| (Colleen & Jacob) A house is not a home. |
| | (#)Lun 27 Avr 2020 - 22:09 | |
| Dissimulée derrière les verres teintés de ses lunettes de soleil, une lueur déterminée animait le regard de Colleen alors qu’elle descendait du bus, sa longue robe bohème sombre volant dans son sillage et lui donnant un petit air impérial. Le menton relevé, les épaules bien droites et la poitrine gonflée, la jeune femme se dirigea d’un pas conquérant vers l’agence immobilière à quelques mètres de là. La troisième visite serait la bonne, telle était la conviction qui l’animait depuis son réveil un peu plus tôt dans la journée. Elle ne saurait vraiment dire comment lui était venu cette certitude, sans doute était-elle le fruit d’un optimisme un peu naïf, mais elle en était persuadée. Et de toute évidence Jacob Copeland, le directeur de l’agence immobilière en charge de son dossier, semblait lui aussi enthousiaste quant à cette nouvelle visite ; quand il l’avait appelée la veille pour fixer le rendez-vous, il lui avait semblé particulièrement confiant au téléphone. Colleen reconnaissait pourtant qu’elle n’était pas une cliente facile. Elle n’était pas particulièrement exigeante, en soi, et ne cherchait pas la perfection dans les biens qu’il lui présentait – elle ne faisait définitivement pas partie de ces clients pointilleux qui passaient le moindre mètre carré au peigne fin dans l’espoir de découvrir LA faille qui les amènerait à renoncer… Toutefois, le pas qu’elle s’apprêtait à franchir en achetant pour la première fois sa propre maison, sans l’aide de quiconque, faisait entrer cette opération dans une toute autre dimension. Elle ne se contenterait pas du premier bien venu s’il ne lui arrachait pas un coup de cœur immédiat, et c’était bien là que résidait le problème. Le coup de cœur. Sentimentale, Colleen avait besoin de ressentir une certaine chaleur émaner de son futur foyer, besoin de se sentir transportée, intriguée, d’éprouver une curiosité sans pareille en explorant les lieux. Il ne s’agissait pas seulement de bois, de brique ou de béton, d’une architecture structurée ou plus complexe, de modernité ou de tradition… La recherche de Colleen dépassait tous ces aspects. Parce qu’elle n’avait jamais eu la possibilité de choisir son propre foyer, August ayant toujours décidé à sa place et ne l’ayant jamais attendue pour faire une proposition financière avant même qu’elle puisse ne serait-ce que poser son regard sur la façade extérieure d’une maison, elle prenait sa mission particulièrement à cœur et ne ferait pas de concession. Pauvre Jacob, sa tâche n’était pas aisée. Quand il avait choisi de s’occuper de son dossier lorsqu’elle s’était présentée la première fois à l’agence, sans doute ne s’était-il pas attendu à un cas pareil. Pourtant Lynn avait la certitude qu’il était l’homme de la situation et que son expertise et sa connaissance du marché immobilier de Brisbane lui permettraient de trouver le bien qui ferait chavirer son cœur. Les deux premières visites n’avaient peut-être pas été concluantes, mais la sage-femme reconnaissait en Jacob un homme compétent qui maîtrisait son sujet. Sans lui, elle ne saurait tout simplement pas par où commencer.
Colleen poussa la lourde porte de l’agence immobilière et une fois à l’intérieur, retira ses lunettes de soleil. Elle avança jusqu’au comptoir de l’accueil et se présenta, un sourire avenant flottant sur ses lèvres vermeille. « Bonjour, j’ai rendez-vous avec Mr Copeland à 11h pour une visite ». La jeune femme derrière le comptoir riva son regard sur son écran, pianota avec dextérité sur son clavier et acquiesça. Elle lui affirma que Jacob ne devrait pas tarder et lui proposa un café en attendant, que Lynn déclina poliment. Elle se dirigea vers l’espace destiné à l’attente et s’installa sur l’un des fauteuils, aussi confortable en apparence qu’il ne l’était en réalité. Pour patienter, elle laissa son regard fureter dans la pièce avant qu’il ne s’arrête sur le mur décoré qui lui faisait face, décoré avec goût. On y trouvait des plans graphiques de Brisbane, des photographies modernes de la ville et même des certificats d’excellence attribués par des organismes de renommée, le tout dans des cadres impeccables. Colleen fut impressionnée par le professionnalisme qui se dégageait des lieux ; ici, rien n’était laissé au hasard, que ce soit au niveau du mobilier choisi ou de la décoration à la fois sobre et élégante. Son regard quitta le mur et s’attarda sur la table basse, sur laquelle elle trouva différentes éditions des magazines immobiliers de l’agence empilées. Sur le premier, elle reconnut même le visage souriant de Jacob Copeland, celui qui avait su faire de son enseigne immobilière une référence dans la région. Elle saisit le magazine en question et commença à le feuilleter avec curiosité, quand elle fut interrompue par l’arrivée de l’agent en question. La secrétaire n’avait pas menti : il n’avait pas tardé. Colleen posa le magazine sur la table et se leva pour l’accueillir, un sourire aux lèvres. « Bonjour Jacob » S’exclama-t-elle, sa voix trahissant l’excitation qu’elle ressentait à la perspective de découvrir ce qu’il lui avait préparé ce jour-là. |
| | | | (#)Ven 8 Mai 2020 - 18:18 | |
| Les clients de Jacob sont importants pour lui, ils sont comme une deuxième famille, qui contient un nombre excessif de membres. Ils deviennent ses frères et ses sœurs le temps des visites, ses parents lorsqu’il faut parler financement et des cousins éloignés quand la paperasse est remplie et que les derniers cartons du déménagement sont posés dans leur nouveau domicile. À ses yeux, ça a toujours été comme ça : même avant qu’il prenne son travail comme une échappatoire. Les jours se suivent et se ressemblent pour l’agent immobilier, mais il se lève chaque matin avec la même détermination, ayant comme seul but de se coucher chaque soir avec la même satisfaction. Si dans sa vie personnelle tout ne se passe pas comme prévu, sa vie professionnelle n’a jamais été aussi épanouie. Aujourd’hui, c’est avec Colleen qu’il a un rendez-vous. Il en a déjà eu un, un peu plus tôt ce matin, et il en aura un troisième durant l’après-midi. Mais le précédent ne compte plus le temps de l’actuel, et c’est comme le suivant n’existait pas, tant qu’il n’aura pas quitté la jeune femme. Il n’y a qu’elle qui compte, elle et ses critères, elle et son coup de cœur. Il adore présenter un bien et voir les yeux de ses clients pétiller, les voir se projeter, s’imaginer installer des meubles dans un coin ou dans un autre, cuisiner dans l’espace dédié à celui-ci, faire tomber un mur ou deux, remplir les chambres d’enfants imaginaires. Et durant ce temps-là, quand il partage ces moments privilégiés avec eux, il s’y imagine également. Dans chaque maison visitée, dans chaque appartement, il se voit lui-même emménager, poser ses cartons et y vivre avec Olivia. Ça aussi, il le faisait également avant son accident : il se sentait très bien chez lui à cette époque-là, mais le renouveau ne fait de mal à personne, les rêves non plus. Aujourd’hui, il espère cependant que ce rêve deviendra un jour une réalité, qu’ils pourront partir, s’installer ailleurs, redémarrer une nouvelle vie, sans oublier celle qu’ils ont vécu dans leur ancienne maison, celle qu’ils ont laissé dans l’hôpital le plus proche. Assis dans son bureau, Jacob regarde sa montre, l’heure approche. Il sait que rien ne sert d’aller l’attendre à l’accueil, qu’elle sera parfaitement reçue par l’une de ses employées et qu’il sera appelé à la minute où elle aura franchi la porte de l’agence. Mais il a cette vieille habitude de surveiller l’heure, comme s’il était constamment en retard : son père lui a appris à être en retard quand il est attendu, en avance quand il ne l’est pas. Une attitude que les hommes respectables et respectés ont, tous, et qu’ils ne s’avouent qu’entre eux. Il est rare qu’il fasse défaut à cette vieille tradition, c’est comme ancré en lui, désormais. Quelques coups à sa porte le font relever la tête, un signe de la main de son agente d’accueil lui fait comprendre qu’il est l’heure. Il se lève, un sourire aux lèvres ; le même qu’il arbore depuis qu’il fait ce métier, et il se dirige vers la salle d’attente.
Bonjour Jacob. Elle se lève, le salue. Bonjour ! Ça va bien aujourd’hui ? Prête pour visiter la maison de tes rêves ? Il la tutoie. Il a l’habitude de le faire avec tous ses clients, dès la fin du premier rendez-vous. Parce qu’il leur fait comprendre qu’ici, ce n’est pas une agence comme les autres, et que le lien entre eux ne pourra jamais se briser par la suite. Certes, il n’est que l’entremetteur entre un acheteur et un vendeur, entre un acheteur et des bricoleurs, entre un acheteur et des déménageurs, mais il reste un pion important. Sans lui, les personnes n’auraient peut-être jamais trouvé cette maison-là. Sans lui, tout aurait été différent dans leur vie. Et c’est ce qu’il tâche de faire comprendre à chaque personne qui passe dans son bureau, ce qu’il a fait comprendre à Colleen après l’avoir reçue le premier jour. Aujourd’hui, on va dans ton quartier de prédilection. Normalement, la plupart de tes critères sont remplis. Dit-il, alors qu’il commence à avancer vers la porte de l’agence, qui les mène à la sortie. Après une longue réflexion, Jacob a décidé d’investir dans des véhicules spécialement pour l’agence, pour mener les potentiels acheteurs sur les lieux des visites sans prendre sa voiture personnelle. Il savait que ses agents n’avaient aucun souci à utiliser les leurs, mais il a préféré acheter quelques véhicules, floqués au nom de l’agence. Un coup de pub dans les rues de Brisbane, ça ne fait jamais de mal. Et comme tous les hommes, il adore passer d’une voiture à une autre, c’est pourquoi le modèle est différent de sa voiture personnelle. Il avance vers le véhicule et, galanterie oblige, ouvre la porte à Colleen. Mademoiselle. Dit-il, en la laissant entrer à l’intérieur.Puis il claque la porte et passe au côté conducteur, attachant sa ceinture. Il y a seulement deux chambres, mais il y a un bureau. Le nombre de mètres carrés n’est pas suffisant par rapport à la hauteur sous plafond vu que c’est au dernier étage. Mais ça peut s’aménager facilement, et je suis sûr que ça peut te plaire. Il aime bien donner quelques indications sur les lieux qu’il va faire visiter, avant même d’arriver devant la maison. Comme quand on parle de la bande-annonce d’un film que l’on va voir dans les minutes à suivre. Il met le contact et démarre la voiture, commençant à rouler vers Logan City, à environ quarante minutes de là.
@Colleen Sainsbury |
| | | | (#)Mar 12 Mai 2020 - 22:04 | |
| La perspective de déménager à nouveau n’était peut-être pas la plus réjouissante qui fût, mais Colleen était tellement impatiente à l’idée de trouver son chez-soi australien que peu lui importait de remettre prochainement le nez dans les cartons. Jamais elle n’aurait pu imaginer pouvoir un jour s’offrir un bien immobilier seule, et encore moins dans un pays aussi éloigné du sien. Elle avait grandi dans une maison qui appartenait à ses parents, puis directement déménagé avec August quand celui-ci lui en avait à peine laissé le choix. Leur premier appartement avait été généreusement offert par les parents Wells, et les suivants avaient systématiquement été choisis par son époux. Des années plus tard, quand elle avait enfin pris son courage à deux mains et demandé le divorce pour déménager à l’autre bout du monde, elle n’avait pas non plus choisi son appartement ; c’était Evie qui le lui avait déniché dans le quartier de Redcliffe avant son arrivée. Ce qui expliquait pourquoi elle faisait ses premières visites de maison à l’âge de trente-sept ans, et s’émerveillait de découvrir des endroits qui ne lui avaient jamais semblé accessibles auparavant. Or, comme à chaque fois qu’elle s’investissait dans une mission, elle ne faisait pas les choses à moitié. Le regard empli d’émerveillement, elle visitait les biens proposés par Jacob avec une candeur attendrissante, s’imprégnant de la chaleur des lieux sans retenue et avec une curiosité manifeste. Son ingénuité aurait pu faire d’elle une cliente facile, et son excitation la mener à se laisser facilement impressionner par l’éloquence et les arguments bien rodés des agents immobiliers. Cependant, Colleen faisait plutôt partie de ces primo-accédants qui idéalisent un peu trop leur premier foyer, et pour qui la recherche de maison est loin d’être une promenade de santé. Elle plaçait tellement d’espoirs dans cette mission qu’elle n’était pas vraiment prête à faire des compromis.
Heureusement pour elle, Jacob était prédisposé à être l’homme de la situation. Il n’était pas seulement un professionnel qui connaissait parfaitement la réalité du marché de l’immobilier, il était également quelqu’un d’extrêmement prévenant. Lors de leurs deux précédentes visites, il ne l’avait pas brusquée à un seul instant et avait répondu à ses questions avec une patience exemplaire. Et c’était précisément ce dont Lynn avait besoin : quelqu’un qui saurait être à l’écoute et non une personne dont le seul intérêt consisterait à toucher la commission après la vente. Quand il arriva après seulement quelques minutes d’attente dans le hall de l’agence immobilière, Colleen se leva immédiatement pour l’accueillir. Il la salua à son tour, arborant un sourire bienveillant. Dès leur première rencontre, il l’avait tout de suite mise à l’aise et considéré comme son égale, plutôt que d’afficher un air supérieur. « Je suis on ne peut plus prête. Je ne vais pas te mentir : depuis ton appel hier, je trépigne d’impatience à l’idée de découvrir ce que tu m’as préparé aujourd’hui ! » Répondit-elle avec enthousiasme. Et c’était à peine exagéré, preuve en était : elle avait eu du mal à fermer l’œil la veille au soir, et quand elle y était enfin parvenue, ses rêves avaient été peuplés de maisons toutes plus spacieuses et chaleureuses les unes que les autres. Jacob la guida vers la porte en lui expliquant qu’ils se rendaient dans son quartier de prédilection pour la visite du jour, ce qui ne pouvait signifier qu’une seule chose : Logan City. Quand elle avait parcouru Brisbane à la recherche du quartier idéal avant même de passer la porte de l’agence immobilière de Jacob, Lynn en était instantanément tombée sous le charme. La nature avait une place prépondérante dans ce secteur de la ville, où la verdure n’avait pas été écrasée sous le poids du béton. Ce quartier était bien loin de ceux qu’elle avait connus à Londres, August ayant toujours privilégié les quartiers animés du centre-ville de la capitale. Or il illustrait parfaitement ce que recherchait la jeune femme : la sérénité. Elle avait donc réellement de quoi se réjouir avant de découvrir la pépite dénichée par Jacob. « J’ai l’impression que c’est plutôt bien parti, alors ! ».
Elle le suivit jusqu’à sa voiture de société qui arborait fièrement les couleurs sobres et élégantes de l’agence, et inclina légèrement la tête lorsqu’il lui ouvrit la portière pour la laisser entrer dans le véhicule – Colleen ne put s’empêcher de penser que les australiens n’avaient véritablement rien à envier aux anglais en matière de galanterie. Elle s’installa du côté passager et fit glisser ses lunettes de soleil sur son nez en considérant d’un air de défi le volant derrière lequel l’agent immobilier s’installa. Le siège passager était résolument la place qu’elle préférait dans une voiture, car dès lors qu’elle posait ses mains sur un volant, elle pouvait être sûre qu’une catastrophe se produirait dans la foulée ; c’était bien la raison pour laquelle elle n’avait d’ailleurs pas jugé bon d’investir dans un véhicule à son arrivée en Australie. Imitant Jacob, elle attacha sa ceinture de sécurité, et alors qu’il démarrait, il lui parla davantage de la maison qu’ils s’apprêtaient à découvrir. Colleen attachait peu d’importance aux détails techniques en réalité, car c’était bel et bien la chaleur du foyer qui ferait la différence, mais force était de constater que la description de Jacob titillait un peu plus sa curiosité. « Je fais confiance à l’expert » Dit-elle avec bonne humeur alors que les rues défilaient déjà sous leurs yeux. « Je t’avoue que j’attends beaucoup de cette visite depuis ton appel hier. Je ne dis pas ça pour te mettre la pression » s’empressa-t-elle d’ajouter, « … mais j’ai vraiment hâte ».
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| | | | (#)Jeu 21 Mai 2020 - 14:31 | |
| Je suis on ne peut plus prête. Je ne vais pas te mentir : depuis ton appel hier, je trépigne d’impatience à l’idée de découvrir ce que tu m’as préparé aujourd’hui ! Et ces quelques paroles, bizarrement, c’est tout ce qu’il avait besoin d’entendre aujourd’hui. Il sait au moins que ça, il le fera bien. Il sait qu’elle sera heureuse, quoi qu’il arrive, parce qu’ils se rapprochent doucement – mais sûrement – de la finalité. Quelques rafistolages par-ci, par-là, les cartons et le déménagement ne sont que des détails auxquels il ne faut pas s’accrocher. L’important est là, sous les yeux de Colleen, sous ceux de l’agent immobilier : ils y sont presque. Bientôt, elle aura trouvé l’endroit où elle voudra passer de nombreuses années – peut-être jusqu’à la fin de ses jours – bientôt, elle se sentira chez elle en découvrant un chez les autres, et il suffira d’une signature et de quelques milliers en moins sur son compte en banque pour que ça lui appartienne. Bientôt, oui, parce qu’il est persuadé que cette maison lui correspondra. Et si ce n’est pas elle, il ne lui a pas dit, mais il a d’autres cartes à jouer dans sa manche, peut-être moins pertinentes sur le coup, mais qui lui feront gagner la partie malgré tout. Dis-toi que ce sera au-delà de tout ce que tu as pu t’imaginer. Et il sait qu’elle a imaginé la maison de ses rêves, c’est bien pour ça qu’il se permet une phrase comme celle-ci : il fait ce métier depuis tellement d’années, qu’il connaît les attentes de n’importe qui. Et tant qu’elle ne prend pas la décision de faire construire elle-même ce qu’elle désire, elle n’aura jamais ce qu’elle a dessiné dans ses pensées, elle aura toujours autre chose. Du mieux, évidemment. Ils quittent l’agence pour rejoindre la voiture, et Jacob lui dépeint quelques détails de ce qu’ils ne tarderont pas à voir de leurs propres yeux. Je fais confiance à l’expert. Je t’avoue que j’attends beaucoup de cette visite depuis ton appel hier. Je ne dis pas ça pour te mettre la pression, mais j’ai vraiment hâte. Ses yeux restent concentrés sur la route, son esprit, lui, est ailleurs : il l’écoute parler et il sourit. Tu ne me mets pas la pression, tu me donnes encore plus envie de te faire plaisir. Il confesse. J’ai arrêté d’avoir la pression il y a bien longtemps. Si je l’avais, ça voudrait dire qu’il y a des défauts et que j’ai peur que tu les remarques. Je te montre que ce qui me semble être bon pour toi, alors j’ai toutes les raisons d’être confiant et d’arriver les mains dans les poches. Un homme ambitieux se doit d’avoir confiance en lui. Sinon, à quoi bon ? Si on ne croit pas en soi-même, comment gravir les échelons ? S’il n’avait pas cru en être capable, il ne serait pas ici aujourd’hui. Il serait toujours dans l’agence à côté de chez lui, à travailler pour quelqu’un d’autre, à faire visiter des biens qu’il n’aime pas lui-même. Aujourd’hui, l’agence lui appartient, et Copeland a remplacé le nom son ancien patron. Quand on veut, on peut et quand on y croit, on y arrive forcément.
Le trajet s’est passé plutôt rapidement. Entre les quelques indications de Jacob et la musique de la radio qui résonnait dans l’habitacle, la demi-heure s’est transformée en cinq minutes. Il ne dit pourtant rien, se contente d’enclencher le clignotant pour tourner dans une rue où les maisons se suivent et mais ne se ressemblent pas. Un quartier comme dans les films, en excluant l’idée du voisinage qui cache des secrets morbides. Il s’arrête à quelques mètres du bien qu’il compte lui présenter, dans l’espoir que son coup de cœur se déclenche rien qu’à la façade, et au jardin qui l’entoure. Est-ce qu’elle portera son attention sur cette maison particulièrement ? Sur une autre ? On y est. Dit-il, en portant son regard sur elle. C’est pas cette maison. Un signe de tête vers la maison devant laquelle ils se sont arrêtés. Il se détache et sort de la voiture après l’avoir invitée à faire de même. J’aimerais voir si tu es capable de deviner laquelle on va visiter. Il a fait attention à ce que l’acheteur enlève le panneau « à vendre » avant de mettre ce petit jeu en place. Il n’est pas novice, il ne se fera pas avoir. Tout ce que je peux te dire c’est que c’est dans cette rue. Et que je suis sûr que ça va te plaire. Il n’a pas pensé au scénario qui tournerait mal : au fait qu’elle accroche à une maison qui n’est pas sur le marché, à une maison où des gens vivent déjà et ne comptent pas déménager. Il a déjà fait ça quelques fois, ça s’est toujours bien terminé. Pourquoi ça se passerait mal aujourd’hui ? Il secoue son visage à cette idée et verrouille la voiture en appuyant sur le bouton de sa clé, puis se met à marcher en direction de la maison. Droit, sur le trottoir, pour ne pas lui donner d’indices en tournant vers celle-ci. Il est même capable de la dépasser, si elle met trop de temps à comprendre que c’est celle-ci. La façade a été rénovée il n’y a pas très longtemps. Elle n’est pas vieille, mais l’ancien propriétaire ne voulait pas qu’elle s’abîme. C’est du neuf sans l’être. Encore des indices, toujours des indices. Les travaux à l’intérieur ne sont pas nécessaires, tu l’auras compris. Mais on pourra en faire malgré tout si quelques petites choses te dérangent. Un mur en trop, le sol pas à ton goût… tout ça, tu vois. Il parle comme si c’était déjà fait, comme si elle avait déjà visité l’intérieur et qu’elle avait confirmé son envie d’acheter. Pourtant ils ne sont pas encore là, mais c’est bien connu que Jacob n’attend pas avant de s’imaginer tout un tas de scénarios. Pour faire son métier, il faut avoir une imagination accrue et avoir un grand esprit : au moins, ça, il l’a.
@Colleen Sainsbury |
| | | | (#)Lun 25 Mai 2020 - 23:10 | |
| Colleen était incapable de dissimuler son enthousiasme derrière un masque d’impassibilité. Elle préférait jouer franc-jeu plutôt que de prétendre que cette visite n’avait à aucun moment éveillé sa curiosité. Elle n’était pas une cliente difficile, elle n’en avait pas le tempérament. Combien de fois avait-elle d’ailleurs essayé de modérer les ardeurs d’August qui, contrairement à elle, était parfaitement capable de s’emporter dès lors qu’il était mécontent ? Elle avait toujours eu honte de ce comportement excessif qui menait généralement à des scandales en public. Au restaurant, elle n’avait jamais renvoyé le moindre plat en cuisine pour un manque de cuisson, ni jamais pris la poudre d’escampette après avoir passé plus de temps que prévu dans une file d’attente. Les esclandres, très peu pour elle. Tant pis si cela faisait d’elle une cliente facile et qu’elle était parfois prise pour une idiote. Heureusement pour elle, Jacob ne semblait pas répondre à la description du patron misogyne et condescendant qui prend ses clients pour des jambons. Il était sûr de lui, certes, mais n’avait-il pas toutes les raisons de l’être après tout ? Il était à la tête d’une dizaine d’agences immobilières australiennes et connaissait son métier sur le bout des ongles. Cette confiance qu’il plaçait en ses compétences professionnelles était parfaitement légitime et quelque part, rassurait la jeune femme qui était intimement persuadée qu’il la mènerait vers le projet idéal. Celui qui ferait chavirer son cœur et qui lui permettrait de se sentir vraiment chez elle ici, à Brisbane. Après avoir démarré la voiture en direction de Logan City, Jacob la rassura en lui disant que bien loin d’être sous pression, il était en réalité encore plus impatient de lui faire découvrir la maison maintenant qu’il connaissait son intérêt pour cette visite. Comme elle l’avait deviné, il était détendu et n’imaginait pas un seul instant qu’elle pourrait mal se passer. Quelque part, le contraire aurait été étonnant. Même si les professions qu’ils exerçaient étaient aux antipodes l’une de l’autre, la sage-femme pouvait aisément faire le rapprochement avec son métier : pour gagner la confiance de ses patientes, elle avait tout intérêt à se montrer aussi confiante que l’était Jacob auprès de ses clients. Quand elle croisa le regard de l’agent immobilier dans le rétroviseur intérieur de la voiture, elle hocha la tête sans ajouter un mot, comprenant parfaitement là où il voulait en venir.
Le trajet se déroula sans encombre, la conduite de Jacob était sereine et la musique qui se jouait dans l’habitacle du véhicule, agréable à écouter. Colleen enregistra les quelques indications qu’il lui donna, mais laissa néanmoins son esprit vagabonder au gré de ses pensées et de ses attentes une bonne partie de la route, les yeux dans le vague. Aussi, quand ils se garèrent finalement le long du trottoir, elle n’avait même pas remarqué qu’ils étaient entrés dans un quartier et que leur destination semblait atteinte. Elle se redressa sur le siège passager, jetant des coups d’œil aux alentours pour découvrir la rue. Cette dernière était assez semblable à celles qu’elle avait traversées lorsqu’elle avait commencé ses recherches dans le but de découvrir les différents quartiers de la ville. Les allées étaient fleuries, les haies impeccables et si de toute évidence les maisons ne dataient pas d’hier, leurs façades étaient pour la plupart parfaitement entretenues. Leur architecture était identique et typique des banlieues de Brisbane, avec une allée sur le côté menant au garage et un perron en bois entouré de balustrades en fer forgé conduisant à la porte d’entrée. Colleen s’intéressa de plus près à la maison à côté de laquelle Jacob s’était garé, mais ce dernier l’avertit aussitôt qu’il ne s’agissait pas du bien qu’il avait l’intention de lui faire visiter. Elle plissa les yeux et lui coula un regard perplexe – pourquoi s’étaient-ils arrêtés là dans ce cas ? Il ne tarda pas à répondre à la question inscrite sur les traits de son visage : il s’agissait d’un jeu, ni plus ni moins, destiné à lui faire deviner la maison. Il prenait un risque, certes, mais le jeu amusait Colleen.
Elle sortit de la voiture et fit un tour sur elle-même pour admirer les maisons aux alentours. L’enjeu était de taille : si elle se trompait, elle serait forcément déçue. « Dans cette rue, mmh ? Et si je te dis qu’aucune de ces maisons ne me plaît, tu réagiras comment ? Ce serait dommage quand même d’avoir fait tout ce chemin pour rien… » Fit-elle d’un air malicieux en regardant Jacob. Niveau crédibilité, certes, ce n’était pas encore ça, mais elle n’avait pu s’empêcher de tester sa confiance. Il lui donna quelques indices supplémentaires et elle fit durer le suspense, exécutant plusieurs tours sur elle-même pour être sûre de décortiquer la façade de chacune des maisons avec la plus grande attention, alors qu’en réalité elle était à peu près sûre d’avoir déjà trouvé. Les indications de Jacob confirmèrent ses suspicions et quand elle se retourna, elle l’observa avec une même lueur espiègle dans le regard « Le numéro 12 ? » Demanda-t-elle en haussant les sourcils et en levant les mains devant elle afin de lui montrer ses doigts croisés. Elle se délecta de la réaction de l’agent immobilier, à la hauteur de ses espérances. La maison qu’elle avait choisie n’était pas du tout celle qui avait attiré son attention, mais puisque Jacob avait initié ce jeu elle ne voyait pas pourquoi elle ne pouvait pas jouer elle aussi. Après plusieurs secondes, elle mit fin à son calvaire en secouant la tête. Elle lui décocha un sourire ravi. « Je plaisante… Par contre cette fois-ci je suis sérieuse alors j’espère que c’est bien ça : le numéro 14 ? » Proposa-t-elle en désignant le bien en question. La façade de celui-ci n’avait rien d’extravagant et était somme toute assez traditionnelle, mais dégageait un charme que la rénovation récente ne semblait pas avoir affecté. L’allée était assez spacieuse pour accueillir le stationnement de deux voitures, ce qui serait largement suffisant dans la mesure où Colleen ne possédait même pas de véhicule personnel. L’endroit semblait appeler la jeune femme, et de toute évidence elle serait forcément déçue si elle avait commis une erreur. Elle accrocha le regard de Jacob, impatiente, et devina au sourire qu’il arborait qu’elle avait vu juste. « Ah ! » S’exclama-t-elle. Elle n’écarta pas son index et son majeur pour former le V de la victoire, mais on n’en était pas très loin – le sourire qu’elle esquissait était suffisant pour comprendre qu’elle était on ne peut plus satisfaite. « L’effet est réussi : je suis emballée ! J’ai hâte de découvrir l’intérieur mais avant… Que peux-tu me dire du quartier ? ».
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| | | | (#)Mer 3 Juin 2020 - 17:03 | |
| Ils sont arrivés à destination. Et c’est très bien ainsi, car Jacob a déjà dit tout ce qu’il avait à dire sur la maison. Pourquoi elle risque de lui plaire, ce qu’elle peut faire pour arranger quelques pièces. Et les détails qui n’intéressent qu’une poignée de futurs propriétaires – ceux qui savent à l’avance qu’ils finiront par revendre le bien. Au début, Jacob ne comprenait pas ces gens-là, il ne voyait pas l’intérêt d’investir autant d’argent, de temps et d’énergie dans une maison pour ensuite la revendre. Il a grandi avec le parfait schéma familial et, aujourd’hui, quand il rend visite à ses parents, il peut retourner dans son ancienne chambre d’adolescent et rougir de la décoration qui n’a pas aussi bien vieilli que lui. Il avait l’exemple parfait, il a fallu que ce soit sa famille qui implose pour qu’il comprenne l’intérêt des déménagements. À chaque fois qu’il passe devant la chambre de June – l’ancienne chambre – il sait qu’il ne pourra jamais plus vivre paisiblement dans cette maison. Qu’il sera obligé de déménager, un jour ou l’autre. Accepter l’idée que d’autres personnes vivront ici, que d’autres personnes y seront heureuses, et que son temps à lui est passé. Grâce à June, ou à cause, il ne sait pas, il a compris pourquoi certaines personnes abandonnent le projet d’une vie pour en avoir un second, en espérant qu’un troisième ne survienne pas. Il n’est pas encore prêt à déménager, il n’a d’ailleurs pas encore abordé le sujet avec Olivia, mais il sait que c’est l’une des prochaines étapes pour la survie de son couple, et sa survie personnelle. Ils sont arrivés, et Jacob a une idée pour s’amuser un peu et voir s’il a visé juste concernant Colleen. Il pense que oui, il est sûr que oui. C’est pour ça qu’il s’arrête à quelques pas de la vraie maison qu’il compte lui faire visiter, il lui explique rapidement ce petit jeu, et elle ne s’offusque pas. Heureusement. Il sait que d’autres clients lui auraient dit qu’ils n’ont pas de temps à perdre, et qu’ils ne sont pas ici pour qu’on se joue d’eux. Elle, elle sourit. Un sourire qui lui fait comprendre qu’elle est d’accord, qu’elle va chercher. Dans cette rue, mmh ? Et si je te dis qu’aucune des maisons ne me plaît, tu réagiras comment ? Ce serait dommage quand même d’avoir fait tout ce chemin pour rien… Il croise son regard, et il sait qu’elle ne pense pas le moindre mot de ce qu’elle vient de lui dire. Il ne relève pas, il préfère lui donner de nouveaux indices sur la maison pour qu’elle trouve au plus vite. Pas qu’il s’impatiente, mais il a bien trop peur qu’elle s’intéresse à une autre inutilement. Il joue gros, très gros, trop gros. Le numéro 12 ? Il la pensait piètre menteuse, mais cette phrase a eu l’effet d’une bombe dans les pensées de Jacob : eh merde. Il la regarde longuement, regarde ses doigts croisés, et ne sait pas quoi dire. Parce que non, ce n’est pas elle. Et elle a l’air tellement sincère, là, comme ça, qu’il ne se doute pas une seule seconde que c’est à son tour de se jouer de lui. Il le comprend quand elle se remet à sourire grandement, ce qui vaut un soupir de soulagement de la part de l’agent immobilier. Je plaisante… Par contre cette fois-ci je suis sérieuse alors j’espère que c’est bien ça : le numéro 14 ? Il jette un coup d’œil en la direction de la maison. La maison, ou bientôt sa maison. Alors déjà, ne me refait jamais ça. Avec June, il s’est forcé à devenir autoritaire, et ça ressort de temps en temps dans le fond de sa gorge. C’est le cas, actuellement, bien qu’il y ait une pointe d’amusement qui se veut rassurante, il n’est pas énervé. Et il ne va pas se venger, il l’a bien cherché. Oui, c’est celle-ci.
Le sourire de Jacob était suffisant pour lui faire comprendre qu’elle avait vu juste, mais le dire à voix haute, ça lui fait quand même un petit effet. Ah ! L’effet est réussi : je suis emballée ! J’ai hâte de découvrir l’intérieur, mais avant… Que peux-tu me dire du quartier ? Contrairement aux détails sur les mètres carrés et sur les surfaces habitables, ça, c’est un détail que énormément de personnes demandent : qu’est-ce qu’il se passe, autour ? Dois-je craindre mon futur voisinage ? Et les animations ? Il regarde autour d’eux un instant, il n’y a pas de voitures qui circulent actuellement. Comme tu peux le voir, c’est plutôt calme. Il n’y a pas beaucoup de familles installées autour de chez toi, c’est surtout des personnes célibataires, je pense que tu sauras très vite t’inclure dans le voisinage. Il parle encore une fois comme si c’était acté, signé, comme si elle allait y habiter demain. T’as quelques sentiers un peu plus loin pour te promener. C’est clairement pas un centre-ville, faut pas espérer de grandes animations. Mais le voisinage est agréable, la vue l’est aussi, et si tu t’ajoutes à l’équation, ça rendra le tout encore plus sympathique. Il hausse ses épaules, il aime bien lui dire qu’il l’aime bien à travers ses mots. Ce n'est pas une technique de vente, ça, c’est qu’il l’apprécie sincèrement. Je te propose de faire comme si j’étais l’un de tes grands amis et que tu me présentais la maison. Je sais que tu ne sais pas à quoi elle ressemble et que tu ne sauras pas distinguer parfaitement les pièces, donc je peux t’aider si ça ne te revient pas, mais j’ai envie que tu découvres par toi-même. Si tu te sens inspirée, si tu vois déjà la décoration s’installer seule, projette-toi et dis-le moi. Il lui tend les clés. Ses clés. C’est pas encore chez toi, mais je suis sûr que ça peut le devenir très rapidement. Et il sait qu’elle lui fait confiance, pour ça, pour tout ça : et s’ils sont encore là, si elle n’a pas fui à ses premiers petits jeux, ce n’est pas maintenant qu’elle va faire demi-tour. Mon équipe et mois sommes là pour le déménagement et l’emménagement, donc tous les détails, même les plus futiles, m’intéressent. Allons-y. Et ils quittent l’allée dans laquelle ils étaient pour rejoindre celle de la fameuse maison, marcher vers la porte d’entrée, comme le Graal à atteindre, à seulement quelques pas d’eux, désormais.
@Colleen Sainsbury |
| | | | (#)Dim 7 Juin 2020 - 22:26 | |
| Le jeu proposé par Jacob avait beaucoup amusé Colleen. Lors de leur première visite, elle avait rapidement compris qu’il n’était pas juste un agent immobilier lambda aux méthodes traditionnelles. Contrairement à d’autres, il ne se contentait pas de réciter ses arguments de vente appris par cœur, les yeux rivés sur les fiches détaillant les biens immobiliers dans les moindres détails – surface habitable, nombre de pièces, exposition… Jacob était bien plus que ça. Il avait beau être à la tête de nombreuses agences immobilières portant son nom, il n’en était pas prétentieux ou orgueilleux pour autant et demeurait d’un abord facile. Il était aux petits soins pour elle et soucieux de répondre à ses critères. Alors au lieu de lui faire perdre son temps inutilement en multipliant les visites, il en avait établi une sélection bien précise et chaque visite de bien lui permettait d’affiner à chaque fois sa recherche. Pour cette troisième visite, non seulement il était parvenu à dénicher une maison dans son quartier coup de cœur, mais il avait aussi réussi à éveiller sa curiosité avec un jeu atypique et amusant. Sans doute avait-il compris lors de leurs deux dernières visites qu’il pourrait tenter cette expérience avec Colleen, qu’elle ne lui reprocherait pas d’aborder les choses sous un angle moins classique. Il suffisait en réalité de deux minutes passées en compagnie de la sage-femme pour réaliser qu’elle ne s’offusquerait pas de telles méthodes, et qu’au contraire elles seraient susceptibles de l’amuser. Visiter des maisons était censé être un plaisir plutôt qu’un fardeau – ou du moins l’était-ce à ses yeux – alors si en plus l’ambiance pouvait être bon enfant, cette activité n’en serait que plus plaisante. Si le bien que lui présentait Jacob aujourd’hui s’avérait être celui de ses rêves, elle en viendrait peut-être même à regretter qu’il serait le dernier qu’il lui présenterait.
Colleen vit les traits de l’agent se crisper quand elle se joua de lui en posant son regard sur le numéro douze et en levant ses doigts croisés, lui faisant croire qu’elle avait jeté son dévolu sur cette maison-là. Sa réaction fut à la hauteur de ses attentes ; elle dont les joues s’empourpraient généralement après un mensonge était parvenue à le faire douter en demeurant parfaitement impassible. Elle mit rapidement un terme à son malaise cependant, incapable de maintenir l’illusion plus longtemps. Son visage se fendit d’un sourire radieux et elle s’empressa de lui révéler sa supercherie. Jacob poussa un soupir de soulagement et l’avertit de ne plus recommencer. Malgré son ton un peu sec, Colleen pressentait qu’il ne lui en voulait pas vraiment, et il finit même par approuver son choix de maison. Ce fut à son tour à elle d’être soulagée car s’il avait prévu de lui faire visiter une autre maison que le numéro quatorze, elle en aurait été très déçue. Le jeu de Jacob fut donc un succès, et confirmait encore une fois qu’il maîtrisait parfaitement la situation et qu’il était parvenu à cibler ses attentes. Elle s’enquit alors du quartier, lui demandant quelques renseignements le concernant. Il lui expliqua que la rue était calme et que le voisinage était presque exclusivement composé de personnes célibataires sans enfants. Il ne lui donna pas de tranche d’âge particulière, mais elle doutait que des étudiants soient en mesure d’acheter ou même de louer des maisons pareilles, ou des personnes très âgées d’entretenir ces parcelles. Jacob lui adressa un compliment au détour de ses explications, et la jeune femme esquissa un sourire. Il était vrai que le courant passait bien entre eux et qu’elle n’aurait pu rêver mieux pour de premières visites immobilières, si bien que lorsqu’il lui proposa de prétendre qu’il était l’un de ses amis à qui elle présentait la maison, cela ne lui sembla pas si difficile à concevoir.
Elle saisit les clés qu’il lui tendit et acquiesça d’un signe de la tête. A nouveau, l’approche proposée par Jacob pour la visite n’avait rien de conventionnel, mais elle appréciait l’originalité de son idée. « Ça marche. Par contre, je dois te prévenir : je ne suis pas une très bonne actrice. Alors il se peut que ma comédie ne soit pas très convaincante… Heureusement que je n’ai pas trop de mal à t’imaginer comme un ami, cette partie-là ne devrait pas être trop difficile à simuler » Fit-elle gaiement. Ils se dirigèrent tous les deux vers la maison et empruntèrent l’allée qui menait au perron. Les yeux de la jeune femme étudiaient l’endroit avec un intérêt manifeste, se posant successivement sur le gazon, les haies bien entretenues, l’allée propre. Elle ne connaissait pas la taille de la parcelle mais celle-ci semblait être raisonnable. Elle gravit les quelques marches menant au perron et s’arrêta devant la porte d’entrée. Perdue dans la contemplation des lieux, elle en vint à presque oublier l’agent immobilier derrière elle et quand son regard se posa sur lui, elle se rappela le rôle qu’elle était censée tenir dans la comédie qu’il avait imaginée. Elle lui adressa un sourire puis se retourna et posa ses avant-bras sur la balustrade pour observer l’allée depuis le perron. Jacob avait raison : la rue était parfaitement calme et l’endroit dégageait une certaine sérénité. Elle aperçut un passant promener son chien au loin, mais à cette exception le quartier était désert à cette heure de la journée. Les yeux plissés, elle observa les maisons voisines de chaque côté de celle qu’elle s’apprêtait à visiter, et en vint à la conclusion qu’elles respectaient une distance suffisante pour lui permettre une certaine intimité. Elle coula un regard en coin à Jacob puis agita les clés devant elle. « C’est parti ? ». Ses yeux glissèrent sur le trousseau et elle lut la petite étiquette colorée sur le porte-clé : 14, Latimer Road.
Elle glissa la clé dans la serrure, la fit pivoter, prit une profonde inspiration puis poussa la porte d’entrée. D’après ce qu’elle avait lu quelque part, les premières secondes étaient déterminantes dans une visite, Colleen était donc consciente que tout se jouerait dans les prochains instants. La porte donnait sur une petite entrée déserte qui desservait deux portes : l’une sur le côté gauche et l’autre face à elle. Un escalier menant à l’étage se tenait quant à lui sur la droite. Sa première impression fut à la hauteur de ses espérances ; en dépit du papier peint vieillot aux murs et de l’escalier qui méritait un sacré rafraîchissement, elle fut saisie par la chaleur qui émanait de la pièce. « Bienvenue chez moi ! » Fit-elle se retournant vers Jacob, se prêtant à la comédie. « Bon je suis désolée, c’est un peu poussiéreux car je n’ai pas encore emménagé, et les travaux n’ont pas non plus commencé mais tu verras le potentiel ». Elle chercha un instant l’approbation dans son regard, espérant être à la hauteur de ses attentes, puis détourna les yeux et tendit la main vers la porte qui se trouvait sur sa gauche. « Je te propose de commencer par-là ? ». La porte s’ouvrit sur une petite pièce qui n’était pas plus meublée que l’entrée. Les anciens propriétaires avaient déjà déménagé, et sans meubles ni décoration Colleen devait deviner la distribution des espaces. Son regard se porta instantanément sur l’ouverture voûtée qui menait à une pièce plus spacieuse et elle fit quelques pas, se positionnant juste en dessous de la voûte. Elle imaginait aisément le salon sur la première partie et un espace salle à manger sur la seconde, mais cette voûte en plein milieu était à ses yeux dénuée de charme. Dans son esprit, les idées fusaient déjà de toutes parts. Elle demeura silencieuse un moment, perdue dans ses pensées. D’un point de vue extérieur, elle pouvait sembler perplexe mais en réalité c’était tout le contraire. Le challenge de cette pièce l’enthousiasmait et elle peinait à démêler ses idées pour trouver une conclusion satisfaisante.
Quand elle se ressaisit enfin, elle se remit en mouvement et traversa la deuxième pièce qui comportait une baie-vitrée et une fenêtre qui donnaient sur le jardin. L’endroit était lumineux, mais le serait davantage quand les murs seraient repeints. Sans perdre de temps, elle ouvrit la porte au fond de la pièce et découvrir une cuisine derrière celle-ci. Elle eut l’impression de se retrouver projetée quelques décennies en arrière tant l’ameublement de la cuisine était vétuste. La surface était néanmoins d’une proportion raisonnable et la pièce aussi lumineuse que la précédente. Il y avait clairement du potentiel avec un peu d’imagination. Elle frappa la cloison entre la cuisine et ce qui devait être la salle à manger, et ses lèvres ébauchèrent un sourire satisfait quand elle sonna creux. Elle pivota sur ses talons et posa enfin son regard sur Jacob. « Alors… ». Elle l’emmena vers la première pièce qu’ils avaient traversée et s’arrêta en-dessous de la voûte. « Ici se trouve le salon. Il est petit actuellement mais j’ai l’intention de redistribuer les espaces en retirant cette ouverture partielle » Dit-elle en désignant la voûte. « L’idée, c’est d’ouvrir et d’agrandir le côté salon. Pour délimiter ce coin-là je pense choisir un canapé d’angle, et là-bas j’installerai le meuble télé ». Elle plissa les yeux, concentrée. « Il faudra bien sûr moderniser la pièce de vie, mais j’ai quelques idées, comme remplacer le papier peint par de la peinture claire et opter pour une décoration dans le style "cocooning" ». Elle esquissa quelque pas pour étudier l’espace du côté salle à manger. « Ici, c’est simple : je voudrais retirer la cloison pour obtenir une cuisine ouverte en forme de U, avec un îlot au centre. Je pense que ça pourrait être pas mal ». Elle jeta un coup d’œil à Jacob. « Ça te plait ? » Lui demanda-t-elle, soucieuse de connaître son avis alors que de toute évidence, c’était le sien dont il avait vraiment besoin. Elle n’avait même pas encore porté son attention sur le jardin derrière la baie-vitrée, car seul l’intérieur l’intéressait pour l’instant. Elle s’approcha de Jacob et chuchota : « Je n’ai pas besoin des mesures pour l’instant… Mais tu me confirmes bien que ce mur n’est pas porteur ? Et je voudrais aussi savoir ce qu’il en est de l’isolation ? C’est du double vitrage ? » Demanda-t-elle en montrant la baie vitrée et la fenêtre. Sans les informations précieuses de l’agent, il lui serait difficile d’évaluer le montant des travaux à prévoir, or plus les secondes passaient, plus Colleen réalisait que cet endroit lui plaisait.
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| | | | (#)Lun 8 Juin 2020 - 22:33 | |
| Très tôt durant son adolescence, Jacob a compris que n’importe quelle situation pouvait prendre une tournure amusante, s’il y réfléchissait correctement. Ça ne plaisait pas à son père : il lui disait qu’il allait se ridiculiser et se décrédibiliser, s’il se la jouait rieur devant des personnes hautement placées. Mais le gamin s’en fichait, et l’adulte qu’il est aujourd’hui en a toujours que faire de ces belles paroles. Ambitieux ne veut pas dire frustré, et il refusait de mettre son tempérament de côté uniquement pour sa carrière. Il était prêt à faire une multitude de concessions – et il en a fait des tas durant dans sa carrière – mais pas celle-ci, jamais. Ça se ressent aujourd’hui : un grand patron qui sait rigoler de temps en temps, quand le lien qu’il entretient avec la personne le permet, quand il est également d’humeur à le faire. C’est venu naturellement avec Colleen, ces envies de petits jeux : d’abord, retrouver la maison. Ensuite, la lui présenter comme s’il était l’un de ses amis et qu’il ne l’avait jamais vu auparavant – alors que des deux, c’est bien elle qui se trouve dans l’ignorance. C’est à la fois un jeu et une épreuve, et il est sûr qu’elle réussira haut la main et qu’ils pourront ressortir de cette visite victorieux. Elle, avec une maison bientôt achetée. Lui, avec une maison vendue. Ça marche. Par contre, je dois te prévenir : je ne suis pas une très bonne actrice. Alors il se peut que ma comédie ne soit pas très convaincante… Heureusement que je n’ai pas trop de mal à t’imaginer comme un ami, cette partie-là ne devrait pas être trop difficile à simuler. Les paroles de Colleen font sourire Jacob, c’est pleinement réciproque. Hors contexte professionnel, il n’aurait aucun mal à l’imaginer comme une amie. Il trouve d’ailleurs très dommage que ce soit possiblement la dernière maison, sur ce point. Parce que ça veut dire qu’ils n’auront plus à se rencontrer, et c’est quelque chose qui le désole fortement ; c’est vrai qu’il peut chercher à obtenir son amitié, une fois leurs affaires terminées, mais il ne sait pas vraiment comment s’y prendre. Le sujet n’est pas là, pour le moment, il tient quand même à relever ce qu’elle vient de lui dire. J’en suis flatté. Promis, je ne vais pas te juger sur tes talents d’actrice. Il lève sa main droite en l’air, presque prêt à dire « je le jure », mais il ne le fait pas.
Il suit Colleen. Il voit son exploration. Et il est presque admiratif devant cette femme qui se débrouille seule : il ne sait pas grand-chose de son histoire, il n’a pas besoin de connaître toutes les données personnelles pour effectuer des recherches, mais il ressent que c’est une femme forte, indépendante. C’est dans son aura, ça émane d’elle. Et quand il la regarde ainsi regarder le jardin qui sera bientôt le sien, la rue qui sera bientôt la sienne, il ne peut s’empêcher d’y penser un peu plus fort. C’est parti ? Il hoche doucement sa tête et lui fait un signe de la main. Les dames d’abord. Galanterie acquise au fil des années, dont il fait preuve la plupart du temps. Il entre après elle, il sait tout comme Colleen que les secondes qui s’écoulent sont décisives : un coup de cœur se décide lors des premiers instants, comme un coup de foudre. On ne peut pas dire avoir eu un coup de foudre des semaines après, tout comme on ne peut pas dire avoir un coup de cœur seulement après l’emménagement. Si la maison est celle de ses rêves, c’est maintenant qu’elle doit le savoir, ça ne sera pas plus tard. Bienvenue chez moi ! Et elle joue le jeu, et ça fait sourire Jacob. Il ne dit rien, la laisse enchaîner avec son accueil qui se veut remarquable. Bon je suis désolée, c’est un peu poussiéreux car je n’ai pas encore emménagé, et les travaux n’ont pas non plus commencé mais tu verras le potentiel. Il regarde autour de lui comme s’il découvrait réellement ; il redécouvre, finalement. Et il va redécouvrir chaque pièce de cette maison sous un nouvel angle, selon les directives et désirs de Colleen. Ce jeu lui en apprend autant qu’à elle. Je te propose de commencer par là ? Elle n’a pas besoin de son approbation, mais son signe de tête confirme qu’il est d’accord. Ils entrent dans la pièce qui était autrefois le salon, qui sera également celui de Colleen. Enfin, c’est ce qu’il pense. Il ne dit pas un mot et se contente de la suivre à travers la pièce, jusqu’à la baie vitrée. Il sait que ça fuse dans le crâne de sa cliente et que rien ne sert de la presser. Dans tous les cas, ce qu’elle va lui dire aujourd’hui ne sera pas définitif et ils auront tout le temps du monde pour mettre ses projets sur papier avant de se lancer dans des travaux. Avec les agences Copeland, elle peut tout faire, il le lui rappellera une fois la visite terminée. Alors… C’est parti. Ici se trouve le salon. Il est petit actuellement mais j’ai l’intention de redistribuer les espaces en retirant cette ouverture partielle. Il regarde la voûte un instant. Lui aurait préféré la garder, si ça avait été chez lui : ça ajoute un certain charme, mais il peut comprendre l’envie d’un espace plus grand. Elle prend la bonne décision, lui aurait eu tort de perdre autant de place pour si peu. L’idée, c’est d’ouvrir et d’agrandir le côté salon. Pour délimiter ce coin-là je pense choisir un canapé d’angle, et là-bas j’installerai le meuble télé. Jacob fait ce métier depuis tellement d’années que aujourd’hui, il n’a plus aucune difficulté à imaginer des meubles inexistants, à visualiser des travaux qui n’ont pas encore été faits, seulement mentionnés. Il voit très bien où elle veut en venir, ce qu’elle veut faire. Et ça lui plaît. Il faudra bien sûr moderniser la pièce de vie, mais j’ai quelques idées, comme remplacer le papier peint par de la peinture claire et opter pour une décoration dans le style « cocooning ». Il ne peut s’empêcher de rire légèrement. Cocooning, ça te va bien. Ça lui a échappé, oups. Ils se dirigent ensuite vers la cuisine qui, elle, mérite un sérieux rafraîchissement. Tout détruire pour tout reconstruire serait une idée. Ici, c’est simple : je voudrais retirer la cloison pour obtenir une cuisine ouverte en forme de U, avec un îlot au centre. Je pense que ça pourrait être pas mal.
Elle se prête au jeu d’une telle manière qu’il y croirait presque. Mauvaise actrice, tu parles. Ça te plaît ? Il la regarde un instant, croise son regard : elle lui demande réellement. Pourtant, c’est à lui de lui poser cette question. Oui, j’aime bien les quelques idées de changements que tu as. Il est sincère, il voit le potentiel dans tout ce qu’elle vient de mentionner et ne doute pas qu’elle fera de cette maison son nid douillet, si elle se décide réellement à acheter. Mais à toi, est-ce que ça te plaît ? C’est l’agent immobilier qui parle, ou l’ami. Il ne sait pas vraiment, il lui demande : si elle veut son approbation, il veut également la sienne. Elle s’approche de lui et sa voix s’abaisse subitement, il comprend qu’elle quitte son rôle un instant pour s’assurer de quelques détails. Je n’ai pas besoin de mesures pour l’instant… Mais tu me confirmes bien que ce mur n’est pas porteur ? Et je voudrais aussi savoir ce qu’il en est de l’isolation ? C’est du double vitrage ? Il la regarde un instant avant de regarder autour de lui, puis dans le coin des pièces. Elles sont où les caméras ? Devant l’air intrigué de Colleen, il poursuit. On ne doit pas être entendu par qui ? Il ne peut s’empêcher de rire. Tu sais que t’es pas obligée de chuchoter quand tu veux parler à ton agent immobilier plus qu’à ton ami, mh ? Il s’approche de la baie vitrée et l’ouvre pour pouvoir aller dehors, puis referme derrière lui. Sans Colleen, toujours à l’intérieur. Il la regarde un instant et mime « tu m’entends ? » avec ses lèvres, sans réellement parler. Pour montrer la puissance de l’isolation, bien qu’il ne fait que de rigoler. Il devrait reprendre un peu son sérieux, il le sait, mais il est réellement à l’aise avec elle. Je rigole. Tu m’entends ? Demande-t-il réellement à haute voix derrière la baie vitrée. Bien sûr qu’elle l’entend, ce n’est pas non plus un mur en béton armé, mais le bruit est faible, l’isolation est tout ce qu’il y a d’agréable. Elle ne sera pas dérangée par les voisins dans les jardins d’à côté ni par les quelques véhicules qui passent dans la rue. Il rouvre et rentre à nouveau dans la pièce. C’est du double vitrage dans toute la maison, oui. Et t’as la bonne technique pour savoir si un mur est porteur ou non. Alors non, il ne l’est pas, tu vas pouvoir mettre toute ta rage à le démolir. Il sait que c’est bénéfique chez beaucoup de nouveaux propriétaires, que certains adorent se défouler dans les travaux. Peut-être que Colleen aimera, elle aussi, ou peut-être qu’elle refusera de toucher à un seul marteau ou un seul pinceau. Il ne sait pas sur quel pied danser, sur ce sujet-là. Il verra bien dans les semaines à venir. On passe à la suite ? J’ai hâte de voir ce que tu as prévu pour la salle de bain. Les salles de bains, mais ça, il veut que ce soit une surprise : il y en a une en bas, plus petite, et une à l’étage, plus grande. De quoi ravir quelqu’un qui n’aurait pas l’envie de gravir les marches, ou une famille un peu trop nombreuse qui n’a pas le temps pour une file d’attente avant la douche. Dans tous les cas, c’est un secret qui est pour l’instant bien gardé. Il a également hâte de voir la chambre qu’elle décidera pour elle, et pour sa fille. Il a hâte du reste, parce qu’elle vient de découvrir qu’un quart de son futur cocon.
@Colleen Sainsbury |
| | | | (#)Mer 10 Juin 2020 - 15:35 | |
| Colleen renouait avec son âme d’enfant en découvrant cette maison. Ses yeux ébahis détaillaient les moindres recoins de celle-ci, furetant ci et là non pas pour en découvrir les failles ou les vices cachés, mais bien parce qu’elle était incapable de détacher son regard. Son imagination tournait à plein régime, les idées fusant à la vitesse de la lumière, signe que cette maison ne la laissait pas indifférente. Au contraire, elle se sentait inspirée comme elle l’avait rarement été dans sa vie. Contrairement aux deux premières maisons que lui avait fait visiter Jacob et qui n’étaient pas parvenues à éveiller son intérêt ni à titiller sa curiosité, elle avait eu le déclic en franchissant le seuil du 14, Latimer Road. Galant, Jacob l’avait laissée entrer la première et quand elle avait posé son regard sur la petite entrée, elle avait été saisie par la chaleur qui s’en dégageait ainsi que sa familiarité. Comme si, d’une certaine manière, ce lieu ne lui était pas inconnu. Comme s’il avait toujours existé, du moins dans son imagination. Cette sensation avait gagné en intensité au fil de la découverte des pièces du rez-de-chaussée, et la jeune femme n’essaya même pas de masquer son enthousiasme – elle était bien trop intègre pour cela. La pièce de vie, qui formerait un L une fois les cloisons abattues, offrait de nombreuses possibilités. Les critères semblaient tous réunis en termes de surface et de luminosité. Des travaux s’imposaient pour remettre l’endroit à son goût, mais Jacob ne lui avait pas menti lorsqu’il lui avait affirmé qu’ils n’étaient pas indispensables pour emménager. En l’état, Colleen pouvait tout à fait envisager de poser ses meubles et s’installer. Elle n’avait pas encore visité l’étage ni le reste de la maison, cependant elle imaginait aisément que le constat serait le même ailleurs. Bien sûr, le papier peint était loin d’être à son goût, pas plus que ne l’était le carrelage au sol. Mais il ne s’agissait que de détails, de simples ajustements à réaliser. La vérité était que si elle avait visité un bien qui ne requérait pas d’efforts de projection, elle n’aurait sans doute pas été aussi charmée. Tant que les matériaux étaient de qualité et la construction de l’ensemble bien réalisée, c’était le principal. Du reste, elle saurait faire les aménagements nécessaires pour se l’approprier.
Loin de ressentir la présence de Jacob à ses côtés comme une menace – il était son agent immobilier mais ne répondait pas à la description teintée de cupidité qu’elle aurait pu faire d’un autre – elle l’invitait au contraire à le suivre dans les pièces. Il lui avait demandé de le considérer comme un ami, et comme elle lui avait confié avant d’entrer dans la maison, cela n’était pas vraiment difficile de l’imaginer comme tel. Les jeux qu’il lui proposait n’étaient pas seulement parvenus à détendre l’atmosphère et l’aider à aborder cette visite d’une manière plus ludique, ils avaient également changé sa perception de Jacob. Lors des deux premières visites, elle avait apprécié sa spontanéité, son professionnalisme, sa bienveillance et sa manière de ne pas la traiter avec supériorité. Aujourd’hui, elle découvrait son humour et réalisait qu’une complicité dénuée d’ambiguïté s’installait entre eux. Après avoir fait le tri dans toutes les idées qui l’avaient assaillies à la découverte de cette pièce de vie, ce fut tout naturellement qu’elle les exposa à Jacob, sans appréhender son jugement. La voûte donnait un charme certain à la pièce mais découpait l’espace de manière disproportionnée. Elle considérait qu’elle passerait beaucoup plus de temps dans son salon que dans la salle à manger, et pour cette raison elle avait l’intention d’accorder plus de surface à celui-ci. L’ameublement n’était pas difficile à imaginer, elle avait passé suffisamment d’heures à scroller avec fascination les pages de Pinterest dédiées à la décoration intérieure pour ne pas être à court d’idées et savoir exactement ce qu’elle voulait. Ainsi, elle imaginait parfaitement un canapé d’angle gris clair pour délimiter l’espace et un fauteuil en osier, le tout couvert de plaids confortables sous lesquels elle pourrait se blottir l’hiver venu. Aux murs, des teintes claires, sans doute crèmes, pour rendre l’endroit encore plus lumineux. Au sol, un parquet à l’aspect brut, authentique, chaleureux. Jacob s’amusa de sa réponse quand elle mentionna l’esprit cocooning qu’elle souhaitait donner à son intérieur. Colleen n’avait aucun mal à imaginer pourquoi, et elle sourit à son tour en l’entendant rire. « Ça aurait pu être pire. Je suis Anglaise, si tu m’avais dit que tu m’imaginais avec une déco British, c’est-à-dire du rose au mur, des meubles couverts de bibelots mettant à l’honneur nos amis les chats, une panoplie de théières dans la cuisine et des coussins à l’effigie de l’Union Jack et de la Reine un peu partout dans la maison… Là, j’aurais été vexée ». Elle couvrit partiellement sa bouche de sa main, comme pour faire un aparté à Jacob, et chuchota : « Il se pourrait bien que j’aie quelques théières à la maison, c’est vrai… Mais c’est bien le seul clin d’œil à mes origines que tu trouveras parmi tout ce que je viens de citer ». Et un clin d’œil, justement, elle lui en fit un, avant de se diriger vers la cuisine d’un pas déterminé pour dévoiler à Jacob la suite de ses plans. Elle ne savait pas s’il se doutait qu’elle était vraiment emballée par cette visite ou s’il pensait qu’elle ne faisait que jouer le jeu qu’il lui avait proposé, mais la vérité était que cette maison la faisait vibrer, et qu’elle était impatiente d’en découvrir la suite. En attendant, elle expliqua à Jacob ce qu’elle prévoyait et lorsqu’elle lui demanda s’il approuvait, il opina du chef et lui retourna la question. Le sourire de Colleen disparut et elle plissa les yeux, essayant d’emprunter un air énigmatique. « Joker. Mais si tu connais si bien ton métier, tu ne devrais avoir aucune difficulté à deviner la réponse à cette question » Le provoqua-t-elle, une lueur espiègle brillant dans son regard avant qu’un sourire ne vienne finalement retrousser le coin de ses lèvres.
Elle le surprit en lui posant quelques questions relatives à l’isolation de la maison, à voix basse, comme une parenthèse dans leur comédie. Il fronça les sourcils et jeta des regards tout autour d’eux, cherchant une chose qui échappait à la jeune femme. Elle ne tarda pas à obtenir la réponse à sa question cependant, et même si d’une certaine manière il se moquait d’elle, elle ne put s’empêcher de s’amuser de sa réaction. Elle prenait peut-être les choses un peu trop au sérieux, il avait raison. Son sourire s’intensifia lorsqu’en guise de réponse, il s’enferma dans le jardin et testa lui-même l’isolation de la baie-vitrée. Elle éclata de rire et secoua la tête devant l’air enfantin de l’agent immobilier en cet instant. Un gosse, voilà ce qu’elle voyait derrière la baie-vitrée, un gosse qui cherchait à l’amuser. Et c’était réussi. En cet instant, il n’avait plus grand-chose à voir avec l’agent immobilier sérieux, le big boss des agences Copeland dont le visage était imprimé sur la couverture des magazines qu’elle avait feuilletés un peu plus tôt dans la journée. Mais ce n’était pas pour déplaire à la jeune femme, qui songeait que visiter un bien immobilier avec un tel loustic était bien plus divertissant. Il lui demanda une deuxième fois s’il l’entendait derrière la baie-vitrée, et cette fois-ci sa voix lui parvint de façon lointaine. « 5 sur 5 ! » Fit-elle en hochant la tête et en levant les deux pouces devant elle. Sa démonstration terminée, Jacob rouvrit la porte coulissante et revint dans la salle à manger pour lui répondre sérieusement cette fois-ci. Elle haussa un sourcil quand il indiqua qu’elle pourrait mettre toute sa rage dans la démolition de la cloison qui séparait salle à manger et cuisine. « Je ne suis pas quelqu’un de particulièrement violent, mais… Okay, pourquoi pas ? ». Abattre des cloisons ne lui faisait pas peur, mais elle ne se sentait pas frustrée ou irritée au point de tout casser avec une telle hargne. Au contraire, elle faisait du yoga et essayait d’aborder les choses avec sérénité plutôt que de s’emporter à la moindre occasion. Elle aurait pu imaginer la tête de son ex-mari sur la cloison pour se donner la force nécessaire de la détruire, mais ce n’était pas vraiment dans son tempérament.
Jacob lui proposa de poursuivre la visite et Colleen acquiesça, supposant qu’il devait y avoir une salle de bain au rez-de-chaussée puisqu’il la mentionnait. Elle ne s’attarda pas sur le jardin derrière la baie-vitrée, se doutant qu’ils reviendraient vers l’extérieur à la fin de la visite. Dans la partie salle à manger, elle ouvrit une porte qu’elle n’avait pas encore touchée et haussa les sourcils en découvrant qu’elle donnait sur l’entrée et non sur une salle de bain. Alors elle se souvint de la porte qu’elle avait aperçue dans la cuisine et revint sur ses pas. Cette fois, elle découvrit une nouvelle pièce derrière la porte : il s’agissait d’une petite salle de bain, comportant une douche et un meuble sous vasque en bois. Elle fronça les sourcils, déçue pour la toute première fois depuis le début de la visite ; l’emplacement comme la surface de cette salle de bain ne lui convenaient pas. Encore une fois, la décoration n’était pas à son goût mais cela n’avait pas d’importance, car si elle pouvait remédier à ce genre de problème, elle pouvait difficilement revoir toute la distribution des pièces. Or empiéter sur la cuisine pour gagner des mètres carrés n’était pas une solution idéale – sans compter que cela ne résoudrait pas le problème de l’emplacement... Elle pivota vers Jacob sans parvenir à masquer son manque d’enthousiasme. D’ailleurs, elle en oublia même la comédie qu’elle était supposée reprendre. « Hm… J’avoue que je m’attendais à autre chose, comme un cellier par exemple. C’est un peu petit pour accueillir une baignoire, or j’espérais vraiment pouvoir en installer une pour pouvoir me prélasser après une journée difficile ». La découverte de cette salle de bain était décevante mais peut-être qu’elle pourrait trouver des solutions quand elle aurait découvert l’étage. Jacob lui avait dit qu’il comportait deux chambres et un bureau, mais peut-être que si les chambres étaient grandes, elle pourrait faire remonter des arrivées d’eau jusque-là pour envisager une autre salle de bain, plus spacieuse, mieux aménagée et surtout, qui n’était placée juste derrière la cuisine. « Bon, on verra bien » Conclut-elle. « Je suis sûre que tu n’as pas dit ton dernier mot ». Elle ne proposa pas d’aménagement pour cet espace qui, de toute façon, ne l’inspirait pas beaucoup, et se dirigea vers l’entrée. Sous l’escalier, une porte masquait l’entrée des toilettes et la jeune femme ne perdit pas de temps à s’attarder sur cette pièce-là, somme toute peu importante. « Prêt à visiter l’étage, l’ami ? » Demanda-t-elle à Jacob en retrouvant son enthousiasme et son sourire.
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| | | | (#)Dim 12 Juil 2020 - 21:16 | |
| Cette visite rappelle à Jacob pourquoi il aime autant son métier. Pourquoi il a toujours désiré faire cela depuis son plus jeune âge, et pourquoi il s’est donné les moyens dès qu’il en a eu l’occasion. Pourquoi il a travaillé toute sa vie dans ce but précis, et pourquoi il n’a jamais cessé d’innover concernant son entreprise une fois celle-ci créée. Il n’a jamais souhaité se reposer sur ses acquis, et c’est grâce à cette persévérance qu’il est aujourd’hui cet homme-là. Influent, important, toujours autant passionné. Il regarde Colleen s’émerveiller face à toutes les pièces qu’elle découvre, qu’il semble redécouvrir à ses côtés, comme s’il était réellement extérieur à cette vente et qu’il ne connaissait rien de cette maison – dont il connaît pourtant tous les recoins sur le bout des doigts. Évidemment, aux côtés de cette femme, il est plus simple d’idéaliser les choses : beaucoup d’autres personnes ne sont pas autant rayonnantes, n’ont pas cette hargne d’obtenir ce qu’elles souhaitent, ont un esprit critique beaucoup trop développé. Après vingt ans dans ce milieu, il n’arrive d’ailleurs toujours pas à comprendre ces derniers, ceux qui refusent l’achat ou la location d’un bien pour un seul critère qui n’est pas respecté. Aujourd’hui et depuis qu’il a eu affaire à des personnes comme ceci, il met en garde n’importe qui en rappelant que la perle rare n’existe pas réellement et que s’ils veulent qu’absolument tout corresponde, il faudra faire appel à un architecte et non pas à un agent immobilier, car faire construire sera bien plus simple que de dénicher ce qu’ils recherchent. Colleen semble être prête à faire quelque concessions, à accepter quelques défauts pour les transformer en qualités, à faire des travaux pour que ce qui ne lui ressemble pas encore devienne à son goût. Aux yeux de Jacob, c’est on ne peut plus inspirant, et il a hâte du jour où il se sentira capable de faire de même, de quitter sa maison – qui ne l’est plus vraiment – pour reconstruire sa vie dans un autre cocon, où il se sentira bien plus à l’aise que là où il vit actuellement. Pour l’heure, ses propres souhaits de déménagement ne sont pas le centre de son attention, ce sont bel et bien ceux de Colleen. Elle lui explique comment elle aimerait décorer son salon, et il ne peut s’empêcher de relever ce fameux style cocooning, qu’il a déjà vu un peu partout mais qui semble surtout correspondre au style de la sage-femme. Ça aurait pu être pire. Je suis Anglaise, si tu m’avais dit que tu m’imaginais avec une déco British, c’est-à-dire du rose au mur, des meubles couverts de bibelots mettant à l’honneur nos amis les chats, une panoplie de théières dans la cuisine et des coussins à l’effigie de l’Union Jack et de la Reine un peu partout dans la maison… Là, j’aurais été vexée. Il ne peut s’empêcher de rire face à cette remarque, tout en tentant d’imaginer ce qu’elle lui décrit dans la pièce de vie qu’ils viennent de découvrir ensemble. Il se pourrait bien que j’aie quelques théières à la maison, c’est vrai… Mais c’est bien le seul clin d’œil à mes origines que tu trouveras parmi tout ce que je viens de citer. Il la regarde un instant avec ce même sourire sur les lèvres avant de hausser ses épaules. Des théières ? Je ne suis pas très thé, mais pour l’occasion, tu m’inviteras à en boire un quand tu les auras installé quelque part dans le coin, mh ? Ainsi, il la force à se visualiser dans le futur, installée dans cette demeure, avec ses quelques objets anglais rangés dans l’une des pièces de la maison. Et il faut dire que, réellement, ça lui ferait plaisir de fêter avec elle son emménagement le jour où elle aura décidé de poser ses valises, que ce soit dans cette maison ou dans une autre, peu importe. Finalement, elle lui demande si les idées qu’elle a lui plaisent, et il lui retourne la question pour savoir si, à elle, ça lui plaît, ce qui est finalement l’essentiel de cette visite. Joker. Mais si tu connais si bien ton métier, tu ne devrais avoir aucune difficulté à deviner la réponse à cette question. Et elle a raison, pour lui, elle est conquise : elle ne projetterait pas autant si tel n’était pas le cas. Il préfère hausser les sourcils comme s’il ne savait pas et ne rien répondre, laisser en suspens cette question pour la fin, quand ils parleront budget, quand ils aborderont le sujet sérieusement.
Elle se met à lui parler à voix basse, désormais, comme si quelqu’un d’autre ne devait pas les entendre, pour appuyer l’aparté entre son ami et son agent immobilier. Il ne peut pas s’empêcher de rire de la situation, une moquerie enfantine qui ne vise pas à la ridiculiser, bien au contraire : il trouve ça attendrissant de sa part, qu’elle joue autant le jeu. Elle lui demande donc ce qu’il en est de l’isolation et plutôt que de lui donner les termes techniques et de lui parler d’une théorie, il préfère appliquer la pratique et lui prouver à quel point elle sera tranquille derrière ces vitres : il sort, fait son numéro, puis lui prouve l’efficacité du double-vitrage. 5 sur 5 ! Il rentre ensuite et lui explique qu’elle pourra faire tomber le mur qui lui gêne, bien que l’idée comme il la présente ne semble pas l’enchanter plus que ça. Je ne suis pas quelqu’un de particulièrement violent, mais… Okay, pourquoi pas ? Il lui fait un clin d’œil. Moi non plus, je ne suis pas violent, mais ça a parfois ses vertus de se défouler sur quelque chose. Après, si jamais, un employé sera là pour s’en charger. Il veut lui rappeler qu’il y aura toujours quelqu’un capable de l’aider dans n’importe lequel des travaux, du plus compliqué au plus simple : il lui laissera toutes les tâches qu’elle veut accomplir seule mais, pour le plus gros du chantier et du déménagement, il a des paires de bras à sa disposition. Et finalement, après cette courte pause dans la visite pour discuter de ce qui a déjà été vu, Jacob lui propose de continuer. Il prend la décision de garder la surprise pour la salle de bain du haut, ce qui n’aide pas Colleen à se projeter quand elle découvre la première salle d’eau du bas. Elle ne lui plaît pas, car elle s’imagine que c’est la seule, et qu’elle doit tirer un trait sur ce qui l’intéressait réellement. Hm… J’avoue que je m’attendais à autre chose, comme un cellier par exemple. C’est un peu petit pour accueillir une baignoire, or j’espérais vraiment pouvoir en installer une pour pouvoir me prélasser après une journée difficile. Il hoche doucement sa tête, garde l’idée qu’il ne lui avouera pas ce qu’il a pris soin de lui cacher, même s’il n’aime pas entendre cette pointe de déception dans sa voix. Ça lui passera d’ici quelques minutes, il en est certain, et elle lui pardonnera ce secret. Je comprends ton point de vue. Dit-il simplement, comme s’il se mettait à sa place. C’est vrai que s’il s’imaginait également n’avoir que cette pièce et ne pas pouvoir installer de baignoire, il aurait la même déception. Heureusement que lui connaît déjà le contenu de l’étage et sait que sa fameuse baignoire se trouve déjà en haut des escaliers, qu’elle l’attend sagement, comme si elle avait été conçue pour elle. Bon, on verra bien. Cette remarque le fait sourire, intérieurement, car il se dit qu’elle n’abandonne pas face à la première difficulté, face à la première chose déplaisante : elle s’accroche à cette visite, à cette maison, et c’est bon signe, très bon signe. Je suis sûre que tu n’as pas dit ton dernier mot. Il hoche doucement sa tête, un instant, avant de se dégager pour la laisser repasser devant. Effectivement, j’ai d’autres arguments convaincants. L’agent immobilier a repris le dessus sur l’ami, le temps d’une seconde, et elle le rappelle à l’ordre en lui proposant de grimper à l’étage. Prêt à visiter l’étage, l’ami ? Il lui fait signe de monter, prêt à la suivre. Après toi, comme toujours. Je te propose simplement de commencer par les portes du fond, si tu veux bien. Là-bas se trouvent les chambres, et il préfère que sa surprise concernant la seconde salle d’eau tarde un peu dans le temps que de lui offrir directement, pour que ça ait le temps de mijoter et de la surprendre davantage. Et puis, il se doute qu’elle a hâte de découvrir ce qui deviendra sa chambre, celle qui deviendra celle de son enfant. Ils montent ainsi à l’étage, Jacob la suivant de près. Là encore, le papier peint n’est pas moderne et il y aurait un coup de peinture à passer sur quelques portes, mais il n’y a rien de choquant, rien à refaire complètement. À ses yeux, du moins, et c’est bien sous le regard bienveillant de Colleen que se passeront les travaux, c’est à elle de mettre des mots sur ses découvertes et futures exigences.
@Colleen Sainsbury |
| | | | (#)Ven 24 Juil 2020 - 15:10 | |
| Cette visite en compagnie de Jacob était étonnante, et pas seulement parce que ce qu’il lui présentait répondait quasiment en tous points aux attentes de la jeune femme. La manière dont il amenait la visite et son absence de formalité lui plaisait énormément. Il lui avait demandé de se projeter et de l’imaginer dans le rôle d’un ami à qui elle présenterait sa nouvelle maison, et force était de constater qu’elle n’avait pas vraiment besoin de se forcer pour le considérer comme tel. Car derrière le masque de l’agent immobilier, derrière la carrure du big boss des agences Copeland, se cachait en réalité une personnalité qui plaisait beaucoup à Colleen. Dans un autre contexte, si Jacob lui avait été présenté par l’intermédiaire d’une connaissance commune par exemple, elle ne doutait pas qu’elle l’aurait immédiatement apprécié et que la conversation aurait été tout aussi naturelle. Parce que l’Anglaise croyait dur comme fer en la possibilité d’une amitié homme/femme, elle n’avait aucune difficulté à imaginer Jacob rejoindre son cercle d’amis sans que ne vienne planer sur leur relation une ambiguïté susceptible d’y mettre un terme. Elle nota donc dans un coin de sa tête que, sitôt qu’elle aurait emménagé dans son futur chez elle et fait les aménagements qui s’imposaient – et elle avait le sentiment que cette maison qu’elle était en train de visiter serait justement la bonne – elle inviterait Jacob pour la lui montrer et le remercier une nouvelle fois de son aide apportée. Parce que la vérité était que sans lui, Colleen aurait été perdue. Elle n’avait pas la moindre connaissance du marché de l’immobilier, encore moins en Australie, et elle n’aurait jamais été capable de dénicher seule ce genre de pépite. Alors, même si elle devait verser des frais d’agence au moment de l’achat, l’opération en valait clairement la peine. D’ici quelques semaines, elle aurait enfin la satisfaction d’appeler un lieu sa maison, et à ses yeux cela n’avait pas de prix. Aussi, quand Jacob parut lire dans ses pensées en proposant de venir boire le thé une fois qu’elle aurait déménagé, elle n’hésita pas une seconde avant d’hocher la tête pour lui donner son approbation. Elle ne réalisa pas que de cette manière, elle venait confirmer le coup de cœur pour cette maison qu’il lui soupçonnait déjà. « Avec plaisir. Et j’espère même te faire changer d’avis sur la question ». Car contrairement à Jacob, Colleen était elle une grande consommatrice de thé. Ici, en Australie, ses nouveaux amis avaient tendance à la taquiner à ce sujet, avançant qu’elle n’était pas Britannique pour rien, mais qu’y pouvait-elle si l’odeur du café suffisait à elle seule à lui faire froncer le nez de dégoût ? En revanche elle était capable de boire des litres de thé par jour, et avait même pris l’habitude d’emmener son thermos pour aller travailler afin d’être absolument certaine de ne jamais en manquer.
La suite de la visite se déroula dans la même ambiance enjouée, dénuée de formalité. Colleen interrogea Jacob à propos de l’isolation de la maison, et sa petite démonstration eut le don d’amuser un peu plus la brune. Puis ils évoquèrent l’abattement des cloisons. Si elle se montra assez sceptique quant à sa capacité à mettre toute sa rage dans la démolition de celles-ci, Jacob rétorqua que même sans être quelqu’un de foncièrement violent, il était parfois bon de se défouler sur ce genre de choses pour évacuer la pression. Là encore, Colleen acquiesça. Ces derniers temps elle avait le sentiment d’être enfin parvenue à trouver un équilibre dans sa vie, mais cela ne signifiait pas pour autant que cette sérénité était vouée à perdurer. Viendrait peut-être un jour où elle aurait besoin de se défouler, comme il le lui proposait justement. Dans tous les cas, qu’elle soit saisie d’une subite envie de passer sa frustration sur les cloisons ou non, elle était bien déterminée à entreprendre ces travaux de rénovation elle-même. C’était la raison pour laquelle elle avait tant insisté auprès de Jacob, lui répétant plusieurs fois qu’elle apprécierait visiter des maisons qui nécessitaient des aménagements. Elle ne voulait pas quelque chose de trop neuf, de trop épuré, une maison qui selon elle n’aurait alors aucun charme. Elle avait besoin de quelque chose de plus authentique, de murs solides qui porteraient le poids des années, quitte à passer des heures entières à en décoller le papier peint usé. C’est pourquoi elle secoua la tête quand Jacob mentionna la présence d’un employé pour venir l’aider. Pour le déménagement, elle ne serait pas contre de la main d’œuvre supplémentaire, mais en ce qui concernait les aménagements qu’elle prévoyait, elle était déterminée à les réaliser seule. « C’est gentil, mais je devrais pouvoir me débrouiller. J’ai quelques idées qui pourraient me donner des raisons de me défouler, comme tu dis » Ajouta-t-elle avec un sourire énigmatique, sans s’étendre davantage sur le sujet épineux de son divorce.
Vint alors la découverte de la salle d’eau attenant à la cuisine. Colleen ne parvint pas à dissimuler sa déception en découvrant cette pièce, dont elle regrettait autant l’emplacement que le manque de mètres carrés. Elle ne perdit pas espoir cependant, et bien loin de renoncer complètement à cette opportunité immobilière, elle se contenta d’espérer que l’étage lui offrirait de nouvelles possibilités. De son côté Jacob ne laissa rien paraître, et si elle avait espéré qu’il laisserait échapper un indice quelconque sur ce qui l’attendait à l’étage, il n’entra pas dans ce jeu-là et lui laissa tout le loisir de le découvrir par elle-même. Ils se dirigèrent vers le hall dans cette optique. Au pied de l’escalier, elle l’interpella une nouvelle fois en faisant référence au jeu qu’il leur avait préparé, et il la laissa passer devant, lui proposant simplement de commencer la visite de l’étage par les portes du fond. Elle hocha la tête et gravit les escaliers en passant la main sur le mur, imaginant les cadres qu’elle pourrait y accrocher. En haut de l’escalier, un petit palier desservait quatre pièces. Docile, Colleen ignora les premières portes pour se diriger directement vers celles qui étaient les plus en retrait. La première s’ouvrit sur une chambre relativement spacieuse, tout aussi vide que les pièces du bas, et l’attention de Colleen fut immédiatement attirée par la fenêtre qui offrait une vue sur le jardin. Elle ne savait pas encore s’il s’agissait de la plus grande chambre ou non, mais pour sa part elle n’avait aucune difficulté à s’y projeter. Là encore il lui faudrait retirer le vieux papier peint usé, et se débarrasser de la moquette pour poser du parquet, mais ce n’était pas un souci. Elle pivota vers Jacob. « Je te présente donc… Ma chambre ! Je vais y installer mon lit là-bas » Fit-elle en désignant un espace délimité par la présence de deux blocs de prise. « Et une armoire de ce côté-là ». Cette fois, elle montra l’autre pan de mur. « Peut-être une coiffeuse ici, aussi, je verrai le moment venu. Par contre, ça, c’est voué à disparaître » Elle posa son index sur la tapisserie marron qui assombrissait la pièce. « Je le remplacerai par du papier peint rose, avec plein de chatons dessus » Ajouta-t-elle en esquissant un sourire, faisant référence à leur conversation dans le salon. « Qu’est-ce que tu penses ? Ça ajouterait une belle touche British à cette chambre, non ? ». Elle lui adressa un clin d’œil avant de poursuivre la visite avec la porte suivante. Il s’agissait d’une autre chambre, d’une superficie similaire à la première et qui surtout offrait la même vue sur le jardin. Elle présenta donc à Jacob la chambre de Lou, sans entrer dans la description de celle-ci, puisqu’elle laisserait sa fille gérer seule l’aménagement de son espace. De retour sur le palier, elle fixa les deux portes restantes. L’une d’entre elles devait correspondre au bureau, quant à l’autre elle imaginait la présence de toilettes, peut-être, voire d’un espace de rangement. Elle ouvrit la première et découvrit un espace plus restreint que celui des deux chambres, mais qui offrait de belles possibilités pour un bureau. « Tu sais que j’ai toujours rêvé d’un espace comme celui-ci pour y travailler ? A Londres, le bureau que l’on avait à l’appartement était exclusivement réservé à mon mari, c’est à peine si je pouvais y mettre les pieds… Alors ici, je ne vais clairement pas bouder mon plaisir ! » Annonça-t-elle, enthousiaste, en passant en revue ce qu’elle pouvait prévoir en termes d’aménagements. Puis ils quittèrent la chambre et arrivèrent devant la dernière porte. Elle tenta de sonder l’expression impassible de Jacob pour obtenir des indices sur l’utilité de cette nouvelle pièce, mais il ne laissa rien paraître. Quand elle ouvrit, elle eut la surprise de découvrir une salle de bain… Une vraie salle de bain cette fois-ci ! Colleen plaqua une main contre sa bouche, aussi stupéfaite que ravie. Deux salles d’eau ? Elle n’en avait pas tant espéré ! « Monsieur Copeland, vous êtes un cachottier ! » L’accusa-t-elle avec humour, avant de passer en revue ce nouvel espace. La vue de la baignoire la rassura, mais ce n’était pas tout : une nouvelle cabine de douche était présente ainsi qu’un meuble sous vasque. Le carrelage vert orné de fleurs n’était pas au goût du jour, mais peu importait car l’espace était tel qu’elle pouvait imaginer tout un tas de possibilités. Elle se retourna vers Jacob avec un sourire émerveillé. « Okay, donc… Je signe où pour l’acheter, cette maison ? ».
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| | | | (#)Lun 17 Aoû 2020 - 14:10 | |
| Il ne connaît pas très bien Colleen, il ne sait d’elle que ce qu’elle a bien voulu lui dire lors du premier entretien et ce qu’il a pu lire en elle durant les premières visites. Avec ces éléments-là, il a pensé l’avoir suffisamment sondé pour sortir sa dernière carte et lui dégoter cette maison, sa maison. Selon lui, lire entre les lignes est une faculté que tous les agents immobiliers doivent avoir. Car ces hommes et ces femmes-là entrent obligatoirement dans l’intimité de personnes, de familles, d’amis, pour pouvoir trouver ce qui leur conviendra le mieux. Et comme un médecin, il y a des informations omises exprès par les clients qu’ils doivent s’acharner à trouver eux-mêmes. Par chance, Colleen n’est pas compliquée, ne semble pas traîner un poids à l’une de ses chevilles ni lui mentir sur ses réelles intentions. Elle a bien l’intention d’y vivre et d’y faire son cocon, et Jacob sera ravi de l’inaugurer avec elle : avec une tasse de thé, oui, pour l’une des premières fois de sa vie, lui qui ne boit à l’accoutumée que du café. Avec plaisir. Et j’espère même te faire changer d’avis sur la question. Ça le fait sourire, car c’est une véritable mission impossible qu’elle vient de se lancer à elle-même. Si tu arrives à me faire boire la tasse entière, ce sera déjà une victoire pour toi. Et il arrive à s’y voir, dans le salon précédemment visité, une tasse à la main, installé sur un fauteuil ou un canapé qu’elle aura acheté pour convenir à sa future décoration. Il est rare que Jacob réussisse à se projeter presque autant que la personne ou la famille qu’il aide à acheter. En général, il ne se présente pas comme un ami mais joue son rôle en présentant les pièces : ceci sera la cuisine, ça le salon, ça la chambre parentale, et tout le reste. Alors même s’il y a des commentaires sur les meubles qu’ils pourraient mettre à tel ou tel endroit, il ne se sent pas aussi proches d’eux que de Colleen, qui dispose elle-même des pièces de la maison. Peut-être qu’il renouvellera l’expérience de l’ami à la place de l’agent, dans le futur, avec d’autres personnes. Il ne sait pas si ça se passe aussi bien aujourd’hui seulement parce que c’est Colleen ou parce que la technique fonctionne réellement ; c’est à retenter, à perfectionner.
Ils passent finalement à la suite de la visite du bas de la maison. L’air intrigué de sa cliente face à sa proposition de se défouler contre les cloisons pousse Jacob à remettre sa casquette de patron, et lui rappelle que ses employés seront toujours à sa disposition. Pour lui, il est primordial que les personnes pour qui il travaille sachent pertinemment qu’elles ne seront jamais dans l’embarras, et qu’il a suffisamment de partenaires pour tous types de travaux. Il a des déménageurs, des électriciens, des démolisseurs, des charpentiers, des jardiniers et même des constructeurs de piscines. Il y en a pour tous les goûts, pour toutes les aides, et Colleen doit le savoir. C’est gentil, mais je devrais pouvoir me débrouiller. J’ai quelques idées qui pourraient me donner des raisons de me défouler, comme tu dis. Il est d’accord avec ça, tout le monde a au fond de soi-même une raison de passer ses nerfs : lui, il pourrait le faire contre lui-même et sa culpabilité accablante. Elle, il n’en sait rien, et il n’est pas suffisamment indiscret pour lui poser la question. C’est ce que j’aime entendre. Mais garde en tête que si jamais, mes hommes et moi sommes là pour toi. Pour elle et pour tous les autres, c’est ce qui a fait le grand succès de ses agences, la proximité qu’il a avec sa clientèle. Ils passent ensuite au reste de l’étage du bas, et elle n’a pas l’air conquise par la suite : la salle d’eau. Évidemment, dans l’optique que ce soit la seule de la maison, il est normal que ça ne plaise pas à Colleen. Jacob sait qu’il y en a une deuxième à l’étage, bien plus spacieuse et qui lui plaira davantage, alors il reste de marbre et la laisse exprimer sa déception. Ça lui prouve toute la bonne volonté de Colleen, qui ne met pas fin à la visite et souhaite la poursuivre malgré tout, quand d’autres se seraient arrêtés à ce seul défaut pour décliner. Elle doit sûrement se dire que c’est un problème dont ils reparleront à la fin. À vrai dire, il ne sait pas vraiment ce qu’il y a dans ses pensées, mais il aime la bienveillance qui en découle.
Ils passent donc à la suite : l’étage, qui lui réserve bien des surprises. Et pour parfaire l’illusion, Jacob lui propose de d’abord visiter les dernières pièces, ce sont les anciennes chambres des propriétaires, sûrement les futures de Colleen et sa fille. Elle entre dans l’une des pièces et son visage semble s’illuminer, tout de suite à la recherche de nouveaux ameublements. Je te présente donc… Ma chambre ! Je vais y installer mon lit là-bas et une armoire de ce côté-là. Peut-être une coiffeuse ici, aussi, je verrai le moment venu. Par contre, ça, c’est voué à disparaître. Il suit du regard ses mains et imagine, sans difficulté, l’aménagement qu’elle veut pour cette pièce. Son lit, l’armoire, le reste. Elle lui montre ensuite la tapisserie qui a besoin d’un bon rafraîchissement, voire de disparaître, comme elle vient de le lui dire. Je le remplacerai par du papier peint rose, avec plein de chatons dessus. Qu’est-ce que tu en penses ? Ça ajouterait une belle touche British à cette chambre, non ? Un large sourire se dessine sur les lèvres de Jacob, alors qu’il tourne son visage d’un côté à l’autre de la pièce, comme pour visualiser ledit papier peint. Franchement ? Top. Et il lève ses deux pouces en l’air, comme pour valider sa validation, rien que ça. Ils quittent ensuite la chambre et passent à la seconde qui, dans la logique des choses, appartiendra à sa fille. Il comprend qu’elle n’ait pas à lui en dire plus sur celle-ci, son enfant n’est plus une petite fille et choisira elle-même de sa décoration, et puis, c’est sa sphère privée. Vient ensuite le fameux bureau dont il lui avait parlé dans la voiture, plus restreint, mais aménageable malgré tout. Tu sais que j’ai toujours rêvé d’un espace comme celui-ci pour y travailler ? A Londres, le bureau que l’on avait à l’appartement était exclusivement réservé à mon mari, c’est à peine si je pouvais y mettre les pieds… Alors ici, je ne vais clairement pas bouder mon plaisir ! Et tu as bien raison, ici, ce sera ton bureau. Et il insiste bien sur le « ton », pour l’aider à tirer un trait définitif sur le mari qui n’est plus, sur l’espace qui ne sera que sien – voire à sa fille, de temps en temps, il ne sait pas. La surprise se rapproche et Jacob est aussi impatient que lorsqu’il offre réellement un cadeau à quelqu’un, il est de ces personnes qui préfèrent donner plutôt que recevoir : son cadeau à lui, c’est de voir les visages s’illuminer. Il espère que ce sera le cas avec Colleen, alors qu’ils se rapprochent de la dernière pièce de la maison, mais non pas des moindres. Elle ouvre la porte et l’effet est réussi, elle est plus qu’étonnée, l’exprime avec des gestes en posant sa main sur sa bouche. Monsieur Copeland, vous êtes un cachottier ! Il ne peut que rire face à cette remarque, alors qu’il hoche doucement son visage. Ça aurait été bête d’abattre toutes mes cartes directement. Et il reprend son rôle de simple ami. Et puis, un simple copain n’aurait pas pu deviner qu’il y a une salle d’eau à l’étage, je suis prêt à recevoir mon oscar. Il a bien joué la comédie, non ? Elle se retourne vers lui, l’air ravie, et ce qu’elle lui demande par la suite ne fait qu’appuyer l’impression de Jacob. Okay, donc… Je signe où pour l’acheter, cette maison ? Après une visite comme celle-ci, c’est le genre de phrase qu’il aime entendre. Tu es prête à signer, déjà ? Il n’a pas l’air réellement étonné, il lui repose pourtant la question. J’ai dit aux propriétaires que j’avais une cliente qui allait très certainement être intéressée et ils m’ont permis de suspendre les visites quelques jours. Il la regarde, l’ami s’en est allé pour laisser place au professionnel. Ça veut dire que tu as le temps de la réflexion, de peser le pour et le contre, de faire une contre-visite avec ta fille, si tu en ressens le besoin. Même si elle a l’air emballée, il ne veut pas qu’elle se précipite et qu’elle regrette. Mais je n’ai qu’une seule question, avant. Est-ce que c’est le coup de cœur, ou non ? Parce que si c’est bel et bien le cas, le temps, il sait qu’elle n’en aura pas besoin. Tout en parlant, il quitte la salle de bain avec elle pour rejoindre le couloir.
@Colleen Sainsbury |
| | | | (#)Mer 9 Sep 2020 - 15:08 | |
| La fascination de Colleen animait son regard, étirait ses lèvres et rendait sa voix légèrement plus aigue que d’ordinaire. D’après ce qu’il se disait, un coup de cœur immobilier se jouait sur les premiers instants, les premières impressions. Or c’était précisément ce qu’elle avait recherché tout au long de ses visites : se sentir inspirée par un lieu étranger, se laisser porter par son imagination et le charme qui se dégageait de l’endroit. Le nombre de mètres carrés ne l’intéressait pas, pas plus que les détails techniques qui s’accumulaient dans les dossiers des agents immobiliers. Elle avait l’âme d’une romantique, Colleen, ce n’était pas pour rien que sa bibliothèque était pleine à craquer d’histoires dégoulinantes d’eau de rose. Elle ne possédait pas l’esprit cartésien, et se laissait plutôt guider par ses émotions et son instinct. Et ce que ce dernier lui soufflait depuis le début de la visite était on ne peut plus clair : grâce à Jacob, elle avait trouvé son point de chute à Brisbane et pouvait espérer cocher une nouvelle case dans sa quête d’indépendance en faisant l’acquisition de ce bien immobilier. Certes elle n’en connaissait pas encore le prix, et celui-ci jouerait forcément dans l’accomplissement de son désir d’achat. Toutefois, optimiste – et sans doute un peu naïve – elle faisait confiance à Jacob et osait croire que s’il lui proposait cette maison, c’était qu’elle entrait dans le budget qu’elle s’était fixée. Colleen avait beau être tombée amoureuse de la maison, elle n’avait pas non plus l’intention de s’endetter jusqu’à la fin de ses jours pour pouvoir se l’offrir. De son divorce et de ses épargnes elle avait tiré d’importantes économies qu’elle était prête à investir, mais elle n’irait pas jusqu’à tout dépenser jusqu’au dernier sou non plus. Elle gardait à l’esprit les études de sa fille et était suffisamment prudente pour conserver une somme raisonnable en cas d’imprévus. Elle n’avait donc prévu de contracter qu’un prêt immobilier de complément, dont le montant raisonnable lui permettrait de ne pas devoir se serrer la ceinture au quotidien et de pouvoir continuer à se faire plaisir malgré tout. Elle n’était pas vraiment de nature dépensière, mais il fallait bien admettre qu’August l’avait habituée à un train de vie confortable tout au long de leurs années de mariage, et qu’elle n’était pas prête à faire de sacrifices trop importants dans le seul intérêt de devenir propriétaire. Ainsi, Colleen n’avait peut-être pas encore abordé la question épineuse du prix de cette maison auprès de Jacob, préférant concentrer son attention sur la visite uniquement, mais cette dernière ne tarderait sans doute pas à réapparaître au terme de celle-ci. Avec un peu de chance, Jacob se montrerait une fois de plus à la hauteur de ses espérance le moment venu.
Jacob lui assura de nouveau qu’il pourrait compter sur lui pour toutes les étapes qui l’amènerait à devenir propriétaire, puis la visite se poursuivit naturellement avec la découverte de l’étage. Colleen avait rapidement balayé sa déception après celle de la salle de bain, et arborait une moue tout aussi enjouée qu’au début de la visite. Comme transportée, son imagination tournait à plein régime, les idées se bousculant dans son esprit. Les sols, les peintures, les aménagements, les meubles, la décoration… Tout, absolument tout y passait. Et bien loin d’éteindre son enthousiasme, les deux chambres qu’elle découvrit ne firent que l’intensifier un peu plus. Elle n’eut aucune difficulté à se projeter, et pourtant on ne pouvait pas dire que les propriétaires lui avaient facilité la tâche, tant l’endroit demeurait dans son jus. La tapisserie n’avait rien de moderne, et encore moins d’élégante, et elle n’avait pu s’empêcher de froncer du nez en découvrant la moquette sombre qui recouvrait le sol. Mais tout cela était parfaitement superficiel, elle le savait et surtout cela n’encombrait pas sa vision des choses. Elle s’imaginait déjà à l’œuvre, armée de sa spatule et d’eau chaude, les lèvres pincées par la concentration alors qu’elle s’occuperait de ce papier peint. La patience serait sans aucun doute son meilleur allié le moment venu, et elle aurait probablement besoin d’un coup de main de la part de Lou à un moment donné, mais cela en vaudrait la peine. Elle expliqua à Jacob la disposition du mobilier que lui inspirait cette chambre, et il l’écouta d’une oreille toujours aussi attentive. Elle ne manqua pas le large sourire qu’il lui offrit quand elle évoqua le changement de tapisserie par un papier peint British et kitsch à souhait, et elle-même s’amusa de ses deux pouces levés quand il lui donna son approbation. La communication entre l’agent immobilier et la cliente était des plus naturelles, et une nouvelle fois Colleen se surprit à penser qu’elle n’aurait aucune difficulté à l’apprécier comme un ami, alors même qu’elle ne le connaissait pas tant que cela en vérité.
Ils visitèrent ensuite la deuxième chambre, aux proportions similaires à la précédente et qui offrait la même vue sur le jardin, détail non négligeable. Lou ne vivait pas chez elle toute l’année depuis qu’elle était étudiante, mais il était primordial aux yeux de la brune que sa fille puisse avoir sa propre chambre, et surtout que celle-ci soit suffisamment spacieuse et lumineuse pour l’accueillir. En ce qui concernait l’ameublement et la décoration, elle lui laisserait évidemment carte blanche, ce qui expliquait pourquoi elle ne s’attarda pas sur les détails auprès de Jacob et ne resta que quelques instants seulement dans la pièce, après s’être assurée qu’elle cochait toutes les cases. La suivante fut une agréable surprise : il s’agissait d’une pièce légèrement trop petite pour être qualifiée de chambre, mais qui conviendrait parfaitement pour un bureau. Or c’était justement ce dont Colleen avait besoin. Comme elle le confia à l’agent immobilier, elle n’avait jamais pu bénéficier d’un tel espace rien que pour elle auparavant, August ayant toujours eu l’exclusivité des bureaux de leurs appartements Londoniens. Il n’aurait de toute façon jamais compris ce besoin, considérant les études qu’elle avait reprises puis l’exercice de son métier comme dérisoire à côté de sa propre activité professionnelle. La donne avait néanmoins changé, et aujourd’hui l’Anglaise pouvait – du moins l’espérait-elle – se payer le luxe de travailler ailleurs que sur la table de la salle à manger. « Mon bureau » Répéta-t-elle, comme pour tester la saveur que ces mots auraient sur sa langue. Satisfaite, elle opina du chef et quitta la pièce pour se diriger vers la toute dernière, celle dont elle avait clairement minimisé l’intérêt en pensant qu’il s’agirait tout simplement de toilettes. Là encore, Jacob la surprit en lui présentant une salle de bain beaucoup plus spacieuse que celle du rez-de-chaussée, et comportant la baignoire qu’elle avait tant rêvé ! L’endroit était aussi vieillot que le reste de la maison, elle ne pouvait le nier, mais avec un peu de travail, d’investissement et de patience elle pourrait en faire un endroit chaleureux. Cette salle de bain réunissait toutes les conditions : les proportions, la luminosité accordée par la fenêtre, sans oublier les arrivées d’eau, indispensables. Colleen avait toujours rêvé d’une baignoire sur pieds immaculée qu’elle pourrait remplir de mousse et dont elle pourrait profiter, un verre de vin rouge à la main, avec peut-être même un livre dans son autre main. La baignoire sur pieds n’y était pas encore, mais elle ne s’interdisait pas de rêver cependant.
Pivotant vers Jacob, elle ne parvint à cacher ni sa stupéfaction ni sa ferveur. Il se défendit en lui disant qu’il aurait été idiot de ne pas conserver cette surprise pour la fin de la visite, et effectivement il n’avait pas tort : il s’agissait bien du clou du spectacle. Elle rit quand il mentionna l’oscar qu’il était certain de mériter. « C’est vrai, tu marques un point : tu as été excellent dans ce rôle ! Si j’entends parler d’un casting dans le coin, je te passerai un coup de fil, promis ». Son sourire chaleureux réhaussa davantage les commissures de ses lèvres. Elle ne put s’empêcher de lui demander quand elle pourrait signer pour la maison, tout en étant parfaitement consciente qu’elle n’en connaissait même pas encore le prix. Elle l’avait dit sur le ton de la plaisanterie, mais au fond d’elle elle savait pertinemment qu’elle n’avait pas besoin d’en voir davantage pour savoir que c’était la bonne. Que c’était précisément ici, au cœur de Logan City, qu’elle allait refaire sa vie. Jacob la rassura en lui disant que les visites seraient suspendues ces prochains jours pour lui laisser le temps de la réflexion, et elle fut encore une fois impressionnée par son professionnalisme. Là où d’autres auraient pu aisément mentir en prétendant que plusieurs acheteurs potentiels étaient sur le coup, et que par conséquence elle devrait prendre sa décision dans les plus brefs délais si elle ne voulait pas voir son coup de cœur lui passer sous le nez, lui jouait la carte de la franchise. Colleen était ravie de constater qu’elle avait vraiment fait le bon choix en lui accordant sa confiance. « Pour être honnête, je ne pourrais jamais acheter cette maison sans l’avoir montrée à ma fille avant. Son avis est très important… Une contre-visite s’impose donc, en effet ». Elle jeta un coup d’œil circulaire à la pièce, acquiesça plus pour elle que pour Jacob, avant de se retourner vers lui quand il lui demanda s’il s’agissait d’un coup de cœur pour elle. Si elle avait joué le joker plus tôt au cours de la visite, cette fois-ci elle leva le mystère sans ciller. « C’est le coup de cœur, à 100% ! » Valida-t-elle d’une voix assurée en quittant la salle de bain pour rejoindre le palier. « J’avais peur d’être trop exigeante, d’attendre quelque chose qui n’arriverait peut-être jamais… Le coup de cœur, justement. Mais tu m’as prouvé que j’avais tort ». Ils redescendirent les escaliers et Colleen fit courir ses doigts sur la rambarde. « Bon, par contre, il faudra quand même qu’on évoque la question du prix à un moment donné, mmh ? Mais laisse-moi te dire quand même que si c’est hors-budget, je te botte les fesses, agent immobilier ou pas, je m’en fiche » S’amusa-t-elle en atteignant le pied de l’escalier. « J’espère donc que tu es sûr de ton coup… » Conclut-elle avec un sourire.
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| | | | (#)Dim 18 Oct 2020 - 16:44 | |
| Mon bureau. Son bureau, dans sa maison, dans son quartier, dans sa ville, dans son pays ; il n’y a que du renouveau là-dedans. Et Jacob sait que c’est à la fois excitant et effrayant. Que franchir le cap peut être la meilleure comme la pire des idées. Du point de vue de l’agent, Colleen a pris la bonne décision en faisant appel à lui et à ses agences. Évidemment, à ce sujet-là, il est bien trop impliqué pour être juste : elle n’aurait pas pu avoir meilleur agent que lui-même. Beaucoup confirmeraient, beaucoup le contrediraient. Mais les faits sont là, ses détracteurs peuvent souffler, ses admirateurs peuvent le féliciter : cette visite a été une réussite, du début à la fin. Il a fait de son mieux pour contrôler les désirs de l’Anglaise, ses projets, pour l’aiguiller sans s’imposer et, même sa déception, il a réussi à la faire s’envoler pour la transformer en magnifique surprise. Tout était parfait, tout serait à refaire s’il en avait l’occasion. La salle de bain – avec sa baignoire tant espérée – est la dernière pièce de la maison. Toutes étaient désirées, toutes sont validées. La pression que le blond avait sur ses épaules peut enfin retomber ; même s’il faisait de son mieux pour ne pas la montrer, elle était là, constante et persistante. Parce qu’une visite peut tourner au cauchemar en quelques secondes. On peut imaginer avoir su lire en une personne, connaître ses envies et goûts et finalement s’être trompé du début à la fin. Ça n’est arrivé que quelques fois à Jacob mais, à chacun de ces moments, il a eu envie de tout arrêter. La déception est le pire sentiment que l’on peut lire sur le visage de quelqu’un, il déteste ça. Avec Colleen, ça n’a duré que le temps d’un instant, avant qu’elle se rende compte que ce n’était qu’une supercherie de sa part. Il peut souffler et sourire, c’est terminé, probablement gagné. Rien ne vaut une petite plaisanterie et il reste sur le ton amical donné depuis le début de la visite : il réclame un Oscar pour ses talents de comédien insoupçonnés. C’est vrai, tu marques un point : tu as été excellent dans ce rôle ! Si j’entends parler d’un casting dans le coin, je te passerai un coup de fil, promis. Il aime sa façon de le suivre dans ses bêtises. C’est gentil. Tu pourras dire que tu me connaissais d’avant quand je partirai à Hollywood pour tourner au côté de Dwayne Johnson. Il voit loin pour cette carrière qu’il ne lancera jamais. Il reprend sa casquette d’agent et lui annonce que les propriétaires ont accepté l’arrêt des visites le temps de quelques jours. Il préfère lui laisser l’opportunité de dormir là-dessus, de réfléchir posément et de se décider que d’enchaîner les visites avec d’autres et la forcer à faire une offre qu’elle pourrait regretter. Il n’est pas partisan de cette technique-là : il est certain qu’il vendrait plus en usant de cette fourberie mais, si lui gagne de l’argent sur le moment, les gens, eux, vivent dans un endroit qu’ils n’aiment pas indéfiniment. Il n’aime pas l’idée et ça ne correspond pas avec la politique et l’esprit des agences Copeland. Pour être honnête, je ne pourrais jamais acheter cette maison sans l’avoir montrée à ma fille avant. Son avis est très important… Une contre-visite s’impose donc, en effet. Il hoche son visage de haut en bas. Pas de problème. Il comprend, elle ne sera pas seule à vivre là-dedans et en effet, sa fille doit également donner son avis. Lui ne se verrait pas déménager dans une autre propriété sans avoir l’avis d’Olivia là-dessus – et même de June, si elle avait été encore là. Il lui demande si elle a le coup de cœur, le fameux. C’est le coup de cœur, à 100 % ! Tu ne peux pas me faire plus plaisir qu’en me disant cela. Il admet, un large sourire aux lèvres. Rendre heureux quelqu’un le rend heureux à son tour. J’avais peur d’être trop exigeante, d’attendre quelque chose qui n’arriverait peut-être jamais… Le coup de cœur, justement. Mais tu m’as prouvé que j’avais tort. Il est bien content de lui avoir redonné la foi à ce niveau-là. Si je peux te donner un conseil, tu devrais appliquer cette idée-là à ta vie entière. Il s’immisce là où il ne devrait pas, il le sait. Il faut savoir être exigeant pour son propre bonheur, tout arrive à point à qui sait attendre, comme on dit. Tu en as la preuve aujourd’hui et j’y suis pour rien, c’est toi qui avais les cartes entre tes mains depuis le départ. Tu n’as pas voulu te contenter de ce que je t’ai montré avant et c’était la bonne décision : regarde aujourd’hui. Tu savais ce que tu voulais et tu l’as obtenu, tu n’as pas désiré plus, tu ne t’es pas contenté de moins. C’est à appliquer partout. Et en le disant, il se le conseille à lui-même autant à qu’à elle. Ils descendent tous les deux les escaliers et Jacob comprend que c’est la fin de cette première étape, ils vont partir d’ici et se reverront lors de la contre-visite. Bon, par contre, il faudra quand même qu’on évoque la question du prix à un moment donné, mmh? Mais laisse-moi te dire quand même que si c’est hors-budget, je te bosse les fesses, agent immobilier ou pas, je m’en fiche. J’espère donc que tu es sûr de ton coup… Il la regarde puis regarde autour de lui. Ça aura valu le coup de se faire botter les fesses, alors. Une dernière phrase pour lui faire peur avant de la rassurer. C’est dans ton budget. Peut-être légèrement en-dessous si j’arrive à le négocier. Il faut un gros rafraîchissement à cette maison et quelques travaux alors ça ne devrait pas être difficile de réduire le prix de quelques centaines, voire milliers. Cette maison est à toi, il ne te reste qu’à la présenter à ta fille et à signer les papiers mais, psychologiquement, on sait déjà tous les deux qu’elle t’appartient. Il sort de la maison, accompagné par Colleen, et referme celle-ci à clés. Une bonne chose de faite. Il conclue, alors qu’il se tourne vers elle pour la regarder. Je te raccompagne à l’agence. On en a terminé pour aujourd’hui, on se revoit dans quelques jours, prend le temps qu’il te faut pour y réfléchir et si jamais tu as des questions, tu sais comment me joindre. Ils sont venus tous les deux dans la voiture de son agence, il ne va quand même pas la laisser là, seule et « abandonnée ». Le blond monte en voiture avec elle et le trajet retour se passe comme pour le départ : la radio chantonne, lui s’amuse de quelques blagues stupides mais surtout, ils savent tous les deux que ce qui a été fait n’est plus à faire, qu’elle ne reviendra pas de sitôt dans cette voiture pour aller visiter un nouveau bien. C’est sa maison, son quartier, sa ville et son pays, désormais.
@Colleen Sainsbury
FIN |
| | | | | | | | (Colleen & Jacob) A house is not a home. |
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