| (Colleen & Marius) Back to school |
| | (#)Sam 18 Avr 2020 - 23:55 | |
| Ce n’était pas la première fois que Colleen traversait le campus universitaire de Lou et pourtant chaque fois qu’elle y mettait les pieds, sans exception, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine nostalgie l’envahir, la ramenant immanquablement à ses propres études, dix-neuf ans plus tôt. Son propre campus universitaire était un lieu qu’elle avait affectionné tout particulièrement ; bien loin de craindre l’inconnu, elle avait éprouvé une curiosité teintée d’excitation en le parcourant du regard la toute première fois. La découverte des salles de classe, de sa chambre et même de son emploi du temps extrêmement chargé l’avait grisée, provocant chez elle un sentiment de liberté qu’elle n’avait encore jamais ressenti jusqu’à ce jour-là. Elle s’était sentie prête à en découdre, prête à faire ses preuves et à prouver à ses parents que son rêve de devenir pédiatre n’était pas hors de sa portée. Sa détermination n’avait alors d’égal que la confiance qu’elle s’accordait. En cela, elle ressemblait énormément à sa fille Lou. Lorsque Lynn l’avait accompagnée la première fois découvrir l’université qui l’accueillerait dès la rentrée scolaire, prévue à la fin du mois de janvier, elle avait perçu dans son regard une étincelle familière, la même qu’elle croisait dans son propre reflet des années plus tôt. Lou était une élève brillante, au parcours scolaire irréprochable, et Lynn ne doutait pas un seul instant de l’aptitude de sa fille unique à réussir aussi en Australie, en dépit des bouleversements que leur déménagement avait inévitablement provoqué. Et pourtant, un doute subsistait. Lou lui ressemblait tellement que Lynn ne pouvait s’empêcher de nourrir une profonde anxiété à l’idée que sa fille répète les mêmes erreurs qu’elle avait elle-même commises des années plus tôt, lors de sa première année. Pour autant, elle ne voulait pas étouffer sa fille en la surprotégeant et il lui semblait important que cette dernière fasse ses propres expériences. Lou lui avait fait confiance en lui proposant de venir avec elle en Australie ; alors que la plupart des adolescents de son âge mourraient d’envie de gagner leur indépendance et de s’émanciper de l’autorité parentale, Lou avait fait un choix mature, un choix qui reflétait toute la loyauté et l’amour qu’elle portait à sa mère. Lynn ne tenait pas à gâcher cette décision par ses actes, et l’équilibre qu’elle devait entretenir entre son désir d’interférer dans les affaires de sa fille et son désir de la laisser mener sa propre vie au risque de commettre des erreurs, était particulièrement précaire.
Plus précaire, encore, depuis qu’elle avait reçu un mail de la part de l’un de ses professeurs, quelques semaines seulement après le début du trimestre. Il s’agissait d’un certain Mr Warren, qui enseignait l’histoire des arts. Ce dernier lui avait fait part de sa volonté de la rencontrer afin de discuter du comportement de Lou dans son cours. Il n’avait pas donné plus de détails, mais Colleen sentait bien qu’être sollicitée de la sorte ne présageait rien de bon. Mr Warren préconisait une rencontre plutôt qu’un simple coup de téléphone et Lynn n’avait pas perdu de temps avant d’accepter sa demande, fixant avec lui une date de rendez-vous dans la foulée. Elle avait tenté d’aborder subtilement le sujet avec sa fille au téléphone, l’interrogeant sur sa vie à la Queensland University, et ses cours en particulier, mais Lou ne lui avait rien signalé, assurant que tout se passait pour le mieux. Lynn n’avait pas insisté, préférant rencontrer ce Mr Warren avant de remettre en question l’honnêteté de sa fille à son égard.
Quelque peu désorientée sur le campus universitaire auquel elle ne s’était pas encore tout à fait familiarisée, Colleen marqua un temps d’arrêt face à l’un des bâtiments. Elle avait beau se concentrer et faire tout son possible pour trouver des points de repère, rien n’y faisait et plus le temps passait, plus la certitude de tourner en rond la gagnait. Tous les bâtiments se ressemblaient tellement ! Elle fronça les sourcils, jeta un nouveau coup d’œil à la carte qu’elle avait précieusement gardée la première fois qu’elle s’était rendue à l’université, et se rendit à l’évidence : elle était complètement perdue. Ayant anticipé ses difficultés à s’orienter, elle avait pris ses précautions et était arrivée avec quinze bonnes minutes d’avance sur le campus, mais force était de constater qu’à présent, son avance se transformait en retard.
« Excusez-moi… Vous avez besoin d’aide ? » Fit une voix derrière son dos. Colleen se retourna et braqua un regard inquiet sur le charmant étudiant qui l’avait accostée. Ce dernier arborait un sourire avenant qui rassura instinctivement la jeune femme. « En fait… Oui. Je cherche le bureau d’un certain Mr Warren, il est professeur d’histoire des arts. Vous savez où je peux le trouver ? ». L’étudiant acquiesça aussitôt et désigna l’un des bâtiments sur sa gauche. « C’est votre jour de chance, Mademoiselle » déclara-t-il sur un ton légèrement enjôleur que Colleen ne préféra pas relever, bien trop soulagée à l’idée de pouvoir enfin se rendre sur son lieu de rendez-vous pour lui faire remarquer qu’elle aurait sans doute pu être sa mère. « Je suis justement moi-même étudiant en histoire. Suivez-moi ! ». Lynn ne se fit pas prier et le suivit avec reconnaissance. Le trajet ne prit guère plus d’une minute et après avoir copieusement remercié son bon samaritain, elle frappa enfin à la porte du bureau de Mr Warren avec seulement deux petites minutes de retard. Lynn ne savait pas ce que présageait cet entretien, mais une chose était certaine : le visage légèrement familier qu’elle découvrit lorsque la porte s’ouvrit finalement sur le fameux Professeur Warren n’était certainement pas celui auquel elle s’attendait.
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| | | | (#)Dim 19 Avr 2020 - 12:20 | |
| Cela faisait un peu plus de quinze ans que tu enseignais. Tu avais tout vu dans ta carrière, vraiment tout. Et tu avais appris à gérer toutes les situations. Que ce soit l’élève perturbateur, celui qui ne rendait jamais son travail, celui qui posait des questions n’ayant aucun rapport avec le sujet, … Mais il y avait une chose à laquelle tu n’étais jamais arrivée à t’habituer c’était les élèves qui flirtaient avec toi et essayais de te convaincre que c’était une bonne idée de les suivre dans leur chambre pour quelques heures. Tu n’avais jamais réussi à comprendre ce qui les poussait à adopter ce genre de comportement car tu crevais dans l’oeuf toute tentative dès que tu sentais une élève se lancer sur cette pente. Et la plupart du temps, cela fonctionnait plutôt bien, elles comprenaient le message et passaient à autre chose. Par autre chose, tu entendais les élèves de leur âge ou des hommes plus âgés peut-être mais en dehors de l’université. Tu n’étais pas idiot, tu savais qu’il y avait une sorte de plaisir pour elles de flirter avec l’interdit et surtout, elles savaient que cela te mettait mal à l’aise. C’était plus fort que toi, même si tu essayais de ne pas le montrer, cela te mettait mal à l’aise. Tes collègues eux adoraient s’en amuser et te répétaient sans cette que tu devrais enfiler une alliance au moins pour pouvoir utiliser l’excuse d’avoir déjà quelqu’un dans ta vie. Mais tu n’avais pas l’intention de mentir à tes élèves et de faire comme si tu étais marié ce qui n’était pas le cas. Depuis le début de l’année, tu avais une élève en particulier qui semblait prendre un malin plaisir à te torturer. Lou de son prénom ou de son surnom tu ne savais pas vraiment, passait son temps à poser des questions qu’elle arrivait à tourner en sous-entendus qui laissaient peu de place à une interprétation innocente. Ses questions étaient nombreuses et elle s’arrangeait pour toujours partir en dernier, ne se privant pas des quelques minutes où elle arrivait à te coincer derrière ton bureau. Tu avais essayé de lui faire comprendre qu’elle se lançait dans une mission qui allait échouer et tu avais ignoré ses sous-entendus tout comme ses avances jusqu’à lui dire clairement que tu n’étais pas intéressé. Cela avait eu pour effet de diminuer le nombre de visites en fin de cours mais pas les sous-entendus qui faisaient rire ses camarades. Tu t’étais plongé dans le dossier de la jeune femme, un an d’avance, à peine arrivée à Brisbane, tu ne pouvais t’empêcher de te demander si elle était sérieuse ou si elle cherchait simplement à se faire remarquer. Dans tous les cas, il était temps que cette situation cesse voilà pourquoi tu avais contacté sa mère dont l’adresse email était inscrite dans son dossier. Si tu ne pouvais pas la raisonner, peut-être que sa mère pouvait le faire ? Ne sachant pas trop à quoi t’attendre de la part de la famille de la demoiselle, tu demandais un rendez-vous physique car au moins tu sauras si tu pourras compter sur la famille de Lou.
Tu étais tranquillement installé dans ton bureau à l’approche du rendez-vous. Tu t’étais renseigné auprès de tes collègues et ces derniers n’avaient rien à reprocher à la jeune femme qui était une élève modèle dans leur cours. Pourquoi avait-il fallu que ça tombe sur toi ? Soupirant, tu passais une main dans tes cheveux avant de te remettre à corriger les derniers devoirs que t’ont rendu tes élèves. Tu détestes avoir à impliquer les parents, leur progéniture est adulte et devrait se gérer seule mais malheureusement, ce n’est pas toujours aussi simple. Des coups frappés à la porte de ton bureau te sortirent de tes copies que tu mis sur le côté pour aller ouvrir la porte. Derrière se trouvait un visage familier ou vaguement familier. Tu te souvenais d’avoir rencontré la jeune femme en face de toi en ville et sur le campus mais qu’est-ce qu’elle faisait là ? « Colleen ? Qu’est-ce que … ? » Tu t’arrêtais au milieu de ta phrase quand la réalisation te tomba dessus. Maintenant que tu voyais Colleen, c’était comme une évidence écrite sur son visage. Nouvellement arrivée à Brisbane, elle portait des cartons sur le campus la dernière fois que tu l’avais vue, juste avant la rentrée … Et elle t’avait dit venir installer sa fille … Te reprenant, tu te décalais de la porte en lui disant : « Je t’en prie, entre. » Incapable de la vouvoyer, tu devrais pourtant le faire certainement. « Alors comme ça, la fille que tu es venue installée sur le campus c’était Lou ? » Tu n’avais pas rencontré sa fille ce jour-là et tu ne savais pas si c’était une bonne ou une mauvaise chose. En tout cas, tu indiquais le canapé à la jolie brune pour qu’elle s’installe confortablement. « Je te sers quelque chose à boire ? » Lui demandas-tu en lui montrant les différentes boissons que tu avais dans ton bureau soit du thé, du café et des jus de fruits. Tu savais que cela allait être un rendez-vous difficile, tu n’avais aucune envie de dire à quiconque que sa fille te faisait tes avances mais tu avais encore moins envie de le faire avec Colleen. Alors tu gagnais un peu de temps, histoire de ne pas mettre aborder tout de suite le sujet, le temps de te remettre de tes émotions et de décider comment tourner la chose. « Comment se passent tes premiers mois à Brisbane ? » Oui, tu n’avais vraiment pas envie de commencer tout de suite. |
| | | | (#)Lun 20 Avr 2020 - 22:20 | |
| Colleen dévisagea le professeur d’un air incrédule, n’en croyant pas ses propres yeux. Même si leurs chemins s’étaient croisés à deux reprises seulement, sa mémoire ne lui faisait pas défaut : ces traits appartenaient sans conteste à un certain Marius, le bon samaritain que la vie avait placé par deux fois sur son chemin, dans des situations ironiquement similaires. La première fois, Colleen était en train d’achever son déménagement ; les derniers cartons étaient arrivés en provenance d’Angleterre et le camion avait jugé bon de les livrer sur le pas de la porte de son immeuble, sans que les livreurs ne daignent lui donner un coup de main afin de les monter jusqu’au quatrième étage – sans ascenseur, cela allait sans dire. La pluie menaçait de s’abattre à tout instant sur la rue et Lynn n’avait pu se résoudre à attendre le retour de Lou, partie en ville. Le regard empli d’espoir, elle avait tendu le bras droit, plié le coude et gonflé ses muscles… Pour en arriver à la conclusion que la courbe de ses biceps était bien trop délicate pour lui permettre d’anticiper l’effort physique qui l’attendait avec désinvolture. Ses maigres muscles n’étaient définitivement pas prêts. Son courage en bandoulière, elle avait finalement remonté ses manches et entrepris de commencer par les cartons qui lui semblaient plus légers. Trois montées et descentes d’escaliers plus tard, ses poumons semblaient sur le point de lâcher et elle tentait en vain de rassembler son énergie – et le peu de fierté qui lui restait – quand un inconnu s’était miraculeusement matérialisé devant elle afin de lui proposer son aide. Son sourire lui avait plu instantanément et Colleen avait accepté son offre avec reconnaissance. Quand il avait soulevé le carton avec une telle facilité qu’elle s’était demandée s’il n’y avait pas une caméra cachée perchée au-dessus de sa tête, elle n’avait pas manqué pas de remercier le ciel de lui avoir envoyé un émissaire aussi athlétique pour lui venir en aide. Dix minutes plus tard, l’affaire était réglée et Lynn avait alors fait plus ample connaissance avec l’inconnu autour d’une tasse de café qu’elle lui avait proposée à l’étage afin de le remercier en bonne et due forme. La seconde fois, la sage-femme se trouvait sur ce même campus universitaire afin d’aider sa fille à s’installer dans sa chambre quand Marius la croisa au détour d’un couloir. Parce que le destin ne faisait pas les choses à moitié – et aussi parce que placer Colleen dans des situations cocasses constituait indubitablement l’un de ses passe-temps favoris – la jeune femme avait de nouveau les bras chargés d’une pile de cartons lui bloquant la vue. Elle avait été stoppée net dans son élan par un Marius rieur, qui avait posé une main sur son épaule afin de l’immobiliser. Une nouvelle fois, il lui était venu en aide et l’avait accompagnée jusqu’à l’entrée de la chambre universitaire de Lou. Se remémorant ces rencontres, Colleen se souvenait désormais qu’il avait bel et bien mentionné sa profession la première fois – professeur d’université, sans préciser la matière enseignée. Pourtant, jamais elle n’aurait pu imaginer qu’il s’agissait d’un des professeurs de sa fille. Cela ne lui avait même pas effleuré l’esprit.
« Marius ? » fit-elle, déroutée. Le trouble qu’elle ressentait était manifestement réciproque car Marius sondait son regard d’un air tout aussi ahuri. Tout comme elle, il se souvenait de son prénom. Quelques secondes d’incertitude flottèrent, puis les traits du professeur se détendirent légèrement et il l’invita à entrer dans la pièce. Colleen hocha la tête et s’exécuta. Elle avança naturellement d’un pas vers le bureau afin de s’y installer quand Marius lui désigna finalement le canapé. Alors qu’elle se dirigeait vers celui-ci, le professeur fit le rapprochement entre elle et sa fille et Lynn acquiesça d’un signe de la tête. « C’est exact… Et j’en conclus que tu es donc le fameux « professeur Warren » dont Lou m’a tant parlé ? » Déclara-t-elle avant de s’empresser d’ajouter : « en bien, je te rassure ». Colleen prit place sur le canapé confortable et croisa les jambes. Marius lui proposa une boisson et elle se demanda brièvement si tous les parents convoqués dans ce bureau avaient droit au même traitement, ou si elle était privilégiée. Quoiqu’il en fût, la proposition était alléchante et en bonne Anglaise qu’elle était, Lynne ne refusait jamais une tasse de thé. « Je veux bien du thé, s’il-te-plaît ». Le long rendez-vous pénible qu’elle avait anticipé serait sans doute beaucoup plus agréable que prévu, et ce n’était certainement pas pour lui déplaire. D’autant plus qu’en scrutant un peu plus attentivement Marius, Colleen comprenait désormais mieux l’intérêt de sa fille pour l’histoire des arts.
Alors qu’elle pensait qu’il allait immédiatement entrer dans le vif du sujet en lui exposant les raisons de ce rendez-vous qu’il avait sollicité, le professeur Warren la surprit en lui demandant comment se passait sa vie à Brisbane. Bien que dévorée par la curiosité, la jeune femme accepta d’attendre quelques instants supplémentaires avant d’en savoir plus sur le comportement de sa fille en cours d’histoire des arts, et lui répondit chaleureusement. « Plutôt bien à vrai dire ! Je me suis facilement habituée et je ne regrette pas le moins du monde ma décision de venir m’installer à Brisbane. Pour être honnête, ma vie en Angleterre ne me manque pas vraiment... Certes il m’a fallu un temps d’adaptation au début mais je pense que je ne m’en suis pas trop mal tirée finalement » Répondit-elle, le sourire aux lèvres. Elle s’adossa confortablement contre le dossier du canapé et posa sagement ses mains sur ses genoux. « Et puis, il faut dire aussi que les Australiens sont plutôt accueillants, je n'ai pas à me plaindre » Ajouta-t-elle, jetant un regard appuyé à son interlocuteur, qui lui était venu en aide par deux fois. « Et toi ? La rentrée s’est bien passée ? ». Une lueur espiègle dansa dans ses yeux clairs. « Je parie que tu as encore dû voler au secours de demoiselles en détresse, depuis la dernière fois ! ». |
| | | | (#)Mer 22 Avr 2020 - 10:32 | |
| La vie avait une étrange façon de faire les choses. Les maths n’avaient jamais été ton point fort mais tu ne pouvais t’empêcher de penser que les chances que la mère de l’élève qui passait son temps à te faire du rentre dedans soit la même personne que cette femme que tu avais aidée à deux reprises depuis son arrivée à Brisbane étaient assez faibles. Pourtant, vu ta chance ces derniers temps, tu aurais dû te douter que les choses ne seraient pas aussi simples que tu l’aurais voulu. Tu avais pensé que la mère de Lou entrerait dans ton bureau, que tu présenterais le problème et en fonction de la réaction de sa mère, le rendez-vous aurait pu se terminer assez rapidement si elle ne pensait pas que sa fille était une sainte qui ne pouvait pas avoir ce genre de comportement. Clairement, ce n’était pas la manière dont allait se dérouler ce rendez-vous maintenant que tu avais Colleen devant toi. Un petit sourire amusé se dessinait sur ton visage quand tu repensais à vos deux précédentes rencontres. Tu sortais d’une galerie d’art et te dirigeais vers ta voiture pour rentrer chez toi quand tu avais vu les cartons sur le trottoir. Une jolie brune était sortie d’un immeuble, légèrement essoufflée en regardant les cartons comme s’ils étaient le diable en personne. Tu n’étais pas un sportif et tu n’aimais pas les efforts physiques en général mais l’orge n’était pas loin et elle ne méritait pas de voir toutes ses affaires ruinées. C’est donc naturellement que tu l’avais aidée avec les cartons les plus lourds que vous aviez montés juste à temps car la pluie avait commencé à tomber lors de votre dernier voyage. Tu avais accepté le café qu’elle t’avait proposé ensuite et avais appris qu’elle débarquait à Brisbane depuis l’Angleterre. Tu n’avais ensuite pas pensé la revoir et pourtant, vos chemins s’étaient croisés à l’université cette fois où elle aidait sa fille à emménager. Tu en avais donc appris un peu sur sa fille et sur elle mais de nouveau, rien de bien précis, rien qui n’aurait pu te permettre de faire le lien entre Lou, le démon de ton cours d’introduction à l’histoire de l’art et Colleen, la belle anglaise maladroite. « Marius ? » Il n’y avait pas que toi qui étais surpris au moins, tu étais rassuré. Tu avais certainement mentionné à Colleen que tu étais professeur à l’université mais tu ne te souvenais pas d’avoir donné ta spécialité. C’était d’ailleurs étrange car tu le faisais assez naturellement en général. La surprise passée, tu la laissais entrer dans ton bureau tout en vérifiant bien que tu ne t’étais pas trompé et qu’elle était bien le rendez-vous que tu avais aujourd’hui. « C’est exact… Et j’en conclus que tu es donc le fameux « professeur Warren » dont Lou m’a tant parlé ? En bien, je te rassure. » Heureusement que tu n’étais pas en train de boire quoi que ce soit parce que tu te serais sans doute étouffé quand Colleen te dit que Lou lui avait parlé de toi. Vu la manière dont elle avait prononcé cette phrase, sa fille n’avait pas pu raconter son comportement dans ton cours pourtant, tu ne voyais pas ce qu’elle pourrait lui raconter d’autre. Tu n’étais même pas certain que Lou soit intéressé plus que cela par l’histoire de l’art en vérité. « Je suppose que je n’avais jamais mentionné mon nom de famille. Marius Nicolas Warren, enchanté. » Lui dis-tu en essayant de cacher le trouble qui t’avait envahi quelques secondes plus tôt quand elle avait mentionné sa fille. « Je ne pensais pas que mon cours intéressait Lou plus que cela mais si c’est le cas, j’en suis ravi. » Plus ou moins parce que si elle continuait à avoir ce comportement et qu’elle décidait de poursuivre en histoire de l’art, tu allais certainement continuer à l’avoir en cours et c’était quelque chose que tu préférais évider si possible. Enfin, elle allait avoir une seconde chance après cette discussion si tu arrivais à présenter le problème à Colleen. « Je veux bien du thé, s’il-te-plaît. » Tu mis ta bouilloire à chauffer et ouvrais deux sachets que tu mis dans des mugs à l’effigie de l’université. Le thé sera prêt dans quelques minutes, il fallait attendre que l’eau chauffe.
En attendant que le thé soit prêt, tu demandais à Colleen comment se passait ses premiers temps à Brisbane. Tu n’avais jamais mis les pieds en Angleterre mais Brisbane était une ville bien différente des villes d’Europe que tu avais pu visiter et dans lesquelles tu avais vécu donc cela devait demander un temps d’adaptation. « Plutôt bien à vrai dire ! Je me suis facilement habituée et je ne regrette pas le moins du monde ma décision de venir m’installer à Brisbane. Pour être honnête, ma vie en Angleterre ne me manque pas vraiment... Certes il m’a fallu un temps d’adaptation au début mais je pense que je ne m’en suis pas trop mal tirée finalement. Et puis, il faut dire aussi que les Australiens sont plutôt accueillants, je n'ai pas à me plaindre. » Le regard appuyé de Colleen te fit comprendre qu’elle parlait de toi mais tu ne pouvais pas penser qu’elle ne parlait que de toi. Les Australiens étaient connus pour être avenants et sympathiques, elle avait dû rencontrer un certain nombre de personnes ces derniers mois. La bouilloire sonna et tu allais verser l’eau dans les mugs avant d’amener des cuillères et du sucre sur la table basse. « Je suis ravi d’entendre que nous faisons bonne impression. » Lui dis-tu avec un sourire amusé. « Et aussi que tu te plais par ici. J’ai vécu en Europe et j’ai adoré mais Brisbane est ma ville natale et je finis toujours par y revenir. » Ajoutas-tu avant d’aller chercher les mugs que tu posais sur la table. « Tout s’est bien passé à l’hôpital également ? » Tu te souviens que Colleen t’avait confié être sage-femme et être un peu nerveuse à l’idée de faire ses premiers pas dans ce nouvel environnement, au milieu d’une équipe déjà soudée. « Et toi ? La rentrée s’est bien passée ? Je parie que tu as encore dû voler au secours de demoiselles en détresse, depuis la dernière fois ! » Un rire amusé s’échappa de tes lèvres alors que la demoiselle te taquinait. Il t’arrivait de donner des coups de main à des jeunes femmes mais tu n’avais jamais eu un complexe de héros, tu ne cherchais pas à sauver tout le monde malgré ce que tu laissais croire. « Il m’arrive de dépanner des demoiselles mais ce n’est pas aussi courant que tu pourrais le penser. » Lui dis-tu tranquillement avant d’ajouter : « La rentrée s’est bien passée. Comme tous les ans, l’agitation était à son comble mais je ne me plains pas. Le plus dur à chaque rentrée c’est d’avoir plus d’une centaine de nouveaux prénoms à retenir, cela n’a jamais été mon point fort. » Et tu ne les retiendras pas, comme tous les ans, tu n’en retiendras que certains qui t’auront marqués plus que d’autres et tu ne risquais pas d’oublier celui de Lou de sitôt. Après une gorgée de ton thé, tu dis à Colleen : « J’ai rapidement retenu celui de Lou, ta fille ne passe pas inaperçue. » Et c’était le moins que l’on puisse dire. Cela pouvait être une bonne chose en vérité mais dans ce cas précis, pas vraiment. « Qu’est-ce que Lou t’a raconté sur ses cours d’histoire de l’art ? » Décidas-tu de demander ne sachant toujours pas comment amener le sujet qui fâche. Tu ne voulais pas mettre Colleen mal à l’aise et pourtant, tu savais qu’il n’y avait pas trente-six manières de présenter la situation.
Dernière édition par Marius Warren le Ven 24 Avr 2020 - 9:58, édité 1 fois |
| | | | (#)Jeu 23 Avr 2020 - 17:22 | |
| Marius Nicolas Warren, professeur d’histoire des arts de Lou. Les pièces manquantes du puzzle se mettaient en place dans l’esprit de Colleen, et cette révélation inattendue lui permettait d’appréhender désormais les choses sous un nouvel angle. Elle se remémora toutes les conversations qu’elle avait eues avec Lou au sujet de l’université, et plus particulièrement concernant ce cours d’introduction à l’histoire des arts dont elle lui avait tant rabâché les oreilles. Colleen n’avait pas été perturbée plus que cela par l’enthousiasme de sa fille dans la mesure où cette dernière lui avait toujours parlé de ses études avec le même engouement. Après tout, elle n’était pas une Wells pour rien ; elle avait hérité d’August et Colleen une passion pour les études et une ambition sans limites. Dès sa plus tendre enfance, la jeune fille s’était découvert une passion pour la littérature et plus généralement, pour les histoires. Qu’il s’agisse de contes destinés aux enfants, d’histoires réelles ou de récits d’aventures, Lou dévorait les ouvrages les uns après les autres, d’une manière qui aurait sans doute effrayé ses parents si eux-mêmes n’avaient pas connu le même emballement en étant jeunes. Elle avait maîtrisé la lecture en un rien de temps, ce qui lui avait permis de prendre une classe d’avance sur ses camarades, et dès lors s’était intéressée à tous types d’ouvrages. Son parcours scolaire avait été rythmé par les louanges chantées par ses professeurs de lettres, et c’était tout naturellement que Lou avait fait le choix d’étudier l’histoire à l’université. Elle avait ainsi choisi de se concentrer sur l’histoire, les sciences politiques, la littérature et l’histoire des arts bien entendu. Et d’après ce qu’elle lui racontait au téléphone la semaine ou lorsqu’elle quittait le campus universitaire pour venir la rejoindre à l’appartement le week-end, tout se passait pour le mieux sur les bancs de la Queensland University. Lou croquait la vie universitaire à pleines dents, mesurait la chance qu’elle avait de découvrir un système scolaire autre que celui auquel elle avait été habituée et semblait apprécier tout particulièrement la maturité de ses compagnons et le professionnalisme du corps enseignant. Colleen lui avait toujours fait confiance pour les études, et c’était bien la première fois qu’elle était convoquée par l’un de ses professeurs pour parler de son « comportement », car elle n’avait cessé d’être un exemple de sérieux et d’assiduité jusqu’à présent.
Lynn n’avait pas soupçonné un seul instant le trouble qui s’était emparé de Marius dès lors qu’elle avait mentionné l’intérêt de sa fille pour sa matière, et fut d’autant plus étonnée quand il lui exprima ses doutes. Elle n’était pas certaine de saisir véritablement ce qu’il voulait dire par là, mais décida de ne pas rebondir – le sujet finirait bien par revenir sur le tapis, après tout n’était-ce pas la raison de ce rendez-vous ? En parfait gentleman, Marius fit chauffer l’eau de son thé et en profita pour l’interroger sur ses premiers mois à Brisbane. A la fois perturbée par la tournure inattendue de leur conversation et la curiosité qu’elle ressentait à l’égard du motif de leur rencontre, Colleen lui répondit sans trop s’attarder sur les détails, ne manquant toutefois pas d’insister sur la bonne impression que lui avaient laissée les Australiens. Sa remarque sembla toucher Marius, qui lui adressa un sourire et lui confia avoir beaucoup voyagé en Europe avant de revenir dans son Australie natale. C’était un sujet qu’ils avaient évoqué lors de leur première rencontre, quand elle lui avait dévoilé une partie de son histoire, ainsi que sa nationalité britannique. Tout en lui offrant le mug aux couleurs de l’université qui contenait son thé brûlant, Marius lui demanda si tout s’était bien passé à l’hôpital également. Colleen remarqua qu’il avait retenu sa profession et fut surprise de l’intérêt qu’il lui portait. Non seulement Marius lui prêtait une oreille attentive mais il semblait véritablement intéressé par ce qu’elle lui racontait ; c’était une nature à laquelle elle n’était pas accoutumée, car si elle n’irait pas jusqu’à dire qu’August ne l’avait jamais écoutée, ces dernières années il ne l’avait plus questionnée avec un intérêt similaire.
« Merci pour le thé » répondit-elle en saisissant l’anse du mug et en jouant machinalement avec le fil du sachet de thé. « Oui, très bien ! Là encore, j’ai été surprise par la générosité de mes collègues, qui m’ont accueillie avec beaucoup de sympathie. Je leur dois beaucoup ». Au plus les secondes passaient, au plus Colleen se détendait aux côtés de Marius. L’atmosphère qui régnait dans la pièce l’aidait à être plus sereine et ses muscles se décrispaient progressivement, tant et si bien qu’elle osa même taquiner un peu Marius. Son rire grave résonna dans le bureau et elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire à son tour. Elle s’enquit par la suite de la rentrée scolaire du professeur, et il lui expliqua que cette période de l’année était toujours extrêmement agitée, mais que la difficulté résidait pour lui dans la mémorisation des prénoms de tous ses étudiants. Pourtant, d’après ce qu’il lui disait, il avait retenu aisément celui de Lou et Colleen fronça les sourcils. Ses propres études avaient beau n’être qu’un lointain souvenir, il lui semblait que c’étaient généralement les prénoms des élèves perturbateurs que les professeurs retenaient immédiatement. Pouvait-elle en conclure que Lou faisait partie de cette catégorie ? Elle n’eut cependant pas le temps de lui faire la remarque car déjà Marius l’interrogeait sur sa fille justement, lui demandant ce qu’elle lui avait raconté du cours. Cette question ne fit que confirmer les craintes de la sage-femme qui, après avoir déposé le sachet de son thé sur le côté afin de porter le récipient à ses lèvres, souffla sur le liquide brûlant d’un air anxieux. « Eh bien… Visiblement elle trouve beaucoup d’intérêt à ton cours, je crois qu’elle a utilisé l’adjectif « captivant » à un moment donné. Apparemment, il est même devenu son cours préféré ces derniers temps, ce qui est un sacré compliment si tu veux mon avis, car Lou a toujours été studieuse et apprécié les études. Je ne sais pas comment tu as fait, mais de toute évidence elle est sous le charme ».
Colleen reposa le mug sur la table et se redressa afin de sonder le regard de Marius, tentant en vain d’y trouver des réponses à ses questions. « C’est pour ça que j’ai été si surprise quand tu m’as envoyé ton mail. Je pensais, naïvement peut-être, que tout se passait bien. Maintenant, je commence sérieusement à en douter… ». Elle glissa une mèche brune derrière son oreille, son regard toujours plongé dans celui du professeur. « Alors dis-moi franchement, Marius, comment se fait-il que tu aies retenu le prénom de ma fille aussi facilement ? Ai-je des raisons de m’inquiéter ? » Lui lança-t-elle, sa voix trahissant sa crainte. Elle avait peur de la réponse qu’il allait lui apporter, mais en même temps, résistait difficilement à la pression de sa curiosité.
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| | | | (#)Ven 24 Avr 2020 - 10:00 | |
| Malédiction ou bénédiction, tu n’arrivais pas à trancher. Est-ce que les choses auraient été plus simples si tu ne connaissais pas la mère de Lou ou auraient-elles été plus compliquées ? Tu n’avais jamais été à l’aise pour parler de ta vie amoureuse, jamais à l’aise face aux taquineries de tes amis quand ils surprenaient des demoiselles qui venaient flirter avec toi. Et dans cette situation, tu étais encore moins à l’aise. Comment expliquer à une mère qui voyait en sa fille une élève modèle (et qu’elle était par ailleurs si tu écoutais tes collègues) que sa fille passait son temps à draguer son professeur ? Tu n’en savais rien et tu étais à peu près sûr que tu n’allais pas le faire avec le tact qu’il faudrait. Les mots avaient tendance à s’emmêler quand tu étais dans une situation délicate et celle-ci en était une. Voilà pourquoi tu cherchais à gagner du temps en prenant des nouvelles de Colleen que tu rencontrais pour une fois sans qu’elle n’ait besoin que tu l’aides à porter un carton. Tu ne connaissais pas bien la belle brune mais les quelques échanges que vous aviez eus avaient été très agréables alors tu étais réellement intéressé de savoir comment se passait son installation à Brisbane. Apparemment plutôt bien et c’était une bonne chose si elle comptait rester en ville comme elle te l’avait fait comprendre lors d’une de vos rencontres. Elle avait suivi sa fille qui était venue en Australie pour ses études. Un duo mère-fille qui semblait tenir la route et que tu espérais ne pas briser ou fragiliser avec tes révélations à venir, ce n’était nullement ton intention. Tu ne pus t’empêcher de remarquer que Colleen devait avoir été une jeune maman pour avoir une fille déjà à l’université, c’était toujours quelque chose que tu admirais chez les autres car tu n’aurais pas pu mener de front tes études et un enfant, tu en étais certain. « Oui, très bien ! Là encore, j’ai été surprise par la générosité de mes collègues, qui m’ont accueillie avec beaucoup de sympathie. Je leur dois beaucoup. » Etiez-vous un pays plus accueillant que les autres ? Tu en doutais car tu t’étais senti tout aussi bien accueilli en France. C’était la barrière de la langue qui avait été un problème au départ lors de ton premier séjour. Tu avais quelques bases de français mais pas assez pour suivre les conversations effrénées de tes camarades. Après un premier mois chaotique, tout avait fini par rentrer dans l’ordre et tu avais passé une année merveilleuse, une année où tu avais découvert ce que cela voulait dire d’aimer … Mais tu chassais ces pensées de ton esprit, ce n’était pas le moment de penser à Alice, ce n’était jamais le moment. Tu ne te souvenais plus exactement le métier qu’exerçait Colleen à l’hôpital mais tu te souvenais que c’était un métier médical et qu’elle était anxieuse à l’idée de se lancer dans ce nouvel environnement. Elle s’était fait du souci inutilement apparemment vu que tout s’était bien passé. « Je suis ravi que cela se soit bien passé. On passe plus de temps au travail qu’on ne l’imagine, c’est mieux de s’y sentir bien. » Dis-tu à Colleen. Voilà pourquoi tu n’avais jamais quitté l’université parce que tu t’y étais toujours senti à ta place et tu avais voulu enseigner. Poussé par un de tes anciens professeurs, tu n’avais pas hésité bien longtemps à suivre la route toute tracée qui t’attendait.
Le sujet ne pouvant pas être éternellement repoussé, tu décidais de faire une entrée en matière plutôt tranquille. Rebondissant sur la remarque de Colleen, tu lui demandais ce que Lou lui avait raconté sur le cours d’histoire de l’art que tu enseignais et pour lequel elle se passionnait apparemment. « Eh bien… Visiblement elle trouve beaucoup d’intérêt à ton cours, je crois qu’elle a utilisé l’adjectif « captivant » à un moment donné. Apparemment, il est même devenu son cours préféré ces derniers temps, ce qui est un sacré compliment si tu veux mon avis, car Lou a toujours été studieuse et apprécié les études. Je ne sais pas comment tu as fait, mais de toute évidence elle est sous le charme. » Tu avais eu la mauvaise idée de prendre une gorgée de ton thé alors que tu écoutais Colleen. Lorsqu’elle prononça sa dernière phrase, tu manquais de t’étouffer. Posant ta tasse, tu toussais pour faire passer cet effet désagréable tout en essayant de reprendre tes esprits. Colleen allait réellement te prendre pour un fou et se demander comment on te laissait enseigner à des jeunes adultes mais il était clair qu’elle ignorait le comportement de sa fille et que ce qu’elle trouvait captivant n’était peut-être pas ton cours mais autre chose. « Excuse-moi, j’ai avalé de travers. » Dis-tu pour te justifier sans donner de plus ample explication. Dans n’importe quel autre contexte, tu serais plus que ravi que l’éloge que venait de faire Colleen sur ton cours et tes capacités pédagogiques mais tu aimerais ne pas ‘charmer’ ou ‘captiver’ sa fille de cette manière. « C’est pour ça que j’ai été si surprise quand tu m’as envoyé ton mail. Je pensais, naïvement peut-être, que tout se passait bien. Maintenant, je commence sérieusement à en douter… Alors dis-moi franchement, Marius, comment se fait-il que tu aies retenu le prénom de ma fille aussi facilement ? Ai-je des raisons de m’inquiéter ? » Tu retenais un soupir quand tu vis la crainte se dessiner sur le visage de Colleen. Tu espérais vraiment que le problème pourrait vite se régler car ce cours d’introduction à l’histoire de l’art était l’un de tes préférés. Passant une main dans tes cheveux, tu finis par prendre une grande inspiration et dire : « Je … J’ai envie de penser que c’est une blague ou un pari et en général c’est le cas. J’ai des élèves qui me font le coup tous les ans mais au bout de deux, trois semaines, ça se calme. Mais Lou ne semble pas vouloir se calmer. » Dis-tu à Colleen qui te regardait interloqué sans comprendre où tu voulais en venir. Incapable de soutenir son regard, tu te levais pour continuer : « Tous mes collègues la décrivent comme l’élève parfaite et Lou est une jeune femme très intelligente. Les devoirs qu’elle m’a rendus sont de grande qualité et je suis heureux de savoir qu’elle s’intéresse réellement à l’histoire de l’art car en cours, elle semble captivée par autre chose. » Tu sens le rouge te monter aux joues parce que tu n’as jamais aimé être le centre de ce genre d’attention et encore moins quand la personne qui t’offrait ce genre d’attention était plus de vingt ans ta cadette. Finalement, tu appuyais tes deux mains sur le dos du fauteuil où tu étais précédemment assez avant de dire : « Lou semble s’être donné comme mission de me séduire. Mission qui n’aboutira jamais bien entendu et je le lui ai bien fait comprendre mais elle semble trouver un certain plaisir à tourner chacune de ses questions en sous-entendu, à toujours sortir la dernière pour rester discuter. J’ai essayé de lui faire comprendre qu’elle n’aurait pas gain de cause mais je ne suis même pas certain qu’elle pense réellement réussir, j’ignore quel est son but. Si c’est de me mettre mal à l’aise, elle a gagné mais je préfèrerai que cela cesse. » Tu avais besoin de revenir à un équilibre plus tranquille, ne plus avoir à te demander à quelle sauce tu allais être mangé en rentrant dans ton cours. Posant ton regard sur Colleen, tu lui dis : « Je ne pense pas que tu aies à t’inquiéter mais peut-être qu’elle t’écoutera ? » Le ‘à toi’ qui se cachait dans cette phrase était évident. |
| | | | (#)Ven 24 Avr 2020 - 15:50 | |
| Les parents avaient tendance à placer leur progéniture sur un piédestal, c’était bien connu. Il s’agissait là d’un réflexe naturel, dont ils n’avaient pas toujours conscience d’ailleurs, mais qui pouvait se révéler particulièrement agaçant pour autrui. Ce mécanisme n’avait pas épargné Colleen. Bien qu’elle ait toujours eu à cœur de se montrer objective à l’égard de sa fille, force était de constater que ce n’était pas systématiquement le cas. Qui aurait pu lui en vouloir ? Louisa était sa fille unique, le seul enfant qu’elle ait jamais porté – et ce n’était pas près de changer. En raison de sa grossesse prématurée et aussi parce qu’elle avait dédié une décennie complète à l’éducation de son enfant, la relation qu’elle partageait avec Lou était extrêmement fusionnelle. Elle n’avait jamais été capable d’assumer le rôle de la mère sévère et distante, celle qui, sans doute un peu jalouse de sa fille et entretenant la compétition entre elles, parvient à rendre cette relation mère-fille extrêmement déplaisante – il s’agissait là d’un modèle qu’elle n’avait jamais désiré reproduire. L’amour et la confiance avaient une place prédominante dans ses rapports avec Lou ; Colleen avait toujours veillé à l’accompagner dans ses choix sans l’étouffer, à lui faire prendre conscience des choses sans se montrer trop insistante, à marquer sa désapprobation sans faire d’esclandres. Elle n’était pas une mère parfaite pour autant, elle avait ses défauts, comme tout le monde. Les circonstances ne lui avaient pas toujours permis de faire les bons choix, et la pression qu’August avait exercée sur elle l’avait parfois amenée à prendre les mauvaises décisions. Toutefois elle se raccrochait avec résolution à ses valeurs, et faisait de son mieux pour ne pas y déroger.
Ce jour-là toutefois, la confiance que ressentait Colleen pour Louisa était sur le point d’être mise à mal. La jeune femme le pressentait, les indices allant dans ce sens commençaient sérieusement à s’accumuler : le motif initial du rendez-vous, le fait que Marius ait admis avoir retenu aisément le prénom de son élève, la façon dont il l’avait questionnée à propos de l’intérêt de Lou pour son cours d’introduction à l’histoire des arts, la tension qui était revenue à la charge dans la pièce lorsqu’elle lui avait répondu et la réaction du professeur… Il avait bien failli s’étouffer avec son thé, bon sang ! Non vraiment, la sage-femme avait beau retourner le problème dans tous les sens, elle ne voyait pas d’autre alternative possible et n’espérait plus voir leur conversation aboutir autrement que dans des révélations qui, à n’en pas douter, viendraient bousculer ses convictions. Alors autant jouer franc-jeu. Autant que Marius lui explique précisément ce qui ne tournait pas rond chez Louisa, ce qui le mettait vraisemblablement si mal à l’aise. Colleen était prête à l’entendre, et tant pis si ces confidences s’annonçaient douloureuses, elle ne pouvait pas les ignorer plus longtemps.
Aussi prit-elle une profonde inspiration avant de verrouiller son regard à celui de Marius, prête malgré tout à entendre ce qu’il avait à lui dire… Et elle ne fut pas déçue. Les choses avaient plutôt mal commencé quand il avait d’abord mentionné une histoire de pari, et ne firent que s’aggraver quand il lui fit part du constat que malgré ses efforts pour la dissuader, Lou revenait systématiquement à la charge avec la même détermination – le seul aspect de ce discours qui fit sens pour Colleen d’ailleurs, qui reconnaissait en sa fille une résolution tenace. Mais la dissuader de quoi, exactement ? Visiblement agité, Marius se leva et échappa au regard soutenu de la jeune femme – pour se donner du courage, peut-être ? Colleen fronça les sourcils, incapable de prononcer un seul mot tant sa gorge était nouée par l’anxiété. Pour dissimuler son trouble, elle croisa les mains sur ses cuisses et entremêla ses doigts. Elle retenait presque son souffle, dans l’attente de la suite des explications… Qui lui parvint finalement. Non seulement Louisa s’était entichée de son professeur, mais de toute évidence les échecs qu’elle essuyait n’affectaient nullement son obstination. Colleen était abasourdie. Frappée de stupeur, elle aurait préféré que Marius la gifle ; c’eut été moins douloureux que d’entendre parler de Louisa en ces termes si peu élogieux. Quelque part, elle avait honte : honte de l’image que renvoyait sa fille et honte de ne pas avoir été capable de lire ses intentions. Elle avait bien conscience qu’en dépit de son honorable parcours scolaire, Lou n’était pas une sainte. Mais de là à penser qu’elle puisse avoir une telle attitude, et à l’égard de son professeur qui plus est ! Colleen tombait des nues.
Elle ferma les yeux un instant, tentant en vain de faire le vide dans sa tête et de retrouver ses esprits. Marius semblait penser qu’elle serait capable de raisonner Lou, mais serait-ce vraiment le cas ? Si elle avait été suffisamment aveugle pour ne rien remarquer d’anormal dans le comportement de sa propre fille, serait-elle véritablement en mesure de la raisonner ? Les questions se bousculaient dans son esprit, et clairement elle aurait besoin d’un remontant un peu plus tard dans la journée pour se remettre de ses émotions. N’y tenant plus, elle rouvrit les yeux, se leva et se posta devant Marius, de l’autre côté du fauteuil auquel il se tenait. « Je suis sincèrement désolée, vraiment… Je n’avais pas la moindre idée de son manège ». Ses yeux clairs, voilés d’un trouble désormais apparent, scrutèrent à nouveau le regard de l’homme qui lui faisait face. « Pour tout te dire, je peine à croire que tu parles vraiment de Lou, mais force est de constater que ma fille n’est pas aussi innocente qu’elle ne le laisse paraître. Elle doit tenir ça de son père » Ajouta-t-elle avec un sourire triste, avant de le regretter presque aussitôt. Il était injuste d’établir de telles analogies entre August et Lou, alors qu’elle n’avait même pas encore laissé le loisir à cette dernière de s’expliquer. Recourir à l’adage « tel père telle fille » revenait à s’acquitter de sa propre part de responsabilité et Colleen ne pouvait s'y résoudre. « Je n’aurais pas dû dire ça » se reprit-elle d’une voix basse avant de s’éclaircir la gorge et de poursuivre avec davantage d’énergie. « Bref, tu peux bien sûr compter sur moi pour essayer de raisonner Lou. Et s’il faut vraiment en arriver là, j’appellerai peut-être même son père pour qu’il en remette une couche. Ce ne sera pas de gaieté de cœur, c’est sûr, mais je ne peux pas supporter l’idée que ma fille agisse de la sorte. » Elle marqua une pause et soupira. « Et encore une fois, je suis désolée qu’elle t’ait mise dans une situation pareille. Je comprends mieux pourquoi tu as retenu aussi facilement son prénom, maintenant… ».
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| | | | (#)Sam 25 Avr 2020 - 10:01 | |
| Les choses auraient été plus faciles si tu avais eu devant toi une mère désinvolte, une mère qui ne connaissait pas bien sa fille. Il aurait été facile de lui dire que sa fille était allait trop loin et ne semblait pas prête de s’arrêter. Beaucoup de gens avaient porté plainte pour harcèlement pour moins que cela et tu aurais pu faire peur à cette femme avant de la voir partir. Mais bien sûr, cela aurait été trop facile. Pourquoi fallait-il toujours que tout soit compliqué ? En voyant Colleen derrière la porte de ton bureau, tu avais su que tu ne pourrais pas lui dire aussi brutalement les choses. De vos deux précédentes rencontres, tu avais compris la place essentielle de sa fille dans sa vie et la manière dont elle te parla de Lou avant que tu ne lâches la nouvelle ne fit que renforcer ce pressentiment que tu avais. Pourtant, il n’y avait pas des milliers de façons de lui dire ce que tu avais à dire. Tu te rendais bien compte que c’était également de ta part un aveu de faiblesse, un aveu d’échec parce que tu aurais aimé pouvoir gérer cette situation seul, sans faire appel à la mère de la demoiselle. Tu enseignais à l’université, pas au lycée, tu aurais sans doute dû gérer la situation et Dieu sait que tu avais essayé sans grand succès. Faire appel à Colleen était ta dernière chance car tu n’avais nullement l’intention de porter plainte pour harcèlement même si faire peur à Lou avec cette menace pourrait être ton dernier recours. Tu préférais juste ne pas avoir à l’utiliser. Quand tu révélas à Colleen ce que sa fille te faisait subir dans ton cours, tu vis la surprise sur son visage, la stupeur et une fois le choc passé, une sorte de mortification. Elle gardait la tête droite mais tu voyais le malaise s’emparer d’elle et ce n’était pas ce que tu cherchais. Le sujet n’était pas facile à aborder pour toi non plus et tu aurais préféré être n’importe où que dans ce bureau là tout de suite. Mais Colleen encaissa le coup, elle t’écouta jusqu’à la fin et même si le silence qui suivit tes paroles était pesant, tu devais lui laisser le temps de digérer ce que tu lui avais dit. C’était toute l’image qu’elle avait de sa fille qui venait de s’effondrer très certainement et tu savais au fond que Lou n’était pas une mauvaise élève ou une mauvaise fille mais elle allait tous les jours un peu plus loin et il serait mieux pour elle qu’elle apprenne qu’il y avait des limites dans la vie et que flirter n’était pas un drame mais que le consentement de l’autre parti était quelque chose d’important. Tu laissais à Colleen le temps qu’il lui fallait, ne voulant pas la brusquer. Voilà pourquoi tu avais voulu détendre l’atmosphère au début de votre entretien parce que l’ambiance qui pesait désormais sur votre conversation était tout sauf agréable. Le regard de la jeune femme finit par se poser sur le tient et elle te dit : « Je suis sincèrement désolée, vraiment… Je n’avais pas la moindre idée de son manège. Pour tout te dire, je peine à croire que tu parles vraiment de Lou, mais force est de constater que ma fille n’est pas aussi innocente qu’elle ne le laisse paraître. Elle doit tenir ça de son père » Tu vis immédiatement que Colleen regrettait d’avoir prononcé sa dernière phrase. Elle t’avait dit qu’elle vivait seule avec sa fille quand cette dernière n’était pas sur le campus, tu en avais donc conclu que le père de Lou n’était pas dans les parages. Tu ne savais pas quel type d’homme il était et tu ne demanderas pas mais tu espérais qu’il avait inculqué à Lou d’autres valeurs que celles que tu voyais en cours c’est à dire la certitude d’être au dessus de toute règle et ne pas se pencher de trop près sur le consentement de l’autre. Toutes ces révélations peinaient Colleen et tu comprenais qu’elle ait honte de cette situation mais tu ne lui en tenais pas rigueur. Elle n’était pas responsable des faits et gestes de sa fille maintenant que cette dernière était adulte. « Je n’aurais pas dû dire ça. Bref, tu peux bien sûr compter sur moi pour essayer de raisonner Lou. Et s’il faut vraiment en arriver là, j’appellerai peut-être même son père pour qu’il en remette une couche. Ce ne sera pas de gaieté de cœur, c’est sûr, mais je ne peux pas supporter l’idée que ma fille agisse de la sorte. Et encore une fois, je suis désolée qu’elle t’ait mise dans une situation pareille. Je comprends mieux pourquoi tu as retenu aussi facilement son prénom, maintenant… » Tu n’avais pas besoin que Colleen s’excuse et tu n’avais nullement envie de la forcer à appeler le père de Lou vu que cela semblait lui coûter. Apparemment, elle n’entretenait pas les meilleures relations avec ce dernier, information que tu gardais dans un coin de ton esprit mais sur laquelle tu ne t’attardais pas. Lâchant le fauteuil, tu vins reprendre place sur ce dernier, t’asseyant sur le bord avant de lui dire : « Tu n’as pas à t’excuser, ce n’est pas de ta faute. » Elle se sentait obligée de le faire malgré tout, cela se voyait mais elle n’avait pas à le faire. Tu avais appris en enseignant que l’esprit de tes élèves ne suivait que très rarement ta logique et qu’il était impossible de savoir comment ils en arrivaient à des choses de ce genre. « Je ne pense pas que Lou s’en rende compte, sa fougue et sa jeunesse font qu’elle se pense invincible, mais c’est elle qui souffrira le plus de cette situation sur le long terme. Lou est quelqu’un qui a toujours eu ce qu’elle voulait n’est-ce pas ? » Ce n’était pas un reproche que tu faisais à Colleen sur la manière dont elle éduquait sa fille mais simplement une constatation. Fille unique, Lou était en plus de cela très maligne et intelligente, bien sûr qu’elle avait toujours eu ce qu’elle voulait. « Elle apprendra de cette expérience que l’on n’a pas toujours ce que l’on désire. » Dis-tu en haussant les épaules. Et tu espérais qu’elle ne de désirait pas, qu’elle jouait à un jeu dont tu ne connaissais pas les règles ni les gains potentiels mais c’était un détail. « Ne le prend pas personnellement, tu n’es pas responsable du comportement de Lou. Ce serait juste plus agréable si elle focalisait sa détermination de fer sur un autre sujet que son prof d’histoire de l’art. » Dis-tu à Colleen avec un petit sourire. Tu voulais de nouveau détendre l’atmosphère, faire prendre conscience à la belle brune en face de toi que même si la situation n’était pas à prendre à la légère, personne n’en était mort ou n’avait ressenti autre chose que de la gêne. |
| | | | (#)Dim 26 Avr 2020 - 15:43 | |
| Le déménagement de Colleen et Louisa à Brisbane avait apporté son lot de changements dans la vie des principales intéressées. Le choc culturel, les galères administratives, le besoin de faire connaissance pour ne pas sombrer dans l’isolement, l’apprentissage des us et coutumes… Et l’adaptation, principalement, qui constituait de toute évidence l’enjeu le plus crucial. En l’espace de quelques mois, le chemin parcouru par la mère et sa fille était considérable. Car il ne s’agissait pas seulement de s’habituer à l’accent prononcé des Australiens, ou de gérer avec plus ou moins d’habileté la conversion entre le livre sterling et le dollar australien ; c’était tout leur mode de vie qui était remis en question. Pour Colleen, encore plus que pour Louisa dont la jeunesse lui permettait plus aisément de s’acclimater, il s’agissait d’un défi qu’elle avait craint ne pas savoir relever. Elle avait vécu les vingt dernières années dans le confort que la présence d’August à ses côtés lui avait apporté. A Londres, elle avait ses habitudes, un quotidien certes qui ne lui convenait plus mais qu’elle maîtrisait néanmoins. Sortir de sa zone de confort avec une telle brutalité n’avait pas été chose facile, mais elle ressentait une certaine fierté à l’idée de s’en être sortie sans trop de difficultés, et surtout sans présence masculine pour la guider. Forte de l’indépendance qu’elle avait retrouvée et de la spontanéité qui rythmait désormais son quotidien, la sage-femme avait le sentiment de vivre une seconde vie et globalement, cette vie la satisfaisait pleinement. Toutefois, s’il y avait bien un rôle qu’elle était supposée continuer à assumer en Australie, ce n’était pas celui d’épouse mais bien celui de mère. Habituée à l’autonomie de sa fille pour gérer ses propres affaires personnelles et à la maturité dont elle jouissait à dix-sept ans seulement, Colleen avait tendance à penser que Lou était déjà presque une adulte. Certes, l’entrée à l’université de cette dernière avait fait l’objet d’un certain nombre d’incertitudes légitimes, mais dans l’ensemble elle lui faisait confiance pour mener de front son adaptation en Australie, ses études et sa vie sociable. Or les semaines qui s’étaient écoulées depuis la rentrée scolaire n’avaient fait que confirmer l’aptitude de Louisa à gérer les choses de main de maître, apaisant ainsi les inquiétudes de sa mère. En revanche, il existait bien un point sur lequel elle ne parvenait à lâcher du lest : la vie sentimentale de Lou. L’entrée à l’université de cette dernière avait indéniablement plongé Colleen dans ses souvenirs, et plus particulièrement ceux qui concernaient sa rencontre avec August. La jeune femme craignait que sa fille répète les erreurs qu’elle-même avait commises, redoutait que Lou tombe amoureuse et que sa vie sentimentale prenne le dessus sur ses ambitions ; c’était un schéma qu’elle ne voulait surtout pas la voir reproduire. Alors elle ne pouvait s’empêcher de mener subtilement l’enquête auprès de la principale intéressée, glissant quelques questions personnelles au détour de conversations dans l’espoir de grapiller de précieuses informations. Ses efforts avaient le mérite d’exister, mais demeuraient vains car force était de constater que Lou était suffisamment futée pour voir clair dans le jeu de sa mère. Aussi les révélations de Marius avaient-elles ravivé ses craintes au sujet de l’innocence de sa fille ; à dix-sept ans – seulement, pensait Colleen – Louisa maîtrisait visiblement l’art de la séduction qu’elle exerçait sur l’un de ses professeurs. Ce constat ne pouvait être source de fierté pour la sage-femme, bien au contraire : il lui arrachait un malaise certain. Le professeur d’histoire des arts devant lequel elle se tenait avait beau être séduisant, il n’en demeurait pas moins un enseignant qui avait plus ou moins l’âge de son père. Alors à quoi jouait vraiment Lou ? Ce jeu faisait-il véritablement l’objet d’un pari, ou Louisa s’était-elle réellement entichée de son professeur ?
Face à Marius, Lynn n’en menait pas large. Rongée par l’inquiétude et la culpabilité, elle ne savait plus bien où se mettre et faute de mieux, se confondait en excuses auprès de son interlocuteur. La légèreté qui avait teinté le début de leur conversation n’était plus qu’un vague souvenir, ayant cédé à un malaise palpable, de part et d’autre. Marius tenta de la rassurer, lui expliquant qu’elle ne devait se sentir responsable de l’attitude de sa fille. Il fit le tour du fauteuil afin de pouvoir s’y asseoir, et Colleen en profita pour lui tourner le dos un instant afin de reprendre ses esprits. Elle glissa une main sur ses tempes, sentit sa peau chauffer sous ses doigts délicats – comme si le poids des révélations avait fait grimper sa température corporelle de quelques degrés – avant de se redresser et de se retourner finalement afin de faire face à Marius. « Tu as raison, Lou est quelqu’un de déterminé et quand elle a quelque chose en tête, il est rare qu’elle ne parvienne pas à ses fins ». Fille unique, elle n’avait jamais manqué de rien, August et Colleen avaient toujours veillé à satisfaire ses besoins et si à l’origine cela ne partait pas d’une mauvaise intention, ils l’avaient tous deux sans doute un peu trop choyée.
Lynn se dirigea vers le canapé dans lequel elle s’installa de nouveau et saisit son mug entre ses mains. Le liquide qu’il contenait était tiède à présent, mais peu importait. « J’espère que tu dis vrai et que cette expérience lui servira de leçon. J’ose croire que ma fille est suffisamment intelligente pour se rendre compte qu’elle met en péril sa scolarité en agissant ainsi, mais l’avenir nous le dira » Ajouta-t-elle avec philosophie. Elle poussa un soupir et porta le mug à ses lèvres afin d’en boire une longue gorgée, accueillant le liquide dans sa gorge avec une certaine gratitude ; le thé avait toujours eu un effet réconfortant sur sa personne, il était donc le bienvenu en ces circonstances. Elle posa le mug sur la table et scruta le regard du professeur. « Tu sais, quand tu m’as envoyé ton mail il y a quelques jours, je m’attendais à tout sauf à ça. En fait, pour tout te dire, je m’étais imaginée un universitaire aux tempes grisonnantes, voire un peu dégarni… Du genre pompeux et un peu coincé, qui s’exprime avec des mots très compliqués. Tu vois ce que je veux dire ? » Demanda-t-elle avec un sourire. Sa tentative pour changer de sujet n’était peut-être pas très subtile, mais elle avait besoin d’adopter un ton plus léger pour ne pas sombrer définitivement dans l’inquiétude. Aussi verrouilla-t-elle temporairement le sujet dans un coin de son esprit. « Je ne veux pas manquer de respect à tes collègues, hein, mais c’est le genre de professeurs que j’avais quand j’étais à la fac, à Londres. Je n’ai jamais eu de professeur… ». Elle marqua un temps d’arrêt, plissa les yeux, choisit prudemment ses mots puis désigna Marius d’un geste vague et circulaire. « Comme toi. Et ne pense pas que je te fais des avances, ce n’est pas le but » Fit-elle en levant les mains devant elle, en signe de défense. Elle esquissa un sourire un peu triste puis reprit. « Quant au motif du rendez-vous, eh bien… Je pensais que tu me parlerais des difficultés d’adaptation de ma fille à l’université, quelque chose dans ce goût-là. Comme quoi, j’avais vraiment faux sur toute la ligne ! ».
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| | | | (#)Lun 27 Avr 2020 - 9:31 | |
| Dans d’autres circonstances tu aurais pris un malin plaisir à faire tomber de haut une mère qui prenait sa fille pour un ange et qui ne la voyait pas là où elle était vraiment. Aujourd’hui, ce n’était pas ce qui était en train de se passer. Tu avais conscience d’avoir frappé fort et Colleen était encore en train d’accuser le coup de ce que tu venais de lui raconter. Malheureusement, il n’y avait pas d’autres moyens de lui dire que sa fille avait un comportement très inapproprié et que ton dernier recours pour la faire cesser était de lui en parler à elle. Si la relation entre la mère et la fille était aussi proche que tu le pensais, Colleen arrivera bien à raisonner sa fille non ? Tu l’espérais de tout coeur car tu ne pourrais pas rester dans cette situation bien longtemps. Maintenant que tu avais dit ce que tu avais prévu de dire, que Colleen avait bien compris la gravité de la situation sans que tu n’aies à insister plus que nécessaire, tu avais voulu la rassurer un peu. Tu ne lui tenais pas rigueur du comportement de sa fille, tu savais qu’elle n’y était pour rien. Même quand c’est votre progéniture, personne ne peut contrôler les faits et gestes de ses enfants toute leur vie. Alors tu tenais à insister sur ce point. Malgré son comportement déplacé, il était évident que Lou avait un fort potentiel et pouvait être une excellente élève. Son potentiel ne t’avait pas échappé et tu étais persuadé qu’elle pourrait devenir une de tes élèves le plus brillantes et avec qui tu aimerais discuter et passer du temps mais seulement quand elle aura compris que tu étais son professeur et que vous discutiez d’histoire de l’art parce que vous vous y intéressiez tous les deux. Tu faisais parti des professeurs qui n’aimaient pas entretenir des relations trop étroites avec tes élèves et tu passais souvent pour un professeur froid et renfermé mais tu ne refusais jamais une discussion sur un sujet abordé en cours ou ce genre de chose. Tu aimais juste mettre des limites entre ta vie privée et ta vie à l’université. Sachant que la première était quasiment inexistante, ce n’était pas si difficile que ça. « Tu as raison, Lou est quelqu’un de déterminé et quand elle a quelque chose en tête, il est rare qu’elle ne parvienne pas à ses fins. » Tu aurais préféré te tromper dans ton diagnostic mais il y avait quelque chose dans le refus de Lou d’accepter tes refus répéter qui t’avait laissé penser qu’elle n’avait pas eu l’habitue de se voir refuser quoi que ce soit. Maintenant que tu savais qu’elle était la fille de Colleen, tu savais qu’elle était fille unique et cela devait forcément avoir un impact. Parce que même si tu ne t’entendais pas bien avec tes frères et soeurs, tu avais appris très vite à te voir refuser tout un tas de choses même si tu en avais moins souffert en étant l’aîné car tes parents te passaient plus de choses. « Sa détermination peut être une excellente qualité. L’expérience lui apprendra à la doser. » Tu le lui souhaitais en tout cas. Etre déterminé, suivre un objectif et ne pas le lâcher était une qualité à tes yeux. Mais comme Lou te l’avait montré, cela pouvait se transformer en défaut. La fille de Colleen était encore très jeune, elle avait besoin de tester ses limites et elle commençait à les atteindre.
Comme toi, Colleen avait eu besoin de reprendre ses esprits en quittant ton regard et en faisant quelques pas dans le bureau. Tu bus ton thé, lui offrant le silence dont elle avait besoin pour reprendre ses esprits et tu la laissais venir s’installer de nouveau dans le canapé sans un mot. « J’espère que tu dis vrai et que cette expérience lui servira de leçon. J’ose croire que ma fille est suffisamment intelligente pour se rendre compte qu’elle met en péril sa scolarité en agissant ainsi, mais l’avenir nous le dira. » La fougue de la jeunesse, l’impossibilité de voir toutes les ramifications de ses actions … Il était normal que Lou n’envisage peut-être pas les conséquences de ses actes. Parce que ce n’est pas toi qui souffrira des retombées de cette histoire mais bien elle. Les rumeurs sont rapidement crées dans une université, tes collègues doivent déjà savoir quel est son petit jeu et aucun élève ne veut ce genre de réputation. La tienne n’est plus à faire et tes refus publics comme privés de ses avances te protègeront. « Elle n’a peut-être pas conscience qu’elle met tout cela en danger. Quand on est jeune, on se sent souvent invincible. Lou a peut-être besoin de comprendre que ce n’est pas le cas. » Ce n’était que des hypothèses. Tu ne connaissais pas vraiment la jeune femme et tu ne savais pas comment elle fonctionnait et ce qui marcherait avec elle. Cette démarche, tu la faisais pour retrouver le calme dans ton cours mais aussi pour aider Lou qui n’avait vraiment pas envie que tu fasses remonter cette histoire à ton supérieur, le doyen de l’université. « Tu sais, quand tu m’as envoyé ton mail il y a quelques jours, je m’attendais à tout sauf à ça. En fait, pour tout te dire, je m’étais imaginée un universitaire aux tempes grisonnantes, voire un peu dégarni… Du genre pompeux et un peu coincé, qui s’exprime avec des mots très compliqués. Tu vois ce que je veux dire ? Je ne veux pas manquer de respect à tes collègues, hein, mais c’est le genre de professeurs que j’avais quand j’étais à la fac, à Londres. Je n’ai jamais eu de professeur… Comme toi. Et ne pense pas que je te fais des avances, ce n’est pas le but. » Un petit sourire se dessina malgré toi sur tes lèvres. Ce n’était pas la première fois que tu entendais ce genre de choses et ce ne serait pas la dernière. C’est fou comme les gens s’imaginent que les universitaires sont tous vieux, grassouillets et on ne peut plus non attrayants. Tu savais que tu brisais tous les stéréotypes sans le vouloir et cela t’amusait. Tu n’en voulais pas à tes élèves de fantasmer s’ils en avaient envie, cela les regardait du moment que ces fantasmes restaient dans leur imaginaire et que tu n’avais pas à en subir les conséquences. « Devrais-je m’excuser de n’être ni grisonnant, ni pompeux ? » Lui demandas-tu un sourire en coin sur les lèvres pour la taquiner. « Je sais que je ne rentre pas dans le stéréotype et mes élèves sont libres de fantasmer s’ils le désirent, ça ne regarde qu’eux et ils ont le droit. Du moment que tout cela reste dans leur esprit, tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux de ne pas pouvoir lire dans leur esprit. » Oh des fois quand tu croisais leurs regards, tu savais qu’ils étaient à des milliers de kilomètres de l’histoire de l’art mais ce n’était pas grave. Tu avais appris à te faire à la réalité suivante : tes élèves fantasmeraient que cela te plaise ou non. « Quant au motif du rendez-vous, eh bien… Je pensais que tu me parlerais des difficultés d’adaptation de ma fille à l’université, quelque chose dans ce goût-là. Comme quoi, j’avais vraiment faux sur toute la ligne ! » Colleen était une bonne mère, c’était écrit sur son visage. Mais une mère qui avait perdu pied lors de ce rendez-vous et qui s’était rendue compte que sa fille n’était pas exactement celle qu’elle pensait. Comme toute adolescente, Lou avait des facettes qu’elle n’avait pas partagé avec ses parents. « De ce que j’ai cru comprendre, elle s’adapte plutôt bien. Et tu n’as pas faux sur toute la ligne, Lou est très intelligente et est déjà une très bonne élève. J’ai juste du mal apprécier ses qualités intellectuelles et académiques pour l’instant mais sa détermination, une fois redirigée, pourra l’amener à faire de grandes choses. » Ça c’était une certitude vu ce que tu avais entendu de tes collègues au sujet de la demoiselle. « Je suis désolé d’avoir dû te faire venir pour ça, j’aurais préféré que l’on se recroise dans d’autres circonstances. » Lui dis-tu sincèrement. |
| | | | (#)Mar 28 Avr 2020 - 21:52 | |
| Colleen ne cherchait pas d’excuses à sa fille en mettant en avant le fait que Marius ne ressemblait en rien au professeur d’histoire des arts qu’elle avait imaginé rencontrer. De façon tout à fait objective, il était bel homme. Avec son regard clair et vif, sa mâchoire bien dessinée qu’une barbe de trois jours ombrageait finement, et sa carrure plutôt athlétique, il dégageait une prestance qui ne devait pas laisser ses étudiantes de marbre, surtout quand sa voix grave aux tonalités typiquement australiennes déroulait des discours passionnés sur l’histoire des arts. Avec un peu d’imagination, Colleen pouvait presque entendre les soupirs des jeunes femmes, accoudées à leur pupitre, le visage niché dans le creux de leur main, le regard légèrement dans le vague et les pensées à des années lumières du sujet que Marius s’évertuait à exposer. Toutefois, le physique agréable et le charisme dégagé par le professeur d’histoire des arts ne justifiaient en rien l’attitude de Lou. Qu’elle ressente une attirance physique pour son enseignant était une chose – certes Colleen éprouvait des difficultés à le concevoir en tant que mère, mais soit, elle prenait conscience que sa fille n’était plus une enfant. En revanche, que Lou laisse transparaître son intérêt pour Marius avec une telle ferveur en était une autre, bien plus difficilement tolérable. D’après ce qu’il lui avait décrit, Louisa n’essayait même pas d’être subtile dans ses approches : elle le faisait devant ses camarades, chargeant ses propos de sous-entendus, et bien loin de se laisser décourager par les échecs qu’elle essuyait cours après cours, gagnait au contraire en assurance. Avec du recul, peut-être que la première impression de Marius était la bonne : il ne s’agissait peut-être en réalité que d’un jeu, d’un pari qu’elle s’était lancée. Fraîchement débarquée d’Angleterre avec un solide bagage scolaire et une année d’avance, peut-être Louisa avait-elle ressenti le besoin de se démarquer de ses camarades autrement que par le biais de sa vivacité d’esprit et sa soif de connaissances. Camper le rôle du clown de la classe et jouer la carte de l’humour lui attireraient automatiquement la sympathie voire le respect de ses nouveaux camarades de classe, et c’était une façon comme une autre de se faire remarquer. Il s’agissait d’une théorie plausible, une théorie qui quelque part rassurerait la sage-femme si elle se confirmait ; cela signifierait que Louisa serait en mesure de faire marche arrière, et surtout, qu’elle n’était pas aussi amourachée de son professeur que son comportement le suggérait. Quoiqu’il en fût, Colleen avait besoin de songer à cette situation à tête reposée avant la confrontation qui l’opposerait inévitablement à Louisa. Elle avait beau partager une relation fusionnelle avec sa fille, elle n’en oubliait pas moins le caractère fort de cette dernière, dont l’impulsivité pouvait rapidement prendre le dessus et l’amener à démarrer au quart de tour. Si elle ne voulait pas la froisser, il lui faudrait prendre des pincettes et entrer dans le vif du sujet avec une certaine délicatesse, pour être certaine d’obtenir un résultat.
Un sourire franc se dessina sur les lèvres de Marius, dévoilant une rangée de dents blanches parfaitement alignées. Lucide à l’égard de son physique qui tranchait clairement avec celui de ses collègues, le professeur d’histoire des arts lui confia à quel point il était soulagé de ne pas être en mesure de lire dans les pensées de ses élèves. Colleen acquiesça. Quelque part, il avait raison : peu importait ce qui se tramait réellement dans l’esprit de ses étudiantes, à partir du moment où ces dernières le gardaient pour elle et se montraient aussi intéressées par la matière qu’elles ne l’étaient par lui. La sage-femme ne pensait pas que ce discours rendait Marius plus présomptueux qu’il ne l’était car son raisonnement tenait la route. « Ah, j'imagine, ça ne doit pas être évident d’être le centre de toutes les attentions au quotidien » Déclara-t-elle, un sourire taquin jouant sur ses lèvres. Colleen avait conscience que le tournant pris par leur conversation les avait détendus tous les deux, et que la tension, à défaut d’avoir tout à fait disparu, s’était dissipée. Marius la rassura par la suite sur les capacités d’adaptation de Lou à la Queensland University, ainsi que ses qualités, qu’il pouvait malgré tout apprécier en tant que professeur. Lynn hocha vaguement la tête et saisit le mug sur la table afin de reprendre plusieurs gorgées de son thé, qu’elle termina. Marius lui révéla qu’il aurait préféré la revoir dans d’autres circonstances et cette fois, elle planta franchement son regard dans le sien, amusée. « Tu veux dire que tu aurais préféré me revoir les bras chargés de cartons, encore une fois, pour pouvoir encore voler à mon secours ? ». Sa remarque les amusa tous les deux, et Colleen choisit de partir sur cette note positive, qui évoquait leurs précédentes rencontres. Elle posa le mug sur la table basse, se leva et remercia Marius, à l’initiative de ce rendez-vous qui lui avait ouvert les yeux. « Et surtout n’hésite pas si tu rencontres de nouveaux problèmes avec Lou. Tu connais mon adresse mail ». Elle avait hésité à lui communiquer son numéro de téléphone, mais après réflexion, jugea que ce geste pouvait être interprété d’une toute autre manière. Dans d’autres circonstances elle l’aurait peut-être fait, songea-t-elle… Avant d’effacer immédiatement cette pensée de son esprit. Elle était venue retrouver sa liberté en Australie, n’est-ce pas ? Rien d’autre.
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| | | | | | | | (Colleen & Marius) Back to school |
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