer ses paroles qui sont tout aussi sincères. Livia apparaît comme quelqu’un d’attaché aux traditions et de droit dans ses bottes mais jamais ô grand jamais cela ne serait à rattacher à aucun désespoir. Elle a sûrement dû faire face à assez de déconvenus pour ne plus se faire avoir ; prise de recul que la blonde ne prendra sûrement jamais.
« En tout cas je te promets que la prochaine fois qu’on se verra, j’aurai une histoire un peu plus intéressante à te raconter. Ça me forcera à me lancer. » L’idée amuse Charlie, elle serait bien la dernière à dire à Livia de se raviser. Bien au contraire, si cela peut donner à son amie une raison pour aller de l’avant et prendre confiance en elle alors jamais elle ne tentera de lui dire de se calmer. Elle est jeune, belle et dynamique et aux yeux de la blonde elle pourrait avoir tout ce qu’elle désire, peu importe sa forme. Après tout elle a monté son entreprise seule et la fait tourner à la force de ses mains et aux connexions de son cerveau alors c’est bien là la preuve qu’elle est capable de tout tant est qu’elle le désire. « A la fac j’avais fait un pari avec une amie. On s’était promis qu’un jour, dans un bar, on irait chacune aborder un inconnu. » L’idée intéresse la jeune mère qui relève un sourire intrigué et se retourne vers la brune, désormais impatiente de connaître la suite de cette histoire sortie de nulle part. Elle donnerait cher pour avoir n’importe quelle anecdote datant d’une vie auparavant, sûrement. « Ça s’est jamais fait, dommage parce que ça aurait pu être drôle. Ou très gênant, mais quand même drôle après. » Au tour de la blonde de rigoler gaiement, tant par amusement enfantin que par excès de vin, sans doute. Tout se mélange dans son esprit et il lui en faut vraiment peu pour se contenter de simplement sourire dans le vide comme si elle venait d’apprendre la plus incroyable nouvelle de tous les temps. Dans un sens c’est sans doute le cas puisque maintenant elle se jure qu’un jour ou l’autre Livia devra réaliser ce gage, que ce soit en la présence de Charlie ou non. Cela en devient pour ainsi dire une affaire d’Etat, pas moins. “Si on était dans une comédie romantique, tu ferais le gage demain et d’ici un mois tu serais mariée à l’amour de ta vie.” Tête posée sur l’accoudoir, elle garde les yeux posés sur le plafond sans se resservir de verre - il vaut mieux ainsi. Elle se contente simplement de sourire dans le vide, heureuse que Livia ait réussi à lui changer les idées de la sorte allait qu’il faut bien avouer que tout avait vraiment mal commencé. “Et il s’appelerait Pedro, parce que si consonance hispanique il y a alors le mariage sera heureux.” Énième règle inventée à la seconde dont vous avez allègrement le droit de vous moquer, Charlie elle même se moquant de ses dires qui ne font aucun sens. Même sans alcool ses paroles ont tendance à être plus que décousues, de toute manière. “Si mon chauffeur de taxi s’appelle Alexandro, je chope son numéro et il est pour toi. Promis.” Le chauffeur de taxi, donc, parce que toutes les deux auront bien compris que la soirée touche à sa fin et qu’il est hors de question pour Charlie que d’abuser de l’hospitalité de son amie. Elle anticipe déjà pour autant un refus catégorique de sa part de la laisse partir à pied, d’où le compromis du taxi trouvé dans la seconde. Certains pourraient dire que Charlie agit par habitude et ce serait totalement vrai. Tout ce dont elle se souvient c’est d’avoir rassemblé toutes les miettes de cookies dans l’assiette adéquat et d’avoir embrassé Livia une dernière fois sur la joue avant de lui souhaiter une bonne soirée. On a déjà fait pire niveau souvenirs, vous voyez - nul besoin de préciser qu’il y a eu mieux aussi. "Merci" qu'elle a aussi précisé une dernière fois en le murmurant à son oreille alors qu'elle entourait son torse de ses bras. Merci pour tout.