Depuis des jours, Grace traîne derrière elle une lassitude dont elle n'arrive plus à se débarrasser. Une lassitude connue, comprise dès son arrivée : celle qu'elle avait gardé auprès d'elle pendant plus d'un an après son accident. Qui l'empêchait de se lever le matin et de contempler quelque chose de plus positif et singulier que la noirceur de ses propres pensées. Une de ces phases, encore, où Grace ne s'aimait pas. Et contrairement à ses phases précédentes, celle-ci avait d'extrêmement bonnes raisons de subsister : ainsi Grace n'avait rien fait pour la chasser ou pour la dissimuler.
Elle s'était accordée trois jours de congé, trois jours de pause dans ses recherches d'un futur emploi, le temps de se remettre sur pied et de mettre de l'ordre dans ses idées chamboulées. Rien d'énorme, supposait-elle : un trop-plein, un besoin de retrouver sa solitude et de se réapproprier toutes ses pensées même les plus noires sans que celles-ci ne soient parasitées par la culpabilité ou la bienséance.

Toute prise à sa tumulte intérieure, à son ermitage discret, Grace en avait presque oublié Jordan qui, trois jours avant, lui avait indirectement demandé si elle pouvait venir regarder un documentaire chez lui. Écho lointain d'une période où l'un comme l'autre, plus bas que terre, se soutenaient coûte que coûte. Où Grace, commençant à peine à se sortir de son trou, avait essayé à bout de bras de hisser Jordan hors du sien pour lui rendre la pareille. La perspective la fait frémir : elle n’a aucune idée de si l'idée est bonne, dans son état. Mais Grace fait bonne figure : un message envoyé à Jordan pour lui demander si elle pouvait venir chez lui (bien sûr), et elle s’était extirpée du lit pour s'habiller. Se maquiller, pour préserver un peu de sa dignité quand tout le reste lui semblait si sale. Attraper un pack de bière pour rappeler davantage sa nature d’éternelle alcoolique déchue. Sur le chemin de la sortie, Grace se contemple : petits cernes, mais elle est loin du troll sans âme qu'elle s'était imaginée. Drama queen, va. Parée pour la marche d’à peine dix minutes, Grace vérifie deux fois qu'elle a bien fermé la porte avant de partir, sac sur l'épaule, et pas la moindre idée d’à quelle heure elle reviendra.

“Yo”, qu'elle lance en franchissant le pas de la porte.

Bien sûr, c’est ouvert. C'est toujours ouvert quand Jordan l'attend, et elle se demande si c’est parce qu'il prend le soin de venir ouvrir avant quand elle annonce ses visites ou s'il ne prend simplement jamais la peine de fermer à clé. Elle de dépêche jusqu'au salon, où elle balance son sac sans ménagement et retire son sweat-shirt : un documentaire sur Lil Peep impose le maximum de confort. Et de réconfort : “I brought beer. You want some?” Bêtement, elle fait trois pas en arrière pour les ressortir de son sac. Elle pose le pack sur la table devant la télé, salue son ami d'une main amicale sur l'épaule. Lui tendant une bière, elle prend le temps de le regarder dans les yeux pour y chercher la rechute, la tristesse ; une quelconque trace de ce qu'elle avait vu à l'époque et redoutait de voir un jour. “You okay there?” qu’elle demande, par acquit de conscience. Elle prend une bière pour elle-même, s'installe à côté de lui. “O-kay, let’s get fucked up.” Et parce que Grace ne serait pas Grace avec un tant soit peu moins de lourdeur : “Not as much as last time, though, my panties are not as pretty.” Sourire en coin, clairement moqueur : autant rajouter une bonne dose de gêne avant qu'ils ne se mettent à pleurer comme des gamins, l'un comme l'autre.

Donc ça va être aujourd’hui apparemment. Tu sais pas. Mais apparemment. T’en as parlé à Grace y’a quelques jours. Elle vient de te relancer là dessus. Elle est sûrement en chemin déjà à l’heure qu’il est. Tu es dans des gros mixed feelings. Ton envie de voir ce documentaire et la frayeur que ça te remette au même endroit que y’a deux ans. Au fond du trou. Les chansons de Lil Peep te parlent beaucoup trop. Y’en a tellement que tu aurais pu écrire. Mots pour mots. A ce point là. T’es fasciné par ce gars qui était si jeune et qui arrivait à dire ces mots si juste sur son mal être. Sur ton mal être.

Mais tout va bien se passer parce que Grace sera là. Sans elle tu sais pas où tu serais là. T’aurais sûrement fait une Lil Peep. Overdose. Seul dans ton canapé. Retrouvé froid quatre heures plus tard. Parce que oui, tu sais déjà tout de ce qui lui est arrivé au gars. T’as cherché sur sa vie quand t’as commencé à t’intéressé à ses chansons. Tu ne l’écoutes plus le gars, mais ses chansons te viennent en tête de temps à autre parce que tu sais pas faire autrement que de lancer des chansons qui vont avec la situation. Avec les mots qui viennent d’être dit. Ton cerveau est fait comme ça. Depuis toujours. Tu lances des paroles et si quelqu’un sort la suite, c’est le plus beau jour de ta vie à chaque fois. Tu ne peux pas t’empêcher de penser à Murphy qui a capté ta ref à Moana y’a de longs mois de ça. S’en est suivi un baiser que t’as pas su retenir.

“Yo” SURSAUT.
“I brought beer. You want some?” Elle a pas remarqué.
“You okay there?” She noticed.
“O-kay, let’s get fucked up.” Yes please.
“Not as much as last time, though, my panties are not as pretty.”

Tu te redresses dans ton canapé. Tu fermes l’écran de ton MacBook qui est sur tes cuisses.

« You are such a bitch. » I love you. Mais tes yeux sont en train de lui dire tout l’amour que tu lui portes. Parce qu’elle ne fait pas plus de commentaire sur ton état visiblement ailleurs. « I’ve got Tequila and weed. We are so ready. » N’empêche tu ne te précipites pas du tout pour mettre Netflix et mater le docu. Nope. A la place tu vas prendre une bière et quand tu te recales dans le canapé, tu te tournes vers Grace. T’es dans tes pensées de nouveau. Tu la regardes, pensant à Lola. Tu les as toujours pas vu ensemble de tes propres yeux. Peut être que y’a rien en fait et qu’elles sont juste de mèches pour te faire tourner en bourrique. Would be a lot of effort. Ouais, mais tu peux pas t’empêcher de t’imaginer les pires scénarios pour tout.

« And if you ever need a friend then you got me… » Tu chantonnes ces mots de ‘Life is beautiful’ de Lil Peep. T’es vraiment le gars qui sait sortir les lyrics qu’il faut au bon moment, dans le contexte parfait. Ton cerveau c’est full lyrics c’est hallucinant. « You know we don’t have to watch it if you don’t feel like it. » Tu détestes tellement t’imposer. Tu détestes tellement faire un retour deux ans en arrière avec les chansons qui vont te toucher comme des coups de poings à chaque notes. C’était vraiment pas une période idéal pour toi comme pour elle. Mais vous vous en êtes sorti. Et ça c’est quand même une fierté immense. « It’s gonna be hard. And I’m not talking about my dick. »

@Grace Coughlin

« You are such a bitch. » Grace n'entend que les mots d'amour derrière les profanations de Jordan et elle lui souffle un baiser en l'air. Ça lui procure toujours un malin plaisir de lui rappeler ce qui s'est passé entre eux – principalement pour arrêter de ressentir toute la gêne qui va avec. Elle s'imagine toujours que, si elle en parle suffisamment, ça banalisera la chose, bien qu'il y ait peu de chances que ça marche vraiment. « I’ve got Tequila and weed. We are so ready. » Noice. Comme souvent, les promesses de sobriété de Grace se font la malle avec une simple proposition sans aucune injonction : la rechute d'AVC attendrait un autre jour où elle serait moins triste, moins passée au rouleau compresseur par la vie. Elle réalise son cynisme et elle le noie d'une lampée de bière : pas le temps pour ça aujourd'hui, non plus. Jordan se rassoit dans le canapé, à côté d'elle et elle ne peut s'empêcher de le détailler davantage. L'air fatigué, un peu paumé. Si elle est mauvaise actrice, lui ne cherche même pas à cacher son humeur. Secrètement, elle l'en remercie : avec Jordan, pas besoin de faire semblant. Jamais. « And if you ever need a friend then you got me… » And in the end, when I die, would you watch me? Grace déteste chantonner la suite des paroles de manière spontanée dans sa tête : elle les connaît presque toutes, les paroles, maintenant. Faute d'avoir écouté pour essayer de comprendre.

“I feel like it.”

C'est tout ce qu'elle répond à sa question d'après, et c'est elle qui appuie volontairement sur l'onglet de l'application Netflix sur l'ordinateur de Jordan. Elle sait combien ça tient à cœur à Jordan, surtout. Et de toute façon, mieux vaut déprimer ensemble que seule. L'avertissement suivant de son ami résonne un peu creux, et elle en rit, bêtement, avant de se reprendre : “Hey, we're both good, right?” Right? Elle cherche une confirmation dans les yeux de Jordan. C'est toujours dur, de deviner ce qu'il pense, mais ses yeux éteints sont une indication suffisante : tout ne va pas bien. Est-ce à cause du documentaire ? Est-ce qu'il s'est passé autre chose depuis leur dernière entrevue qui mérite une conversation ? Elle le sonde du regard, puis ajoute, comme pour reposer la question : “So this is gonna be okay.” Elle l'espère. Elle sait d'avance qu'elle sera moins touchée que lui par le documentaire, mais elle n'aime jamais le voir en pièces. Et dans son état, elle ne sait pas comment elle arrivera à le ramasser.

“How's Murphy, by the way? Thought I'd ask. We haven't talked about her in a while.”

Question sortie du néant pour essayer de tirer un sourire, extirper au moins une bonne nouvelle au jeune homme. La cannette de bière tourne dans sa main, comme si elle agitait un vin pour en faire remonter les arômes. “And how's you? Besides, you know, the documentary.”

“I feel like it.” Ok then. Rien ne va pouvoir t’empêcher de regarder ce documentaire à présent. Toutes les conditions sont réunies. Tu restes dans les mixed feelings. Tu sais que tu vas bien mieux qu’avant. C’est indéniable. T’as une bonne vie. T’es pas dépressif. Mais y’a des moments qui vont mieux que d’autres. Tu la regardes lancer l’application sur ton ordi. “Hey, we're both good, right?” Tu sors de tes pensées en l’entendant. Tu tournes la tête vers elle. Grace n’a pas trop l’air dans son assiette non plus. Ask me if I’m alright. Do you want me to lie? Les paroles de Lil Peep qui fusent dans ta tête. “So this is gonna be okay.” Tu la crois. Quand vous êtes ensemble tout va mieux.

« I trust us. » Tu te redresses du canapé pour prendre la télécommande qui est sur la table pour allumer la télé et faire passer la vidéo de l’ordi à l’écran qui est plus grand devant vous. “How's Murphy, by the way? ” Tu sens comme une légère décharge te parcourir l’échine. “Thought I'd ask. We haven't talked about her in a while.” T’es genre plus vraiment concentré pour appuyer sur les bons boutons pour le set up de la télé. Tu te recales dans le canapé et Grace n’a pas fini. “And how's you? Besides, you know, the documentary.” Toute façon elle a pas l’air pressé vu les questions qu’elle te pose. Tu poses la télécommande entre vous deux.

« Unfortunately, we’re not in touch anymore. Therefore, I am a sad boy. » Tu lui fais aussi un sourire exagérément forcé parce que c’est pas la joie.

« But it’s fine. I’m inspired. » Murphy t’inspire beaucoup. Murphy est en train de shifter pas mal de chansons dans ta tête. Tu penses à elle plutôt qu’à Rosa. Ca te fait bizarre d’ailleurs. C’est beaucoup d’émotions conflictuelles en toi. Entre la culpabilité de penser à une autre et le soulagement de voir que t’es encore capable de tomber amoureux. Parce que c’est exactement ce que tu es. Yup… Mais tu forces pas trop pour la refaire tomber dans tes bras Jordan. T’as été beaucoup plus entreprenant avec Rosa, sans lâcher l’affaire. Tu fais pas ça avec Murphy. It’s called being very scared to love someone. It’s called not liking rejection also. It’s called we’re better off this way anyway. C’est le gros bordel dans ta tête.

« You tell me. Why the sad face? Is everything alright with Lola? » Elle lance des noms. Toi aussi. Même si c’est pas vraiment surprenant parce qu’elles sont véritablement un couple elles.

@Grace Coughlin

Des années après, le constat est toujours le même : il n’y a qu’avec Jordan qu’elle se sente en sécurité, suffisamment protégée pour se permettre de se laisser aller. Elle sent qu’elle pourrait le faire dès qu’elle entre et s’installe, hésite à la première gorgée de bière et finalement, repousse l’idée. Peut-être qu’elle peut tout aussi bien se changer les idées, changer les idées de Jordan et ignorer les problèmes, pour l’instant. S’obstiner naïvement à croire que ça partira tout seul, sans mise à plat nécessaire. Se cacher des problèmes ne l’a jamais aidée davantage que sur l’instant, mais elle persiste à croire que la solution est viable. Que sa grande bouche peut se taire cinq minutes, trois jours, deux semaines, et qu’elle reviendra tout aussi joyeuse et volubile une fois que le tout sera passé comme par magie.

« Unfortunately, we’re not in touch anymore. Therefore, I am a sad boy. »

Shit, shit, shit. La question ne s’attendait pas à un tel retour et Grace se mord la lèvre. Trop tard pour regretter son indélicatesse, de toute façon. “Fuck, mate, I'm sorry. Wanna fuck it out?” Alors autant en rire. Elle hausse les sourcils, l’air candide, réprime un air moqueur. Pas moyen de laisser Jordan gagner dans le domaine de la gêne. Puis le sourire diminue, s’efface complètement, reprend une tournure sérieuse : Murphy est partie. La raison pour laquelle Jordan avait l’air d’un con heureux au speed dating s’est effacée. Une question se glisse subrepticement dans ses pensées : et si c’était la raison pour laquelle il rechutait ? S’il retombait dans ses anciens démons ? Elle la chasse aussi rapidement : impossible. Un passage à vide au mieux, mais Jordan n’était pas du genre à se laisser rechuter aussi facilement. “Can I tell you something though? It was good, seeing you like that. Maybe she left but she changed some things in the process, and it was nice to see.” Elle tapote la jambe de Jordan en signe de réconfort. Elle n’en demandera pas plus : à lui de se livrer s’il en a besoin.

« You tell me. Why the sad face? Is everything alright with Lola? »
“What sad face? I see no sad face here.”

Menteuse. Elle n’arrive même pas à sortir un sourire décent pour achever sa pirouette : même ça, ça la fatigue trop. Soupir vaincu : “Oh, Lola is great. Amazing, even. I'm just…”   Elle hausse les épaules. Pas moyen de formuler ça sans passer pour la méchante, mais c'est ce qu'elle vaut : “It's a lot. I don't know how to handle it without freaking out.” Elle masse son front de deux doigts, ferme les yeux, principalement pour éviter un regard désapprobateur. Elle se doute que Jordan ne sera rien de plus que compréhensif : c’est son propre regard intérieur, qu’elle appréhende. “I haven't been my best self lately”, avoue-t-elle plus doucement encore. C’est le moins qu’on puisse dire. “I've been hanging out with Jess a lot lately. Remember? The ex I told you about from when I left Gold Coast?” A.k.a. l’amour qui ne s’était jamais totalement terminé et qu’elle avait très récemment recroisé, contre toute attente. Jordan n’était pas sans le savoir. “And I sorta slept with a married woman.” Cette fois, c’est bien le regard de Jordan qu’elle esquive en gardant la tête désespérément vissée vers la table basse.

“I know- I know what you're gonna say. Very dumb. Very 18-year-old me being in love with a girl that's unavailable. That's not what happened. What happened was…”

Quoi ? En quoi la situation changeait-elle exactement de celle avec Claire ? En énormément de points, sûrement ; mais aucun que Grace puisse voir, avec le peu de recul qu’elle arrivait à garder sur la situation. Elle ne voyait qu’une erreur répétée malgré une conviction, voire une valeur, acquise que ce n’était pas celle qu’elle était. Elle valait mieux que de coucher avec des personnes inaccessibles. Et pourtant… “I- I don't know, actually. It kind of just happened.” Un trop-plein avec dix ans de retard, peut-être. Elle n’aurait su expliquer ce qui l’avait rapprochée d’Aspen, ce qui l’avait faite céder. “And the whole thing is a mess, you know. That’s the worst way to start a relationship, and maybe I should just take some time for myself instead of rushing into one but it sucks, it sucks big time, because I’m falling for Lola and I have absolutely no control over that and…” Elle doit se rappeler de respirer, régulièrement. Prend une gorgée de sa bière, pour faire bonne mesure : quelques secondes de pause. “And I don't know, maybe I'm just not ready.”

“Fuck, mate, I'm sorry. Wanna fuck it out?” Y’a vraiment que Grace pour réussir à te faire sourire sincèrement alors que tu viens d’avouer un truc qui te rend quand même très triste. Tu la regardes l’air de dire. Yeah. Right. “Can I tell you something though? It was good, seeing you like that. Maybe she left but she changed some things in the process, and it was nice to see.” Tu détournes les yeux de ton amie en hochant la tête. Tu es aussi totalement au courant qu’il y a un avant et un après Murphy.

« Yeah… » In love Jordan is nice to see. Ca te rappelle quand vous vous étiez revu pour la première fois après que tu te sois mis avec Rosa. Tu étais une autre personne. I miss that person.  ““What sad face? I see no sad face here.” ” Don’t fuck with me. Tu dis rien, un simple regard fait l’affaire. “Oh, Lola is great. Amazing, even. I'm just…” Oh oh. Ca sent pas bon du tout. “It's a lot. I don't know how to handle it without freaking out.” Oh my god. Tu te retiens de dire ça à voix haute, tu sais qu’elle est en train de prendre sur elle pour sortir tous ces mots de sa bouche. Tu l’écoutes. Tu t’es même tourné vers elle. Elle a des trucs à dire. Elle a beaucoup de trucs à dire. “And I sorta slept with a married woman.” Oh my Grace… Plus elle parle, plus c’est pire. Elle n’a même pas les mots sur le pourquoi ça s’est passé. Elle est en train d’analyser sa situation en direct on dirait. Tu bois un peu de ta bière alors qu’elle n’a toujours pas fini. Tu le vois. Tu le sens. Tu l’écoutes sans l’interrompre. “And the whole thing is a mess, you know. ” Tu hoches la tête. Damn right. Et tu fronces le nez de voir ton amie se prendre autant la tête pour ses histoires de coeurs et de cul. “And I don't know, maybe I'm just not ready.”

« Everything would be so much easier if we were in love with each others. » Parce que bien évidemment ça marcherait parfaitement entre vous. Genre y’a même pas à sourciller. Aucun doute là dessus. Mais tu vas pas dire que de la merde après toutes ces confessions qu’elle vient de te faire. « I understand better why you’re not officially together yet. » Tu te mordilles la lèvre, essayant de rassembler tes pensées, tes mots. Faut essayer de l’aider là. C’est le gros bordel dans sa tête. On voit toujours mieux dans les situations des autres que les notre.

« You should not feel guilty about fucking around if you haven't made any promises. And the ‘not ready’ thing yeah… Maybe you’re not. Love is so fucking scary… » Tu marques une nouvelle pause, tu veux vraiment dire les bons mots pour Grace. « But if you wait forever because you’re scared you might miss out on a lot of good things. You’re lucky Lola loves you too. I mean. Obviously she loves you. What’s not to love there? » Tu la pointes de l’index avec un sourire aux lèvres.

« And obviously you fucking managed to get someone married between your legs. I really want to high five you for that. » C’est bad bad bad ça Jordan. It’s an achievement. « Maybe you should just tell Lola that you’re scared if you haven’t already ? It’s only fair to be scared. » T’as l’impression que c’est allé très vite entre elles et Grace s’est fait distancer au passage. « Doesn’t have to mean everything is over just that… You guys need to do things a bit differently? I don’t know… I have never seen Lola in a relationship. » Mais tu veux bien croire que Lola soit overwhelmed par les émotions parce que c’est beau d’être avec la personne qu’on aime. Sur une échelle de 1 à 10, Lola est généralement à 15 en temps normal, alors si elle est impliqué romantiquement avec une personne pour qui elle a des sentiments, elle doit être à 27 facile.  

« What would you need right now to feel at peace ? At peace and happy. Imagine that anything is possible. »

@Grace Coughlin

« Everything would be so much easier if we were in love with each others. » Ce n’est pas la première fois qu’ils en plaisantent, mais c’est la première fois que ça lui semble aussi souhaitable. Les dernières fois, après tout, elle était avec Alexandria, sans l’ombre d’un risque planant autour de leur relation. Elle s’était posée pour la première fois, sans intention de garder la relation ouverte, et malgré l’appréhension de l’engagement, elle était bien. Deux mondes se rejoignaient et ça complétait un peu le sien, celui de la photographe à l’éternelle bougeotte, encore marquée par Claire, par le divorce de ses parents distants avec la fratrie. Après l’AVC, et le décès de Rosa peu après, Alex était toujours là, constante stable dans sa vie où elle perdait pied : elle n’avait d’amour pour rien ni personne d’autre et ça lui convenait parfaitement comme ça. Aujourd’hui, elle était incroyablement, infiniment seule, et la présence de Lola dans sa vie ne faisait que lui faire perdre pied face à des décisions qu’elle redoutait de prendre à la légère. “I KNOW RIGHT?” Il n’y a que pour Jordan qu’elle aurait espéré se réconcilier avec les hommes. “God should’ve made me bi. Or gay, but straight just for you”, plaisante-t-elle. Elle le pense, au fond. Rien que pour la simplicité, la complicité, aussi.

« I understand better why you’re not officially together yet. »

Petite moue. Retour au sujet sérieux. Jordan sait s’extraire de la situation, mais elle sent quand même l’obligation de préciser : “It’s nothing against Lola, you know.” Elle le pense sincèrement. Elle connaît les signes, elle sait qu’elle est en train de tomber amoureuse - le cas inverse, elle n’en ferait pas un aussi grand problème, parce qu’elle n’aurait pas aussi peur de s’écharper sur les coins un peu trop aiguisés d’une nouvelle relation. Jordan lui rappelle qu’elle n’a aucune culpabilité à porter : “You know me, I never make promises when it comes to that part anyway.” A part Alex, Jordan ne l’avait connue dans aucune relation exclusive - et c’était toujours consensuel, bien que ce soit plus ou moins bancal. “This time I want to, though.” A part le dérapage avec Aspen, elle avait envie de quelque chose de sérieux et d’exclusif avec Lola. Elle avait consenti à mettre cette partie d’elle, immature et ancienne, au placard, parce qu’elle s’était prouvée qu’une relation exclusive était possible et qu’elle y rechignait surtout par peur. Jordan enchaîne, la rassure, la flatte pour qu’elle se détende. Ca marche : un petit sourire trône maintenant sur ses traits soucieux. « Maybe you should just tell Lola that you’re scared if you haven’t already ? It’s only fair to be scared. » Simple haussement d’épaules : “Oh, I have. She knows about all that. She told me she was falling in love and I thought it was only fair for her to know what she’s in for.” Elle ne lui avait épargné aucun détail, d’ailleurs ; et en rétrospective, c’était d’un égoïsme alarmant. Elle savait que Lola se battait avec ses propres démons, elle aussi - tout lui remettre sur le dos comme ça n’avait rien d’apaisant, ni ne donnait envie d’une entraide.

“The problem is not cheating. It was a while ago anyway… The thing is, it brought me back to who I was with Claire, and I hated that person. I don’t want to be someone who can break up relationships or take advantage of a fragile couple for my own satisfaction.”

Et si elle reconnaissait parfaitement qu’il fallait deux personnes pour commettre le péché, elle en demeurait quand même la moitié. Une ligne de conduite avait été violée, un de ses principes fondateurs avait été trahi par ses propres impulsions : elle aurait du mal à se pardonner ce coup-là. Quant à ce dont elle a besoin pour se sentir en paix, elle l’ignore parfaitement. “I don’t know, I self-sabotage everytime I get near it”, rétorque-t-elle avec le cynisme d’une drama-queen. Encore un petit coup, pour bien enfoncer le clou : “Getting my feelings amputated. Oooooh, maybe a lobotomy.” Pas l’ombre d’un sourire sur son visage, on s’en inquiéterait presque si on ne la connaissait pas si bien. “I don’t know. I just wish what happened with Alex didn’t scar me that bad. I ran away from it and now I have no idea how to deal with anything new. Like I didn’t get any closure.” Par son propre choix. Elle avait refusé une vraie conversation à Alex ; leur rupture avait été un long processus de six mois pendant lequel elles continuaient de se voir et de s’appeler, jusqu’à ce qu’elle déménage sans préavis. “Maybe that’s what I need. That, and a punch in the face.” Lourd soupir. Elle avait été horrible avec Lola. Elle le savait mais elle n’avait pas encore la force de lui parler sincèrement et de lui présenter de véritables excuses. Elle ne voulait pas non plus que Lola la pardonne et passe son comportement sous l’excuse d’un passé difficile.

“Or maybe I just need beers, a hug and a Lil Peep documentary.”

Elle cale sa joue sur l’épaule de Jordan : tant pis pour la distance physique, elle a besoin de proximité. Et peut-être que quelque part, lui aussi.

“I KNOW RIGHT?” I know. Genre tu le penses réellement. Ce serait tellement le pied d’être en couple avec elle. Tu serais de nouveau en couple avec ton best friend. Aucun doute pour personne que Rosa l’était. La numéro 1 pour tout. La personne avec qui tu veux passer tout ton temps. La personne avec qui tout a une meilleure saveur. La personne avec qui tu t’en fou si au final c’était pas du tout une bonne idée d’aller à cette soirée parce qu’elle était avec toi. C’est tout ce qui comptait. Que vous soyez ensemble. Que vous puissiez vous tenir l’un contre l’autre.  “God should’ve made me bi. Or gay, but straight just for you” Tu secoues la tête en la regardant d’un air entendu. Vous avez eu ce débat tellement de fois. Tout le monde est pansexuel pour toi et rien ne pourra te faire changer d’avis. Suffit juste de tomber sur la personne qui te fait vibrer de cette manière si spéciale que personne d’autre n’est capable. Tu t’es tellement jamais posé la question de ton orientation sexuelle. T’aimes les gens, t’aimes les âmes, et c’est tout. T’as appris un jour que le terme le plus approprié c’était pansexuel.  I only call it love and attraction. Ouais, version Fisher. Avec le temps tu t’es rendu compte que tu étais attiré physiquement seulement par les gens pour qui tu avais des sentiments.

“It’s nothing against Lola, you know.” T’as même pas pensé que ça pouvait l’être une seule seconde. Tu sais très bien la capacité de Grace à saboter ses relations. Elle a besoin de personne pour se faire, aucune excuses. Toute seule comme une grande. Mais t’avais aussi été surpris par la façon qu’avait Lola de parler de leur relation. Comme si elles étaient véritablement ensemble. Mais non. T’as quand même bien peur que Lola souffre de tout ça car clairement elle a déjà plein de chose en tête en ce qui les concerne. C’était qu’un détail pour elle que ce soit officiel ou non. Alors que c’est une petite ligne de leur contrat silencieux qui vaut son pesant d’or quand la personne en face c’est Grace. “You know me, I never make promises when it comes to that part anyway.” Et t’aimes ça chez elle. Elle prend pas les gens pour des cons. C’est clair depuis le début. T’es aussi de ce genre là, sauf que y’a beaucoup de gens qui prennent ta gentillesse pour de la drague. Et puis ils crush sur toi. “This time I want to, though.” Hmmm…? Elle le dit mais elle le fait pas. C’est pas facile entre ce que notre coeur veut et notre tête, y’a un monde parfois. She’s scared shitless. “Oh, I have. She knows about all that. She told me she was falling in love and I thought it was only fair for her to know what she’s in for.” Tu hoches la tête. Tu aimes tellement Grace d’avoir été honnête avec des mots après que Lola ait avoué ça. Tu détestes les gens qui prenne les autres pour des mindreaders.

“The problem is not cheating. It was a while ago anyway… The thing is…” Tu comprends tout à fait ce parallèle qu’elle fait. T’aimes pas que ça soit comme ça maintenant pour elle, dans sa tête. Mais t’es en train de te dire que y’a un truc sous jacent que Grace n’a pas réglé pour revenir sur ces chemins. “I don’t know, I self-sabotage everytime I get near it.” Yeah you do. Et t’attends de voir ce qu’elle va véritablement répondre à ta question qui n’est pas simple. C’est clair. Même toi tu n’es pas sûr de ce que tu y répondrais. Ca demanderait réflexion et quelques guidelines aussi comme ‘est-ce qu’on peut ressusciter les morts?’ “Getting my feelings amputated. Oooooh, maybe a lobotomy.”

« I am feeling this. » Aucun sourire sur ton visage non plus. T’aimerais tellement switch off ton cerveau parfois. Always. C’est un chaos presque tout le temps. Un chaos organisé avec le temps. Mais toujours quand même. “…Like I didn’t get any closure.” Tu hoches la tête, c’est exactement ce que tu pensais aussi.

« That’s probably it. » Et tu relates si fort à ça. Toutes ces années où Rosa était dans le coma et où votre dernière conversation avait été une dispute. C’est horrible de pas fermer un chapitre correctement mais parfois tu peux pas faire autrement. I did. T’as eu un cul énorme Jordan. Yeah. Et t’as souffert 8 ans en attendant. Yeah.  Tu soupires légèrement, te perdant un peu dans tes pensées. “Maybe that’s what I need. That, and a punch in the face.”

« If that’s what it takes. I’ll spare your nose. » Tu dis ça sur un ton résigné. Tu plaisantes même pas. Tu vas pas le faire mais oui, si c’était véritablement une solution pour régler tout ça, tu le ferais. Ce serait un mauvais moment à passer avant d’être en paix. Heureux et en paix. “Or maybe I just need beers, a hug and a Lil Peep documentary.” Elle se met contre toi et tu passes ton bras autour de ses épaules naturellement. La proximité de Grace ne t’a jamais dérangé même si ça n'a jamais été la chose la plus fréquente. Parfois c’est même toi qui l’initie. Tu sais pas l’expliquer, y’a un truc chez Grace. It’s called love. Ouais mais pas romantiquement parlant. Nan she’s my best mate. Et ça te fait beaucoup de bien ce cuddle. Tu sens que vous allez pas vous lâcher.

« I need all that too. » Tu vas poser ta tête contre le sienne. Ca fait très longtemps que t’as pas eu de câlins et t’es quelqu’un qui a vraiment besoin de tendresse. C’est juste très con que tu ne sois pas à l’aise de faire ça avec le premier venu. Mais le documentaire tu sais pas si tu le feel vraiment, parce que, contre toute attente, tu lances une info que tu ne pensais pas du tout mentionner.

« I kissed a girl the other night. She told me she wanted to kiss me bad and I went for it because she looks like Rosa and she snapped back an amazing music reference at my joke and my brain kinda exploded. Also I loved that she said she wanted to kiss me. » Ca fait du bien de se sentir voulu. Tu regardes en face de toi, l’écran de ta télé qui est sur HDMI, pas du tout le bon canal mais vous êtes pas allé plus loin. Par contre tu vas plus loin dans ton histoire histoire de filer tout le tea à Grace qui est toujours toute contre toi et t'aimes cette sensation.

« We sent a few messages after that, I’ve said dumb shit. » Tu fronces le nez. « I was drunk. » Pour ta défense. « Long story short, she wants more. I don’t. I told her. But she’s fun. So we are hanging out. » Tu marques une brève pause. « Still feel like I’m an ass. » Un léger soupire sort de tes lèvres avant que tu chantonnes.  « Tell me why... »

Elle qui aurait pensé tout garder pour elle se retrouve à s’épancher sur ses émotions sans retenue ni honte - le genre de pouvoirs que Jordan avait et qui n’étaient réservés qu’à lui. Une fois la première explosion sortie, Grace se refermait vite, détestait ressasser, par-dessus tout abhorrait se vautrer dans ses ressentis les plus sombres : ça, elle le faisait bien assez seule. Pourtant, cette fois-ci, il fallait croire que l’explosion n’avait pas suffi : il y avait un résidu à sortir, proportionnel à sa peur. Et de la peur, elle en avait ramassé, au cours d’une simple discussion aux apparences anodines : tout ce qu’elle avait convenablement ramassé et renfermé en elle depuis la rupture. Comme quoi, les choses vous retombent rapidement sur le coin de la tronche quand vous ne les traitez pas correctement. « I need all that too. » Et apparemment ça ne valait pas que pour elle.

« I kissed a girl the other night. She told me she wanted to kiss me bad and I went for it because she looks like Rosa and she snapped back an amazing music reference at my joke and my brain kinda exploded. Also I loved that she said she wanted to kiss me. »

Non : les soliloques de plus de trois phrases n’arrivent toujours pas à retenir son attention pleine et entière. Les mots clés qui ressortent, ce sont kiss, Rosa, music, explode et c’est un mix qui ne sied pas du tout dans son esprit. “Youdidwhatnow?” demande-t-elle entre deux tentatives de compréhension de la phrase entière. Là, Grace se redresse pour fixer Jordan, lui exprimer très clairement qu’on ne déconne plus. Il poursuit et les mots clés empirent : messages bourrés, recalage flou, ass. Il faut une bonne minute de silence à Grace pour se recadrer, remettre les choses en ordre. “She knows all that? Like she explicitly told you she was okay with being rejected and still being your friend?” Son ton est légèrement plus alarmé, mais conserve une douceur précautionneuse, comme inquiète de troubler la paix qu’ils ont réussi à trouver, l’un blotti contre l’autre, enfants égarés. “Cause then she's a big girl and you're not the ass for telling her and letting her make her own decisions. Well, assuming she's not 17.” Elle aurait pu s’énerver, s’alerter du fait qu’elle ressemble à Rosa et qu’il tourne ses phrases de manière à corréler le baiser à ce simple fait, mais elle reste étonnamment calme - vide, presque. “But...she looks like Rosa. And with the way that you phrased it, it sounds like a problem.” Elle relève les yeux vers lui. Son ton est doux, toujours doux, comme si Rosa pouvait les entendre et prendre peur. Comme s’ils pouvaient la réveiller et lui faire mal. Pourtant, aucun mal ne sera plus grand que celui que Jordan avait ressenti, et c’est peut-être justement lui qu’elle a peur d’effrayer.

“She knows all that? Like she explicitly told you she was okay with being rejected and still being your friend?” Ca sent tellement pas bon de voir Grace te regarder dans les yeux comme ça. Grace s’être momentanément retiré de votre étreinte. L’impression que tu as fait de la merde se confirme et se signe. “Cause then she's a big girl and you're not the ass for telling her and letting her make her own decisions. Well, assuming she's not 17.”

« She’s not. »
“But...she looks like Rosa. And with the way that you phrased it, it sounds like a problem.” Tu soupires doucement en l’entendant. T’es en train de rassembler tes pensées.
« She felt humiliated when I… I made a list. She asked me all the reasons why I kissed her and nothing on my list was about her. I was drunk ok ? I wouldn’t have said shit otherwise. » Tu sais que t’as fait le con avec cette liste mais c’est trop tard, tu peux rien y faire. Le lâcher prise est un truc avec lequel t’as beaucoup de mal mais tu deviens de plus en plus doué pour gérer avec les années.

« You’re going to kill me but I wrote her a song for her not to stay mad at me. She liked it… And we kept texting...» Tu te mords la lèvre. T’es prêt à affronter le regard de Grace avec un air qui dit I am a songwriter what do you expect??. « She could be a friend if she stops wanting to kiss me. She’s really fun. »Et par là tu veux dire que tu aimes combien elle est autant passionnée et intéressé que toi à certains artistes. Elle se met au courant de plein de choses sur ses artistes préférés et ça te plaît parce que t’es pareil. T’apprends des trucs avec elle, son point de vue, ses goûts, des info en plus sur certains artistes. « She gave me a Ted Talk about reggaeton. » Pour que Grace comprenne à quel niveau elle est fun. Le genre de fun de parler musique à ce point là. T’as bu ses paroles. Elle s’est arrêté mais tu serais resté à l’écouter pendant des heures. T’aimerais bien que ça se produise d’ailleurs.

Jordan a rencontré une femme. Celle-ci voulait l’embrasser, et elle ressemble à Rosa et elle a de super références musicales. Et apparemment, cette petite liste sert à convaincre le jeune homme qu’il est intéressé, d’une façon ou d’une autre, mais sans vraiment y croire lui-même. Mais ce n’est visiblement même pas la seule liste qu’il y a à connaître, parce qu’il y en a une autre, qu’il a balancé à ladite femme rencontrée alors qu’il était bourré. Ca porte sur les raisons pour lesquelles il l’a embrassée, et il n’y avait apparemment rien dessus qui puisse concerner la demoiselle de près ou de loin. “I don't think the problem is that you said it, but that you meant it”, réplique Grace, maintenant complètement redressée dans le canapé. “Wait, you meant it, right?” C’est pire, mais en un sens, c’est aussi mieux. Que Jordan soit bien au courant que cette femme-là n’était pas Rosa, ne pouvait pas lui être substituée, et qu’il ne la retienne pas, ça semblait être l’issue la plus saine à ce fatras.

« You’re going to kill me but I wrote her a song for her not to stay mad at me. She liked it… And we kept texting...»

La photographe le dévisage, l’air consternée. Forcément que Jordan n’a pas pu s’empêcher d’être le charmeur naturel qu’il a toujours été, et forcément qu’elle aura pris ça pour une flatterie, possiblement même pour une ouverture. D’expérience en tant que sa gardienne de secrets et ragots amoureux, ce qui semble innocent aux yeux de Jordan l’est rarement et l’a rarement été pour autrui. Il poursuit : il compte rester ami avec elle, malgré tout. “Oh, so she still wants to kiss you.” Bien sûr, qu’elle le veut toujours. Et bien sûr qu’il nourrit l’espoir qu’elle soit déjà passée à autre chose, miraculeusement. “How long have you guys known each other ?” demande-t-elle, plus comme mesure de vérification : combien de dommages ont déjà été faits ?

“Look, I get that you like her. She’s fun, she made you like reggaeton - which is a damn miracle, don’t get me wrong -, she reminds you of fun stuff and good times, but you absolutely need to tell her if you’re not into her. Shit like this is what makes or breaks a friendship.”

Et ce n’est pas facile. Il n’y a peut-être même qu’eux deux au monde pour pouvoir s’embrasser et se serrer l’un contre l’autre toute la nuit sans que ça ne remette quoi que ce soit en question dans leur amitié. Grace se rabat finalement sur le canapé, trempe ses lèvres dans sa canette de bière. “Is it just me or is everything super weird and bleak these days?” soupire-t-elle contre celle-ci. Elle a l’impression de s’être engouffrée dans une faille spatio-temporelle qui refuse de se refermer, ou de l’éjecter, et qui en résultat mélange toute sa vie normale avec un bon gros bol de merde. Les bonnes nouvelles pleuvent, pourtant, mais même ça, ça a un goût de périmé et de futures mauvaises nouvelles. “Well, looks like we’re both dumb heartbroken bitches”, annonce-t-elle, mi-satisfaite mi-atterrée de son constat. C’aurait été rare, aussi, qu’ils soient tous les deux heureux en même temps pendant plus d’une semaine, et il fallait bien que l’illusion s’arrête à un moment. “No worries, I’m not gonna jump on you again.” Petit rire : quoique. Puis soupir : just messing. “So, shall we watch your damned documentary, m’lord?” Regard en coin en direction du jeune homme : peut-être pas si bonne idée que ça. “Or we could watch Hannah Montana or some shit. I kinda feel like watching some dumb teenage drama.”

“I don't think the problem is that you said it, but that you meant it” Tu hoches la tête. Ouais. Tu n’as pas menti dans cette liste. La différence si tu n’avais pas été bourré c’est que tu te serais abstenu de la lui faire. “Wait, you meant it, right?” Elle sait déjà que oui, mais apparemment elle veut une confirmation.

« Yeah… » T’as l’impression d’être un ado pris en faute. T’as aussi l’impression que tu mérites des claques. T’es pas du genre à mentir Jordan. Ca t’a mis plus dans la merde qu’autre chose à chaque fois que tu l’as fait par le passé. C’est pas forcément la meilleure idée de dire la vérité certaines fois mais… C’est souvent par là que tu vas malgré tout. Comme prévu Grace te dévisage quand tu lui fais la confession de la chanson. I’m so dumb… T’étais aussi inspiré. “Oh, so she still wants to kiss you.”

« I don’t know. I guess… I don’t know… » T’es paumé mon pauvre. Mais vu comme tout est compliqué depuis ce fameux baisé improvisé, t’as bien envie de croire que oui, elle a toujours envie. Mais tu sais pas. “How long have you guys known each other ?”

« Like… 2 months ? » Tu sais pas trop à quoi cette info va changer quoi que ce soit dans la tête de Grace, mais tu la lui donnes sans sourcillé. Ca reste très approximatif, t’as pas tenu de note là dessus. Tu te souviens juste que le mariage où vous vous êtes rencontré était en mars. “Look, I get that you like her. She’s fun, she made you like reggaeton - which is a damn miracle…” Elle te fait sourire. Elle t’a jamais vu danser chez les Mendez. Ana-Maria qui t’a fait découvrir pas mal de morceaux au fil des ans et apparemment t’as des bons moves aussi. “… don’t get me wrong -, she reminds you of fun stuff and good times, but you absolutely need to tell her if you’re not into her. Shit like this is what makes or breaks a friendship.”

« But I told her already !! » Que tu dis l’air outré. Elle te reprend sur un truc que tu as déjà fait. Bon, du coup tu te penses pas si con, parce que t’as déjà fait ce qu’il fallait. Tu soupires quand même parce que tu sais qu’elle aurait pu se faire des idées sur d’autres trucs contre ton gré. I can’t stop being myself and questionning all my words and moves… On dirait bien que tu peux pas être ami avec Lennon si c’est pas vraiment claire entre vous mais… La vérité c’est que c’est pas tout à fait claire pour toi non plus hmmm. Tu soupires encore et tu vas reprendre la télécommande pour mettre la télé sur le bon canal. “Is it just me or is everything super weird and bleak these days?” Tu hoches la tête alors que tu te recales dans le canapé. Ton bras collé à celui de Grace.

« It is very super weird and bleak. » Pas du tout anglais ce que tu viens de dire mais tu voulais appuyer ses mots.  “Well, looks like we’re both dumb heartbroken bitches” Tu fais une petite moue en l’entendant. Ton coeur a été plus souvent brisé que rempli dans toute ton existence.

“No worries, I’m not gonna jump on you again.”
« Shut up and cuddle me. »
“So, shall we watch your damned documentary, m’lord?”
« Hmmm… »
“Or we could watch Hannah Montana or some shit. I kinda feel like watching some dumb teenage drama.” Les yeux sur ton ordi, tu fais défiler les films proposé par Netflix et tu vois ‘To all the boys: P.S. I still love you’ qui est dans ta liste depuis un moment. Tu le lances.
« I’m weak for Noah Centineo. »