Nous avons tous une certaine conception de l'univers. Quand quelqu'un débarque et bouleverse cette conception, on ne sait pas comment réagir. On n'est pas configuré pour ça. C'est dur de remettre en question tout ce en quoi on a toujours cru. (Charley Davidson, Darynda Jones )
☆ Harvey & Eve ☆
Souvent les réunions des mamans se tenaient au parc. Après tout, nos enfants nous rapprochaient considérablement. Nous demeurions assises sur les bancs, à regarder nos chères têtes blondes s’amuser pendant nous étions condamnées à une sentence de dix ans ferme. Puis l’une d’entre eut cette idée folle. « Et si nous sortions dans un bar ? » Sortir. Aller à l’extérieur. Tout un concept. Donc tous les vendredi soirs nous nous retrouvions dans un bar différent de la ville. Certaines buvaient plus que d’autres pour oublier, d’autres pour se rappeler leur jeunesse envolée. Pour ma part, je ne buvais que très rarement. Je me contentai d’écouter, d’aller chercher les verres -alors que vu mes deux mains gauches, ce n’était clairement pas une bonne idée- et de tremper mes lèvres de temps à autre dans un breuvage indigeste pour me faire la promesse que cela n’arriverait plus. Que la semaine s’écoulerait lentement avant cette journée fatidique. Et nous y étions. Aujourd’hui, nous étions vendredi.
Je ne sais pas pourquoi je continue à participer à ce rite de passage. A essayer de me sociabiliser pour m’ouvrir et discuter avec mes pairs. Mon psychologue pense que c’est une bonne chose, que je dois mettre le pied dehors. Vivant dans un espace exigu, l’extérieur me semble gigantesque. Et cette énormité me fait peur. Me pousse à me terrer dans mon clapier et de ne plus ouvrir la porte. mais à force de rester avec les mêmes personnes, de me confier, de mettre des mots sur ma phobie, les filles l’ont assez vite compris. Et donc plusieurs d’entre elles décident de débarquer chez moi pour me conditionner, me préparer. On se décide à coiffer mes cheveux rêches, on habille mes lèvres d’un rouge carmin qui ne me ressemble pas et me sort des robes qui sont plus courtes les unes que les autres. Je savais d’avance en ouvrant les yeux ce matin, que ce vendredi ne ferait pas exception.
Et pourtant, je lutte. Assise dans mon canapé, munie d’un sweat-shirt ayant appartenu à Jacob et ma cup de pâtes chinoises entre les mains, je savoure un moment de tranquillité. Devant la propagation de la pandémie, j’ai décidé d’envoyer les enfants chez ma belle-mère. L’air frais leur fera le plus grand bien tout comme de rester avec leur grand-mère. Lisa voulait emporter son chien mais Chopin étant le fils du mien, il était hors de question que je les sépare. J’ai donc accepté qu’elle emporte ses insectes pour rester seule avec mes chiens. La solitude a du bon. On peut se recentrer sur soi, savoir ce que l’on veut. Un peu de sérénité, de calme. Un bon verre de vin -nécessaire à la survie lorsqu’on est mère célibataire- et un bon programme. Ayant pris la lourde décision de me reproduire, j’ai souscrit à tous les services payants de vidéo à la demande. Ne pas mettre ses enfants devant la télé, quelle connerie. La télévision est une véritable survie pour moi.
Je ne suis pas assise depuis dix minutes que j’entends qu’on tambourine à ma porte. Vingt heures, elles sont ponctuelles. Je ne prends même pas la peine d’ouvrir qu’elles débarquent. A quatre pour commencer à me houspiller comme quoi je ne suis pas prête. mais je ne le serai jamais. Etant agoraphobe doublée d’une certaine timidité, je ne peux pas adhérer à ce genre de rituel bizarre. Sortir pour au final rentrer avec un inconnu qui ne daignera même pas nous rappeler le lendemain, perdre le peu d’estime de soi pour au final se dire que nous ne sommes que des trainées. Non merci. Sans doute cela plait-il à certaines femmes qui ont assez confiance en elle ? Mais je ne fais pas partie de cette catégorie. Trop petite, trop chétive. Trop en fait. Je viens donc me laisser trainer dans la salle de bain alors qu’on m’arrache la moitié de la tête et que l’on me maquille. Prête à choper comme elle dirait. Ce n’est pas parce que je n’ai pas pratiqué depuis un moment que l’acte charnel me manque. Je dodeline de la tête avant d’enfiler la robe qui n’est pas trop mal cette fois-ci. Une robe noire avec des manches colorées qui m’arrivait juste au-dessus du genou. Sans cesser de soupirer mais ne contredisant pas non plus, j’enfile mes escarpins pour les suivre. Mettre Evelyn sur des talons, quelle glorieuse idée aies-je eu là. Je ne suis déjà pas capable de tenir debout en temps normal mais alors avec des talons, c’est la cheville tordue assurée.
Je dois dire qu’il y a au moins un point positif à cette entreprise. Je commence à connaître les bars de Brisbane. Ce soir, elles ont décidé de jeter leur dévolu sur un bar d’hommes d’affaires. Car selon elles, un homme en costume, c’est sexy. Ça dépend de l’homme et du costume. Je ne suis pas trop attirée par les requins de la finance ou même les avocats -paye ce cliché-. Je préfère les hommes simples à ceux qui passent leur temps dans la salle de bain, à s’asperger d’après-rasage et qui sont tellement seuls qu’ils enchaînent les conquêtes. Tous les mêmes. Et je dois dire que l’ambiance du bar, plus chic que celui de la semaine précédente, ne fait que confirmer mon opinion. « Allez ce soir, nous allons te trouver un mâle. » Je me tourne vers mon amie qui me surplombe de deux têtes. J’ai beau porter des escarpins de dix centimètres, je reste néanmoins en dessous de la moyenne. Un mètre cinquante-deux rehaussé de dix, tu fais le calcul mon grand. « On va jouer au jeu d’How I Met Your Mother. » Oh non pas encore. La dernière fois, j’ai été incapable de dire deux mots au mec tant il était… bizarre.
Elle ne me donne pas le choix en attrapant ma main. Avant de se mettre en quête de la proie idéale. Je la vois qui se met sur la pointe des pieds avant de jeter son dévolu sur un mec. J’en bouscule un au passage. Très grand, vraiment très grand. Mon regard s’attarde un instant avant que je ne balbutie une excuse. Puis, je me fais tirer de force un grand coup, manquant de me déboîter l’épaule. Je la vois qui tapote sur l’épaule du pauvre malheureux qui se tourne vers nous. Petit. Je dirai dans le mètre soixante-dix et le crâne assez dégarni. Ok donc si j’ai bien compris sa manœuvre, je vais occuper le petit pendant qu’elle s’attardera sur le compagnon de ce dernier qui est déjà plus… ouais pas mal. « Dites avez-vous rencontré Eve ? » Non et je n’en ai pas envie. Je fronce les sourcils. « Bonsoir. » Puis, je me dégage de la poigne ferme de ma compagne de soirée avant de masser mon poignet. Pourquoi tant de violence ? « Je vais vous laisser à votre soirée, murmurai-je en reculant. » Sauf que je l’ai dit, Eve et talons, ce n’est pas la bonne équation. Je perds l’équilibre, finissant ma chute dans les bras de quelqu’un. Quand je disais que cette soirée serait une véritable catastrophe. J’avais raison en fait.
En entrant dans le bar, Harvey jeta un bref regard alentour. « On est loin de New-York mais ça fera l’affaire », se dit-il, habitué qu’il était aux grands bars où l’on entre que sur invitation, ou si l’on connaît quelqu’un qui dispose d’une carte de membre…Les endroits très select en quelque sorte, où n’importe qui n’entre pas sans montrer patte blanche. Mais bon, l’endroit était connu comme étant l’un des plus chics du quartier de Spring Hill, et donc de Brisbane. La ville était encore trop nouvelle pour lui qui peinait à ne pas faire de chaque magasin, chaque restaurant, chaque bar, bref, chaque coin de rue, une comparaison bien peu flatteuse avec le standing qu’offrait New-York…à ceux qui, bien sûr, en ont les moyens, ce qui était son cas. Quoi qu’il en soit, le bar eut le mérite de remporter les suffrages auprès de ses clients qu’il conviait avec lui pour un verre, histoire de fêter leur victoire récente au tribunal. Accompagné de deux hommes - l’un, d’un âge assez avancé, était le directeur de l’entreprise et l’autre, plus jeune, était son idiot de fils qui prendrait un jour sa relève - Harvey leur désigna une table ronde près de la grande baie vitrée teintée, les invitant à s’installer tandis qu’il commandait une bouteille du meilleur champagne dont le bar disposait. Rajustant ensuite son costume, un demi-sourire aux lèvres et un clin d’œil envoyé à la serveuse qui s’en retournait avec sa commande, Harvey prit à son tour place et la discussion qu’ils avaient entamée à son cabinet puis dans sa voiture reprit de plus belle.
Lorsqu’il est en affaire, rien ni personne ne saurait distraire celui qu’on surnommait le Lion de New-York, pas même la jeune serveuse qui était entretemps revenue avec un prestigieux millésime et trois flûtes à champagne. Elle les servit, son regard s’attardant sur Harvey, essayant d’attirer à nouveau son regard, mais elle était presque devenue invisible pour lui, tant son attention s’en trouvait toute acquise à la victoire qu’il venait de remporter et à un nouveau contrat qu’il était en train de décrocher avec ce client, qui désirait vivement refaire appel à lui si la situation l’exigeait. Après qu’elle soit repartie d’un pas vif, montrant par-là que son amour-propre s’en trouvait blessé, les trois hommes levèrent leur verre et les firent teintés entre eux. On leur apporta ensuite des amuses-bouches, pour éponger un peu l’alcool du champagne, mais Harvey savait tenir sa limite en matière d’alcool. Boire, oui, mais ne jamais tomber dans l’excès. Encore moins face à des clients…Quelle image cela renverrait-il ?! Ce sont donc surtout ses deux accompagnateurs qui vidèrent presque à eux-seuls la bouteille. Soudain, leur attention fut détournée par l’arrivée d’un groupe de jeunes femmes qui semblaient prêtes à passer une bonne soirée entre amies. De sa place, Harvey ne les vit que de loin mais leur attitude était tout ce qu’il n’appréciait pas, en société. Trop d’exubérance, trop fortes en voix, trop, trop…Sauf une, qui se tenait un peu à l’écart et ne semblait de loin pas à sa place. Harvey plissa les yeux sur elle puis détourna le regard vers son client, qui lui signifiait sa volonté de rentrer chez eux et le remerciait encore pour son travail exemplaire.
C’est mon travail, Monsieur Penge, répondit-il, feignant un brin l’humilité. Vous me payez pour cela !
Et plutôt bien, n’est-ce pas Maître ? renchérit Penge Junior. Ce à quoi Harvey se contenta de répondre par un simple sourire avant de leur offrir une poignée de mains fermes et de les raccompagner jusqu’à leur voiture. Il attendit avec eux à l’extérieur, le temps que leur chauffeur ne passe les chercher puis tourna les talons et se dirigea vers le comptoir du bar, désirant un dernier verre avant de rentrer chez lui. Mais au lieu d’un verre dans ses mains, c’est une femme qui lui tomba littéralement dans les bras, après avoir sans doute perdu l’équilibre sur ses talons vertigineux. Passé le moment de la surprise, Harvey l’aida à se redresser et à tenir sur ses jambes :
Et bien et bien mademoiselle, lança-t-il en riant légèrement. Je crois que la prochaine fois, vous devriez mettre quelque chose d’un tantinet…moins haut, aux pieds !
Son regard glissa alors sur elle et il reconnut celle qui, de loin, lui avait semblé si peu à sa place. Saluant d’un bref « Mesdames », ses accompagnatrices, il reprit, se penchant légèrement vers elle et lui parlant à voix basse :
Elles veulent vous caser avec…ça ?! fit-il en désignant d’un rapide coup d’œil l’homme au crâne dégarni dans son dos. Vos amies aiment se moquer de vous on dirait…
Nous avons tous une certaine conception de l'univers. Quand quelqu'un débarque et bouleverse cette conception, on ne sait pas comment réagir. On n'est pas configuré pour ça. C'est dur de remettre en question tout ce en quoi on a toujours cru. (Charley Davidson, Darynda Jones )
☆ Harvey & Eve ☆
Je n’ai jamais été trop habituée à sortir. Etant enfermée dans un orphelinat depuis mon plus jeune âge, je n’ai pas eu la chance de toutes les adolescentes. Certes, il y a eu Martin. Martin fut le premier à avoir fait battre mon cœur. Mais sa réputation l’ayant précédée, j’ai eu peur. Peur de ce que je pourrais ressentir. Alors j’ai décidé d’y mettre un terme, de ne pas donner suite, brisant nos deux cœurs par la même occasion. Perdre sa virginité tard, tomber enceinte trop tôt. Voir sa jeunesse s’envoler, s’échapper entre nos doigts. C’était ça le but de ce groupe : nous sentir femmes à nouveau, nous sentir jeunes. Et pourtant à chaque fois… Je me sentais de plus en plus vieille.
Je n’ai jamais été à l’aise en société. J’ai toujours préféré mon petit confort, rester chez moi et regarder la télé avec les enfants ou encore le chien. Ivana avait bien compris que le vendredi, je m’aérais la tête. Je devais sortir selon elle. vivre ma jeunesse avortée, essayer de la récupérer. Et pourtant, je n’y arrive pas. comme si cette alliance que j’avais autour du coup m’étranglait un peu plus chaque jour. Mes amies ne l’entendaient pas de cette oreille. Après deux ans de chasteté, sans même un baiser pour la gente masculine, je devais remonter en scène. Essayer d’à nouveau ressentir des émotions autre que de la tendresse pour ma progéniture. Et essayer de vivre à nouveau.
C’est pour cette raison que l’on m’a enfoncé de force dans cette robe. Je ne suis pas une femme avec un très beau corps. Il porte la trace de deux maternités. Quand on le voit nu, je suis comme toutes les femmes. Avec ses vergetures et autres. Contrairement à Fran, qui est refaite de la tête aux pieds, je demeure naturelle. Avec mes dents de devant trop grandes, mon teint trop pâle et ma poitrine qui n’avait rien d’extraordinaire. Je savais qu’à côté de la beauté exotique de mon amie, je ne faisais pas le poids. Je devrais me contenter de rester chez moi et de zapper sur Netflix comme je sais si bien le faire. Ou effectuer un raid sur World Of Warcraft mais j’ai décidé de les suivre.
Et comme à chaque fois, nous nous faisons remarquer. A peine entrées dans le bar, elles se mettent à glousser comme des pintades à qui l’on aurait lancé des miettes de pain. Je sens le regard des hommes d’affaires sur nous et je rentre la tête dans mes épaules. Comme pour disparaître. « Allons-nous en Franny, on n’a rien à faire ici. » Elle me jauge de la tête aux pieds. Comme si me faire belle avait demandé un exploit. Je portais sa robe et ses chaussures. Rien n’était à moi dans ma tenue et si je m’étais écoutée, je serai venue en jeans. Et non dans un pareil accoutrement qui me rendait ridicule aux yeux des requins qui nous scrutaient comme de nouvelles proies. Courage, fuyons !
Mais on m’attrape par la main alors que je plante mes deux pieds dans le sol. Je peux sentir les ricanements dans mon dos alors que je déglutis péniblement. Mais elle a de la force la Franny. Et les présentations se font simples. Alors même s’il a un visage rond et que cela inspire généralement de la sympathie, je préfère prendre mes jambes à mon cou. Jambes sur lesquelles je ne tiens pas puisque j’atterris dans les bras d’un autre type. Des mains étrangères sur mon corps me gênent et je finis par me redresser. Rouge tomate. « Et bien et bien mademoiselle, Je crois que la prochaine fois, vous devriez mettre quelque chose d’un tantinet…moins haut, aux pieds ! » Comme pour me préserver, j’enfonce ma tête entre mes épaules comme une tortue qui chercherait à rentrer la tête dans sa coquille. « Ils… ils ne sont pas à moi. Je ne porte jamais de chaussures de ce genre, dis-je d’une toute petite voix. » L’homme ne semble pas déterminé à me lâcher. Certes, il a de très grands bras contrairement à moi qui suis si fluette. Mais non, merci. « Danke, soufflai-je avant de venir poser ma main sur la sienne délicatement, mais je pense que vous pouvez me lâcher. »
Les filles se tournent alors vers nous et lui sourient. Je n’ai même pas pris la peine de le regarder. Je lève alors la tête pour le fixer. Encore quelqu’un de géant. Mais qu’est-ce qu’ils mangent tous dans ce pays ? Ledit homme se penche donc pour me parler à l’oreille. Et il y a un sentiment de familiarité qui me gêne. C’est un prédateur et j’ai le sentiment d’être la pauvre gazelle qu’il va manger tout cru. Je lance une œillade à Fran qui ne m’a pas vu en grande conversation avec le type du bar. « Elles veulent vous caser avec…ça ?! » Il n’est pas particulièrement discret en pointant le monsieur du menton. C’est très méchant. Je fronce les sourcils. « Vos amies aiment se moquer de vous on dirait… » Non mais, c’est quoi ce nul ? Je hausse un sourcil. « C’est très méchant, monsieur. On ne juge pas quelqu’un à son physique. Si ceci est une tentative d’approche pour me mettre entre vos draps, vous avez tout faux. » Je crois que je n’ai pas dit une phrase aussi longue à un homme depuis Marius. Mais la situation est différente. Avec Marius, nous étions dans un contexte professionnel et non personnel. « Par exemple, vous avez un visage assez harmonieux mais votre manière de vous tenir ainsi que votre costume classe trahissent un énorme abruti. Je préfère passer la soirée avec ça plutôt qu’avec un homme qui est trop arrogant. » Je viens hausser un sourcil avant de tourner les talons. Puis doucement, je reprends place à côté de l’homme à qui on m’a présenté. « Je vous offre un verre ? » Je lui sers un sourire. « Volontiers. Mais sans alcool, je conduis. » Et donc à femme sobre, aucune chance d’entrer dans mon temple sacré. Dommage messieurs.
Un léger accent étranger dans sa voix ne la rend que plus charmante encore aux yeux de Harvey. Ce mot prononcé d’une petite voix dans une langue étrangère vint lui confirmer qu’effectivement, elle n’était pas anglophone de naissance mais peu importe. Ce qui lui importait en revanche, c’était qu’ils fassent connaissance. Il l’avait sauvé d’une chute qui aurait pu être terriblement honteuse pour elle, à côté du fait qu’elle aurait pu se faire mal. Il s’estimait donc totalement en droit de lui offrir un verre et ensuite…advienne que pourra !
A présent qu’elle semblait à nouveau tenir debout sur ses échasses qui n’étaient en réalité pas les siennes comme il s’agissait d’un prêt, selon ses dires, elle se dégagea doucement de ses mains. N’y opposant aucune résistante, il ouvrit ses doigts et laissa retomber sa main droite le long de son corps. Sa main gauche vint elle se poser à plat sur le comptoir du bar. Sentant le regard de ses accompagnatrices sur lui, plus encore après qu’il les ait salué, Harvey nota, chez plusieurs d’entre elles, l’admiration et presque un brin de jalousie envers la jeune femme qu’il avait sauvé de l’humiliation, vu que c’était en cet instant sur elle, qu’il accordait toute son attention. Mais alors qu’il pensait qu’elle partagerait son avis, qu’elle se trouvait mal à l’aise de se voir ainsi affublé de pareil accompagnateur de verre par ses amies alors qu’il était lui, cent fois - non mille fois ! - mieux que ce pauvre homme, elle se rebiffa et l’envoya presque au sol par K.O., vu sa répartie à laquelle il ne s’attendait pas. Mais là était l’astuce…[i[Presque K.O.[/i]. Personne ne met K.O. Harvey Hessington. Dans n’importe quelle sphère de la vie, il obtenait toujours ce qu’il désirait et l’entendre lui résister de la sorte lui donna juste encore plus envie de la connaître que le contraire. Elle était devenue pour lui un challenge, une mission à accomplir !
Je crois que vous m’avez mal compris, mademoiselle, fit-il en se plaçant, debout, entre elle et son accompagnateur par défaut. Quant à vous, dit-il en se tournant vers l’inconnu, ne le prenez pas mal mais vous êtes victime de la machination de toutes ces dames, lui dit-il en désignant de la tête le groupe de jeunes femmes en question. Et moi non plus, je ne trouve pas ça très gentil d’être désigné par défaut, au hasard, juste parce que vous vous êtes trouvés là, au comptoir du bar, seul. Ne vous en déplaise mademoiselle, reprit-il alors en se retournant vers la jeune femme blonde. Mais vous et vos amies ne valez guère mieux que moi. Je pense même, que vous êtes un stade au-dessus, en ce qui concerne la méchanceté. Je vous sauve de l’humiliation, je vous offre la possibilité de partager un verre avec moi plutôt qu’avec ce monsieur - ne le prenez pas mal, rajouta-t-il en se retournant rapidement vers l’intéressé - et je ne reçois en retour rien d’autres que des injures poliment déguisées.
Il leva légèrement sa main gauche du comptoir et haussa légèrement les épaules :
Pardonnez-moi mais une bande de jeunes femmes en quête de mâles dans un bar et qui jettent leur dévolu sur le premier venu, sur une proie facile…Votre attitude est toute aussi prédatrice que la mienne, lorsque je vous ai dit que vous valiez bien mieux que ce que vos amies pensent de vous. Mes mots ont été mal interprétés ; je parlais de vous et de la valeur, de l’importance que vos amies vous prêtent. En aucun cas de ce monsieur.
Il lui avait sorti son baratin d’avocat. Maintenant, il prendrait bien un verre lui aussi. Parler lui avait asséché la bouche et la gorge :
Whiskey, s’il-vous-plaît, double, commanda-t-il au barman, en prenant place au comptoir du bar.
Nous avons tous une certaine conception de l'univers. Quand quelqu'un débarque et bouleverse cette conception, on ne sait pas comment réagir. On n'est pas configuré pour ça. C'est dur de remettre en question tout ce en quoi on a toujours cru. (Charley Davidson, Darynda Jones )
☆ Harvey & Eve ☆
Je ne sors que très peu. Non pas que je n’aimais pas trainer avec mes amies. Mais je ne supportais pas que l’on vienne me draguer. A vrai dire, j’ai tendance à « flirter » avec quelqu’un quand la chose se veut naturelle. Je n’ai jamais réussi à mettre à bien mes plans dragues car je suis aussi gracieuse qu’une boîte de thon et aussi belle qu’une serpillère. Cependant, ce soir, mes amies avaient décidé que je serai de la partie. Qu’elles allaient m’aider à me remettre en selle. Sauf que le schéma est le même. A chaque fois, on me présente le moins séduisant pour que je l’occupe pendant qu’elles s’amusent. Bien que certaines soient en couple ou même mariées, cela ne les gênait pas. J’ai une certaine éthique. Je fais attention aux hommes et à leurs mains. Le soleil d’Australie caramélise la peau de ses habitants et donc la marque de l’alliance se voyait comme le nez au milieu de la figure. La fidélité n’existe plus à cette nouvelle ère. Je me sens un peu seule à l’être envers quelqu’un qui n’existe plus depuis deux ans. Rares sont les personnes envers qui j’ai eu un véritable coup de cœur. Et j’étais certaine que l’homme en face de moi n’en serait pas un.
Alors que je constate que son costume vaut plus cher que ma voiture, son visage suffisant je sais par avance que je vais courir très vite. Mais pour ça, je devais ôter mes chaussures. Je viens donc gentiment lui dire que je ne serai pas sa compagne d’un soir et qu’il pouvait relancer la ligne. Je peux lire dans le regard de mes amies que je commettais une grossière erreur mais je vaux mieux que ça. Certes, je n’estime pas ma valeur très haute mais mieux que ça. Je comprends les motivations des gens qui se perdent entre les draps d’inconnus mais la mienne ne réside pas là. Seulement le requin que représente l’homme que je viens d’éconduire décide de revenir à la charge. Je l’écoute donc distraitement en sachant pertinemment qu’il n’avait aucune chance. « Je crois que vous m’avez mal compris, mademoiselle » A chaque fois qu’il me qualifie de la sorte j’ai l’impression qu’il me rabaisse. Je m’apprête à ouvrir la bouche alors qu’il se tourne vers mon compagnon de soirée pour lui parler. « Quant à vous, ne le prenez pas mal mais vous êtes victime de la machination de toutes ces dames, Et moi non plus, je ne trouve pas ça très gentil d’être désigné par défaut, au hasard, juste parce que vous vous êtes trouvés là, au comptoir du bar, seul. Ne vous en déplaise mademoiselle… » Je reste interdite. Oh pitié mais ça va durer longtemps. Et mon pyjama me manque atrocement pour le coup. « Mais vous et vos amies ne valez guère mieux que moi. Je pense même, que vous êtes un stade au-dessus, en ce qui concerne la méchanceté. Je vous sauve de l’humiliation, je vous offre la possibilité de partager un verre avec moi plutôt qu’avec ce monsieur - ne le prenez pas mal et je ne reçois en retour rien d’autres que des injures poliment déguisées. » Alors déjà, d’où il me met dans le même sac que mes amies ? Cela se voit que je ne suis pas ici de mon gré. Et ensuite, d’où il veut me sauver d’une humiliation ? Pour finalement tout ramener à sa personne. J’y suis, il est avocat.
« Pardonnez-moi mais une bande de jeunes femmes en quête de mâles dans un bar et qui jettent leur dévolu sur le premier venu, sur une proie facile…Votre attitude est toute aussi prédatrice que la mienne, lorsque je vous ai dit que vous valiez bien mieux que ce que vos amies pensent de vous. Mes mots ont été mal interprétés ; je parlais de vous et de la valeur, de l’importance que vos amies vous prêtent. En aucun cas de ce monsieur. » Je lève les yeux au ciel avant de venir soupirer. Les avocats aiment s’entendre parler. Ce qui n’est pas mon cas. « C’est bon je peux contre argumenter maître ou vous avez encore des choses à plaider ? » Je viens faire claquer ma langue contre mon palet de manière sonore avant de voir que l’homme humilié quitta son siège pour s’en aller vers d’autres pâturages. Il faut dire qu’il ne l’avait pas ménagé. « Déjà, c’est Madame et non Mademoiselle. » Je tire doucement sur la chaîne pour exposer l’alliance aux yeux de tous et les plaques militaires qui ne quittent jamais mon cou. « Alors je sais ce que vous allez dire. que je suis détestable car je viens ici alors que je suis mariée. Dommage, je suis veuve. » S’il voulait vraiment que je le mouche, j’allais le faire. « Ensuite, je pense que si vous êtes aussi bon avocat que vous ne vous plaisez à croire, vous avez dû voir que je ne suis pas très à l’aise. Et donc que la méchanceté je n’en fais presque jamais preuve. Je suis même incapable d’écraser un insecte. Alors prends quelqu’un pour « cible »… » Et je mime les guillemets. Mon côté européen ressort puisque je commence à parler avec mes mains. « Je ne sais pas flirter avec quelqu’un. J’ai autant de grâce dans mon petit doigt que vous avez de compassion pour le genre humain. » Et bim. Mon dieu mais qu’est-ce qu’il m’arrive ? « Pour tout vous dire, je n’ai même jamais eu d’aventures sans lendemain. J’ai besoin d’une véritable connexion avec la personne de sexe masculin. Et pas de tomber sur un homme vêtu d’un costume qui vaut plus que mon patrimoine et qui est si égocentrique qu’il pense que d’un claquement de ses mains, il peut avoir toutes les femmes à ses pieds. » Je viens descendre de mon tabouret avant de payer le barman qui me sourit. Et je lui rends. « Je déteste les avocats. Saur ceux qui se mangent… » Je le montre de haut en bas. « Sauf que vous n’êtes pas comestible. » je prends une gorgée de ma boisson sans alcool avant de dodeliner de la tête pour reposer le verre. « Voilà, nous avons pris un verre ensembles. Je déclare donc un non-lieu et je vous invite à abandonner les charges. Vous n’avez aucune chance de gagner cette affaire maître. Et je doute qu’elle en vaille la peine. » Certes, je m’en sortais bien jusqu’à ma dépréciation. Franny sort du lot et je lui fais un sourire en coin. « mon amie va vous tenir compagnie. Je vous souhaite donc une bonne soirée et je retourne vers mes amies si détestables maître. » J’incline la tête alors que je le quitte pour retourner vers les filles. L’une d’elles m’en tape cinq alors que je viens les écouter. « On va fumer ? » Je ne fume pas (sauf cigarette électronique j’ai oubliée) mais je me décide à les suivre. En espérant que l’air frais balayera cet échange détestable.
Harvey resta interdit face à temps de mépris dans la voix de cette femme. A vrai dire, il ne comprenait pas bien pourquoi elle se montrait à ce point mauvaise envers lui. Quel était le faux pas qu’il avait bien pu faire ? La serrer d’un peu trop près après l’avoir rattrapé ? Avoir estimé que celui qui lui tenait de compagnon - ou quelque chose de ce genre - ne la méritait pas et avoir osé le lui dire ? S’être expliqué ? L’appeler Mademoiselle alors qu’elle était mariée - ou plutôt veuve - et qu’i l’ignorait ? Cela devenait tout simplement ridicule et il ne put s’empêcher de s’esclaffer. Ce n’était pas un rire joyeux. Harvey riait littéralement jaune. C’était n’importe quoi ! Il ne la connaissait pas mais, avant de se prendre un tel raz-de-marée en pleine figure, il aurait aimé échanger un peu avec elle autour d’un verre. Ainsi aurait-il sûrement finit par apprendre qu’elle était veuve, incapable de se montrer méchante bien qu’elle lui avait fait une belle démonstration du contraire, qu’elle était mal à l’aise avec le fait de flirter, qu’elle n’était pas friande des avocats, excepté dans son assiette - pourquoi, il l’ignorait et à présent il s’en fichait bien - et qu’elle n’était finalement pas de celles qui n’ont rien contre les ébats d’une nuit avant que chacun ne s’en retourne à sa vie de con côté. Peut-être lui avait-il donné malgré lui l’image d’un homme qui sait pertinemment que dans une heure ou deux, il l’aurait dans son lit. Oh il n’allait pas le nier, il aurait aimé l’avoir dans son lit, c’est vrai. Mais il n’était pas non plus un homme sans manières ni respect envers les femmes. Il n’avait jamais forcé aucune d’entre elles à partager son lit par exemple tout comme il se montrait franc avec elles dès qu’il sentait qu’elles étaient prêtes à aller plus loin avec lui. Avec Harvey, il n’y avait aucune promesse de conte de fées. Leur histoire durerait jusqu’à temps que l’un ou l’autre ne finisse par se lasser ou estime vouloir plus, chose que l’autre n’était pas prêt à lui offrir. Et il l’avait toujours accepté, quand bien même c’était souvent lui qui mettait fin à ses relations féminines. Cependant, il lui était déjà arrivé de se faire jeter et même pire puisqu’il avait été marié et que c’était son ex-épouse qui avait demandé le divorce, et non lui. Ce n’est jamais agréable, certes, et son amour-propre en prenait à chaque fois un sacré coup. Et alors ? Etait-ce la fin du monde ? Non. Il finissait toujours par hausser les épaules et aller de l’avant. Une de perdue, dix de retrouvées, comme le disait l’adage. La jeune femme face à lui ne voulait pas de lui, de sa compagnie ou de son verre. Soit. Par contre, la véhémence avec laquelle elle lui avait répondu avait au moins eu le mérite de l’avoir bien amusé. Il sortit son portefeuille de la poche de son costume, l’ouvrit, en extirpa un billet de vingt dollars et le jeta sur le comptoir du bar, à l’attention du barman qui venait juste de finir de préparer son verre de whiskey.
Je n’en veux plus finalement. Gardez la monnaie, lui dit-il.
Puis il reporta son attention vers son interlocutrice, leva rapidement le regard vers une autre jeune femme qui semblait elle, par contre, bien prête à partager de son temps avec lui, mais il leva sa main droite et secoua la tête :
Ne vous donnez pas cette peine de me trouver absolument de la compagnie pour ce soir, Madame, fit-il, insistant sur ce dernier mot. Je n’ai pas besoin de votre aide dans ce domaine. En tout cas, vous m’avez beaucoup diverti.
Puis, les mains dans les poches, il fit un pas puis un second en arrière et s’en retourna à la table qu’il avait partagé avec son client et son fils afin de récupérer son attaché-case et se dirigea vers la sortie, sans un regard en arrière ni un au-revoir. Après tout, il était encore tôt et il avait des papiers à préparer pour son assistante, afin qu’elle rédige les documents officiels suite à sa rencontre avec son client. Autant qu’il prenne de l’avance et se rende encore ce soir à son bureau pour mettre tout cela en ordre avant de s’en retourner à son appartement, malheureusement ce soir sans la moindre compagnie féminine. Demain peut-être se dit-il. L’avenir sourit aux audacieux.