Lovée dans un coin du canapé, Microbe couché en boule contre l’une de ses jambes, Moïra s’était replongée dans son livre presque avec avidité à peine son repas englouti, et une fois la table débarrassée des quelques éléments qui retournaient au frigo tandis que son père héritait de la corvée de vaisselle. D'ordinaire père et fille profitaient de cet instant post-dîner pour discuter un peu, Moïra lui racontait un peu sa journée, ils faisaient des plans pour le week-end, elle réfléchissait à ce qu’elle voulait manger le lendemain soir … Ce soir pourtant l’un comme l’autre semblaient momentanément avoir eu besoin de s’enfermer un peu dans leur bulle – un des rares traits commun dont Tommy avait la certitude que sa fille le tenait de lui et non pas de sa mère. Le silence de l’appartement avait été troublé par des haussements de voix dans la rue en contrebas, des noms d’oiseaux volaient, le ton montait, et plutôt que de chercher à savoir de quoi il était question Tommy avait fermé la fenêtre jusque-là entrouverte en soupirant – plus le temps passait, plus il avait ce quartier en horreur. Parfois il songeait à déménager, peut-être chercher du côté de Toowong pour rapprocher Moïra de son collège, même si cela voulait dire s’éloigner des docks … Mais le projet ne dépassait jamais le stade de l’idée jetée en l’air, et comme souvent le brun se laissait ralentir par ses propres doutes dès qu’il s’agissait de prendre une décision lourde de conséquences pour sa fille ou pour lui. Les mains toujours dans la vaisselle, il avait été brusquement tiré de ses songes par les vibrations de son téléphone portable – dont l’écran criblé de fissures témoignait du peu de soin qu’il y apportait. Le numéro affiché à l’écran ne lui disait rien, et grimaçant avec hésitation Tommy avait envisagé de ne pas répondre, avant de se raviser et d’essuyer à la va-vite ses mains sur un torchon pour décrocher. « Allo ? » Ses sourcils froncés s’étaient détendus un peu lorsque la personne au bout du fil s’était présentée, mais il restait surpris ; Dimitri ne lui avait pas mentionné avoir donné son numéro à l’une de ses sœurs. Pas que cela soit réellement un problème, cela dit. Le débit de parole de la jeune femme l’ayant un peu pris au dépourvu il avait accepté sa proposition sans trop y réfléchir, malgré une certaine ironie à l’idée que l’on s’adresse à lui pour une quelconque aide à se réinsérer … Quand on savait les difficultés qu’il avait eu à se faire embaucher où que ce soit avant que le gérant du McTavish ne lui redonne sa chance, le trou dans son CV inspirant presque autant de méfiance que s’il en indiquait noir sur blanc les raisons. « Dix-sept heures au Canvas, c’est noté. À demain. » Tendait-elle déjà l’oreille avant ou était-ce cette dernière phrase qui avait retenu son attention ? Toujours est-il que la paire d’yeux de Moïra le fixait avec un brin de curiosité lorsqu’il avait raccroché et jeté un coup d’œil en direction du salon. Un brin de curiosité et surtout un brin de malice, auquel le père n’avait pas donné l’occasion de se développer, préférant suggérer d’un air entendu « Je crois qu’il est l’heure pour quelqu’un d’aller se laver les dents et sauter dans un pyjama, hm ? » et obtenant en réponse un soupir las de la concernée et un miaulement du félin qui l’accompagnait – mais Microbe était un traître, Tommy l’avait toujours dit.


***
Sans qu’il ne sache expliquer pourquoi cependant, ce qui la veille ne ressemblait qu’à un service gracieusement rendu avait peu à peu pris des allures de raison légitime de s’angoisser, et alors que l’horloge digitale du micro-ondes indiquait 16:08 le brun avait été à deux doigts de rappeler la sœur de Dimitri pour annuler en s’appuyant sur Dieu savait quel motif plus ou moins valable. Mais la peur de passer pour un imbécile s’était finalement révélée plus forte encore que celle de prendre un verre avec une inconnue, et jetant un bref regard à son reflet dans le miroir du hall de son immeuble il avait tenté de se raisonner une dernière fois : ce n’était pas prendre un verre c’était un rendez-vous professionnel (plus ou moins), et ce n’était pas une inconnue mais la sœur d’un de ses amis. Moïra n’était pas encore rentrée des cours et il lui avait laissé un post-it sur la table de la cuisine pour lui dire de ne pas s’inquiéter du repas, qu’il prendrait des pizzas sur le chemin du retour. Il ne savait pas vraiment pour combien de temps il en aurait, il n’avait jamais rencontré Helena et n’avait aucune idée du genre de personne qu’elle était, quand bien même Dimitri lui en avait toujours dressé un portrait élogieux – mais le forain semblait considérer ses sœurs comme la prunelle de ses yeux, alors où s’arrêtait l’objectivité ? Tout cela Tommy avait eu tout le temps d’y penser sur le trajet jusqu’à Fortitude Valley, quartier dans lequel il ne mettait que rarement les pieds pour n’avoir rien de spécial à y faire au quotidien … Un quotidien que son travail et sa fille remplissaient déjà suffisamment pour qu’il n’ait que peu de temps à accorder au reste.

Il avait finalement fallu attendre qu’il arrive devant le Canvas pour réaliser qu’il lui manquait une donnée essentielle : il ne savait pas à quoi ressemblait Helena. Dimitri la lui avait bien montrée une fois ou deux sur son téléphone, mais Tommy avait une très mauvaise mémoire des visages et outre le fait qu’elle soit brune il ne se sentait pas capable de voir beaucoup plus loin … Et des brunes, le bar en comptait à la pelle à cette heure de sortir de bureau. Passant le bout de ses doigts dans sa barbe avec hésitation, il s’était finalement lancé un peu au hasard, repérant une grande brune accoudée au comptoir dans l’attente visible de sa boisson, il en avait conclu qu’elle venait à peine d’arriver et qu’il s’agissait probablement d’elle. Lorsqu’il lui avait adressé un « Helena ? » timide, néanmoins, elle l’avait toisée des pieds à la tête et lui avait rétorqué « On se connait ? » clairement sur la défensive. « Je … Non. J’ai dû me tromper. Désolé. » Sentant la chaleur lui monter aux oreilles et probablement le rouge lui monter aux joues sous sa barbe, il avait fait marche arrière et s’était retrouvé bras ballants au milieu du bar. Dans un coin de la salle une autre brune était installée seule à une table et semblait en pleine lecture de la carte des boissons, toutefois la crainte d’un second échec empêchait Tommy de rassembler suffisamment de courage pour l’accoster elle aussi, et la situation aurait pu durer encore de longues secondes si une idée ne lui avait pas subitement sauté aux yeux. Palpant les poches de sa veste à la recherche de son téléphone, il avait fait défiler le répertoire de ses contacts, auquel il avait ajouté le numéro de la jeune femme après leur échange de la veille, et enclenchant aussitôt l’appel il n’avait pas porté le cellulaire à son oreille mais fixé la brune seule à sa table dans l’espoir qu’elle réagisse. Ce qu’elle avait fait, et ses pieds subitement capables de se décoller à nouveau du sol le brun s’était dirigé vers elle « Helena ? » Maintenant qu’il s’en était suffisamment approché il constatait quelques traits communs avec Dimitri, et le visage de la jeune femme lui paraissait vaguement familier – les vagues souvenirs des photos qu’il avait vu d’elle, sans doute. « Je n’étais pas sûr que ce soit toi. » avait-il alors admis en désignant son téléphone, se gardant bien de relater l’incident avec la femme du comptoir et espérant qu’Helena n’en avait pas été témoin. « Je ne t’ai pas fait attendre trop longtemps, j’espère ? » Quelle heure était-il ? Il était en retard ? Il n’en savait rien, et alors qu’il lui aurait suffi pour le savoir de jeter un coup d’œil à sa montre il n’en avait même pas eu le réflexe, se contentant de tirer la seconde chaise pour prendre place à table.

Il se sentait un peu bête de ne pas y avoir pensé la veille, lorsqu’ils avaient convenu de leur rendez-vous. Ils ne s’étaient jamais vus ni l’un ni l’autre, et le plus simple aurait probablement été de se donner une indication pour permettre de repérer l’autre au milieu de la foule des clients qui se pressaient dans le bar à cette heure fréquentée de fin d’après-midi. Mais ni elle ni lui n’y avaient songé, et sans grande surprise le hasard n’avait pas été du côté de Tommy, dont le rouge était instantanément monté aux joues lorsqu’il s’était confronté à la mauvaise personne et reçu en retour un regard entre dédain et méfiance – cela ressemblait à la pire approche possible pour tenter d’amorcer une conversation. Ses neurones semblant néanmoins avoir fini par se croiser, il avait dégainé son téléphone en s’agaçant presque de ne pas y avoir pensé plus tôt, et effectivement quelques secondes plus tard il avait repéré la véritable Helena, installée à une table et ayant relevé les yeux vers lui avec un brin de surprise lorsqu’il l’avait finalement rejointe. « Je suis ravie de te rencontrer. J’ai cru que tu m’appelais pour annuler notre rendez-vous. » Elle lui avait tendu la main avec politesse, et s’en saisissant de la même façon il s’était inquiété de l’avoir fait attendre possiblement un bon moment. Quelle heure était-il, d’ailleurs ? Plus rapide que lui, elle avait jeté un coup d’œil à sa montre et secoué la tête « Pile à l’heure, bravo ! Tu veux boire quoi ? » S’installant face à elle, il s’était défait de son blouson et l’avait abandonné sur le dossier de sa chaise, se laissant ainsi le court temps de la réflexion quant à la question d’Helena. L’habitude et la facilité lui auraient sans doute fait commander une bière, mais aisément influençable Tommy s’était laissé avoir par le fait que la jeune femme opte plutôt pour un thé à la menthe, et malgré la quantité de gens autour d’eux que l’heure n’avait pas empêché de commander de l’alcool il avait préféré suivre le mouvement et s’en tenir à « Je vais prendre un coca. » lorsque le serveur était venu s’enquérir de leur commande, avant de le remercier tandis qu’il tournait les talons. Un thé et un soda, ils avaient l’air de deux collégiens à leur premier rendez-vous. À ceci près qu’ils n’avaient plus douze ans et que le rendez-vous en question n’avait rien de romantique, la brune ayant invité Tommy dans un but bien précis. Malgré cela, avant d’entrer dans le vif du sujet elle avait commencé pat s’inquiéter « Merci d’avoir accepté mon invitation. Dimitri m’a parlé de ta fille, Moïra, je crois ? Tu as trouvé une baby-sitter ou tu la laisses se gérer toute seule, comme une grande ? » et secouant la tête en lui offrant un sourire le Warren avait confirmé « Moïra, c’est ça. Et elle est assez grande oui, elle doit être sur le chemin pour rentrer de l’école à l’heure qu’il est. » Et bien qu’il ait préféré ne pas le mentionner il se laissait la possibilité de s’éclipser quelques minutes un peu plus tard pour appeler chez eux pour vérifier que sa fille était belle et bien rentrée sans encombres … Car Tommy faisait résolument partie de la catégorie des parents inquiets par nature. « Du coup, comme je te l’ai expliqué au téléphone, je suis coordinatrice au sein d’un service de volontariat. » avait quant à elle reprit Helena après que le serveur, d’une efficacité certaine, revenait déjà avec leurs consommations. « Mon travail consiste ainsi à aider les jeunes en difficulté, soit en décrochage scolaire, soit parfois avec un casier judiciaire, à se réorienter, à trouver une école ou une formation qui leur plaise. » L’écoutant avec attention, Tommy se montrait aussi intéressé que surpris, les confidences de Dimitri quant au fait que la plus jeune de ses sœurs avait la fâcheuse tendance de s’attacher aux causes perdues prenant une nouvelle dimension là où le brun avait toujours imaginé que son ami faisait d’abord référence à la vie sentimentale de sa cadette. Et s’il se permettait ce genre de jugements un peu hâtifs, c’était parce qu’une cause perdue il estimait lui-même en être une, se retrouvant dans bien des éléments que venait de lister Helena pour étayer son propos. « Il se trouve que l’un des jeunes que j’encadre va être bientôt papa, et que ce dont il a besoin, ce n’est pas d’une fac, mais d’un job, qui puisse lui permettre de subvenir aux besoins de sa famille. Est-ce que tes patrons recherchent de la main d’œuvre sur les docks ? Est-ce que … tu pourrais organiser un entretien d’embauche pour ce jeune ? » Prenant le temps de jauger toutes les informations qui venaient de se succéder, Tommy ne s’était probablement pas montré suffisamment emballé suffisamment rapidement, puisque semblant déjà rétropédaler un peu Helena avait ajouté « Je ne te demande pas de le pistonner, tu ne le connais pas ! Mais si tu pouvais l’aider à trouver une piste pour un job, ce serait vraiment un grand pas en avant pour lui. » d’un ton un peu précipité, et secouant à nouveau la tête comme pour assurer que ce n’était pas du tout le problème le brun avait aussitôt répondu « Non, non, c’est pas question de ça, c’est juste … Enfin c’est pas vraiment valorisant comme métier, tu sais. C’est physique, assez fatiguant, et on te considère pas beaucoup mieux que la marchandise que tu transportes. » Lui s’en accommodait parce que ses perspectives professionnelles étaient limitées, et que la prime de risque rendait malgré tout cela plus intéressant que de continuer à servir des verres derrière le comptoir d’un bar comme il l’avait fait durant les premières années de son retour à Brisbane … Mais au fond il avait bien conscience de faire un métier ingrat, un de ces boulots qui ne faisait rêver personne. « Et puis c’est pas forcément l’endroit si on veut rester loin des embrouilles … » Pinçant ses lèvres avec hésitation, il avait senti ses mains trembler légèrement et les avait refermées autour de son verre pour qu’il n’y paraisse pas. « Je vais pas te faire un dessin, mais forcément s’ils ne sont pas très regardants sur les CV ils ne drainent pas que des gens honnêtes. » Et si l’on tombait sur les mauvaises personnes, ou que l’on assistait aux mauvaises conversations, on pouvait vite s’en mordre les doigts. Avant que la chair de poule ne le trahisse, Tommy s’était éclairci la gorge pour se donner une contenance et avait bu une gorgée de son soda, puis son regard s’était à nouveau planté dans celui d’Helena avec sérieux. « Je peux te donner une liste des transporteurs à qui envoyer son CV. Ça lui permettra d’éviter ceux où ça craint un peu trop. » Autrement dit il le dirigerait vers absolument tout en dehors de la Fox Line, celle pour laquelle lui-même travaillait. « Mais c’est pas un milieu que je recommande à quelqu’un qui sort à peine de la mauvaise pente, si je peux être tout à fait honnête. Y'a pas mal de mauvaises tentations. » Et puisqu’il ne connaissait rien de la personne qu’Helena tentait d’aider, il préférait la laisser seule juge de si l’envoyer travailler dans ce genre de milieu était une bonne ou une mauvaise idée.

Tommy s’en voulait un peu de réduire ainsi à néant les ambitions somme toutes louables de la jeune femme, mais depuis leur bref échange téléphonique de la veille il avait eu le temps de réfléchir à la question et de préparer ses arguments, et il préférait se montrer honnête plutôt que d’envoyer la sœur de son ami ainsi que le jeune homme qu’elle souhaitait aider vers une possible déconvenue. Ne souhaitant pourtant pas se laisser démonter aussi vite, la jeune femme avait argué d’un ton amusé « Ho, je pense qu’il a le physique de l’emploi ! Il fait deux têtes que plus que moi et a des épaules aussi larges qu’une camionnette ! C’est d’ailleurs toujours assez frustrant d’encadrer des gamins qui sont tous plus grands que vous … » et arraché à Tommy un léger sourire à défaut de réellement le convaincre. « Quoi qu’il en soit, ce n’est pas forcément pour lui trouver un job pour la vie, mais plus pour lui permettre de rentrer un peu d’argent, de quoi subvenir aux besoins de sa future petite famille. Ensuite, il pourra toujours changer, quand il pourra faire … un peu plus la fine bouche. » Il comprenait parfaitement ce qu’elle voulait dire, et en vérité ce jeune ne serait pas le seul à traîner sur les docks dans l’attente de jours meilleurs, d’une situation plus enviable, d’une opportunité plus alléchante … Pour certains elle venait rapidement, pour d’autres elle se faisait attendre, et il y en avait encore comme Tommy qui ne cherchaient pas vraiment ailleurs parce que se faire embaucher en premier lieu avait déjà eu des airs de coup de chance. Le revers de la médaille de ces endroits où l’on n’était pas trop exigeant sur les qualifications et les antécédents des personnes que l’on recrutait. « Ça fait longtemps que tu fais un métier que tu n’aimes pas ? » La question l’avait un peu pris au dépourvu, et un sourire gêné s’étirant sur ses lèvres Tommy avait demandé « C’est si flagrant ? » de façon purement rhétorique et s’était appuyé un peu plus contre le dossier de sa chaise en soupirant. « C’est un peu l’histoire de ma vie, ça. » avait-il alors confié, bien que sans contexte plus détaille cela veuille tout et rien dire à la fois. Mais pas vraiment à l’aise à l’idée de détailler le pourquoi du comment il s’était contenté d’ajouter « Pour faire un métier qu’on aime, il faut déjà savoir ce qu’on aime. » quitte à ressembler à la version low cost d’un sage de jeu vidéo. Il n’y avait qu’un seul métier que Tommy avait réellement aimé exercer, lorsqu’il travaillait dans une scierie durant son expatriation … Et même celui-là il ne l’avait pas trouvé par vocation mais par hasard, en faisant le tour de Kenora à la recherche de n’importe quoi qui lui permette d’avoir un salaire. Au Canada Tommy avait appris sur le tas, à Brisbane on lui demandait pour le même métier de passer un diplôme qu’il n’avait pas les moyens de s’offrir … et voilà comment on se retrouvait à décharger des cargos dans un port commercial de l’aube jusqu’au soleil de midi.

Puisqu’Helena semblait malgré tout décidée, Tommy avait fini par coupe la poire en deux et lui avait proposé de lui donner les références de sociétés où son poulain pourrait postuler sans que les ennuis ne lui sautent obligatoirement à peine arrivé. Rien n’était jamais sûre à cent pour cent, tout dépendait aussi du tempérament et du sens du devoir du principal intéressé, mais ce serait toujours mieux que rien … « C’est un gars bien, il n’a simplement jamais réussi à s’intégrer au milieu scolaire, à s’intéresser à l’école et à trouver sa voie. Il aurait sans doute mérité de faire de meilleures rencontres quand il était plus jeune … Je veux dire, des profs ou des conseillers d’orientation plus investis. » À cela Tommy avait acquiescé d’un air compréhensif, ayant lui-même été longtemps fâché avec le système scolaire et sachant bien les dégâts que pouvaient faire le corps enseignant en choisissant mal ses mots ou en ne prêtant pas attention à certains signaux. « Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il n’a jamais eu d’ennuis avec la justice, et que je lui souhaite de ne jamais en avoir. Alors je te remercie pour tes conseils. Je veux bien la liste des transporteurs … corrects, au cas où, mais je vais essayer de lui trouver autre chose. » Bien que cela ne soit probablement pas ce qu’elle avait espéré, le brun se sentait soulagé qu’elle tienne compte de ses mises en garde, et prenant le temps d’une gorgée de soda il lui avait promis « Je ne les ai pas sur moi, mais je t’enverrai ça une fois rentré chez moi. » avant de marquer une brève pause, une idée supplémentaire lui venant en tête. « Si tu veux je peux aussi te donner les coordonnées du bar où je travaillais avant. Le patron est cool, il a accepté de me laisser une chance alors que mon CV ne faisait pas rêver, et de façon générale il est du genre à attendre d’avoir les gens en face de lui pour se faire une opinion. » À se demander pourquoi Tommy avait quitté ce boulot pour celui qu’il faisait actuellement. « Y’a eu pas mal de turnover depuis que je suis parti, je te garantis pas qu’il recherche toujours du monde, mais ça ne coûte rien d’essayer. » Et puis le McTavish était un bar agréable, ça même Dimitri pourrait le lui confirmer si d’aventure elle le questionnait.

Tous les deux avaient terminés leurs verres, et d’une efficacité à toute épreuve la serveuse qui les avait apportés était aussi venue les débarrasser, leur laissant le temps de réfléchir à la possibilité d’une seconde consommation. « Tu veux autre chose ? Une bière ? Un whisky ? Ou toute autre chose qui te ferait plaisir ? C’est pour moi, pour te remercier de m’accorder un peu de temps ! » Il s’apprêtait à faire remarquer qu’elle n’avait vraiment pas à se sentir obligée, quand bien même un second verre ne serait en réalité pas de refus, mais tandis qu’elle ajoutait « Enfin, sauf si Moïra te punit si tu rentres à la maison en ayant bu un verre d’alcool ? » il se sentait pris de l’envie d’accepter, et après quelques secondes d’hésitation il avait fini par céder, répondant « Va pour une bière, dans ce cas. C’est gentil, merci. » avant de secouer la tête pour répondre à sa dernière question « Et Moïra devrait s’en remettre … Après tout ce qu’elle ne sait pas ne peut pas lui faire de mal. » et agrémenter le tout d’un clin d’œil amusé. Il n’y avait de toute manière aucune chance qu’une bière ne change quoi que ce soit ni à son état ni à sa capacité à retrouver le chemin de son appartement. La laissant choisir à son tour ce qu’elle souhaitait boire en seconde option, il avait attendu que leur commande soit notée et envoyée au bar puis avait reporté son regard et son attention sur Helena. « Ça fait longtemps que tu fais ce métier ? » Elle semblait emplie d’une sincère bienveillance à l’égard des jeunes dont elle s’occupait, et si elle déployait la même énergie pour tous les autres que pour celui dont elle venait de lui parler, nul doute qu’elle avait dû en aider plus d’un. « Je ne pense pas me tromper en disant que toi en revanche, on peut sans hésitation te classer dans la catégorie de ceux qui aiment leur métier. » avait-il finalement ajouté, un nouveau sourire s’étirant tranquillement sur ses lèvres.

Désolée!!!:

La sœur de Dimitri semblait réellement et entièrement surprise que l’on puisse se complaire dans une profession qui ne nous plaisait pas. Tommy trouvait à cela un côté presque attendrissant, bien qu’aussi un brin naïf … Mais après tout cela sous-entendait simplement qu’Helena, elle, n’avait jamais eu à subir la sensation désagréable consistant à s’extirper du lit pour aller accomplir un boulot pas plus gratifiant qu’épanouissant. Elle faisait partie des chanceux, sans forcément se rendre compte que les gens comme elle ne représentaient malheureusement pas la majorité … Combien de métiers passions, pour les petits boulots ingrats que personne ne souhaitait faire mais qui n’en étaient pas moins essentiels ? « Tu n’as jamais exercé un emploi qui te plaisait ? Tu n’as jamais été motivé par un poste que tu aurais occupé ? » S’il était parfaitement honnête avec lui-même, Tommy savait que si. Il y en avait bien eu un qui lui avait donné l’impression d’avoir trouvé sa place, qui lui donnait la satisfaction de se coucher le soir fatigué mais content de l’être. « Y’a longtemps. Mais c’était dans une autre vie. » Sur un autre continent, dans d’autres circonstances … C’était un coup de chance qui ne se reproduirait pas une seconde fois. À Brisbane il n’était que le Warren raté, celui que l’on embauchait par pitié comme l’avait fait Callum McTavish, et dont les quelques initiatives se soldaient par des résultats peu concluants … « Tu as été serveur, toi aussi ? J’ai également travaillé dans plusieurs bars, après avoir souffert dans des chaînes de fast-food. » avait à ce sujet rebondi la jeune femme, avant d’ajouter « En même temps, j’aurais accepté n’importe quoi à cette époque pour partir du domicile familial. C’était dur d’être la dernière à la maison après le départ de Dimitri … J’avais l’étrange impression d’être redevenue un bébé et de devoir rendre des comptes à mes parents. Bref, j’avais besoin de mon indépendance. » Laissant d’abord la serveuse venir les débarrasser de leurs verres et s’enquérir de ce qu’ils boiraient ensuite, Tommy avait attendu qu’elle s’éloigne pour reporter son regard et son attention sur Helena et rebondir sur sa phrase précédente. « C’est vrai que les parents ont tendance à te traiter comme si tu avais douze ans tant que tu vis sous leur toit … C’est aussi ce qui m’a motivé à trouver vite du boulot après avoir terminé le lycée. » Ça et le fait que sans solution de secours et sans volonté (ou capacité) de poursuivre des études, et parce qu’il était hors de question que leur fils se tourne les pouces à la maison toute la journée, le brun se serait probablement retrouvé à jouer les larbins dans l’entreprise de surgelés de son père … et ça, plutôt mourir. « Mais du coup serveur, plongeur, barman … J’ai été un peu tout. Avec plus ou moins de succès dépendamment des endroits. » Sa dernière remarque avait été faite avec un sourire amusé, quand bien même son expérience au Burrow, par exemple, le laisserait toujours un peu amer. Le changement de direction lui avait en effet valu un licenciement au motif que le nouveau patron ne souhaitait pas garder un ancien taulard parmi ses effectifs, et peu importe que Tommy ait eu un enfant à charge et un loyer à payer.

Estimant cependant avoir suffisamment parlé de lui, le brun avait renvoyé la question à Helena et cherché à en apprendre plus sur ce travail qu’elle semblait faire avec passion, ou au moins avec conscience. Il suffisait de voir le temps qu’elle prenait pour trouver un emploi à ce jeune dont elle lui avait parlé précédemment. « Ça fait environ un et demi. J’ai tendance à changer régulièrement de job, quand je change d’envie, ou quand je vois une opportunité intéressante. On peut dire que j’ai plutôt la bougeotte. » lui avait-elle alors confié, provoquant chez Tommy un brin de surprise. Et sans doute un peu d’envie, car pouvoir changer de boulot au gré de ses envies n’était pas donné à tout le monde … et dieu sait que lui ne pouvait pas se le permettre. « Mais oui, j’adore ce job. J’aime me sentir utile, aider les jeunes, tenter de réparer des erreurs commises dans le passé pour essayer de leur offrir un meilleur avenir. » Consciencieuse et visiblement intarissable lorsqu’on la lançait sur le sujet, elle s’était en effet laissée emporter par son enthousiasme avant de nuancer, néanmoins : « Après, je sais que je ne ferai pas ça toute ma vie. C’est un métier très prenant, qui demande beaucoup de temps. Je dois être joignable pour les jeunes même le week-end, en cas de besoin. Et je fais énormément d’heures supplémentaires pour leur trouver une formation ou des intervenants pour venir expliquer leur job aux volontaires. Bref, je commence un peu à fatiguer quand même, mais je n’ai pas encore d’autre piste. » Cela semblait tellement simple quand elle en parlait, se donner à fond, et partir vers de nouveaux horizons dès qu’elle sentait le vent tourner. « C’est tout à ton honneur. De t’investir autant, je veux dire … Les gens qui font ton métier ne se donnent pas tous autant de mal. » Réalisant un peu tard que cette remarque pouvait le mettre dans une position inconfortable, il s’était aussitôt éclairci la gorge pour ajouter « J’ai des collègues qui … ont été dans cette situation. Alors je vois un peu comment ça se passe. » Demi-mensonge, mais il faudrait s’en contenter car elles étaient encore trop rares, les personnes avec qui Tommy se sentait suffisamment en confiance pour mettre cartes sur table quant à ses propres erreurs … Même Lene et Dimitri n’avaient toujours pas ce privilège. Le retour de la serveuse avait interrompu à nouveau la conversation, et levant l’un et l’autre leur verre ils avaient trinqué. « À Dimitri et à ses idées pas toujours foireuses ! » Ne voyant pas bien ce que Dimitri venait subitement faire dans la discussion, Tommy avait affiché un air un brin surpris lorsqu’Helena avait ajouté « Ça fait longtemps que mon frère t’a donné mon numéro et a tenté d’arranger un rencard ? Je dois avoir le tien depuis 3-4 mois, et Dimitri n’a pas tari d’éloges à ton sujet … » et seule l’irruption totalement inopinée d’Elizabeth lui avait permis de cacher la teinte de rouge venue immédiatement colorer ses joues. « Salut Tommy, ça va ? » Uhoh.

Comme s’il s’attendait à y trouver une explication à l’apparition inexpliquée de sa sœur aînée dans ce bar, le brun avait regardé de chaque côté d’un air machinal puis s’était enfoncée un peu plus contre le dossier de sa chaise. Si Beth s’imaginait le surprendre en plein rencard – et évidemment qu’elle le ferait – il n’avait pas fini d’en entendre parler … Pourvu qu’elle n’ait pas l’idée de cafter auprès de Scarlett. « Bonjour, je suis Elizabeth Warren, la sœur de Tommy. » Son frère manquant décidément à tous ses devoirs, la brune n’avait eu d’autre choix que de se présenter elle-même, et à cet instant seulement Tommy avait-il retrouvé ses esprits et s’était éclairci la gorge « Pardon, oui. Helena, ma sœur – Beth, Helena. » Inutile de la présenter comme la sœur de Dimitri, pour la simple et bonne raison qu’Elizabeth était assez peu au fait de qui étaient les amis de Tommy à l’heure actuelle. « Qu’est-ce que tu … qu’est-ce que tu fais là ? » Dans un bar ? Les options étaient peu nombreuses et la question pas vraiment pertinente, en réalité. « Je devais retrouver quelqu’un mais on dirait bien que je me suis faite poser un lapin. » Oh. « Oh. » Oh. Le silence de quelques secondes qui s’en était suivi et qu’aucun des trois jeunes gens n’avait voulu briser le premier avait ajouté encore un cran dans le malaise, et finalement ce fut Beth qui se dévoua « Bon ben … je vous souhaite une bonne soirée. Ravie de vous avoir rencontrée Helena. A bientôt peut-être. » Elle prenait définitivement cela pour un rencard, plus aucun doute possible. Et en même temps n’y avait-il pas que Tommy pour ne pas avoir compris plus tôt qu’il s’agissait effectivement de cela ? « Merci. Bonne soirée à toi aussi … Je veux dire, rentre bien. » S’il avait pu s’enfoncer plus bas encore le brun l’aurait probablement fait, et tandis que sa sœur tournait les talons et quittait le Canvas il n’avait pu s’empêcher de grimacer un peu en reposant les yeux sur Helena. « Ok. C’était un peu bizarre. » Et comment. Comme si l’information transitait enfin entièrement jusqu’à son esprit, il avait repris d’un air un brin renfrogné « J’espère que le type qui lui a posé un lapin finira par apprendre ce qu’il perd. » Quelle espèce d’imbécile obtenait un rencard avec quelqu’un comme Beth et préférait lui faire faux bond ? « Pardon, c’était … On en était où ? » Au fait que Dimitri avait tenté en douce d’arranger un rencard entre Helena et lui, alors même qu’il l’avait utilisé comme assurance pour échapper aux rencards foireux que son autre sœur arrangeait pour lui. « Désolé, j’espère que ton frère ne t’a pas trop bassiné avec moi … » S’il n’avait pas tari d’éloges il en avait probablement rajouté, et ça cela n’arrangeait jamais les affaires de Tommy qui, dans la réalité, pensait n’avoir rien de très intéressant à offrir.

Spoiler:

S’il enviait un peu la candeur d’Helena, Tommy se savait dans l’obligation de garder les pieds sur terre … Et dans le cas où il oublierait de le faire, les galères qui se dressaient régulièrement sur sa route professionnellement parlant ne manquaient pas de le lui rappeler. Il ne faisait pas un métier qu’il aimait, soit, et si l’occasion lui était donnée de trouver mieux – et aussi bien payé – ailleurs il sauterait probablement dessus sans hésiter, mais pour l’heure il n’était pas en position de faire la fine bouche et ne pouvait que regretter en silence cette époque où il faisait quelque chose qui, sans le passionner, lui donnait l’impression d’être dans son élément. Dans une autre vie, comme il avait fini par le faire remarquer à la jeune femme, curieuse. « Parfait ! C’était quoi ? Pourquoi ne pas refaire la même chose ? Ou bien pourquoi ne pas faire quelque chose s’en approchant. » S’interrompent le temps d’une gorgée de vin, elle avait repris avec enthousiasme sans que Tommy ne songe à la coupe dans son élan. « Ce qu’il faudrait, c’est trouver ce qui te plaisait et ce qui ne te plaisait pas dans ce job. Ensuite, on pourrait en chercher des choses similaires, regroupant les différents aspects qui t’attiraient. Je pourrais t’aider ! Après tout, c’est mon boulot ! » Un brin mal à l’aise, il avait resserré ses doigts autour de son verre de bière et s’était éclairci la gorge, fataliste quant à sa situation professionnelle mais pas pour autant disposé à laisser les autres remuer le couteau dans la plaie. « Et je suis sûr que tu le fais très bien, mais on n’est pas vraiment là pour moi ... » Saisissant son trouble, la jeune femme avait vu ses joues rosir et bafouillé aussitôt « Désolée, j’ai tendance à m’emballer très rapidement … Je ne veux pas … être intrusive. C’est juste que … je suis quelqu’un de très positif, et j’adore aider les gens. » Forçant un sourire pour tenter de dissiper le malentendu, Tommy avait bu une gorgée pour se donner une contenance puis renvoyé la balle en questionnant Helena sur son métier pour mieux éloigner la conversation de sa propre personne. Tous les deux avaient cependant été interrompus par l’intrusion inopinée de la sœur aînée de Tommy, une tuile pour le brun habitué à très peu mélanger sa famille avec le reste de ses préoccupations, pour s’éviter tous jugements indésirables ou déconvenues diverses.

Heureusement (ou malheureusement) Elizabeth ne s’était pas attardée longtemps, et si le brun en avait profité pour bougonner à propos de celui qui avait osé poser un lapin à sa sœur il ne s’était pas appesanti trop longtemps sur la question et avait tenté l’air de rien de reprendre le fil de leur conversation … Mais comble de l’ironie, le frère d’Helena s’était à son tour invité dans la conversation et Tommy osait espérer que Dimitri n’en avait pas trop dit à son sujet. Il peinait déjà à faire bonne impression à lui seul, et lorsque sa réputation le précédait c’était rarement pour le mieux. « Est-ce que tu me croiras si je te dis que Dimitri a été subtil ? » avait pourtant questionné la brune, de façon totalement rhétorique. « Il m’a proposé ton numéro, j’ai refusé, comme je le fais maintenant depuis quelques temps pour éviter des rendez-vous désastreux. » Dimitri ne manquait tout de même pas de culot, après le nombre de fois où il s’était plaint des rencards désastreux qu’avaient arrangé ses deux sœurs pour lui. « Contrairement à d’habitude, il n’a pas insisté. Il n’a plus parlé de toi pendant quelques temps. Puis, au fur et à mesure, tu es apparu dans nos conversations. Ça c’est fait progressivement, d’abord des « ha comme Tommy », puis plus régulièrement et de manière plus … poussée. » Voyez-vous cela. « Il a gagné, j’ai eu envie de te rencontrer. Et je ne regrette pas. » Piquant un fard, mais avec contrairement à elle l’avantage de la barbe pour en camoufler les effets, il n’était parvenu à répondre qu’un « Oh, bah je, heu … » sans queue ni tête et la proposition que lui avait finalement fait Helena avait terminé de lui faire perdre tous ses moyens. « Est-ce que … est-ce que tu voudrais aller dîner ? Je veux dire, maintenant ? Avec moi ? » Maintenant ? Avec elle ? Court-circuitant son esprit, la proposition avait laissé Tommy interdit et réalisant un peu tard qu’il ouvrit la bouche comme un poisson sorti de l’eau il s’était empressé de la refermer en marmonnant « Je-je ne sais pas, maintenant c’est … J’ai dit à ma fille que je serais rentré pour dîner, et puis je … » Et puis elle le prenait un peu au dépourvu, surtout, et le brun perdait facilement ses moyens dès lors qu’on le brusquait trop loin de sa petite zone de confort. « Plutôt une prochaine fois ? » Était-ce la gêne que lui provoquait la tournure de la conversation qui le mettait dans cet état, ou bien était-ce simplement sa bière qui lui restait sur l’estomac ? « Tu … tu me tiendras au courant, pour le boulot ? Pour le jeune que tu aides, j’veux dire. » La bière, ou alors plutôt la crainte qu’elle ne se sente à nouveau investie d’une mission concernant sa vie professionnelle à lui aussi … C’était stupide, cela n’avait pas lieu d’être, mais la maladresse d’Helena un peu plus tôt dans la conversation peinait à se dissiper, et sa crainte d’essuyer de nouvelles remarques à ce sujet prenait le pas sur le reste. T’as vraiment un souci, mon vieux.