Je ne saurais pas retracer la frise chronologique des événements qui nous ont conduit jusque là mais désormais on peut simplement observer le coucher de soleil sur notre villa implantée à plusieurs mètres au dessus du sol au beau milieu d’une réserve africaine au nom imprononçable. Saül a géré la moitié des réservations et moi la moitié plus une, simplement pour lui prouver que je n’avais de toute façon pas besoin de lui et ce d’aucune manière que ce soit. Ce pays était mon idée de voyage et même si le plan initial ne comportait que Ginny et Noah, je suis autant heureux que j’en rage que de le savoir parmi nous.

Tout comme je suis le plus heureux des maris du monde dès lors qu’il retourne avec sa femme et nous laisse un temps de répit rien qu’entre nous, rien que pour qu’on puisse débriefer des cinq minutes qu’on a eu à passer sans pouvoir échanger les secrets récoltés de ci de là. Lui et sa femme se cachent des milliers de choses et l’ambiance est très souvent électrique, pourtant il n’en est rien pour Ginny et moi et si je rêve parfois de la savoir loin de moi ce n’est finalement que pour prendre des photos que je garderai même si elle se plaint de son nez qui se fronce ou de ses yeux qui louchent. Cela m’amuse autant que cela ne m’importe absolument pas, finalement.

On est arrivés ce soir même, entre l’avion et la voiture on s’est perdus dans les transport et dans le décalage horaire, entre l’hiver australe et la chaleur sud africaine. Même Noah a pourtant finit par s’endormir, le bonhomme qui a le droit à sa chambre privative au milieu des deux autres, les époux qu’on a disposés de part et d’autre de l’habitation. Et nous, on a le côté qui a le droit au coucher de soleil. Et nous, on a le droit aux virgins cocktails qui ne sont pas même une information à propos de la grossesse de Ginny, elle qui tente au mieux de le boire sans s’en mettre partout alors qu’on s’est le plus naturellement du monde posés sur le balcon et couchés dans les longs fauteuils moelleux face à la savane. La hauteur ne me fait pas peur de là, moi qui garde les yeux vissés sur l’horizon ou perdu dans les siens, au choix. Je me suis fait une place à ses côtés sans lui demander son avis, certaines habitudes ayant encore et toujours la vie dure. Ma main a déjà pris pour habitude de ses glisser sous son tee shirt au niveau de son ventre, je ne m’en rends même plus compte tellement le geste est totalement naturel dès lors qu’il n’existe plus que nous deux. Mon pouce caresse doucement sa peau, je souris contre son épaule avant de déposer un baiser par dessus.

Le soleil se couche et on est ailleurs. Tout va bien.

* * *

“Ginny tu te souviens du toast que tu trouvais trop joli et que tu voulais prendre en photo avant de manger ?” J’ose d’une voix faible, enrouée par le réveil trop matinal encore récent. On nous a fait livrer le petit déjeuner, Noah est encore occupé à dormir et on profite sans en parler des deux minutes de répit qu’il nous offre là. “Alors. Euh. Hm. Y’a plus ton toast … maiiis tu peux prendre en photo le singe qui l’a volé.” Un mal pour un bien, il est sûrement le seul être humain au monde à qui elle ne lui en voudra pas de lui avoir volé de la nourriture pourtant si appétissante. On se lève à peine et déjà tout est si compliqué, j’arbore un sourire toujours plus grand alors que l’animal n’est qu’à quelques mètres de nous à peine en train de jouer avec les différents ingrédients de ce qu’aurait dû être le repas de ma femme.

Et elle incroyable la nature, ici. Y'a des arbres que je ne connais pas, des tas de feuilles greffées aux branches que j'aurais envie de détailler pendant des heures tellement elles me semblent sorties de nulle part. Mon appareil photo est l'extension de ma main tant je le dégaine à tous moments, j'en suis devenue énervante (je l'étais déjà bien avant ça qu'Auden vous dira, son immense sourire de conquérant aux lèvres) à la seconde où on a mis le pied en terre africaine tant je m'émerveille des plus petits détails.

La villa est incroyable elle aussi, mais là, c'est Noah qui s'est chargé de nous le faire savoir. Lui, il a tout filmé, lui, il s'est imaginé une tente de draps d'un côté et une montagne de coussins de l'autre, il a passé une heure complète à négocier par tous les moyens - en tentant à un moment de faire des graphiques à même le revers des pages d'un de mes cahiers à dessins - de pouvoir dormir dehors, directement sur la grande plateforme de bois travaillée qui fait office de terrasse bordée. À la seconde où on a presqu'accepté il s'est écroulé dans son lit, épuisé par tant d'efforts surhumains de gamin brouillé par le décalage horaire. Les négociations reprendront demain.

Il ronfle depuis un long moment déjà, mon fils, quand ma silhouette se confond à celle d'Auden, que l'immense canapé d'extérieur posté face au coucher de soleil a été pris d'assaut par nous deux. On bouge pas du moindre millimètre de peur de le défoncer sous nos corps cumulés, on bouge pas non plus parce qu'on a trouvé la position parfaite pour ne pas se retrouver avec des coudes ou des genoux qui entravent notre confort décuplé. « C'est pas cheesy si je te dis je t'aime maintenant, hen? » ce maintenant, c'est lorsque je mets ma main sur ses yeux pour cacher la vue et ainsi rendre le tout un peu moins paradisiaque, à défaut que l'autre main, elle, se soit enlacée à celle qu'il a cachée sous mon t-shirt. Mes mots s'envolent à son oreille, la justification qui n'en est même pas une. Mon sourire qui complète le plus cliché des tableaux, le plus beau aussi. « Hen? » la seconde d'après, il suffoquera sous mes baisers et sous le poids de ma silhouette accrochée à la sienne, la nuit à la belle étoile qu'on dérobe sans le vouloir à Noah en s'endormant à même le canapé à l'instant où on ferme les yeux.

***

“Ginny tu te souviens du toast que tu trouvais trop joli et que tu voulais prendre en photo avant de manger ?”  
« Oui? »

Je déteste ça. Je déteste la mauvaise impression, je déteste le ton railleur dans sa voix, je déteste tout et je sors de la salle de bain les couettes partant dans tous les sens, les quelques gouttelettes de la douche prise pour nettoyer les vestiges de la nuit qui perlent encore sur ma nuque.

“Alors. Euh. Hm. Y’a plus ton toast … maiiis tu peux prendre en photo le singe qui l’a volé.”
« Quoi? »

C'est la débandade, c'est l'horreur, c'est l'apocalypse, c'est mon appétit multiplié et cruellement délaissé depuis que je mange pour deux, c'est la fin du monde, c'est le chaos, c'est Baghdad et c'est- « Quoi?!?! » et c'est ma silhouette qui s'immobilise oui, mes yeux écarquillés et l'immense, le naïf, le candide sourire d'une gamine de 5 ans à peine qui illumine d'office mon visage. « QU-OI y'a un singe? »

Et il est là le fourbe, le gourmand, l'adorable petit voleur à grimper le long des rambardes pendant que je fais tout en mon pouvoir pour ne pas le brusquer, même si mes pas au ralenti bougent une chaise et une table et un pot de fleurs et la totalité de ce qui se trouve dans mon sillage le temps de m'approcher de lui de la moins subtile des façons. « Le plan aujourd'hui, c'est qu'on abandonne tout et qu'on s'assure d'entraîner le singe pour qu'il fasse la vaisselle plus vite et mieux que Noah. » que je m'amuse, que je pouffe. Noah qui finit par aboutir sur la terrasse lui-même prêt pour la journée, le plan qui n'en a que le nom tant on a décidé d'y aller doucement avec ce voyage. On en a tous besoin. « On peut pas adopter de singe je sais pas comment l'appeler. » point valide.

« Parlant de nommer des animaux, il est prévu quand le safari? » ma main se tend, attrape un bout de mangue pas encore gobé par le singe quasi domestiqué. C'est la seule priorité de nous tous, le seul point commun il me semble, de grimper à bord d'un jeep pour se faufiler dans la savane et voir le catalogue complet des animaux les plus cool et les plus fascinants de l'univers en version réelle. Mon visage que je tourne vers Auden, les milliers de questions qui restent en suspens, simplement parce que les précisions ne servent à rien. Un pas à la fois.

Ginny ressemble à un bulldozer qui écrase tout sur son chemin mais par le plus grand des hasards, le singe reste en place, lui qui est bien plus domestiqué que sauvage bien que cela n'entache en rien la magie de la chose. Elle bouge dans tous les sens, sa bouche s’ouvre pour se refermer aussitôt et moi je garde mes yeux posés sur l’animal sans ne bouger de ma chaise, simplement heureux d’en être rendu là. Le singe est adopté pendant une seconde, rendue à sa liberté la suivante par le gamin et sa logique à toute épreuve. « Parlant de nommer des animaux, il est prévu quand le safari? » “Pas aujourd’hui. Ni demain. Ni après-demain.” J’hausse les épaules, faussement désolé, certain qu’on aura bien d’autres activités à faire jusque là et de matins à se faire voler la nourriture. En parlant de voler de la nourriture, mon bras s’étend pour attraper le bout de mangue sauvé par Ginny, lequel elle mettait de toute façon une éternité à avaler puisque son monde tourne au ralenti depuis que le singe est apparu dans les parages. Je n’imagine pas encore sa réaction face aux girafes, et aux lions, et aux éléphants. Oh, les éléphants. Quel enfer.

* * *

Il s’en vient finalement, le dernier jour. Les jeeps se mouvoient par trois, le groupe s’est divisé par couple pour le plus grand bonheur de tout le monde, sauf de mon frère et de sa femme j’imagine. Les guides nous ont séparés pour qu’on soit plus discrets et pour couvrir plus de terrain dans l’espoir d’apercevoir des animaux sauvages qui, bien que présents, ont néanmoins tendance à se faire rare dans la région.

On a les pires habits clichés du safari typique, entre les chemises volantes et les chapeaux de paille, on est les parfaits touristes les plus reconnaissables à des milliers de kilomètres. Même si Saül est pire. Saül est toujours pire. Pour le moment en tout cas il n’est pas là et il est le cadet de me soucis alors que je me fais le messager de ses idées qui, pour une fois, ne sont pas si mauvaises que j’aurais pu le croire.

Le package du parfait touriste ne peut exister sans les appareils photos assortis et puisqu’on a chacun le notre, bien sûr, une guerre s’est déclarée pour savoir qui de nous deux allait prendre la meilleure photo - sans suspens aucun puisque ce sera moi. On tanne le guide depuis des heures pour voir des lions et il suffit qu’on se dispute pour la troisième fois pour que l’un d’entre eux passe devant nous à vive allure et le guide de nous prévenir. La dispute cesse aussitôt pour laisser place à une bagarre, la guerre de savoir qui de nous deux capturera mieux les mouvements de l’animal débute et mes doigts élisent domicile sur les yeux de la brune pour que ma victoire ne fasse aucun doute. “On a dit que c’était moi le lion et toi tu t’occupes de tes suricates, allez Ginnyyy suis le plan pour une fois.”

“On a dit que c’était moi le lion et toi tu t’occupes de tes suricates, allez Ginnyyy suis le plan pour une fois.” blablablablabla gnagnagnagnanga et mes yeux roulent sur eux-même et le guide échange le regard le plus lourd de sens avec mon fils, de 10 ans, celui-là même qui se comporte mieux que les adultes qui sont censés être ses figures d'autorités et parents. La blague. « Le quoi? » je suis jamais le plan, il ne suit jamais le plan, personne de nous deux ne suit jamais le plan et c'est simple à comprendre maintenant. Et pourtant.

Ses mains se posent sur mes yeux le fourbe, je gesticule comme si le fait de transformer mon corps en ver de terre ambulant aiderait à quoi que ce soit pour entraver à sa manoeuvre. « Dégage. » et elles servent à rien mes menaces. Ça étonne personne et certainement pas lui, quand mes dents tentent de mordre ses doigts et se retrouvent à goûter tout le sable et toute la terre qui s'est accumulé entre ses ongles quand il jouait à trouver la meilleure posture dans l'angle pour prendre une photo des zèbres. Le guide, lui, jouait à pas arrêter de lui hurler dessus pour qu'il regrimpe dans le jeep, que le forfait "on ne sort pas les mains du véhicule et encore moins le corps en entier sauf si on veut devenir un appât à fauves" n'était plus disponible. « Tu fais exprès. » bien sûr qu'il fait exprès Auden, parce qu'il a la trouille, parce qu'il sait qu'avec mon argentique je suis meilleure que lui avec le sien. J'ai des années de pratique avec le même appareil, il s'est tendu son propre piège et il se fait avoir à son propre jeu quand j'ai depuis longtemps maîtrisé l'appareil offert pour mon anniversaire mais pas vraiment y'a une vie de ça. « Je te détest- » mes yeux sont enfin libres, je ne sais pas si je dois remercier un Saint en particulier ou juste le guide qui a fait office d'arbitre de fortune mais les voilà, les lions. Les voilà dans la savane et et et et « - oh mais il est si beau! » j'ai l'impression d'avoir passé mon voyage en entier à admirer des animaux, à les nommer, à leur donner des tas de qualités et à me transformer à tort en Doctor Dolittle quand aucun d'entre eux n'a même daigné me répondre. Impolis. « Okay il est à toi prends-en soin. » je cède finalement, ma silhouette installée le plus confortablement du monde - pas tant mais suffisamment - sur les cuisses d'un Auden à qui j'autorise la photo, grande âme que je suis.

Des baisers se perdent sur sa nuque par contre, entre deux beurk et quatre ew de Noah. C'est ma tactique pour qu'il manque un peu de précision, pour qu'il grogne et que ça dérange son angle. Et il est fourbe, mon souffle qui se casse contre sa peau, quand la seconde d'après j'ai envie de jouer à nouveau. « SURICATES! » y'en a aucun, suricate, mais c'est le golden ticket pour que je puisse ressortir mon appareil apparement, moi qui suis maintenant son fameux plan, moi qui s'est levée dans l'élan pour finir par me ranger à l'autre bout du jeep, appareil photo dégainé. Ma silhouette qui doit cacher tout ce qu'Auden tente de prendre en photo aussi. Même pas que je suis désolée.

J’ai gagné la photo sur les lions et si vous me le demandez alors oui, absolument, je me sens totalement roi du monde en ce moment même. Elle pourra avoir toutes les bestioles qui lui plairont, n’en reste pas moins que j’aurai capturé le roi de la savane dans mon appareil photo et cela fait de moi le plus heureux des hommes. Elle m’écrase une cuisse et la circulation sanguine peine à se frayer un chemin mais c’est bien le cadet de mes soucis alors que je ne vois désormais plus le monde que par le biais de l’objectif de mon appareil photo. On savait tout les deux qu’on se comporterait ainsi et on est loin, très loin de s’en plaindre alors que je trouve finalement à peine le temps de râler lorsqu’elle joue de sa proximité avec moi. Une sourire silencieux se forme sur mes lèvres alors que je me promets de lui rendre la pareille puissance un millier dès lors que je serai pleinement satisfait de l’angle et des couleurs de ma photographie.

C’était bien sûr sans compter le fait que j’ai épousé la femme la plus persévérante et fourbe qu’il n’ait jamais été donné de porter à la Terre toute entière. « SURICATES! » “Où çaaaaa ?” J’ai l’attention d’un gamin de six ans, quand d’un animal je passe déjà à un autre, en demandant plus et toujours plus alors qu’elle se joue de moi. A partir de là, ne me reprochez plus jamais que je ne ‘intéresse à rien ou que je ne pose pas de questions parce que vous avez la preuve de ce qui arrive lorsque c’est le cas : elle est la pire des plaies. Changeant de position en quatrième vitesse, la voilà qui cache le lion et même les suricates inexistants, une brune et son chapeau de paille au milieu de la savane et mon appareil photo que je ne rentre surtout pas, bien au contraire. Le cadre et la lumière change mais n’en reste pas moi que j’ai toujours quelque chose à prendre en photo, que ce soit elle ou l’animal plus au fond. Pour le moment encore, ce sera elle. Ca n’a toujours été qu’elle, comme je lui ai déjà dit une fois, comme je serais prêt à lui redire mille autres si jamais elle pouvait arrêter de me prendre pour son punching ball pendant la nuit.

* * *

“HYENES !” Je hurle déjà, réveille toute la voiture presque endormie après une journée entière de safari. “Non pardon mauvais réflexe, j’ai cru voir Saül.” Mon sourire s’étire et alors que je m’étais vivement redressé, mon bras revient se lover autour des épaules de Ginny déjà allongée sur la banquette arrière. On a arrêté de se chamailler pour le plus grand bonheur du chauffeur, lui qui connaît déjà mes consignes pour la fin de journée.

Noah s’est endormi à l’avant il y a deux minutes de cela, ce qui nous laisse une marge de manoeuvre de trois de plus avant qu’il ne revienne à la vie. Déposant un dernier baiser sur la tempe de la brune, je lui chuchote de me suivre et dès lors passe par dessus la portière du véhicule pour toucher pied à terre. Gardant mes mains près d’elle, prêt à la rattraper à tout moment, j’anticipe déjà un des mille faux mouvements possibles de sa part.

La suite est simple, logique, innée, naturelle. Mon bras revient se poser autour de son épaule, un sourire en coin fixé sur mon visage, la savane africaine littéralement à nos pieds. “Si je te pose une question tu promets d’y répondre rapidement ?” Je joue, je m’amuse comme un gamin, je prépare le terrain sans qu’elle, elle n’y soit le moins du monde préparée. “Si je te pose une question tu promets de pas crier ou pleurer ou bla bla bla ?” En soi ça ne m’aurait pas dérangé mais le guide m’a donné l’autorisation de sortir du véhicule seulement si on se faisait discrets. Et autant dire que cela n’a jamais été notre fort, ça. “Et si je te pose une question, tu promets que peu importe la réponse ça changera rien pour nous ?” Mon sourire s’envole, je me fais un peu plus sérieux alors qu’elle ne peut pas répondre honnêtement encore, elle qui ne connaît rien à la situation.

« Je sais que tu me prends en photo Auden, t'es zéro subtil. » y'a aucun bruit, pas le moindre flash, pas le moindre déclic, silence de mort et tout ce qui vient avec dans mon dos. Faut croire qu'avec les années j'ai appris à le connaître par coeur, l'homme de ma vie.

***

“HYENES !” j'avais trouvé la position la plus confortable de toute la vie + 1 contre lui et il me l'arrache et je le déteste de toute mon âme et de tout mon coeur. Mais c'est bien plus fort que moi, mes yeux s'ouvrent, immenses, mon sourire s'agrandit tout autant. Ma nuque elle, passe à nouveau en mode périscope à se tendre pour laisser mon coup d'oeil balayer avidement la savane qui nous entoure depuis des heures. “Non pardon mauvais réflexe, j’ai cru voir Saül.” « Vraiment pas drôle. » alors pourquoi est-ce que tu pouffes de rire contre ses lèvres Ginny? Non, vous avez mal vu, et certainement pas bien entendu.

Noah ronfle même pas, ce qui est un miracle de voir comment toute la journée il a donné entière l'énergie qu'il avait au creux de son petit corps meurtri par les années désormais plus fort que jamais. Son nez est rougi par le soleil, j'y applique une touche d'aloès rien que pour le soulager, il fronce mais il continue de dormir pour autant. Bon gamin.

À travers quelques baisers dépareillés contre ma nuque, y'a Auden maintenant qui brave les milliers d'avertissements du guide et du chauffeur - y'en avait juste un en fait, ne pas descendre du véhicule, les autres, on les a tous pas respectés au point où ils ont sauté, mais celui-là, il y tenait... jusqu'à maintenant, apparemment. Un autre miracle se produit : aucune de mes chevilles ne se foule, aucun de mes os ne se casse quand je saute en bas du jeep comme une Indiana Jones des temps modernes. Ma chemise s'accorde à celle d'Auden et mon chapeau à celui de Noah, les photos seront horribles et je les chérirai pour des années.

“Si je te pose une question tu promets d’y répondre rapidement ?” « C'est ça la question? J'ai répondu. » que je chante, maligne, redressant le regard et le menton, ma main venant chercher la sienne qui dérive par-delà mon épaule. “Si je te pose une question tu promets de pas crier ou pleurer ou bla bla bla ?” « Je crie pas, je pleure pas, c'était ça ta question oui ou non? » un nouveau rire, mes doigts s'enlacent aux siens, pincent et caressent, tracent des lignes imaginaires et pléthores d'idées de tatouages que j'encrerai sur lui à défaut qu'il puisse dessiner sur moi pour encore 7 mois. “Et si je te pose une question, tu promets que peu importe la réponse ça changera rien pour nous ?” « Si c'est ici que tu demandes le divorce parce que comme ça t'es sûr que les lions vont se charger de me manger et que comme ça t'auras pas besoin de me convaincre de signer les papiers sans que jamais je les signe je te jure que mon fantôme va venir te hanter comme celui de Capt'ain Cook pour cette vie-ci et les quinze suivantes au moins. » oh qu'elle se moque la gamine, oh qu'elle ne capte rien, absolument rien aussi. C'est pas ma faute si c'est assuré que peu importe la question, rien ne changera pour moi. Plus jamais. C'est pas ma faute si je lui fais plus confiance qu'à n'importe qui.

« C'est quoi la question? » je reprends, finissant par quitter les arbres à la Lion King des yeux pour retrouver les siens, de yeux. « Et pourquoi est-ce que tu ne souris plus? » là par contre, c'est moi qui ne souris plus. « C'est promis. » c'est quoi, la question?


ACTION RÉUSSIE : elle pensait qu'elle avait oublié mais y'a un truc pour Aude dans la poche arrière de son jeans (J'ÉDITE MON POST SI C'EST ÇA OK VIVONS DANS LE RISQUE)
ACTION MITIGÉE : le guide a pas compris le plan, il les presse à revenir dans le jeep, le chauffeur s'en mêle, ils se disputent, le moment est tendu lolzie
ACTION ÉCHOUÉE : y'avaient VRAIMENT des hyènes

Elle était presque endormie il y a une minute de cela et désormais elle virevolte, ma femme, elle n’arrête pas de parler et pour une fois je la laisse faire, je la laisse voler tout notre air sans jamais m’en plaindre ni chercher à trouver le temps de placer quelques mots à mon tour. Elle est belle et elle est heureuse, ses yeux brillent et j’ai un regard niais à simplement la regarder - chose que je n’assumerai jamais, soyons clairs. Mes doigts se laissent faire quand les siens se mettent à les martyriser, brune au visage d’ange qui cache la pire des fourbes alors que pour une fois je ne réponds à aucune de ses attaques, pas même un tant soit peu. Elle est joyeuse et elle n’a aucune idée de ce que j’ai derrière la tête, elle ne met que quelques secondes pour justement comprendre qu’elle n’est désormais plus omnisciente. Si elle a développé le don de prédire bon nombre de mes actions, jamais elle n’aurait pu se douter de celle-ci je le crois. Je l’espère. Je suis sérieux une seconde aussi, assez pour la faire paniquer, bien trop longtemps pour que je ne puisse garder cette attitude avant de venir l’embrasser de nouveau, chacune de mes mains posées sur sa mâchoire.

Ginny parle de divorce et je souris, gamin qui ne sait pas où s’arrêter. Elle parle de Captain Cook et je me fais mélancolique une seconde, une seule avant qu’elle passe de nouveau à autre chose et moi avec. « C'est quoi la question? » Mes yeux brillent, les siens s'enquièrent déjà d’une réponse. Les rôles s’inversent. « Et pourquoi est-ce que tu ne souris plus? » J’attends une réponse, une seule, celle qui se ferait les prémices d’une autre. « C'est promis. » Effacé pendant un temps, mon sourire revient pour mille raisons différentes mais surtout parce qu’elle me fait confiance sans n’avoir aucune idée de ce qui l’attend.

Au loin, la voix du conducteur fait écho à celle du guide et si d’abord nous étions les premiers concernés, ils en viennent rapidement à une guerre sonore et brutale entre eux. On aperçoit les petits yeux de Noah qui ne demande qu’à sortir de là, lui qui a pourtant retenu le plan bien mieux que n’importe quel adulte et qui sait par conséquent qu’il doit rester dans la Jeep un temps encore. Mes yeux dérivent de nouveau vers Ginny, à mon sourire fait place un rire, pas franchement dérangé que rien ne se passe finalement comme prévu. Cela n’aurait pas été totalement nous, sinon.

Le guide prend finalement les devants et descend du véhicule et même si je continue d’en rire, je passe pourtant aux prochaines étapes à la vitesse de l’éclair, prenant la brune par le poignet et l’entraînant en courant un peu plus loin dans les broussailles. Quelques dizaines de mètres à peine et j’entends déjà Noah qui va râler de la chose. “Okay, changement de plan.” Je m’arrête sans prévenir, sa course à elle qui se finit quand son menton se loge dans mon épaule. “C’est toujours pas le bon moment pour négocier le prénom de Auden junior, j’imagine ?” Il est large, mon sourire, alors que je n’ai jamais réussi à garder aucune attitude sérieuse bien longtemps alors que le contexte est tout autre. Mes yeux sont dans les siens, ma tête penchée vers elle alors que mes doigts replacent distraitement des mèches de cheveux derrière ses oreilles. Au loin, le guide crie nos noms et me presse à accélérer le pas. “Ni pour dire qu’il serait temps de mettre ton courrier au A, parce que la boîte aux lettres du B est siii loin, hein ?” Viens vivre avec moi. Pour de vrai. Sans faux-semblant, sans mensonge que l’on se fait à nous même. “Par contre c’est le bon moment pour préciser que je viens de gratter tout le temps que t’aurais pu utiliser pour réfléchir.” Ma voix n’a jamais été aussi calme, le flot de mes paroles nullement altéré par la situation.

“Mon frère est le plus lent des joailliers du monde, t’as pas idée. Alors on fait avec les moyens du bord.” Il a dit qu’il ne l’avait pas, ma bague, et je le déteste sans doute encore un peu plus autant que pas du tout, finalement, puisque ça ne change rien pour nous. Mes mains initialement placées autour de ses hanches en viennent à se déloger, mon sourire trop grand trop beau trop fier et certainement trop amoureux que j’en viens à cacher entre mes lèvres que je pince avant de finalement faire un pas en arrière et venir poser un genou au sol. “Alors du coup, … on va prendre ça.” Je pivote sur moi même pour trouver une brindille, faisant les choses avec les moyens du bord. Je préciserai néanmoins que c’est une ‘brindille d’Afrique du Sud’ dès lors qu’elle contera l’histoire au premier venu. Ma main se referme un temps sur la chose avant de de nouveau s’ouvrir le plus théâtralement qui soit au moment où je relève les yeux vers elle, homme serein dont le rythme cardiaque n’a pourtant pas pu s’empêcher de s’emballer. “Virginiaaa Maryyy Elizaaaabeth McGrathhh - et Williams, surtout Williams” Et ta gueule, surtout ta gueule Auden, dis les mots. “Veux-tu m’épouser ?"

Ils brillent, les yeux de l’homme amoureux et déjà marié qui pourtant n’avait encore jamais prononcé les mots et s’était contenté de lui passer la bague au doigt avant de l’entraîner dans un marathon de papiers à remplir. Il n’y avait jamais eu les mots, il n’y avait jamais eu toute la mise en scène et je sais, je sais qu’on en a pas besoin, je sais qu’on aurait très bien pu vivre sans. Tout comme je sais que cela ne fera que la rassurer encore un peu plus, elle comme moi, que je suis prêt à tout pour elle et qu’à ses côtés j’apprends au jour le jour à être quelqu’un de bien. “Et … wow wow wow okay c’était un phasme on abandonne le plan.” Mon sourire s’envole un instant, j’envoie l’animal voler au loin avant de recommencer à rigoler, moi qui attends une réponse alors que je ne lui laisse pourtant pas une seule seconde pour parler. “Avec mon karma y’a moyen qu’on soit sur des sables mouvants en ce moment même alors si j’étais toi je donnerais une réponse, là.” Ma langue passe sur mes lèvres un instant, tic de stress que je ne peux pas cacher, elle qui aura encore et toujours la possibilité de dire non et de partir si un jour elle décide en avoir marre de toujours tout réparer sur mon passage - que ce soit moi ou le reste du monde.
Ça ne changera rien pour nous. Quelle que ce sa réponse, ça ne changera rien.

“Okay, changement de plan.” comme 95,5% de nos vies, et de notre vie, en fait.

Mon nez est encore niché dans son épaule à cause de sa course précipitée et de l'arrêt qui l'a tout autant été. Mais son sourire est revenu au moins. On n'entend plus le guide et le chauffeur et leurs cris derrière nous, eux qui sont bien plus à même d'attirer les hyènes que notre petit jogging de santé et nos quelques éclats de rire essoufflés. “C’est toujours pas le bon moment pour négocier le prénom de Auden junior, j’imagine ?” ouais, qu'il recommence à sourire Auden, qu'il tente m'amadouer avec ces yeux-là et avec ses doigts qui replacent mes mèches en sachant très bien que c'est peine perdue d'avance. Mes dents mordent avec une douceur infinie le bout de son nez, mes talons reviennent se poster au sol la seconde d'après quand je suis à même de répondre, mais qu'il poursuit son plaidoyer. “Ni pour dire qu’il serait temps de mettre ton courrier au A, parce que la boîte aux lettres du B est siii loin, hein ?” mes sourcils se froncent, bien plus par intérêt que par brusquerie. J'aurais jamais demandé à emménager chez lui officiellement si ça n'était pas venu de lui, même si j'envahis autant son espace que lui le mien depuis des mois déjà. Une vie. “Par contre c’est le bon moment pour préciser que je viens de gratter tout le temps que t’aurais pu utiliser pour réfléchir.” je lui tire la langue, en profite pour naïvement clarifier si jamais c'était vraiment parmi ces questions-là qu'il voulait une réponse rapide. « Non, oui, et tu parles vraiment beaucoup c'est inquiétant. »

“Mon frère est le plus lent des joailliers du monde, t’as pas idée. Alors on fait avec les moyens du bord.” là par contre, mes yeux le suivent, la lueur d'amusement qui y reste ancrée, pendant qu'il rage encore et toujours sur son frère, que la simple critique n'allume absolument rien comme alarme, comme alerte. Il fait que râler sur Saül, il râle toujours sur Saül, j'ai appris à dissiper les critiques, on ne s'en porte que mieux. « Auden attention y'a peut-être des trucs auxquels t'es allergique là-dedans et c'est pas vrai que je vais te mettre de la crèm- » et il se penche au sol et ma main se tend pour le retenir, mes doigts qui s'enlacent à un pan de sa chemise safari bien trop grande et bien trop transparente à cause des tâches de sueur et de sable et de lotion solaire qui l'en recouvre. “Alors du coup, … on va prendre ça.” « - de la crème sur tes irritations gênantes. » la brindille qu'il passe par-dessus mon alliance, et mes yeux qui s'écarquillent. Y'a un genou, il a un genou, par terre. Il est là et il est au sol et son genou est replié et il me regarde et y'a la brindille, elle est toujours là et lui aussi, il bouge pas.

“Virginiaaa Maryyy Elizaaaabeth McGrathhh - et Williams, surtout Williams”
« O »
“Veux-tu m’épouser ?"
« u »
“Et … wow wow wow okay c’était un phasme on abandonne le plan.”
« i »
“Avec mon karma y’a moyen qu’on soit sur des sables mouvants en ce moment même alors si j’étais toi je donnerais une réponse, là.”
« Arrête de parler en même temps que moi! »  

J'ai presque l'air de le gronder là. Je dis presque, parce que le sourire sur mes lèvres est bien trop immense pour que j'ai la moindre once de colère à montrer, à cacher, c'est selon. La savane craque et la savane grince, le soleil brûle ma nuque et demain matin on va tous avoir les pires marques de bronzage du monde avec nos vêtements si amples et si largement taillés qu'on exhibe depuis le petit matin. Mais j'en ai rien à faire, de ça, quand on en revient à mon sourire, celui qu'Auden verra bien mieux alors que je me penche à sa hauteur, que je les mets moi aussi, mes genoux par terre et pas juste un. Je pouffe de rire, l'embrasse à la seconde où je me pose complètement au sol, quand je bascule dans l'élan aussi. « Si on a des plaques c'est ta faute. » mon front s'appuie sur le sien un peu parce que je l'aime plus que qui que ce soit et depuis des années déjà, surtout parce que l'équilibre de la position est encore si précaire qu'on aura besoin d'une bonne poignée de minutes avant de retrouver un semblant de stabilité. « Oui, bien sûr que o- oh non, attends, non, non, non, non, nonnn. » et elle était belle ma réponse, elle était heureuse et elle était positive et elle confirmait tout ce qu'il sait déjà, tout ce que je sais aussi, tout ce qu'on s'autorise enfin. Jusqu'à ce que je me dégage de quelques millimètres de lui à peine, le coup d'oeil faussement horrifié, trop pour l'être vraiment. « J'avais dit quoi? » ça, ça aussi ça remonte à des années. Ça, c'était y'a une vie, sur une autre île et dans un autre monde. Mais c'est pas pour autant que j'ai oublié. J'oublierai jamais, ni ça, ni tout le reste. « Que je te ferais attendre deux minutes? Ou des années je sais pas. On va faire avec deux minutes. »

Mon téléphone sans le moindre réseau que je sors, m'accroupissant en l'invitant à faire de même. J'actionne vite fait le chrono, y entre docilement les deux minutes réglementaires - c'était deux cent mille ans l'autre option, pour ceux et celles qui se demandent, et je devais ensuite oublier de répondre, et lui dire que j'ai faim à la place. J'ai mangé des craquelins y'a peu, on est bon. Deux minutes qui s'écoulent au compte-goutte, pendant lesquelles nos silhouettes installées en tailleur à même la terre sèche de la jungle se confondent. Deux minutes où je me penche à son oreille, y chuchote des oui par dizaines, par milliers, des oui à l'infini.

Le chrono sonne, je me détache, affiche l'air le plus sérieux que j'ai en banque pour la forme. « Oui. » ma main se tend vers lui, la poignée qui jure, qui me fera pouffer de rire encore et toujours. Mon autre main elle, cherche déjà une brindille de laquelle sertir son alliance à lui aussi.  « Et Oui pour le A. » mon regard est toujours un peu diffus, jusqu'à ce que je trouve ce que je cherche, m'attèle à son annulaire avec toute la concentration dont je suis capable, le coeur qui bat la chamade depuis de longues minutes déjà - bien plus que deux. « Mais pas Oui pour Auden junior, t'es fourbe de demander maintenant. » le noeud est fait, la bague végétale qui me rend plutôt fière, mais pas autant que lorsque j'ancre mes prunelles aux siennes. Des Oui à l'infini.

Elle dit oui une fois, deux fois, puis un millier de fois et à partir de là j’ai arrêté de compter. J’ai arrêté de me préoccuper de salir finalement non seulement un genou mais mon pantalon tout entier, le principe de communion avec la nature qui est vraiment loin d’être ce que je préfère dans la vie. Ca n’a pourtant aucune importance en ce moment même alors que je ne le remarque même pas, trop occupé à observer avec attention chacun de ses gestes, eux qui prennent une importance toujours plus grande à chaque seconde qui passe. Elle avait dit oui sans les mots, elle a dit oui avec les mots. Et elle dira de nouveau oui dans une langue qu’elle connaît, sous peu, j’imagine. « Si on a des plaques c'est ta faute. » “On en dessinera les contours.” Je rigole sur ses lèvres, ajoute des mots qui se veulent rassurants mais qui ne le sont pas le moins du monde en plus d’être totalement absurdes. Tout ce que je sais c’est que j’aurais dû lui poser cette même question il y a une vie de ça plutôt que de la laisser partir encore et toujours sans ne jamais rien pouvoir dire.

« Oui, bien sûr que o- oh non, attends, non, non, non, non, nonnn. » Tu ne sais pas jouer la comédie, Ginny. Tu sais encore moins mentir et surtout pas à moi, gamine. Son sourire disparaît mais pas le mien, elle s’écarte alors je me rapproche, mes lèvres simplement posées à la commissure de ses lèvres alors que je la laisse continuer son discours dramatico-dramatique. “Trop tard t’as déjà dit oui.” Et après ça promis je la laisse parler, je la laisse remonter dix ans en arrière, je la laisse ressasser ressasser les souvenirs du tout début qui n’avait déjà rien d’un début. On était heureux à ce moment là, on était réellement heureux et même si on vivait cachée sur cette île, cela n’a jamais rien entaché, cela ne changeait en rien mon sourire qui s’élargissait dès lors que j’entendais ses talons sur le bois de la villa louée à l’occasion. Gamine espiègle qui me rejoignait chaque soir, maintenant elle n’a plus qu’à passer d’une pièce à une autre et essayer de ne pas marcher sur un Pizza toujours ambiant alors que ma chambre est aussi la sienne tout comme ma maison est sienne. Comme à la première heure, sauf que maintenant tout est officiel.

Les deux minutes passent, le guide a renoncé à nous faire remonter dans le véhicule et je pense qu’il a désormais placé le nom de Williams sur sa black list, le gars. Il reste encore et toujours le cadet de mes soucis alors que pour une fois dans ma vie, une simple fois, je ne veux pas la mort de Ginny dès lors qu’elle dépasse le seuil de mots à la seconde autorisé. Elle parle trop c’est évident mais je viens aussi de la demander en mariage alors qu’on est déjà mariés, c’est un cas de figure qui n’était prévu sur aucun contrat que j’ai pu tenter de lui faire signer un jour ou l’autre dans sa vie. Sourire en coin, je laisse mes doigts remonter dans ses cheveux, mon pouce qui s’y perd et la caresse le plus naturellement qui soit alors que pour rien au monde je ne pourrais un jour regretter ce choix.

« Oui. » Elle veut me serrer la main et je la lui sers un temps avant de l’attirer de nouveau vers moi, elle qui à jamais me semblera toujours trop loin, toujours trop sur le point de partir de nouveau quand bien même ce n’est plus arrivé depuis des années. Certaines cicatrices ont bien du mal à se refermer et ce peu importe tout le baume et tout l’amour qu’elle y pose. « Et Oui pour le A. » “A comme Auden Junior, tu veux dire ? Parfait. Je savais que je saurai te raisonner.” Mes doigts jouent de sa main que je ne lâche pas et de son poignet que je titille alors qu’elle a déjà trouvé une occupation ailleurs, elle qui prend une véritable tige qui ne soit pas un foutu animal. « Mais pas Oui pour Auden junior, t'es fourbe de demander maintenant. » Merde. Je souffle dans le vent, imbécile heureux par excellence et désormais fier détenteur de la plus belle bague végétale qui soit. Le sourire ne se délogerait de mes lèvres pour rien au monde, je ne connais même plus la raison exacte de sa présence si ce n’est, justement, toutes.

“Mon frère a proposé de passer quelques jours à Vegas.” Insatiable, je lui fais déjà part de la possible suite de nos aventures, laquelle n’existera jamais si elle daigne émettre le moindre soupçon. Mes deux mains viennent se poser de part et d’autre de son ventre caché du reste du groupe par les épaisses broussailles, notre enfant à naître que je chéris déjà bien plus que toute chose sur cette Terre. “Elise pourrait rentrer avec les garçons.” J’y ajoute une temporalité, je précise que je ne veux pas rentrer de suite à la maison, je sous entends que je voudrais profiter encore un peu de ces moments ailleurs auxquels je m’accroche désespérément. “Et on pourrait se marier aux Etats Unis. Elle est bien la dernière à ignorer me généalogie et mon sang tiraillé entre un continent et un l’autre, l’importance pour moi de concilier ces deux pays même si je n’ai jamais habité aux Etats Unis, même si pour rien au monde je ne préciserai à haute et intelligible voix que parfois, oui, j’accorde de l’importance aux choses et aux traditions. “Avec tes Converse, promis.” Que je négocie déjà, utilise une carte joker en me baissant au niveau de son ventre qui n’a rien de rebondi pour y apposer un baiser.

Trop tard t’as déjà dit oui. Lui il dit qu'il est trop tard, et moi je pense que c'est pas trop tôt. Je l'aurais dit, je jure que je l'aurais dit, si j'avais pas été occupée à sourire, à l'embrasser, et à sourire encore. Trop tard, j'ai dit oui, et lui aussi.

“Mon frère a proposé de passer quelques jours à Vegas.” ça serait pas véritablement Auden si y'avaient pas 40 000 nouvelles variables à prendre en compte une fois la première décision de quinze autres prises. Il est incapable de rester en place et sur ses pieds et dans sa tête. J'ai appris son rythme par coeur en l'adoucissant du mien, avant qu'on finisse par en trouver un à nous deux, de rythme. On le tient parfaitement depuis des mois maintenant. « Y'a un musée hyper cool à Las Vegas, avec des vieux néons, c'est dans le désert et - » “Elise pourrait rentrer avec les garçons.”

Oh.
« Saül, toi, et moi? » en soit, le trio ne me dérange pas bien au contraire, et j'acquiesce sans qu'il n'en doute une seconde. Je murmure juste contre ses lèvres le temps qu'il fasse l'association particulière, lui qui l'a proposée sans même froncer des sourcils, du nez. Il est trop occupé à poser ses paumes sur mon ventre Auden, à brûler toutes nos cartouches de subtilité derrière les hautes herbes et au final, j'en ai rien à faire du monde qui tourne autour quand il est tout le mien. “Et on pourrait se marier aux Etats Unis." mes baisers qui se perdaient sur ses joues et sa mâchoire ralentissent au fil de ses mots, lui qui n'a jamais l'air de rien prévoir mais qui prévoit tout in some ways. “Avec tes Converse, promis.” je pouffe, mon nez qui chatouille maintenant sa nuque, ses lèvres qui remplacent ses doigts contre les tissus de mon immense chemise safari, sur le sillage du petit être qui est en train de se construire, aussi. « Les tiennes sont plus confortables. » au point où je ne sais jamais si ce sont les siennes ou les miennes, que je porte. On est passés maîtres dans l'art de confondre nos vêtements et nos sentiments pendant des années, ne reste que le bon maintenant.

« Et j'imagine que c'est à moi de le dire à Noah, là. » que je finis par râler sans vraiment le faire, les lèvres qui s'égarent contre la peau de son bras à nouveau remis sur mes épaules, maintenant qu'on revient vers les autres. L'entente du jour a été prise entre deux fougères, une poignée de main, mille oui et un nouveau voyage imaginé sur un coup de tête qui n'en est même pas un. Tout ça, c'est nous et ça le restera. « La vie est injuste. » elle raille, la gamine. Parce que c'est lui qui a été grillé chez Bailey y'a ce qui me semble être une année lumière déjà, quand Noah avait repéré nos premières bagues. J'ignore que le gamin était au courant du plan, j'ignore même qu'il en faisait partie. Je ne le réaliserai que lorsqu'on grimpe à nouveau dans le véhicule tout terrain, et qu'il arbore le plus immense et espiègle des sourires mon fils. Ses yeux en sont fermés tellement il sourit le p'tit loup, j'imagine qu'il savait donc déjà, j'imagine qu'il avait déjà dit oui aussi, à sa façon.

Le guide souffle de rage, d'ennui, d'exaspération, de soulagement, un peu de tout ça, quand le moteur vrombit et qu'on finit enfin par retourner à la villa. Quand moi, je ne lâche pas des yeux l'endroit exact où Auden m'a dit tout ça, le menton appuyé sur le rebord de la jeep en mouvement et sa silhouette entière à lui que je sens s'ancrer à la mienne. Ma tête se dégage de mes bras repliés, mon regard vient attraper le sien dans l'angle quand il a posé son menton à lui sur mon épaule. « Je t'aime. Mais t'auras pas mon smoothie en plus du tien demain matin. Abuse pas. » du bout de l'index, je joue une seconde avec ma brindille, une seconde ensuite avec la sienne.

***

Il dormait et là, il va rager. « Ceci est un kidnapping. » moi je chuchote à son oreille, passant par-dessus les draps et les coussins qu'il a accumulés toute la nuit durant. Le soleil s'est à peine levé sur la terrasse, l'aube n'est même pas encore là et j'arrive pas à dormir depuis des heures. « Si tu râles, j'ai des photos de Pizza qui fait la moue. J'hésiterai pas à m'en servir pour que tu te taises. » mes menaces additionnées des baisers les plus doux que je peux lui donner, sur ses paupières froncées, encore fermées, et ma main qui s'enlace à la sienne pour l'encourager à se lever. Noah ronfle comme à son habitude, on a à peine une heure de jeu avant que ses batteries soient rechargées et qu'il veuille profiter des dernières heures en Afrique pour tout refaire ce qu'il a déjà fait sur son énorme to-do list de voyage, mais en vitesse accélérée.

« Viens. » elle se fait suppliante ma voix, mon arrêt de mort que j'ai signé à la simple seconde où j'ai ajouté dans mon plan à moi d'écourter sa nuit. Ça va, je vivrai avec les conséquences de mon geste, je crois.

Dehors, la brise est douce, encore assez fraîche pour suggérer que la golden hour n'est pas arrivée. On voit le soleil qui commence timidement à se dégager de derrière les montagnes au loin. La terrasse qu'on a partagée avec personne sauf pléthores de singes et autres voleurs animaliers est déserte, si ce n'est nous deux, nos pieds nus sur le bois qui craque, le fauteuil qui a servi de lit à la belle étoile presque tous les soirs et - « Promis j'ai fait attention à ton matériel sur ma vie. » sa trousse du parfait petit tatoueur, disposée sagement sur l'une des tables basses de notre chambre que j'ai traînée dehors.

J'avais dit, que j'avais une liste moi aussi. Je l'avais dit.
Et sur ma liste y'a un dessin bien précis, pour aller avec la nouveauté qui est encore miraculeusement attachée autour de son annulaire. Nouveauté qui a survécu à la poignée d'heures qu'on a passées à refaire le monde et à se disputer sur la couleur des jets qu'on préférait, dans le jacuzzi annexe aux maisons hier.
Un dessin bien précis, en quatre volets.

« Ceci est un kidnapping. » Je râle, la voix perdue dans mon sommeil, mes cordes vocales encore bien trop peu préparées pour la journée qui s’annonce. Il devrait y avoir des lois pour régir les kidnapping, du genre les interdire entre certaines heures parce que ce n’est vraiment pas humain, là. C’est trop tôt pour ce genre de conneries et j’essaye vraiment d’agripper un bras ou un autre, peu importe, ce qui me passe sous la main pour l’attirer à moi et l’étouffer dans les draps et mes bras pour ne plus jamais qu’elle reparte. Ses lèvres ont raison de moi, l’argument de Pizza est le coupe de massue final et ainsi donc la journée commence beaucoup beaucoup beaucoup trop tôt pour que ce soit humain ou même tolérable. Mes jambes luttent une seconde de plus en entourant une des siennes, les draps entre nous. Je reviens bien vite en ma position initiale, pourtant, anticipant déjà qu’elle tombe du lit et se casse tous les os possibles et inimaginables.

Je la suis en continuant de râler, douce mélodie matinale qui fait désormais partie de son quotidien autant du mien - et quand je dis “désormais” je veux dire “depuis toujours”. « Viens. » “Je viens si je veux, déjà.” Je cherche à avoir le dernier mot avec ma voix enrouée, mes yeux qui refusent de s’ouvrir pleinement et mes pieds qui tâtonnent sur les planches de bois de l’immense cabane / villa / paradis inanimé devenu notre pendant le séjour. « Promis j'ai fait attention à ton matériel sur ma vie. » Cette fois-ci je tique et je me concentre un peu plus, me rendant compte qu’il ne s’agit pas de me montrer une feuille qui a une forme particulière ou un singe qui a un poil blanc ou même un nuage qui ressemble à un tiramisu - parce que oui, ne remettez jamais sa faim ni son imagination en doute à propose de quoi que ce soit, elle est toujours surprenante ma femme.

Si j’aurais paniqué à l’idée de savoir mon précieux matériel entre les mains de qui que ce soit, c’est encore pire si je les imagine trituré par les doigts minutieux mais ô combien distraits de Ginny. Pourtant à aucun moment je ne ressens le besoin d’aller vérifier si tout est en ordre, complet et en bon état. Je sais que c’est le cas, je sais que quand elle dit qu’elle en a pris soin sur sa vie alors c’est réellement le cas. Je lui fais confiance, pour ça et pour tout le reste puisque j’imagine qu’elle n’a pas tout amené ici seulement pour faire découvrir à l’aiguille l’air africain. J’ai arrêté de râler, d’ailleurs. J’ai arrêté de râler et je me sens parfaitement éveillé, maintenant que mes lèvres et l’haleine du matin (c’est cadeau) allant avec se déposent sur la joue de la brune et s’y enfoncent pendant de longues secondes. “Je suis sûre que si tu me donnes ton smoothie en plus du mien, ça ne me chatouillera même pas.” Même si je me plains, que je me plains tout le temps, je ne le fais pas quand elle me tatoue. Je ne l’ai pas fait à l’époque, je ne le ferai pas aujourd’hui, pas alors qu’aucune parcelle de mon corps n’appréhende l’instant, sans doute trop occupée à lui sourire et laisser mes doigts traîner partout sur son visage, tantôt pour la caresser et tantôt pour simplement l’embêter. “T’es vraiment pas croyable.” J’assure dans une ultime sourire, mes doigts venant finalement ses poser sur ses joues et mes lèvres sur les siennes. Mon visage dérive ensuite vers sa gauche, ma bouche près de son oreille, ultime confession qui ne devrait jamais avoir rien eu de secret. “Je suis fier de toi.” “Et là t’as la pression au maximum, parce que si tu fais un truc moche ça va tout gâcher.” Mais ça n’arrivera pas, et pour ça je mettrais à mon tour ma vie en jeu.

Il vient s'il veut, déjà, et le voilà qui veut justement. Mes mouvements sont précis pour une fois, quand je sais exactement sur quelle latte marcher pour éviter qu'elle ne craque et réveille toute la maisonnée. On n'a rien à craindre d'être dérangés par Saül et Elise pourtant, eux qui habitent complètement à l'autre bout de la villa et qui font leur vie depuis qu'on est rentrés du safari. Rien à craindre de Cosimo non plus qui est replongé dans une drôle d'adolescence éternelle, lui qui se gratte quelques heures de grasse matinée ce qui nous a tous étonnés tant il est une jeune homme droit d'habitude, le cadran qui claque toujours à la même heure. C'est Noah qui me fait peur, parce que je sais qu'à la seconde où il aura l'autorisation d'être tatoué lui aussi, il a sa liste longue comme un bras - même bras qu'il voudra encrer, c'est sûr - de prête. Et il n'a que dix ans, le rebelle.

“Je suis sûre que si tu me donnes ton smoothie en plus du mien, ça ne me chatouillera même pas.” ses lèvres et son baiser et son haleine se cassent sur ma joue, ma main remonte le long de son torse dénudé pour venir chatouiller sa nuque, y perdre une caresse et une autre la seconde d'après. « Y'a des litres de café en attendant, juste pour toi, là. » en attendant de voir si justement je céderai mon pauvre smoothie qui n'a rien demandé. J'espère que ça sera ananas ce matin, et fraise. Sinon mangue et pitaya aussi, il est trop bon, et je -

“T’es vraiment pas croyable.” mes sourcils se froncent doucement, entre deux doigts perdus sur mes joues et quelques baisers perdus sur mes lèvres. Mon front vient instinctivement se poser sur le sien quand mes prunelles font écho à celles d'Auden. Y'a des teintes d'or, à travers celles de noisettes.
“Je suis fier de toi.” il le verra, bien sûr qu'il le verra, ou du moins il le sentira le sourire qui remonte. J'ai jamais rien fait pour aller chercher la fierté de qui que ce soit, j'ai jamais même espéré pouvoir la mériter, éternellement habituée à décevoir à la seconde où je tentais d'être meilleure, plus grande, plus forte. Et le voilà qui dit les mots, qui dits ceux-là après avoir dit les autres. Il dit tous les mots qu'il faut Auden, maintenant qu'il peut le faire, maintenant qu'il se l'autorise ; et là, bien sûr, c'est moi qui est fière de lui. Fière de l'homme qu'il est, fière qu'il me laisse être à ses côtés pour le lui rappeler de toutes les façons possible et inimaginables, à tous les jours depuis des années et pour des années, encore. Pour toujours.
“Et là t’as la pression au maximum, parce que si tu fais un truc moche ça va tout gâcher.” « T'es l'enfer, c'est toi là, qui gâche tout. » que je pouffe contre sa mâchoire, embrassant la naissance de son cou, embrassant ses lèvres aussi. Il gâche rien Auden, surtout pas maintenant. On a tout gâché une infinité de fois déjà, de toutes les manières à notre disposition et encore. Après 15 ans à tout gâcher, on a enfin appris comment faire pour tout réparer. Il était temps.  

« J'ai eu l'idée avant qu'on parte. Dis pas que je t'ai copié. » que je finis par le gronder sans vraiment le faire. On s'installe doucement sur l'immense canapé d'extérieur. Je le laisse valider des tas de fois du coup d'oeil sans même jamais m'en froisser qu'en effet son matériel est en parfait état ; j'y ai fait plus attention que quoi que ce soit d'autre et il n'a même pas à en douter. C'est le bruit distinctif de l'aiguille qui me rassure, étrangement, quand elle devrait m'angoisser plutôt vu comment il m'a mise en garde déjà. Elle me rassure parce qu'enfin je peux lui partager mes idées, les dessins qui ont fait leur chemin dans ma tête. Petit secret de rien du tout que j'ai détesté garder de lui - me promettant à la seconde où l'aiguille s'attaque à son épiderme que plus jamais je ne garderai anonyme les idées de tatouages que je veux lui faire. C'est trop nul, de lui cacher quoi que ce soit même des détails, de toute façon.

Le premier triangle commence à apparaître, sur le replis gauche de son annulaire. La bague et la brindille sont restées sur la table, en attendant. « Lui, ça veut dire create, comme quand tu crées les pires histoires d'horreur pour que Noah arrête de te déranger quand tu peins de peur que Freddy Krueger vienne le trucider pendant son sommeil. » pour que tu continues à créer et à peindre et à imaginer toute ta vie.
Et l'autre triangle va à droite, faisant effet de miroir dépareillé, l'histoire que je continue de raconter à travers des blagues et des vannes. « Lui, c'est explore, pour que tu explores autre chose que l'allée des desserts au supermarché quand tu sais que j'ai pas le droit d'en manger et que c'est l'enfer sur terre là en vrai. » pour que tu explores le monde entier et pour que tu vois tout, pour que tu continues d'être curieux et pour que tu me laisses parfois, être curieuse avec toi.
Le troisième triangle est mon préféré, ça étonnera personne vu la nerd en puissance que j'ai toujours été. Il siège au milieu de son annulaire, touchant à peine à la jointure. « Celui-là c'est learn, ça devrait t'encourager à apprendre la politesse parce que c'est certainement pas en continuant à lui râler dessus que le livreur de chevalets va arrêter d'être une plaie avec nous. » pour que tu te laisses une chance, pour que tu ne prennes pas tes erreurs comme des échecs mais bien comme des façons d'avancer. Il a tellement appris déjà, je le pense et le répète ; mais moi aussi, je suis fière de lui.
Au-dessus, flirtant avec l'os de sa phalange, vient le quatrième et dernier triangle, un peu plus petit que les autres, lui qui semble quand même veiller sur tout le reste. « Et lui c'est protect. Pour toutes les fois où Pizza est venu à ta rescousse quand non non tu pleurais pas devant le film, t'avais juste des allergies. » et pour toutes les fois où à deux, on voudra protéger ce à-deux là qu'on a enfin réussi à s'autoriser.

Ta daily dose de cheese:

Mes doigts deviennent siens l’espace d’une heure, le temps pour elle de tracer les traits qu’elle a en tête et de m’expliquer chacun d’eux, de leur donner du sens en plus que la vie. Je ne me plains pas une seule fois, trop occupé à observer ses mouvements pour une fois que j’en ai l’occasion ; trop occupé aussi à observer les yeux brillants qui accompagnent la scène, elle qui a enfin le droit d’être elle même de manière pleine et entière et de s’exprimer en conséquence. Je l’écoute en silence expliquer chacun des symboles qu’elle grave sur ma peau tout en constatant avec fierté qu’elle est loin d’avoir décidé de la chose sur un coup de tête en voyant qu’il restait de la place dans sa valise. Elle a de la suite dans les idées, de l’imagination à revendre et une vie bien trop courte pour pouvoir faire parler tout ceci en même temps. Cela ne l’empêche pas d’essayer, d’oser. Jamais elle ne m’a demandé mon avis avant de me pointer la main que je devais lui tendre, jamais elle ne m’a demandé si j’étais certain de quoi que ce soit avant de commencer un triangle puis trois autres, avant de leur donner à chacun un nom dont je ne suis pas réellement certain d’avoir retenu l’autre. Peu importe. J’ai retenu les mots, j’ai retenu la signification qu’elle leur donne. J’ai vu son regard triste, parfois, quand ses lèvres disaient une chose et s’arrêtaient avant que son coeur ne prenne le dessus. Là encore, je n’ai rien dit. On entend les bruits de la savane, on entend les oiseaux, on entend les animaux qu’elle a pris le temps de tous nommer un à un ; même les fourmis qui se frayaient un chemin à travers la Jeep.

Elle fait son travail admirablement bien, à tel point que j’aurais presque envie de ne pas me plaindre que ça chatouille, ça gratte, Ginny regarde regarde regarde la peau pèle est ce que tu as essayé de me tuer pour les jours à venir me ce serait assurément manquer la partie la plus drôle.

Create, parce que c’est elle, ma musa.
Explore, parce que c’est avec elle que je m’évade et m’échappe depuis toujours. Parce que c’est avec elle que je découvre la limite des choses, que je m’essaye à tout, que je vais trop loin pour ne jamais revenir en arrière ensuite.
Learn parce que c’est elle qui m’a tout appris, tout ce que personne n’aurait jamais pu m’enseigner sur les bancs de l’école. C’est elle qui m’apprend à être un autre sans pour autant jamais changer qui je suis, c’est elle qui me donne l’envie d’être quelqu’un de mieux à défaut d’être quelqu’un de bien.
Protect, parce qu’elle passera toujours avant toute chose, peu importe les circonstances, peu importe la forme que prendront mes actes avec.
Parce que c’est elle, parce que ça n’a toujours été qu’elle et que j’aurais dû le voir plus tôt.

Mon sourire ne meurt pas malgré le temps qui s’écoule, les mots repassent en boucle dans mon esprit, je m’imagine leur donner vie sous une autre forme encore. Ils ont des milliers de sens que ce soit pour elle, pour moi ou pour nous. On jonglera avec une petite terreur créative, il voudra apprendre et découvrir le monde avec tout ce qui lui passera sous la main et nous, stupides parents déjà bien trop aimants, on le protègera sur notre vie. Et on l’aimera plus que ce n’est déjà le cas, j’en suis certain. “Je suis désolé d’avoir tout rendu si compliqué.” Par deux fois on avait déjà essayé d’être heureux et par deux fois je me suis senti obligé de déconstruire cette bulle de bonheur qui commençait à se créer autour de moi, laquelle je ne me sentais pas digne. Mon avis à ce sujet n’a pas changé mais entre temps j’ai appris que ma bulle était aussi la sienne et qu’à défaut que j’en sois digne, elle, elle l’a toujours été. Elle a toujours mérité d’être libre et de pouvoir s’exprimer, elle a toujours mérité de pouvoir exposer ses sentiments, ses goûts et ses envies sans jamais n’avoir à se cacher. Aujourd’hui enfin je le comprends et tente de rattraper la décennie perdue. Mes yeux se relèvent vers elles alors que je pince mes joues, bien plus à cause de ce que je viens de lui avouer que de la douleur, désormais diffuse, du tatouage en cours. “J’ai le droit de dire que c’est le symbole d’appartenance à une secte ? C’est bieeeen plus cool que tous tes mots que j’ai déjà oublié.” Et je change de sujet, bien sûr que je change de sujet. Bien sûr que mon sourire d’imbécile revient au galop et avec lui toute la fausse confiance du monde, celle de celui qui profite qu’elle relève l’aiguille pour gommer la distance entre nous et venir l’embrasser furtivement, ma femme avec qui je ne rendrai plus jamais rien compliqué. On a assez donné.

Il n'oppose aucune résistance entre les lignes sur lesquelles je m'applique sur ma vie, et c'est probablement un peu parce qu'à la seconde où je lève l'aiguille pour changer de trait et ainsi changer de forme, j'en profite pour dérober ses lèvres d'un baiser et d'un autre.

Il a changé en restant toujours pareil Auden. Il a grandi et il a évolué, et j'espère avoir évolué aussi bien que lui. Il m'épate et il peut bien dire que je suis incroyable par cent fois que je renchérirai en disant qu'il l'est, lui, cent autres. Je l'ai vu tout essayer, je l'ai vu échouer et se relever. Je l'ai vu empiler les succès au point où il en oubliait le reste, aussi. Je l'ai vu dans ses pires comme dans ses meilleurs moments et jamais je n'ai regretté d'avoir été à ses côtés pour en ramasser les morceaux, pour les recoller encore plus fort et encore mieux, avec lui, toujours lui.

“Je suis désolé d’avoir tout rendu si compliqué.”
« Je suis désolée d'avoir tout compliqué aussi. » je suis désolée d'être partie quand tout ce que j'ai toujours voulu c'était de rester. Même lorsqu'il me disait de partir, même lorsqu'il l'ordonnait. Le seul regret de ma vie aura été de croire que de fuir nous sauverait. Ça n'a jamais été le cas, ça n'a jamais même été ce que je voulais.

J'inspire en même temps que lui, les dernières gouttes d'encre que j'essuie avec une douceur infinie avant de rapatrier avec la même attention son matériel propre au bon endroit, à la bonne place. On est à la bonne place, nous aussi, enfin. “J’ai le droit de dire que c’est le symbole d’appartenance à une secte ? C’est bieeeen plus cool que tous tes mots que j’ai déjà oublié.” je pouffe de rire contre ses lèvres, relance le baiser en faisant particulièrement attention à ne poser aucun doigt sur l'horrible coup de soleil sur la nuque qu'il a attrapé la veille, alors qu'on a oublié la lotion solaire mais qu'on a aussi oublié tout le mal qui avait bien pu se mettre sur notre chemin pour se promettre de se dire oui, encore une fois, pour tout le beau qui était à venir. « T'as le droit juste si le chef de la secte, c'est ce singe-là. » je pointe du menton, un rire de plus, un baiser avec.

Il a le droit de tout faire Auden, il le mérite. Il est le seul qui m'a toujours laissée être moi-même, il est le seul qui me l'a autorisé sans même que j'en doute une seule seconde. Pour ça, et pour tout le reste, ça valait la peine de tout compliquer. Ça en valait la peine parce qu'aujourd'hui on a tout vu, on a tout vécu, et on en est encore plus forts. Indestructibles.

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Ça arrive genre une fois par millénaire, que je sois prête avant tout le monde ; et vous pouvez être assurés que je vais en parler et tanner l'univers en entier pendant des jours et des heures et des années pour le leur rappeler.

Mon sourire est immense dès lors que je suis perchée sur les valises dans l'entrée de la villa, jambes battantes, à suivre des yeux un Noah paniqué d'avoir perdu sa caméra alors que je sais très bien qu'elle est sur le rebord de la fenêtre du salon commun mais que je préfère mille fois mieux qu'il la trouve lui-même comme un champion. Qu'ainsi il en fasse la leçon d'arrêter de laisser traîner les items qu'il chérit le plus partout. Cosimo l'aide dans sa quête, il est le plus logique des deux en faisant la liste avec Noah de tous les endroits où il est allé depuis qu'il a égaré son bien, de ce qu'il y a fait, de combien de temps il y a passé. Les deux se complètent, c'est aussi beau que crève-coeur.

« Tu veux qu'on leur en parle quand? » mes doigts s'accrochent au pan du t-shirt d'un Auden sauvage qui commet l'erreur de passer devant moi un peu trop lentement pour que je le laisse faire d'office. Leur en parler donc, que je chuchote à son oreille, du rôle qu'on aimerait qu'ils jouent dans quelques mois. Avec le bébé.