Il n’avait pas fallu beaucoup de temps à la brune pour se rendre compte que pour en apprendre davantage sur Raelyn, elle allait devoir faire preuve de ressources. Déjà, parce qu’elle n’avait pas obtenu la moindre information significative sur elle lors de leur entrevue (ça avait d’ailleurs été presque l’inverse) et ensuite, parce que la blonde semblait volontairement s’entourer de mystère, évoluant avec discrétion dans cette ville qui était désormais la sienne. Halsey avait décidé de ne pas en rester là, et puisqu’il lui avait été impossible d’atteindre la jeune femme par la voie normale – si tant est que donner rendez-vous à une sœur retrouvée après trente ans dans l’espoir de lui soutirer de l’argent puisse être qualifié de « normal » - elle avait donc décidé de prendre des voies détournées. La complicité entre Raelyn et l’homme du restaurant lui avait sauté aux yeux - même s’ils s’étaient sans doute donné beaucoup de mal pour donner le change, mais certaines expressions ne trompaient pas – et c’était pour cette raison qu’elle avait décidé de le filer, lui. Elle avait espéré en apprendre plus par son biais, à comprendre qui il était et ce qu’il faisait pour la blonde. Elle était donc retournée sur ses pas, avait repris le chemin du restaurant, le premier endroit où elle s’était rendue en arrivant à Brisbane pour lancer ses recherches, et était restée à proximité en espérant qu’il y refasse surface à un moment ou l’autre. Elle avait eu de la chance, ça n’avait pas traîné. Comme elle le soupçonnait, il devait s’y rendre régulièrement si cet endroit était une façade pour le gang de la ville, même si cette théorie restait encore à prouver. Elle avait patiemment attendu qu’il termine ce qu’il avait à y faire et enfin, les choses sérieuses commencèrent. Elle commença à le suivre, tantôt à pied, tantôt grâce à un taxi, et put observer certains de ses faits et gestes, mais surtout, une rencontre avec une jeune femme qu’il avait l’air de plutôt bien connaître. Avait-il une relation avec elle ? S’était-elle trompée sur toute la ligne en lui prêtant un lien amoureux avec sa sœur ? Ou bien cela n’avait-il rien à voir ? Elle les observa un moment dans ce restaurant, mais aucun geste ne vint trahir une éventuelle idylle, même si à ses yeux cela ne prouvait rien. Elle était de toute façon trop loin pour apercevoir quoique ce soit et décida de prendre son mal en patience en hésitant sur ce qu’elle allait faire ensuite. Continuer de le suivre lui, ou s’intéresser à elle ? Leur sortie du restaurant la poussa à prendre une décision rapide, et elle décida de suivre son instinct en se lançant dans la filature de la fille, histoire d’en apprendre davantage sur son compte ; ça pourrait toujours servir. Elle savait toujours où trouver le brun, si besoin. Elle l’abandonna au profit de cette inconnue et commença à la suivre à son tour, sans trop savoir ce qu’elle cherchait. En milieu de journée, elle prit la direction du poste de police et… salua plusieurs des policiers présents sur place. Elle était donc flic ? Plissant les yeux, Halsey avait passé une main sur son front, complètement déboussolée par les informations contradictoires qu’elle avait reçues aujourd’hui. Elle l’avait cru en couple avec elle – et cette hypothèse n’était pas totalement à écarter d’ailleurs – mais là, elle venait découvrir qu’elle travaillait pour les forces de l’ordre. Soudainement, cette femme venait de passer de la case « potentiellement intéressante » à la case « à surveiller en priorité ». Il fallait qu’elle en apprenne plus… Ainsi, elle avait commencé à suivre cette femme, à déceler certaines de ses habitudes et ceci, dans l’unique but de provoquer une rencontre. Une fois que cela fut établi, la phase deux pouvait commencer.
Rouge à lèvre carmin, yeux charbonneux et robe moulante; le trio parfait pour entamer une soirée qui promettait, même si pour une fois, Halsey n’entrait pas dans un bar pour trouver de la compagnie ou pour se retrouver seule avec ses pensées, loin de là. Non, cette fois ci, elle avait une cible en vue. Pas le genre habituel, il ne s’agissait pas d’une opération séduction – pas tout à fait – mais bien d’une tentative de rapprochement sur le long terme. Elle voulait s’insinuer dans la vie de cette femme, l’enfermer doucement dans ses filets jusqu’à être en mesure d’apprendre ce qu’elle voulait, de lui soutirer toutes les informations qui l’intéressaient. Le fait qu’elle travaille pour la police lui donnait encore moins de remords – non pas qu’elle ait l’habitude d’en éprouver en temps normal – et la motivait même encore plus. Elle s’approcha du bar où la brune se trouvait déjà et prétendit se faire pousser par un des hommes à proximité d’elle, bousculant ainsi la jeune femme alors qu’elle avait le nez dans son verre. Ca, c’est parce que t’es flic. « Oh mon dieu, je suis vraiment désolée. » Elle s’avança à sa hauteur et l’observa, prenant un air horrifié avant de jeter un regard noir en direction de l’homme qui l’avait pourtant à peine effleurée. « Vous auriez pu faire attention quand même. » Elle secoua la tête et grimaça en direction de la brune, faisant la moue en voyant son verre à moitié vide – à cause d’elle, oups. « Laissez-moi vous repayer un verre. » Lança-t-elle en faisant un geste en direction du barmaid, sans lâcher la jeune femme des yeux. Game on.
Olivia Marshall & @Halsey Blackwell ✻✻✻ La trajectoire de ma moto avait fait, au dernier moment, un large détour pour contourner l’engorgement soudain au croisement des deux avenues. L’afflux avait été réel. Mais mon excuse, elle, d’un simple message auprès de l’équipe censée se réunir dans l’un des bars du quartier pour célébrer la résolution d’une affaire particulièrement prenante avait été feinte. Le soulagement de savoir ce dossier bouclé avait été pourtant quasi-unanime, cette fois-ci. Quasi, car je n’avais pas été dupe quant aux précautions de notre supérieur, précautions qu’il pouvait toujours décrire comme telles mais qui m’apparaissaient de plus en plus comme une méfiance à mon égard qui m’inconvenait. Sa manie de m’interroger, de façon sous-jacente, ses questions détournées qu’il semblait uniquement me réserver avaient eu raison de ma patience sans que je n’en témoigne le moindre indice. J’étais soulagée, oui, de la résolution de cette affaire. Mais le sentiment de satisfaction qui s’emparait autrefois de chacun de mes pores n’avaient plus le même goût depuis de nombreux mois déjà. Les influences de l’approbation venant d’en-haut et des encouragements à poursuivre sur notre lancée semblaient avoir momentanément disparu à présent que l’ombre d’un cœur ne se faufilait dans ma poitrine. Nous avions remporté une bataille, oui, et ramené de notre côté une nouvelle médaille mais celle-ci ne remplaçait pas le creux de toutes les autres. J’étais coutumière, à présent, de la tentative de les combler dans l’un de ces endroits nocturnes, comme si de rien n’était. Une véritable œuvre d’art, un patchwork nocturne de mois à entasser les couches incertaines. Alors pourquoi ne pas le faire en leur compagnie, n’est-ce pas ? J’avais acquiescé ainsi, un peu distante mais sans ironie aucune - une réelle amélioration - de les retrouver à la fin du service, m’étais engagée sur les avenues illuminées, l’intention au fond des songes. L’allure maitrisée, certes, sans doute retenue même, soucieuse de retarder les convenances, mais n’y aurait-il pas eu cet aléa que je passerai sur l’instant les portes du pub chaleureux, siège des policiers de tout Brisbane, plutôt que celles de ce bar éloigné et synonyme, par ce simple fait, du flamboiement de mon désir de solitude dans toute sa nitescence. Aucun n’en serait surpris, dans le fond. Tous finissaient par me connaître, certains résignés, d’autres réfractaires, les plus débonnaires encore persévérants. Tous ignorés quoiqu’il en soit, alors que je m’installais silencieusement au bar en assurant ma prise sur mon verre de Midleton. Il aurait été cynique de prétendre les préserver en agissant ainsi. L’idée m’effleura pourtant alors que je me laissai tourner sur la chaise pivotante pour tourner le dos à la salle comble. L’alcool ne me ceignait pas. Il était inutile de l’associer de plus à la fatigue et à mon amertume pour finir d’asseoir l’opinion qu’ils semblaient avoir de moi.
Je jouais un instant avec mon paquet d’allumettes sur le comptoir avant de relever la tête vers le barman, une lueur faussement interrogatrice au fond du regard. Il me sourit, navré, et s’éloignait déjà en haussant ses deux paumes au-dessus de la tête. Non, pas aujourd’hui. Toujours pas, Liv. Le monde ne régresserait pas ce soir dans le seul but de me laisser fumer ma cigarette. Je possédais toujours, néanmoins, cette ébauche d’espoir un peu stupide, totalement infondée, pour ces choses-là. Comme si, un beau jour, le propriétaire du bar sur lequel j’avais jeté mon dévolu allait me faire l’audacieuse surprise d’être un militant anarchiste, brûlant l’autorité de la loi que j’étais supposée faire respecter comme l’extrémité de la cigarette que nous aurions pu partager, tous les deux, à l’intérieur. À la place, ce fut une deuxième tournée qu’il était revenu me servir, comme une excuse, et j’observai mon reflet dans les lumières cuivrées dansant aux recoins du verre anguleux. Je le remerciais d’un sourire et, déjà, laissais les souvenirs ambigus de la journée s’envoler avec l’hésitation d’un papillon perdu entre les néons d’un lampadaire grésillant. Je ne doutais pas de leur capacité à s’enfuir se noyer avec langueur dans l’obscurité. Celle-ci ou une autre, ils en avaient l’habitude. Et il suffisait de m’asseoir en l’un de ces lieux pour que je m’en souvienne car il s’agissait là d’un fait incontestablement vrai. Ils ne se perdraient jamais, ainsi, j’en étais consciente, et il s’agissait là du revers terne de la médaille. Les bars de Brisbane commençaient à m’être tous familiers mais j’anticipais mon égarement en leur sein de mon propre gré, lucide et déterminée. Et si l’un de ces adjectifs finissaient parfois à me manquer dans son entièreté, je ne faiblissais pas du second. Le liquide chaud vint alors s’épandre sur mon palais alors que je sentais déjà les contractions de mes veines se tordre le long de ma gorge et les émanations harmoniques envelopper ma conscience comme une caresse ou un signe d’affection tacite et imaginaire. J’acceptais ces élans ingénus et salvateurs comme je le faisais toujours, sans même ciller. Ou plutôt, l’aurais-je voulu, si ce n’était sans compter l’épaule osseuse qui vint percuter la mienne avec brusquerie, faisant tressauter mon bras et permettant au contenu du verre, pourtant à peine entamé, de s’échapper de sa prison de verre, éclaboussant le sol à certains endroits. Je me reculais par réflexe en éloignant l’objet du drame de mon assise. « Oh mon dieu, je suis vraiment désolée. » La voix féminine parvint à mes oreilles mais je ne lui accordais aucun regard supposé lui faire comprendre que je l’avais, bel et bien, entendue. Je réprimai un soupir, même, car mon souffle n’aurait fait que se mêler aux échos qui résonnaient dans la pièce. À quoi bon le formuler s’il s’agissait de le voir s’associer aussitôt aux autres, comme une pièce de puzzle ou un prisonnier d’une cellule dont nous ne discernions plus de toute façon les contours d’une quelconque porte de sortie.
Je ne levai pas mon regard sur la jeune femme responsable de l’agitation soudaine et sentis tout de même, et à la place, mes lèvres s’étirer d’une étrange sérénité dont l’origine laissait perplexe. « Vous auriez pu faire attention quand même. » Oui, il aurait pu. Non, il ne l’avait pas fait. J’imaginais un hochement de tête ironique de la part de l’homme qu’elle pensait utile de réprimander mais mon regard, en réalité, glissait déjà jusqu’aux fenêtres assombries de la pièce. Les lumières de la terrasse extérieur n’étaient pas encore allumées et donnaient à l’endroit un aspect inachevé. Concentre-toi, Liv. Peut-être oui, mais cela ne m’intéressait déjà plus. Peu désireuse d’assister au spectacle absurde d’un dialogue de sourds entre l’indignation d’une femme et l’insolence d’un homme pour quelques bouts de verre, je ne me sentais pas concernée par le mélodrame habituel de ce genre de lieux. « Laissez-moi vous repayer un verre. » Mais la voix s’épancha de nouveau et m’obligea à retourner à la réalité qu’elle avait l’air encline à faire perdurer. Je ne m’attardais toujours pas sur son visage alors que j’observais plutôt sa main s’élever dans l’air pour alpaguer le barman et je fronçais les sourcils d’un air songeur. Désirait-elle réellement me rendre la pareille comme elle le pouvait ou souhaitait-elle simplement la compagnie de quelqu’un pour agrémenter sa soirée ? Celle de n’importe qui apparemment à en juger par son empressement. « Pas la peine. » répondis-je sobrement en secouant la tête brièvement par la négative. Un nouveau verre rempli de la même liqueur fut déposé simultanément à mes mots et l’on aurait pu jurer que cela avait été préparé si elle n’avait pas été l’initiatrice de cette minime péripétie. Mes lèvres s’étirèrent en un sourire amusé, celui qui aurait pu la mettre à l’aise, instantanément, comme il semblait être capable de lui signifier simplement qu’elle n’était pas réellement capable de me gâcher mon plaisir ou de me le racheter. Mes doigts vinrent s’enrouler autour du verre alors que je désignai d’un signe de tête le serveur à quelques mètres de nous. « Cooper a pour mission de ne pas me laisser, un verre vide entre les mains. » Ce n’était pas tout à fait vrai. Pas tout à fait faux non plus. Aucun accord n’avait été passé mais les habitués avaient leurs privilèges. Je portais le verre à mes lèvres avant de m’arrêter, feignant un instant de me rendre compte de mon incorrigible manie de boire non accompagnée, la regardant au-dessus de la surface ondulante pour amorcer ce que j’envisageais déjà être une conclusion. « Profitez-en. » ajoutai-je simplement afin d’enterrer ce qu’elle semblait avoir de culpabilité pour ce que je considérais comme un non-évènement, faisant de nouveau tourner mon siège pour me détourner du bar.
L’entreprise de ce soir était risquée, Halsey en était bien consciente. Entre le fait que sa cible face partie des forces de l’ordre – et puisse donc se montrer bien plus méfiante que n’importe qui d’autre – et le fait qu’elle était proche d’une manière ou d’une autre de celui qu’elle considérait comme étant l’amant de Raelyn, le pari était plus que risqué, même. Ceci étant dit, la brune avait l’habitude de vivre de cette façon, et jouer avec le feu était ce qui la faisait se sentir vivante. Cette femme était, elle l’espérait, la clé pour obtenir des informations essentielles afin d’approcher sa sœur, ou tout du moins pour en apprendre davantage sur cet homme qu’elle côtoyait et pouvoir s’en servir d’une manière ou d’une autre. Elle avait donc fait taire ses quelques appréhensions tandis qu’elle jetait un dernier regard à son reflet dans le miroir, au moins rassurée sur cet aspect de la question ; elle était à tomber. C’était important pour la confiance – non pas qu’elle en manquait non plus. Elle avait pris la direction du bar en réfléchissant à la meilleure façon d’alpaguer la brune, car le but était de construire une relation sur la durée et non pas de passer simplement la soirée avec elle. Compliqué, donc, mais pas impossible. Elle la remarqua presque tout de suite, attablée au bar, et l’idée lui vint à l’esprit presque dans la foulée. Un moyen pour elle de venir à sa rencontre de façon inopinée tout en attirant son attention, et pas qu’un peu, puisqu’elle fit en sorte de lui faire renverser la moitié du contenu de son verre sur elle en prétextant avoir été poussée par un des clients présent dans le bar. Autant dire qu’Halsey eut bien du mal à réprimer un sourire en voyant ses vêtements tâchés par l’alcool, mais elle décida de se répandre en excuses afin de cacher son air un peu trop satisfait pour la situation. De toute façon, la jeune femme ne lui avait pas jeté le moindre regard, se contentant de se lever de son assise pour éponger brièvement ce qui était tombé avant de se rassoir, presque comme si de rien n’était, le regard dans le vide. Disons qu’en terme de réactivité, Halsey s’était préparée à autre chose, mais qu’importe. Faisant des reproches à voix haute à cet homme qui ne l’avait pourtant qu’à peine touchée, elle reporta ensuite toute son attention sur la brune, concentrant son regard sur elle, sur ses traits, annonçant qu’elle allait lui repayer à boire pour la peine. La vérité, c’était qu’elle lui aurait bien envoyé le reste de son verre au visage – c’était l’effet que les policiers avaient sur elle en général, il ne fallait pas lui en vouloir – mais les circonstances la poussaient à se montrer magnanime et à jouer la carte de la confusion, ce qui était plutôt drôle quand on savait que tout avait été parfaitement millimétré pour en arriver à ce résultat précis. « Pas la peine. » Elle n’allait tout de même pas faire de la résistance ? Parce que, Halsey l’avait observée durant quelques jours, et s’il y avait bien une récurrence dans ses habitudes, c’était ses allées et venues dans les bars. Elle buvait souvent trop, et rentrait parfois accompagnée, ce qui avait poussé la brunette à la croire célibataire, jusqu’à ce que son regard ne soit attiré sur l’alliance qu’elle portait au doigt. En conclusion, cette femme était loin d’être un modèle de vertu et par conséquent, elle méritait d’autant plus d’avoir fini le nez dans son verre – à son sens, tout du moins. Cependant, le serveur honora sa requête et redéposa une boisson face à elle, tandis qu’Halsey conservait son air horrifié en secouant la tête comme si la scène la dépitait plus qu’elle ne s’en délectait. La brune laissa enfin un sourire dérider ses traits et elle s’empara du verre. Gagné Blackwell. La première étape était franchie. « Cooper a pour mission de ne pas me laisser, un verre vide entre les mains. » La brunette n’était même pas un tant soi peu étonnée par cette précision, mais elle décida de feindre la surprise en laissant elle aussi se laisser happer par un petit sourire qui signifiait qu’elle était entrain de se décrisper. « Profitez-en. » Lança-t-elle ensuite en l’observant brièvement avant de se tourner vers la clientèle qui écumait le bar, rendant cet épisode presque inexistant tant sa nonchalance était visible. Bien, elle lui proposait donc de boire à ses côtés, et en plus elle offrait. Non ? Halsey fit mine d’être un peu embêtée, hésitante. « Je ne voudrais pas m’imposer. » Si, c’était exactement ce qu’elle comptait faire. S’imposer et s’immiscer dans sa vie, à la manière d’un serpent qui glisserait dans les moindres failles de son existence. « Mais j’étais tout de même venue dans l’intention d’étancher ma soif, alors… » Alors c’était une raison suffisante pour s’asseoir à son tour sur le tabouret à côté du sien. « Je vais prendre un Gin Fizz s’il vous plaît. » Les cocktails étaient plutôt corrects la dernière fois qu’elle était venue ici, et puis toute boisson à base de gin trouvait grâce à ses yeux de toute façon. « Je n’ai pas pour habitude d’être aussi maladroite, encore désolée. J’espère que vos vêtements ne seront pas trop abîmés. » J’espère qu’ils seront bons à être jetés aux ordures. « Je m’appelle Halsey, au fait. » Elle n’allait pas lui mentir là-dessus, tout simplement parce qu’une vérification serait de l’ordre du banal pour une flic, et que ça serait stupide de se griller aussi bêtement. Des Halsey, il y en avait plein à Brisbane, et nul doute que son ami ne lui ait pas fourni une photo d’elle – si tant était qu’il ait même fait mention de son existence entre deux coups tirés à la va vite. Bon, elle s’avançait peut-être un peu sur la nature de leur relation. « J’espère que je n’interrompt rien, sinon je termine mon verre ailleurs et je passe ma chance avec Cooper. » Ajouta-t-elle en jetant une œillade enflammée en direction du barmaid, prétendant avoir plus d’intérêt pour lui que pour sa voisine, alors que c’était tout l’inverse. Tant de sollicitude, elle allait presque finir par s’étouffer.
Olivia Marshall & @Halsey Blackwell ✻✻✻ Mon regard parcourait la pièce comble et bruyante à la recherche d’un point d’ancrage qui n’existait pas et je réalisais, vaguement, que c’en était devenu illogique à présent puisque celui-ci s’était présenté à moi de lui-même déjà. À mes côtés, pas devant. La jeune femme ne disparaissait pas, bien au contraire, appuyant son regard sur le profil que je lui avais présenté en me détournant d’elle. Je pouvais la sentir hésiter, silencieusement, semblant peser le pour et le contre dans son esprit alors que je devinais à sa place de quel côté allait-elle finir par basculer. C’était les pours qu’elle cherchait, les pours qu’elle tentait de faire peser plus que leurs contraires et j’ignorais pourquoi, n’ayant pas été la plus réceptive aux excuses qu’elle avait pourtant formulées avec empressement. J’y avais répondu avec sincérité quoiqu’ironie car mes invitations à me rejoindre autour d’un verre que je proposais de payer restaient toujours à double-tranchant et qu’elle devait s’en rendre compte. Qui donc refusait une offrande destinée à racheter le tort qui lui avait été commis en retournant soi-même l’invitation ? Il n’y avait pas l’ombre d’un piège, pourtant. « Je ne voudrais pas m’imposer. » Mais elle ne semblait pas y croire. Je laissais mon index dessiner les nervures du contour de mon verre et emmêlais mes cheveux d’une main distraite. « Alors ne le faites pas. » répondis-je en haussant les épaules. Rien ne l’empêchait de se détourner, je ne la retenais pas, bien au contraire. Rien ne l’empêchait, également, d’accepter le verre et de s’éloigner sans plus attendre. Mais quelque chose dans son attitude continuait de me faire penser qu’elle avait déjà pris sa décision, que son hésitation n’était là que par politesse. Elle pouvait jouer l’ingénue mais il y en avait peu en ces lieux et je savais, par expérience, que rares étaient les personnes capables de refuser un verre qui leur était offert. D’autant plus lorsque ceux-ci semblaient arriver à eux sans contrepartie, sans compromis, sans promesse tacite et abaissante. « Mais j’étais tout de même venue dans l’intention d’étancher ma soif, alors… » Je hochai la tête imperceptiblement. Voyez. Mon regard entendu, faussement complice, glissait déjà vers elle cependant, l’air de lui dire qu’il n’y avait pas à hésiter, en effet, que nous étions tous dans le même cas.
Elle prenait déjà place et je laissais de nouveau mes doigts jouer un air silencieux autour du verre tenu au creux de ma paume. Je n’avais pas encore pris le temps de l’observer, pas réellement, jamais en face, mais son attitude nerveuse et ses inflexions flottantes m’empêcheraient de le faire davantage si elle prenait la décision de s’attarder à mes côtés, j’en étais consciente. Elle ne semblait mériter ni mon détachement ni mon indifférence et tentait, d’ailleurs, d’y mettre fin. Cela se ressentait dans l’air, dans le silence qu’elle laissait s’installer de nouveau en s’agitant sur son tabouret, comme si elle attendait de ma part un renouveau, une approbation que je lui avais pourtant déjà donnée, simplement en ne la rabrouant pas. « Je vais prendre un Gin Fizz s’il vous plaît. » commanda-t-elle sans une once d’hésitation, ses prunelles n’ayant à peine eu le temps de balayer les rangées de bouteilles qui ornaient le mur derrière le comptoir. Elle n’en était pas à son premier, donc, une boisson de prédilection au bout des lèvres malgré ses attitudes incertaines et ses airs de débutante perdue ici par hasard. Le contraste me paraissait intéressant. Tous les contrastes me paraissaient toujours intéressants, à dire vrai. « Je n’ai pas pour habitude d’être aussi maladroite, encore désolée. J’espère que vos vêtements ne seront pas trop abîmés. » Je laissais échapper un sourire imperceptible en l’entendant poursuivre ses excuses, me demandant silencieusement s’il s’agissait de ses troisièmes déjà, ou s’il était même nécessaire de les compter tant tout en elle semblait désireux de se faire pardonner un acte dont, elle l’avait pourtant fait remarquer, elle n’était pas responsable. Je penchai mon visage vers elle en secouant doucement la tête. Je ne m’étais pas réellement attardée sur son apparence, non. Dans la lumière tamisée d’un bar, tous les visages se ressemblaient. Elle avait des traits saillants pourtant, presque félins, encadrés par une longue chevelure brune faisant ressortir le clair de ses yeux. Les yeux d’un chat, oui, m’observant avec cet air désolé qui ne quittait pas sa voix non plus, et cet air en retrait, comme si elle craignait réellement de déranger. Pourtant, je remarquais ce magnétisme au fond de ses yeux, un contraste de nouveau, presque étrange. « S’ils le sont, je suppose que ce sera à lui de me devoir des excuses, non ? » lui rappelai-je simplement, d’un air faussement intrigué, désignant d’un geste de main vague l’endroit duquel l’homme qu’elle avait accusé avait déjà disparu. J’avais à peine regardé mes vêtements. Je sortais d’un service et ne tenais, de toute évidence, pas autant à ma tenue qu’elle à la sienne si sa robe venait à être tâchée de la sorte à son tour. Elle n’avait pas besoin de se confondre dans ce rôle candide auquel je n’étais même pas certaine de croire à présent que je m’étais laissée aller à l’observer et que le tableau était complété.
« Je m’appelle Halsey, au fait. » Elle s’appelait Halsey et était d’humeur avenante. J’étais fatiguée quant à moi. Fatiguée d’envisager devoir rester ici jusqu’à en oublier l’heure sans que rien d’intéressant ne se passe. Fatiguée d’habiter pas si loin que cela et de ne pas ressentir la force pourtant de rentrer par peur de ce que je risquais de retrouver. Fatiguée d’avance de boire encore, seule, et me faire importuner par tous ceux qui auraient bu le verre de courage nécessaire pour leur donner des ailes. Elle s’appelait Halsey et elle ne sentait ni l’eau de Cologne, ni l’amertume à plusieurs kilomètres. Il y avait toujours de l’espoir. « J’espère que je n’interrompt rien, sinon je termine mon verre ailleurs et je passe ma chance avec Cooper. » Je penchai la tête, une malice se déguisant en persuasion logée dans les iris. « Ce serait à mon tour de m’en vouloir de vous faire manquer ça. » Le bar n’était-il pas à tout le monde, de surcroît ? Je savais renvoyer cette image depuis le temps, celle d’occuper les lieux, tellement qu’il devenait facile d’imaginer qu’ils finissaient par m’appartenir, songeai-je avec une ironie ne faisant que me juger, moi. Mais ce n’était pas le cas. Je ne faisais qu’y passer en espérant qu’ils m’y retiennent, à chaque fois. En espérant y trouver quoique ce soit de nécessaire susceptible de me contenter, de me soulager, de me faire passer le temps pour ne pas avoir à y penser justement. En vain. Cela me forçait à revenir, en effet, souvent. Et si la folie consistait à reproduire, encore et encore, la même chose en s’attendant à un résultat différent, alors … « Liv. » Je coupais court à mes pensées en laissant mon verre tinter contre le sien avant de l’incliner légèrement dans sa direction, dans un toast silencieux. Je me mordis doucement la lèvre avant d’y porter mon whisky. L’alcool adoucissait mes traits car ils m’enveloppaient de brume, m’ouvrant même à la discussion. « Vous n’avez personne à rejoindre ? » l’interrogeai-je finalement en reposant mon verre. Des collègues ? Des amis ? « On est en semaine et vous ne paraissez pas passer là par hasard. » laissai-je sous-entendre en désignant, d’un signe de tête à peine marqué, la robe sur laquelle elle avait jeté son dévolu. Je refusais de croire qu’il s’agissait là de son uniforme quotidien, cela me semblait évident. Je me demandais ce qui la retenait encore réellement à mes côtés, désireuse apparemment d’initier une conversation incertaine et brodée d’une courtoisie à laquelle je ne m’étais pas montrée des plus sensibles.
Le contact avait été établi – d’une façon pour le moins maladroite, en apparence du moins – et une invitation avait même été lancée, poussant Halsey à croire que la solitude de cette femme était une bénédiction pour son sombre dessein. Ravie, elle conserva toutefois son air contrit en précisant qu’elle ne voulait pas s’imposer – même si là était tout le but de l’opération – et la brune haussa les épaules en lançant un « Alors ne le faites pas. » désinvolte qui fit intérieurement serrer les dents de la brunette. Finalement, elle utilisa sa présence même dans ce bar comme de la légitimité qui lui manquait pour accepter ce verre plutôt que de tourner les talons comme d’autres auraient pu le faire – quoique la possibilité de boire à l’œil en dépit du fait qu’elle ait potentiellement ruiné une pièce de sa garde-robe était une raison amplement suffisante pour rester davantage dans les parages, même si son but était déjà bien établi depuis qu’elle avait poussé la porte de l’établissement. Prenant place sur le tabouret à côté du sien, Halsey lui retourna un sourire face à ce regard entendu qu’elle lui lança en la voyant s’installer, assumant ainsi son envie de prendre racine près d’une inconnue qui n’avait, apriori, rien d’intéressant à lui apporter si ce n’était ce fameux verre apporté par ledit Cooper qui ne s’imaginait sans doute pas être un protagoniste actif durant cette discussion. La jeune femme restait silencieuse, mais la brunette sentait bien qu’aucuns de ses gestes ni aucune de ses paroles ne passaient inaperçus – sans doute un truc de flic que d’observer les gens comme ça, mine de rien. Mais après tout, elle avait toutes les raisons de se méfier d’elle, même si elle l’ignorait. Pour l’instant, elle n’était qu’une inconnue un brin maladroite qui avait accepté de boire un verre à ses côtés. Elle n’espérait pas que le pot-aux-roses soit découvert, loin de là, Halsey sentait déjà tout l’intérêt de garder la brune dans son entourage sans que celle-ci ne se doute de rien, histoire de glaner quelques informations précieuses. Il ne lui serait pas aisé de côtoyer ainsi une femme qui préférait respecter la loi que de la contourner, mais la brunette avait l’habitude de ce genre de sacrifice. Après tout, elle s’était mariée par deux fois en visant un compte en banque, elle savait dans quoi elle mettait les pieds, et puis, elle ne manquait jamais une occasion de parfaire ses talents innés d’actrice. Seigneur, si seulement sa mère avait eu l’intelligence de lui faire passer quelques castings à l’époque, sans doute serait-elle riche et célèbre aujourd’hui, à défaut d’être seulement aisée. Après avoir passé commande auprès de Cooper, Halsey décida de rompre le silence en s’excusant une énième fois tout en espérant ne pas avoir trop abîmés ses vêtements – elle n’en pensait pas un traître mot, mais il s’agissait de conserver les apparences. « S’ils le sont, je suppose que ce sera à lui de me devoir des excuses, non ? » Soit cette fille n’accordait aucune espèce d’importance à ses biens matériels, soit elle était une Sainte et la brunette finirait droit en Enfer à se faire frire les miches pour avoir oser s’attaquer à quelqu’un comme elle. Ceci étant dit, l’alliance à son doigt contrastait férocement avec son rythme de vie plutôt exalté et puis, rappelons-le, elle était flic. Cela suffisait aux yeux de la jeune femme pour la condamner et décider qu’elle mériterait tout ce qui arriverait, même si elle n’avait pas encore totalement décidé de la marche à suivre. Elle ne la connaissait pas et par conséquent, elle ne pouvait prédire ses réactions. Pour l’instant, elle semblait seulement avoir envie de vider des verres sans se préoccuper de l’état de ses fringues, et ça convenait parfaitement à Halsey qui aurait été en bien mauvaise posture si elle avait causé un scandale pour trois gouttes d’alcool – bon, tout le contenu du verre. « Il n’a pas l’air très disposé. » Lança-t-elle en jetant un coup d’œil au type – qui n’avait rien à voir dans toute cette histoire, rappelons-le – qui s’était déjà détourné des deux jeunes femmes sans leur accorder la moindre attention, trop occupé à tenter d’attirer celle des filles présentes autour de lui. Pathétique. Elle se présenta enfin en relevant le nez dans sa direction, ajoutant qu’elle espérait ne rien interrompre sans quoi elle terminerait ce verre ailleurs, laissant ainsi passer sa chance avec Cooper qui n’avait, de nouveau, aucune idée de ce qu’il se tramait dans cette discussion à son sujet. Dans les faits, elle se fichait bien d’interrompre quoique ce soit ; cette fille faisait peine à voir à boire ainsi toute seule, dans l’espoir de se faire alpaguer par quiconque d’assez intéressant pour passer la nuit avec elle. En toute honnêteté, Halsey avait tendance à faire pareil, mais avec plus de classe, cela allait sans dire. « Ce serait à mon tour de m’en vouloir de vous faire manquer ça. » Elle se fichait bien de ce barman d’ailleurs, mais il lui conférait une raison suffisante pour rester et après tout, elle en aurait bien fait son quatre-heure si elle n’avait pas eu mieux à faire en cet instant. Halsey leva donc légèrement son verre, comme dans un remerciement tacite pour une chose qui n’aurait jamais lieu, ou du moins pas ce soir. « Liv. » La flic fit tinter son verre de whisky – quelle idée – contre le sien, signe évident qu’une nouvelle amitié était née. Comment ça elle s’emballait ? « Enchantée, Liv. » Ravie de pouvoir enfin faire ta connaisse, j’ai hâte de découvrir ce que tu as à m’apprendre d’intéressant. « Vous n’avez personne à rejoindre ? On est en semaine et vous ne paraissez pas passer là par hasard. » Elle pointa du nez sa tenue et le regard de la brune suivit le sien, observant un instant cette robe qu’elle avait sélectionnée pour passer la soirée dans ce bar considéré comme huppé. Il était rare qu’elle ne soit pas sur son trente-et-un, surtout lorsqu’elle était de sortie et pour ainsi dire en mission espionnage. Sa question l’irrita quelque peu, parce qu’elle ressenti immédiatement les vibes de fliquette que Liv lui envoyait probablement inconsciemment, mais elle se para de son plus beau sourire avant de plonger ses lèvres dans son gin, laissant un léger mouvement d’épaule ponctuer ses paroles. « Je suis nouvelle en ville et pour l’instant je réside à l’hôtel, je n’ai malheureusement personne à rejoindre en ce moment. » Elle laissa un petit rire s’échapper de ses lèvres. « J’avais le choix entre un tête à tête avec la télévision ou une potentielle rencontre, j’ai choisi la deuxième option. Cela me paraissait plus palpitant, pour me changer les idées. » Ajouta-t-elle en penchant légèrement la tête sur le côté, jouant elle aussi avec le bord de son verre d’un air désinvolte alors que tous ses sens étaient en alerte, dirigés vers Liv et les signaux qu’elle pouvait envoyer.
Olivia Marshall & @Halsey Blackwell ✻✻✻ Je détournai mon regard du liquide doré perturbé dans son immobilité par les ondes s’élargissant de cercle en cercle à la moindre de mes pressions. Je commandais des verres que je n’étais pas supposée boire, ou pas autant. Je n’avais pas besoin de remonter le fil de ces dernières vingt-quatre heures pour comprendre que tout cela n’avait rien de très sain. Je n’avais pas besoin de me rappeler avec force que ce verre devrait être le dernier car je n’en finissais plus de me remémorer ce qui se produisait quand je n’écoutais pas la raison, que je me ralliais au besoin. Au besoin de retrouver les effluves âpres mais appréciables de l’alcool descendant le long de ma gorge puis s’emparant du reste, de mon esprit, de mes pensées, de mes souvenirs. Je n’en avais pas besoin car il ne s’agissait que du premier verre ce soir mais que mon corps semblait déjà s’animer, se chargeant de me rappeler à la mémoire dès à présent qu’il avait besoin de plus, que celui-ci ne suffirait pas, qu’un seul ne suffisait plus jamais désormais. Et je savais que je ne parviendrais pas à me raisonner seule, que j’avais même cessé d’essayer, décidée à laisser au mal et aux difficultés assommantes de se remettre d’une gueule de bois constante la lourde tâche de m’inculquer une leçon que la raison ne semblait pas parvenir à marquer au fer rouge sur ma peau. La brûlure commençait peu à peu à marquer son passage néanmoins, mais pas assez. Pas assez pour que je ne saisisse pas l’occasion, ce soir encore, semblant se présenter d’elle-même à moi. Une occasion aux traits saillants, une occasion aux pupilles bleues, une occasion au sourire embarrassé et aux excuses toutes trouvées pour s’installer à mes côtés, l’air beaucoup trop enjoué à l’idée de passer quelques minutes à mes côtés sans que je ne parvienne réellement à en saisir les raisons. Mais je pouvais le faire, en effet. Je pouvais laisser de côté mon absence de plan, l’inexistence de mes ambitions pour cette soirée et me laisser aller à la rencontre fortuite se présentant à moi. Qu’attendais-je d’autre, de toute façon ? Je me voyais déjà finir ce verre, puis les autres, n’ayant d’autres choix ensuite que de rentrer chez moi, chez nous, songeant à cette journée que nous laissions de nouveau se consumer derrière nous. L’enquête ? Résolue. Le boulot ? Accompli. La hiérarchie ? Satisfaite. Et le reste Liv ? « Il n’a pas l’air très disposé. » Je ne suivis pas son regard cette fois-ci, la laissant à peine me tirer de mes pensées, trop occupée à faire mon possible pour les remonter, justement. Oublier le reste, me raccrocher aux wagons. À Halsey, donc, puisqu’elle se présentait ainsi.
À Halsey, semblais-je dire également en venant faire tinter nos verres l’un contre l’autre, les cercles en leur centre rejaillissant soudainement en une multitude d’ondoiements surprise d’avoir été provoquée par mon fait. Qui l’eut cru, n’est-ce pas ? Cette inconnue, apparemment. Je savais pourtant l’image que je pouvais renvoyer. Je ne me surprenais plus à penser ne pas en valoir la peine, celle d’une discussion cordiale, affable, celle qu’elle avait l’air de vouloir engager avec moi. Le bar animé dans lequel nous nous trouvions semblait rayonner d’une chaleur et d’une vitalité que je ne ressentais plus. Elle pouvait s’y diriger, s’en entourer, s’en contenter. Si elle choisissait de s’en détourner, c’est qu’elle recherchait autre chose. Et je pouvais bien découvrir ce qu’elle avait deviné chez moi, ce qu’elle avait décidé d’aborder et par quelle volonté. « Enchantée, Liv. » Enchantée, Halsey ? Pas encore. Pas déjà. Je me laissais le temps de décider cela par moi-même, les inconnus d’endroits comme celui-ci se révélant bien plus à même de laisser au fond de ma gorge cet arrière-goût d’amertume que j’avais du mal à m’expliquer. Peut-être parce que je n’étais pas supposée être là. Peut-être parce que j’étais supposée rentrer auprès de celui n’ayant plus rien d’un inconnu, rien malgré mes erreurs, rien malgré nos silences. À la place, je soulignais mes observations sans appuyer mon regard sur sa silhouette, comme si cela m’était inutile car cela l’était, quelque part. Je ne l’avais regardée que quelques secondes et pourtant, je savais pouvoir d’ores et déjà détailler son apparence avec une minutie professionnelle. Sa tenue, pour commencer, les nuances de son tissu, la longueur de ce dernier, sa couleur bien entendu. Onéreuse. Presque sophistiquée. Il en était de même pour son maquillage, notais-je sans appuyer un seul de mes regards dans sa direction. Mon but n’était pas de dresser son portrait détaillé, après tout. Un réflexe, tout du moins, rien de plus. « Je suis nouvelle en ville et pour l’instant je réside à l’hôtel, je n’ai malheureusement personne à rejoindre en ce moment. » Son rire s’échappa d’entre ses lèvres avec une facilité naturelle, me poussant à prêter attention, véritablement, à ce qu’elle me révélait, le sourire toujours aux lèvres, l’absence du mien ne semblant absolument pas la déconcerter. « J’avais le choix entre un tête à tête avec la télévision ou une potentielle rencontre, j’ai choisi la deuxième option. Cela me paraissait plus palpitant, pour me changer les idées. » Elle posa ses prunelles sur moi, à la fois résignée et amusée de me le dire. Ou peut-être un seul des deux sans que je ne puisse savoir duquel il s’agissait. « Je suis flattée alors. » commençai-je simplement avant de poursuivre, faisant mine ainsi de poursuivre le fond de ma pensée et la sienne aussi. « Que tu me trouves plus palpitante que n’importe quelle autre sitcom pourtant culte qui envahissent toutes les chaînes. » Je passais au tutoiement également, sans qu’elle ne puisse retrouver dans mes intentions celle de la déstabiliser. C’était le cas, parfois. C’était le cas lorsque je travaillais. Mais pas ce soir alors que j’acceptais de laisser courir un sourire sur mes lèvres, soulignant avec malice : « C’était un compliment, pas vrai ? » Ça l’était maintenant que je me retournai finalement, retrouvant l’appui du bar sous mes avant-bras, reposant mon verre sur le comptoir afin de laisser mes doigts dégager mes cheveux sans y penser.
« Tu viens d’où, Halsey ? » m’enquis-je finalement en abaissant mon menton sur le côté, lui offrant l’entièreté de mon attention pour la première fois depuis que son verre s’était, malencontreusement, renversé à mes pieds. Sur moi également, pensais-je alors que les effluves de l’alcool sur le tissu de ma veste remontèrent à mes narines pour me le rappeler. « Australienne, tu n’as pas d’accent. » repris-je finalement en hochant sobrement la tête, m’employant finalement à laisser mes bras glisser des manches de ma veste que je délaissais sur le siège d’à côté. Je peux trouver, semblait lui dire quant à lui mon regard plus animé, mon sourire moins vague, plus engagé. Voyons si ma tête y est toujours, à défaut du reste. « Et en dépit de l’accident, » L’une de mes mains vint effectuer lentement dans l’air de vagues guillemets, annihiliant toute ébauche d’excuse qu’elle serait susceptible de formuler, de nouveau. « Tu m’as l’air plutôt à l’aise avec ce genre d’endroits, et même disposée à repartir avec le barman. » Un sourire de nouveau, absolument pas moralisateur, simplement amusé. Nous étions là dans l’un des bars les plus. prisés et appréciés de Brisbane. Le genre d’endroit dont nous ne pouvions connaître les usages et au sein duquel nous ne pouvions déambuler avec aisance qu’en en ayant déjà fréquenté des semblables, ailleurs. « Je dirais une grande ville. Sydney, Perth … Melbourne ? » Je listais les trois propositions me venant en tête en arquant un sourcil dans sa direction, attendant son verdict sans appréhension. Que j’aie raison ou tort, il ne s’agissait que de subjectivité, celle que je laissais imprégner mon travail chaque jour, celle dont je me servais comme un jeu fugace ce soir, et dont elle pourrait se servir à son tour si elle le désirait, sur l’inconnue que j’étais, celle qu’elle avait abordée avec gêne et auprès de laquelle elle s’attardait, pourtant.
Par moment, la brune avait l’impression d’être un félin observant sa proie, l’approchant subtilement jusqu’au moment parfait où la fenêtre idéale s’ouvrirait pour une attaque de laquelle l’autre ne se relèverait pas. Dans ce cas précis, la jeune femme avait un objectif bien particulier en tête ; parvenir à s’immiscer dans la vie de cette femme, quoiqu’il en coûte. Elle était le seul atout glané lors d’une session de surveillance axée sur le cher et tendre de Raelyn et pour l’heure, personne ne savait qu’elle les avait vu ensemble. Halsey ignorait encore à quoi pourrait bien lui servir cette jolie brune, mais l’expérience lui avait appris à ne jamais négliger la moindre opportunité, et c’était précisément ce qu’était cette flic : une opportunité. Ceci étant dit, l’affaire était loin d’être pliée et si elle était parvenue à initier une conversation et à s’installer à ses côtés, Liv semblait encore aussi fermée qu’une huître et peinait à se fendre du moindre sourire à son intention. Mais loin de se démonter, la brunette continua sur sa lancée, conservant son but en ligne de mire et décidant que rien ne l’empêcherait de se lier d’amitié – seigneur, rien que l’idée de copiner avec une représentante des forces de l’ordre lui donnait la nausée – avec elle. Il s’agissait simplement de trouver la faille, le détail qui lui permettrait de l’atteindre et de déclencher chez elle l’envie de discuter avec elle tout en ne titillant pas son alarme interne. Car après tout, si cette fille était un tant soit peu douée – rien n’était moins sûr – dans son boulot, il paraissait évident qu’Halsey se devrait de se montrer plus fine que d’ordinaire afin de ne pas éveiller le moindre soupçon à son égard. Se faire bousculer dans un bar et se confondre en excuse pour un verre renversé par mégarde était le genre de situation lambda qui pouvait aisément pour un accident, mais la brune restait sur ses gardes. Il suffisait parfois d’un détail infime pour retourner une situation en sa défaveur, et elle n’aurait pas de seconde chance à ce petit jeu. Une part d’elle était excitée face à ce nouveau défi qu’elle se lançait et qui lui donnait l’impression de marcher sur des charbons ardents, mais son air ne laissait bien entendu rien transparaître. Elle avait simplement l’air d’une jeune femme décidée à boire quelques verres pour tromper l’ennui d’une chambre d’hôtel vide, comme elle le fit savoir avec une bonne humeur feinte à sa nouvelle future meilleure amie – qui ignorait tout de la cible invisible collée sur son front. « Je suis flattée alors. » Pourtant, j’aurais encore préféré m’abrutir avec la famille Kardashian que de devoir faire semblant de m’intéresser à toi. Mais la vie est ainsi faite, pas vrai ? « Que tu me trouves plus palpitante que n’importe quelle autre sitcom pourtant culte qui envahissent toutes les chaînes. » C’était loin d’être le cas, mais la brune se fendit d’un sourire destiné à cacher ce qu’elle pensait réellement d’elle et de ce qu’elle considérait être palpitant. « Je préfère de loin m’aventurer à découvrir ce que me réserve une soirée comme celle-ci que de rester seule à regarder des séries qui ne diffèrent en rien les unes des autres. » Argua-t-elle dans un petit haussement d’épaules, dissimulant une quelconque réaction liée au tutoiement ou au premier sourire qu’elle lança dans sa direction, le regard empreint de malice. « C’était un compliment, pas vrai ? » Pas du tout, non. « Bien entendu. » Lança-t-elle dans un petit hochement de tête, relevant le nez de son verre tandis que Liv se tournait désormais vers elle avec un regain d’attention. « Tu viens d’où, Halsey ? » L’interrogatoire avait commencé et avec lui, la brune sentait que la première partie de son plan s’avançait lentement vers une issue positive, ce qui la poussa à prendre sur elle et de se montrer le plus affable possible en se tournant elle aussi davantage vers son interlocutrice, penchant légèrement la tête sur le côté en plongeant son regard dans le sien. « Australienne, tu n’as pas d’accent. » C’était qu’elle était en lice pour obtenir le prix de la flic de l’année, dis donc. Halsey comprit qu’il s’agissait d’un jeu pour elle, probablement pour se prouver qu’elle était douée en déduction, et elle prit sur elle de ne pas lui ruiner le plaisir en lui déclinant son identité et en lui fournissant son carnet de naissance en trois exemplaires. « Et en dépit de l’accident, tu m’as l’air plutôt à l’aise avec ce genre d’endroits, et même disposée à repartir avec le barman. » Sa main était venue balayer ce qu’il restait de sa tenue après avoir rencontré Halsey Blackwell dans toute sa splendeur, et cette dernière se fendit d’un petit sourire embarrassé, le genre que l’on avait lorsqu’on était réellement désolé. Ce qui était loin d’être son cas, bien entendu. « Je dirais une grande ville. Sydney, Perth … Melbourne ? » La brunette laissa un air impressionné prendre le pas sur celui de l’amusement, allant même jusqu’à écarquiller légèrement les yeux face à ce trio de propositions qui contenait la bonne réponse. Elle aurait pu se mouiller et essayer de deviner directement laquelle était correcte, tout de même. Hochant une nouvelle fois la tête, la jeune femme avala une gorgée de son gin avant de hausser un sourcil curieux. « Tu fais quoi dans la vie ? T’es un genre de mentaliste ou… ? » Une flic un peu paumée dans un bar qui cherche à se faire mousser ? « Je viens de Perth, bien joué. » Concéda-t-elle dans un sourire, avant de décider de se plier elle aussi à l’exercice. « A mon tour. » Sa voix trahissait un enthousiasme feint et elle se concentra sur la brune, un peu comme si la fixer allait pouvoir lui donner les informations dont elle avait besoin. « Je dirais qu’à l’inverse de moi, tu n’es pas venue ici dans le but de faire la conversation à qui que ce soit… Mais plutôt pour tenter d'oublier une mauvaise journée. » Ou une mauvaise semaine, voire pire. Elle avait l’air très seule et surtout, elle donnait l’impression de porter le poids du monde sur ses épaules. Souffrait-elle du syndrome du super-héros ? Faisait-elle partie de ces personnes qui prenaient chaque affaire personnellement, se faisant un devoir de les boucler, quitte à ne plus en dormir la nuit ? Si tel était le cas, il fallait vite qu’elle change de métier. La dépression devait être proche. « Mais je suis nulle à ce petit jeu, je dois probablement me tromper. » Un nouveau rire s’échappa de ses lèvres et elle secoua la tête, comme pour balayer sa suggestion alors qu’elle savait qu’elle avait probablement touché juste. « Tu fumes ? » Lui demanda-t-elle en sortant son paquet de son sac, désignant le coin fumeur aménagé un peu plus loin au bord du rooftop. La question était purement rhétorique, mais il fallait qu’elle continue d’agir comme si elle ne savait strictement rien sur cette chère Liv et ses mauvaises habitudes – qu’elle partageait avec elle, pour le coup - tout en mettant en lumière le peu de réels points communs qu'elles avaient.
Olivia Marshall & @Halsey Blackwell ✻✻✻ « Je préfère de loin m’aventurer à découvrir ce que me réserve une soirée comme celle-ci que de rester seule à regarder des séries qui ne diffèrent en rien les unes des autres. » Je laissai mes lèvres s’étirer en un sourire proche du rictus, m’empêchant de permettre au commentaire caustique affleurant à mon esprit de s’échapper. Un autre jour, une autre vie, sans doute n’aurais-je pas pu m’empêcher de la mettre en garde sur le premier degré dont elle ne paraissait pas capable de se dépourvoir, rien de pire que ce dernier dans ce genre d’endroits, ce genre de ville - ce genre de vie pour ce qu’il en était. Aujourd’hui, je n’y croyais tout simplement pas. Seule dans un bar et à une heure pareille en pleine semaine ? Je doutais, dans le fond, que quiconque puisse m’affirmer n’avoir rien à se reprocher, rien à délaisser, rien à chercher autre que la prétendue excitation qu’une conversation avec une inconnue était susceptible de lui apporter. Et l’on pouvait m’affirmer que je ne faisais ici qu’accorder mes torts au reste du monde, je l’assumerais sans faillir. La liste de mes impairs et de mes regrets était longue en effet, je m’en servais de feuille pour rouler mon tabac puisqu’il n’y avait rien d’aussi peu cher, rien d’aussi inépuisable. Et elle ? Et Halsey ? Halsey s’en tiendrait à son envie d’aventures pour seul argument, comme si elle me pensait capable d’ignorer que les seules aventures trouvées en ce genre de lieux nocturnes, seule et prête à aborder n’importe qui puisqu’elle m’avait choisie, moi, au milieu de tous les autres, étaient ces instants suspendues, factices, artificiels, irrésistibles seulement si l’on ne voulait plus à avoir à le faire : résister. « Bien entendu. » Bien entendu. Le pire résidant dans le fait que cela semblait presque naturel, chez elle, ce désir de ne pas déplaire, ce souci de ne pas déranger, de ne pas contredire, presque sincère. Elle m’observait de cet air crédule quoique détaché, sans que je ne m’explique encore réellement en quoi ces deux couleurs se complémentaient. Son énigme était la sienne ; elles nous l’étaient toutes, propres à chacun ; je ne souhaitais pas la déchiffrer, n’étant même pas certaine que celle-ci m’intéresse réellement.
Mais lesquelles le feraient-elles dans ce cas ? Celles qui éveillaient mon intérêt, le seul que j’avais encore, celles qui le méritaient, qui le nécessitaient pour me permettre de nouveau le sommeil à défaut de l’apaisement n’étaient pas en passe d’être résolues, au contraire. Il me restait la sienne ce soir, et l’espoir sans aucun éclat que celle-ci refléterait autre chose que ces évidences qu’elle se bornait à me présenter. « Tu fais quoi dans la vie ? T’es un genre de mentaliste ou… ? » Je me surpris un instant à prêter attention au balancement saccadé de ses longs pendants d’oreille en métal doré, à moins qu’il ne s’agisse véritablement d’or, trop vifs, trop ostentatoires, trop en décalage de nouveau avec l’image inverse qu’elle paraissait vouloir donner. Ils s’agitaient autour de son visage avec délicatesse, comme de vains rappels à une crédulité depuis longtemps perdue. « Rien d’aussi passionnant, j’aimerais. » me contentais-je de répliquer, la douceur feinte aux commissures des lèvres tandis que je secouai la tête lentement. Le barman remplit nos verres de nouveau et j’accueillis le mien avec un soulagement factice. « Je viens de Perth, bien joué. » Je laissais échapper un haussement de sourcils amusé peut-être, à peine intrigué, dépourvu de toute satisfaction quoiqu’il en soit. Je ne prétendais pas la cerner en quelques secondes, n’essayant pas encore de le faire de toute évidence. Pas si elle ne me donnait rien d’autre que cette impression de ne rien avoir à dissimuler. « Un long voyage jusqu’à chez nous. » Je ne demandais pas ce qui l’y amenait, en outre. Je me surprenais à espérer que celui puisse m’intéresser si elle se laissait aller à le faire d’elle-même, mais si elle choisissait de maintenir ses lèvres closes et le sourire à celui-ci, je n’y voyais aucun problème. « A mon tour. » Je haussai les épaules sans manifester un réel intérêt, forçant tout de même mon regard au sien pour lui accorder ce qu’elle semblait chercher. Valait-il la peine de lui signifier qu’elle se vouait à une quête perdue d’avance ? Il n’était pas possible de jouer avec les nuances du noir, celui-ci n’en possédait aucune. Noir, ni plus ni moins. Peu importe l’intensité du bleu de son regard qu’elle tentait d’y apposer. « Je dirais qu’à l’inverse de moi, tu n’es pas venue ici dans le but de faire la conversation à qui que ce soit… Mais plutôt pour tenter d'oublier une mauvaise journée. » Vraiment, qu’est-ce qui t’a mis sur la piste ? Était-ce la couronne d’opacité entremêlée à mes cheveux, sans qu’elle ne puisse discerner pourtant que cette dernière paraît ma tête chaque jour depuis deux ans, et pas seulement aujourd'hui ? Je le lui disais quand que je ne cherchais pas à lui cacher ? Que j’avais espéré qu’elle suffirait même, à décourager quiconque ce soir de s’approcher avec trop d’insistance ?
Elle se trompait néanmoins. Pour beaucoup, ce genre d’endroits fréquenté seuls restait ce lieu que l’on ne pouvait aimer qu’au prix d’un certain effort. Pour moi, il s’agissait sans doute du seul endroit sur terre que je me permettrais d’aimer, ce soir. Quoi de mieux, n’est-ce pas, pour conclure une journée de victoires, toutes relatives celles-ci fussent, il s’agissait du terme employé par mon supérieur après tout. « Mais je suis nulle à ce petit jeu, je dois probablement me tromper. » Son rire tinta, enfoui sous l’ambiance musicale assourdie elle-même des éclats de conversations environnantes. Mes ongles jouèrent un instant sur le contour de mon verre alors que je la reprenais, sans marquer de pause comme s’il me tenait à cœur de ne pas souligner, comme elle, son manque de perspicacité. « Un point pour l’effort. » J’aurais pu lui en accorder d’autres, si je décidais d’être honnête. Mais ce n’était pas une mauvaise journée que je tentais d’oublier et cela me suffisait pour jouer sur les mots alors que je lui désignai d’un signe de tête à peine perceptible le verre siégeant entre mes doigts. « C’est un verre de célébration que tu vois là. Si tu ouvres l’œil, tu verras pas mal de mes collègues en train de se féliciter pour ce qui a été, désolée, une bonne journée. » Un mensonge dans une semi-vérité, voilà tout ce que je lui donnais en retour. Les collègues, abandonnés dans un bar à quelques kilomètres de celui-ci. Sans doute fêtaient-ils néanmoins la résolution de ce dossier vieux de plusieurs années. « Quoi ? Je ne suis pas assez enjouée à ton goût ? » raillai-je en arquant un sourcil, comme si le simple fait de prononcer le mot enjoué entre mes lèvres était susceptible, ironiquement, d’éclairer les recoins les plus sombres de ma personnalité. « Tu fumes ? » Misère, et dire que ma dernière cigarette ne remontait qu’à une dizaine de minutes, voilà que j’en désirais une nouvelle à la simple vision de celles qu’elle me présentait entre ses doigts bagués, ma réponse déjà manifeste, mon identité déjà révélée : fumeuse à en oublier le sarcasme. « Si tu invites. » Quoique. Ce dernier franchit la barrière de mes lèvres avec plus de facilité que je ne l’aurais cru. Seulement si tu invites. Comme si je l’avais attendue pour finir mon verre d’une traite, l’abandonnant sur le comptoir en arrière pour retrouver le sol et la direction du rooftop, attrapant ma veste au passage.
A présent, Halsey pouvait s’avancer en disant que la conversation était lancée et que le poisson était ferré, bien qu’un imprévu puisse encore intervenir en l’empêchant d’arriver là où elle le voulait avec Liv. Pour l’instant, l’effort n’était pas à la hauteur de ce que cette femme pouvait lui apporter, mais des années d’expérience dans le domaine lui avaient appris que l’intérêt arrivait lorsqu’on l’attendait le moins. La plupart du temps, c’était Clyde qui usait de son réseau et de ses contacts, mais la brunette aussi pouvait assurer quelques pistes – c’était d’ailleurs précisément ce qu’elle était entrain de faire. Elle avait pris le parti de suivre Amos, et son audace avait payé, elle ignorait encore simplement le prix qu’elle recevrait suite à cela. Pour l’instant, il s’agissait d’une simple conversation à bâtons rompus avec une flic un peu ennuyeuse, mais nul doute qu’elle pourrait s’avérer utile à un moment ou l’autre. Pour l’heure, la jeune femme se pliait à l’exercice soumis par son interlocutrice qui s’amusait à deviner d’où elle venait – ce qu’elle fit d’ailleurs avec brio, même si le fait qu’elle propose plusieurs choix enlève de sa superbe à cette supposition. Chassant son air amusé pour le remplacer par de la curiosité, elle l’interrogea sur ce qu’elle faisait dans la vie, masquant le côté direct de cette question par une blague un peu hasardeuse sur le fait qu’elle puisse être une mentaliste. « Rien d’aussi passionnant, j’aimerais. » Comme elle la comprenait. Cela dit, Olivia prit sur elle de ne pas lui donner la réponse et Halsey salua son côté discret, même s’il ne lui facilitait pas vraiment la tâche. « Bon alors je vais essayer de deviner aussi, même si ça s’annonce plus compliqué que de deviner ta ville natale. » Lança-t-elle dans un petit rire, jouant avec son verre entre ses doigts en faisant mine de réfléchir. « Tu es psy ? Avocate ? Ou alors tu travailles pour les forces spéciales et tu as déjà tout un dossier sur moi. » Elle prit un petit air horrifié, pour la forme. Le tout était de rendre la brune suffisamment détendue pour qu’elle commence à s’ouvrir, mais vu son air coincé, la tâche allait s’avérer ardue. Finalement, elle laissa glisser le fait que Perth était une bonne déduction, ce qui n’alluma pas la moindre lueur de satisfaction dans ses yeux, au plus grand étonnement de Halsey. « Un long voyage jusqu’à chez nous. » Si on voulait, après tout elle n’avait jamais réellement voyagé, alors la perception des distances hein… « J’avais envie de changer d’air. » Argua-t-elle, peu encline à laisser le sujet de Raelyn venir sur le tapis. Dieu seul savait ce qu’Amos avait bien pu lui raconter et il était hors de question qu’elle court le moindre risque. A la place, elle se risqua à faire sembla de deviner des choses sur elle, ne pouvant cependant pas utiliser la moindre information qu’elle possédait déjà, au risque de déclencher une petite étincelle de méfiance chez Olivia – ce qu’elle tenait à tout prix à éviter. Elle n’avait pas l’air commode par nature, et son métier ne la rassurait en rien. Amos aurait au moins pu prendre la peine de se taper une fleuriste, ça lui aurait rendu la tâche un peu plus aisée. « Un point pour l’effort. » Une moue de déception vint étirer les lèvres de la brunette qui haussa finalement les épaules dans un petit rire ; la tentative était vaine, de toute façon. « C’est un verre de célébration que tu vois là. Si tu ouvres l’œil, tu verras pas mal de mes collègues en train de se féliciter pour ce qui a été, désolée, une bonne journée. » Oh ? Son œil avisé n’avait pas repéré le moindre « collègue » aux alentours, mais son regard resta figé dans le sien sans prendre la peine de vérifier une seconde fois tandis qu’un geste vague balayait ses excuses destinées à mettre des formes sur son manque de perspicacité. « C’est super, qu’est-ce que vous célébrez ? » Demanda-t-elle tout en se disant que ce que des policiers fêtaient étaient forcément quelque chose dont elle n’allait pas se réjouir, se considérant elle-même comme de l’autre côté de la barrière. Ceci étant dit, il y avait des affaires plus graves que celles qui pouvaient la toucher de près ou de loin, et dans ce cas elle aurait été prête à faire l’effort de festoyer avec son interlocutrice. Halsey conservait son ton guilleret qui contrastait violemment avec l’attitude stoïque de la brune, ce que cette dernière sembla d’ailleurs remarquer. « Quoi ? Je ne suis pas assez enjouée à ton goût ? » C’était un euphémisme, mais la brune se contenta de lever un sourcil amusé en réponse à sa question. « Disons que je t’aurais crue si tu m’avais dit que tu venais d’enterrer quelqu’un. » Répliqua-t-elle en prenant un air légèrement embarrassé, comme si elle regrettait sa franchise à peine les mots ayant franchis ses lèvres. C’était un risque, mais ça n’avait jamais tué personne de faire face au piquant Blackwell, pas vrai ? Ressentant l’appel de la nicotine, elle demanda à Olivia si elle aussi était tombée dans le piège de cette drogue douce en connaissant très bien la réponse par avance. Il s’agissait surtout de créer un premier point commun tout en assouvissant sa propre envie, et vu la tête que la brune tirait, elle allait sauter à pieds joints sur la proposition. « Si tu invites. » Ben voyons. Halsey n’aimait pas partager, mais qu’est-ce qu’était une cigarette contre la promesse de futures informations l’aidant à entrer dans la vie de sa chère sœur ? Lui répondant par un sourire en coin, la brunette attrapa elle aussi sa veste avant d’emboîter le pas à Liv en direction du rooftop. Sans un mot, elle attrapa deux cigarettes et en tendit une à sa nouvelle amie – notez l’ironie – avant de lui tendre la flamme de son briquet pour qu’elle puisse l’allumer. Elle fit de même avec la sienne et tira dessus avec un plaisir non-dissimulé, aspirant les effluves sans se priver. La jeune femme était accro à cette merde depuis des années et pourtant, c’était bien l’une des seules choses dont elle ne se laissait pas. « Comment ça se fait que tu aies atterri seule au bar si tu étais ici pour fêter quelque chose en bonne compagnie ? » Lui demanda-t-elle en jetant un regard de biais à son profil avant de se concentrer sur le spectacle que lui offrait la vue du rooftop sur lequel elles se trouvaient, désireuse de paraître détachée en dépit de la question qui elle, ne l’était pas du tout.
Olivia Marshall & @Halsey Blackwell ✻✻✻ L’habituel finissait toujours par survenir, l’instant non soudain mais progressif, à peine perceptible, durant lequel l’inconnu du soir devenait soudainement moins réservé ou un peu plus curieux. Je me faisais cette réflexion à chaque fois que les questions finissaient par arriver car elles le faisaient toujours, profitant de me voir coincée devant un verre rempli et luisant d’une lumière cuivrée pour tenter d’en savoir plus. Coincée, Liv ? Coincée, car n’était jamais ma faute, n’est-ce pas ? Cet instant même que semblait connaître la jeune femme, gagnant en confiance pour abandonner, à peine mais tout de même, les aspects de sa personne plus gauches, plus candides. Cela me soulageait presque, n’étant de toute évidence pas d’humeur à m’occuper d’une demoiselle égarée le soir de ma célébration. « Bon alors je vais essayer de deviner aussi, même si ça s’annonce plus compliqué que de deviner ta ville natale. » Son rire, de nouveau, léger et cristallin vint s’entrechoquer contre les parois de son verre lorsqu’elle tenta de l’y noyer et j’acceptai son regard plus insistant sans ciller, comme s’il était possible de retirer un quelconque plaisir à la voir patauger pour si peu. « Tu ne voudrais pas déjà justifier un échec, quand même ? » Cela y ressemblait beaucoup, l’excuse toute trouvée pour ses erreurs à venir. À quoi bon jouer si l’on partait perdante ? S’il fallait titiller quelque peu son esprit de compétition, je m’y pliais volontiers, préférant d’ores et déjà l’assurance accompagnée d’une pointe de vigueur venant teindre ses prunelles à la suite de cette phrase. Je restais sceptique quant à ses capacités mais ne demandais qu’à être surprise des hypothèses qui ne tarderaient plus à être formulées, l’effort se lisant dans la concentration qu’elle y mettait, suivant son instinct ne pouvant qu’être approximatif car basé uniquement sur des mots échappés vaguement, à contrecœur, les miens. « Tu es psy ? Avocate ? Ou alors tu travailles pour les forces spéciales et tu as déjà tout un dossier sur moi. » avança-t-elle l’effarement marqué sur le visage mais un sourire à la portée de ses lèvres. Je la regardai une seconde, sérieuse pour accueillir ses propos en arquant un sourcil mais laissant tout de même échapper d’un air amusé : « Je devrais ? » Qu’y aurait-il à découvrir sur elle de toute manière ? Quelque chose d’assez conséquent pour pouvoir constituer un dossier ? Qu’il s’agisse d’innocence exagérée ou de vanité égarée, je m’en servais comme levier, maîtrisant les actes manqués comme un marin s’harmonisait avec sa voile. « Je ferais une psy terrible pour ce que ça vaut. Quant aux avocats, j’en côtoie suffisamment pour ne pas prendre ça comme un compliment. » ironisai-je d’une voix calme en lui lançant un regard en coin, acceptant de lui dévoiler un indice à peine voilé, le premier à bien y réfléchir, désireuse de voir si celui-ci éveillait la moindre réaction chez elle susceptible de m’en fournir également.
Peu importait de toute évidence afin de deviner la ville de ses origines, celle-ci confirmée parmi mes trois propositions évoquées. « J’avais envie de changer d’air. » J’acquiesçai silencieusement sans la regarder, comme s’il s’agissait là d’un état d’esprit compréhensible et sans doute l’était-il : la majorité des personnes rassemblées dans l’un de ces endroits nocturnes au milieu de la semaine ne le partageait-il pas après tout ? « Comment ça se passe jusqu’à présent ? » Je la relançai sans y penser, le verre à quelques centimètres de mes lèvres, mon regard olive s’égarant en son dessus pour rencontrer le sien. L’histoire, s’il y en avait une, se nichait sans doute au sein de ce détail : si le besoin de changement n’avait rien d’extraordinaire, peu de personnes étaient enclines à parcourir plus de quatre mille kilomètres en partant à sa recherche. Pas sans raisons valables mais elle semblait, comme moi, préférer se concentrer sur autrui plutôt qu’elle-même, la dérobade jamais loin, l’intérêt feint que je détournais d’une contradiction de principe. « C’est super, qu’est-ce que vous célébrez ? » Tout me semblait enclin à paraître super, en effet, entre les lèvres rosées de la jeune femme et je me résolus à lui répondre plus sincèrement qu’auparavant : « Une affaire résolue dans les règles de l’art. » Inutile d’apposer des guillemets pour encadrer mes derniers mots, mon ton le faisait de lui-même, l’expression n’ayant jamais trouvé grâce à mes yeux et nécessitant une précision qui, elle, prévalait dans mon esprit. « Du genre que les avocats n’apprécient pas quand le dossier arrive sur leur bureau. » La vérité était là, tapie, dissimulée entre deux phrases soigneusement tournées, qui ne voulaient rien dire si elle décidait de ne pas s’y attarder, qui illustraient sans nuance si l’oreille se tendait. Les seules que je célèbre, aurais-je pu me permettre de rajouter sans mentir mais le jugement d’Halsey à mon sujet rejoignait déjà celui des autres, quelques minutes seulement après s’être attablée à mes côtés. Prétendre la fête ne suffisait pas à la rendre réussie, elle avait raison et je pouvais le lui reconnaître : je m’en étais éloignée pour cela. « Disons que je t’aurais crue si tu m’avais dit que tu venais d’enterrer quelqu’un. » Je constatais sa répartie soudainement assumée comme s’il s’agissait d’une poussière logée entre mes cils, le sourire amusé au coin des lèvres tout de même car je préférais cela, toujours, à l’air ingénu ne tardant pas à retrouver ses droits sur les traits saillants de son visage délicat, mimant la surprise à sa propre saillie. Il ne fallait pas lorsqu’elle me permettait, finalement, de pouvoir départager sa sincérité de sa politesse. « Bien. » soufflai-je d’une voix naturellement éraillée avant d’accepter son invitation à rejoindre l’extérieur.
Dehors, les fumeurs se massaient sans forme sur les banquettes regroupées au coin de la terrasse, tenant en équilibre leur téléphone de leur verre d’une main, l’autre toute dédiée à la cigarette précieuse, leur souffle s’élevant dans l’air en une vapeur blanchâtre. Nous nous en détournâmes pour rejoindre le panorama nocturne se déroulant sous nos pieds, gardé par la balustrade d’aluminium brillant sous les spots tamisés. Un regard en direction d’Halsey et je saisis ses cadeaux, bien qu’un peu forcés, logés entre ses doigts pour placer le filtre entre mes lèvres. Je m’arrêtai pour couvrir la flamme de son briquet dans laquelle je plongeai l’extrémité de ma cigarette avant de le lui rendre pour qu’elle en fasse de même. Partager le feu remontait loin dans l’histoire de l’humanité, cela ne nous rendait pas intimes mais ne s’agissait-il pas d’un début prometteur ? Je laissais mon ironie me le souffler sans l’éteindre avec acerbité, l’amertume de la fumée glissant le long de ma gorge suffisant déjà à calmer mes instincts. « Comment ça se fait que tu aies atterri seule au bar si tu étais ici pour fêter quelque chose en bonne compagnie ? » Je laissais échapper un sourire en m’appuyant sur la rambarde, mes cils abaissés masquant mon regard s’égarant sur la buée des vitrines en contrebas, suivant les traînées grises et jaunes des voitures nombreuses et feux clignotants. « Qui a dit que la compagnie était bonne ? » Ma voix n’était qu’un souffle enrobé de fumée, sobre malgré les verres se comptant déjà au pluriel, la cigarette parvenant à provoquer un regard amusé dans sa direction alors que je haussai les épaules. « Toi non plus, tu ne l’aimerais pas, trop satisfaite d’elle-même, trop polie pour le montrer. » La cordialité souriante, avenante, démonstrative à l’excès forçant les plus cyniques à douter de sa sincérité : elle non plus, elle n’aimerait pas. Bien sûr que non.
Halsey se prenait au jeu, commençant à se sentir quelque peu intriguée par cette femme qui ne lui facilitait en rien la tâche et ce même si elle ignorait qu’elle était la cible d’une fourberie à laquelle la brune excellait depuis des années. C’était son point fort, trouver la faille et s’y engouffrer de façon si naturelle, si imperceptible que rien ni personne ne pouvait deviner le sombre dessein à l’origine d’une attitude aussi affable. Olivia correspondait en tout point à l’image que l’on pouvait se faire d’une flic ayant vu des choses trop sombres pour pouvoir être expliquées à haute voix sans grimacer, et si la jeune femme ne ressentait pas la moindre empathie pour les complications hypothétiques de son existence, elle n’en était pas moins absorbée par la nonchalance accrue dont faisait preuve la brune envers quiconque l’approchant ou lui adressant la parole. « Tu ne voudrais pas déjà justifier un échec, quand même ? » Pas déjà, non. Cherchait-elle à la piquer, à provoquer l’étincelle de compétition pourtant déjà bien présente en elle ? Cela aurait pu fonctionner si Halsey ne connaissait pas déjà la réponse à cette interrogation dont l’existence ne prenait sa source que dans le désir de lui montrer un intérêt quelconque, même si une part d’elle lui soufflait que cette femme avait peut-être quelque chose d’intéressant en elle, après tout. « Je n’ai jamais été très forte à ce jeu. » Concéda-t-elle sans se départir de son sourire de façade alors que c’était tout l’inverse, en réalité. Elle plissa donc les lèvres en signe de concentration, visant à côté en lui prêtant tantôt la casquette de psy, tantôt celle d’avocate – ce qui ne manquait pas d’ironie – décrochant un air amusé sur le visage si inexpressif de son interlocutrice. « Je devrais ? » Il était évident que si elle se penchait en détail sur sa personne, elle ne manquerait pas de découvrir un tas de choses plus intéressantes les unes que les autres, mais là n’était pas le but, évidemment. Halsey se contenta donc de feindre le désintérêt en secouant la tête, s’amusant à prétendre évoluer dans ce monde sous l’identité la plus banale qu’il soit. « Il ne serait pas bien épais. » Un nouveau sourire étira le coin de ses lèvres, se penchant un peu plus vers Liv comme si elle était toujours en attente de sa réponse concernant sa vie professionnelle, même si elle la connaissait déjà. « Je ferais une psy terrible pour ce que ça vaut. Quant aux avocats, j’en côtoie suffisamment pour ne pas prendre ça comme un compliment. » Elle ne pouvait pas vraiment lui donner tord à ce sujet, elle-même ayant côtoyé suffisamment d’avocats pour savoir qu’elle ne les appréciait en rien – sauf lorsque parvenait à les berner et à empocher un petit bonus au passage. Son deuxième mari en était un et sans doute que le choix n’avait pas été tout à fait innocent puisque en tant qu’assistante juridique, elle avait souvent été considérée comme en-dessous, dans un milieu où il était déjà compliqué d’être une femme. Ceci étant dit, ce travail lui servait uniquement de couverture et la brunette s’y plaisait plutôt bien, contre toute attente. Brisbane lui offrait de nouvelles perspectives et avec elles, un nouveau boulot au sein d’une entreprise très prometteuse. « Tu es dans la police ? » Demanda-t-elle finalement après quelques secondes de réflexion, comme s’il lui avait réellement fallu tout ce temps pour trouver un boulot qui nécessitait une proximité accrue avec les requins de la loi. Elle n’était pas sans savoir que la relation avocat-police n’était pas des plus positive et elle pencha un rien la tête en signe d’assentiment. « Je suis assistante juridique, je vois ce que tu veux dire. » Lança-t-elle en jouant avec son verre, amusée qu’elle affiche ainsi son opinion sans s’inquiéter outre-mesure. Halsey aurait volontiers prétendu être avocate, juste pour la plaisanterie, mais quelque chose lui disait que Liv n’était pas du genre à apprécier ce genre d’humour alors elle se retint de dire quoique ce soit d’autre. « Comment ça se passe jusqu’à présent ? » Niveau changement d’air, on pouvait difficilement faire mieux – même si Brisbane n’était pas si différente de Perth, sauf sur quelques aspects bien spécifiques – mais si l’on prenait la raison qui l’avait poussée à venir jusqu’ici dans l’équation, alors non, on ne pouvait pas vraiment dire que cela se passait bien. « Je suis toujours en phase d’adaptation. » Une belle façon d’éluder la question, mais Halsey n’était guère encline à s’étendre sur le sujet en ignorant dans quelle mesure Olivia était dans la confidence, puisqu’elle connaissait Amos. Trop de zones d’ombre la poussaient à la prudence et elle marchait sur des œufs, apprenant simplement à connaître la brune en cherchant à comprendre à qui elle avait affaire. « Une affaire résolue dans les règles de l’art. Du genre que les avocats n’apprécient pas quand le dossier arrive sur leur bureau. » D’accord, elle comprenait un peu mieux. Cela dit, Olivia n’avait rien de la jeune femme ravie d’avoir bouclé une affaire et c’était ce point qui intriguait Halsey plus que de raison, provoquant un haussement de sourcil à peine contrôlé. « Tu avais un gros rôle à jouer dans cette affaire ou tu es juste ici par solidarité ? » Non pas que l’une ou l’autre raison déclenche un quelconque intérêt, mais il fallait qu’elle glane un maximum de détail tant que Liv lui accordait son attention – quelque chose lui disait que ce privilège pouvait lui être ôté à tout instant et sans préavis d’aucune sorte. « Bien. » Souffla-t-elle face à la répartie pleine d’honnêteté de la brunette qui fit mine de regretter ses paroles en dépit de la véracité de ses propos. Pour quelqu’un qui avait quelque chose à célébrer, elle n’avait pas l’air d’humeur très festive. La brune lui offrit un énième sourire avant de l’inviter à la suivre dehors, le manque de nicotine se faisant ressentir plus que jamais comme à chaque fois qu’elle ingérait de l’alcool. Elles n’étaient pas les seules à vouloir s’en griller une toute en profitant de la vue mais le toit était suffisamment vaste que pour leur laisser la tranquillité que les deux jeunes femmes recherchaient en se posant contre la balustrade. La brunette fut la première à rompre le silence, lui demandant la raison de la solitude qui était la sienne alors qu’elle prétendait être venue accompagnée, ce qui était plutôt contradictoire et par conséquent, titillait forcément la curiosité de Halsey. « Qui a dit que la compagnie était bonne ? Toi non plus, tu ne l’aimerais pas, trop satisfaite d’elle-même, trop polie pour le montrer. » Olivia serait-elle l’un de ces loups solitaires préférant mener seul un combat que beaucoup affrontaient en meute ? Elle en avait tout l’air et rien que pour ça, elle gagna un peu de respect aux yeux de la brunette même si rien dans son attitude ne démontra un quelconque changement de comportement envers elle. Aspirant la fumée salvatrice, Halsey pencha légèrement la tête, signe d’un étonnement poli. « Tu n’es pas satisfaite toi ? Le boulot ne doit déjà pas être facile à exécuter, j’aurais imaginé que ce genre de victoire était votre moteur au quotidien… » Ce genre de victoire, peut-être s’avançait-elle un peu trop sans savoir le genre d’affaire auquel Liv faisait référence, mais la question se posait là.
Olivia Marshall & @Halsey Blackwell ✻✻✻ « Je n’ai jamais été très forte à ce jeu. » Et il s’agissait de la deuxième fois déjà, en l’espace de quelques minutes rapprochées, que la jeune femme face à moi soulignait les faiblesses étant supposément les siennes, celles qu’elle imaginait sans doute capables de l’excuser lorsque l’erreur surviendrait. Elle ne pouvait pas savoir, bien entendu, que cela ne faisait que m’intriguer un peu plus, que cela ne correspondait pas à l’image que je m’étais pourtant faite d’elle à la seconde où après s’être répandue en excuses comme elle l’avait fait pour m’avoir embaumée des arômes de mon propre whisky, je l’avais observée prendre place à mes côtés, l’air plus assuré qu’elle ne le laissait paraître, niant la probabilité pourtant élevée que je ne lui demande d’aller voir ailleurs plus vite qu’elle ne l’aurait supporté. Alors arrête, Halsey. Arrête de mettre partout des balises mentales inutiles, de rappeler aux autres des limites que personne n’a encore vu chez toi. Ça n’était pas plaisant à voir, ça n’avait rien de – qu’avait-elle dit déjà ? - palpitant. Peut-être était-ce une déformation professionnelle de surcroît, une de plus, mais j’avais cette tendance à me méfier des erreurs que l’on prévoyait en avance, à tendre l’oreille et à ouvrir l’œil lorsque le faux pas semblait anticipé, ceux-là même se caractérisant pourtant par leur imprévisibilité. Et ensuite, quoi ? Ensuite, j’en venais à m’interroger sur la raison d’être du contraire d’une erreur et cela forçait mon esprit à travailler, à rester sur ses gardes, à disséquer. Tout l’inverse de ce que je venais chercher en m’installant à ce genre de comptoir, en somme. Tout l’inverse de ce que Halsey de Perth méritait sûrement également, jeune femme n’ayant rien demandé de plus que de passer une soirée agréable en compagnie d’une inconnue choisie à la volée. « Il ne serait pas bien épais. » Mon sourire fila aux coins de mes lèvres tout en haussant les épaules. Elle semblait presque savoir lire dans mes pensées, réitérant l’absence d’intérêt d’une vie qu’elle dépeignait comme apparemment banale, s’imaginant peut-être m’éviter ainsi de me plonger dans un bain d’espoir pour finalement me retrouver nez-à-nez avec l’ennui. « Tout le monde dit ça mais on peut toujours trouver quelque chose à se mettre sous la dent. » rétorquai-je en jouant avec mon verre, observant le liquide mordoré ondulant contre ses parois sous les impulsions de mon poignet. « Des amendes impayées, un ex trop bavard, des plaintes du voisinage, un mari disparu … » Les possibilités étaient infinies, un détail souvent suffisant à compléter le puzzle que constituait chaque individu. J’en avais vu tomber plus d’un à cause d’une pièce ne semblant pas, a priori, présenter le moindre intérêt. « Rien de rien ? » Je lui lançai un regard amusé, ne m’attendant pas réellement à ce qu’elle me livre son plus grand secret sur un plateau d’argent, ne doutant pas qu’elle en possédait un pourtant, comme chacune des personnes faisant vivre cet endroit ce soir. Halsey était avenante et agréable, polie et ingénue. Tout était parfait dans son maquillage, dans sa tenue dévoilant un soupçon de sa féminité sans diminuer sa fermeté, dans son regard souligné d’un fin trait noir et ses lèvres ourlées d’un rouge ayant résisté à la journée. Qu’y avait-il de plus derrière tout ça ? Rien de rien ? « Il est toujours possible d’inventer dans ce cas. » Et cela aussi, j’en avais été témoin, les procès en point d’orgue de nos investigations, les concours de mensonges y prenant place, les rappels du procureur à chacun des peines punissant le parjure.
Je ne la cachais pas, mon opinion concernant ce qui s’y tramait, les avocats en chef d'orchestre, ne m’étonnant pas outre mesure lorsque l’étincelle de lucidité naquit dans le regard azuré de mon interlocutrice. « Tu es dans la police ? » Mais l’on ne parlait pas de moi, n’est-ce pas ? Elle avait parlé de forces spéciales, éveillant mon amusement et me permettant de renchérir jusqu’à l’exagération qui ne s’appliquait, bien entendu, pas à moi. Un hochement de tête peut-être imperceptible vint tout de même approuver son instinct avant que le verre ne se porte de nouveau à mes lèvres. « Je suis assistante juridique, je vois ce que tu veux dire. » Cela ressemblait au début d’une mauvaise plaisanterie, un flic et un assistant juridique dans un bar. Ou à une annulation de procès pour vice de forme. Les deux possibilités m’arrachèrent un nouveau sourire sans que je ne daigne l’expliquer. « Dans quel domaine ? » m’enquis-je avec un intérêt non forcé me surprenant moi-même. Un plus marqué en tout cas que celui teintant ma question suivante, vague et lui laissant toutes les possibilités du monde de répondre de la même façon. « Je suis toujours en phase d’adaptation. » Possibilité dont Halsey s’empara de nouveau, sans qu’aucun commentaire n’affleure de nouveau à mes lèvres. Changer d’air. Phase d’adaptation. Combien de formules d’usage possédait-elle encore en stock lorsque la discussion approchait un peu trop de son départ de Perth, de son arrivée à Brisbane ? De nombreuses, je ne doutais pas de ses ressources mais étais prête à respecter ses raisons dont j’ignorais tout mais que j’espérais plus légères, oserais-je penser positives, que mon esprit rompu d’expériences ne se l’imaginait. « Tu avais un gros rôle à jouer dans cette affaire ou tu es juste ici par solidarité ? » « Par solidarité, ça sonnerait mieux, n’est-ce pas ? » Ça sonnerait humble, pour commencer. Et je ne la connaissais pas mais ces quelques minutes en sa compagnie me soufflaient que cela sonnerait plus comme elle, également. Je souris légèrement car l’attaque demeurait absente de mes intonations, le sarcasme comme seul répondant à l’appel mais de celui-là, je ne m’en défaisais rarement. Cela répondait à sa question en outre et sans doute était-ce là l’essentiel. Il y avait bien longtemps aujourd’hui que je ne faisais plus acte de présence par seule solidarité. Un gros rôle à jouer donc, selon ses mots, et voilà que je parvenais tout de même à me tromper de bar.
Mon ironie stimulant la sienne, j’accueillis cette dernière avec plus d’aisance qu’elle ne l’aurait peut-être cru. Mais si son besoin de se faire pardonner sa répartie soudainement cinglante se manifestait par le partage de nicotine, je n’étais pas apte à le refuser. Déjà l’automne agitait, sur le panorama citadin, l’imminence bigarrée d’un crépuscule désuet. La première bouffée inhalée, j’inspirais sans emphase en laissant mes avant-bras s’appuyer sur la rambarde devant nous, les yeux plissés et spectateurs du vol de nos cendres au-dessus des toits endormis. Cela n’avait plus rien de sain, je le savais, d’aimer autant sentir le mélange de tabac et d’alcool bon marché se glisser dans ma gorge comme une brûlure dans les veines. Cela l’était toujours plus que ce que ma présence à l’autre bar aurait provoqué chez moi. « Tu n’es pas satisfaite toi ? Le boulot ne doit déjà pas être facile à exécuter, j’aurais imaginé que ce genre de victoire était votre moteur au quotidien… » Je laissais échapper un infime rire silencieux, tirant simultanément sur la cigarette entre mes lèvres avant d’hocher vaguement la tête. Elle n’avait pas tort, dans le fond. Je les connaissais les individus de ce genre, ceux semblant s’enorgueillir d’affaires classées, en amassant suffisamment jusqu’à les regarder enfin, derrière eux, entassées de telle sorte à ce qu’elles semblent suffire au reste de leur vie. Satisfaits, peut-être. Satisfaits d’eux-mêmes, de quel droit lorsqu’il restait toutes les autres traques à mener, toutes les autres familles à soulager ? « C’est le tien ? » De moteur ? Mon regard délaissa la vue pour retrouver son visage. « Assistante juridique, c’est ta vocation ? Ou il y a quelque chose ailleurs qui te fait vibrer plus que ça ? » Il y avait probablement quelque chose de difficile dans le processus d’inversion auquel elle me faisait prendre part, trop habituée à poser les questions pour désirer répondre à celles qu’elle n’hésitait pas à m’adresser.
Halsey amena d’elle-même sur le tapis une prétendue enquête sur sa personne, une stratégie élaborée visant à éloigner son interlocutrice d’éventuels soupçons sur sa personne pour la suite des évènements. Olivia avait beau ignorer qui elle était, la brune savait elle qu’elle avait affaire à un flic et rien que pour ça, la méfiance restait de mise. Elle demeurait sur ses gardes car même une conversation badine pouvait attirer l’attention sur un détail, et on savait tous ce qu’un détail pouvait provoquer chez un flic un peu trop zélé. Décidée à plaider la banalité jusqu’au bout, Halsey riait et prétendait que ce soi-disant dossier ne serait pas bien épais s’il existait, une plaidoirie plutôt ironique quand on savait ce qu’elle faisait réellement pour gagner sa vie. Les arnaques n’étaient pas le domaine de Liv mais nul doute que son instinct la pousserait à creuser si la puce venait à son oreille, ce que la jeune femme ferait tout pour éviter. « Tout le monde dit ça mais on peut toujours trouver quelque chose à se mettre sous la dent. » Pas faux, heureusement que Clyde était là pour couvrir leurs traces et empêcher une quelconque enquête de relier les pièces du puzzle entre elle. A ce stade, il faudrait être un véritable génie pour comprendre ce qu’ils manigançaient depuis des années tous les deux, mais la prudence restait de mise, toujours. « Des amendes impayées, un ex trop bavard, des plaintes du voisinage, un mari disparu … » Seigneur, sa vie devait être passionnante. S’amusait-elle à effrayer toutes les personnes qui entraient dans sa vie en ayant l’air menaçante, mine de rien ? « Rien de rien ? » Son air était amusé et si ses paroles sonnaient presque comme une mise en garde, Halsey savait que son statut de coupable la poussait à les interpréter de cette manière. Raison pour laquelle elle restait détendue tout en lui rendant son sourire avant de secouer brièvement la tête, ne quittant pas son verre des mains elle non plus ; tout était dans la contenance. « J’aurais presque aimé pouvoir annoncer avoir connu quelques épisodes piquants dans ma vie, mais ça n’est pas le cas. Un parcours exemplaire et me voilà passé la trentaine, à faire le même boulot qu’il y a presque dix ans à attendre que des Cooper dans son genre me fasse les yeux doux. » Lança-t-elle en désignant le barmaid du menton avant de reporter son attention sur Liv. Heureusement que ce discours n’avait rien de vrai, sans quoi elle se serait probablement pendue en sortant du bar. Ou tiré une balle ; plus efficace. « Il est toujours possible d’inventer dans ce cas. » Halsey haussa un sourcil amusé, tentée de faire mine de ne pas comprendre. Mais ça aurait été griller une carte alors qu’elle s’apprêtait à lui dire ce qu’elle faisait dans la vie, et qu’elle assistante juridique n’était pas au courant des affaires sur lesquelles travaillaient ses chers confrères avocats ? S’il y avait une chose qu’ils adoraient faire, c’était de parler. A croire que la confidentialité prenait son envol à l’instant où ils croisaient un décolleté. « Ma vie n’est pas bien palpitante, mais je n’irais pas jusqu’à m’en inventer une. » Si la palme de l’ironie existait… Après les nombreux indices semés par Liv, Halsey se lança enfin en lui demandant si elle était dans la police, et si le suspens était loin d’être à son comble, un léger hochement de tête de la part de la brune lui indiqua qu’elle avait raison – quelle surprise. Avalant à son tour une gorgée, elle lui expliqua travailler comme assistante juridique, une fonction qui rendait cette discussion d’autant plus amusante lorsqu’on la considérait dans son ensemble, et le sourire dont Liv se fendit laissa croire que l’ironie de la situation ne lui avait pas échappé à elle non plus. « Dans quel domaine ? » Surprise qu’elle s’intéresse à son travail, Halsey hésita avant de lui répondre avec honnêteté, car c’était bien à ça que lui servait cette couverture ; à avoir de vraies discussions sans devoir réfléchir à tous les détails à chaque seconde. « Je suis spécialisée en droit des sociétés. J’ai rapidement trouvé du travail en arrivant ici, les gros poissons aiment rester riches. » Plaisanta-t-elle en souriant avant de lui demander les raisons de sa présence à cette petite sauterie alors qu’elle conservait une distance raisonnable avec tous ceux qui avaient à cœur de fêter la fin de cette affaire. « Par solidarité, ça sonnerait mieux, n’est-ce pas ? » Peut-être, si elle aimait être prise pour une potiche dans un milieu dans lequel une femme devait éprouver des difficultés à se distinguer, à l’instar de ses confrères masculins. Mais ça n’avait pas l’air d’être le genre de Liv, une caractéristique qui sautait aux yeux et qui avait immédiatement plu à la brune qui aurait pu commencer à éprouver de la sympathie à son égard si seulement elle ne dédiait pas sa vie à emmerder des gens comme elle pour payer son loyer. « Oui, mais ça me semble éloigné de la vérité. » Une intuition qui cette fois-ci visait juste, elle en était convaincue. Comme souvent après quelques gorgées d’alcool, l’appel de la nicotine se fit sentir et elle proposa à son interlocutrice de se joindre à elle, ravie de la voir accepter sans même y réfléchir à deux fois. Davantage pour soulager son addiction que pour la compagnie, mais elle s’en fichait – le plaisir n’était de toute façon pas plus partagé que ça. Relançant la conversation, elle cristallisa ses pensées en les prononçant à voix haute, s’interrogeant sur le manque d’enthousiasme dont faisait preuve la brune face à une victoire qui était pourtant célébrée par tous, sauf par elle. Sans lâcher Liv des yeux, elle tira une nouvelle bouffée, attendant qu’elle lui livre suffisamment d’informations pour qu’elle parvienne à comprendre comment elle réfléchissait, comment elle fonctionnait. Elle était complexe, insaisissable et elle lui plaisait beaucoup, si ce n’était pour ce fichu statut de représentante de la loi. « C’est le tien ? » Halsey haussa un sourcil, attendant qu’elle clarifie sa question. « Assistante juridique, c’est ta vocation ? Ou il y a quelque chose ailleurs qui te fait vibrer plus que ça ? » Oh oui, l’inavouable activité qui la faisait frissonner à chaque fois qu’elle rejoignait Clyde alors qu’il avait du nouveau à lui offrir, une cible à lui fournir et qu’elle échafaudait avec plaisir le plan qui ferait vaciller leur cible jusqu’à leur fournir les dollars qu’ils aimaient tant. « J’aurais aimé être avocate, mais il faut pouvoir reconnaître ses limites et se satisfaire de ce que l’on a. » Elle recracha sa fumée sans quitter la brune des yeux, une lueur amusée dansant dans ses prunelles. « Sinon j’ai toujours rêvé de tout plaquer et de faire le tour du monde pour en apprendre davantage sur les autres cultures, mais encore une fois, j’ai suivi le parcours qu’on attendait de moi et maintenant… voilà où j’en suis. Je suis passée de Perth à Brisbane, une vraie avancée. » Elle se mordit la lèvre sans retenir le cynisme qui avait remplacé l’amusement dans sa voix, se félicitant elle-même pour son jeu d’actrice qui l’aurait propulsée sur les tapis rouges dans une autre vie. « Et toi ? » Ton moteur, ce qui te fait frissonner, Liv ? Est-ce que tu es la gentille flic à laquelle tout le monde s’attend ?
Olivia Marshall & @Halsey Blackwell ✻✻✻ Dans la lumière enfumée surplombant le comptoir verni du bar taché du sucre de cocktails trop sirupeux, la candeur presque rafraichissante de la jeune femme secouant la tête et souriant innocemment détonait étrangement. Il ne fallait pas qu’elle s’en fasse, mes mots s’échappaient d’entre mes lèvres avec malice comme ils le faisaient toujours, évoquant une généralité avec emphase pour espérer en discerner les retombées sur mon interlocuteur. C’était ainsi que je cernais les gens, une mauvaise habitude qui avait tendance à mettre mal à l’aise parfois mais qui demeurait innocente dans ce cas précis. Halsey souriait peut-être trop mais n’éveillait en moi aucun signal d’alarme. « J’aurais presque aimé pouvoir annoncer avoir connu quelques épisodes piquants dans ma vie, mais ça n’est pas le cas. Un parcours exemplaire et me voilà passé la trentaine, à faire le même boulot qu’il y a presque dix ans à attendre que des Cooper dans son genre me fasse les yeux doux. » Je l’appréciais même, cette manie qu’elle avait de dévaluer la vie qu’elle dépeignait sienne alors que plus je l’observais, plus il me semblait évident qu’elle s’en était mieux sortie qu’elle continuait de le prétendre. Réelle humilité ou fausse modestie dissimulant autre chose, je penchais plutôt pour la seconde option sans réussir à m’expliquer pourquoi ; une intuition certainement, et je me fiais à ces dernières plus qu’aux mots d’autrui. « Cooper est un chic type, ça pourrait être pire. » Je pouvais continuer de renchérir à ce qu’elle voulait bien me révéler en attendant, je trouvais cela plus amusant qu’autre chose. « Ma vie n’est pas bien palpitante, mais je n’irais pas jusqu’à m’en inventer une. » Mais je ne parlais pas d’elle bien qu’il fût normal, rassurant même, qu’elle ne saisisse pas toutes les nuances de mon insinuation. Dans quel domaine exerçait-elle donc ? Rien de trop véreux, imaginais-je, pour faire mine de ne pas savoir que ce n’était pas les concernés qui s’inventaient une vie mais leurs avocats, leurs conseillers, les inspecteurs dans mon genre même qui étaient capables de monter une histoire à partir du moindre détail superflu. « Je suis spécialisée en droit des sociétés. J’ai rapidement trouvé du travail en arrivant ici, les gros poissons aiment rester riches. » Ah, pourtant. « C’est un point qui fait que je ne manquerai sans doute jamais de boulot non plus. » lui répondis-je sur le même ton amusé que le sien. Je précisais avant qu’une lueur interrogative ne prenne place dans son regard en me désignant d’un geste vague. « Homicides de mon côté. Tu serais surprise du nombre d’affaires ayant comme seule motivation le fait de rester riche. » Je pouvais me permettre ce genre de confessions, n’est-ce pas, à Halsey qui côtoyait ce genre de gros poissons toute la journée comme elle le disait. Ça ne la choquerait pas, ou peut-être que si. Mais je venais de finir le verre qui suffirait à ne pas m’en émouvoir.
J’allumais une cigarette que je fumais déjà avec soin l’instant d’après, les avant-bras appuyés contre la rambarde. La lune brillait sur la baie au loin et aucun nuage ne semblait habiter le ciel obscur sur lequel je vins lever mon regard plissé tout en répondant à son interrogation. Aucune solidarité ne guidait plus mes décisions dernièrement mais je pouvais faire l’effort de le prétendre si cela la mettait plus à l’aise pour rester dans les parages, pour continuer à s’accrocher à … que désirait-elle exactement ? Faire ma connaissance, à ce point ? « Oui, mais ça me semble éloigné de la vérité. » Si c’était la vérité qu’elle souhaitait, je la lui soufflais à demi-mots dans ce cas, et sans un sourire. « C’est parce que je ne suis pas aussi gentille que ça. » Une ironie naturelle que n’importe quel idiot aurait pu prendre au premier degré tant mon air restait sérieux et imperturbable, mais Halsey me paraissait bien assez pertinente pour essorer toute la sévérité de mon regard et distiller l’humour noir qui le composait vraiment. Les méchants souriaient, en outre. Ils étaient souvent les premiers et les derniers à le faire. La fumée de la cigarette d’Halsey se mêlait à celle de la mienne alors qu’une nouvelle de ses questions ne tarda pas à les rejoindre. Mon moteur n’avait rien d’un secret, j’étais prête à le lui révéler – sans doute pas dans son entièreté mais qu’en saurait-elle. Je décidais pourtant de lui renvoyer la balle pour commencer, intriguée d’observer comme réussirait-elle à l’attraper. « J’aurais aimé être avocate, mais il faut pouvoir reconnaître ses limites et se satisfaire de ce que l’on a. » J’haussais les épaules, amusée tout comme elle. Ses regrets étaient les siens, idéalisés supposais-je, comme nous le faisions tous à nous éprendre d’une ambition ou d’une idée que l’on s’était faite de nous-même. Elle avait l’audace de le formuler au moins, et à une inconnue en plus de cela. Elle devait s’être satisfaite d’une autre manière, oui. « Sinon j’ai toujours rêvé de tout plaquer et de faire le tour du monde pour en apprendre davantage sur les autres cultures, mais encore une fois, j’ai suivi le parcours qu’on attendait de moi et maintenant… voilà où j’en suis. Je suis passée de Perth à Brisbane, une vraie avancée. » C’en était une si les raisons en valaient le coup. Était-ce le cas ?
« Et toi ? » Elle rebondissait déjà néanmoins, ne s’attardant guère sur elle et je consentis cette fois-ci à lui répondre. « De Kaboul à Brisbane, le changement fut réel pour le coup mais je ne le regrette pas. » Je tapotai distraitement ma cigarette dans le vide s’étalant à nos pieds, mon regard suivant les cendres s’effondrant jusqu’en bas, au ras des portes cochères de l’arrière-rue, avant d’expliciter mes paroles : « J’étais militaire avant de rejoindre la police. J’imagine que les points communs entre ces deux institutions ont guidé ma reconversion. J’avais besoin de faire une différence, de me sentir vivante sans jamais tomber dans le piège de l’ennui. » On ne s’ennuyait pas en comptant ses pas sur un terrain miné perdu sous un soleil de plomb à des milliers de kilomètres de tout ce que l’on connaissait. On ne s’ennuyait pas non plus lorsque, de retour à ce que l’on considérait comme son foyer, l’on devait se pencher sur les pires travers de l’espèce humaine. Les enquêtes s’enchaînaient et, même résolues, peinaient à sortir de mes pensées. J’y repensais encore le lendemain et les semaines menant jusqu’au procès, refaisant le tour des indices pour m’assurer qu’aucun élément, même le plus infime, n’ait pu me faire défaut. J’étais obsessionnelle peut-être mais la certitude d’avoir attrapé la bonne personne suffisait à rallumer la flamme pour l’affaire suivante. On ne s’ennuyait pas, non, lorsque l’on confrontait son esprit à celui plus sombre et moins conventionnel que n’importe lequel de ces coupables. Et moi aussi avant, je pensais qu’il n’y avait rien de pire que l’ennui. Mais il y avait pire dans une vie, finalement. Il y avait toujours pire, je m’en étais rendue compte depuis. « Aujourd’hui, je sais que l’armée était sans doute trop stricte pour moi, trop rigide pour que ça marche sur le long terme. » Cette opinion s’était ancrée en moi il y a quelques années, en effet. La rigueur de l’armée ne m’avait jamais dérangée lorsque je faisais encore partie de ses rangs. Je m’y étais pliée de bon gré, avais su la faire mienne, consciente de la nécessité du pas cadencé en zones de conflits. Mais la fluctuation récente des valeurs qui étaient les miennes, l’influence de ces dernières sur mes comportements de plus en plus répréhensibles n’auraient jamais su trouver leur place au sein de l’armée. La police, elle, fermait encore les yeux sur un bien trop grand nombre de ses brebis galeuses pour se concentrer sur moi, l’espoir en tête de me faire tomber. La liberté pour être utile, la fin justifiant les moyens. C’est ça qui te fait vibrer, Liv ? Pas de plaisir, non, cela ne le ferait sans doute jamais. Mais mon moteur, l’essence qui servait à le maintenir en vie, à me faire avancer ? Certainement oui. « Pourquoi Brisbane ? » Je relançais, revenais sur les informations lancées au préalable par la jeune femme, celles qu’elle mesurait apparemment puisque je ne disposais toujours pas de celle-ci. Peut-être était-ce pour cela que j'insistais de nouveau, que je ne me contentais plus de ses diversions quand tout aurait pourtant laissé présager que je m'en serais normalement désintéressée. Ce n’était pas un homme, ses aventures avec Cooper avaient au moins établi cela. « Pour le travail ou la famille ? »
Bien décidée à endormir la méfiance sans doute ancrée dans son interlocutrice, Halsey s’employait à dépeindre une vie routinière que personne ne pouvait lui envier, à part quelqu’un ayant un attrait quelconque pour l’ennui. Fort heureusement, cet aspect de son existence n’était qu’un miroir de fumée destiné à camoufler ses réelles activités, celles qui la faisaient frémir d’excitation à l’idée de se faire prendre et qui lui conférait une assurance hors du commun. Manipuler les foules et s’en sortir indemne, voilà qui aurait flatté l’égo de n’importe qui, et la jeune femme ne faisait pas exception. Se sentait-elle toute puissance pour la cause ? Sans doute pas. Après tout, Halsey demeurait réaliste quant à ses capacités et ses limites, même si elle adorait les dépasser lorsqu’elle en avait l’opportunité. Souriante et faisant les yeux doux au barmaid, on pouvait difficilement se douter que là encore, elle jouait un rôle pour Liv, pour qu’elle ne se doute de rien. « Cooper est un chic type, ça pourrait être pire. » Et elle semblait tomber dans le panneau, s’amuser de sa légèreté et de ses blagues, ce qui confortait la jeune femme dans la voie qu’elle suivait avec son interlocutrice depuis qu’elle était entrée dans ce bar. « Ça pourrait aussi être mieux. » Ajouter une vie amoureuse décevante au tableau, pourquoi pas après tout ? C’était encore une fois ce que les faits révélaient d’elle, après deux divorces axés sur une tromperie du mari, il n’était guère difficile d’avoir l’air désabusée à ce stade. Tout était faux bien entendu, et cette énième manœuvre avait été largement récompensée, comme l’indiquaient les nombreux zéros qui s’additionnaient sur ses comptes en banque. Sans se départir de son sourire, elle lui expliqua en quelques mots son travail, celui qui lui servait de couverture. « C’est un point qui fait que je ne manquerai sans doute jamais de boulot non plus. » Ah ? Halsey avait compris l’allusion, mais encore une fois, elle n’était pas supposée en savoir autant sur la brune. « Homicides de mon côté. Tu serais surprise du nombre d’affaires ayant comme seule motivation le fait de rester riche. » Surprise, pas vraiment. La motivation de devenir riche la poussait déjà à arnaquer les âmes les plus faibles, alors elle ne pouvait qu’imaginer ce qui traverserait son esprit si son entreprise se voyait un jour menacée. « Pas tant que ça. J’évolue parmi les requins et une chose est sûre, ils aiment le sang. » Dans tous les sens du terme évidemment. La jeune femme traitait avec des personnes bien pires qu’elle et éprouvait beaucoup de difficulté à s’émouvoir des affaires qu’elle avait entre les mains, même si l’air qu’elle affichait face à Liv indiquait le contraire.
Accoudées à la rambarde de la terrasse, la conversation continuait sur une note légère alors que les deux brunes observaient la vue que leur offrait la hauteur du bâtiment tout en profitant de la sensation que leur procurait la nicotine. « C’est parce que je ne suis pas aussi gentille que ça. » Une énième sourire se dessina sur les lèvres de Halsey qui avait saisi l’humour de la flic sans même avoir à jeter un œil vers elle, ayant déjà cerné le personnage – en tout ou en partie, cela restait à voir. « Du coup, c’est toi qui joue le rôle du mauvais flic ? » Dans la mise en scène qu’ils adoraient tous, celle qui consistait à jouer avec un suspect en soufflant le chaud et le froid jusqu’à ce qu’il craque. Une vision du métier qui devait probablement être erronée, mais la plaisanterie était facile. Sentant que cet instant ouvrait une brèche sur l’intimité de Liv, la brunette la questionna à son tour, s’autorisant cette fois à relever des yeux interrogateurs sur elle. « De Kaboul à Brisbane, le changement fut réel pour le coup mais je ne le regrette pas. J’étais militaire avant de rejoindre la police. J’imagine que les points communs entre ces deux institutions ont guidé ma reconversion. J’avais besoin de faire une différence, de me sentir vivante sans jamais tomber dans le piège de l’ennui. » Pour le coup, Halsey était sincèrement impressionnée. Cette femme n’était donc pas qu’une bureaucrate ennuyeuse et cela lui conférait un peu plus d’estime de la part de la brune, même si elle ne pouvait guère s’en rendre compte. « Aujourd’hui, je sais que l’armée était sans doute trop stricte pour moi, trop rigide pour que ça marche sur le long terme. » Rien d’étonnant là-dedans. L’idée même de rentrer dans l’armée ne lui aurait jamais traversé l’esprit et puis qu’on se le dise, Halsey n’avait rien d’une patriote dans l’âme et surtout, elle était bien trop égoïste que pour risquer sa vie au nom d’un pays. « Mais ça doit te servir aujourd’hui, enfin j’imagine. » A moins qu’elle ne soit complètement brisée par ce qu’elle avait vu ou vécu là où on l’avait envoyée à l’époque. Peut-être qu’en comparaison à l’armée, la police sonnait presque comme une retraite paisible. Est-ce que Liv était du genre à rechercher le calme plat ? Pas sûr. « Pourquoi Brisbane ? » La jeune femme haussa un sourcil étonné, désarçonnée par ce revirement de sujet qui se retrouvait à nouveau axé sur sa personne, à son grand désarroi. « Pour le travail ou la famille ? » Les deux. Raelyn était la raison de sa venue à Brisbane et elle avait beau être sa sœur, elle n’en demeurait pas moins un objectif à atteindre pour le travail. « Pour le travail avant tout. » Plus évasif, c’était possible ? Elle jeta sa cigarette d’un geste et se tourna vers Liv en penchant la tête vers le côté, conservant un air amusé en dépit de son irritation face à cette voie sans issue qui se dressait devant elle. Il était temps de tirer sa révérence pour ce soir, mais elle n’en resterait pas là. « Je n’avais pas vu l’heure, j’ai encore plusieurs dossiers à revoir pour demain. » Prétendit-elle en rangeant son téléphone auquel elle venait de jeter un rapide coup d’œil, mine de rien. Elle sortit une carte de visite de son sac, de celle où l’on pouvait lire son nom ainsi que son statut au sein de l’entreprise où elle travaillait, et la tendit à Liv en reprenant quelque peu son sérieux. « N’hésite pas. Pour boire un verre ou simplement discuter. » Elle lui adressa un clin d’œil et tourna les talons, mettant ainsi fin à un échange auquel elle ne désirait plus participer. Elles se reverraient dans tous les cas, que Liv le veuille ou non.