Ginny est dans son bain et il est sûr et certain qu'elle n’entend pas la porte d'entrée sonner encore et encore depuis ce qui me semble être une éternité. Elle doit passer le plus clair de temps avec la tête sous l'eau plutôt qu'en dehors, et je tiens à préciser que pour une fois ce n'est pas ma main qui la maintient fermement. On a joué à pile ou face qui de Noah au moins allait devoir ouvrir la porte et avec le karma que je me traîne c'était pour ainsi dire évident que cela devait tomber sur moi, comme si tout était finalement inscrit dans le marbre. Je râle donc, je grogne, je lève les yeux au ciel et pour peu je serais prêt à négocier n'importe quoi avec le gamin que ce soit lui qui se lève du canapé et pas moi. Même la bataille de regards que je viens d'engager est perdue d'avance : il ne changera pas d'avis. Je crois qu'il a un peu trop pris de mauvaises habitudes durant ce mois passé en total confinement avec nous et par mauvaises habitudes je veux bien dire qu'il a pris tout le caractère de Pizza et que cela n'a absolument rien à voir avec moi. Comme si j’avais réellement un mauvais caractère ou quoi que ce soit de semblable - conneries.

On ne comptait même plus les jours et c'est à peine si on sait dans quel mois on est. Noah est devenu le meilleur ami du chien et j'ai été relégué au troisième rang sans même avoir le droit de m'en plaindre, alors j'ai fait de sa chambre la mienne on a repeint tous ses murs à peu près deux ou trois fois parce qu'on ne s'entendent pas sur la couleur à adopter. Certes c'est sa chambre mais c'est surtout ma maison, non ? Il a donc décidé je n'avais plus mon mot à dire et ce fichu gamin a dessiné le plus beau des dessins moches d’enfants avec écrit “auden rentre pas !!”, tout ça pour mieux se confondre en lamentations le soir venu pour gagner une part supplémentaire tiramisu. Finalement il n’y a eu de mort d’aucun côté et pour cette raison ci je pense qu’on peut considérer ce confinement comme une véritable réussite, si ce n’est même une prouesse.

Jusqu’à maintenant, en tout cas, c’était bel et bien une prouesse. Jusqu’à ce que j’ouvre la porte pour en réalité y trouver Ezra et à ce moment là je ne saurai dire qui de nous deux est finalement le plus surpris de la chose. J’ouvre la bouche pour articuler quelque chose mais Noah sauve la mise de mots qui auraient de toute façon mal été interprétés. Le gamin, qui a de moins en moins les traits d’un gamin, se faufile entre nous pour venir enlacer son père un instant avant de rapidement se reprendre pour échanger un high five. La scène m’arrache un sourire léger et imperceptible et aucun des deux n’aurait de toute façon eu le temps de l’observer puisqu’ils sont encore trop occupés à réaliser ce qui semble être soit une chorégraphie soit un beau bordel sans nom. Je ne précise pas lequel de ces deux choix je priorise en l’instant, on m’accuserait de nouveau d’être le grand méchant loup alors que pour une fois dans ma vie je ne suis pas en train d’inventer aucun mauvais plan dans mon esprit.

Il vient récupérer Noah aujourd’hui. Le confinement est terminé. Ginny me l’a dit et même si je faisais semblant de ne pas écouter, j’ai noté le tout dans un coin de mon esprit tout en pensant naïvement que la date ne finirait jamais par arriver. On était bien, là, coupés du monde. Noah allait bouder dans la maison d’en face quand personne ne cédait à ses caprices, il revenait ensuite pas à pas en prétextant courir après Pizza - ce qui n’était pas faux, en soi. « J’ai pas fait mon saaaaaaac. » Ca n’étonne personne, ça. Absolument personne. Sa tête d’ange qui vacille désormais entre son père et moi n’arrange pas pour autant son cas alors que la seconde d’avant il en oubliait presque de respirer tellement il avait d’anecdotes à faire rattraper à Ezra. “Vas-y maintenant alors.” Je ne le gronde pas puisque ça ne serait pas la peine, je ne hausse même pas les sourcils ni rien dans le genre, finalement. Il repart aussi vite qu’il est arrivé et mes yeux restent posés sur la trace de son passage plutôt que sur le visage d’Ezra. Les choses se sont apaisées, je crois, mais n’en reste pas moins qu’un coup peut rapidement se perdre. “Entre. Il doit rassembler des affaires de partout, y’en a pour une éternité.” Il rentre, certes, mais il reste dans le jardin. Personne ne passe le pas de la porte de ma maison, seules exceptions faites de Ginny, Noah et Cosimo. La règle n’a jamais été statuée oralement pourtant elle existe bel et bien, et je me ferai un plaisir de lui faire visiter la maison de Ginny et ses meubles encore emballés s’il n’y a que ça pour lui faire plaisir. “Je peux appeler Ginny si tu préfères.” Elle remplira bien mieux que moi le rôle de baby-sitter d’Ezra, c’est certain, mais quelque chose me dit que cela ne se passera pas ainsi. “On a découvert qu’il était allergique au pesto, au fait.” Ce n’est pas un mensonge mais ce n’est sûrement pas ce que disent les gens normaux au moment d’en inviter d’autres chez eux, je crois. Cela ne m’empêche pas pour autant de retourner m’asseoir dans un des larges fauteuils alors qu’Ezra passe sous le flair expert du gardien (non) canin de la maison, lequel est trop occupé à déjà l’apprécier pour se méfier de quoi que ce soit. “Il ne te le dira pas mais tu lui as manqué.” C’est un mot gentil ça. Offrez moi une médaille, vous voyez que je peux être gentil parfois.

Trois pas en avant d’abord, puis dix en arrière, pour finalement se retenir de ne pas se mettre à courir. Ezra était dans tous ses états, ne tenait plus en place, il avait l’impression d’être de retour au premier jour d’école. Quatre fois, il s’était retenu d’allumer une clope avant de partir de chez lui, mais n’en avait rien fait parce-qu’il s’était promis de diminuer, le confinement désormais terminé. Sa main n’avait pu s’empêcher de venir se porter, dans une ultime tentative, vers le paquet avant qu’il ne lâche tout et claque la porte de chez lui. Le confinement était terminé - et c’était la chose la plus douce qu’il ait pu entendre depuis des semaines. Oh, il ne regrettait pas les quatre semaines qui venaient de s’écouler et tout ce qu’elles avaient apporté. Le confinement s’était révélé être plutôt intéressant, finalement. Simplement, il y avait des monts et montagnes qui l’attendaient, là, au dehors. Des choses qu’il avait été obligé de laisser quelque peu en plan, sinon bien en arrière, le temps qu’il puisse de nouveau circuler normalement dans le monde extérieur. Pour le bien commun, mais surtout pour son bine. Noah. Ezra n’avait pu voir son fils des quatre dernières semaines écoulées, et il avait l’impression que son coeur avait perdu le mode d’emploi pour fonctionner correctement suite à ça. C’était fou, à quel point un être pouvait tant vous manquer. Et c’était idiot, parce-que ce n’était que pendant une courte durée et qu’il savait qu’à la suite de ça il pourrait le voir à volonté et tant qu’il voulait. Mais c’était surtout tellement réel, lorsque ses pensées se mettaient à s’emporter. Parce-que si le confinement n’avait été, entre guillemets, qu’une partie de plaisir pour Ezra - il savait que tout ça aurait pu tourner d’une façon très différente et que tout aurait pu être bien dévié pour le reste de sa vie. Car Noah n’était pas un gamin comme les autres. Si Ezra était resté confiné pour le bien commun, c’était surtout pour son bien à lui. Parce-que c’était exactement le genre de chose contre laquelle Noah n’aurait pu lutter. S’il grandissait et s’épanouissait comme les enfant de son âge, il ne fallait oublier que derrière tout ça, une histoire aussi lourde que le monde venait teinter le ciel d’une obscurité particulière. Noah était fort, Noah était faible. Son corps n’aurait jamais pu survivre à ce genre d’épreuve s’il y avait été confronté. Et Ezra préférait meurtrir son coeur pendant quelques semaines à l’idée d’être loin de lui, que d’imaginer pouvoir le mettre en danger d’une telle sorte. Alors, il trépignait, lorsqu’il vint sonner à la porte pour venir le récupérer. Il trépignait et on aurait pu croire qu’il avait envie de soulager sa vessie tellement il faisait presque des bonds sur place. Il était juste au comble de l’impatience de pouvoir enfin serrer de nouveau la petite tête blonde dans ses bras. A sa surprise, ce ne fut cependant pas sur lui que tomba Ezra aujourd’hui. Ses yeux vinrent se poser sur quelqu’un de bien plus grand que Noah, de bien plus brun, et pas du tout relié à lui par les mêmes liens - ceux du sang bien loin et mis de côté en l’occurence. Auden. Qui semblait être autan étonné qu’Ezra de se trouver face à lui aujourd’hui. En face de lui, il vint ouvrir la bouche, il vint oublier de parler, il vint laisser un silence flotter. Ils pouvaient, heureusement, tous les deux compter sur Noah qui vint débarquer comme une fusée, poussant Auden sur le passage, se faisant la place qu’il désirait. Et alors que ses cheveux entrèrent dans son champ de vision, à partir du moment où l’oeil d’Ezra capta que son fils était là, tout près de lui, en vie et plein de vie, que toutes ses angoisses nocturnes n’avaient plus lieu d’être et que tout allait bien et qu’il pouvait désormais reprendre son souffle - Auden n’avait plus une espèce d’importance devant lui. Instinctivement, il plia les genoux, s’effondra presque à terre parce-que la seule chose qui l’importait là, sur l’instant, c’était de pouvoir serrer son fils dans ses bras. « Noah. » Comme un soupire de soulagement, comme une prière enfin écoutée. Bien sûr que l’étreinte ne put durer qu’un temps cependant. Si Ezra respirait de l’air pur pour la première fois depuis quatre semaines, Noah restait un gamin de dix ans qui ne resterait pas plus d’une seconde et quinze millièmes dans les bras de son père - et encore, c’était parce-qu’ils s’étaient pas vus depuis longtemps. S’en suivit un check plutôt complexe, qu’ils avaient mis au moins deux après-midi à perfectionner et à maitriser, entre douze glaces achetés au marchant du coin du parc et trois maux de ventres qu’Ezra avait bien sûr tu auprès de Ginny. « J’ai pas fait mon saaaaaaac. » C’était juste l’instant encore d’après ça, quand Noah comprit qu’il était sur le point de partir d’ici alors qu’il venait d’y passer un mois complet et que c’était le moment de faire en sorte que ses affaires soient presque toutes au même endroit, prêtes à être embarquées. Ezra vint fermer les yeux, sourire d’un soupire, secouer quelque peu la tête. Plus le temps filait, et plus il avait cette tendance à ressembler pourtant tant à sa mère - même si cette dernière ne faisait que mettre en avant toutes les façons où Noah ressemblait plus à Ezra qu’à elle-même. « Vas-y maintenant alors. » Les mots qu’Auden qui eurent à peine le temps de faire le chemin jusqu’aux oreilles de Noah que déjà, il se mit à courir dans tous les sens et à s’agiter pour récupérer ses affaires. Un léger silence retomba, enveloppant les deux jeunes hommes, l’un pas spécialement à l’aise - et l’autre, Ezra n’aurait su décrire l’expression qu’il affichait désormais. « Entre. Il doit rassembler des affaires de partout, y’en a pour une éternité. » Il vint opiner du chef, discrètement, avant de suivre Auden sur ses pas, en terrain inconnu. « Merci. » S’il avait ouïe dire des derniers changements dans les lieux d’habitation du blond, de la brune et de l’abruti - remake du bon, de la brute et du truand -, il n’avait encore jamais pis les pieds ici, en ces lieux. Continuité de la vie et par la suite confinement oblige, il n’avait pu venir explorer les nouveaux lieux de développer de son enfant. Pas que ça l’en réjouissait, mais il n’avait surtout pas vraiment eu le choix que d’être tenu dans l’ombre, à l’écart, jusque aujourd’hui. Alors forcément, que ses yeux étaient curieux. Ils s’accrochaient au moindre élément de décoration qu’ils arrivèrent à capter, au moindre indice sur ce qui avait pu se passer pendant les quatre dernières semaines. « Je peux appeler Ginny si tu préfères. » Une seconde de silence, ajoutée à celle-ci une deuxième d’hésitation, et finalement Ezra vint relever son regard vers Auden. Il secoua la tête, rapidement, petit sourire pincé mais poli accroché sur ses lèvres. « La dérange pas pour ça, t’en fais pas. » Il ne passait qu’en coup de vent, pour venir récupérer Noah. Rien d’autre ne se passerait aujourd’hui, rien qui sortait de l’ordinaire ou qui relevait de l’étrange. Rien que le passé pourrait faire resurgir sans préavis. « Je suis sûr que Noah va finir par réussir à sortir au moins deux valises d’affaires et de jouets en un temps record. Et s’il a oublié quelque-chose, on repassera. » Parce-qu’ils ne faisaient aucunement partie de ces familles qui limitaient les contacts durant les périodes des uns, et des autres - et d’un troisième partie, pour Noah, en l’occurence, bien que ceci faisait toujours lever les yeux au ciel chez Ezra. « On a découvert qu’il était allergique au pesto, au fait. » Auden vint le sortir quelque de ses pensées, de ses observations, alors qu’ils atteignent le jardin. « Ah ? C’est bon à savoir. » Il fit mine de s’y intéresser, vraiment - après tout, c’était important à savoir pour la santé de Noah. Cependant, Ezra savait qu’il y avait à peu près zéro pour-cent de chance que Noah en vienne à manger ce genre de chose avec lui. « Il ne te le dira pas mais tu lui as manqué. » Auden s’assit dans un des fauteuils, le chien vint aux pieds d’Ezra pour flairer qui était ce nouveau venu ici - Ezra se dit d’un coup qu’il ne se rappelait pas avoir entendu parler d’un chien dans les parages -, et tout semblait être presque le tableau parfait autour de lui. Le femme, le gosse - Ezra ne savait pas à quel point il avait raison -, le jardin, le chien. Et Auden qui, pourtant, dégageait toujours cette impression d’homme je-m’en-foutiste-parfaitement-insatisfait. Il mentirait, Ezra, si une légère pointe de jalousie ne l’avait pas effleuré en cet instant. N’était-ce pas tout ce qu’il avait imaginé, des jours et des nuits durant, quelques années auparavant ? Il fit abstraction de ces quelques pensées, leur place n’était guère ici aujourd’hui. Il se contenta de venir tirer un petit sourire, s’accroupissant pour caresser le chien. « Il m’a manqué aussi, tu sais. » Bien sûr qu’il le savait, bien sur qu’il s’en doutait. Et en même temps, ce n’était pas forcément la peine de venir lui prouver que c’était vrai. « Ca s’est bien passé, pendant les quatre semaines ? Il a pas trop fait de caprices ? Je sais qu’il a son petit caractère et que ça va pas aller en s’améliorant en grandissant… » Ses paroles étaient douces, ses paroles étaient bienveillantes. Et bien sûr qu’il était hors de question qu’Ezra relève le regard vers lui. Parce-qu’Auden pourrait y voir qu’en réalité, Noah n’avait pas juste manqué à Ezra - il lui avait horriblement manqué. Il avait vécu la séparation d’avec son enfant, Beauregard. Il connaissait le fait de ne pas pouvoir serrer sa progéniture dans ses bras alors qu’elle existait quelque-part dans le monde. Mais à l’époque, il n’avait jamais rencontré le tourbillon de vie qu’était Noah. Désormais que c’était chose faite et qu’il avait marqué de son emprunte la vie d’Ezra, il ne saurait composer sans. « Je sais aussi que Ginny et lui, c’était pas le meilleur de leur relation avant le confinement. » Parce-qu’il avait été là pour ramasser les pots cassés, qu’il avait eu aussi tout plein de temps pour en discuter à la suite avec le petit blond, et qu’il savait que reconstruire le puzzle pouvait prendre du temps.

« Il s’en est tenu à un caprice par jour. Donc tout s’est bien passé. Il risque par contre de demander un chien à Noël. » Le chien en question était en train de profiter de l’attention, même temporaire, que Ezra pouvait lui donner. L’idée d’un chien dans son appartement vint lui tirer un petit sourire. Ca finirait forcément en catastrophe - et, malheureusement, ce ne serait pas la meilleure place pour garder un chien. Le temps et l’espace lui manquerait, pour sûr, mais au moins il savait désormais qu’il fallait qu’il s’attende à subir les supplices de Noah de ce côté là. « Oh, j’en doute pas. » Ce ne serait même pas une question de course contre quelqu’un d’autre, contre des faits et des acquis, avec Noah. Ce serait simplement les idées d’un gamin qui aime profiter des bons moments et s’amuser en tous temps. Si Ezra décidait en revanche d’offrir hospitalité à un chien chez lui, après son passage dans cette maison, ça pourrait clairement être interprété comme une façon de prouver quelque-chose, comme une marque d’un égo abimé. « Tu pourras vérifier, il a tous ses bras et même les jambes allant avec. Le bleu au genou c’est parce que le chien a compris avant lui qu’il fallait freiner quand il a un mur devant lui. » Un petit rire s’échappa, le traitre, alors que Ezra venait se relever, laissant le chien repartir dans le jardin. Noah était une tempête, il était les éclairs et la foudre allant avec. il avait l’intensité du soleil même les jours de pluie, il était le rayon d’éclairci après la noirceur de la tempête. Rien que de poser un instant ses yeux sur son fils, à l’intérieur de la maison, qui courrait dans tous les sens pour reprendre les affaires dont il avait besoin, le coeur d’Ezra se retrouvait empli d’une émotion qu’il ne connaissait guère avant de rencontre Noah. Il savait aussi que toute cette énergie n’était pas tout le temps positive et que si les premières années de sa vie, le gamin n’avait pu s’exprimer comme il le désirait, c’était désormais chose courante et faite. Il ne se laissait pas marcher sur les pieds, il tentait tout par lui-même, se faisait son opinion sur un millier de choses. Il n’y avait rien à reprocher dans un comportement tel, c’était ainsi qu’il se devait d’apprendre la vie - mais Ezra savait que ça pouvait causer du tord, et à Ginny principalement. Si elle était faite pour être mère, si elle était la meilleure dans ce domaine pour Noah, il n’en restait pas moins que les moments d’ombre et de doutes pouvaient planer au dessus de certaines journées. Dernièrement, ça avait été le cas. Et si Ezra n’avait pas toujours été aux premières loges, Noah était un petit bavard, et sa relation avec lui était telle désormais qu’il lui parait de ce genre de choses. Si des années plus tôt, Ezra n’aurait jamais évoqué ce genre de situations avec Auden, il tentait de faire au mieux depuis qu’il avait appris qu’il avait passé la bague au doigt de Ginny. Il n’était pas partisan pour un sous de cette relation devenue bien plus présente et importante dans la vie de tout le monde si vite, si rapidement, mais il faisait assez confiance à Ginny pour savoir que c’était uniquement le meilleur qui ressortirait de tout ça. Alors, même si la jalousie pointait un brin lorsqu’il pouvait porter son regard sur ce que le jeune homme avait désormais réussi et acquis dans la vie, même si ça le peinait de savoir qu’une autre figure paternelle s’immiscer dans la vie de son fils, même s’il avait un jugement un brin biaisé sur Auden - il faisait des efforts. Parler des choses banales, de Noah et de ses aventures, de Ginny, leur point d’ancrage, c’était pour lui faire des efforts. Montrer qu’il pouvait le faire, malgré tout. « Tout va bien maintenant. C’est un bon gamin. Il se fait rapidement aux changements. » Son regard ne s’était pas dévié de l’intérieur de la maison, alors même que la silhouette de Noah ne pouvait plus être aperçue. Il faisait des efforts mais il n’irait pas jusqu’à se dévoiler complètement à l’autre, il ne fallait pas exagérer. « Je sais, oui. » Ce serait mentir que de dire qu’un voile de fierté ne s’était pas installé sur ces paroles. Il n’avait pas pu être tout le temps à ses côtés, mais Ezra faisait tout ce qui était désormais en son pouvoir depuis quatre ans pour permettre une vie meilleure au gamin, pour qu’il ne manque de rien et soit le plus heureux des enfants. « On lui a proposé de partir quelques jours en voyage pendant ses vacances. Mon neveu sera avec nous aussi, ils s’entendent bien. » Là, le regard d’Ezra vint dévier quelque peu vers Auden, parce-que le contenu de ses paroles était bien plus intéressant, venait piquer la curiosité à vive de Ezra. Un sourcil vint se hausser sur son visage, alors qu’il attendait que le jeune homme donne plus de détails. « Il t’en parlera lui même mais je pense qu’il aimerait vraiment venir. » Noah le curieux, Noah l’aventurier. Bien sûr qu’il ne doutait pas un seul instant qu’il veuille les suivre où qu’ils iraient. Il n’avait pas peur, Noah, de l’inconnu et de l’imprévu. Il avait appris à vivre avec depuis son plus jeune âge, et ce même avec des nouvelles qui pouvaient s’avérer être parfois proches du funeste. Si c’était du positif qui lui était proposé, forcément il dirait oui. « Si t’es d’accord. » Discuter de la pluie et du beau temps, du temps que mettait désormais Noah pour se lever le matin ou de la nourriture prise par le chien, Ezra était partant. Echanger quelques mots quand à Ginny, sa relation avec Noah et les conséquences que ça aurait pu avoir sur le séjour du petit ici, il s’y prêtait volontiers parce-qu’il savait que la cordialité serait de mise. S’il y avait bien quelque-chose sur laquelle il ne désirait en rien changer, avec Auden, cependant, c’était ça. La parentalité de Noah avait toujours été un sujet de conflit entre n’importe qui, dès le départ. Ezra n’avait pu obtenir les droits qui lui étaient pourtant dûs, qu’importe ce que qui pourrait en dire. Il n’avait pu être présent lors de sa venue au monde, il n’avait pu prononcer mot et consentir quand au statut que Bailey avait. Et s’il avait du se plier et composer avec tout ça, il avait du y mettre beaucoup de sien et travailler sur tout ça. Cependant, il vint serrer les mâchoires lorsque ce fut Auden qui vint en parler. Il ne saurait dire si l’intention était bonne ou non, bien placée et bien intentionnée, mais la place du jeune homme n’était pas là dans tous les cas. Même si Ezra ne pourrait foncièrement rien vraiment dire quand à la décision qui serait prise, il savait que Ginny aurait communiqué avec lui sur ce point en amont. Il aurait eu les faits expliqués et bien sur qu’il n’aurait vu aucune objection à ce nouveau projet. Mais là, ce n’était pas la demoiselle devant lui et Auden n’avait pas à lui poser une telle question. Sans s’en apercevoir, Ezra était venu serrer quelque peu les mâchoires, sa respiration avait un brin accéléré. De pas grand chose, Auden ne pouvait le voir, mais lui le sentait. Et il n’aimait pas se voir encore réagir de la sorte, même de façon infime, à ce genre de situation. « Bien sûr. » Un ton aigu de trop imposé à sa voix, il vint déglutir quelque peu difficilement. « Je sais qu’il voudra profiter de ses vacances pour partir à l’aventure. » C’était vrai, ça. L’enthousiasme qu’il y mettait, en revanche, était feinté. Il était heureux que Noah puisse s’aérer l’esprit, connaitre de nouvelles choses. Il se détestait en revanche de voir toutes ces choses se passer hors de sa portée. Il n’était responsable de tout ça en rien, Ezra, et si la pointe de jalousie qui ne lui était pas familière s’était fait presque discrète jusque maintenant, elle redoublait d’intensité en cet instant. Il ne laissait rien paraitre, parce-que ce n’était ni le moment ni l’instant, qu’il n’était pas en présence de la bonne personne et que mettre un mot sur ce qu’il ressentait réellement était un brin plus compliqué qu’il ne l’aurait pensé. Il se contenta de venir tirer un sourire, fin, faux, en tournant son regard vers Auden - enfin. « Ton neveu, ce n’est pas Mathis ? » Tout pour détourner l’attention du sujet principal, de la question qui n’en était finalement pas une de Auden, qu’il détestait tout autant qu’il le détestait lui en cet instant. Paradoxalement, Ezra ne détestait pas en temps normal Auden. C’était plutôt dur à croire et même incroyable à imaginer, mais ce n’était pas le ressenti principal qu’il avait envers le jeune homme. Autant, là, s’il mentionnait une fois l’efficacité de la parentalité d’Ezra envers Noah, il ne savait s’il saurait rester calme réellement longtemps. « Ou un autre neveu que je connais pas peut-être ? » Un point commun entre les deux, ils venaient d’une famille nombreuse et amenant avec elles leurs complications et problèmes. Le clou du spectacle, l’ironie du sort, résidait dans le fait qu’elles avaient failli être unies dans le meilleur et pour le pire quelques années plus tôt - il ne restait de cette union qu’un enfant tiraillé entre un père et une mère qui ne s’entendaient désormais guère.

Détourner la conversation du sujet principal, s’autoriser à aller voir ailleurs si l’herbe était davantage verte. C’était exactement le comportement qu’était en train d’adopter Ezra, et il ne s’en cachait pas - enfin, pas tout à fait. Son attitude était faite pour masquer l’embarras dans lequel il se trouvait présentement, pour ne pas que Auden puisse voir que le sujet abordé en lui plaisait en rien, mais il n’était en revanche en aucun cas subtile dans sa façon de changer le sujet. Et si cela pouvait venir coller une épine dans le pied de l’autre gars au passage, aujourd’hui, il prenait. « Autant qu’il est le tien. » Un presque sourire qui vint s’étirer sur les lèvres d’Ezra. Vraiment, cette partie là de l’histoire était le plus ironique. Il y avait une chance sur beaucoup trop pour que leurs familles soient déjà unies en dehors de eux deux, et pourtant il semblait qu’ils faisaient le concours à celui qui viendrait le mieux se mêler à la vie de l’autre déjà tous seuls dans leur coin. L’intérêt de la question d’Ezra n’était cependant pas là, il cherchait à savoir lequel des neveux de Auden serait de la partie également, et s’il était prêt à s’encombrer de deux Beauregard pendant ses vacances de rêve. « Mon autre soeur a aussi un fils. Noah. » Aux quelques mots qu’il venait de prononcer, Ezra vint à la fois hausser un sourcil et froncer le deuxième. Il se rendait compte, à dire vrai, à quel point il ne connaissait que brièvement la famille d’Auden, puisqu’il ne savait pas que ce dernier avait une autre soeur que Savannah. Et Noah, sérieusement ? De tous les prénoms sur cette terre, il se trouvait que son neveu qui partait avec eux en vacances - car c’était ce que comprenait Ezra présentement - s’appelait également Noah ? Si la situation n’était pas autant étrange, peut-être qu’il aurait pu en rire. Peut-être. « Tu veux un truc à boire ? Y’a pas de bière ou quoi mais Noah pourra sans doute te prêter un de ses milliers de sirops, j’imagine. » Ezra n’eut cependant pas le temps de venir répondre à la question d’Auden que ce dernier était déjà en chemin vers la cuisine, venant échapper à son tour à la conversation, faisant en sorte de ne plus être dans le décor. Le Beauregard vint alors refermer sa bouche, soupirer quelque peu, laissant son regard se laisser porter dans le jardin et au delà, autorisant son esprit à un instant de répit. La conversation qu’il tenait présentement avec Auden était surement la plus étrange de toutes celles qui avaient eu lieu entre eux. Même à l’époque où il lui hurlait dessus, remettant sur lui des fautes dont il n’était pas l’auteur - mais pour lesquelles il avait le dos assez large et serait le parfait coupable -, la conversation lui paraissait moins étonnante que celle qu’ils partageaient aujourd’hui. Même en regardant à travers une fenêtre donnant sur un monde parallèle, Ezra ne s’était jamais imaginé que Auden pourrait devenir la figure paternelle présente au quotidien aux côtés de Noah. Rien que d’y penser, un frisson vint lui parcourir l’échine - et le Williams vint faire de nouveau une apparition à ce moment là, ce qui empêcha le jeune homme de laisser ses pensées trainer de trop et aller dans des recoins une brin trop sombre pour lui. « C’est avec le fils de mon frère qu’il s’entend surtout. Il a dix neuf ans. Ils ont prévu de photographier les alligators, si tu veux tout savoir. » Ainsi, Auden avait donc également un frère. Le tableau de famille Williams commençait à pouvoir enfin devenir plus clair dans les pensées d’Ezra. Il vint retrouver une mine de circonstances, un semblant de sourire perpétuellement calé aux coins des lèvres. Il se devait faire preuve de paraitre, alors qu’il parlait de Noah comme s’il était normal que le gamin navigue dans son quotidien là où son propre père ne pouvait l’avoir chez lui pour toute une vie. « C’est bien, ils vont passer de bons moments. » C’est bien, quelle ironie, alors que ses ressentis n’étaient en aucun cas en adéquation avec cette phrase. Le verre qu’Auden lui avait apporté fini par être déposé sur la table et Ezra ne mit pas longtemps avant de le saisir, afin de s’occuper les mains, de s’occuper l’esprit. Noah mettait un temps fou à récupérer toutes ses affaires là où Ezra avait simplement envie de le prendre sous son bras et de partir en courant de cette maison. Qu’était-il arrivé à Auden et Ezra, eux qui avaient toujours été les maitres dans l’art du paraitre mais dans l’art de paraitre ensemble contre les autres. Ils formaient la paire la plus cocasse tous les deux, sans que jamais personne n’en soit au courant - Ezra serait prêt à parier que même Ginny ne savait pas qu’ils pouvaient se supporter en réalité. Lorsqu’il avait dit à la jeune femme qu’Auden et lui ne seraient pas un problème, il ne mentait pas, Ezra. Il avait été honnête et il espérait pouvoir appliquer ses propres paroles encore longtemps surtout - car il fallait avouer que l’amour changeait tout. « Si je cherchais à t’évincer de sa vie je l’aurais fait bien avant. » S'il était perdu dans ses pensées jusque maintenant - sans s’en apercevoir, il fallait le noter -, les quelques mots prononcés par Auden vinrent l’en tirer et d’une façon plutôt radicale. Leurs yeux vinrent alors s’accrocher, s’entrechoquer, et ce fut avec un étirement de l’échine qu’Ezra vint froncer quelque peu les sourcils. Son sourire de façade vint fondre comme neige au soleil, étant donné la gravité des paroles que l’autre venait de prononcer avec un sérieux qui ne lui allait pas au teint. « Et je parle de Noah autant que de Ginny. » Il n’y avait pas à douter qu’il aurait pu le faire. Même si le coeur d’Ezra se serrait présentement à rien qu’imaginer l’idée, il savait que les paroles du jeune homme n’étaient pas fausses. Et c’était surement ça, le pire. Dans la gravité et l’importance de ses paroles, il était dans l’exactitude d’une réalité à laquelle ils avaient tous échappé. « Je l’ai toujours traité comme mon propre fils mais je sais qu’il ne le sera jamais. Et lui aussi il le sait. » Ezra ne sut exactement à quel moment il avait arrêté de respirer, mais la bouffée nouvelle d’air qu’il réussit à attraper au vol à ce moment là lui fit un bien fou. Parce-que s’il n’avait dit mot jusque maintenant quand aux paroles prononcées par Auden, ce n’était pas pour autant qu’elles ne l’affectaient pas d’une certaine manière. Il savait que le jeune homme aurait eu mille et une possibilités de faire comme si Ezra n’avait jamais fait partie de la vie de Noah ou de Ginny. Il savait qu’il possédait au fond de lui la volonté de s’appliquer à cet exercice. Et s’il ne savait si ses paroles devaient se prendre comme des menaces ou comme des constatations, il savait désormais qu’Auden se permettait simplement de pointer l’évidence du doigt. De crever l’abcès au passage, également. Parce-que ces choses là, il fallait en parler tout de même afin de ne pas se retrouver avec un abcès infecté outre mesure. Alors, un léger soupire se fit entendre de la part d’Ezra. Un brin blasé, surtout soulagé - il ne l’admettrait cependant pas, ni aujourd’hui ni jamais, ce serait donner bien plus de crédit au discours d’Auden qu’il ne s’en auto-accordait déjà. « Je sais… merci. » Le petit mot qui vint vous écorcher les lèvres et la gorge, qui venait faire plus de dégâts qu’il ne contenait de lettres, mais qui méritait d’être exprimé présentement. Il n’existait pas d'autre mot plus juste que celui-ci, en réalité. Ezra était reconnaissant qu’Auden apporte ce traitement si particulier à son propre fils alors qu'il aurait toutes les raisons du monde de le détester - il était les vestiges d’un passé avorté bien trop rapidement, parfois un souvenir trop difficile à oublier bien que douloureux d’être exprimé. « Et j’aime pas jouer l’adulte, ça me va pas au teint. Je vais pas répéter le même discours avant longtemps. » Le petit rien qui vint s’échapper d’entre les lèvres d’Ezra était réel, était vrai. Il ne l’avait pas forcé pour faire plaisir à qui que ce soit. A aucun moment, le jeune homme ne s’était de toutes façons dit que cette posture d’adulte allait à Auden, lui qui passait la plupart de son temps à prouver à qui voulait ou non l’entendre qu’il ne supportait pas se conformer à la société dans laquelle ils évoluaient. Sur ce point là, Ginny et lui s’étaient bien trouvés - même si dans le cas de la jeune femme, c’était involontairement qu’elle abordait un tel comportement. « Va pas te rendre malade non plus alors. » Et il vint laisser son regard se porter ailleurs, se porter sur la maison et les pas de Noah qui ne s’entendaient plus, ne résonnaient plus. Le petit devrait avoir terminé de faire ses valises d’ici à quelques minutes et Ezra pourrait enfin rentrer sereinement chez lui avec son fils, et laisser cette conversation derrière lui. « Tu voudras venir manger un de ces jours ? Ici ou au restaurant. Tu choisis. » Si jusque là, il avait été étonné qu’Auden aborde certains sujets de conversations alors que rien ne l’obligeait, il n’avait été en aucun cas surpris du contenu de ces dernières. Il avait assez côtoyé la bête durant toutes ces années pour comprendre à quoi s’attendre avec lui. Cependant, la dernière phrase qu’il venait de prononcer laisser Ezra quelque peu surpris. Un drapeau blanc accroché si longtemps, était-ce bon pour eux ? Qu’était-il arrivé au Auden qui avait un jour voulu se servir du visage d’Ezra comme expérience artistique à accrocher dans le salon de son appartement ? Etait-ce ça, de devenir adulte et plus simplement prétendre en être un, se conformer à des situations civilisées qui n’étaient guère ce qui avait été envisagé pendant des années ? Quelques secondes de silences s’écoulèrent, alors que le regard d’Ezra revenait lentement vers Auden, alors que ses pensées allaient à mille à l’heure et qu’il s’imaginait déjà la scène. Il y avait quelque chose de détonnant et à la fois d’apaisant, à dire vrai, à visualiser ce qu’un repas de la sorte pouvait donner. « Je connais les talents culinaires de Ginny et en première réponse, j’ai envie de dire restaurant, tu vois. » Pas qu’il disait oui de suite, pas qu’il disait non, il ne se prononçait pas mais montrer à Auden qu’il était prêt à envisager la chose. Ils étaient coincés l’un avec l’autre depuis des années de toutes façons, et il semblerait qu’elles étaient prêtes à s'allonger encore quelques temps; ils allaient devoir se supporter s’était indéniable. Alors peut-être qu’ajouter une petite couche de normalité à tout ça serait le bienvenu, effectivement. Peut-être que ce n’était pas une si mauvaise idée, finalement. « Un restaurant pourrait s’envisager, oui. » Et, pour la première fois depuis qu’il avait appuyé sur la sonnette de l’entrée, depuis que Noah était venu lui ouvrir la porte, un sourire sincère vint se glisser sur les lèvres d’Ezra. Rien à voir avec ceux qu’il tirait à qui voulait le voir jusque maintenant. Et il savait qu’Auden saurait voir la différence, parce-qu’il était maitre dans l’art de mener cette attitude. A ce moment là, comme si le gong savait sonner uniquement au bon moment, les pas de Noah se firent attendre dans l’escaliers - et l’oreille d’Ezra ne put s’empêcher de se tendre davantage pour être sur qu’il arrive en un seul morceau au rez-de-chaussée sans se laisser emporter par la taille et le poids du sac qu’il avait sur le dos. « J’ai besoin d’aide pour porter le reste papa, c’est trop lourd pour moi. « Il aurait pu parier et mettre sa main à couper que cette situation là aller arriver. Tournant son regard vers Noah le temps d’un instant, il vint à la suite planter ses iris dans ceux d’Auden, qui se tenait toujours à ses côtés. « C’est ta maison. » Et parce-que ces paroles là, prononcées à la suite de leur discussion, portaient une signification toute autre et bien plus importante. Parce-qu’en temps normal, Ezra serait monté chercher les affaires de Noah sans se poser de questions, sans broncher ou sans y réfléchir à deux fois. Mais Auden avait préféré jouer à l’adulte pendant leur conversation et faire comprendre à Ezra que leurs rôles ne pourraient pas s’inverser, que chacun avait sa place à respecter et que c’était déjà bien assez. Alors, il n’allait pas empiéter sur ses plates bandes. Pas aujourd’hui en tous cas - et ne pas monter à l’étage chercher les affaires de Noah faisait partie de cette limite à ne pas franchir, à ses yeux.

Il le voyait parfaitement dans le regard d’Auden, ce remerciement silencieux. Il pouvait surtout le déchiffrer car il s’attendait à la trouver là, alors qu’ils continuaient tous les deux de jouer aux adultes responsables. C’était étrange d’adopter ce rôle et cette attitude aux côtés d’Auden. Ezra s’était toujours dit qu’avec lui, ce serait soit la blague, soit la guerre - et sans juste milieu à ces deux options là. Et pourtant, aujourd’hui, ils avaient réussi à trouver un semblant de terrain d’entente. « Je m’en occupe. Pizza aime trop papa, regarde, il peut pas bouger. » Haussant légèrement un sourcil mais retenant un petit rire, le regard d’Ezra navigua un instant du chien à Auden - où était-ce l’inverse ? - qui partait déjà en direction de l’étage, Noah sur les talons et le silence vin s’imposer rapidement à la suite autour du Beauregard, le chien dormant tout ce qu’il pouvait sur le sol de la terrasse. Et bien sûr que son sourire était toujours accroché sur ses lèvres alors que les deux autres étaient là-haut, qu’ils terminaient les valises et qu’ils agissaient comme ils l’auraient fait si Ezra n’avait pas été là. C’était plus l’ironie de la situation qui faisait perdurer le sourire du jeune homme qu’autre chose, car il aurait tout donné pour être celui qui aidait Noah à préparer ses affaires. Mais il avait été honnête dans ses paroles - il était chez Auden ici, et il n’avait pas à agir alors que son rôle n’était guère celui là. Finalement, des pas se firent de nouveau entendre dans les escaliers et la silhouette d’Auden réapparut dans le champ de vision d’Ezra. Ce dernier s’était simplement permis de passer de l’extérieur de la maison à l’intérieur, attendant sagement au pied de l’escalier, ayant lâchement abandonné le chien à son triste sort - après tout, si Auden avait réellement besoin de quelqu’un pour garder l’animal, il savait qu’à le faire lui-même. La valise, le sac et tout un tas d’autres bricoles passèrent des mains du Williams à celles du Beauregard en un rien de temps, avant que le brun ne vinrent tendre une main en sa direction. Il exista, l’instant d’hésitation. Réellement bref mais présent tout de même, assez pour être perçu par l’assemblée qu’ils formaient tous les deux. Mais la guerre ne battait pas son plein aujourd’hui, là où elle ne l’avait jamais réellement battue et où les artifices avaient surtout été de mise, alors les doigts d’Ezra vinrent se serrer autour de la paume d’Auden. Contact quelque peu électrique. « Envoie un message quand tu veux faire ce repas. A Gin ou moi. » Ezra vint hocher de la tête, avant d’esquisser ce qui ressemblait un petit sourire satisfait. Ce serait peut-être à Ginny plutôt qu’à lui, ce serait peut-être du bouche à oreille grâce à Noah, la tournure des événements pouvait être dessinée à l’improviste et à l’infini d’ici à ce que le moment arrive. « J’y manquerai pas. » Pour de vrai, là les artifices n’étaient guère autorisés ni désirés. Parce-qu’il y avait des mots qui n’avaient pas besoin d’être prononcés dans cette discussion. Parce-que Auden savait aussi bien qu’Ezra que ce dernier embarquait volontairement dans un train qui n’affichait pas un destination forcément des plus plaisantes, mais pour laquelle il arriverait à se contenter du voyage - ce dernier était important pour d’autres personnes à bord du wagon. Mais au moindre signe de malaise ou au moindre soucis d’aiguillage,  il n’hésiterait pas à parler aux personnes compétentes pour changer la destination. « PAPA J’AI FAIIIIIIIIIIM. » La terreur fut de retour et vint tirer le regard d’Ezra de celui d’Auden, dans lequel il s’était un instant égaré, avant de secouer quelque peu la tête. Et alors qu’il allait répondre, alors qu’il ne s’attendait pas à une intervention dans ce sens de sa part, Auden vint prendre la parole une dernière fois. « C’est ton fils. » Et alors qu’il vint ébouriffer les cheveux de Noah, quelque-chose changea dans le regard d’Ezra envers celui dont il avait toujours appréhender la présence dans les parages, l’aura qu’il émettait et les intentions derrière ce regard souvent voilé. Etouffant un petit rire, Ezra vint attraper la main de Noah. « C’est prévu des frites ce soir, t’inquiètes pas. » Il s’osa tout de même à un dernier regard en arrière lorsqu’il passa le seuil de la propriété, et que Noah commençait déjà le récit de ses dernières aventures. Avec le reflet du soleil, Ezra jurait avoir vu Auden lui faire un quelconque clin d’oeil avant de fermer la porte.