La curiosité est un bien vilain défaut - @Leena Maddox
Le moteur de ma moto était encore en train de tourner alors que j'étais arrivé depuis une quinzaine de minutes face à ce que je reconnaissais être les locaux de l'association pour laquelle j'avais fait le déplacement. J'avais toujours eu à coeur de m'investir pour des causes qui me semblaient juste lorsque j'étais encore lieutenant de police mais les choses avaient bien changé maintenant. Et pourtant mon envie ne s'était pas amenuisée, bien au contraire et j'avais jeté mon dévolu sur cette association qui venait en aide aux femmes victimes de violences conjugales. Ce type de violence créait souvent le débat au sein même d’un groupe d’amis, d’une famille ou dans les mœurs. La généralisation n’était pas quelque chose que j’appréciais et pourtant pour grand nombre de personnes, l’homme est souvent ramené à sa position d’animal dans l’Origine évolutive de l’Homme. Non je n’étais pas de ceux qui pensaient qu’une femme avait « mérité » son sort, bien au contraire, ni même qu’une tenue trop courte au bon ressenti de chacun était un prétexte pour que cette dernière soit battue. J’avais eu trop souvent l’occasion de ramasser des corps de femmes meurtris, et bien souvent le premier suspect était le mari dans ce genre d’affaires.
Mais aujourd’hui, je n’étais pas là pour « nettoyer » l’honneur ou le souvenir de défunte mais bel et bien aidé celles qui avaient eu le courage de pousser ces portes, d’appeler à l’aide et de les guider dans ce qui n’est ni la normalité, ni acceptable, peu importe la propagande faite dans leur domicile. Je décidais enfin de couper le contact, retirant mon casque que je calais sous mon bras, avant de m’avancer vers ce que je devinais être le hall d’accueil. Je n’avais pas appelé, je n’avais même pas pris quelques renseignements avant de me déplacer. Généralement, ils ne refusaient pas un peu plus d’aides. Puis ce n’était pas la première fois que je venais dans ces lieux et la dernière fois, ma plaque était encore accrochée à ma ceinture. Je décidais d’attendre quelques instants dans le hall vide, puis appuya sur la petite sonnette qui trônait sur le rebord de la table, attendant patiemment. Une jeune femme traversa l’encadrement des portes, accompagnées d’une autre femme qui semblait meurtrie et pourtant rassurée d’avoir eu un minimum d’écoute de la part de celle pour laquelle mon instinct m’hurlait que je la connaissais. Je m’appuyais contre le mur en pierre, tourné vers la bénévole qui venait de refermer la porte derrière elle. Nous étions seuls dès à présent, et je décidais de m’approcher à mon tour d’elle. « Bonjour, excusez moi, je suis Monsieur Weddington, je souhaiterais… Parler au président de cette association si c’est possible » demandais-je en retirant ma casquette pour la saluer, un léger sourire aux lèvres. J’aurais pu rajouter les raisons de ce souhait, mais il valait mieux s’entretenir avec Dieu plutôt qu’avec ses saints, comme me répétait souvent mon père.
Mon regard passait de haut en bas sur la silhouette de la jeune femme, ne cachant pas mon instant de réflexion pour tenter de remettre un nom sur un visage. Le problème c’est qu’à ce petit jeu là j’étais le plus mauvais. Je ne me rendis même pas compte du soupir que je venais d’échapper, le comprenant en apercevant sa réaction quelque peu surprise. Si j’étais en train de chercher dans mes lointains souvenirs le contexte de notre première rencontre, il était possible qu’elle en fasse de même. J’haussais un sourcil, grattant ma barbe par stupide réflexe. « Nous nous sommes déjà vus n’est-ce pas ? Je… Cela fait longtemps que vous êtes ici ? » demandais-je en montrant le hall d’un mouvement circulaire de mains. « Je suis déjà venu mais dans un autre contexte » avouais-je sans vouloir entrer plus dans les détails.
J’étais d’un naturel discret et réservé, et n’appréciais pas faire effet de mon passé pour pouvoir justifier mes actes présents. Alors si je pouvais éviter de sortir ma carte d’ancien officier de police, cela m’arrangerait. Mais en attendant, j’allais devoir surtout résoudre une autre équation : Comment pourrais-je aider ?
❝ la curiosité est un bien vilain défaut ❞ KEITH & LEENA
Leena traversa les lourdes portes du bâtiment à vive allure, manquant de bousculer deux hommes qui en sortaient. « Excuse-moi, Joelle, je suis pas en avance » lança-t-elle d'un air désolé, mais sourire aux lèvres, à la femme âgée qui se tenait derrière la table qui leur faisait office de réception. Leena savait que Joelle ne la portait pas dans son cœur, surtout depuis qu'elle avait décidé de quitter l'association, il y a quatre ans de ça ; et elle n'avait aucunement envie que celle-ci commence à la blâmer pour son retard. Leena fila à travers les couloirs, puis finit par pénétrer dans une salle où l'attendait déjà son ancienne collègue, Mary, ainsi qu'une femme à l'air dépité. « Bonjour, je suis Leena. Excusez-moi du retard » se présenta-t-elle rapidement en tendant une main amicale à cette dernière. La brisbanienne posa ses affaires dans un coin de la pièce, en vrac – comme d'habitude – et s'installa aux côtés de Mary. Elle détestait arriver en retard, surtout dans ces circonstances. Mais depuis qu'elle avait décidé de cumuler le bénévolat ici et son travail dans son autre association, cette situation devenait de plus en plus régulière. Leena avait quelques difficultés à jongler entre tous ses engagements, mais elle les tenait, malgré tout – au prix de quelques heures de sommeil en mois.
Leena passa l'heure à écouter, avec attention, le récit de la jeune femme, tout en prenant des notes, tandis que Mary s'occupait de poser les questions. La procédure ressemblait un peu à un interrogatoire, mais c'était la méthode que l'association trouvait la plus efficace pour récupérer les témoignages des victimes. En petit comité, avec une personne désignée à consigner sur papier le terrible récit, et une autre s'occupant exclusivement la femme qui avait décidé de se tourner vers eux pour mettre fin à son calvaire. En temps normal, le bénévolat de Leena consistait surtout à tenir le centre d'appel après dix-huit heures, quand l'équipe de jour finissait ses heures et en attendant que l'équipe de nuit prenne la relève. Mais dans certains cas exceptionnels, quand il y avait trop d'employés absents, il arrivait à Leena d'être affectée à d'autres tâches. Ce n'était pas sans lui rappeler les quelques années qu'elle avait passé ici, à se donner corps et âme pour ces femmes. Et même si elle chérissait son nouvel (quoi que pas si nouveau depuis le temps) emploi, elle repensait à cette époque avec une certaine nostalgie .
Une fois le témoignage recueillie, Mary et Leena raccompagnèrent la jeune femme à l'entrée, la gratifiant de quelques encouragements. « Je te vois demain ? » lança Mary en attrapant ses affaires. Leena hocha la tête en signe d'acceptation. Joelle était partie depuis un certain temps, et la brune s'apprêtait à partir au centre d'appel voir si ils avaient besoin d'un coup de main quand elle entendit les portes du bâtiment s'ouvrir. Bizarre, car selon le carnet de Joelle, il n'y avait plus de rendez-vous pour la journée. Un homme, au visage étrangement familier, s'approcha d'elle. « Bonjour, excusez moi, je suis Monsieur Weddington, je souhaiterais… Parler au président de cette association si c’est possible » Elle eut un moment d'absence, concentrée sur ce sourire, ce regard, qu'elle était persuadée d'avoir déjà rencontré. Avant de reprendre rapidement ses esprits. « Euh... oui, malheureusement elle vient de partir. Mais je peux peut-être vous renseigner ». L'inconnu semblait lui aussi perturbé par cette rencontre ; Leena pouvait sentir son regard peser sur elle, la détailler. « Nous nous sommes déjà vus n’est-ce pas ? Je… Cela fait longtemps que vous êtes ici ? Je suis déjà venu mais dans un autre contexte » Leena plissa légèrement ses yeux, comme si cela lui aurait permis de mieux rassembler ses souvenirs. « J'ai travaillé ici jusqu'en 2016, et j'y suis toujours en tant que bénévole. Si vous êtes journaliste... » Sa mémoire tournait à vive allure. « Weddington ? Ça ne me rappelle rien... » "Dans d'autres circonstances"... que voulait-il dire ? Il n'était pas un agresseur, quand même, qui était venu au centre pour tenter de se faire pardonner pour ses méfaits ? « Qu'est-ce que je peux faire pour vous, monsieur Weddington ? » demanda-t-elle d'un ton neutre, priant intérieurement pour que sa première réflexion soit erronée.
La curiosité est un bien vilain défaut - @Leena Maddox
Je détestais quand ma mémoire me jouait des tours de la sorte, et même si je savais que je n’étais pas le plus physionomiste, je voulais m’efforcer à mettre un nom sur ce visage qui me semblait familier. Et à en croire par le moment d’absence qu’elle eut quand je m’approchais d’elle, je compris que la réciprocité était réelle, me rassurant dans le fait que je n’hallucinais pas encore. Je grimaçais en comprenant que ma visite à l’improviste était probablement vaine. Je repoussais d’un signe de main amical sa proposition, n’étant pas persuadé qu’elle puisse réellement m’aider. « Je… Vous avez une carte de visite ? Que je puisse la contacter ? Je ne voudrais pas vous déranger, je souhaitais simplement pouvoir discuter avec… » Je m’arrêtais quelques instants en la sentant me détailler comme si cela lui permettrait de remettre un nom sur mon visage. Je croisais les bras, penchant la tête légèrement sur le côté pour tenter de la ramener à la réalité. Mais son cerveau à priori allait bien plus vite que le mien. J’écarquillais les yeux, levant une main dans sa direction pour la stopper dans toutes ses interrogations, m’arrachant même un léger rire. « Vous ne manquez pas de vivacité dites-moi… » relevais-je en reposant ma main levée dans la poche de mon jean. « Je ne suis pas journaliste… Je déteste même ces vipères… » avouais-je d’un ton plus léger sans pour autant répondre à ses interrogations. « Mais je vous confirme que si vous avez travaillé ici jusqu’en 2016, nos chemins se sont déjà croisés Madame… ? »
Je m’étais arrêté dans l’espoir que la demoiselle puisse me donner son nom pour rendre les choses plus équitables entre nous. Je décidais de m’avancer vers la porte d’où était sortie la jeune femme quelques minutes auparavant. « Vous me faites visiter ? » lui demandais-je en poussant la porte pour la laisser passer. « Je voudrais me rendre utile » lui avouais-je pour l’encourager à passer le seuil de la porte et à lui montrer ma bonne volonté. « C’est une cause qui me tient beaucoup à cœur et même si un homme est souvent apparenté à un agresseur entre ces murs, je voudrais montrer que le stéréotype n’est pas un moyen de survie. » repris-je dans un léger sourire. « J’ai bien plus à apporter qu’une voix rauque et une carrure imposante, croyez-moi. » Je lui adressais un sourire. J’étais prêt à faire n’importe quelle tâche en attendant de pouvoir mettre mes connaissances à profit. Car oui, je connaissais le milieu judiciaire et l’incapacité qu’avait généralement les forces de l’ordre pour coffrer ces malfrats. Et ce fonctionnement hérissait mes poils, surtout quand, à l’époque, je faisais partie de l’équipe qui ramassait les corps ensanglantés de femmes qui avaient pourtant tirer la sonnette d’alarme. « Dites moi en quoi je pourrais bien vous aider. Vous qui connaissez le centre avait probablement des choses à me raconter sur son fonctionnement non ? » demandais-je curieux. J’avais besoin de savoir où je mettais réellement les pieds mais je n’étais pas prêt pour répondre à certaines questions comme celles qui pouvaient me ramener à mes anciennes fonctions.
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Leena le connaissait, elle en était bien persuadée. Cette carrure, ce maintien, droit et altier... Elle l'avait déjà vu au centre, cela ne faisait pas de doutes. Mais elle était bien incapable de le replacer, et, dans un élan de panique qui, elle l'espérait, était infondé, la jeune femme se mit même à espérer qu'il n'était pas un de ces agresseurs qui venaient parfois ici essayer de faire leur mea culpa. Malgré ses incertitudes, Leena fit preuve de la politesse la plus professionnelle, et l'accueillit comme il se devait. Son identité lui reviendrait probablement plus tard. « Je… Vous avez une carte de visite ? Que je puisse la contacter ? Je ne voudrais pas vous déranger, je souhaitais simplement pouvoir discuter avec… » lui demanda-t-il en constatant l'absence du chef de la structure. Leena lui répondit avec ce sourire dont elle ne se départissait que rarement. « Oh, ne vous inquiétez pas, on peut voir tout ça ensemble. À vrai dire, pour des bénévoles, ce n'est pas elle qui s'occupe de tout ça ». Et peut-être n'en avait-elle pas l'air, mais Leena était tout à fait apte à accueillir les nouveaux bénévoles, depuis le temps qu'elle travaillait ici. Étant elle-même bénévole, elle savait bien ce qu'il fallait dire – et ne pas dire. « Vous ne manquez pas de vivacité dites-moi… Je ne suis pas journaliste… Je déteste même ces vipères… » continua-t-il avec un léger rire, apparemment amusé par le caractère jovial de la jeune femme. Le sourire de la jeune femme se figea un peu après sa dernière remarque. Elle n'était pas vraiment d'accord avec lui, surtout que la publicité que les journalistes avaient fait en écrivant sur les actions du centre leur avait permis de faire connaître leur action au plus grand nombre, et in fine, de venir en aide à davantage de femmes. Mais Leena décida que ce n'était pas le moment de se mettre à débattre avec un inconnu, aussi se contenta-t-elle de lui sourire poliment, sans mot dire. « Mais je vous confirme que si vous avez travaillé ici jusqu’en 2016, nos chemins se sont déjà croisés Madame… ? » « Maddox. Mais tout le monde m'appelle Leena, c'est probablement comme ça que je me suis présentée à vous, si nous nous sommes croisés ». La brisbanienne n'était pas une grande adapte des formalités officielles. Contrairement à l'homme qu'elle avait en face d'elle, qui semblait davantage à cheval sur ça qu'elle.
« Vous me faites visiter ? Je voudrais me rendre utile » Leena hocha la tête et ouvrit la porte, le faisant pénétrer dans la salle où elle avait écouté, quelques instants plus tôt, la terrible histoire de cette femme. Ces pièces avaient entendu beaucoup de récits plus sordides les uns que les uns, pensa-t-elle tristement. Et ce monsieur Weddington semblait bien déterminé à en apprendre davantage sur le centre. « C’est une cause qui me tient beaucoup à cœur et même si un homme est souvent apparenté à un agresseur entre ces murs, je voudrais montrer que le stéréotype n’est pas un moyen de survie. J’ai bien plus à apporter qu’une voix rauque et une carrure imposante, croyez-moi. » Leena fut presque surprise de le voir lui adresser un petit sourire, tant il semblait formel dans ses paroles. Elle aurait presque mis sa main à couper qu'il avait une profession très sérieuse, peut-être un juge ou quelque chose dans le genre. Son jargon lui rappelait étrangement celui d'un policier, et il semblait avoir cette droiture caractéristique de la profession. « Dites moi en quoi je pourrais bien vous aider. Vous qui connaissez le centre avait probablement des choses à me raconter sur son fonctionnement non ? » Continua-t-il. Leena se racla la gorge doucement. « Alors, ce centre repose sur deux forces majeures : les salariés, qui ont tous des formations particulières, que ce soit en travail social, en psychologie, en droit, etc, et les bénévoles. Pour être bénévole, il suffit simplement d'être motivé, pas besoin d'avoir des compétences particulières, même si selon les expériences et les caractères, il est possible qu'un bénévole soit affecté à une tâche plutôt qu'à une autre » expliqua-t-elle. « Il faut surtout que les bénévoles aient une bonne capacité d'empathie et qu'ils aient envie d'aider. Ce qui est votre cas, j'ai l'impression ». Elle lui adressa un sourire franc. Elle ne doutait pas de sa motivation, vu son discours. « Ici, nous nous trouvons dans une des salles où nous recueillons les témoignages des femmes qui viennent nous voir pour la première fois. Avant, on faisait ça ailleurs, mais ici, ça nous permet d'être en petit comité et c'est généralement beaucoup moins stressant pour elles ». Elle fit une pause de quelques instants, afin que Weddington puisse examiner l'endroit. « Est-ce que vous avez des compétences particulières dans un domaine ? Selon le métier que vous faites, peut-être qu'un poste vous conviendra mieux qu'un autre ». Leena passa une main dans ses cheveux bruns. « Nous sommes particulièrement en recherche de bénévoles ayant une quelconque connaissance du milieu judiciaire et juridique, parce que c'est un point que l'on aimerait développer. Les victimes ne portent pas toujours plainte parce qu'elles n'ont pas confiance dans le système, et nous sommes à la recherche de nouvelles idées pour mieux les accompagner dans ces procédures ».
La curiosité est un bien vilain défaut - @Leena Maddox
Il y avait toujours ce genre de moment que l’on considérait comme déjà vécu et qui tracassait notre esprit à la recherche – bien souvent vaine – de moment qui n’était probablement qu’illusion face à la réalité que l’on traversait. Cette sensation de déjà vu me travaillait bien plus que de raison et pourtant j’avais beau essayé de comprendre d’où ces traits si fin, ce regard enfantin et ce sourire angélique venaient. J’en avais même oublié le temps d’un instant la raison première de ma visite dans ce centre. Je n’étais pas l’abbé Pierre certes mais j’avais toujours eu une part de moi qui souhaitait aider les autres. C’était peut-être l’éducation bienveillante que m’avait fourni ma mère qui m’avait donné ce côté si charitable que je cachais bien loin derrière cette droiture extrême héritée de mon père. J’étais donc de ceux qui étaient considérés comme des hommes de glaces à la paroi infranchissable. Bien loin de cette jovialité qui échappait la jeune femme quand cette dernière m’apprit qu’elle s’occuperait de ma visite du jour. Joie… « Alors si cela s’avère être dans vos cordes… Allons-y » répondis-je en écartant les bras de mon corps comme pour lui montrer mon acceptation presque à contre cœur.
Je semblais avoir fait mouche en abordant le sujet des journalistes et peu enclin à lancer un débat sur le bon ou mauvais côté des journalistes. Je n’étais pas là pour débattre, ni pour commencer à me faire remarquer dans un endroit que je comptais bien fréquenter régulièrement. Je fus même soulagé de voir que même Leena – du prénom qu’elle m’indiquait pour donner suite à son silence – ne voulait pas elle-même emprunter ce chemin dangereux. Je restais quelques instants pensifs, essayant de rassembler ce prénom à un quelconque de mes souvenirs. En vain une fois de plus, même si la sensation de la connaître se renforcer encore plus en moi. « Je suis désolé… Je ne suis pas le plus physionomiste des habitants de Brisbane… Appelez-moi Keith » rajoutais-je bien conscient que la condescendance n’était pas une façon d’être bien vu. J’allais devoir me débrider à un moment donné, même si ce côté vieux jeu et procédurier me donnait un petit côté mystérieux que j’appréciais entretenir.
Je suivais donc les pas de Leena, ne manquant pas d’observer chacun des recoins de l’établissement, de l’issue de secours à la largeur des portes en passant par la présence ou non de caméra de surveillance. Déformation professionnelle que je ne pouvais cacher, mon regard se baladant de droite à gauche et de haut en bas avant de se poser quelques instants sur le visage de la jeune femme, un léger sourire en coin. « De la motivation donc ? Il y a beaucoup de salariés entre ces murs ? » demandais-je en montrant la pièce d’un mouvement circulaire de la main. « Avoir envie est une chose, se donner la peine en est une autre. » lui fis-je remarquer en m’avançant dans le centre de la pièce qu’elle venait d’ouvrir. « Concernant les victimes… Que leur garantissez-vous en venant ici ? C’est bien beau de leur proposer de l’empathie et une oreille… Mais bien souvent, l’écoute, les proches leur offrent. » repris-je comme si je connaissais parfaitement le sujet, acquiesçant presque étonné de la qualité de la pièce qui nous accueillait. « C’est vrai qu’un endroit plus confidentiel est souvent propice aux confidences, moins impressionnant. Vous faites les entretiens de façons individuelles ou sous format de réunion ? » demandais-je, curieux de comprendre parfaitement le fonctionnement.
Je me tournais finalement vers la jeune femme, un regard interrogateur, hésitant avant de répondre à sa question. Dévoiler mon ancien métier serait probablement le plus judicieux pour justifier ma présence dans ces lieux, surtout que ma démarche devait probablement me trahir depuis mon entrée dans cet établissement. « Je suis fraîchement devenu professeur à l’université de Brisbane. Sciences et psychologies criminelles. » complétais-je en croisant mes bras contre mon torse. Après tout, il était peut-être temps de remettre en condition notre possible première rencontre. « Je suis un ancien lieutenant de la crim… J’ai vu ce que le silence pouvait causer à ces femmes. Trop de féminicides que j’ai dû élucider. Alors en effet, je ne serais peut-être pas le plus doué pour compléter des dossiers administratifs… Mais je connais parfaitement le système, ses failles et ses forces. Je ne peux pas garantir que ma présence puisse leur redonner foi dans le système judiciaire… » finissais-je en me stoppant, perdu dans mes pensées une fraction de seconde, puis je repassais devant la jeune femme, sortant de la pièce pour revenir dans le grand couloir, tournant la tête à droite puis à gauche, avant de me retourner de nouveau vers elle. « Mais si je peux leur apporter le peu de courage manquant à leur démarche de dépôt de plaintes, j’en serais honoré. Je suis venu ici il y a quatre ans pour une affaire d’homicides… Une femme qui venait régulièrement ici… Une terrible affaire. » lâchais-je d’une voix totalement détachée. « Et je préférerais que cela ne se reproduise plus, mais vous comme moi, Leena, savons que malheureusement le combat est bien loin d’être gagné. » souriais-je presque déçu par cette réalité. « Nous continuons ? » lui demandais-je en indiquant le couloir qui se trouvait derrière moi d’un signe du pouce. « Peut-être aviez-vous prévu autre chose de votre temps ? Et je suis désolé d’être un contre-temps… Je pourrais repasser plus tard si vous le souhaitez… Ou alors rester dans un coin si une réunion doit avoir lieu… Je sais me montrer discret et silencieux rassurez-vous » ironisais-je, légèrement gêné.
A vrai dire, je voulais surtout ne pas déranger et continuer ma phase d’observation.
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« Alors si cela s’avère être dans vos cordes… Allons-y » La visite commença. Leena écoutait ce Mr. Weddington parler, sans l'interrompre – bien qu'elle ne soit pas tout à fait d'accord avec ce qu'il disait. Elle s'amusait presque de toute sa formalité ; bien l'inverse d'elle. Leena n'était pas du genre à s'embêter en politesse, elle n'aimait pas qu'on l'appelle « madame », qu'on se réfère à elle par son nom de famille. Mais elle n'était pas là pour ça ; elle était là pour accueillir celui qui pourrait être un nouveau bénévole du centre, et au delà des différences de caractère, elle appréciait la motivation dont l'inconnu semblait faire preuve. « Je suis désolé… Je ne suis pas le plus physionomiste des habitants de Brisbane… Appelez-moi Keith » ajouta-t-il doucement. Le mystère ne faisait que s'épaissir davantage ; maintenant que Leena était persuadée de le connaître, il était encore plus enrageant de ne pas réussir à mettre le doigt sur son identité. Elle avait pourtant son nom complet, Keith Weddington, et son physique. Leena lui sourit et continua la visite. Très professionnelle malgré les circonstances – l'heure tardive, et cet inconnu qui ne l'était pas tout à fait -, Leena s'appliqua à lui expliquer le fonctionnement du centre. Keith observa longuement la salle, en détail, ce qui ne fit que conforter les soupçons de Leena quant à une possible profession dans les forces de l'ordre. Ou alors était-il simplement quelqu'un de très observateur. « Concernant les victimes… Que leur garantissez-vous en venant ici ? C’est bien beau de leur proposer de l’empathie et une oreille… Mais bien souvent, l’écoute, les proches leur offrent. C’est vrai qu’un endroit plus confidentiel est souvent propice aux confidences, moins impressionnant. Vous faites les entretiens de façons individuelles ou sous format de réunion ? » Ses questions surprirent la jeune femme. D'ordinaire, les nouveaux bénévoles se montraient moins... critiques envers l'association. Leena eut presque l'impression qu'il remettait en cause la qualité de leur travail. Mais elle ravala ses remarques et tâcha de lui répondre le plus clairement possible. « Les proches sont effectivement d'une très grande aide. Mais ici, nous leur offrons plus qu'une écoute ; nous leur offrons un véritable soutien, par des psychologues professionnels, et un suivi socio-juridique, avec des travailleurs sociaux qualifiés et des conseillers juridiques. Et il y a aussi des groupes de soutien organisés avec d'autres femmes ayant été victimes de violences elles aussi et qui témoignent de la façon dont elles s'en sont sorties ». La jeune femme n'aimait pas tellement devoir justifier du travail de son équipe. Tout allait bien au delà de la simple écoute. « Les entretiens se font individuellement, généralement avec deux personnes de l'équipe. Mais nous invitons les femmes à prendre contact entre elles, à se soutenir mutuellement. C'est important de s'entraider, surtout qu'elles sont les mieux placées pour comprendre ce que l'autre vit ».
Leena lui présenta ensuite les différents types de bénévolats, toujours aussi sérieusement – si ça n'avait tenu qu'à elle, la visite aurait été beaucoup plus souple et informelle, mais elle sentait que Keith Weddington n'était pas ce genre d'homme. « Je suis un ancien lieutenant de la crim… J’ai vu ce que le silence pouvait causer à ces femmes. Trop de féminicides que j’ai dû élucider. Alors en effet, je ne serais peut-être pas le plus doué pour compléter des dossiers administratifs… Mais je connais parfaitement le système, ses failles et ses forces. Je ne peux pas garantir que ma présence puisse leur redonner foi dans le système judiciaire… » Leena haussa les sourcils. Elle ne s'attendait pas du tout à ça. Un ancien lieutenant, voilà qui pouvait en faire un sacré bénévole, hautement qualifié pour toutes les tâches liées au suivi judiciaire. Tout d'un coup, la première image négative que la jeune femme avait pu avoir sur lui s'envola. « Mais si je peux leur apporter le peu de courage manquant à leur démarche de dépôt de plaintes, j’en serais honoré. Je suis venu ici il y a quatre ans pour une affaire d’homicides… Une femme qui venait régulièrement ici… Une terrible affaire. Et je préférerais que cela ne se reproduise plus, mais vous comme moi, Leena, savons que malheureusement le combat est bien loin d’être gagné. » Leena hocha la tête. « C'est certain. Mais c'est super que vous soyez intéressé. Et effectivement, vous pourriez nous être d'une aide précieuse. Vu votre statut, vous devez connaître parfaitement les rouages du système, et vous pourriez beaucoup nous aider. C'est vraiment ce qui fait défaut : les femmes n'osent parfois pas porter plainte par méconnaissance des procédures. Donc si vous pouviez les éclairer... ». Leena était aux anges. Il correspondait parfaitement au type de bénévole qui manquait à l'association. Quand Mary apprendrait ça...
« Nous continuons ? » lui dit-il, la faisant sortir de ses pensées. « Avec plaisir ». Elle ouvrit la porte, traversa rapidement le couloir et ils pénétrèrent dans une grande pièce, où se trouvait plusieurs canapés, chaises, tables et machines à café en tout genre. « Peut-être aviez-vous prévu autre chose de votre temps ? Et je suis désolé d’être un contre-temps… Je pourrais repasser plus tard si vous le souhaitez… Ou alors rester dans un coin si une réunion doit avoir lieu… Je sais me montrer discret et silencieux rassurez-vous » Leena lui sourit doucement. Après ce qu'elle venait d'apprendre, il aurait pu lui demander la lune qu'elle se serait exécutée sans broncher. « Non, non, ne vous inquiétez pas, je n'ai rien de prévu. Et je me doute que vous ne devez pas avoir beaucoup de temps libre, avec votre travail ». Elle se retourna ensuite, laissa quelques minutes à Keith pour qu'il puisse observer l'endroit. « Ici, c'est une des pièces où nous organisons les groupes de soutien. Nous invitons les femmes, une fois qu'elles sont sorties des cercles de violences, à se retrouver ici, pour discuter, se soutenir mutu... ». Leena s'arrêta brusquement et se retourna vers Keith. Elle l'examina un peu plus précisément. Ce maintien altier.... Keith Weddington, lieutenant de la crim'... il avait bien parlé d'une affaire d'il y a quatre ans, une des femmes qui venait ici ? « Keith Weddington ! Je me souviens » dit-elle soudainement, les sourcils froncés. Son cerveau tournait à mille à l'heure. « Cette affaire, il y a quatre ans... c'était Maggie Rogers, n'est-ce pas ? ». Comment avait-elle pu oublier ? Leena n'avait pas pu dormir pendant plusieurs semaines, à l'époque, tant elle avait été bouleversée par cette affaire. Maggie n'avait que vingt-six ans, elle fréquentait le centre depuis plusieurs semaines, cherchait à s'échapper d'une relation violente avec son conjoint. Leena avait traité son dossier, à l'époque, et elle et ses collègues l'avaient fortement incitée à porter plainte pour demander une injonction d'éloignement. Et un jour, ç'avait été le coup de trop. Maggie avait succombé, dans des circonstances atroces. « Je... c'était vraiment terrible. Elle... elle avait refusé de porter plainte ». Replonger dans tous ces souvenirs – cet échec autant professionnel que personnel – bouleversait Leena. « Je me souviens, maintenant. Vous étiez venu nous voir pour l'enquête. Nous avions incité Maggie à déposer une injonction d'éloignement contre son mari, mais elle... elle était encore sous son emprise ». Un petit silence s'installa. Leena replia ses bras contre sa poitrine. « D'où l'importance de gens comme vous. Vous vous y connaissez, vous pouvez leur expliquer à quel point il est primordial de porter plainte. Pour que ce genre d'affaires ne se reproduisent plus ».
La curiosité est un bien vilain défaut - @Leena Maddox
Je préférais entrer dans le vif du sujet que de me voir dans l’obligation de subir tout un tas de banalités et de formalités sans fin, comme si pour devenir bénévoles dans un centre tel que celui-ci nécessitait un C.V et une lettre de motivation en béton. De toute évidence, il fallait être motivé pour pousser la porte et vouloir aider, ça n’en faisait pas de doute. Je regrettais presque de ne pas avoir pu discuter avec la directrice directement, les formalités auraient été écourtées. Mais bon, ayant déjà mis un pied à l’étrier, je ne pouvais plus faire marche arrière avant d’avoir fini le tour du propriétaire et d’avoir obtenu ma première date de bénévolat. Après tout, je n’allais pas avoir subi tout cela pour rien ! Je rêvais en secret d’un burger accompagné d’une bière à la douceur de ma terrasse… Et je me retrouvais à faire les cent pas dans un endroit que je connaissais déjà pour l’avoir inspecté sous tous ses angles. Certes, le cadre était différent et pourtant une fois de plus, j’avais l’impression que les choses avaient déjà été vécues. Cette sensation de déjà-vu ne m’avait pas quitté depuis que j’avais croisé le regard de cette Leena Maddox.
Je tentais de chasser cette intuition, préférant me concentrer sur ce que j’observais et sur les remarques qui me venaient en esprit. Je ne voulais pas révolutionner toute l’utilisation du centre, mais je restais certain que parfois, les remises à neuf et un changement de fonctionnement pouvaient redonner de l’élan à l’association, aux jeunes femmes qui poussaient la porte et aux bénévoles qui s’investissaient. Eviter à tout prix la lassitude. Je compris en me retournant vers la jeune femme et le ton qu’elle employait que penser à voix haute n’avait peut-être pas été la meilleure des idées. « Ne le prenez pas personnellement Leena… J’ai eu plusieurs fois l’occasion de rentrer dans des centres ou des associations… Je ne suis pas ici pour tout changer. Je veux simplement aider. Mais si mon expérience peut permettre certains changements nécessaires au bien-être de nos victimes, je ne m’en priverais pas. Je ne suis pas du genre à garder pour moi ce que j’ai à dire. Désolé de vous avoir vexé » lui dis-je dans un sourire qui se voulait réellement désolé. « De toute évidence, leur permettre de voir de leurs propres yeux qu’elles ne sont pas seules est bien plus marquant que de se l’entendre dire par des proches, je vous le confirme » rajoutais-je en acquiesçant comme pour lui montrer que j’étais – pour une fois – en adéquation avec ses propos. « Vous avez toujours contact avec des femmes qui auraient pu s’en sortir ? Sortir des griffes de leur tortionnaire ? Changer de vie ? » lui demandais-je toujours dans un élan de curiosité mais surtout à la façon très naturelle que j’avais de mener un interrogatoire. Je n’avais pas perdu la main et malheureusement la déformation était encore bien présente malgré ma retraite anticipée.
J’étais presque soulagé – même si je ne doutais clairement pas de mon utilité en poussant les portes de ce centre – que Leena me confirme que j’étais l’homme de la situation. Certes je connaissais le milieu judiciaire, mais je ne voulais pas leur promettre monts et merveilles. Alors j’étais beaucoup moins enthousiaste malgré tout. « Je ne peux que les éclairer, leur indiquer les démarches, les aider à les effectuer… Mais je ne pourrais pas leur faire reprendre foi dans un système qui a plus de chances de les avoir déçus que le contraire… » repris-je en lui souriant tandis qu’elle me confirmait la poursuite de la visite. J’avais peur de lui être chronophage et pourtant elle me rassura sur son emploi du temps plutôt léger pour la soirée. Je préférais ignorer la question sur mon boulot, ne voulant pas partir dans une discussion sur ma reconversion. Je me contentais d’hocher la tête, écoutant attentivement la suite du descriptif de la pièce que nous visitions. La salle était sobre, aucun artifice notoire, une salle de tout ce qu’il y avait plus banal. Je m’apprêtais à y rentrer quand subitement, Leena se tourna vers moi, m’obligeant à me stopper, la regardant soudainement. Elle semblait se souvenir de notre première rencontre, chose que je ne me remettais toujours pas sauf quand elle prononça le nom de la victime en question : Maggie Rogers. Mon sang se glaça, mon regard s’éclairant enfin du contexte en question.
« Tout à fait » répondis-je froidement, n’aimant jamais me souvenir de ce genre d’évènements. La jeune femme avait été retrouvée le corps mutilé, l’appartement retourné et son mari de l’époque qui avait déclaré sa disparition en était le responsable. Je fermais les yeux un bref instant, me revoyant le moment où j’annonçais à ses parents que l’ordre normal des choses de la vie n’avait pas été respecté, leur fille disparaissant avant eux. « En même temps… comme son mari nous a si bien dit, une fois la porte fermée, rien ne laissait imaginer le pire… » rajoutais-je de façon toujours aussi détachée. J’aurais préféré éviter de replonger dans ces souvenirs atroces. Replonger dans ce que je n’aurais plus jamais à faire. « La peur fait bien faire des choses… Elle avait indiqué les premiers numéros du centre… Malgré tout… Vous n’en êtes pas responsables. Ni vous, ni le centre. On ne peut pas contraindre les gens à le faire. » tentais-je de la rassurer. C’était une chose que j’avais compris au fil des années. Les crimes passionnels sont et resteront les motifs premiers de mobiles. « Malheureusement Leena… Je voudrais vous dire que cela éviterait d’autres affaires dans le genre… Mais je ne suis pas bien sûr de pouvoir assumer cette promesse. » lui dis-je presque désolé. « Je ne sais pas où nous en sommes cette année… Mais lorsque je travaillais encore là-bas, les meurtres conjugaux dépassaient de loin les autres… Parfois, l’alcool n’aidant pas… Dites moi, existe-t-il une partie où les femmes pourraient dormir ici ? A l’abri de ces violences ? » lui demandais-je pour revenir au sujet principal, ne voulant pas m’étendre sur mon métier actuel. « En tout cas… j’espère ne pas avoir été trop rude avec vous durant ma première visite… » ironisais-je d’un sourire presque chaleureux. « Et que faites vous des enfants s’il y en a ? » lui demandais-je en m’installant sur une des chaises présentes, comme pour me projeter dans la pièce. Car après tout, c’était ce que je désirais le plus : les épauler.
❝ la curiosité est un bien vilain défaut ❞ KEITH & LEENA
« Je ne suis pas du genre à garder pour moi ce que j’ai à dire. Désolé de vous avoir vexé » S'expliqua-t-il rapidement. Leena lui répondit par un sourire poli. « Vous ne m'avez pas vexée, ne vous inquiétez pas ». C'était à moitié vrai. Il ne l'avait pas vexé elle, mais la jeune femme avait eu la désagréable impression que, par ses paroles, il remettait en cause la qualité du travail que l'association offrait aux femmes dans le besoin. Leena ne cherchait pas à nier que les proches étaient extrêmement importants dans le processus qui permettait aux femmes de sortir des cercles de violence et de se reconstruire. Ils étaient un pilier dont chacun d'elles avait besoin. Mais les proches ne sont pas forcément formés pour aider quelqu'un qui est victime de violences conjugales. Évidemment, ils n'étaient pas fermés à la critique, loin de là, il y avait encore beaucoup qu'ils pouvaient améliorer. Leena n'était donc pas vraiment vexée, mais plutôt surprise par... par quoi, d'ailleurs ? Son arrogance ? Ou plutôt le fort investissement et l'intérêt qu'il montrait déjà pour l'association ? Ce qui était certain, c'était que Leena ne savait pas trop quoi penser de lui. Et elle avait toujours en tête l'idée qu'ils s'étaient déjà croisés, qu'ils se connaissaient, sans qu'elle puisse le replacer dans un contexte, et ça la perturbait. Leena n'était pas habituée à ce que sa mémoire lui fasse défaut. Elle était si perdue dans ses pensées, à essayer de retrouver où diable elle avait pu rencontrer cette homme, qu'elle l'entendait à peine essayer de se rattraper pour ses paroles précédentes. « Vous avez toujours contact avec des femmes qui auraient pu s’en sortir ? Sortir des griffes de leur tortionnaire ? Changer de vie ? » La question la fit sortir de ses réflexions. Au moins, pensa-t-elle, il semblait sincère, véritablement intéressé par les actions de l'association. Une telle curiosité était assez rare chez les nouveaux volontaires ; la plupart s'engageait seulement par acquis de conscience, venaient quelques temps, puis disparaissaient sans laisser de traces. « Nous avons un programme spécial pour les femmes qui ont réussi à s'en sortir, pour qu'on puisse continuer de leur fournir un suivi psychologique. Les séquelles survivent malheureusement bien plus longtemps à la relation qui l'ont engendré » commenta-t-elle avec un sourire triste. Elle repensait à Oakley, qui était pour elle probablement l'un des plus beaux exemples de réussite. Elle était parvenue à s'en sortir et elle était aujourd'hui une femme tout à fait accomplie, avec qui Leena était restée en contact. D'ailleurs, la jeune femme s'abstint de dire qu'elle était toujours, de façon informelle, en contact avec beaucoup d'anciennes victimes. Sûrement parce que ce n'était pas très professionnel, qu'elle n'était pas censée être en contact avec elle en dehors de ses heures de travail, mais qu'elle avait du mal à lâcher prise et à compartimenter.
Les doutes de Leena disparurent aussitôt qu'elle apprit que l'homme était un ancien lieutenant de la criminelle. C'état exactement le type de profil qu'ils recherchaient et qui leur manquaient dans l'association – de véritables experts dans ce domaine. « Je ne peux que les éclairer, leur indiquer les démarches, les aider à les effectuer… Mais je ne pourrais pas leur faire reprendre foi dans un système qui a plus de chances de les avoir déçus que le contraire… » L'homme se montrait désormais beaucoup moins enthousiaste qu'auparavant. Malheureusement, il avait raison. Beaucoup de femmes refusaient de porter plainte contre leur agresseur car elles étaient persuadée que le système ne jouait pas en leur faveur. « Justement. Nous devons tout faire pour leur expliquer les démarches, rendre la procédure la plus lisible possible. Déjà que beaucoup sont hostiles à porter plainte, si en plus ça leur paraît compliqué... ». Leena espérait toujours que bientôt, le système pénal changerait et deviendrait plus favorable à ces femmes. Le dénommé Weddington semblait moins optimiste qu'elle.
Et puis, d'un coup, soudainement, Leena se souvint : alors qu'elle s'apprêtait à lui présenter une nouvelle pièce et à continuer la visite du centre, son visage lui revint en mémoire. Keith Weddington. Surtout, son nom était associé à un autre, celui de Maggie Rogers. Sa poitrine se serra douloureusement. « Tout à fait » Il se rappelait, lui aussi. Au moins, Leena pouvait désormais être assurée de son sérieux et de sa connaissance du sujet. Ils avaient vécu, séparément certes, toute l'horreur de l'affaire de Maggie. « En même temps… comme son mari nous a si bien dit, une fois la porte fermée, rien ne laissait imaginer le pire… » Leena acquiesça sans mot dire. Keith avait raison, tristement raison. Maggie avait refusé de porter plainte, refusé d'engager plus avant des poursuites contre l'homme qu'elle aimait toujours, malgré ce qu'il avait pu lui faire. Face au trouble que ressentait Leena désormais, Keith eu des mots rassurants, encourageants. Leena l'entendait à peine. La mort de Maggie, elle la portait au fond de son cœur. Elle le croyait, quand il disait que ni elle, ni le centre n'était responsable de sa mort. Mais quand même... « Je me dis toujours que j'aurais faire plus. Insister davantage » dit-elle doucement. En vérité, il était toujours délicat d'aller contre la victime elle-même. Elle aurait pu la braquer totalement et le résultat aurait été le même. Au moins lui comprenait tout ça. "Dites moi, existe-t-il une partie où les femmes pourraient dormir ici ? A l’abri de ces violences ? » Encore une fois, la question la fait revenir à la réalité. « Non, malheureusement. On aimerait beaucoup mettre ça en place, mais nous manquons de fonds. Et c'est administrativement très complexe ». Ses pensées restent focalisées sur Maggie. « En tout cas… j’espère ne pas avoir été trop rude avec vous durant ma première visite… » Leena lui fit non de la tête – si elle avait pu le trouver un peu arrogant au début de leur discussion, désormais, elle le voyait comme un allié de taille. Pas seulement parce qu'il était policier. « Non, vraiment, ne vous inquiétez pas. Je suis heureuse de voir que vous êtes engagé... et surtout, je sais à quel point vous êtes conscient de la réalité ».
Silence. Keith s'assied sur une chaise, Leena fait de même. Son sourire a disparu, perdu avec le souvenir de Maggie, celle qu'elle n'a pas pu protéger. Pas assez. « Et que faites vous des enfants s’il y en a ? » Réponse presque machinale. « Là aussi, c'est très compliqué... s'ils ne sont pas victimes de violence eux-mêmes, ils restent avec la mère. Parfois, ils sont gardés par d'autres membres de la famille. Parfois même... ils finissent dans des centres pour enfants, partent dans des familles d'accueil, le temps que les choses se tassent. Mais nous faisons en sorte qu'ils retournent avec leur mère, dès que possible ». Nouveau silence. La gorge de la jeune femme est serrée, ses yeux embués par de grosses larmes qui menacent de rouler le long de ses joues à tout instant. « Excusez-moi, je... ». La voix est tremblante. « Je n'ai pas très bien digéré la disparition de Maggie. C'était la première fois où j'étais confrontée à ce genre de chose ». Elle n'osait pas le nommer directement : un meurtre, purement et simplement. « C'était tellement... brutal. Enfin, vous deviez être confronté quotidiennement à ce genre de choses. Moi, je ne suis pas habituée. Et malgré tout, on se sent coupable ». Et sans doute cela faisait-il écho à des éléments de sa propre histoire. Mais ça, elle ne révéla pas à Keith. « J'ai encore espoir que les choses changent. Avec des gens comme vous, par exemple. Ça fait chaud au cœur. Mais ça ne la ramènera pas, ni elle, ni aucune de ces femmes pour qui il est bien trop tard ».
La curiosité est un bien vilain défaut - @Leena Maddox
Je sentais à sa réponse que Leena disait non mais pensait oui. Oui je l’avais vexé, et malgré mes excuses qu’elle avait poliment rejetées comme pour justifier le fait qu’elles n’étaient pas nécessaires, je comprenais que cette association lui tenait plus à cœur que ce qu’elle pouvait bien laisser paraître. L’idée même que je puisse remettre en question le travail effectué ici ne lui plaisait pas, et je comprenais que trop bien ce ressenti, étant moi-même de ceux qui ne supportaient pas cette remise en question effectuée par autrui. Il était vrai que j’avais tendance à mettre les deux pieds dans le plat quand il s’agissait de sujet parfois tabou ou aux avis controversés mais j’admettais toujours mes positions et je ne comprenais que tardivement que mon opinion bien tranchée pouvait parfois blesser. Je préférais enchainer en me concentrant uniquement sur l’association, faisant preuve d’une curiosité qui pouvait en surprendre plus d’un mais qui était en réalité une facette de ma personnalité. Un psychologue dirait que cette envie d’aider viendrait du traumatisme subit. D’autres parleraient d’empathie. Et à en croire le regard que m’offrait Leena, il était rare de voir des gens aussi impliqués au premier abord. J’acquiesçais à sa remarque, une mine presque satisfaite d’entendre que l’association aller bien plus loin que les aides des premiers temps. « Les plaies les plus longues à cicatriser sont celles que nous ne voyons pas… C’est bien de votre part de poursuivre leur suivi. C’est probablement un plus par rapport à d’autres associations. » lui fis-je remarquer pour ne pas cacher que cet endroit n’était pas le premier sur lequel je me renseignais. Je tentais de lui esquisser un léger sourire en guise d’accord avec ses propos. « Alors dans ce cas-là, je serais probablement l’homme de la situation. » répondis-je avant de reprendre mon air le plus sérieux possible.
Et heureusement que j’avais cette capacité à enfiler cette armure qui pourrait en faire fuir plus d’un dans ces moments-ci. Car la remémoration de l’affaire Rogers ne me rappelait pas que des bons souvenirs. Probablement l’une des enquêtes pour laquelle je m’étais senti pour la première fois aussi impliqué émotionnellement. Et à en voir le visage de la jeune femme qui s’était assombrie bien rapidement, je compris qu’elle n’arrivait pas à oublier elle aussi. Je me stoppais, posant ma main sur son avant-bras pour la faire pivoter dans ma direction. « Ecoutez moi Leena. On ne peut aider une personne qui le refuse… Alors ôtez vous cette idée de la tête. Insister n’était pas la solution. Et vous aviez déjà fait tout votre possible. » lui dis-je d’un calme impassible, signe d’un professionnalisme que je n’avais pas perdu. « Concernant les foyers, je suis persuadé qu’il serait possible de lever des fonds non ? Vous avez déjà essayé la manœuvre ? Il y a tellement d’âmes charitables à Brisbane que je suis persuadé que la cause pourrait en toucher plus d’un. » lui fis-je remarquer en la lâchant enfin. Je profitais de cet instant pour me poser dans une salle, lui souriant en l’apercevant s’installer à mes côtés.
Bien entendu que la situation familiale à la suite de violences étaient compliquées. Combien de familles avions nous dissout durant des enquêtes ? De vies probablement brisées dès la naissance ? Être né au bon endroit avait pris tout son sens en découvrant la dure réalité de la vie. Je restais perdu de courtes secondes dans mes pensées et finissais par lever la tête dans sa direction. J’entrouvrais la bouche en apercevant quelques larmes qui s’apprêtaient à rouler sur les joues de ma guide du jour. « Leena… Vous devriez vous détacher de ces personnes. Pour votre bien à vous avant tout. » lui fis-je remarquer, sans me rendre compte que ma voix était devenue plus froide. « Je l’étais en effet… Mais on ne s’habitue jamais à ce genre de perte. » repris-je après elle. « Je reste un homme, avec des convictions, des sentiments et des émotions. La seule chose que je suis capable de faire et qu’à priori vous ne l’êtes pas, c’est de faire la part des choses… » dis-je sans demi-mesure. « Plutôt que de penser aux femmes disparues, pensons à celles qui viendront bien plus rapidement que ce que nous pourrions envisager. C’est ce qu’on appelle aller de l’avant Leena… » Je me relevais sur ces dernières paroles, lui tendant une main pour l’inviter à me suivre. « Je ne sais pas si la visite est terminée… Mais j’aimerais savoir à partir de quand je pourrais commencer ? » lui demandais-je. « Je ne pense pas qu’il y ait plus de temps à perdre… Je suis un homme d’action plutôt que de paroles de toute façon. » argumentais-je en regardant furtivement ma montre. « Je suppose qu’à l’heure qu’il est, vous alliez fermer de toute évidence ? »
❝ la curiosité est un bien vilain défaut ❞ KEITH & LEENA
Leena était plus bouleversée qu'elle ne l'aurait cru lorsqu'elle se souvint finalement d'où elle connaissait ce type. Keith Weddington, le policier qui avait été impliqué lors de l'affaire Maggie Rogers. Tous les employés du centre et les bénévoles avaient été marqués par cette histoire. Leena aussi. Elle y pensait encore, parfois, et revoir ce type, ici, dans les mêmes locaux, bien que le contexte soit différent... n'était pas forcément facile à vivre pour Leena. Ça lui rappelait Maggie, évidemment, et le fait qu'ils n'avaient pas fait assez, ou que du moins ils avaient échoué à la sauver. Probablement que ce n'était pas tout à fait leur faute, que ça arrivait, que parfois il était déjà trop tard, mais Leena y repensait souvent, quand même. Elle se demandait ce qu'elle aurait pu faire autrement ou ce qu'elle n'aurait pas du faire. Elle était comme ça, Leena. Certains disaient qu'elle était trop sensible, qu'elle avait du mal à compartimenter. Elle ne le démentait pas, c'était vrai, elle était ainsi. Elle se réveillait la nuit pour penser à son travail, certaines histoires qu'elle entendait pendant sa journée l'empêchait de trouver le sommeil. C'était sûrement un défaut, et Leena avait essayé pendant plusieurs années de changer, de ne plus être comme ça, parce qu'évidemment c'était épuisant, autant physiquement que mentalement. Mais elle n'avait jamais pu. Tout ça, toutes ces histoires, toutes ces tragédies, qui heureusement parfois finissaient bien, ça résonnait en elle. Ça lui rappelait ses propres drames, quand c'était elle et ses parents qui se rendaient dans ces associations. Ça lui rappelait ses cauchemars, quand ils lui racontaient les leurs. Ça lui rappelait ses propres démons, et ça ne servait plus à rien d'essayer de s'en séparer, maintenant. Elle devait vivre avec, ou plutôt apprendre à vivre avec, car c'était un processus jamais tout à fait terminé. « Ecoutez moi Leena. On ne peut aider une personne qui le refuse… Alors ôtez vous cette idée de la tête. Insister n’était pas la solution. Et vous aviez déjà fait tout votre possible. » Les paroles de Keith la surprirent presque. Pendant un instant, la jeune femme avait été plongé dans ses pensées, au point d'en oublier où elle était, et avec qui. Il avait raison, elle le savait, même si évidemment c'était plus facile à dire qu'à faire, plus facile à dire qu'à accepter. Elle hocha la tête sans rien répliquer.
« Concernant les foyers, je suis persuadé qu’il serait possible de lever des fonds non ? Vous avez déjà essayé la manœuvre ? Il y a tellement d’âmes charitables à Brisbane que je suis persuadé que la cause pourrait en toucher plus d’un. » Continua-t-il en s'installant dans la pièce. Leena fit de même, presque machinalement. Elle reprit ses esprits pendant un instant, et remercia intérieurement Keith d'avoir changé de sujets, ne serait-ce que pour quelques minutes. « Vous pensez que nous ne le faisons pas déjà ? » dit-elle avec un léger sourire, un peu désabusé. « Nous levons des fonds, nous menons régulièrement des campagnes, et nous avons de généreux donateurs privés. Mais ce qu'il nous faut, et ce qui nous porte vraiment, qui paie les salaires de nos salariés, ce sont les gros moyens qui peuvent venir des collectivités, des institutions publiques ». Ce n'était pas pour rien que Leena s'intéressait de si près aux activités politiques de Brisbane – les activités des conseillers, les élections municipales, tout ça, juste pour essayer de gratter des fonds.
Mais malgré tout, la discussion revint sur l'affaire Rogers. Leena se retrouvait prise dans les tourments de l'affaire. Elle ne l'avait pas quitté depuis ces années. Elle était trop naturelle, trop sincère, trop vraie, pour pouvoir dissimuler ce qui la tracassait. Et devant Keith, elle ne pensait pas qu'elle devait faire particulièrement attention ; après tout, lui aussi, connaissait cette affaire. L'a priori un peu négatif qu'elle avait eu de lui au début de la visite s'était désormais estompé, puisqu'elle savait la valeur de son engagement. « Leena… Vous devriez vous détacher de ces personnes. Pour votre bien à vous avant tout. » Combien de fois Leena avait pu entendre cela... « Plutôt que de penser aux femmes disparues, pensons à celles qui viendront bien plus rapidement que ce que nous pourrions envisager. C’est ce qu’on appelle aller de l’avant Leena… » Elle le regarda un instant sans rien dire. La jeune femme, finalement, ne savait pas trop quoi penser de ses conseils. Il avait raison, dans le fond : elle ne savait pas faire la part des choses, et elle devrait plutôt se concentrer sur toutes les femmes qu'elle avait sauvé, au lieu de penser à la seule pour laquelle elle avait échoué. Pourtant, quelque chose dans son attitude la refroidissait - cet espèce de paternalisme qui coulait de ses conseils. Leena ravala sa salive. « Ce n'est pas toujours facile, dans notre métier. Nous mettons tout notre cœur dans ces histoires, nous nous investissons parfois personnellement pour elle ». Son ton était plus calme, plus froid aussi. « Enfin, de toute façon, je ne travaille plus ici maintenant. Je ne suis que bénévole » dit-elle comme pour couper court à la conversation. Ça ne voulait toutefois pas dire que les nouvelles histoires qu'elle pouvait entendre ne lui détruisait pas le cœur. Ça la blessait d'une nouvelle façon, seulement. « Vous vous en rendrez compte bien assez tôt ». Leena ne doutait pas que son travail, dans la police, devait avoir été très dur, et que Keith avait du être confronté à des choses horribles. Mais dans le travail social, il n'était pas possible d'avoir le recul froid et scientifique que Keith pouvait avoir, afin de prendre du recul. Ces femmes et leurs histoires vous sautaient à la gorge sans que vous ne puissiez prendre gare.
« Je ne sais pas si la visite est terminée… Mais j’aimerais savoir à partir de quand je pourrais commencer ? Je ne pense pas qu’il y ait plus de temps à perdre… Je suis un homme d’action plutôt que de paroles de toute façon. » Dit-il en se relevant. Leena le regarda un peu plus attentivement. Il avait les traits fatigués mais déterminés qu'elle avait déjà vu régulièrement chez les policiers, et autres officiers ou lieutenant. Quelque chose aussi d'un peu mystérieux s'affichait sur ce visage neutre, voire un peu froid. Leena se demandait s'il se cachait toujours derrière ce masque de politesse et de sur-professionnalisme, ou s'il pouvait se montrer un peu plus détendu. « Je suppose qu’à l’heure qu’il est, vous alliez fermer de toute évidence ? » Elle lui sourit. « J'allais fermer, oui, mais je ne suis pas particulièrement pressée ». C'était vrai, qu'est-ce qui l'attendait, de toute façon ? Un repas seule, devant sa télévision. Elle pouvait bien se permettre de répondre aux questions que Keith pouvait avoir pour elle. « Je vais en parler à notre cheffe dès demain, et je vous recontacterai dès que possible. Est-ce que je peux prendre votre numéro ? » dit-elle en sortant son téléphone. « Elle sera très contente ». Leena récupéra les clés du bâtiment et ouvrit la porte, invitant d'un regard Keith à sortir pour qu'elle puisse fermer le centre. « Si je puis me permettre, pourquoi avez-vous quitter votre travail à la police ? ».
La curiosité est un bien vilain défaut - @Leena Maddox
Le hasard faisait parfois bien les choses. Me refaire croiser le chemin d’une vieille connaissance de mes années d’ancien lieutenant alors que je tentais de tourner la page ? Excellente idée en effet… Douce ironie. Bien entendu que j’avais conscience de ces possibilités en me rendant dans ce genre d’association. Pourtant je ne pensais pas tomber nez à nez avec une personne que j’avais pu déjà interroger durant une enquête. Et quelle enquête… C’était probablement celle qui m’avait donné envie de combattre ce mal qui arpentait les routes de notre ville, de notre pays et de notre monde. La violence conjugale faisait encore trop de victimes, et j’avais à cœur de vouloir les aider avant qu’il ne soit trop tard. Même si j’étais en train de prétendre à Leena qu’on ne pouvait réellement aider quelqu’un qui ne le voulait pas, je comprenais son besoin de le faire et d’y parvenir. A croire que mes mots l’avaient déstabilisé, elle se contenta d’hocher la tête.
Je ne savais depuis combien de temps j’étais en train de faire la visite de l’association, mais mes questions ne désemplissaient pas tant d’un point de vue organisationnel que vis-à-vis des personnes à aider. Et même si je bousculais un peu les codes, elle répondait toujours en gardant son calme. J’acquiesçais face à sa remarque, conscient que le combat de fonds était un combat de longue haleine qui ne devait pas être pris à la légère. « Et vous vous en sortez ? Il est tellement dur pour une association d’obtenir des fonds municipaux. » fis-je remarquer avant de revenir sur le sujet qui semblait être notre sujet de prédilection : l’affaire Rogers. J’avais remarqué que Leena semblait encore touchée avec la finalité de la vie de Maggie Rogers. Il y avait un deuil à faire en effet. Mais surtout cette impression d’avoir échoué à s’ôter de la tête. Alors oui je comprenais cette implication qu’elle évoquait et je souriais lorsqu’elle me fit remarquer que je comprendrais bien assez tôt ses propos. « Si vous saviez… J’ai un vécu qui fait que je n’ai pas besoin de m’en rendre compte car je le sais déjà… » avouais-je dans un demi-sourire, ne voulant insister trop longuement sur le sujet. Surtout que je comprenais que la jeune femme allait fermer au moment de mon arrivée. Je ne voulais pas la déranger plus longtemps même si elle m’indiquait qu’elle n’était pas pressée. « Volontiers, j’ai encore une carte de visite qui traîne je pense… » dis-je en fouillant dans mon portefeuille, sortant une carte de visite pour la lui tendre. « Merci en tout cas de ce que vous faites… » dis-je en quittant l’établissement suivant le regard de la jeune femme. Je la remerciais d’un signe de tête, observant ma moto positionnée toujours sur le parking. Je me tournais vers elle, surpris par sa question. « Je… Je n’ai pas eu le choix à vrai dire… Vous vous doutez bien que lorsqu’on s’engage dans les forces de l’ordre c’est surtout une passion plutôt qu’un emploi… On ne le quitte pas sauf contraint… Et c’était mon cas… » m’arrêtais-je de façon froide. Je détestais parler de moi. Je sortais les clés de mon véhicule, jouant avec ces dernières. « Je vais vous laisser… J’attends votre coup de fil… Et si jamais vous avez besoin de parler un peu… N’hésitez pas. Je peux vous apprendre à prendre du recul » souriais-je avant de tendre la main pour serrer la sienne. « Bonne soirée Leena. » conclus-je en me retirant en direction de mon véhicule. Car je venais de faire un pas en avant vers mon envie de bénévolat. Je n’avais plus qu’à attendre la réponse. Et ce n’était pas mon fort la patience.