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 les vagues du silence (olivia)

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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyDim 19 Avr 2020 - 15:30

Il joue avec son alliance depuis une dizaine de minutes. Machinalement, comme si elle avait commencé à le gêner. Il la fait tourner autour de son doigt, l’observe, la détaille, l’admire, l’inspecte. Il le fait même s’il la connaît par cœur ; elle n’est pas là comme simple décoration de sa main gauche, pour dire à chaque passant qu’il est marié. Elle représente l’amour. Son amour, celui qu’il partage avec Olivia. Celui pour lequel il se bat depuis des années, celui qui a connu tant d’épreuves avant qu’ils se disent oui. Et après. Oui, pour la vie. Leur vie ; une éternité à laquelle Jacob a du mal à s’accrocher depuis deux longues années. Le temps s’est arrêté, les minutes se sont figées et sa souffrance s’est décuplée de jour en jour, jusqu’à devenir insupportable. Oui, jusqu’à ce que la mort les sépare. En prononçant cette phrase, Jacob s’imaginait dans un grand lit, trop vieux pour avoir continué à compter les années. Il s’y voyait pousser son dernier soupir contre les lèvres d’Olivia, après qu’elle l’ait autorisé à s’en aller, en lui rappelant qu’ils se retrouveront ailleurs, qu’une vie n’est pas suffisante et que l’éternité, leur éternité, c’était trop peu pour eux. Il ne pensait absolument pas que la mort en question aurait pu être celle de leur enfant. Il ne pensait pas qu’elle surviendrait trois ans seulement après avoir accepté que la faucheuse pouvait les séparer. Et surtout, il ne pensait pas qu’elle serait capable de le faire réellement ; qu’elle pourrait les éloigner. Oui, pour le meilleur et pour le pire. Il disait toujours que la lumière chassait l’obscurité et que le bien devait prendre le dessus sur le mal. Il ne pensait pas que le meilleur durerait qu’un temps et que le pire rythmerait sa vie de tous les jours. Et pourtant, c’est à toutes ces possibilités-là qu’il a dit oui : il savait en s’engageant avec Olivia qu’il disait oui à une vie truffée d’inconnues, qu’il fonçait tête baissée. Il n’avait pas vu le mur, ni les barbelés qui se cachaient derrière, ni les mines terrestres, ni les montagnes, ni les ravins. Et si on lui avait dit, s’il avait su ? Il aurait certainement dit oui, aveuglé par l’amour, par son amour, par Olivia. Il soupire longuement en relâchant sa bague. Elle semble réellement le gêner, comme si, subitement, elle n’était plus à sa taille, ou qu’elle était trop lourde pour son annulaire. Comme s’il n’existait aucune autre possibilité au monde que de la retirer pour l’envoyer chez le bijoutier, pour qu’il la retouche, pour qu’il l’éloigne de sa main et de ses responsabilités le temps de quelques jours. Doucement – trop doucement – il l’attrape une nouvelle fois, les bords entre deux de ses doigts. Et il la fait glisser, lentement, sûrement, jusqu’à quitter sa main gauche, là où elle a passé ces cinq dernières années. C’est l’une des premières fois qu’il s’en sépare, qu’il ose l’enlever. Il évite au maximum de la délaisser, il a trop peur de la perdre, trop peur de commettre une erreur si elle n’est pas là. Parce que ce n’est pas qu’une bague, c’est tout son mariage ; et il vient de la retirer, de le retirer. Et le poids qui comprimait sa poitrine et ses épaules, le poids qui l’empêchait de respirer, lui aussi, il vient de s’en aller. Il respire, enfin.

Il ne sait pas depuis combien de temps il est rentré à la maison. C’est la première et la dernière chose qu’il ait faite après avoir quitté le restaurant ; rentrer là où la solitude l’accable, là où la solitude l’apaise. Tout plutôt que chez eux, pour elle. Chez eux plutôt que tout le reste, pour lui. Même s’il est seul et qu’il se torture l’esprit, même s’il semble n’avoir rien à faire, ici. Son regard se porte sur le téléviseur qu’il a allumé à son arrivée, la chaîne choisie au hasard rediffuse le grand bêtisier de l’année dernière. Il a essayé de se plonger dans l’univers humoristique de ce programme, mais il n’a pas réussi. Pas un rire, pas un sourire, pas une respiration saccadée. Rien. Si la télévision avait été éteinte, le résultat aurait été le même ; il n’entend rien de plus que ses pensées, et ce soir, elles ne sont pas positives. De sa main disponible - celle qui n’enferme pas son alliance – il attrape sa bière, disposée sur la table basse, aux côtés des cadavres de deux autres. Il s’ennuie, c’est la seule occupation intéressante qu’il ait trouvée ; il n’a pas envie d’aller se coucher, ce serait renoncer à cette soirée de manière définitive. Ce serait accepter l’absence d’Olivia, renoncer à sa présence. Encore. Ça fait deux ans qu’il le fait sans rechigner, pourquoi est-ce que ça le gêne, désormais ? Et pourquoi est-ce qu’il en vient à se demander s’il a bien fait, finalement ? Sa culpabilité le poussait à fermer les yeux sur tout un tas de choses, à lui offrir du temps, de l’espace et beaucoup – beaucoup trop – de libertés. Est-ce qu’il l’a fait pour elle, ou était-ce une manière égoïste de l’éloigner de lui, pour pouvoir subir sa culpabilité seul, sans avoir à l’assumer auprès d’elle ? Il soupire, encore, et boit une gorgée. Il se perd lui-même, il le sent. Il s’en va, il se délaisse, il se déteste. Parce qu’elle le fuit, lui et ce qu’il représente, lui et son amour, lui et sa force, lui et sa fierté, lui et son incapacité à s’effondrer. Mais si elle savait à quel point il tombe, là, sans elle, à quel point il s’écroule dès qu’elle a le dos tourné. Si elle savait qu’il a seulement besoin d’elle. D’elle et de ses bras, d’elle et de son sourire, d’elle et de son pardon. Elle, qui justement, est en train d’arriver.

Le chien qui se lève subitement d’à côté du canapé pour courir jusqu’à la porte d’entrée et le bruit métallique d’une clé dans la serrure auraient pu être de bons indices. C’est son parfum qui lui a fait comprendre qu’elle venait d’arriver. Ce parfum dont il est amoureux depuis des années, celui qu’elle applique sur ses poignets et au creux de son cou à chaque grande occasion – leur dîner, ce soir. Ce parfum qui la représente si bien ; avec du caractère, mais finalement tellement agréable. Ce parfum et finalement, le bruit de ses chaussures qui claquent contre le sol. Un bruit léger, à peine audible, et pourtant si présent. Elle est là. Il lève le menton vers la porte qui joint l’entrée au salon, pour pouvoir la voir entrer en scène. Elle est bien là. Il serre fortement son alliance dans sa main gauche, comme si l’emprunte de sa bague dans sa paume pouvait le guider, lui indiquer quoi faire, que dire. Mais aussi personnifié soit-il, ce bijou ne parle pas, ne parlera jamais. C’est toi. C’est elle. La lumière du salon est toujours éteinte, il peut tout de même l’apercevoir grâce à la luminosité que dégage le grand téléviseur. La voir, la détailler plus qu’il n’a réussi à le faire quand elle est arrivée au restaurant ; sa tenue, le peu de maquillage qu’il arrive à distinguer à cette distance-là, son visage, ses traits fermés. Elle est là. Il aimerait être capable de se lever et d’aller la prendre dans ses bras ; dans le silence qui caractérise leur couple depuis deux ans maintenant. Il aimerait qu’elle accepte son étreinte, qu’elle se perde avec lui, qu’ils se retrouvent une bonne fois pour toutes. Mais quand il fait un pas vers elle, elle en fait deux à reculons. Alors il s’efforce de rester dans le canapé, respiration coupée, bague serrée, visage fermé. Elle est là. Elle est revenue, elle n’a pas souhaité passer toute la nuit loin de lui. Ce qui aurait dû être la raison de son bonheur se transforme en questionnements, en doutes, en malheur, finalement. Pourquoi est-ce qu’elle est là ? Et pour ce soir, ça ira très bien. Est-ce qu’elle a senti, elle aussi, que tout irait mal ? Est-ce qu’elle a compris qu’ils sont en train de tomber dans le trou qu’ils creusent depuis deux ans ? Est-ce qu’elle a envie de s’accrocher à toutes les branches, en est-elle seulement capable ? Trop de questions, jamais de réponses. T’es là. Elle est là, c’est un peu tout ce qu’il arrive à dire, c’est un peu tout ce qu’il est capable de comprendre.

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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyLun 20 Avr 2020 - 1:13


Olivia Marshall & @Jacob Copeland ✻✻✻ Le trajet n’avait duré que quelques minutes, à cette heure avancée de la soirée. Le taxi glissant presque silencieusement au coeur des avenues du centre-ville, des détours bien connus qu’il avait emprunté, consciencieux, désireux de faire les choses bien, de me mener à ma destination rapidement, sans encombre. J’avais observé les bâtiments défiler devant mes yeux sans ciller, me surprenant à espérer m’endormir, même, à plusieurs reprises, pour oublier, me retrancher, offrir au chauffeur appliqué l’occasion de poursuivre la course jusqu’au bout de la réserve s’il le désirait. Il m’avait vue hésiter avant de lui formuler une destination. Il s’était tu depuis, laissant au soin de sa radio en sourdine d’occuper l’espace, de remplir les silences. Les silences qui n’en étaient pas, comment auraient-ils pu l’être à Brisbane, en cette nuit encore presqu’estivale. Aux angles de rues, plusieurs fois, par la fenêtre ouverte, s’étaient échappés des chuchotements, des éclats de voix, de rire, des confidences d’alcôve, des morceaux nocturnes magnifiés par l’acoustique crépusculaire et la chaude fragrance des mimosas dans les ruelles à peine endormies. J’avais inspiré, longuement, expiré, lentement, tentant par la même occasion de chasser les traits insaisissables de Jacob de mon esprit sans que jamais mon cœur ne me le permette. Pas ce soir. Aucun soir. À la maison, à présent. Tu ne crois pas qu’il t’a assez vue ? L’interrogation était inutile, ses réponses ne cessaient de tournoyer dans mon esprit puisqu’il me les avait données, sans hésitation aucune, sans compromis soutenables. Partout ailleurs plutôt que chez nous. Partout ailleurs plutôt qu’avec lui. Pour ce soir, ça ira très bien. Je les avais mérités ces mots, j’en avais mérité chaque syllabe, chaque nuance, chaque sonorité, chaque intention. Et si parmi celles-ci se logeait celle de me blesser, elles y étaient parvenu. Et si parmi celles-ci se dissimulait celle de l’épargner, pourquoi n’en étais-je pas capable ? Je savais l’imagination qu’il lui avait fallu avoir, la tendresse dont il avait fallu se doter pour recréer un semblant de normalité, permettre à l’espoir de s’éveiller, de survivre, pour organiser cette soirée. Pour ne pas céder à ce que je laissais nous accabler, en tout instant. Le courage et l’âme qu’il avait fallu déployer pour tenter de nous constituer une image, la nôtre, celle d'avant. Celle de notre mariage. Une image différente de celle que l’on voyait se dessiner chaque jour à présent depuis deux ans déjà. Une image vouée à s’effacer lorsqu’au bout de ces tentatives vaines, ces essais voués à l’échec, il ne restait plus que moi et le désespoir ravageur, l’égoïsme constant. Je paraissais toujours ainsi, finalement, face à lui. Je ne parvenais jamais, jamais plus, à me mettre à sa hauteur. Il se hissait trop haut.

Le parfum sucré des arbres fruitiers de notre allée vint emplir de nouveau mes narines d’une douceur que j’avais de plus en plus de mal à supporter, inconvenante, déplacée, ignorante, et je fis quelques pas vers la chaussée avant de la traverser sans regarder. Tournant la tête, j’aperçus le chauffeur, phares éteints, bras ballotant par-dessus sa fenêtre grande ouverte, tison fumant au bout des doigts. Une cigarette pour se relancer, continuer ses pérégrinations solitaires au travers des ombres enveloppant les rues citadines. Il disparut à l’angle, bientôt, mais sa voix et les chansons qu’il avait fredonné dans la pénombre retentissaient encore sur les parois de mon esprit nébuleux. J’aurais souhaité attendre, moi aussi, encore quelques minutes, le temps de fumer une cigarette mais je ne les avais pas prises avec moi, pas ce soir. Ce soir, nous fêtions notre mariage. Ce soir, nous accrochions le nom de notre union à cette date précise sur le calendrier car ainsi, peut-être, était-il possible de nous souvenir non pas de notre amour, mais qu’il avait été célébré un jour et qu’il existait encore aujourd’hui, assez pour que l’on fasse cet effort. Celui d’oublier nos travers, celui de délaisser le bois de mes allumettes pour celui de nos noces. Les deux s’embrasant, pourtant. Les deux, sous mon impulsion. J’avais monté les marches menant à la porte sans m’en rendre compte, et la clé dans la serrure me signifia que je n’avais sans doute plus d’autre choix désormais, que je venais de m’ôter celui de m’éloigner sans qu’il n’ait jamais à savoir que je n’avais pas été capable de cela non plus : respecter sa demande, rester à l’écart. Les piétinements impatients de Loki bruissaient déjà derrière la porte et je le libérai de sa fébrilité en abaissant la poignée. Ma main vint se loger, doucement, dans les plis de ses oreilles, s’attardant sous son menton alors que je pénétrais dans une nouvelle obscurité. Une moins profonde, moins étoilée, plus artificielle également. La télévision était allumée et il était trop tard pour reculer. Je m’avançais déjà vers son éclairage, escortée par le chien, gaillard, qui ne tarda pas à retrouver son panier, apaisé sans doute de savoir ses maitres sous le même toit pour une fois. Je m’arrêtai pourtant, à plusieurs mètres, les clés entre les doigts, comme une échappatoire, une esquive encore possible que je lui laissais, à lui, que je n’avais pas voulu saisir aujourd’hui. Son regard m'attrapa, ne me laissant pas ployer sous le poids d’une indifférence pourtant méritée et je demeurais immobile. La lumière du téléviseur filtrée par la distance peignait son visage, redessinant les contours saillants de sa mâchoire et la fascinante saturation des couleurs dans ses mèches désordonnées puis sur le tissu de son haut me fit réaliser, lentement, qu’aucune ampoule n’était allumée dans la pièce. J’entrouvris les lèvres mais aucun mot ne me vint, craignant soudainement que ma voix ne s’élève dans le silence étouffé pour les mauvaises raisons, heurter son souhait, nous rappeler que j’avais failli, déjà, et que je l’avais fait, encore. « C’est toi. » Il s’y risqua alors, lançant ces quelques mots pour cristalliser une évidence, retrouver une contenance échouée, brisée sur le rivage de ses pensées. Je m’avançai d’un pas, de nouveau, en plissant les yeux car c’était moi, oui, et que j’étais revenue pour cela. Entendre les battements de son cœur dans une pièce silencieuse et m’assurer qu’ils perdurent, même s’ils ne m’étaient plus destinés. Pour ce soir. Pour demain. Pour combien de temps. Je ne savais pas quoi dire à présent, comment m’y prendre. La porte s’était ouverte et je m’étais attendue à trouver le salon vide, déserté, la chambre dans l’obscurité. Cela n’avait pas été le cas et un nouveau scénario s’était dessiné dans mon esprit, aussitôt. Celui de son visage renfermé, son regard dur et froid, son corps à distance, me rejetant de tout son être. Et ses mots, que j’oubliais déjà, me transperçant de leur implacable refus. Je les oubliais, oui, car ils n’étaient pas venus, finalement, pas encore et qu'il m'en présentait d'autres. C’est moi. Et mon souffle se perdait déjà.

« T’es là. » J’en suis désolée, Jacob. Je n’avais pas voulu choisir pour lui, m’imposer, choisissant cette fois-ci pour le faire, la seule où il m’avait expressément signifié son envie de l’inverse. Je n’avais pas voulu voir son visage déformé par la tristesse et la colère qu’il avait à mon encontre, celle dont j’étais l’initiatrice, la seule coupable. Mais pourtant, j’étais là et c’était déjà à mon tour de prendre la parole. « Où d’autre ? » soufflai-je alors, simplement. Je reprenais ses mots, plus tôt, en en détournant le sens. En en recréant un, pour ce soir. Suffisait-il de me demander de ne pas revenir pour que j’en éprouve le besoin pressant, la nécessité cuisante ? N’avait-il pas le droit de s’offusquer, également, de cette incohérence ? Bien sûr que si, j’étais prête à l’entendre. Je ne voulais pas te blesser, Jacob. Ni plus tôt, ce soir, ni maintenant. Je ne voulais pas revenir et briser l’équilibre qu’il avait imaginé sans ma présence. Je ne l’avais pas voulu, j’en avais eu besoin. Parce que d’équilibre, moi, je n’en avais aucun sans lui. Quoiqu’il en pense. Quoiqu’il s’imagine. Je me déchaussai, debout, perdant quelques centimètres tout à coup alors que le plat de mes pieds nus retrouvait le sol tiède du salon. « Tu voulais être seul, j’ai attendu. » C’était faux. Il avait appelé Amos, il avait trouvé la parade, pour me retenir, loin d’ici, loin de lui. Il l’avait appelé, ne sachant pas ce qu’il allait remuer non plus, de ce côté-ci. Et j’avais tenté de ne pas penser, de ne pas m’imaginer les raisons qui l’avait poussé à prendre cette décision. Désir de m’éloigner, de m’occuper, de m’offrir une raison de ne pas rentrer, de s’octroyer un instant, quelques heures, sans avoir à penser à moi, à s’inquiéter pour moi, à s’oublier pour rien. Je m’étais promise, en outre, de ne pas lui demander, de ne pas lui en parler non plus s’il ne m’interrogeait pas et mes lèvres demeuraient closes. Mon regard fut attiré, un instant, par les scènes absurdes de l’écran animé et je laissai mes doigts glisser sur le tissu de ma robe en réprimant un soupir. Je me trouvais ridicule, soudainement, de porter ce genre de vêtement après l’humiliation de la soirée, celle qu’il n’avait pas prédit, celle que j’avais provoqué moi-même mais qui me brûlait la peau tout de même. Mon apparence tout entière me semblait importune face à son immobilité. Ma présence également et je repris, d’une voix basse. « Je vais me changer. » Mais je ne bougeai pas, pas encore, comme si un mot de trop, un pas trop brusque, une intention trop hâtive, et tout disparaissait. « Je reste en haut, si tu préfères. » Il n’était pas trop tard, s’il le désirait, pour échapper à l’assourdissant silence de cette nouvelle année, au déchirement terrible de ces noces erronées. Les mots s’étaient échappés, seuls, sincères et sans amertume. Il pouvait acquiescer, je l’avais fait tant de fois, sans rien dire. Et la force me manquait, ce soir encore, de l’approcher sans précaution, de rester en bas s’il était en bas, de le rejoindre en haut s’il décidait de monter. Ma raison et ma douleur freinaient toutes mes pulsions, l’alliance des deux n'en finissant plus de me rendre inaccessible aux yeux des autres, aux siens aussi, mais démunie, au fond. Implacablement démunie.

 


solosands
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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyVen 24 Avr 2020 - 19:53

T’es là. Deux mots. Deux syllabes. Une multitude d’émotions, pourtant. À travers sa voix, à travers son regard, une énergie qui émane de lui, qu’elle ressent forcément. Il y a de la colère ; contre lui-même, contre Amos, contre elle, contre toutes les personnes qu’il y avait dans le restaurant, contre toutes celles en ville, contre le monde entier. Contre June. Contre le spectre de la mort, qui le chasse, le poursuit jusqu’à l’intérieur de sa maison. Il y a de l’incompréhension ; il ne pensait pas qu’un jour, il jouerait à ce petit jeu avec elle. Fuis-moi, je te suis. Suis-moi, je te fuis. Ils jouent au chat et à la souris depuis deux ans maintenant et les rôles n’ont jamais été inversés, il n’a plus jamais réussi à l’attraper. Pourtant, ce soir, c’est lui qui a voulu fuir ; et elle l’a suivi. Quand il se dérobait face à ses responsabilités, quand il avait enfin décidé de se laisser tomber. Elle l’a suivi. Et il ne sait pas si elle est là pour constater les dégâts qu’elle a causés, ou si elle l’est pour l’aider à se relever. Mais elle est là. Alors il est heureux, au fond ; l’amour rend aveugle, l’amour oublie tout, l’amour pardonne tout. Et il la trouve belle, ce soir. Et son cœur bat pour elle, encore. Alors, il est triste. Parce que l’aiguille plantée dans sa poitrine depuis son accident de la route l’écorche à chaque battement. Il a mal d’aimer. Et il s’en veut de ressentir ce qu’il ressent dès qu’il la voit, dès qu’il hume son parfum, dès qu’il entend la porte d’entrée s’ouvrir. Il est comme Loki, finalement, ses journées sont rythmées par un seul intérêt : avoir de l’attention de sa part, le fêter silencieusement quand ça arrive, et recommencer le lendemain. Mais pas ce soir. Et plus jamais, s’il le pouvait. Il la regarde longuement, son regard est fixe, ses yeux sont vides. Il ne sait pas quoi penser, il ne sait pas quoi dire. Alors il souligne l’évidence, comme si elle n’avait pas conscience de ses actes, comme s’il devait lui dire pour qu’elle s’en rende compte : t’es là. Oui, elle est là. Où d’autre ? Un sourire se forme sur les lèvres de Jacob, il n’a pourtant pas envie de rire. Partout. Elle pourrait être n’importe où, tant qu’il n’est pas dans les parages. C’est ce qu’il aimerait dire. C’est ce qu’il voudrait crier. C’est ce qu’il n’a même pas la force de murmurer. Son sourire vaut mille mots, mille maux. Il grimace plus qu’il n’exprime sa joie, ça se voit, ça se ressent. Tu voulais être seul, j’ai attendu. Il pense à Amos, à son coup de fil, au fait qu’elle a été occupée une bonne partie de la soirée. Ce n’est pas avec lui qu’elle passe certaines de ses nuits, il en est persuadé, il ne peut pas être jaloux. Mais il n’est pas confiant pour autant, pourtant, la question qui lui brûle les lèvres ne les franchira pas ; qu’est-ce qu’il s’est passé ? Rien. Il n’y a rien eu, comme toujours. Il n’y a jamais rien. Il acquiesce simplement, hoche la tête de haut en bas. Elle a attendu. C’est la seule réponse qu’il peut accepter, la seule qu’elle lui donnera dans tous les cas.

Il la regarde. Il n’a pas détourné une seule fois le regard depuis son arrivée dans la pièce. Comme s’il allait la perdre s’il regardait ailleurs. Comme si elle n’était qu’un hologramme, incapable de disparaître tant qu’il retient l’attention de quelqu’un. Il doit parler. Il doit dire quelque chose. Souligner l’effort qu’elle a fait en revenant, ce soir, même si ce n’était pas ce qu’il désirait. Accepter le fait qu’elle fasse un pas en avant, même s’il a préféré reculer, pour une fois. Mais il ouvre la bouche et rien ne sort. Je vais me changer. Est-ce une technique pour se défiler ? Pour aller à l’étage, pour qu’il reste dans le salon, pour qu’ils deviennent deux inconnus vivants sous le même toit ? Je reste en haut, si tu préfères. Nouveau sourire, mais cette fois ses pensées se transforment en paroles qu’il n’arrive pas à retenir. Comme si tu te souciais de ce que je préfère. C’est bas, à peine audible, pourtant c’est dit. Et le volume de la télévision n’est pas assez élevé pour couvrir le son de sa voix, et le silence de la pièce n’est pas assez lourd pour qu’elle ne l’entende pas. Il baisse les yeux, regarde le sol. Fais ce que tu veux. Il serre la mâchoire, relève les yeux, croise son regard. Capture son regard. Tu le fais toujours, non ? Une phrase dénonciatrice de tellement de méfaits, mais qui ce soir ne se porte qu’au fait qu’elle l’a rejoint alors qu’il n’en avait pas envie. Il souffle doucement avant de se replacer sur le canapé, bien face au téléviseur. Prêt à se plonger dans le bêtisier, prêt à l’ignorer, prêt à la laisser partir. Il se mord l’intérieur des joues pour que rien de plus ne sorte, pour que ça reste à l’intérieur. Le dur à prononcer parce que cruel à admettre, c’est ça, les vagues du silence. Il ferme les yeux une seconde, la seconde de trop ; il ne saurait pas dire si elle lui a dit quelque chose avant de monter à l’étage, mais elle n’est déjà plus là. Sa respiration se veut plus forte, désormais, saccadée ; comme s’il revenait d’un entraînement intense, comme s’il venait de courir un marathon. Ses discussions avec elle sont devenues un véritable combat, tant physique que mental. Parce qu’il souhaite la préserver au possible, parce qu’il essaie de se maintenir un maximum, parce qu’il y a trop de sujets qu’il n’a pas le droit d’aborder. Chaque mot est une carte à jouer, et chaque carte est une faiblesse mise en avant. Les silences, il n’y a que ça de vrai.

Il serre le poing une nouvelle fois, se fait mal avec son alliance, elle qu’il a oublié le temps d’un instant. Il ouvre sa main et la regarde, entourée des marques qu’elle a laissées dans la peau de son propriétaire. Comme un gosse qui découvre la boîte à bijoux de sa mère, il a envie de l’essayer, de voir si elle lui va, si elle est belle, si elle est à sa taille. Il a déjà la réponse à toutes ces questions et pourtant, il tente ; il refait glisser son alliance le long de son annulaire. Décharge électrique qui le pousse à se lever du canapé, à éteindre la télévision et à monter les marches deux par deux. Elle est là. Ça y est, il vient de réellement comprendre tout ce que ça implique. Il pousse la porte de la chambre, doucement, voit la lumière dans la salle d’eau reliée à celle-ci. Olivia… Il murmure, elle ne l’entendra pas, pas cette fois. Dans un silence glacial, il entre dans la chambre et va s’asseoir sur le lit. Il se sent comme un adolescent qui n’ose pas aborder la fille qui lui plaît, comme obligé de raser les murs des couloirs de l’établissement scolaire pour ne pas la croiser, pour ne pas se ridiculiser devant elle. Et qui, d’un coup, se sent capable de tout et se présente à elle pour l’inviter au bal de fin d’année. Il n’y aura pas de bal cette année, il le sait. Il fixe le sol, pourtant il sait quand Olivia revient à lui. Il entend le grincement de la porte ; ça fait des années qu’elle grince, il n’a jamais pris le temps de faire quelque chose pour ça, il sait que ça l’embêtait à chaque fois qu’il allait aux toilettes durant la nuit. C’était une blague entre eux, à un moment donné. Je suis là, moi aussi. Quelques mots soufflés. Il veut qu’elle le comprenne. Il a toujours été là, lui. Ce soir, hier, il y a une semaine. Il l’est toujours, il le sera toujours. Parce qu’ils sont mariés ; il lance un regard sur l’alliance qui a retrouvé sa place. Ils sont là, mais est-ce que ça veut encore dire quelque chose ? Tu as quelque chose à me dire ? La question ne sous-entend rien, et tout à la fois : elle pourrait lui dire ce qu’elle a fait avec Amos, ce qu’elle faisait pour arriver en retard, ce qu’elle a fait aujourd’hui, ce qu’elle voudrait faire demain. Juste lui parler, briser le silence et briser la glace, à défaut de briser leur mariage.

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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptySam 25 Avr 2020 - 23:01


Olivia Marshall & @Jacob Copeland ✻✻✻ Je savais. Je savais ce qu’il désespérait de vouloir dire, de vouloir me faire entendre, me faire comprendre. Je n’avais pas besoin de lire entre les lignes puisqu’il rendait la chose évidente. Puisque c’était comme si ses regards hurlaient à travers l’obscurité, venant atteindre l’exact creux de mon cœur pour ne plus avoir à se taire, plus jamais. Je t’en veux, Liv. Je t’en veux d’oser rentrer ce soir. Ce soir, précisément. Je t’en veux de rentrer quand je ne peux plus t’accueillir. Quand je ne veux plus t’accueillir. Et je lui en voulais de ne pas l’accepter. Tout était de ma faute, pourtant. Tout l’était toujours depuis que nous avions décidé de cette répartition des rôles mais ce n’était pas juste. Cette dernière s’était imposée à nous sans que nous ne la soumettions jamais à discussion. Cette dernière s’était abattue sur mes épaules sans que je ne sache comment m’en dégager, comment m’en excuser. Tout était de ma faute, oui. Car il en avait fait la demande mais que je n’en avais jamais eu besoin pour battre retraite. Il m’en voulait. Et je m’en voulais de penser cela mais peut-être était-ce une bonne chose également. S’il me le disait, s’il voulait me le faire comprendre, s’il décidait de me le faire savoir, enfin, c’était que cela lui importait. S’il m’en voulait, c’était parce qu’il s’autorisait à le faire comme je savais m’employer à l’inverse également. Je savais m’en moquer, je connaissais les oublis assumés, toujours plus faciles, plus confortables, plus endurables. Je les privilégiais, souvent. Et cela voulait souvent dire que cela ne m’importait plus. Bien sûr que je lui en voulais. À en mourir. À en revivre. Et je priais. Je priais pour qu’il m’en veuille au moins autant. Qu’il me le dise. Qu’il me le crie. Qu’il ne puisse plus se détacher, encore une fois, de moi, de mes manquements, de mes impairs, de mon regard. Il le soutenait d’ailleurs, et je respirais difficilement mais je respirais tout de même car le sien me suffisait. Car le sien m’avait été entièrement donné durant treize années, dans les nuances de bleu et de pourpre des ciels vénitiens, au lever du soleil jusqu’à son déclin, à chaque instant, à chaque seconde, et que je les avais tous pris, tous accepté comme une enfant ne sachant rien de la valeur des cadeaux qui lui étaient offerts. Je savais, à présent. Je me souvenais de nos silences lorsqu’ils n’étaient pas encore aussi pesants, lorsqu’ils ressemblaient davantage à des communions. Je me souvenais de tout, sans jamais lui montrer, sans jamais partager avec lui la chaleur de ces réminiscences. Alors je l’avais compris. J’avais saisi dans son intention, ce soir, le besoin de nous rattacher à ce qui demeurait inébranlable. À ce que nous ne pouvions oublier pour mieux pouvoir tenir car il n’y avait rien de plus immuable que la date d’un anniversaire. Et je savais également qu’il avait eu raison de s’en aller, raison de refuser de continuer d’inventer notre vie tout seul car personne ne le pouvait. Mais cela me retenait, à présent, à mon tour. Je laissais mon regard s’attarder sur son visage, encore un temps, avant de détourner les yeux, n’y tenant plus. Je me refusais d’aller à lui. Ses lèvres s’étiraient en un faible rictus, libre, enflammé par une amertume perceptible que je me refusais à affronter. Mes doigts s’étaient pressés contre le tissu de mon vêtement, machinalement, réalisant lentement que je n’étais pas la bienvenue, réellement. Pas assez pour que me risquer à quoique ce soit.

« Comme si tu te souciais de ce que je préfère. » Ses mots se détachèrent dans le silence sans y trouver sens à mes oreilles. Je les laissais se présenter à moi, lentement, comme des morceaux de tissus que j’acceptais de coudre entre eux sans harmonie aucune. Il valait mieux car je me connaissais, moi et ma propension à me braquer, à me raidir, à renchérir. Il valait mieux car son regard capturait le mien et que j’avais l’impression de le reconnaître, de ne pas vouloir y renoncer, pas tout de suite. Jamais. Mais il était trop tard, il prenait la décision à ma place, comme s’il avait réalisé, comme s’il me le refusait, détournant ses yeux pour les river sur le sol. Je trouvais cela injuste également, cette union incapable de durer plus de quelques secondes, et ce manque, instantané, immédiat, donnant l’impression de pouvoir demeurer ainsi longtemps, vif et aigu. « Fais ce que tu veux. » Je fronçais les sourcils car rien n’était aussi simple. Rien ne l’avait plus jamais été. « Tu le fais toujours, non ? » Mais qu’il ne s’en rendait pas compte, de toute évidence. Incapable de réaliser ce que je ne savais plus faire comprendre. Jour après jour, soir après soir, jusqu’à maintenant où j’observais mon mari, dans la même pièce que moi, à quelques mètres pourtant, à quelques mètres seulement sans que je ne sache m’en approcher. Et il était insensé de vouloir lui dire qu’il s’agissait là de ce que je désirais réellement, qu’il me retienne, qu’il ne me laisse pas partir mais je n’y pouvais rien. J’étais démunie face à l’absence de June, toujours plus criante, m’empêchant de me rapprocher, me condamnant à le regarder s’éloigner à la place. « Tu crois ? » laissai-je échapper en un souffle sans doute inaudible, d’autant plus lorsque celui-ci glissa d’entre mes lèvres alors que je me détournais déjà, retrouvant machinalement l’escalier qui menait à l’étage, à notre chambre. Mon regard se posa sur le lit et je pus le sentir, une nouvelle fois, mon cœur se serrer en réalisant que l’idée d’y dormir n’arrivait pas à m’apaiser. Je m’en détournais également pour rejoindre la salle de bain dont je fermais la porte avec soin derrière moi, mes mains fébriles parcourant le mur pour y trouver l’interrupteur sans hésiter, sans chercher. La lumière aveuglait déjà mes yeux habitués à l’aube d’une nouvelle insomnie qui n’en finissait jamais. Je laissais mes doigts s’accrocher au bois du meuble adjacent, soufflant lentement l’air qui assiégeait mes poumons, tentant avec difficulté de retrouver une contenance, mes esprits à défaut du reste. À défaut de tout le reste, éparpillé, demeuré sûrement en bas, avec lui, sans jamais qu’il ne s’en rende compte. Le port de ma tête était instable mais je tentais de me redresser comme à mon habitude, désireuse d’oublier ce qui s’était le plus rapproché d’une confrontation sans que cela ne le devienne tout à fait, pourtant. Jamais tout à fait. Des moitiés de regards, des moitiés de sourires, de gestes et de caresses, de présences et d’absences. Même nos reproches ne l’étaient plus tout à fait. Et je ne pouvais pas me laisser aller aux miens s’il retenait les siens mais c’était ce qu’il faisait, toujours. Les perles d’eau glissaient sur mes doigts dégagés, vides, avant d’égoutter l’essence de mon âme au creux de la vasque. Je cherchais alors, sans même le réaliser, le contact de mon alliance contre ma poitrine, au bout de la fine chaine dorée qui ne m’avait jamais quittée, dérobée aux regards des autres. Au mien, parfois, sans que jamais je ne cesse pourtant d’en ressentir le poids. J’ôtais le reste, les artifices, ceux qui ne parvenaient même plus à masquer la plupart de mes tourments, ceux qu’il n’avait pas remarqué de toute façon, pourquoi l’aurait-il fait.

Et je prenais mon temps en sachant pourquoi. Je prenais mon temps car si ces deux dernières années m’avaient dépossédée de tout, elles m’avaient permis une chose. Celle de reconnaître les silences de la maison. Les silences des absences. Les silences des remords. Ceux des inimitiés et ceux des tourments. Et celui-là. Celui de l’attente. Celui de sa présence, juste derrière la porte. Et je pouvais me concentrer pour entendre autre chose, l’écoulement de l’eau qui prit fin dans un murmure lorsque je la coupais ou le grincement de la porte semblable à une musique désarmante à laquelle je mis fin, aussitôt, cela ne suffisait pas. Mes yeux verts glissèrent jusqu’aux draps blancs du lit, jusqu’à sa silhouette qui s’y trouvait déjà, jusqu’à ses pupilles tant aimées qu’il m’offrait de nouveau sans que je ne sache les accepter. « Je suis là, moi aussi. » Je fronçais les sourcils, cette fois-ci, sans pouvoir m’en empêcher alors que je me dirigeai vers l’une des commodes, laissant mes doigts s’égarer dans mes cheveux pour les libérer, totalement. « Tu es parti. » le repris-je sobrement, comme si cela suffisait à estomper le reproche à peine dissimulé. J’étais venue et il s’en était allé. Il m’avait laissée, là. Dans cette robe que je ne parvenais pas à retirer, la fermeture inaccessible car je n’avais jamais su les descendre seule. Cela l’amusait autrefois, à chaque fois, lorsque j’acceptais son aide en me sentant obligée, tout de même, de clamer mon indépendance. « Tu as quelque chose à me dire ? » J’ouvris un tiroir, au hasard, m’employant à y chercher quelque chose à présent que cela était fait, quoique ce soit, n’importe quoi pour ne pas avoir à lui faire face. Il me posait une question et je pouvais entendre en celle-ci l’ombre de toutes les autres mais je n’avais pas de réponses, seulement des erreurs, toujours des erreurs, à la commissure de mes lèvres. « Je ne sais pas. » Et je fermais le tiroir, sachant sur l’instant que je ne prenais pas la bonne décision en me retournant vers lui, laissant planer le silence une seconde pour retrouver son regard en haussant les épaules. « Si je peux dire quelque chose qui ne se retournera pas contre moi.» Je parlais et ça n’allait pas. Je me taisais et ça n’allait pas. Je venais, je partais, je rentrais, je disparaissais. Ça n’allait pas. J’occupais le même rôle, toujours. Le mauvais. Sans que cela ne semble jamais atténuer sa patience, comme s’il attendait d’accumuler assez d’entorses de ma part pour s’éloigner, définitivement. « Tu m’en veux. » laissais-je échapper après quelques secondes, en retrouvant le soutien du meuble dans mon dos. Tu m’en veux. Je ne le désirais plus comme avant puisque la douleur avait pris son temps mais qu’elle régnait, désormais. Tu m’en veux, encore. Et la virgule était importante car elle marquait l’épuisement, l’accent mis sur une infinie répétition. « Pour être arrivée en retard ou pour être venue tout court, je n’en sais rien. » précisais-je à voix basse car la réponse demeurait incertaine, réellement, mais qu’elle menaçait de m’éteindre, de m’accabler définitivement. Tu m’en veux encore mais nous arrangerons les choses, n’est-ce pas ? Toutes les réponses menaçaient de le faire.  


 


solosands
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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyMer 6 Mai 2020 - 22:13

Derrière cette porte, le silence est criant. Assourdissant. Plus lourd qu’un camion, qu’un avion, qu’une maison, que les trois réunis. Trop lourd pour respirer convenablement. Trop lourd pour ne pas craindre le moment où il sera interrompu, pour ne pas craindre le moment où les voix résonneront plus fort que lui dans les oreilles de Jacob. Avant, il n’avait pas peur de ce que pouvait lui dire Olivia. Il acceptait ses reproches sans broncher, parce qu’il n’y avait rien de concret là-dedans : un repas brûlé, un lave-vaisselle plein mais pas lancé, une machine à laver mal programmée. Des futilités. Des disputes enclenchées seulement pour se défouler, crier quelques minutes sans réellement être énervé et se réconcilier sur l’oreiller. Aujourd’hui, il n’y a plus rien de tout ça. Le silence est le seul à crier, désormais. Et il fait mal, beaucoup plus mal que les véritables injures. Il préférerait entendre Olivia l’insulter, le rendre coupable de tout ce qu’il s’est passé, lui dire que tout est terminé, que rien ne sera plus jamais comme avant. Que leur mariage était une troisième personne dans la voiture, ce soir-là, et qu’il est parti au ciel avec June. Mais elle ne dira rien, jamais. Peut-être même qu’elle ne le pense pas. Peut-être qu’il est le seul à croire tout ça. Et pourtant, quand elle inspire un peu trop fort, quand il sent qu’elle va prendre la parole, il a peur. Peur qu’elle se déchaîne, peur qu’elle arrête de s’isoler, peur qu’elle arrête de se mettre des barrières. Peur qu’elle s’exprime, peur qu’ils arrêtent leur guerre froide, peur qu’ils se la déclarent réellement. Peur de la perdre, plus qu’il ne l’a déjà perdue, si les mots viennent à faire plus mal que les silences. Alors c’est lui qui prend la parole en premier, il est là, lui aussi. Il est là et il ne bougera pas, jamais. Il n’a pas besoin de le dire, elle l’entend à travers son regard, à travers les battements de son cœur, qu’elle aurait pu voir battre la chamade s’ils avaient été dans un dessin animé. Il est là, il aimerait être ailleurs, pourtant. Il aimerait partir, ne plus avoir à revenir sous ce toit, ne plus souffrir à chaque fois qu’il ouvre la porte d’entrée, à chaque fois qu’il se confronte au vide alors qu’il s’imaginait déjà tomber sur une June courant dans tous les sens. Il voudrait partir, loin. Lui prendre la main et s’en aller, parce qu’il n’arriverait pas à tenir plus de deux minutes sans Liv à ses côtés. Même si tout a changé, même s’il pense que ça ne finira jamais par se tasser, il sait qu’il n’y arriverait pas. Il est là, lui aussi. Il est là, et peut-être que ce n’est pas suffisant du côté de sa femme non plus.

Tu es parti. Il était là, mais il est parti. C’est plus discret que la balle d’un silencieux, plus douloureux que celles d’un fusil à pompe. Il a l’impression d’avoir été touché en plein cœur, transpercé de part en part. Il est parti. Il aurait aimé être capable de rester. Il aurait aimé pouvoir se lever, l’embrasser, tirer sa chaise pour qu’elle s’asseye et lui dire ô combien elle était belle ce soir. Il aurait aimé en être capable. Mais il n’a pas réussi à faire semblant, il n’a même pas essayé. Pas ce soir, pas encore. Et il sait qu’il ne doit rien ajouter, que ce serait injuste de sa part de renchérir là-dessus. Il sait que  tout acte a une justification : s’il est parti, c’est parce qu’elle est arrivée en retard. Et s’il prend des raccourcis dans le dénouement de cette histoire, si elle est arrivée en retard, c’est parce que June est décédée. Il arrive à ce résultat à chaque fois qu’il pense à tout ce qu’elle fait. À chaque fois qu’elle fait quelque chose qui lui déplaît, à chaque fois qu’elle ne rentre pas à la maison, à chaque fois qu’elle se refuse à lui et à ses discussions : il arrive à la comprendre. Si elle est partie à la dérive, si elle coule, c’est parce que June n’est plus là. Et il n’a pas le droit de lui reprocher, tout comme elle ne peut pas l’accuser d’être parti. Alors le silence ponctue cette discussion-là. Il est parti, c’est tout. Est-ce qu’elle a quelque chose à lui dire ? Hormis cela. Tout, rien. Elle se retourne, ouvre un tiroir et fouille à l’intérieur pour y trouver son bonheur : du temps, une échappatoire. Tout, sauf la vérité. Elle fuit, sous ses yeux. Prise au piège entre les quatre murs de sa propre chambre, là où devrait se  trouver son bonheur. Dans cette maison où les éclats de rires se sont transformés en sanglots silencieux, où plus rien ne saurait les rendre heureux. Elle fuit, et il aimerait lui prendre la main pour fuir avec elle. Encore. Mais c’est de lui qu’elle essaie de se défaire. Il inspire alors qu’elle se retourne vers lui pour le confronter. La vérité, ou rien. Si je peux dire quelque chose qui ne se retournera pas contre moi. Il se mord l’intérieur des joues pour tenter de rester de marbre. Il s’en veut.  Tu m’en veux. Il lui en veut. À elle, et au monde entier. Il hoche sa tête de haut en bas, confirme ses propos. Pour être arrivée en retard ou être venue tout court, je n’en sais rien. Aucun des deux. Il répond sur le même ton qu’elle, comme si sa voix s’était éteinte à force de se taire dans le silence. Il se racle la gorge et se lève du lit, sans pour autant avancer. Il reste sur place, seul son regard bouge : de haut en bas, il regarde sa femme. Celle qu’il aime plus que tout. Tout ou rien. Les sentiments aussi jouent à ce petit jeu. Je t’en veux, oui. Et il ferme les yeux pour ne pas voir les dégâts, comme s’il venait de lancer une grenade sur Olivia. Il ferme les yeux, parce que le dire à voix haute rend la chose plus réelle, le rend coupable. Pourtant, il sait qu’elle le sait depuis longtemps. Et lui comme elle savent que ça ne date pas de ce soir, que ça ne concerne pas que ce dîner. Que la rancœur est le troisième membre de leur famille depuis de nombreux mois, peut-être plus d’une année maintenant. Et que s’il arrêtait de lui en vouloir, il arrêterait de tout ressentir, parce que les sentiments négatifs restent des sentiments. Tout, ou rien. Et que depuis deux ans, il a plus de raisons de lui en vouloir que de l’aimer.

Il fait un pas en avant, puis un autre, et un encore un autre. Son corps frôle le sien, et il peut sentir le souffle chaud de Liv s’écraser contre la peau de son cou. Une proximité rare, qu’ils ne connaissent pas depuis – trop – longtemps, qui lui manque atrocement. Son regard se noie dans le sien, encore. Il aimerait qu’elle ne le sauve pas, qu’elle le laisse couler, pour elle. Il laisse aller l’une de ses mains sur la taille de son épouse, un contact brûlant, qui pourrait presque le blesser. Qui le heurte, à l’intérieur, qui le bloque. Mais ses mots sortent quand même, se dégagent d’entre ses lippes. Je t’en veux de ne pas avoir voulu venir du tout. Il le savait quand il a organisé ce dîner, il avait le numéro du restaurant en numéro prioritaire, prêt à annuler n’importe quand. Il n’attendait qu’un mot, qu’un signe de sa part, pour laisser tomber et lui dire qu’ils resteraient à la maison. Pour lui dire qu’ils ne sont de toute manière plus capables de célébrer quoi que ce soit, et encore moins leur amour. Pas depuis que le fruit de celui-ci s’est envolé. Pas depuis qu’il n’y a plus rien, à part leurs alliances, qui prouve leur union. Je t’en veux de ne pas avoir su me le dire. Il lui en veut de ne jamais rien lui dire. Elle n’est pas capable, et il n’arrive plus à le comprendre. Il a pourtant essayé – et partiellement réussi – durant deux années. Mais aujourd’hui, il n’y arrive plus. Il passe sa main dans son dos, la remonte jusqu’à ses omoplates. Je t’en veux de croire que tu dois tout endurer seule. Il attrape la fermeture éclair et la fait descendre lentement dans son dos, un supplice qui ne s’achève qu’au bout de longues secondes. Elle aurait réussi à le faire seule, au final, il le sait. Mais il y tenait. Parce que avant, c’était une habitude et que avant, il n’avait pas autant de sentiments contraires qui se battaient à l’intérieur de lui-même quand il le faisait. Je t’en veux pour beaucoup de choses, pas seulement parce que tu es arrivée en retard. Des non-dits qui aujourd’hui ont trouvés une voix pour être exprimés. Qui aujourd’hui, vont faire écho dans le crâne de Jacob pour l’éternité. Il relâche sa main, fait un pas en arrière pour qu’il y ait à nouveau une distance raisonnable entre eux. La distance qu’il y a depuis trop longtemps maintenant. Liv, je… Il pourrait dire encore tout un tas de choses, mais il ne sait pas. Je vais aller dormir en bas, je pense. Reste ici, reposes-toi. Il y a plusieurs chambres inoccupées dans cette maison, mais c’est symbolique d’aller sur le canapé quand ça ne va pas bien. Ça montre que leur couple se brise, que leur couple ne résistera plus très longtemps à tout cela. Il a pourtant envie qu’elle le retienne. En fait, il n’a pas envie d’aller dormir en bas. Il ne bouge même pas. Et à l’intérieur, il lui hurle de faire quelque chose, tout, n’importe quoi, de ne pas laisser le silence le briser encore une fois.

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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyJeu 7 Mai 2020 - 23:42


Olivia Marshall & @Jacob Copeland ✻✻✻ Lui non plus ne savait pas comment s’y prendre, j’en étais consciente. Je faisais mon possible pour ne pas forcer mon regard au sien trop longtemps, le détourner ailleurs, mais où ? Notre chambre ne m’accueillait plus de la même manière non plus. Je le comprenais, j’avais été la première à l’abandonner mais ne pouvait-elle pas comprendre ? Ne pouvaient-ils pas comprendre que je ne savais plus comment m’y prendre lorsque chacune des pièces, chacun de nos meubles, chacun de nos murs ne cessaient de me renvoyer à ce que nous ne possédions plus, théâtre d’une vie désormais révolue, témoignage de ce que nous n’arrivions plus à recréer. Ses expressions, pourtant, continuaient de se confondre avec mes souvenirs, avec notre histoire, avec ce qu’il ne s’était pas encore résigné à abandonner ou pas totalement. Sa dévotion à la dignité, son élévation à la tolérance, son amour envahissait mes veines mais je ne parvenais pas à y retrouver leurs lueurs réconfortantes. Je refusais de m’emprisonner dans les promesses d’un avenir meilleur. J’étais devenue cette apprentie maîtrisant la douleur sans panache aucun, suffisamment bien néanmoins pour ne plus vouloir la faire disparaître, l’attirant au fond de mon abysse comme si la lutte et le conflit étaient devenus notre seule raison de vivre. De survivre. De perdurer. Nous avions su pourtant. Nous avions toujours su nous comprendre, nous confier, nous libérer des poids nous encombrant l’esprit et le cœur. Nous avions toujours su nous lire sans un regard, nous entendre sans une parole, nous pardonner sans nous en vouloir. Nous avions su nous aimer. Mais face à face, piégés dans une immobilité qui ne nous ressemblait pas, qui n’était pas nous, le nous d’avant, le nous que nous étions incapables d’abandonner, incapables de délaisser, il me paraissait impossible de me souvenir comment. Il me paraissait impossible de me souvenir quoique ce soit d’autre que ces millions de visages rôdant autour de mes pensées, s’emparant de mes songes, refusant de délaisser mon cœur. Et je ployais sous le poids de chacun d’entre eux avant de réaliser que tous, tous étaient en fait celui de notre enfant. Tous étaient en fait celui de notre fille à qui nous avions survécu. Tous étaient celui qui ne cesserait jamais de me rappeler que je n’avais pas pu la sauver. La culpabilité me rongeait jusqu’à la moelle lorsque je cessais de m’en rappeler. La culpabilité étreignait ma gorge lorsque, en un regard sur mon mari, je me souvenais l’aimer, l’aimer plus que tout, l’aimer assez pour espérer, l’aimer assez pour oublier, omettant justement à ces instants que rien ne nous permettrait jamais d’oublier, me raccrochant toujours au fait que le risque me paraissait pourtant trop grand. Tu ne trouves pas ça absurde, toi, que le risque soit aussi important ? À présent que le plus grand de tous, le plus effrayant de tous, s’était déjà produit ? Que nous restait-il à perdre ? Rien, tout. Tout s’il m’en voulait, encore. Dis-le, je t’en prie. « Aucun des deux. » Sa voix résonna jusque dans mes os, parcourant mes veines, faisant palpiter mon cœur abîmé. Je dus me faire violence pour ne pas laisser mes lèvres s’entrouvrir, délaissant des mots que je n’aurais pas pensés, des mots pour changer cela, des mots pour qu’il ne s’arrête pas, pour qu’il ne se taise pas de nouveau, m’assurant que tout allait bien, qu’il ne m’en voulait pas, qu’il ... « Je t’en veux, oui. » Il ferma les yeux à cet instant et je pus l’observer, moi. Parcourir son visage sans en avoir honte, retrouver ses traits sans avoir à m’en excuser, respirer de nouveau sans me dérober. Cela faisait mal un soulagement pareil. C’était douloureux, atrocement, d’entendre les mots tant redoutés, tant espérés car la faute était restée suspendue entre nous, lourde et inexprimée, depuis de si nombreux mois déjà qu’elle sembla s’abattre sur mes épaules sans ménagement aucun, revancharde du temps qu’il lui avait fallu pour me l’accorder ce soir.

Je bougeais à peine, ne reculais pas lorsque lui, lui pourtant, avançait lentement. Incapable de faire le moindre mouvement également lorsqu’il me rejoignit finalement, s’arrêtant à quelques centimètres de moi, centimètres qu’il s’acharna à réduire en millimètres sans précaution aucune. Son souffle se perdit entre les mèches de mes cheveux et je m’en voulus, aussitôt, de chercher à le toucher. Je m’en voulus de vouloir le sentir contre ma peau, me souvenir de sa chaleur, de ses caresses sur mes joues. Je m’en voulus mais je relevai tout de même mon regard pour accrocher le sien. Je m’en voulus mais ce n’était plus grave lorsque, soudainement, je me surpris à lui en vouloir davantage, lui et ses doigts venant effleurer le contour de ma hanche, lui et cette main venant s’attarder sur ma taille, reprendre ses droits sur le reste, tout le reste, l’entièreté de mon corps soudainement brûlant. « Je t’en veux de ne pas avoir voulu venir du tout. » Tu n’avais pas le droit de m’y forcer. Les émanations d’une colère latente, tenace, se consumaient dans ma poitrine sans que je ne puisse me dérober de sa prise, sans que je ne sache plus réellement si j’en avais envie. Chaque souffle qu’il versait sur ma peau me rappelait ce que nous ne nous permettions plus, ce que j’abandonnais depuis de trop nombreux mois, ce que je n’étais plus certaine de mériter. « Je t’en veux de ne pas avoir su me le dire. » Je n’avais pas voulu lui dire. J’avais voulu attendre d’en ressentir l’envie, d’en ressentir la force. Attendre de trouver les réponses que lui semblait avoir car il donnait l’air de les posséder, toutes, et de ne m’en laisser aucune. J’avais fini par venir, incapable de me résigner à lui imposer de nouveau le silence de mon absence. Mais cela n’avait pas été non plus et je ne lui en voulais pas, non, pas pour cela. Il avait raison, dans le fond. Il y avait tant de choses que je voulais murmurer à son oreille, tant de choses qu’il refusait d’entendre également sans même s’en rendre compte. Nous tournions les talons, à deux, nous nous enfuyions, à deux, et toutes ces choses-là n’avaient plus d’autres choix que de mourir sur nos palais meurtris. « Je t’en veux de croire que tu dois tout endurer seule. » Sa main s’égarait à présent au creux de ma nuque, affleurant mes omoplates et je trouvais cela étrange de m’en rendre compte, de pouvoir discerner exactement l’endroit où elle se trouvait, l’endroit qu’elle reconnaissait car j’avais l’impression de la sentir partout ailleurs. Ou peut-être était-ce moi, seulement. Peut-être étais-je la seule à vouloir le sentir contre moi, à vouloir me souvenir de son corps dont le manque me crucifiait, la seule à m’accrocher à ma douleur pour freiner toutes mes pulsions. J’usais déjà de toute mon énergie pour me tenir face à lui, n’en ayant plus aucune pour assumer le reste, consciente de pouvoir m’effondrer à bout de souffle si sa main ne s’enfuyait pas à présent que la robe était défaite. À présent qu’elle nous avait remémoré ce qui avait été et n’était plus, les images du bonheur d’avant capables de nous dévaster à tout instant. « Je t’en veux pour beaucoup de choses, pas seulement parce que tu es arrivée en retard. » Il s’éloignait déjà, ou seulement maintenant.

Il s’éloignait déjà mais je sentais encore l’empreinte de ses doigts sur chaque parcelle de ma peau effleurée et je me demandais s’il la ressentait également, cette sensation d’avoir été brûlée au fer rouge, regrettant que la douleur s’estompe car la nouvelle se révélait déjà être pire. « Liv, je… » Ne le dis pas. Autre chose mais pas ça. Autre chose mais pas un repli, encore. Je les entends pourtant les mots, avant même qu’ils ne surviennent. Et je sentis la rancune marteler avant même que je ne l’y autorise, au bout de mes doigts, au bord de mes lèvres, tout contre mes tempes. Il allait partir, de nouveau, se réfugier dans la fugue que je m’étais pourtant accordée trop de fois auparavant pour lui en vouloir de faire de même et pourtant. « Je vais aller dormir en bas, je pense. Reste ici, reposes-toi. » Je secouai la tête, lentement. « Je ne peux pas. » L’aveu d’impuissance m’échappa des lèvres, s’appliquant à trop de choses à la fois pour que je ne sache poursuivre sur ma lancée. Je ne le trouve plus, le repos, quand tu es si proche mais pourtant si loin. Je laissais mon regard s’attarder une seconde dans le sien avant de me remettre en mouvement finalement, abandonnant la commode dans mon dos pour le contourner, le délaissant dans mon dos alors que je retrouvais la salle de bain et son obscurité. La salle de bain ne me protégeant pas de son regard, la porte entrouverte, m’en donnant l’illusion néanmoins alors que je laissais tomber la robe au sol comme un vêtement que je n’étais plus capable de porter, de supporter, d’assumer. J’arrangeai à peine mon haut relâché sur mon épaule dénudée, avançant de nouveau dans la luminosité de la chambre. « Tu n’es pas fatigué ? » laissai-je échapper en inspirant avec peine. « De faire ce qu’il faut, de dire ce qu’il faut, d’être là où il faut. » Je n’étais pas claire, je n’allais jamais savoir l’être, j’en avais perdu l’habilité. « Il n’y a que toi et moi ici. » Il pouvait arrêter de faire semblant, cesser de me présenter ce visage auquel il ne croyait même plus, il me l’avait démontré ce soir. « Tu m’en veux, bien. Dis-le avec plus de conviction. » Je m’approchai d’un pas, le regard plus assuré, le regard qui ne quittait plus le sien et l’intonation dans ma voix qui ne faiblissait pas, qui s’imposait à nous. « Continue, dis quelque chose, n’importe quoi, mais Jacob ... » m’arrêtais-je un instant pour peser mes mots car les siens me revenaient en plein cœur et que je les refusais. « Ne t'en va pas quand il m’a fallu tout ce que j’ai pour revenir. » Je lui refusais, moi, le droit de partir. Je lui refusais le droit de se taire, encore. Pensait-il être le seul à transfigurer les contraires ? J’étais capable de l’aimer et de lui en vouloir avec la même volonté, le même degré d’attachement, la même véhémence. J’en serais toujours capable, et plus encore, s’il me montrait enfin ce qu’il cachait sous ses couches de silence et la souplesse de son pardon. 


 


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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyMer 13 Mai 2020 - 20:15

Reste ici, reposes-toi. Silence dans la pièce, hurlements dans sa tête. Retiens-moi. Les secondes s’écoulent lentement. Une ; il est prêt à ouvrir la porte et dévaler les escaliers. Trop lentement. Deux ; partout plutôt que chez eux, finalement. Sa mâchoire se crispe, ses muscles sont tendus. Trois ; et s’il se retournait ? Et s’il ne lui donnait pas le choix, s’il arrêtait de se montrer faible, s’il arrêtait de lui demander de le retenir, s’il imposait sa présence, s’imposait à elle sans qu’elle ne puisse le repousser ? Il est en est incapable. Quatre, cinq, six, sept, et finalement des millions en l’espace de quelques-unes ; je ne peux pas. Et ça, ce n’était pas le bruit tumultueux de ses pensées. C’était la voix de sa femme, forte, limpide. Elle ne peut pas. Et si son sourire ne sait pas se former sur ses lèvres, il sait faire battre son cœur plus rapidement. Ce n’est pas qu’elle ne veut pas, c’est qu’elle ne peut pas. Elle ne peut pas rester ici, elle ne peut pas se reposer, mais avant tout : elle ne peut pas le laisser partir. Il la suit du regard quand elle le contourne, ne le détourne pas quand elle entre dans la salle de bain pour retirer sa robe. Il pourrait avoir les yeux fermés que sa vision serait la même : il sait chaque parcelle de son corps, l’effet de sa peau sous ses doigts, celui de son souffle dans le creux de son cou. Il la connaît par cœur. Et pourtant, il aimerait pouvoir oublier tous ces détails, oublier qu’aujourd’hui il n’y arrive plus. Oublier qu’il y a quelques secondes encore, ses doigts brûlaient au contact de son échine, et que l’interdit lui glaçait le cœur. Comme s’il avait été infidèle. À elle, à ce qu’ils avaient été autrefois, à leur amour. Il s’approche de la porte, son but est différent cette fois-ci. Il la referme. Derrière eux, sur eux : il ne sait pas vraiment. Il s’adosse à elle, les mains dans le dos, le regard de nouveau braqué sur Liv. Elle revient à lui au bout d’une éternité qui n’en était pas vraiment une. Enfermée avec lui, obligée de parler. Même si ce qu’elle dira peut se retourner contre elle, même s’il lui en veut. Tu n’es pas fatigué ? De faire ce qu’il faut, de dire ce qu’il faut, d’être là où il faut. Ses yeux se perdent sur ses lèvres, qui se mouvent en mots qu’il n’arrive pas à intégrer. Pas tout de suite, du moins. Il n’y a que toi et moi ici. Ils ne seront jamais que tous les deux. Il y aura toujours la culpabilité qui les accompagnera. Elle et ses grandes copines : la colère, la tristesse, la rancœur, puis leur meilleur ami à toutes, le deuil. Des sentiments personnifiés, qui sont là pour leur mettre un coup derrière la tête dès qu’ils pensent à un instant de bonheur. Eux, et June : son fantôme, dans leur cœur, au fond de leurs yeux, toujours dans leurs pensées. Alors oui, physiquement parlant, il n’y a qu’eux. Mais au-delà de ça, ils ne seront plus jamais seuls. Tu m’en veux, bien. Dis-le avec plus de conviction. Ça ressemble à un ordre, c’en est peut-être un. Sa voix est plus grave, son ton est plus ferme, et elle s’approche de lui. C’en est sûrement un. Continue, dis quelque chose, n’importe quoi, mais Jacob… Ne t’en va pas quand il m’a fallu tout ce que j’ai pour revenir.

Les mots d’Olivia sonnent comme une mélodie dans le crâne de Jacob. Ils se percutent les uns aux autres et forment un refrain incompréhensible, avec des tonalités plus différentes les unes des autres. Tantôt plaisantes, tantôt tragiques. Il soupire faiblement avant de secouer son visage. Ça veut rien dire. Son regard se dirige vers un point invisible qu’il y a au sol. Pour ne pas la regarder, elle. Pour ne pas se perdre entre ce qu’il aurait envie de dire et ce qu’il est en droit de dire. Le fait qu’il n’y ait que toi et moi ici, ça ne veut rien dire. Il se pince les lèvres un court instant, il sait où il veut en venir, mais il n’arrive plus à lui parler comme avant. Avant, il savait la gérer, elle et ses émotions, elle et son caractère. Aujourd’hui, elle est plus imprévisible que jamais : et il n’aurait pas cru que ce serait possible. C’est justement parce qu’il n’y a que toi et moi que je ne peux pas te faire de reproches, ou te dire que ça va mal, ou juste me laisser aller. C’est elle qu'il cherche à préserver, pas l’image que les autres ont d’eux. N’importe qui serait capable de comprendre ce que je ressens. C’est normal d’aller mal quand on perd son enfant, non ? C’est une vraie question, pas une question rhétorique. Est-ce que c’est normal tout ce qu’il ressent ? Est-ce qu’il a raison de tout garder à l’intérieur de lui-même, ne devrait-il pas l’expulser une bonne fois pour toute ? Et ça fait mal, trop mal, de le dire à voix haute. Il cherche toujours des parades pour parler de la mort de June sans que ce soit clair, mais tout en se faisant comprendre. Là, il l’a dit : ils l’ont perdu. Elle n’est plus là. Elle veut qu’il lui dise ce qu’il pense avec plus de convictions. Qu’il reste, mais qu’il parle. Il relève ses yeux, c’est de plus en plus dur de la regarder, de plus en plus dur de supporter ses yeux qui le scrutent. Il voit un cocktail de sentiments à l’intérieur de ceux-ci, alors qu’à une époque, il n’y voyait que de l’amour. Tu veux que je te le dise avec plus de conviction. Bien. Je t’en veux d’avoir pris ce rôle. Et cette fois, sa voix ne tremble pas : il lui en veut réellement, et il aurait presque pu hausser le ton. Mais ce n’est pas un reproche, ils l’ont fait involontairement tous les deux. Tu passes ton temps à tomber, et je passe mon temps à te rattraper. Tu peux le faire les yeux fermés, mais moi ? Si je me laisse aller, tu seras là ? C’est l’une des premières fois qu’il exprime des doutes à son égard. Il n’est pas sûr qu’elle soit là pour lui, si jamais il tente d’inverser les rôles. Il est même persuadé du contraire, c’est pour ça qu’il fait de son mieux pour être celui qui garde la face, depuis deux ans. Et ça fait du bien de l’exprimer enfin, même si ça fait mal, au fond. Ça fait mal d’en arriver là. Ça fait mal de se résoudre, de ne pas avoir su arranger les choses dans le silence, sans que ça se sache réellement. Pour lui aussi, un tel soulagement fait du mal. Tu te trompes si tu penses que je le prends mieux que toi, ou que je fais comme si c’était le cas pour les autres. C’est pour toi, Liv. Il reste collé à la porte, comme s’il allait être capable de passer au travers pour enfin partir. Comme un enfant qui se fait crier dessus et qui se cache dans un coin, qui se fait tout petit. Ouvre les yeux, tu serais étonnée de voir tout ce que tu loupes. Lui, il voit tout, il comprend tout. Tous les détails qu’il aurait aimé omettre, il les a aperçus, analysés et intégrés. Elle, elle est devenue aveugle : un luxe qu’il ne peut pas s’offrir, qu’il aimerait, pourtant. Il aimerait ne voir que sa peine et ne plus pouvoir gérer celle des autres. Il aimerait ne pas voir la compassion briller dans les yeux de ses proches, la pitié dans les personnes qu’il connaît à peine, l’indifférence dans celles dont il ignore l’identité. Il m’a fallu tout ce que j’avais, à moi aussi, pour rester. Maintenant qu’on a plus rien tous les deux, on peut recommencer à construire quelque chose ? Une famille, leur amour, un foyer. Quelque chose. Se reconstruire eux, s’aimer eux, se détester eux : mais tout faire à deux, avec les ruines de leur passé. C’est une question qu’il ne pensait pas poser un jour : si le silence ne résout rien, peut-être que les mots, eux, le feront. Il ne fera pas le deuil de leur couple, pas encore, pas maintenant, pas alors qu’il est déjà incapable de faire celui de sa fille. Je suis en train de te perdre et j’ai aucune idée de comment te rattraper. Lui laisser de l’espace n’était pas ce qu’il fallait faire, tenter d’arranger les choses non plus – la preuve avec ce dîner. Peut-être qu’avouer ses craintes et lui faire mettre le doigt dessus sera plus éloquent. Tu le sais, toi ? Il la regarde, toujours. Ses muscles sont toujours aussi tendus, sa mâchoire toujours autant crispée. Il lutte pour rester là, pour ne pas bouger, pour rester debout, peut-être même juste pour inspirer et expirer. Il a besoin d’elle, plus que jamais, et il vient de lui faire comprendre. Ils ne sont que tous les deux, c’est bien ce qu’elle voulait, non ?

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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyVen 15 Mai 2020 - 2:09


Olivia Marshall & @Jacob Copeland ✻✻✻ L’odeur de son eau de Cologne, pourtant légère, vint m’envelopper, s’insinuant dans la pièce. Je me demandais, l’espace d’une seconde, si celle-ci n’était pas désormais trop exigüe pour nos cœurs désaccordés. Je lui tournais le dos, pourtant je savais. Je ne le regardais pas, pourtant j’imaginais sa silhouette se poster contre la porte qu’il venait de refermer, devant la seule et unique sortie, la seule et unique issue. J’aurais aimé me plonger dans la blancheur sombre du sèche-serviette devant moi mais mes yeux refusaient de se calmer alors qu’ils voyageaient d’un détail à l’autre. La lumière pourtant délicate transperçant soudainement le plafond sembla capable de m’embraser la rétine et je finis par abaisser mes paupières, tentant de garder le contrôle. Sur ma respiration. Sur mon corps. Après quelques secondes, je finis par me retourner, laissant mon dos rencontrer le mur pour lui faire face à mon tour, empruntant la même posture que la sienne, ne m’en rendant compte qu’en rouvrant enfin les yeux, partout ailleurs que sur lui pourtant. Je voulais sortir. Mais je ne bougeai pas. Je voulais relever mes cheveux dans un geste fébrile mais indéfectible. Mais je les laissais au contraire retomber sur mes épaules comme s’ils pouvaient nous dissimuler, nous protéger de ce qui allait suivre. Je voulais continuer de parler, dire autre chose peut-être que ces quelques mots qui m’avaient échappé avec fermeté et qui n’avaient pas grand sens. Je me taisais pourtant, observant mon mari, grand, bien plus grand que moi, obstruer l’ouverture derrière lui, l’unique chance en notre possession pour nous épargner car je le lui avais demandé et qu’il m’écoutait, acceptait ma requête, faisait le premier pas même si cela lui coûtait. Il était trop tard pour faire marche arrière désormais. J’entendis son soupir résonner dans les airs comme un signe que la parole était à lui à présent. « Ça veut rien dire. » Et j’inclinai lentement la tête, passant mes yeux sur le mur vierge bordant la porte, gagnant enfin la courbe de son épaule puis ses yeux luisant par-dessus l’absence d’obscurité. Ses traits étaient saillants et fatigués. J’y notais son hésitation et tout ce qu’il ne savait pas comment exprimer. Depuis quand étais-je devenue incapable de le deviner pour lui, sans qu’il n’ait à se forcer ? « Le fait qu’il n’y ait que toi et moi ici, ça ne veut rien dire. » Mes sourcils se froncèrent imperceptiblement mais je ne bougeai pas d’un millimètre. Ça ne veut rien dire. Toi et moi. Toi et moi, ici. Je me taisais pour le laisser continuer. Je me taisais parce que j’avais besoin qu’il le fasse, qu’il ne s’arrête pas à ça. « C’est justement parce qu’il n’y a que toi et moi que je ne peux pas te faire de reproches, ou te dire que ça va mal, ou juste me laisser aller. » Ses aveux n’étaient pas ordinaires. Il n’allait pas bien mais l’admettait avec un calme mesuré, me le confiait comme s’il s’agissait d’un secret qu’il n’était pas certain de vouloir me révéler. Comme s’il avait besoin de le prononcer ainsi, par la négative, pour le pouvoir, pour les assumer, pour les vivre face à moi. Il ne pouvait pas. Lui aussi.

« N’importe qui serait capable de comprendre ce que je ressens. C’est normal d’aller mal quand on perd son enfant, non ? » Mais je n’étais pas n’importe qui. J’étais sa femme. Et s’il avait décidé que ça ne comptait plus, s’il avait décidé que j’allais devoir le comprendre comme tous les autres, comme n’importe qui, je n’étais pas parvenue à le faire, mon être tout entier se révélant impuissant à concevoir des mots qui n’auraient jamais dû être prononcés. Des maux qui, dans une autre vie, n’auraient dû avoir aucun sens. « Je ne sais pas. Ça l’est ? » soufflai-je à voix basse. Normal ? Et mon interrogation non plus ne souffrait d’aucune ironie, cherchait la réponse dans son regard. Pourquoi s’en cachait-il à ce point dans ce cas ? Je lui en voulais de me faire douter. Je lui en voulais de rendre ma peine anormale à côté de la sienne. « Tu veux que je te le dise avec plus de conviction. Bien. Je t’en veux d’avoir pris ce rôle. » Je l’avais demandé et fus incapable, pourtant, d’éviter sa voix fusant comme un javelot au travers de la pièce, me contentant de la sentir m’atteindre en plein cœur car il le pensait, cette fois. Il le disait, réellement. Je respirai calmement mais mes pensées se dispersaient dans mon esprit, pêle-mêle, perdues par bribes. Car Jacob ne criait pas. Jacob ne criait jamais. Je le connaissais, rationnel et infaillible, disant ce qu’il pensait, pensant ce qu’il disait, pesant avec mesure ce qu’il laissait échapper. Il n’avait pas besoin d’élever la voix pour que je l’entende, pour que je le croie. Il n'avait pas besoin d'élever la voix pour m'atteindre. « Tu passes ton temps à tomber, et je passe mon temps à te rattraper. Tu peux le faire les yeux fermés, mais moi ? Si je me laisse aller, tu seras là ? » Je déglutis avec difficulté, la gorge tellement serrée qu’elle en devenait douloureuse, détournant le regard car il n'attendait pas de réponse. Cette dernière nous apparaissait clairement, aujourd’hui. Aujourd’hui, parce que nous en étions arrivés là. Aujourd’hui parce qu’il ne m’avait jamais laissé aucune chance, hier. N’importe qui était capable de deviner ce qu’il ressentait, oui. Et je voulais continuais de croire que je n’étais pas ce trou béant venant ronger sa poitrine lorsque l’absence de June attaquait déjà tout le reste mais c’était me leurrer. Il me le faisait comprendre avec clarté.

« Tu te trompes si tu penses que je le prends mieux que toi, ou que je fais comme si c’était le cas pour les autres. C’est pour toi, Liv. » Je relevai mon regard dans le sien sans ciller, comme s’il m’était impossible soudainement de rester comme cela. Au-delà des limites du supportable. « Je t’en veux aussi. » Je le coupai, les yeux brûlants. Le souffle coupé, l’air saturé et vibrant me ponçant les poumons comme des milliers de morceaux de verre parce que ce n’était pas à moi de parler mais que je lui avais demandé de le faire sans jamais promettre de ne pas l’interrompre. Que nous n’avions plus à attendre notre tour, l’ayant déjà trop fait, aucun de nous deux n’ayant souhaité s’emparer du sien avant ce soir. « Je t’en veux de douter. Je t’en veux de ne pas avoir voulu me faire confiance ou pas assez, pour te laisser aller. Pour ressentir ce que tu ressens. » Lui avais-je déjà donné des raisons de douter de moi, de nous, avant tout ceci ? Lui avais-je donné des raisons de m’exclure de son cœur, de feindre face à moi, de me laisser dans l’obscurité avant leur accident ? Le non, simple et implacable, avait longtemps assailli mes pensées à cette question que je m’étais déjà posée un millième de fois. Mais peut-être m’étais-je trompée. Peut-être m’étais-je imaginée la justesse, l’équilibre entre nous. Ou peut-être m’étais-je mise ensuite à ne plus y croire à mon tour, méritant ses reproches aujourd’hui, car il avait cessé le premier. « Je t’en veux de me laisser seule, toujours. » Je me redressai lentement, laissant le mur dans mon dos alors que je m’approchai d’un pas, dans sa direction. « Là-dedans. » Ma main s’apposant avec fermeté sur ma poitrine vint ponctuer mes mots et le claquement sourd de ma paume contre le tissu de mon vêtement emplit mes tympans. J’avançais de nouveau, relevant le visage vers le sien alors que la distance entre nos corps s’amenuisait de nouveau. « Parce que je ne comprends pas ce qui se passe, ici. » Il y eut plus de douceur cette fois-ci, plus de précautions dans ma voix et dans mes gestes lorsque mes doigts vinrent retrouver leur place, se logeant sur son torse, à gauche, juste au-dessus de son cœur. « Tu as tout fermé. » murmurai-je après un instant, sans le regarder. « Pour moi. » Pour moi, puisqu’il le disait. Pour moi, puisqu’il le pensait. Pour moi, puisque je ne lui déniais pas cela, croyant en sa sincérité. Celle qui me blessait également. Celle que je relevais avec amertume. « Ouvre les yeux, tu serais étonnée de voir tout ce que tu loupes. » Je laissai ma main retomber, comme suspendue dans l’air, attirée par la gravité finalement, les bras le long du corps, alors que je demeurai face à lui, encaissant les mots qu'il n'avait pas besoin de prononcer. Fautive. Aveugle. Égoïste. Toutes ces choses à la fois, Liv.

« Il m’a fallu tout ce que j’avais, à moi aussi, pour rester. Maintenant qu’on a plus rien tous les deux, on peut recommencer à construire quelque chose ? » Je sentis un frisson traverser mon échine et je secouai la tête en plissant les yeux. « Dis pas ça … » Qu’on n’a plus rien. Ne le dis pas. Cela rendait les choses plus réelles. Tout rendait toujours l’impensable plus réel. « Je suis en train de te perdre et j’ai aucune idée de comment te rattraper. » Silence. Puis. « Tu le sais, toi ? » La question à laquelle j’avais peur de répondre, à laquelle je craignais de ne pas savoir répondre. Pas de la bonne façon. Il était trop tard pour le silence, pourtant. Je laissai mon regard monter sur ses joues avec prudence. Je savais qu’il observait mon inertie, mes mains fragiles et mon corps surmené. Je le faisais aussi avec les ombres de son visage et ses prunelles ambrées. Je ne sais pas. Je ne sais plus rien. « Il y a des jours où elle me manque tellement que … » Je m’interrompis, je mentais. Tous les jours. Chaque minute. Chaque seconde. Je m’interrompis car mes cordes vocales mêmes semblaient ne pas supporter prononcer ces vérités, mais Jacob ne s'en contenterait pas. Ne s'en contenterait plus. « Que j’ai l’impression que rien d’autre n’arrivera jamais à me manquer autant. » Je fermai les paupières pour rassembler mon courage. « Mais c’est faux. » J’entendais ma fierté résonner jusque dans ma poitrine, me surprenais à compter mes inspirations pour me redonner une certaine contenance mais il ne suffit à son regard qu’à croiser le mien pour le reconnaître, pour rendre les armes face à l’insistance de mon corps. Je m’étais contrainte à l’absence trop longtemps. J’avais besoin de mon mari. J’avais besoin d’enfouir mon visage dans son cou. J’avais besoin de calquer mes inspirations sur les siennes. « Même quand je t’en veux. Même quand tu es avec moi, tu continues de me manquer. » Autant. Terriblement. Du bout des doigts, je caressai lentement l’arête de sa mâchoire. Du bout des lèvres, je vins les remplacer en un effleurement. « Je sais ça. » Je sais juste ça. Peut-être mon cœur n’était-il capable que de ressentir un manque, un vide, une absence, désormais. Pourtant, Jacob était là, sous mes doigts. Pourtant, Jacob était là, contre moi. Et je devais déjà me reculer, n’étant pas certaine de savoir continuer, n’étant pas certaine de pouvoir m’arrêter.



 


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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyJeu 21 Mai 2020 - 18:08

Quand il se taisait, il se taisait trop. Quand il parle, il parle trop. Il ne sait pas faire dans la demi-mesure, et ça lui pèse sincèrement. Il lui en veut de ne pas le comprendre. Il lui en veut d’être obligé de faire semblant pour la préserver. Il lui en veut d’avoir le bon rôle, et de lui avoir laissé celui-ci. Il lui en veut, parce que tout aurait été plus simple s’ils avaient été capables de les échanger. De souffrir un jour, de sourire le lendemain. Jour après jour, de composer avec son propre deuil et celui de l’autre en même temps. Il lui en veut, parce que quand il n’était plus capable de les porter, il aurait aimé qu’elle prenne le relais. Ça n’a pas été le cas, et le chemin a été fait en sens inverse : au début, ça allait, ils pouvaient encore aller loin. Il le sentait. Mais il est tombé, lui aussi, silencieusement. Il est tombé et l’a entraîné dans sa chute, sur son dos : et ils n’ont plus jamais réussi à faire un pas en avant, jusqu’à finalement partir à reculons. Il lui en veut, parce qu’il n’est pas capable de seulement culpabiliser dans son coin. Il a besoin qu’elle endosse certaines responsabilités, elle aussi. Car si ce n’était pas le cas, s’il n’avait rien à lui reprocher, il ne serait plus là depuis longtemps. Il aurait cherché à prendre son envol, lui aussi. Elle le fait vivre, parce qu’il lui en veut. Alors peut-être que c’est une bonne chose. Peut-être qu’ils ont réussi à dépasser le stade des reproches. Peut-être que c’est bon, de s’en vouloir autant. Je t’en veux aussi. Et il n’a plus le droit de rien dire. Plus un mot. Plus un souffle. Même son cœur a loupé un battement. Elle se permet un reproche, elle s’autorise une contre-attaque. Et la justification n’est pas encore arrivée qu’il peut déjà l’entendre, déjà la comprendre. Je t’en veux de douter. Je t’en veux de ne pas avoir voulu me faire confiance ou pas assez, pour te laisser aller. Pour ressentir ce que tu ressens. Elle vient de remettre en cause toutes ses certitudes. Et ça fait mal de se tromper autant. Ça fait mal de se rendre compte que l’on sous-estime la personne que l’on aime plus que tout au monde. Ça fait mal d’accuser quelqu’un des torts que l’on porte soi-même. Je t’en veux de me laisser seule, toujours. Là-dedans. Elle quitte le mur pour se rapprocher de lui. Elle fait un pas en avant, puis un autre, et encore un autre. Comme lui il y a quelques minutes. Comme lui, elle se rapproche – trop – dangereusement. Il ne bouge pas, ne respire presque pas : il ne pense pas être capable d’encaisser. Ses yeux se portent sur la main qu’elle vient de poser sur sa poitrine. Seule, là-dedans. Seule, incapable de ressentir, incapable d’être comprise. Comment est-ce qu’il a fait pour se tromper autant ? Pour crier autant, sans même être capable de murmurer un seul mot ? Il soupire faiblement alors que sa main se pose sur son torse. Parce que je ne comprends pas ce qui se passe, ici. Tu as tout fermé. Pour moi. Posée sur son cœur. Au-dessus de son cœur. Si douce qu’elle pourrait l’apaiser. Si forte qu’elle pourrait s’en emparer. Elle l’a, pourtant. Elle l’a depuis des années. Son cœur, et lui tout entier. Il est à elle, son corps, son cœur, son âme. Il serre les dents une nouvelle fois et préfère l’accabler de ses propres torts, de ceux qu’il pourrait se dire à lui-même, maintenant. De ceux qu’il se criera en se regardant dans la glace, un jour où il sera seul. Ouvre les yeux, Liv. Ouvre les yeux, Jacob. Ils ne regardent plus dans la même direction, et c’est peut-être pour ça qu’il n’arrive plus à croire en eux. C’est peut-être pour ça qu’il est seulement capable de souligner les défauts et fautes de sa femme. C’est sûrement pour tout cela, oui. Dis pas ça. Elle le coupe faiblement, peut-être un peu trop. Parce qu’il continue, même s’il a mal, même si elle a raison : il ne voudrait pas avoir à dire ça. Ils ont encore tellement de choses, tout est seulement beaucoup trop acquis et ancré pour qu’ils s’en rendent compte. Il l’a, elle. Elle l’a, lui. Et pourtant, ça n’est plus suffisant. Ça ne l’est plus parce que ça a été oublié. Il la regarde droit dans les yeux, et il ne se souvient quand même pas. Il ne se souvient pas de l’amour qu’elle lui portait, de combien c’était beau et bon d’être aimé par elle. Il est en train de la perdre, ou peut-être que c’est déjà fait. Il n’en sait rien, mais elle ? Est-ce qu’elle le sait, elle ? Il y a des jours où elle me manque tellement, que… Silence. Encore. Que j’ai l’impression que rien d’autre n’arrivera jamais à me manquer autant. Elle ferme ses yeux, il remarque ce détail. Parce que c’en est pas un : c’est presque plus important que les mots qu’elle prononce. Mais c’est faux. Elle rouvre ses paupières, lentement. Et il la voit, il la voit vraiment, vulnérable au possible. C’est faux. Même quand je t’en veux. Même quand tu es avec moi, tu continues de me manquer. Il ressent ses doigts, il ressent ses lèvres. Je sais ça. Et elle recule. Il ressent le vide, l’absence. Même quand t’es là tu me manques.

Alors arrête de t’en aller. Il refuse qu’elle se recule. Il refuse qu’elle aille à l’autre bout de la pièce, quand elle pourrait venir se loger dans ses bras. Il refuse qu’elle s’abstienne. Arrête d’utiliser ce qu’il te reste de forces pour lutter contre moi. S’il te plaît. Il attrape sa main, tire légèrement : pour qu’elle revienne là où est sa place. Proche de lui, contre lui. Arrête de penser que tu dois choisir entre elle et moi. Elle peut la pleurer et l’aimer en même temps. Elle peut être endeuillée et amoureuse comme au premier jour. Tout comme elle pouvait être une mère et une épouse, elle savait jongler entre deux casquettes, pourquoi est-ce que ça a changé ? Arrête. Tout, qu’elle arrête tout : de réfléchir, de ressentir, de croire en ce qu’il y a de mauvais. Qu’elle arrête tout, vraiment tout. J’ai pas envie de te manquer, Liv. Il ne la lâche plus du regard. Du bout de ses doigts, il vient caresser sa joue, retrouver les vestiges du passé sur le visage de sa femme. Il rapproche le sien, doucement, sûrement : un geste autrefois anodin, qu’il ne connaît plus aujourd’hui. Il l’embrassait avant de partir au travail, il le faisait quand elle rentrait du sien, avant d’aller dormir, en se posant sur le canapé, en préparant le repas ou après avoir couché June. C’était tout le temps, c’est devenu jamais. Ses lèvres retrouvent les siennes dans un fracas silencieux : on pourrait presque entendre son pouls mélangé à celui de sa femme. Il lui partage ainsi tout ce qu’il ressent, tout ce qu’il y a au plus profond de lui-même qu’il ne saurait dire à voix haute. Comme s’il pouvait parler à travers un baiser, comme si elle pouvait l’entendre au-delà des mots, au-delà des silences. Un baiser qui n’a rien de ceux montré au cinéma, qui ne représente pas des retrouvailles passionnées. C’est quelque chose qui leur appartient, qui ne bougera pas à travers le temps, qui restera à jamais graver. Il recule son visage, tout aussi doucement. Et c’est au tour de son corps d’épouser le sien, parce que ses bras s’enroulent autour d’elle, et qu’il vient la serrer contre lui. Comme s’il voulait la rassurer à travers une étreinte, c’est plutôt lui qu’il essaie de calmer : une larme silencieuse coule le long de sa joue, finalement submergé par toutes les émotions ressassées ce soir. J’ai besoin que tu m’aimes, comme avant. Comme avant le drame, comme avant l’orage. Il retient un sanglot, mais sa voix est cassée, éreintée. Il a besoin d’elle, c’est indéniable, et il avait besoin de lui dire, surtout. Il avait besoin qu’elle l’entende, qu’elle ne puisse plus faire comme si elle ne le voyait pas, comme si elle ne l’entendait pas. Il la serre contre lui, aussi fort qu’il l’aime : ou peut-être pas autant, parce qu’il l’écraserait. Mais il compresse son torse contre sa poitrine, son bassin contre le sien. Il la serre fort, comme s’il allait la perdre s’il la relâchait. Sans lui faire mal. Ou peut-être un peu. Mais il en est arrivé à un stade où il se dit que l’éloignement fait plus mal que ça. Ou le fait de ne pas la toucher, de ne plus lui accorder la même importance, de ne plus avoir droit à ses gestes tendres est une des pires douleurs au monde, une torture trop longtemps subie et détestée. Il la serre contre lui, parce qu’il n’est plus capable de rien. Il est vidé de toute énergie, de tous ses mots, de tous ses maux. Le temps d’un instant, le temps de quelques larmes, il oublie tout, tout, sauf qu’il l’aime, sauf qu’il a besoin d’elle. Et il la relâche, finalement, essuie son visage d’un revers de la main, presque trop fier pour qu’elle s’en aperçoive, même si elle n’est pas dupe. Je t’aime. Quelques mots de plus, quelques mots qu’il n’a plus besoin de prononcer depuis très longtemps. Ça aussi, c’était acquis. Il aimerait que ça disparaisse. Beaucoup de parents se séparent à la mort d’un enfant, il aurait été capable d’ajouter un divorce à la peine qu’ils endurent. Mais il ne peut pas, pour ça, pour son alliance, pour son cœur qui bat trop fort : il l’aime, suffisamment pour supporter toute cette douleur.

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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyLun 25 Mai 2020 - 23:51


Olivia Marshall & @Jacob Copeland ✻✻✻ Mes lèvres l’avaient cherché, mes doigts aussi presque malgré eux, comme une habitude du corps, effrayés de ne pas le trouver. Effrayés ensuite d’y parvenir. Peut-être était-ce pour cela, précisément, que nous nous en empêchions le reste du temps. Peut-être était-ce pour cela que nous acceptions de regarder les semaines et les mois s’écouler sans nous autoriser un geste, une preuve, nous contentant de vivre aux côtés de l’autre, en silence, redoutant un contact involontaire susceptible de déclencher l’ingérable. Du bon, peut-être, mais le pire aussi. Le pire, surtout, que nous n’étions pas prêts à affronter. Peut-être était-ce pour cela que je frémissais en reculant, comme si le chagrin reprenait ses droits, comme si je lui redonnais sa place, l’imposante ne laissant de place à aucun autre sentiment. La tendresse, la chaleur et l'amour. Pourquoi les écouter, eux, face à la peine ? Comment ? Nous n’essayions même plus, alors, entretenant les plaies sans jamais leur laisser le temps de cicatriser, cicatrices à vif nous sautant au visage à chacun des regards que nous posions l’un sur l’autre. Je me défilais pour cela et il en faisait de même, d’ordinaire. Je retirais ma main et il me regardait à peine. J’hésitais à le suivre et il n’insistait pas. Nous faisions semblant, d’ordinaire, comme s’il s’agissait d’oublier que nous étions toujours liés de manière indéfectible, comme s’il s’agissait d’oublier que nous savions absolument tout l’un de l’autre, que rien ne nous était inconnu. Même ce que l’on dissimulait. Même ce que l'on désirait effacer. « Alors arrête de t’en aller. » D’ordinaire, oui. Mais pas ce soir. Ce soir, je le sentis me retenir. Ce soir, je m’arrêtai en entendant ses mots, ceux qu’il ne s’était jamais laissé aller à prononcer, ceux que je n’avais jamais su formuler non plus. Car nous n’avions fait que nous affronter, nous et nos peines qui ne se ressemblaient pas, nous et nos peines que nous ne comprenions pas. Nous ne disions pas la douleur. Nous ne disions pas nos sentiments, aucun. Et cela nous faisait défaillir, cela nous faisait souffrir mais nous continuions et il avait raison. Il était devenu impossible de vivre sur ces non-dits. Toutes ces questions jamais abordées et ces mots interdits jonchaient aujourd’hui le sol que nous foulions comme des débris de verre. Et le moindre faux pas nous faisait mal mais il prenait le risque car il était ainsi, courageux, plus que moi comme d’habitude. « Arrête d’utiliser ce qu’il te reste de forces pour lutter contre moi. S’il te plaît. » Et j’inspirai douloureusement mais me laissai faire, sans lutter, alors qu’il me ramenait contre lui, à cette place que je n’avais pas voulu quitter en premier lieu. À cette place que je m’étais efforcée de quitter tout de même par peur de redécouvrir tout ce qui se présentait à moi. Les habitudes me ramenant à ses regards enveloppants, au son de sa voix qui avaient égayé mes jours, aux battements de son cœur qui avaient rassuré mes nuits quand, la main à cet endroit, je l’écoutais dormir. Ils m’abattaient, ces souvenirs, me récuraient tout entière, emportant tout sur leur passage alors que j’avais lutté, oui, longtemps afin de ne plus me les autoriser.

« Arrête de penser que tu dois choisir entre elle et moi. » Les mots dégringolent à mes oreilles et je m’accroche un instant à son regard pour ne pas tomber à mon tour. Les autres le pensaient, je le savais. Les autres avaient fini par me juger, me regarder comme cette femme, cette mère délaissée acceptant de se laisser hanter par le fantôme de sa fille, recherchant la douleur, cruelle et déraisonnable. Mais lui devait savoir que ce n’était pas aussi simple que cela. Il devait le ressentir, lui aussi. S’en effrayer, lui aussi, de cette sensation de l’oublier au moindre sourire, au moindre rire ; cette peur de faire un choix. Comme si je pouvais en faire un, entre elle et lui. « Arrête. » D’accord. C’était simple à dire, n’est-ce pas ? D’accord pour tout, d’accord à tout. Et c’était étrange de ne pas pouvoir le faire aussitôt l’accord donné, le hochement de tête lent et vague. C’était étrange de continuer à me contrôler, à me maîtriser, étrange de devoir réapprendre les gestes et les instincts d’avant mais je ne pouvais m’en empêcher. Je craignais, plus que tout, de commettre des erreurs lorsque quinze années nous précédaient pourtant, quinze années dont la quasi-totalité m’avait permis de ne plus réfléchir face à lui, de savoir. Quinze années mais deux seulement. Deux pour me faire perdre tous mes réflexes. « Je suis fatiguée. » Fatiguée de faire attention, fatiguée de me débattre. Fatiguée d’être enfermée en moi avec tous ces sentiments que j’avais proscrits il y a longtemps et que je ne savais plus libérer aujourd’hui, tous ces mots que je ne pouvais plus dire, tous ces gestes que je ne savais plus accomplir. Fatiguée, surtout, de lutter contre lui quand il avait été mon meilleur allié, quand il était le seul dont j’avais toujours eu besoin à mes côtés, dans le même camp. Le nôtre, uniquement le nôtre. « J’ai pas envie de te manquer, Liv. » Faisant écho à mes paroles, je le sentis m’en empêcher, se rapprocher pour que cela n’arrive pas, pour qu’il ne me manque plus. J’avais l’impression que ses gestes, comme les miens quelques instants plus tôt, étaient interdits et pourtant mon corps tout entier ne parvenait plus à rejeter ce qui avait été si naturel, longtemps, ce qu’il mourrait d’envie de retrouver aujourd’hui. Je l’observai silencieusement sans reculer, retrouvant son visage et ses secrets, étrangers et familiers, sauvages et brisés à la fois. Et cela me rongerait, je le sentais, cela me tourmenterait longtemps encore de ne pas savoir quoi faire pour l’aider. Je voulais tout faire, pourtant, tout faire pour lui mais me retrouvais piégée dans l’inconnu. Je voulais tout faire pour lui mais je n’arrivais à rien. Rien, rien, rien.

Je le laissais faire alors lorsque, dans une caresse, ses lèvres vinrent frôler les miennes, l’appréhension soudainement qu’il ne les recule trop vite pour mon cœur, ou pas assez pour que je ne puisse faire autrement que les entendre contre les miennes, murmurer tout ce qu’il ne se laissait pas dire, tout ce qu’il pouvait ressentir, faisant écho à mes tourments. La douleur de s’éloigner, en silence, mais d’aimer, toujours. La souffrance de donner à son cœur la force de se vider tout en demeurant habité, profondément habité. Je laissais mes doigts rejoindre les siens, lentement, sur ma joue, la poitrine secouée de contractions légères lorsque l’étreinte prit la place du baiser et que ses bras m’enserrèrent à leur tour, me permettant de sentir ses soubresauts à lui, tout contre moi. « J’ai besoin que tu m’aimes, comme avant. » Le tissu de sa chemise se froissa sous mes doigts à la brisure de sa voix et je hochai la tête, de nouveau, dans un mouvement à peine perceptible que j’espérais qu’il saisisse tout de même. Tout pour le rassurer, promesse au bout des lèvres que je ne prononçai pas toutefois, consciente de la brûlure que cela représentait de ne pas savoir la gérer, comment l’honorer. Comme avant. Je ne savais plus ce que cela voulait dire. Je t’aime, désespérément. Je l’aimais autant, et plus encore, que ce que ses bras autour de moi semblaient vouloir me dire, nos deux corps réunis et la froideur qui s’éloignait, la chaleur recréée alors que je le sentais raffermir son emprise, toujours plus fort, comme s’il lui était possible, à lui seul, de nous retenir, de nous réunir, de nous pas nous laisser nous émietter en milles et un éclats. Je le retenais pourtant, ne le laissais pas tenir seul cette fois-ci car je le voyais. Je les voyais, ses yeux brûlants et ses larmes du silence, sans même avoir à croiser son regard. Je distinguais mal ses traits mais je n’en avais pas besoin pour le reconnaître. Je n’en avais pas besoin pour discerner, de tout mon être, l’homme qui se tenait devant moi, l’homme que j’avais aimé dès mon plus jeune âge, l’homme dont chacune des larmes venait s’échouer sur mes joues. « Je t’aime. » Ma main se substitua à la sienne sur son visage, dérivant le long de sa mâchoire en un frôlement, accueillant ce qu’il avait désiré cacher quelques secondes plus tôt, réitérant d’un seul regard la certitude de mes sentiments restés immuables. J'abaissai ensuite mon regard sur nos doigts entremêlés, sur son alliance que j'effleurai sans chercher à le cacher. Celle que j’avais vue dans son poing en rentrant, l’infime détail dans l’obscurité m’ayant sauté aux yeux tout de même, empressée ensuite de les refermer pour ne pas avoir à m’interroger. Pour ne pas avoir à penser, à réfléchir sur ce que cela signifiait. Celle qui avait retrouvé son annulaire maintenant et dont j’estimais la place, dont je ne pourrais supporter la perte.  « Je suis désolée, pour ce soir. » Et tous les autres. Cinq ans à célébrer, cinq ans supposés être les plus heureux de nos quinze années passées ensemble car nous étions censés les vivre à trois avant que la vie ne s’en mêle. « Ne dors pas en bas, s’il te plaît. » Ce soir. Et tous les autres, peut-être. Je m’arrêtai en reculant finalement, le contournant pour rouvrir la porte menant à la chambre, grinçante. Ou laisse-moi venir avec toi.


 


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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyMar 2 Juin 2020 - 18:22

Elle le soutient. C’est tout ce qu’il arrive à comprendre, dans cette tornade d’émotions. Les siennes, pour une fois. Il ne voulait pas en arriver là. Il aurait donné tout ce qu’il possède pour ne jamais avoir à en arriver là, pour ne pas exploser en flots : de colère, de rancœur, de tristesse et d’amour, pourtant. De l’amour, il en a plus que de raison, pour elle. Il ne sait plus comment l’exprimer, comment le montrer. Chaque geste, chaque pensée, chaque mot est une trahison envers June. Elle le lui a fait comprendre dès le soir de l’accident : son regard avait changé, dès les premiers instants à l’hôpital. Elle ne lui en voulait pas à lui personnellement, elle devait en vouloir au monde entier. Comme lui, elle devait trouver tout cela injuste. Comme lui, elle devait vouloir prendre la place de June pour ne pas avoir à subir sa perte. Mais comme lui, elle n’a pu que se terrer au fond d’elle-même et faire taire tous ses sentiments, les uns après les autres. Lui, c’est sa culpabilité qui lui a fait comprendre qu’il ne pourrait plus jamais ressentir comme auparavant : que chaque battement de son cœur serait une entaille de plus, une souffrance perpétuelle. Et aimer Olivia, l’aimer de tout son cœur, c’est s’autoriser à souffrir, se forcer à souffrir. Il en est conscient depuis déjà deux ans, il continue secrètement depuis tout ce temps. Les gestes, il a arrêté de les faire quand il a compris que Olivia, elle, n’était pas encore capable de faire ce pas en avant. Quand il a compris qu’elle souffrait déjà bien trop pour ajouter ce poids en plus sur sa conscience, celui d’oublier sa fille – pour retrouver son mari. Les paroles se sont transformées en silence, peu à peu, et finalement, il n’y avait plus rien. Mais ce soir, c’est différent. Ce soir, la glace a été brisée. Et ce soir, elle le soutient. Elle le serre contre lui, dans cette étreinte qui se veut à la fois puissante et pleine de fragilité. Il dévoile ses failles, à son tour. Il en a une multitude, des gigantesques, parfaitement dissimulée dans un coin de sa tête : totalement exposée, ce soir. Il pensait qu’il serait égoïste de les lui montrer. Il comprend aujourd’hui qu’il a bien été égoïste, oui. Il l’était en lui cachant sa peine, ses véritables ressentis. Sa force était devenue la norme, la faiblesse d’Olivia devenait dérangeante. Pourtant, elle avait raison depuis le départ : ils doivent tomber, ils doivent tomber de  très haut, se faire très mal, pour ensuite réussir à se relever. Et le combat sera rude, la route est déjà longue, mais ils peuvent le faire. Parce que ce soir, elle le soutient, et parce que tous les autres jours, il a fait de son mieux pour la soutenir. Et ça doit continuer comme ça, ils doivent avancer. Un pas après l’autre, sans se brusquer l’un ou l’autre, aller à la vitesse de leurs émotions. Et s’ils doivent aller lentement, alors ils iront lentement. Tous les deux, ensemble.

Je suis désolée, pour ce soir. Il l’attendait plus qu’un enfant attend le père noël, un soir de vingt-quatre décembre, quand il croit encore à toutes ces choses-là. Il l’attendait, parce qu’il avait vu ces quelques mots brûler ses lèvres, au restaurant, avant qu’il ne lui tourne le dos et qu’il s’en aille. Ils étaient également sur le point de sortir quand elle est arrivée chez eux, dans le salon, quand il l’accusait d’être là. Un reproche très peu dissimulé, qui a mené à toute cette discussion, à ces excuses, finalement : je suis désolée, pour ce soir. Elle ne peut pas savoir à quel point il l’est, lui aussi. Désolé pour tout, pour rien. Désolé, parce que c’est tout ce qu’il est capable de ressentir quand il voit l’échec qu’a été leur vie ces dernières années. Il est désolé, pour ce soir, pour tous les autres, pour ceux à venir s’ils ne savent pas se rattraper. Il est désolé, parce que ça ne sera plus jamais suffisant. Ne dors pas en bas, s’il te plaît. Il la regarde un instant : finalement, une éternité. Il a envie de rester, ou il a envie qu’elle le suive. Il veut être avec elle. Maintenant, ce soir. Demain, après-demain. Et toujours, parce que c’est ce qui a toujours été décidé pour eux, leur destinée, quoi qu’il se passe. S’ils en sont là aujourd’hui, c’est parce que demain ils s’en remettront. Et si demain met des années à arriver, alors ils se battront. L’espoir renaît et s’efface beaucoup trop vite, dans l’esprit de Jacob. C’est un manège qui ne s’arrête plus de tourner, et il aimerait ne pas être qu’un rouage de plus dans cette machinerie. Mais c’est trop tard, et il en a déjà conscience. J’ai besoin de dormir. Il lui avoue en s’approchant du lit, dans la chambre. Il reste, c’est décidé sans être accordé oralement. Mais j’ai tout autant besoin de toi. Il s’approche de son côté du lit et relève l’oreiller, avant de se coucher, la tête enfouie à l’intérieur. Comme un nuage, sans le paradis. Il regarde le plafond un instant, une main se calant derrière sa tête. J’ai besoin de toi contre moi. Un appel, pour qu’elle le rejoigne. Dormir, tous les deux. C’est parfois plus intime de simplement dormir aux côtés de quelqu’un, sans qu’il n’y ait rien de plus. Ça l’est, pour lui. Ça arrive encore très souvent qu’ils dorment tous les deux, mais chacun de son côté : tournés vers le vide, comme si c’est celui-ci qu’ils voulaient étreindre et embrasser. Là, il veut la serrer contre lui. Toute la nuit, toute la vie. Il ferme les yeux, le plafond n’est pas tellement intéressant à regarder. Elle est comme gravée dans ses paupières. Elle, c’est à la fois Olivia et June. Elles, parce que ce sont les deux femmes de sa vie, les deux qu’il aurait aimé garder à ses côtés, à jamais. Il n’arrivera jamais à se contenter uniquement d’Olivia, maintenant qu’il a appris à vivre avec June. Mais il doit apprendre à faire avec, à accepter son sort. Ils doivent l’apprendre tous les deux, se réapprendre mutuellement. Et ça commence par une nuit. Une nuit à se pardonner, à accepter que l’autre soit là, avec ses forces cachées – celles d’Olivia, et ses faiblesses insurmontables – celles de Jacob. Les rôles ont été inversés, ce soir. Et ça ne durera que le temps d’une nuit, que le temps de cette nuit. Parce qu’ils n’ont pas besoin de se murmurer d’autres choses au creux de l’oreille pour comprendre qu’ils s’en sortiront quand même mieux, que comme ils étaient avant. Une partie des non-dits en moins, les autres seront éclaircis plus tard. Ses yeux sont fermés, son cœur ouvert, maintenant. Une étrange chaleur s’empare de lui, de son corps, de son âme, de tout ce qu’il y a dans la pièce. Il se sent bien, pour une fois. Il se sent bien, et ça n’avait pas été le cas depuis une éternité. Il se sent bien, parce qu’il ne cache plus rien, pour une fois. Et puisqu’il se sent bien, il n’a aucun mal à se reposer dans les bras de Morphée, sûrement dans ceux d’Olivia, le temps d’une nuit. D’une nuit seulement, car il ne se sentira plus aussi euphorique demain matin, tout aura disparu. Tout, sauf les souvenirs de cette nuit, qui deviendront muets, parce que ça ne sert à rien de ressasser le passé quand on est deux à savoir la même vérité. Ils ont encore beaucoup trop de choses à exploiter, et ça ne se fera jamais plus dans le silence. C’est tout ce qu’il sait, alors que ses pensées s’embrument que, doucement, il se laisse aller dans un sommeil réparateur. Vidé de toute son énergie, c’est tout ce dont il avait besoin, maintenant. D’elle, et de dormir.

@Olivia Marshall :l:
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Message(#)les vagues du silence (olivia) EmptyDim 7 Juin 2020 - 19:14


Olivia Marshall & @Jacob Copeland ✻✻✻ Il rendait les armes et il n’avait jamais paru aussi fort. Il laissait paraître ce qu’il s’était donné tant de mal à cacher et, malgré la douleur que cela me procurait de le voir touché, de le voir blessé lui aussi, j’avais l’impression de le voir enfin, lui. Pas cette façade qu’il s’évertuait à me présenter, ce roc qu’il semblait avoir mis à ma disposition pour m’empêcher de chuter. Et je le connaissais du plus profond de mon être, suffisamment pour savoir qu’il s’en voulait déjà, que ce n’était pas ce qu’il désirait, qu’il avait l’impression de faillir en se révélant ainsi. J’avais envie de lui dire que ce n’était pas grave, que rien ne le serait jamais autant si on délaissait enfin ce silence pour échanger. Il n’était pas invulnérable et ce n’était pas grave, non. Je n’avais jamais voulu qu’il fasse semblant de l’être, même s’il s’était accordé cette tâche seul, le poids entier sur ses épaules pourtant larges, pensant devoir prétendre lorsque je n’attendais rien d’autre de lui qu’être. Rien d’autre, non, depuis cette nuit où il avait survécu. Je l’aimais, quoiqu’il en soit. Je l’aimais peu importe le visage qu’il acceptait de me révéler. Tous me faisaient souffrir pourtant, pour des raisons différentes. Celle de ce soir était mon impuissance face aux maux qui parsemaient son visage, affleuraient à ses cils quelques secondes plus tôt. Je m’en voulais de ne rien pouvoir faire d’autre que de les accueillir sous la pulpe de mes phalanges caressant ses joues mais demeurais consciente de ne pas devoir intervenir même si je le pouvais. Il avait retenu ses larmes si longtemps que les fruits de sa peine insondable, accumulés depuis de nombreux mois comme un bouquet fané entre ses doigts, ne pouvaient qu’avoir le droit à présent de s’entrechoquer au creux de sa poitrine. Et à présent que certains pétales étaient tombés au sol, asséchant son esprit et privant son corps des forces le maintenant debout, nous n’étions pas dupes : bien d’autres étaient encore à venir. Beaucoup plus demeuraient encore à l’affût car il ne s’agissait que du début mais que c’était déjà beaucoup. Je ne partais pas, cette fois-ci, ne m’enfuyais pas ni ne détournais le regard, incapable de soutenir le sien dans lequel je ne parvenais plus à me retrouver. Ce n’était pas le cas ce soir et j’aurais voulu lui dire ce qu’il aurait mérité d’entendre. J’aurais souhaité lui confier que lorsque cela m’arrivait, et il en avait été témoin, je ne combattais ni les spasmes ni les nœuds qui s’emparaient de moi mais cela aurait été mentir. J’aurais souhaité lui souffler qu’il ne fallait pas car l’épuration était nécessaire, qu’il nous était impossible de renaître sans douleur. J’en étais incapable pourtant, n’en étant pas encore là, doutant un jour d’y parvenir, craignant un jour de réussir car je ne savais pas ce que cela signifiait, pour June, pour notre petite fille. Mais peut-être l’avais-je attendu, finalement. Peut-être refusais-je de faire face à cette nouvelle épreuve sans mon mari. Peut-être, semblait me murmurer mon cœur avant que je ne le fasse taire car je n’y tenais plus et que rien d’autre ne paraissait pouvoir franchir la barrière de mes lèvres ce soir.

Rien d’autre que cette demande formulée dans un murmure n’ayant pourtant rien d’hésitant, révélant toute une évidence que je n’avais plus la force de réprimer. Celle de retrouver, ce soir encore, des draps froids, ici ou ailleurs, me manquait. Quant à celle de surmonter son absence, je savais ne jamais pouvoir la trouver. Je ne l’avais jamais eue, cette force, me forçant à m’en aller pour l’oublier, m’obligeant à le remplacer par d’autres choses, d’autres verres, d’autres bras, d’autres poisons pour ne pas me souvenir avoir besoin de lui plus que de respirer. Je m’y autorisais ce soir, à me souvenir. De sa chaleur contre la mienne, de ses bras autour des miens, de son souffle contre ma peau. De cette impression immuable d’être chez moi auprès de lui, incapable aujourd’hui de faire face au plus cruel des tourments, celui de m’exiler en m’arrachant à lui. « J’ai besoin de dormir. » murmura-t-il d’une voix sourde après plusieurs secondes, longues comme une éternité. Une qui paraissait durer encore, se prolonger sans trembler, faisant vaciller la menace au-dessus de mon cœur qu’il n’était pas capable d’encaisser cette fois-ci : celle de la perpétuité. « Je sais. » Je soufflai en retour, la conscience au cœur des mots car je savais. Qu’il ne dormait pas, lui non plus, ou pas assez. Certainement pas bien, plus jamais. Tu devrais dormir. Avec ou sans moi, étais-je prête à lui accorder car le sien d’accord n’avait toujours pas été donné. Je n’en eus pas besoin finalement, alors qu’il s’approchait lentement de son côté du lit pour relever les draps. « Mais j’ai tout autant besoin de toi. » La confession à peine soufflée vint accompagner ce que son corps semblait déjà exprimer mais je m’entendis respirer de nouveau après avoir arrêté une demi-seconde, inconsciemment. Comme si j’avais eu besoin de l’entendre dire avant de m’octroyer une quelconque liberté, comme si toutes ces dernières avaient été abolies depuis si longtemps désormais que je n’aurais su me les réapproprier auprès de lui. « J’ai besoin de toi contre moi. » Moi aussi. Toujours. Je me demandais s’il en doutait quelques fois, celles où je me montrais trop convaincante, où mes mensonges sonnaient trop vrais, où mon absence devenait trop vive. Je le savais, moi, qu’il ne s’agissait que de tentatives innommables de ma part de ne pas céder, de laisser derrière moi tout ce à quoi je n’avais plus le droit, le regard abaissé sur mon propre bouquet fané entre mes doigts, le parfum de ses fleurs me poursuivant toujours. Mais les pétales tombaient et traçaient un chemin ocre et moucheté, m’empêchant quoiqu’il en soit d’oublier d’où je venais, où je voulais retourner, même à travers le brouillard : avec lui.

Je m’avançai à mon tour, laissant mes doigts s’égarer au-dessus de l’interrupteur, pour le rejoindre finalement et me glisser entre les draps au sein desquels je ne faisais que me retourner depuis trop longtemps, dans l’autre sens. Pas ce soir, alors que ses bras m’accueillirent sans chanceler, que mes doigts frôlèrent lentement son torse en retrouvant son étreinte, douce contre les cicatrices. Et cela faisait des mois que je réfrénais tout élan, que j’annihilais toute propension à la proximité, à l’intimité. Tellement longtemps, oui, que je craignais de ne plus savoir comment, incapable de me laisser emporter sans me sentir coupable. Je m'attendais à ce que la culpabilité surgisse alors, de nouveau, s'immisçant entre nos deux corps, instantanément. Mais je laissai passer mes yeux du plafond sombre et vierge à la courbe de sa tempe, ses yeux luisant dans la pénombre avant de disparaître derrière ses paupières abaissées et rien ne vint. Rien d’autre que mon souffle accordé au sien, enfin. Rien d’autre que la sensation de respirer, cette nuit seulement, cette nuit au moins, et je laissai mon visage se relâcher au creux de son cou, retrouvant l’odeur sa peau, délivrance rassurante lorsque celle-ci ne m’avait pourtant jamais quittée. Cette nuit, au moins. Son corps contre le mien, et le bruit apaisant de sa respiration. Son torse s’élevant et s’abaissant en rythme sous ma main apaisée et l’impression, pour la première fois, que le silence de la nuit nous enveloppant finalement soit réconfortant plus qu’accablant. « Merci. » J’ignorai s’il m’entendait ou s’il dormait déjà. J’ignorai si mon murmure parviendrait à transpercer l’onirisme de ses songes pour l’atteindre, lui, mais je m’y autorisai tout de même avant de le rejoindre en rêve. Je le remerciai en sentant ses bras me tenir contre lui car cela signifiait qu’il m’y autorisait, ainsi. Qu’il m’acceptait près de lui, malgré tout, malgré le temps mis pour y arriver, malgré les épreuves, malgré mes erreurs. Qu’il m’acceptait, moi, me pardonnant tout ce que je ne me pardonnerais peut-être jamais, tout ce qu’il ignorait encore. Cette nuit, au moins.


 


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