| des secrets d'famille lourds (byron) |
| | (#)Lun 20 Avr 2020 - 15:46 | |
| D’un revers de la main, il essuie la transpiration qui coule le long de son front. L’air se fait rare, ici, dans le grenier de ses parents. Autour de lui, une multitude de cartons entassés au fil des années, des cadavres de meubles entreposés, des tas d’objets qui tapissent le sol et, partout, de la poussière. Elle règne en maître, ici, comme si personne n’y avait fait le ménage depuis des années. Après avoir questionné sa mère sur le sujet, il se pourrait bien que ce soit le cas ; elle n’a plus la forme physique nécessaire, et elle ne souhaite pas confier cette tâche à une « vulgaire » femme de ménage ; c’est bien trop personnel, tout ce qu’il y a là-dedans. Jacob la comprend. Certes. Ce qu’il ne comprend pas, en revanche, c’est pourquoi elle ne lui a pas demandé de l’aide plus tôt. Lui qui cherche toutes les activités du monde pour s’occuper aurait déjà pu passer de longues heures ici, enfermé, à ranger et à trier des souvenirs parfois plus vieux que lui. C’est pour ça qu’il ne lui a pas laissé le choix lors de leur dernière conversation téléphonique, elle était pourtant catégorique : non, je ne veux pas que tu te charges de ça. La mère est têtue, le fiston est pire ; si, je viendrai, n’oublie pas que j’ai un double des clés. Et il a gagné, et il est là. Sauf qu’il a chaud, trop chaud, et que la poussière lui prend à la gorge. Elle voulait peut-être l’épargner, finalement, peut-être qu’elle ne cherchait pas à lui dissimuler des choses sur lesquelles il ne doit pas tomber. C’est ce qu’il pensait. Il sait que son père est un homme respectable sur beaucoup de points, mais qu’au cours de sa carrière, il a usé de techniques pas très légales, pas très jolies. Et tout est sûrement retranscrit dans des fichiers, eux-même enfermés dans certains des cartons de ce joyeux bordel. Il n’y touchera pas. Il s’est fait cette promesse il y a des années, quand il a compris que son père n’était pas un modèle de vertu. Et bien qu’il ait des défauts, Jacob n’a qu’une seule parole, il n’ira pas mettre son nez là-dedans. Mais il a chaud, trop chaud. Alors il enjambe tout ce qui fait barrage à la fenêtre de toit, implantée un peu plus loin dans la pièce. Trop loin. Il se dit que le rangement est réellement nécessaire et que la première chose à faire est de dégager le passage au velux, pour permettre à la brise extérieure de le rafraîchir. Sinon, il ne tiendra jamais une après-midi entière et il n’osera jamais plus revenir, par la suite. Autant ne pas se dégoûter tout de suite d’une activité avec tant de potentiel, qui peut l’occuper et l’éloigner de sa solitude pendant tellement d’heures. Il avance, imprudemment, et bute contre quelque chose. Son regard se baisse, inspecte : une mallette. Le petit garçon qui sommeille en lui, celui qui n’a jamais eu le droit de venir jouer ici et qui n’a jamais pu toucher à l’une de ces mallettes est bien trop curieux. Il a fait une promesse, c’est vrai, mais il n’a pas dit qu’il ne jetterait pas un coup d’œil. Il n’est même pas certain qu’elle contient des affaires judiciaires, peut-être est-ce un rangement pour tous les dessins qu’il a faits durant son enfance ? Une seule manière de le savoir : l’ouvrir, regarder, détailler.
Dedans, il y a plusieurs enveloppes, des crayons, des rognures de ceux-ci, des papiers chiffonnés. Il prend une des enveloppes et regarde à l’intérieur : vide. Pareil pour une deuxième, et une troisième. Puis toutes, finalement. Les sourcils froncés, le blond se redresse et se penche vers la fenêtre de toit pour tirer sur celle-ci et finalement l’ouvrir. Le vent léger qu’il y a dehors le fait frissonner, contraste avec la chaleur ardente qui lui monte aux joues depuis tantôt. Un léger sourire s’installe cependant sur ses lèvres, ça fait du bien, ça aère à la fois la pièce et son esprit. Il se penche à nouveau sur la mallette et s’empare de l’un des papiers froissés, qu’il prend soin de déplier. Et plus il déplie le papier, puis il voit une écriture se former, une lettre s’écrire sous ses yeux : c’est un courrier. Ses yeux le parcourent rapidement, pour s’assurer que ce n’est pas ce à quoi il s’est formellement interdit lui-même. Mais l’écriture n’est pas soignée, il y a des fautes, et le langage n’est pas soutenu. Non, il n’y a rien de judiciaire là-dedans, c’est intime. Il devrait s’arrêter là, reposer le papier, ranger la mallette et dire à sa mère que finalement, il n’a pas envie de ranger tout ça. Sauf que sa curiosité le pousse à détailler les mots, à s’arrêter plus longtemps sur chacun d’eux, à les prendre presque personnellement. Une femme est amoureuse, une femme se livre, une femme le veut. Lui. Pas Jacob. Non, lui ; son père. Et la terre semble se dérober sous les pieds de l’agent immobilier, lui qui n’aurait jamais soupçonné son père d’une quelconque infidélité ; pourtant, son géniteur, il a le portrait idéal. Un homme violent, fier, porté sur la boisson. Infidèle. Il se mord la lèvre inférieure avant de remettre le papier dans le même état qu’il l’a trouvé, avant de le fourrer dans la poche de son pantalon. Il a besoin de le lire, de le relire, de le comprendre et de ne pas s’imaginer trop de choses avant d’être sûr de lui. Pourtant, sûr, il l’est : son père a trompé sa mère. Et sa mère, sa mère, elle refusait qu’il vienne ranger ici. Elle était complice des méfaits de son père. Tout comme il essuie les infidélités d’Olivia, tout comme il ferme les yeux sur les soirs où elle ne rentre pas, sur les fois où elle sent le parfum d’un autre homme. Telle mère, tel fils, tous deux coupables à la place de leurs conjoints. Alors, la colère naît dans le cœur, dans le corps et dans l’esprit de Jacob. Il en veut à sa mère, il en veut à son père, il en veut à Olivia, il s’en veut à lui-même. Alors il s’en va. Il descend les escaliers qui mènent au grenier et ignore sa mère quand elle l’appelle par son prénom, ne comprenant pas cette envie soudaine de s’enfuir loin de la maison qui l’a vu grandir. Pas maintenant, maman. J’y vais. Salut. Et il claque la porte derrière lui sans plus d’explications, sans penser qu’il sera obligé de lui dire, un jour, pourquoi il est parti, pourquoi il lui en veut, pourquoi il ne veut plus ranger ce foutu grenier.
Ses pas le mènent à sa voiture et sa voiture roule à toute allure vers le complexe sportif. Il sait qu’ici, il pourra se défouler, comme à chaque fois que la colère prend le dessus sur sa peine. Ici, il sait qu’il y retrouvera Byron. Ce gars beaucoup plus jeune que lui, qui ne le complète dans aucun domaine si ce n’est celui-ci. Ils ne font pas le même métier, n’ont pas la même situation financière et n’auraient donc jamais pu se connaître autrement qu’ici. Byron, c’est le type qui l’a aidé à éloigner le fantôme, c’est le type qui l’a aidé à casser la gueule de faucheuse. Et là, aujourd’hui, maintenant, c’est celui qui va l’aider à oublier sa rancœur, celui qui va l’aider à se confier. Comme toujours. Il sort de son véhicule et entre dans la grande salle, là où il y a les rings, les gants, les punching-balls, là où un cogneur comme lui trouve toujours son paradis. By’, enfile tes gants, j’ai besoin d’taper dans quelque chose, là. Ses mots sortent aussi vite que sa rage est montée, tandis qu’il vient faire face à son ami pour lui tendre une paire de gants. Il est là, il est toujours là. Et au fond de lui, il aimerait lui sourire et se dire qu’il est content de le voir ; peut-être qu’il y arrivera dans quelques minutes. Ce n’est pas la première fois qu’il arrive en trombe à la salle, de la sorte, avec comme seule envie de taper dans tout ce qui bouge. Le jeune homme face à lui a appris à le dompter, à le connaître, à l’aiguiller, l’indiquer. Et aujourd’hui est comme tous les autres jours, seul le sujet de son énervement est différent. Est-ce qu’il pourra lui en parler, de ça ? Est-ce qu’il pourra avouer les infidélités d’un juge aussi tristement célèbre que son père, à n’importe qui, comme ça ? Byron n’est pas n’importe qui. Ne l’est plus, du moins. Et même s’ils ne se sont – presque – jamais vus en dehors de ces murs, ça ne veut pas dire que Jacob ne le considère pas comme un vrai ami. Ce n’est pas n’importe qui. Il a envie de lui en parler, mais il a envie de taper. Les gants autour de ses poings, il monte sur le ring, regarde son ami. C’est son ami. Alors, t’es prêt ? Il crie ; comme d’habitude, ici.
@Byron Oberkampf |
| | | | (#)Jeu 23 Avr 2020 - 16:23 | |
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Des secrets d'famille lourds Un mur immaculé. Blanc crème. Seules traces des affres du temps : des traits noirs. Ils zèbrent ici ou là, la surface lactescente. Résultat du frottement involontaire des chaises. Quelques photographies dépaysantes habillent les lieux. Ici, une maison blanche, à la porte et aux volets céruléens au bord d’une mer azur. Paysage de Crète, des Cyclades. Là, une langue de lave rougeoyante serpente, mètre par mètre, jusqu’à la mer, jusqu’à l’union contre-nature au travers d’un nuage de vapeur d’eau. Magique. Apaisant. Mon inconscient s’évade. Aucun bruit parasite ne vient rompre ma contemplation. J’oublie où je suis. Je ne vois plus les personnes autour de moi. Pensif. Mon visage se tourne vers une troisième photographie. Aux accents africains. Bravant le danger, un groupe de gnous traverse un bras de fleuve. De chaque côté, aux aguets, des masses noires s’approchent. Doucement, prêtes à bondir à la gorge du premier bovidé qui se présentera. Le cliché est pris à cet instant où tout peut basculés. D’un côté. Comme de l’autre. Il tient en haleine. Il interroge sur la destinée de ces animaux. Un gnou semble, un chouia séparé des autres ? Est-ce lui qui recevra le courroux de la destinée ? Ou celui qui ferme la marche ? Tout est possible. Et c’est ce qui rend la photographie particulièrement réussie « ...kampf ». Je suis obnubilé par cette image. Rien ne peut m’en faire détourner le regard. Sauf une personne qui m’appelle avec insistance : « Monsieur Oberkampf ?!!! ». Je retrouve mes, esprits, bascule la tête de côté et regarde l’homme dans l’embrasure d’une porte. D’un geste de la main, il m’invite à le rejoindre.
Sans ambage, il m’invite à retirer le haut. Je m’exécute sans broncher. Il m’observe. J’ai la sensation qu’il scrute, une à une, les cicatrices qui parsèment mon corps. Je me sens mal à l’aise. Passé aux rayons X. Pourtant, il m’avait déjà vu. Suis-je vraiment une bête de foire ? Puis, je sens ses mains se poser sur moi. Froide. Je frissonne. Étonné par ce contact. Il passe sa main sur mes hématomes. Ils ont quasiment disparu. Je ne ressens presque rien. « Voyons au niveau des côtes... » Il presse. Légers picotements. « Hum... ». De mon humble avis, mon état s’est nettement amélioré. Je me suis mis au repos forcé une bonne dizaine de jours, limitant drastiquement mes déplacements, arrêtant toute activité physique intense. Du coup, depuis, j’ai l’impression de m'empâter J’ai besoin de reprendre une vie normale, de reprendre le sport, de me bouger. La seule activité régulière que je me suis autorisé : sortir promener Diablo. Mais les promenades n’étaient pas vraiment de tout repos. « Vous pouvez vous rhabiller ! » et m’invite à m’asseoir. J’obtempère. Il fait le tour de son bureau, s’installe face à moi. Silence. J’attends son verdict, comme une épée de Damoclès. Je retiens ma respiration. Je sonde la moindre parcelle de son visage, j’essaie de lire un message à travers son attitude corporelle. Impavide. Impassible. Je redoute la sentence. Raclement de gorge de sa part. Montée d’adrénaline. Il joue avec mes nerfs. « Monsieur Oberkampf... » Oui ? Il sait comment je m’appelle. Mais encore. Qu’il crache le morceau plutôt. Sans attendre plus longtemps. « Votre état s’améliore. Je ne suis pas défavorable au fait que vous repreniez une activité sportive. Mais avec parcimonie. Pas d’efforts trop intenses, trop violents » Mon visage s’illumine un tantinet, mais j’ose glisser, avec candeur : « La boxe, c’est inconcevable ? ». Il tique. Étrangement. La boxe est un sport intense, voire violent. Un sport qui ne rentre pas dans les cases. En face de moi, je le vois poser ses coudes sur le bureau et joindre ses mains sous son menton. Il se confronte à mon regard. Je tente un très léger sourire. Silence. Rictus. Mimiques de perplexité de la part du généraliste. « Monsieur Oberkampf… Comment vous dire… Pas de sport intense ! Qui demande trop de mouvements physiques. La boxe, à mon sens, n’est pas à privilégier. Néanmoins, si vous limiter votre activité pugilistique à vous défouler, contre un sac de boxe, vous pouvez. C’est un moindre mal ! Mais n’y allez pas trop fort ! Prudence !». J’acquiesce. Après cette mise en garde, il me libéra.
Cinq jours passent. J’ai pris sur moi. J’ai pris sur moi pour ne pas courir jusqu’à la salle de sport, enfiler mes gants et taper, taper, taper contre un sac. J’ai pris sur moi, pour rester calme encore un peu. Psychologiquement, c’est compliqué. Le démon qui sommeille en moi me pousse au vice. Je résiste. Mais là, l’envie est trop forte. Difficile de tenir plus longtemps. J’ai besoin de taper, taper, taper contre un sac. Défoulement. La natation, que j’ai reprise, ne me suffit plus. Comme un fumeur en manque de nicotine, je suis en manque de cette adrénaline procurée par la boxe, de taper, taper, taper contre un sac. Des va-et-vient, comme un métronome. Avachi dans mon canapé, je regarde la télé : des combats de boxe. Nerveusement, ma jambe gauche tremble d’impatience. Ce placebo, regarder de la boxe, tend à ne plus être satisfaisant. Tout aussi nerveusement, je caresse Diablo, affectueusement blotti tout contre moi. Je dois enfiler de nouveau les gants. Je regarde l’heure à mon portable. 16 h.La journée est longue. Trop.
Je me triture l’esprit. Y vais-je ? N’y vais-je pas ? Et puis merde, je ne vais pas m’opposer à cette pulsion sportive. Je ferais attention, de ne pas faire de gestes brusques. Pour me préserver. Je m’habille, prends mon sac de sport, y glisse mes vêtements de sport, mes gants, des rechanges. Puis je sors. D’un pas pressé, je rejoins l’arrêt de bus. Direction le complexe sportif. A l’approche du bus, je le vois se dresser devant moi. Ému de le retrouver, finalement, après des jours et des jours sans revenir. J’entre à l’intérieur, j’entends ce brouhaha tellement caractéristique. Le choc des gants, sur les sacs de cuir. Les valses des pas sur les rings. Les respirations, les cris de douleurs parfois. Je prends une grande respiration. Psychologiquement, je me sens déjà mieux. Je vais me changer. Basket, tee-shirt sans manche, short. Fin prêt. Je sors. Je pose mes gants sur une table. Je regarde où je peux m’installer, et taper, taper, taper. Derrière moi, j’entends un grand coup de frein. Crissement de pneus sur le parking. Quelqu’un est arrivé en trombe. Plus de bruits. Rien. Puis des pas précipités. Ils se rapprochent. Dangereusement. Je me retourne. Un visage connu.
Jacob. Il s’adresse à moi, en attrapant au vol mes gants et les plaquant sur mon torse. Il semble énervé. Visage fermé, mâchoire serrée. Il m’invite à mettre mes gants… Il veut taper sur quelqu’un. Moi. J’entends déjà les paroles du médecin, comme une ritournelle, un écho… Pas de sport intensif. Taper sur un sac, oui. Servir de punching-ball… Depuis que nous partageons ces moments de décontraction, de défoulement, je l’avais rarement vu dans cet état. Et pourtant, ses deux dernières années avaient été éprouvantes… Extrêmement difficiles. Il est arrivé que je le récupère à la petite cuillère. Je pense avoir été là, à des moments où il en avait terriblement besoin. Je ne suis pas de sa famille, je ne suis pas un ami proche (après tout, nous nous connaissons seulement, via la boxe), pour autant, j’ai été une oreille attentive. Il est parfois plus aisé de se confier à un inconnu qu’à des visages connus. Éviter tout jugement. Principalement. Et je commence à bien le connaître, je l’apprécie. Et le voir débouler, dans cette état m’inquiète. « Que se passe-t-il ? » J’aimerais bien connaître la raison qui le pousse à se déchaîner sur moi. Ce n’est pas normal. Il y a quelque chose qui cloche. Le voilà déjà monté sur le ring. Excité comme une pile électrique. Il veut en découdre. Et me crie dessus. Savoir si je suis prêt : « Minute papillon ». J’enfile mes gants. Les serre aux poignets. Grimpe sur le ring et fais face à lui. J’ai l’impression d’avoir une bête enragée prête à me dévorer. Avant que ça ne soit le cas, je réitère ma question : « Hey mec ! Qu’est-ce qu’il ne va pas ? Tu as l’air complètement chamboulé ». Je me mets en garde, protégeant mes arrières s’il préfère se déchaîner plutôt que répondre. Je sautille prêt, à recevoir les coups de semonce, et à regretter d’avoir désobéi au médecin. Ou à esquiver ses attaques.
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| | | | (#)Jeu 7 Mai 2020 - 19:20 | |
| Famille parfaite. Famille malsaine. Il y a le même nombre de lettres, et c’est fou ce qu’elles se ressemblent : en apparence, rien ne dépasse. Tout va bien. Tout va toujours très bien. Et Jacob pensait appartenir à la première catégorie. Non, tout n’était pas rose : c’est connu, il y a toujours un peu de gris qui vient se mêler à l’équation. Mais ça allait, il n’avait pas de quoi se plaindre. Il avait un toit, de l’argent, des parents toujours vivants, toujours mariés et présents pour lui. Et au fil des années, tous les petits défauts de son foyer l’ont rendu imparfaitement parfait. Il était bien, et il l’aimait comme tel. Il ne pensait pas que ce n’était qu’une image, une façade peinte par ses parents il y a des années, peut-être avant sa naissance, peut-être lorsqu’ils vivaient encore dans un quartier populaire de New York. Il ne pensait pas que c’était de la comédie, qu’ils étaient de très bons acteurs et que lui, il subissait comme Truman Burbank l’aurait fait. Il n’est qu’une victime, un dégât collatéral, un obstacle sur leur route. Et il s’en veut de ne l’avoir compris qu’à quarante ans, après quarante longues années à prendre le même homme en exemple, à protéger la même femme. À protéger ce couple malsain. Il a beau essayer de comprendre, Jacob n’arrive pas à se mettre dans le crâne d’une personne infidèle. Il est d’accord avec le fait qu’il est plus difficile de donner son cœur que son corps, mais il ne voit pas comment il est possible de donner son corps quand on a déjà offert son cœur. Il ne pourrait jamais toucher une autre femme qu’Olivia. Il n’a jamais pu durant les premières années de leur vie commune – et pourtant, il aurait pu – il n’a jamais voulu alors que le deuil le ronge depuis deux ans et même s’il venait à la perdre subitement, il ne pourrait toujours pas. Elle est l’amour de sa vie, et à ses yeux, toutes les autres femmes sont devenues invisibles. Est-ce qu’il est le seul à penser comme ça ? Est-ce qu’il idéalise trop l’amour, la fidélité et les valeurs qu’il est censé avoir acquis pour lui passer la bague au doigt ? Est-ce qu’il n’est plus suffisamment moderne, est-ce qu’il est plus vieux jeu que ses propres parents ? Peut-être. Peut-être, oui, mais ce n’est pas un crime, encore moins une honte : lui, au moins, il a toujours été sincère, il le sera toujours. Et il en a marre des mensonges, il en a marre qu’on ne lui dise pas tout, il en a marre qu’on le regarde droit dans les yeux en lui cachant la vérité. La flamme pétille, et il sait que quelque chose ne va pas. Il le sait maintenant, il le comprend. Les regards complices, les sourires crispés, les messes basses quand ils préparaient le dîner. Et Olivia qui le regarde différemment, Olivia qui ne parle plus, Olivia qui n’agit plus de la même manière. Ils sont tous pareils, au final. Malsains. Et il a besoin de lutter contre ça, besoin de lutter contre lui, contre sa colère. Contre Byron, qu’il enfile ses gants, c’est l’heure du combat.
Il n’en veut pas à Byron lui-même. Au contraire, il aimerait le remercier d’être là et de subir ses humeurs depuis tout ce temps. Quand ça va, quand ça ne va pas. Quand il a envie de se confesser, quand il a seulement envie de transpirer, quand il a envie de rigoler, de faire le con, de jouer. Il est tout le temps là, et pourtant. Il n’aurait jamais pensé s’attacher à une personne rencontrée dans un lieu comme celui-ci, il n’aurait jamais imaginé que ce puisse être quelqu’un comme Byron. Il a ses secrets, il y a des tas de choses qu’il ne sait pas sur lui, beaucoup d’inconnues : il sait le minimum. Prénom, nom, âge, quelques anecdotes de temps à autre, mais ils ne se racontent pas tout non plus. Juste quand ils ont besoin de se défouler, parce que Jacob n’est pas le seul à avoir besoin de cracher le morceau. Ils ont tous les deux besoin l’un de l’autre, et c’est peut-être beau comme amitié. Mais là, maintenant, face à l’énervement de Jacob, beau, ça ne le sera pas. Que se passe-t-il ? C’est normal qu’il le demande, c’est dans son droit. Mais là, tout de suite, Jacob n’a pas envie de répondre. Il veut frapper. Il lui demande s’il est prêt. Minute papillon. Et il grimpe sur le ring, en face de lui, en face d’une bête enragée. Ça ne durera que quelques minutes, le temps d’oublier, le temps de son impulsivité, le temps de ne plus rien contrôler. Depuis toujours et dans tous les domaines, Jacob fait de son mieux pour tout savoir à l’avance : il fait des projets, il passe du temps dessus, prend son temps quand il s’agit de tout mettre en forme. Parce qu’il ne veut pas se décevoir, parce que à l’époque, il ne voulait pas décevoir son père. S’il est ainsi, c’est parce qu’il voulait être parfait aux yeux d’un homme qu’il était obligé d’idolâtrer. Aujourd’hui, il s’en veut pour ça, il s’en veut pour le reste. Hey mec ! Qu’est-ce qu’il ne va pas ? Tu as l’air complètement chamboulé. Jacob secoue son visage, il avait déjà presque oublié Byron, à force de se perdre dans ses pensées. J’ai besoin de frapper. Il se répète, utilise d’autres mots si les premiers n’ont pas été suffisamment clairs. Et il s’avance vers Byron pour donner le premier coup.
Évidemment, il ne vise pas la tête : ce n’est pas un vrai combat, et le but n’est pas de blesser son adversaire – partenaire. Le but est de passer ses nerfs, alors il tape, une gauche, une droite, une gauche, une droite. De petits coups, puissants, mais arrêtés par Byron à l’aide de ses gants. Rien de brutal, rien pour le mettre au sol. Tout pour se défouler, transpirer, s’user et user son ami. Au bout de quelques minutes, il arrête l’offensive et marche quelques pas dans le ring, se laisse tomber contre le coin de celui-ci. J’en ai marre qu’on se foute de moi. C’est honnête, c’est lancé comme ça, sans appel. Il inspire profondément, essoufflé par l’effort qu’il vient de fournir. J’ai dû louper quelque chose… C’est peut-être à lui-même qu’il s’en veut, finalement. Peut-être qu’il a mal compris quelque chose. Peut-être qu’il a mal fait quelque chose. Peut-être qu’il est le seul coupable, là-dedans, peut-être que ses parents ont commencé à ne plus s’aimer comme avant lors de sa naissance, peut-être que Olivia s’est simplement lassée de lui. Deux infidèles, un seul point en commun : lui. Je viens d’apprendre quelque chose. Il se retire du coin pour avancer vers les cordes du ring, là où sont disposées des bouteilles d’eau offertes aux combattants. Il en attrape une, enlève le bouchon et boit une gorgée. Je crois que mon père a eu une aventure. C’est dit. Et pourtant, il a l’impression que ce n’est pas grave en le disant : pourtant, ça l’est. Ça l’est plus qu’il ne saurait le décrire, ça l’est plus qu’il ne saurait le ressentir. Parce que sa mère le sait, sa mère est complice. J’ai trouvé une lettre dans le grenier de mes parents et je suis presque sûr que ce n’est pas la seule qu’il y a dans tout ce bordel. Parce que dans ce grenier, il n’y a fait que quelques pas pour ouvrir la fenêtre, et que des cartons et des mallettes pouvant contenir des milliers de secrets sont entassés partout dans la pièce. Tu crois que je devrais continuer à chercher ? Il regarde Byron, se rapproche de lui. Plus de coups, pas pour l’instant. Il frappe, il parle, il refrappe encore. Ça va durer le temps d’un entraînement, comme toujours. Il est de bon conseil, il sait qu’il peut compter sur lui. Parce que c’est son ami. Je sais que ça ne me concerne pas personnellement mais... et s'ils cachent d’autres choses que je devrais savoir ? J’avais confiance en eux, c’est plus le cas. Et quand il n'a pas confiance, il est obligé de se méfier, obligé de tout faire pour se rassurer : quitte à fouiller dans le passé, quitte à retrouver des trésors enfouis, sur lesquels il n’aurait jamais dû mettre la main.
@Byron Oberkampf |
| | | | (#)Ven 15 Mai 2020 - 12:59 | |
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Des secrets d'famille lourds Il est dans son monde. Dans ses pensées. Elles le chagrinent. Le bouleversent. Sur le ring, il commence à taper. Taper. Taper. Sans violence. Sans force démesurée. Je réplique. J’arrête ses coups, sans qu’ils m’atteignent. J’évite tout contact malencontreux avec mes côtes douloureuses. Nous jouons à cela quelques minutes. Pour se vider la tête. Lâcher la pression. Surtout pour lui. Son visage est toujours tendu. Fermé. Il faut qu’il daigne se confier. Vider son sac. Cela ne peut pas durer. Quelque chose le ronge. Terriblement. Il doit lâcher prise. Cracher le morceau. Dans cet univers pugilistique, il doit simplement jeter l’éponse.
Il le fait. Prostré dans un coin du ring. Il accuse le coup. Qu’a-t-il découvert pour être dans cet état là. Pour accuser autrui. Toujours est-il qu’il se libère. Doucement. Mais il reste énigmatique. Le barrage cède. Petit à petit. J’espère qu’il continue sur cette voie. Un premier pas. Encourageant. Je m’interroge. Sur la suite de ses révélations. Qu’est ce qui le dérange autant ? Qu’est-ce qu’il lui triture l’esprit ? Je m’approche. Je m’accroupis face à lui. « Qu’est-ce qu’il se passe ? ». Il me répond, presque du tac au tac. Mais il reste toujours aussi mystérieux. Il pique ma curiosité. Sans lui demander son avis, je m’assois à ses côtés. J’attends. Qu’il continue les révélations. Qu’il soit plus éclairant dans ses propos. Sans prévenir, dans un mouvement brusque, il se relève. Je manque de tomber à la renverse. Lui, il se dirige vers le coin opposé. Là où sont proposées des bouteilles d’eau. Pour les sportifs. Il en saisit une. L’ouvre (ouverture facile) et boit une gorgée d’eau. De mon côté, je me relève. Tant bien que mal. Il ne m’a pas vu. Debout, je le vois se retourner. Et il m’avoue son terrible secret. Son père est infidèle. Je m’approche. « Où est le problème ? » Après tout, chacun à ses petits secrets. Même les plus inavouables. Doit-il haïr son père car il a fait un pas de côté ? « Il a eu probablement un moment de faiblesse… » Silence. « Mérite-t-il ta rancœur ? Je l’ignore ». Silence. « Ne sois pas si dur avec lui ». Il a un père. Il ne peut pas tout briser. Comme cela, simplement parce qu’il a fait preuve de luxure et qu’il a eu une aventure extraconjugale. J’aimerais être à sa place. Avoir une vraie famille. Une figure paternelle. Sur qui il est possible de se reposer. Sans père. Sans mère digne de ce nom. « Tu devrais parler avec lui… Crever l’abcès ». Libre à lui d’écouter mes conseils. Je ne suis pas le meilleur pour parler famille.
Il m’explique comment il a découvert le pot aux roses. Un grenier. Des vieilles affaires familiales stockées. Des secrets de famille qui affleurent et bouleverse le calme ambiant des familles. Il me regarde. Me demande ce qu’il doit faire. Il a commencé à tirer le fil. À déterrer un lourds secret. Est-il suffisamment fort pour ne pas creuser plus loin ? Résister à la tentation de fouiller. J’en doute. Son état montre le contraire. Il a besoin de réponses, de vérité. « Je pense que tu es le seul à savoir ce qui est bon pour toi ». Silence. « Mais quand je te regarde. Et tu as une sale tête. » Silence « Désolé de te le dire ! ». Silence. Respiration. Reprise. « Je pense que, pour ton bien, il faut que tu clarifies les choses sur ce point. Sur cette liaison supposée de ton père. ». Il ne peut pas laisser cela en plan. Sans chercher plus loin. « Mais ne creuse pas trop… Concentre-toi sur cette lettre. Seulement ». Les autres secrets, s’ils existent, attendront. Inutile de créer un cataclysme chez les Copeland. Personne n’en sortirait indemne. Chaque chose en son temps. Il ne doit pas s’éparpiller, même si l’envie et là. Et qu’il y a anguille sous roche, sur de nombreux sujets. Finalement, je réoriente la conversation sur la lettre. Comme objectif : « Que t’apprend la lettre sur ton père ? ». Silence. « Ne te sens pas obligé de répondre ». Après tout, il s’agit de son histoire familiale. Personnelle. Je n’ai pas à y mettre mon grain de sable. |
| | | | (#)Ven 22 Mai 2020 - 15:08 | |
| Jacob n’est pas un homme violent. Il s’est d’ailleurs surpris lui-même, le jour où il a enfilé une paire de gants pour la première fois : il ne savait pas qu’il emmagasinait une telle rage au fond de lui. Il ne savait pas qu’il suffisait de quelques bousculades et cris à son égard pour qu’il envoie des coups, pour qu’il apprenne à en encaisser, pour qu’il se décharge de toute cette charge mentale qui le pèse depuis des années. Son père, sa mère, son travail, la mort du frère de Lex, son mariage, le boulot inquiétant de son épouse, les risques de la paternité, le deuil de son enfant – et de son mariage. Il y avait tellement de choses enfouies en lui-même, tellement de choses qu’il n’imaginait pas voir ressortir un jour. Et pourtant, il lui a fallu qu’une paire de gants et quelques minutes pour crier, presque pleurer, contre lui-même et toute la colère qu’il ressentait, contre lui-même et toute la peine qui ne voulait pas s’en aller. Aujourd’hui, c’est encore mieux qu’une thérapie : c’est là qu’il va quand il sent qu’il ne contrôle plus rien. C’est là qu’il va quand il a besoin de parler sans se confier, quand il a besoin d’extérioriser sans ouvrir la bouche, sans prononcer un seul mot. C’est là qu’il allait, du moins. Parce que Byron est devenu son ami, son complice, et qu’il n’arrive plus à seulement s’entraîner avec lui sans avouer ce qu’il ressent, sans l’exprimer à haute voix. Il frappe avec les poings, puis avec les mots, et ça continue ainsi depuis deux longues années. Mais il n’est pas violent. Il a beau avoir des muscles, un air grave sur le visage : ça se ressent, ça se sait. Il est comme un capybara ; l’un des plus imposants de son espèce, qui ne fait pourtant aucun mal, qui est finalement à la hauteur de tous les autres. Il aime à se dire qu’il peut être inquiétant, qu’il peut être craint. Mais ce n’est qu’une façade. Tout n’est qu’une façade, comme le mariage de ses parents : il vit dans un monde de paraître, et à vrai dire, il a horreur de ça. Byron lui demande ce qui se passe, Jacob se confie enfin. Où est le problème ? Il ne devrait pas poser cette question. Le problème est évident. La réponse est évidente. La question est inutile. Il soupire simplement. Il a eu probablement un moment de faiblesse… mérite-t-il ta rancœur ? Je l’ignore. Il le regarde, évidemment qu’il l’ignore. Ils n’ont pas grandi dans le même milieu, il ne sait pas ce que ça fait d’être élevé par un homme du grade son père. Il la mérite, oui. Dit-il, en détournant le regard. Il la mérite parce qu’il est à l’origine de ma relation avec Olivia. Il me pesait pour que je me marie avec elle, on ne voulait pas, au début. Ils l’ont fait pour June, parce que c’était le bon moment. Pas pour son père, ni pour sa mère, ni pour le père de Liv. Pour eux, et ça, il en est fier. Mais il me rappelait constamment les valeurs du mariage, la fidélité, l’engagement et les responsabilités. À quel point il est hypocrite, tu crois ? Il boit une nouvelle gorgée dans sa bouteille. Tu devrais parler avec lui… crever l’abcès. Il hausse ses épaules, c’est une idée comme une autre. Plutôt que de partir de la maison sans donner d’explications à sa mère, il aurait très bien pu s’asseoir à la table du salon avec elle et en discuter. Calmement. Entre adultes. Mais c’est l’enfant au fond de lui-même qui vient de réagir : celui qui voit que son papa n’est pas l’homme qu’il croyait. Et l’adulte confirme les doutes qu’il avait depuis toujours : cet homme est une ordure. Je n'ai rien à lui dire. S’il me l’a caché pendant des années, c’est pour une raison. Je veux savoir laquelle. Il lui raconte où il a trouvé la lettre, lui demande ce qu’il est supposé en faire. Je pense que tu es le seul à savoir ce qui est bon pour toi. Mais quand je te regarde. Et tu as une sale tête. Il voit que Byron cherche ses mots, marque des pauses entre ses phrases. C’est un autre genre de combat, mais ça fait mal d’ouvrir son cœur. Bien plus qu’une droite. Désolé de te le dire ! Il sourit faiblement. T’as sûrement raison… Il imagine bien que la colère, mélangée à l’incompréhension et à la fatigue du sport qu’ils viennent de faire ne doit pas lui donner une très bonne mine. Il s’en remettra, il y a des jours avec et des jours sans. Mais ne creuse pas trop… Concentre-toi sur cette lettre. Seulement. Que t’apprend la lettre sur ton père ? Ne te sens pas obligé de répondre. Il fronce les sourcils, bien sûr qu’il va répondre. S’il a entamé cette discussion, c’est pour la terminer. C’était une femme, ça, j’en suis sûr. Il le reconnaît à l’écriture. Et puis même si son père a menti sur ses relations, il n’a pas menti sur son orientation. Ça, c’est impossible. Elle lui disait qu’elle a hâte de le revoir, de le retrouver comme avant. Que c’était bon d’être avec lui. Qu’elle l’aime, qu’elle a quelque chose d’important à lui dire. Il soupire. Ça aurait été plus simple de tomber sur une boîte mail, avec toutes les autres, et ses réponses à lui. Tu crois qu’il a répondu à tout ça ? Il se demande ce qu’elle avait d’important à lui dire, plus qu’une déclaration de ses sentiments. Pour en arriver à s’échanger des lettres, il faut qu’il y ait eu quelque chose de fort entre eux, non ? Il se mord l’intérieur des joues. Plus qu’une nuit. Il creuse au plus profond de lui-même. Toute une vie ? Il ne sait pas si elle est toujours dans son entourage ou si tout est terminé depuis longtemps. Il ne sait rien, finalement, vraiment rien.
@Byron Oberkampf |
| | | | (#)Lun 25 Mai 2020 - 16:34 | |
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Des secrets d'famille lourds Quoique je dise, il ne semble pas prêt à pardonner cet écart de conduite à son père. Tous ses repères semblent être partis en éclat. Une famille parfaite dans une maison parfaite. Je ne connaît pas grand-chose, sauf ce qu’il a bien voulu me dire. Et, si je l’écoute, dans le fond, il n’en veut pas à son père. Mais à l’intégrité morale de ce dernier. L’image paternelle s’est fissurée. C’est ce que je semble comprendre. Et pour cela, la colère de Jacob est légitimée. À ses yeux. Et peu à peu, il me fait entrer dans sa vie intime. Il m’explique le rôle de son père dans son mariage. La pression sociale. Acte d’engagement. Acte de fidélité. Lorsque j’entends ce que revêt à ses yeux (ou plutôt aux yeux de son père, et par ricochet et reproduction sociale, à ses yeux) le mariage, cet acte symbolique d’union entre deux êtres, je ne peux que saisir sa réaction, même si je la trouve, peut-être, disproportionnée. À cause de mon passif familial ? Probablement. Je n’ai pas, comme lui, eu une famille digne de ce nom. Une image paternelle inexistante. Une mère absente. Une famille en lambeau. À y regarder de plus près, même si à présent elle est écornée, la famille de Jacob est l’archétype de la famille que j’aurais voulu avoir. Pour cela, sa réaction me désole. Il n’a pas conscience de la chance qu’il a. Certes, son père a fauté. C’est impardonnable, répréhensible. Mais il faut qu’il mesure la chance qu’il a. D’en avoir un.
Lorsque je lui propose d’en discuter avec lui, de crever l’abcès. Il refuse. Acte de non recevoir. Il se borne dans ses convictions. Dans son ressentiment envers son père. « Si tu découvres quelque chose, tu devras forcément te confronter à lui ! Pour des explications, des éclaircissements. Tu ne fais que reporter le problème ». S’il mène sa croisade jusqu’au bout, s’il découvre l’identité de l’émettrice, une confrontation avec son père est inévitable. Pour tenter de comprendre qui est cette femme, quelle relation ils entretenaient ? Dans tous les cas, je le met en garde. Il ne faut pas qu’il s’éparpille. Dans le grenier familial, il y a forcément un foutrac monstre, beaucoup de poussière, des vieux papiers jaunis, des petits trésors et de gros secrets. De famille. S’il commence à vouloir trouver des réponses à d’autres questions en suspens, sur son père toujours, sa mère potentiellement, l’entreprise familiale, il risque de s’y casser les dents. S’il veut des réponses, il doit être méticuleux. Travailler par étape. Ne pas se disperser. Rester focus. La lettre. L’amante supposée. J’imagine. Il me parle d’aventure. Avec une femme, je suppose. Sauf si le secret charnel a un penchant homosexuel. Un brin curieux, mais aussi pour l’aider à vider son sac, je lui demande ce que lui révèle cette lettre. Il s’agit d’une femme. Il me révèle le contenu de la lettre, en substance. Elle renferme les caractéristiques de ces lettres d’amour à un être qui manque, inaccessible, lointain. Ce qui m’interpelle, dans ses premiers propos, c’est qu’elle souhaite lui dire quelque chose. Mais quoi ? C’est là que demeure le mystère et de là que naissent les suppositions. Un sourire s’esquisse lorsqu’il me dit qu’il aurait aimé tomber sur une boîte mail. Avec les envois de l’émettrice, et les réponses de son père. Je hausse les épaules avant d’ajouter : « On ne peut pas tout avoir Jacob. Tu as déjà une lettre. Peut-être que tu en trouveras d’autres… Plus éclairantes… Avec l’identité de l’inconnue ». Il a trouvé une lettre. D’autres doivent traîner. Elle à l’air accroc la meuf, comme si elle ne pouvait pas se passer le lui. Une drogue. Il me demande si son père aurait répondu à cette lettre : « Il faut être pragmatique. Si ce n’était qu’une passade, d’autant plus qu’elle semble être très attachée à lui, il n’a peut-être pas souhaiter donner suite à ses missives. Au contraire, la nouvelle qu’elle veut lui annoncer a piqué sa curiosité. Il lui a répondu. Ce qui me semble le plus plausible ». Un échange épistolaire n’est pas quelque chose d’anodin. S’il y a eu échange, cela traduit quelque chose de fort. De réciproque. Qui poussent les deux personnes entraînées dans cet échange à l’entretenir. À contrario, s’il n’y a pas de sentiments ou si ceux-ci sont à sens unique, l’échange n’a pas lieu d’être. Si c’est le cas, Jacob devrait trouver un certain nombre de lettres de l’intéressée, qui impliquerait, en ce cas, une non réponse de son père. « Je le pense oui… Après, est-ce que ton père a donné de l’épaisseur à cette relation, en répondant, je l’ignore ! Cette lettre ne peut ni l’infirmer, ni le confirmer ! » Enigmatique. Mille questions fourmillent dans son esprit. La durée de cette aventure. Une nuit. C’est certain. Toute une vie ? Le père à Jacob aurait pu cacher une aventure extraconjugale pendant plusieurs décennies ? Tromper sa femme et duper son fils aussi longtemps ? Je ne sais pas. J’ai des doutes. « Tu penses que ton père aurait pu cacher un tel secret à ta mère ? » Répondre à une question, par une autre question. Pour le pousser à la réflexion. À la limite potentielle de ses propos. « Si nous nous référons au contenu de la lettre, la relation est naissante, comme si on assistait à l’éclosion du premier amour d’une adolescente, encore insouciante, énamourée ». Est-ce qu’elle aurait perduré dans le temps. Seul Jacob pourrait le savoir. En repérant des faits qui, sur le moment peuvent être anecdotiques, mais qui s’avèrent révélateurs au regard de sa découverte. Ou cette lettre n’illustre que les prémices de la fin d’une histoire sans lendemain. Une lettre. Quelques mots, tant de possibilités sur cette idylle. Crédibles, opposées les unes des autres. La clef de l’énigme, pour défaire ce sac de nœud, est de savoir quelle est cette chose importante qu’elle veut absolument lui dire… « Tu n’as trouvé que cette lettre ? » Silence. « Qu’est ce qu’elle pourrait bien vouloir lui annoncer ? ». J’ai bien une idée, mais serait-il prêt à l’entendre ? |
| | | | (#)Mar 2 Juin 2020 - 12:32 | |
| Il ne veut pas en parler avec lui. Il trouvera un moyen de lui mentir à nouveau, de le manipuler à sa guise : il le fait depuis des années, pourquoi arrêterait-il subitement pour lui dévoiler une vérité qu’il s’est tant appliqué à dissimuler ? Il n’en croit pas une seconde. Il est plutôt persuadé qu’il a eu le temps de réfléchir à une parade, à un nouveau mensonge qui se voudrait crédible pour n’avoir rien à lui avouer. Il devait se douter qu’un jour ou l’autre, son fils apprendrait la vérité. Au fond de lui-même, Jacob se doute qu’il ne sait encore rien de toute cette histoire, il vient seulement de découvrir la couverture d’un livre qui comporte une multitude de chapitres. Et il ne sait pas réellement s’il est prêt à se lancer dans cette lecture, s’il veut découvrir tout cela. Si tu découvres quelque chose, tu devras forcément te confronter à lui ! Pour des explications, des éclaircissements. Tu ne fais que reporter le problème. Il soupire longuement. D’accord ! Je vais aller chez lui et lui demander avec qui il trompait ma mère, c’est ça que tu veux ? Parce que honnêtement, entre nous, je pense pas qu’il me répondra ce que je veux entendre. Aux yeux de son père, Jacob est resté le petit garçon qu’il était autrefois. Évidemment, il n’abuse plus de son pouvoir et de sa force : les deux hommes savent qu’aujourd’hui, ce n’est plus le paternel qui a le pouvoir, mais ça n’a jamais été dit verbalement. Et ça ne le sera jamais, il a beau avoir une dent contre lui depuis des années, le fiston continue de respecter son père, corps et âme. Et malheureusement, ça perdurera même après cette grande découverte : parce qu’il a été éduqué comme ça, et qu’il ne pourra jamais renier son géniteur. Jamais, même s’il venait à apprendre d’autres secrets encore plus sombres que celui-ci. Et il s’en veut, au fond de lui, de ne pas savoir être impartial avec ses propres parents. Il ne devrait pas les pardonner d’actes qu’il juge impardonnables sous prétexte qu’ils sont à l’origine de sa présence sur terre et de l’homme qu’il est aujourd’hui. Il devrait justement les juger plus sévèrement, parce qu’il ne veut pas suivre des traces comme celles-ci. Il lui dit qu’il aurait aimé tomber sur une boîte mail, pour pouvoir suivre les échanges sans avoir à enquêter. Il n’est pas doué à ce niveau-là, c’est plutôt à Liv qu’il faudrait demander. Mais Olivia est dans le même bateau, et il n’est pas sûr de pouvoir lui faire confiance sur ce sujet-là. Elle-même, elle ne cesse de lui mentir : pourquoi viendrait-elle lui dire la vérité qu’il recherche chez quelqu’un d’autre ? On ne peut pas tout avoir Jacob. Tu as déjà une lettre. Peut-être que tu en trouveras d’autres… Plus éclairantes… Avec l’identité de l’inconnue. Il hoche son visage. Maintenant que tu le dis, cette lettre était un papier chiffonné que j’ai trouvé. Il y en avait d’autres, mais j’ai pas pris la peine de les déplier, peut-être que c’est également des lettres. Il sait maintenant qu’il va devoir y retourner, il a besoin de savoir, il a besoin de vérifier ce qu’il vient de dire à Byron. Il faut être pragmatique. Si ce n’était qu’une passade, d’autant plus qu’elle semble être très attachée à lui, il n’a peut-être pas souhaité donner suite à ses missives. Au contraire, la nouvelle qu’elle veut lui annoncer a piqué sa curiosité. Il lui a répondu. Ce qui me semble le plus plausible. S’il recevait une lettre comme celle-ci, Jacob y répondrait également. Il aurait été bien trop curieux et inquiet, face à cette grande nouvelle. Il n’est pas bête, il sait très bien que ça arrive fréquemment, les enfants illégitimes. Mais il ne veut pas y croire. Il ne veut pas tant qu’il ne le voit pas noir sur blanc, tant qu’il n’est pas sûr et certain de l’existence d’un enfant. Ça voudrait dire qu’il n’est pas réellement fils unique, que son père a eu une double vie – ou l’a encore toujours, on ne sait jamais avec lui. Il n’a qu’une seule question : des milliers de réponses, mais laquelle sera la bonne ? Il se contente de dire qu’il doit y avoir eu quelque chose de fort entre eux. De très fort, s’ils ont été capables de fonder une famille à côté d’une autre déjà existante. De bien trop fort, s’il a su garder le secret pendant toutes ces années. Je le pense oui… Après est-ce que ton père a donné de l’épaisseur à cette relation, en répondant, je l’ignore ! Cette lettre ne peut ni l’infirmer, ni le confirmer ! Il faut que je vois ces autres papiers. Il faut que j’en ai le cœur net. Tu penses que ton père aurait pu cacher un tel secret à ta mère ? Il fronce les sourcils. Justement, non. Je pense qu’elle est au courant, et c’est pour ça que j’ai peur pour les papiers. Je suis parti vite de la maison, sans accepter de lui parler. T’as bien vu quand je suis arrivé… j’ai peur d’y retourner et qu’elle ait tout fait disparaître. Il sait qu’elle en est capable : elle le protège depuis toujours, lui et ses mauvaises idées. Si nous nous référons au contenu de la lettre, la relation est naissante, comme si on assistait à l’éclosion du premier amour d’une adolescente, encore insouciante, énamourée. Il a raison, ce n’est pas une lettre écrite avec beaucoup d’assurance : les mots ne sont pas choisis d’une manière à toucher son père, mais d’une manière à le choquer, le capturer, le garder. Ce n’était pas quelqu’un qui le connaissait par cœur, c’était quelqu’un qui voulait apprendre à le connaître, qui voulait piquer sa curiosité. Ce n’était que le début de leur histoire… Dit-il finalement tout doucement, en espérant au plus profond de lui-même que c’était également la fin, cette lettre. Tu n’as trouvé que cette lettre ? De sûr, oui. Il y a ces fameux papiers froissés, mais je ne suis certain de rien. Il se mord l’intérieur des joues, serre les poings. Ça l’énerve de ne pas voir ce qui devrait pourtant lui sauter aux yeux. Qu’est-ce qu’elle pourrait bien vouloir lui annoncer ? Il regarde Byron un instant. J’ai peut-être regardé trop de séries, mais je suis sûr que tu y penses toi aussi. Il ne veut pas le dire à voix haute, il se sent pourtant obligé. Un enfant, je ne vois que ça… qu’est-ce qu’elle pourrait avoir qui le retiendrait, hormis ça ? Il n’avait pas besoin d’argent à cette époque. Il n’en a d’ailleurs toujours pas besoin aujourd’hui, mais il ne veut pas étaler la fortune de son père aux yeux de Byron : il sait qu’ils ne vivent pas de la même manière, et ça ne sert à rien d’attiser de la jalousie quand ce n’est pas le sujet principal.
@Byron Oberkampf |
| | | | (#)Lun 15 Juin 2020 - 1:09 | |
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Des secrets d'famille lourds « Attends ! Laisses les choses se décanter. Tu ne peux pas aller le voir dans cet état-là. Tes paroles pourraient dépasser ta pensée... » S’il se laisse submerger par ses émotions, il risque de perdre pied, de se laisser emporter par la colère. De regretter. Il est suffisamment énervé pour ne pas envenimer les choses. « Il faut que tu ais de la matière, des preuves irréfutables pour que tu puisses te confronter à lui ». S’il veut pouvoir parler avec son père, il ne doit pas y aller dans cet état. Il doit préparer un argumentaire, reconstituer le puzzle secret de son père afin que celui-ci ne puisse pas se débiner, botter en touche et noyer le poisson. « Si tu le mets devant le fait accompli, avec toutes les preuves que tu peux trouver pour l’étayer, il ne pourra pas se taire indéfiniment... » Silence. « Maintenant, tu sais ce qu’il te reste à faire... ». Retrouver le plus de lettres, même froissées, déchiquetées ou brûlées. Découvrir l’identité de la mystérieuse épistolière. Découvrir quelle nouvelle veut-elle lui annoncer. Je vois dans son regard que le quarantenaire n’est pas dupe. Une aventure extraconjugale, une annonce de la plus grande importance à faire.
Une question me taraude l’esprit. La tromperie de Monsieur Copeland était-elle un secret de Polichinelle ? Son épouse, la mère de Jacob connaissait-elle son infidélité ? Pour mon ami, il n’y a pas de doute ! Elle était, est au courant. Une crainte transparaît. Que sa mère détruise toutes les lettres de la mystérieuse inconnue. Pour conserver aux yeux de tous l’image d’un couple modèle, aimant depuis plus de quatre décennies. Faire bonne figure. Comme si de rien n’était. Comme si aucune vague n’était venue les ébranler. Pour que la vie continue à suivre parfaitement son cours. Comme une famille parfaite. « Tu penses que c’est elle qui a froissé tous les papiers et cette lettre que tu as pu voir ? ». Lorsqu’elle a découvert le pot aux roses, la femme trompée s’est déchaînée… Pour laver cette humiliation. « Ou ton père ? » Pour tirer un trait sur cette aventure, par crainte de dommages collatéraux. J’imagine que la femme bafouée se serait débarrassée purement et simplement de ses missives en un feu de joie magistral. Peut-être qu’elle n’a pas terminé son œuvre, pensant ce secret enfoui à jamais sous la poussière du grenier. Que le départ en trombe de son fils lui mette la puce à l’oreille, sur les secrets qu’il a découvert dans le grenier : « Tu penses qu’elle poursuit cette basse besogne ? » Je suis inquiet pour lui. Si sa mère détruit des preuves de l’infidélité paternelle. Si, sciemment, elle lui dissimule quelque chose, le jeune homme va sombrer une nouvelle fois. « Si ton père sait qu’elle est capable de tout faire partir en fumée, c’est lui qui a froissé les lettres. Peut-être croyait-elle jusqu’à maintenant qu’il avait détruit les lettres de sa conquête ? Et avec ton départ, elle va découvrir de que ton père n’a pas été sincère avec elle, sur ce point... » Et tout faire disparaître, sans aucun scrupule.
Lorsque nous réfléchissons à la potentielle raison d’envoi de cette lettre, nous sommes sur la même longueur d’ondes : « Même sans regarder de séries, ça me paraît tellement évident ! » J’ai peut-être lu trop de livres. Un enfant. Voilà l’annonce qu’elle veut lui faire. Séduction. Relation extraconjugale. Enfant illégitime. « Si nos cerveaux ne sont pas embrumés par les séries télévisées, et que nous avons raison, un autre ou une autre Copeland parcourt ce moment. Tu as un petit frère ou une petite sœur ! ». Je tente un petit sourire. Avant d’ajouter : « Par contre, tu devrais retourner fissa chez tes parents… Faire une razzia dans les vieux papiers avant que ta mère est l’idée lumineuse d’étouffer dans l’œuf cette possibilité ! » Je pense qu’il n’a pas de temps à perdre. S’il veut connaître la vérité. Si celle-ci existe encore dans les vieux papiers encore conservés jalousement dans le grenier de la demeure Copeland. « Fonce ! ». - Spoiler:
Désolé ma réponse n'est pas terrible. Je te laisse clore le sujet car je pense qu'à ce niveau-là, la boucle est bouclée. Si tu veux, nous pouvons voir par MP ce que l'on fait pour la suite.
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| | | | (#)Mer 1 Juil 2020 - 13:00 | |
| Fonce ! C’est le dernier mot de Byron. Le dernier d’une longue liste. Le dernier d’une longue conversation. Jacob est venu ici pour se calmer après une découverte qui change tout, pour lui : son père n’est pas l’homme qu’il prétend être depuis des décennies. Son père est un menteur, son père manigance, son père juge tout et tout le monde alors qu’il ne fait pas mieux – qu’il fait même pire. Son père n’est pas un exemple, son père est ingrat, son père est détestable. Au fond de l’agent immobilier, derrière le père endeuillé et l’homme amoureux, il y a le petit garçon. Celui qui ne voudra jamais grandir, celui qui préfère jouer avec son père, celui qui refuse d’évoluer car le monde qui l’entoure est trop effrayant. Il y a un petit garçon qui avait des croyances, des certitudes, qui n’a plus rien désormais. Une lettre, quelques mots griffonnés, un monde qui s’effondre. Aux yeux de Byron, ce n’est « que » une infidélité. Pas grand-chose. Un détail. Aux yeux de Jacob, c’est un drame, un mythe qui se déconstruit sous ses yeux. Le grand amour n’existe pas : tous les chemins sont semés d’embûches, et il arrive parfois que ce soit l’un des deux qui cherche à faire trébucher l’autre. Est-ce que Olivia le fait, elle aussi, en allant voir d’autres hommes ? Il ne sait pas le nombre, il ne sait pas depuis quand, il ne sait pas pourquoi : il sait juste que le dernier homme à avoir posé ses mains sur elle, ce n’est pas lui, et ça le tue. Il est dans sa voiture et roule en direction de chez ses parents, il a laissé Byron à la salle : cet homme est définitivement différent de tout ce qu’il aurait pu imaginer. Il a su l’écouter, le conseiller, l’aiguiller. Et le voilà parti pour retrouver le grenier, les lettres, peut-être d’autres secrets dont son père aurait souhaité se débarrasser plus tôt.
Maintenant, tu sais ce qu’il te reste à faire… Il le savait, oui. Il n’a répondu que par un silence, un regard complice : il était déjà prêt avant la fin de leur discussion. Tu as un petit frère ou une petite sœur ! Les mots résonnent dans le crâne de Jacob qui refuse de le croire tant qu’il ne l’a pas lu noir sur blanc. Ou bleu sur blanchâtre, en l’occurrence. Il n’est pas contre l’idée de partager son paternel avec une autre personne, simplement, il aurait aimé l’apprendre il y a des années de cela, quand l’enfant était encore un bambin, quand il y avait encore un lien à construire entre eux. Aujourd’hui, il a quarante ans et aucune envie de renouer avec le passé. Il se dit qu’il a peut-être déjà rencontré cette personne : dans ses agences, dans la rue, à la banque, derrière un comptoir, à la queue pour la boulangerie. Il a peut-être déjà échangé quelques mots avec son frère, avec sa sœur. Il a peut-être déjà eu une histoire plus conséquente, lié une amitié : beaucoup de personnes sont entrées et sorties de la vie de Jacob Copeland en quarante longues années. Et si l’une d’entre elles était en réalité quelqu’un de sa famille, un membre caché, inavoué ? Je te rappelle très vite. Qu’il a dit à Byron avant de lui faire une tape amicale sur l’épaule et de quitter la salle précipitamment. Il n’avait pas une seconde à perdre, et il le sait d’autant plus maintenant, lorsqu’il gare sa voiture devant chez ses parents. Il entre sans toquer – c’était chez lui, à une époque – et regarde sa mère qui est toujours à la même place que tout à l’heure. Elle fronce les sourcils, lui fait un signe de tête comme pour lui demander ce qui s’est passé tout à l’heure. On m’a annoncé une très mauvaise nouvelle, dit-il pour commencer, je suis passé à la salle pour me défouler. Aucun mensonge ne sortira d’entre ses lèvres : la mauvaise nouvelle est l’enfant illégitime, et il est bien allé frapper Byron pour se calmer. Je retourne dans le grenier, j’ai du travail. Elle lui fait un sourire, lui dit « à tout à l’heure », et Jacob grimpe les escaliers, bien décidé à dénicher une partie de la vérité – si ce n’est son entièreté.
FIN @Byron Oberkampf |
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