Victoire sortit de la pâtisserie à 15h en agitant la main en direction de sa collègue qui distribuait les boîtes vert pâle emplies de gourmandises sucrées à la longue file de clients qui patientaient. En ce qui la concernait, elle avait fini sa journée qui avait commencé à 5 heures pour que les premières tartelettes, éclairs et choux soient prêts et en vitrine dès l’ouverture. Elle se sentait vaseuse, la veille n’avait pas été un bon jour et elle l’avait fini une bouteille de whisky dans le gosier et une bonne dose de fumée dans les poumons. Il y avait des jours avec et des jours sans, mais il ne fallait pas qu’elle laisse une mauvaise passe durer. Elle n’avait plus rien à boire chez elle et c’était mieux comme ça, ce soir elle allait pâtisser comme une folle, elle distribuerait les cupcakes en surplus au voisin le lendemain et au moins, elle ne broierait pas du noir dans sa solitude.
Mais il lui manquait de la farine et des citrons pour sa recette, elle prit la direction de son épicerie habituelle mais au bout de quelques minutes de marche, elle sentit une présence dans son dos. A force de se faire aborder et suivre dans la rue, il semblerait qu’elle avait développé un sixième sens. Dire que quand elle était petite, elle rêvait d’être aussi belle que les filles de conte de fée pour épouser un prince. Quand elle s’était rendue compte qu’elle l’était belle, elle avait cru que sa beauté lui offrirait une carte Joker perpétuelle pour réussir sa vie. Comme elle s’était trompée… Elle accéléra le pas et jeta un regard discret par dessus son épaule. Pas si discrètement que ça, leurs regards se croisèrent. Il prit ça comme une invitation apparemment, il trottina pour se placer à son niveau alors qu’elle accélérait le pas. Il sortit les traditionnelles phrases d’accroche, rien d’agressif, rien de creepy, mais rien que sa présence mettait Victoire mal à l’aise et de mauvaise humeur. Elle ne répondit ni à son bonjour, ni à son compliment sur sa veste en cuir. * C’est pas ma veste qui l’a poussé à venir m’aborder, quelle hypocrisie, sérieux ! *
Mais c’est qu’il insistait le blondinet, il lui disait qu’il était désolé de la déranger, qu’il n’abordait jamais les filles dans la rue habituellement, mais que cette fois-ci il avait craqué. *Ca aussi on me l’a déjà faite trois fois cette semaine, mais dégage, tu vois bien que je t’ignore, merde !*. Elle chercha un échappatoire du regard et remarqua une épicerie bio à laquelle elle n’avait jamais prêté attention. Et bien ce sera des cupcakes pseudobio ! Toujours sans avoir adressé la parole à l’importun, elle s’engouffra dans la charmante épicerie. Elle oublia de saluer la jeune femme derrière le comptoir et fixa la porte. Ouf, il s’était arrêté sur le palier. Rassurée, elle se dirigea vers le rayon fruits et légumes et enfourna trois gros citrons dans un sac en plastique. Son rythme cardiaque commençait à s’apaiser quand elle entendit la voix du blond dans son dos qui lui demandait si elle allait faire une limonade. Cette fois-ci, elle se retourna et planta franchement son regard dans le sien et lui dit fermement : « Arrêtez de me suivre, je veux juste faire mes courses tranquille. »
Sans attendre sa réaction, elle se dirigea vers le rayon pâtisserie situé dans le coin de l’épicerie. Elle attrapa un paquet de farine et le serra contre elle, en expirant longuement pour essayer de contenir la colère qui bouillait en elle. * Il n’est pas menaçant, calme-toi. Tu as été claire avec lui, il va te laisser tranquille * Mais lorsqu’elle fit volte-face pour se rendre à la caisse, il était là. Il bloquait le passage avec sa grande carrure et Vic se retrouvait dans une impasse, un recoin dont elle ne pouvait s’échapper sans aller dans sa direction. Sueur froide, panique. Elle s’efforça de prononcer ces mots avec aplomb mais la voix qu’elle entendit sortir de sa bouche était peu convaincante : « J’ai du spray au poivre dans mon sac, reculez ! »
Il eut l’air surpris puis il rit franchement avant de répondre : « Mais détends-toi, je veux pas t’agresser, juste discuter. Je te jure, j’suis un mec plutôt sympa ! », il appuya son propos d’un sourire et d’un clin d’œil. Il devait faire craquer beaucoup de filles et il ne pensait sûrement pas à mal. Mais quand il avança d’un pas alors que Vicky se sentait piégée dans ce renfoncement, celle-ci ne réussit plus à se raisonner. Elle hurla : « Ne t’approche pas de moi, connard ! ». Alliant le geste à la parole, elle le poussa de toutes ses forces pour l’écarter du chemin. Il tituba en arrière, perdit définitivement l’équilibre et tomba de tout son poids contre une étagère qui s’effondra avec lui. Interloquée, Victoire vit des dizaines de flacons en verre exploser au sol, le caramel et les décorations alimentaires multicolores se rependant sur le carrelage. Elle vit l’humiliation sur le visage du garçon, puis la haine qui colonisa son regard quand il hurla en retour : « Espèce de salope, tu vas le regretter ! »
*Danger ! Danger !* Victoire se mit à courir vers la sortie quand elle le vit tenter de se relever. Il allait la suivre, il allait l’attraper par le bras, peut-être la gifler, peut-être pire. De vieilles peurs resurgissaient, elle se retrouvait face à Lui dans le petit salon derrière son studio photo. Non, il ne fallait pas qu’il la suive, elle devait fuir. Elle s’élança dans la rue et se mit à courir, à zigzaguer dans les rues et ruelles, elle n’avait aucune idée de savoir s’il l’avait suivie, s’il était juste derrière elle ou si était encore dans l’épicerie. Elle avait peur de vérifier, et puis elle n’y voyait rien avec ses yeux pleins de larmes. Elle arriva transpirante et à bout de souffle chez elle. C’est en abandonnant le sac de farine et les citrons sur le comptoir de sa cuisine qu’elle réalisa qu’elle venait de partir sans payer après avoir fait beaucoup de dégâts matériels dans le magasin. Juste parce qu’elle avait paniqué.
Elle passa la soirée à culpabiliser et n’ayant rien à boire, elle enchaîna joint sur joint jusqu’à se sentir anesthésiée et décérébrée. Ce soir-là, elle s’endormit sur le canapé en se sentant pire qu’une merde.
********** Le lendemain **********
Dès son réveil, Vic décida de retourner à l’épicerie bio pour s’excuser et payer ses courses. Elle embarqua le sac de farine et les citrons qu’elle enfouit dans son grand sac à main rouge. Elle arriva avant l’ouverture du magasin et se planta non loin de la grille métallique. Ses yeux bouffis par sa soirée de la veille à pleurer et fumer étaient cachés derrière ses lunettes de soleil. Que faisait-elle ici ? Et si les gérants avaient prévenu la police ? De toutes façons, elle voulait payer pour tous les dégâts, pas seulement pour les citrons impayés, ça lui éviterait peut-être d’avoir des ennuis avec la justice et ça soulagerait sa conscience. Elle ne roulait plus vraiment sur l’or, elle avait dû payer de gros dommages et intérêts dans le procès qu’elle avait perdu, mais si elle devait travailler un peu plus ce n’était pas un problème, ça la tiendrait même éloignée de la bouteille quelques heures de plus.
Elle espérait juste qu’elle ne serait pas reçue par un homme, si c’était une femme qui se présentait elle se sentirait tout de même plus en confiance. Il lui semblait qu’elle n’avait vu que des femmes la veille, mais elle n’avait pas été des plus attentives… Elle se sentait bête avec le recul, comme toujours. Ce garçon n’avait pas une attitude agressive jusqu’à ce que ce soit elle qui l’agresse. Elle avait paniqué, sur-interprété et ses psy lui avaient tous dit que c’était normal que ce genre de choses arrive. *Normal, tu parles. Je suis pas normale, je suis névrosée jusqu’au cou et complètement tarée. Bonne pour la camisole*
Alors qu’elle était en train de se couvrir mentalement de ces compliments dont elle avait le secret, une femme s’approcha de la grille et commença à l’ouvrir. Victoire prit une profonde inspiration et son courage à deux mains avant de s’approcher prudemment de la jeune femme. Elle entama la conversation d’un air gêné :
« Bonjour Madame, excusez-moi, je suis désolée de vous sauter dessus à votre arrivée mais… » Elle déglutit difficilement et attrapa le paquet de farine dans son sac pour illustrer son propos : « Je suis partie sans payer hier, et je vous ai mis un sacré bordel… Je me sens vraiment nulle. Je suis venue pour m’excuser et vous payer tout ce que j’ai emporté et cassé. » Elle sortit également la poche plastique qui laissait transparaitre trois gros citrons jaunes. « Je vous ai dit que j’étais désolée ? »
Elle sentait ses joues s’empourprer et se mit à grignoter une peau morte qui dépassait sur sa lèvre en attendant que la jeune femme reponde. Malgré les lunettes de soleil qui lui offraient un rempart bienvenu, Vicky ne pouvait soutenir son regard plus longtemps, c’est pourquoi elle entreprit d’inspecter fixement un petit carré du trottoir.
Tandis qu’elle s’installait au volant de sa Volvo et s’engageait dans l’allée pour se rendre au travail de bon matin, Livia ne cessait de retourner dans sa tête l’incident qui s’était déroulé la veille à l’épicerie. Sans qu’elle ne comprenne bien ce qu’il venait de se passer sur le coup, elle avait entendu un grand fracas dans le fond de la boutique, et des dizaines de flacons en verre se briser sur le sol tandis qu’un homme poussait des jurons incompréhensibles. Elle avait alors regardé, incrédule, une femme sortir en courant de la boutique avec des produits sous le bras, avant qu’elle n’ait pu l’interpeller. La jeune femme était rentrée quelques secondes auparavant, suivie d’un homme, ce que Livia avait remarqué sans en penser quoi que ce soit à ce moment-là. A son habitude, elle s’était contentée de les saluer, alors qu’elle était en caisse en train d’aider ses employés. Puis, lorsque la furie rousse s’était élancée hors de la boutique, un de ses employés s’était approché de l’homme qui avait voulu quitter l’endroit à son tour, et l’avait empêché de sortir sans une explication. Visiblement très énervé peu coopératif, ils avaient dû se mettre à deux pour le raisonner et lui faire comprendre qu’après une telle pagaille dans le magasin, il était tout de même dans l’obligation de s’expliquer.
Le petit manège avait duré un moment, mais après avoir visionné les vidéos de surveillance – si Livia n’avait pas de personne pour assurer la sécurité, elle avait quand même souhaité investir dans des caméras – elle avait bien dû se rendre à l’évidence que cet homme ne pouvait légalement être tenu pour responsable de quoi que ce soit. Il clamait son innocence et Livia avait donc dû le laisser repartir, à contrecœur, d’autant plus que des clients témoins de la scène lui avaient ensuite expliqué que cet inconnu avait un peu trop tenté de forcer la chose avec la jeune femme qui s’était enfuie. Malgré le dégoût que pouvaient lui inspirer ce genre de personnages devant lesquels elles se sentaient également mal à l’aise, elle n’avait aucune raison de le faire payer pour les dommages causés, et elle n’avait pas le souvenir que la femme en cause soit une cliente régulière du magasin. A la suite de l’incident, elle s’était donc contentée de nettoyer les dégâts avec ses employés, mais n’avait pas encore décidé de ce qu’elle allait faire concernant les produits qu’elle avait perdus. Au-delà du fait qu’une étagère s’était brisée – heureusement, elle en avait une d’avance – elle devait avoir perdu deux ou trois cents dollars de marchandise. Si les produits avaient été emballés autrement, les dommages auraient été moindres, mais malheureusement, toute l’étagère ne contenait que des produits en verre destinés à la pâtisserie, qui s’étaient tous déversés à même le sol et dont elle n’avait rien pu sauver. Cela lui faisait mal au cœur de mettre autant de marchandise à la poubelle, mais surtout, elle se serait bien passée de cette perte financière. Heureusement pour elle, la boutique n’était pas en difficulté actuellement, et si elles réduisaient les pertes au prix coûtant, elle ne s’en tirait pas trop mal. Était-ce justifié de faire marcher l’assurance ? De porter plainte ? Elle ne savait pas bien ce qui était le plus approprié, car elle n’avait jamais fait face à une situation pareille. La plupart du temps, un client renversait quelques produits tout au plus, mais les payait ensuite, et la situation se réglait d’elle-même.
Décidée à attendre pour en discuter avec ses employés – voir même de passer un coup de fil à une amie davantage calée en droit qu’elle ne l’était, elle se gara sur le parking de l’épicerie puis empoigna les clés de la boutique. Alors qu’elle était en train de lever le rideau, elle entendit une voix féminine derrière, qui la fit sursauter. Lâchant le rideau qui se finit de se lever par lui-même, elle se retourna et reconnut instantanément la jeune femme de la veille. Elle n’avait pas bien vu son visage, mais c’était difficile d’oublier une telle chevelure. « Bonjour Madame, excusez-moi, je suis désolée de vous sauter dessus à votre arrivée mais… Je suis partie sans payer hier, et je vous ai mis un sacré bordel… Je me sens vraiment nulle. Je suis venue pour m’excuser et vous payer tout ce que j’ai emporté et cassé. » Méfiante durant les premières secondes, Livia s’était rapidement déridée en prenant conscience que la rousse était réellement gênée – de toute façon, elle n’aurait sûrement pas pris la peine de revenir si elle ne comptait pas s’excuser sincèrement. Et elle aurait encore moins pris la peine de ramener un sac de farine et trois citrons. « Je vous ai dit que j’étais désolée ? » En d’autres circonstances, Livia aurait ri de voir quelqu’un s’excuser avec des citrons en main, mais la situation était suffisamment sérieuse pour qu’elle n’en arrive pas à ce point-là. Le plus important pour elle n’était d’ailleurs pas le peu de produits que la femme avait emporté avec elle, mais le reste des dégâts. Cela dit, elle saluait l’initiative d’être venue dès le lendemain, et d’avoir en plus ramené les articles « volés ».
Alors que la rousse fuyait son regard, Livia lui répondit d’une voix qui se voulait douce mais ferme – après tout, il s’agissait de son travail, et elle ne pouvait pas le prendre à la légère, même si après réflexion elle considérait que le responsable était davantage l’homme que cette femme qui n’avait rien demandé. « Je ne m’attendais pas à vous revoir et j’étais en train de réfléchir à quoi faire pour les dégâts donc… merci d’être revenue, c’est très honnête » lâcha-t-elle en même temps qu’un mince sourire. Après tout, la jeune femme lui avait causé un problème, mais elle avait bien conscience que ce n’était pas volontaire. Avec le temps, Livia avait appris à relativiser l’ampleur de ses soucis, et même si cela avait occupé son esprit une bonne partie de la nuit, elle ne s’en était pas non plus fait une montagne. Du moins, c’est ce qu’elle essayait de faire paraître, maintenant que la situation venait de devenir plus simple tout d’un coup. « J’ai regardé plusieurs fois les vidéos de surveillance… je sais que vous cherchiez juste à ce que cet homme vous laisse tranquille ». Puis, elle se sentit obligée d’ajouter, pour protéger la réputation de son magasin. « Ce n’est pas un client d’ici, je suis désolée qu’il vous ait embêtée dans la boutique ». Livia n’était pas bien plus responsable, mais elle était sincèrement désolée. Après tout, l’intérieur de la boutique, c’était chez elle – et elle n’appréciait pas que ses clients puissent vivre une expérience désagréable, quelle qu’en soit la cause. Sans trop s’étaler sur ce qu’elle pouvait bien penser de cet abruti – car cela restait un sujet assez sensible, et elle ne connaissait absolument pas la femme à laquelle elle parlait, elle tenta de répondre tant bien que mal à la proposition de la rousse. « Il y en a pour des dizaines de flacons brisés quand même, ça fait une somme… il y aurait peut-être un moyen de s’arranger autrement ? ». Elle n’avait absolument aucune idée de comment s’arranger autrement, mais la nature bienveillante de Livia avait repris le dessus, et elle ne pouvait en toute conscience faire payer la jeune femme qui avait vraiment l’air de se sentir mal. A sa place, elle serait furieuse de devoir payer les dégâts qu’elle aurait pu causer parce que quelqu’un l’avait importunée – évidemment, elle aurait également proposé de tout rembourser, mais elle n’aurait pas trouvé normal que toute la responsabilité lui tombe dessus. Alors, elle pouvait au moins tenter de trouver une autre solution pour arranger la rousse. D’autant plus, que maintenant qu’elle regardait bien son visage… « Vous ne travaillez pas dans la pâtisserie au bout de la rue ? Votre visage me dit quelque chose ». Difficile de faire plus direct et moins indiscret comme question, mais elle lui était venue de manière soudaine. Elle adorait la pâtisserie et songeait à en intégrer une partie dans son épicerie, alors sa curiosité avait été piquée.
S’attendant à se prendre la colère de la jeune femme en dans la gueule de bois, Victoire ne put cacher sa surprise quand elle reçu des remerciements à la place. Merci d’être revenue. C’était la moindre des choses… Et si la jeune femme qualifia cela de « très honnête », Victoire se dit surtout que si elle n’avait pas le chic pour créer le chaos partout où elle passait, elle n’aurait pas à se comporter honnêtement après coup. Ses yeux bouffis toujours cachés derrière ses lunettes de soleil, elle s’empressa d’ailleurs de répondre honteuse : « Oh, s’il vous plait ne me remerciez pas… »
Victoire ne savait pas avec certitude si cette inconnue était la propriétaire des lieux mais c’était probablement le cas au vu de sa façon de parler des dégâts qu’elle devait gérer. Sa gentillesse était incroyable et ne faisait que renforcer le sentiment de malaise de Victoire : elle avait causé des problèmes à cette jeune femme adorable car elle ne savait pas se contrôler. L’épicière essaya de la rassurer encore en précisant qu’elle avait vu les vidéos de surveillance et elle s’excusa même pour ce client qu’elle ne connaissait pas.
Victoire allait de surprise en surprise, elle scruta le visage amical de l’inconnue avec une expression d’incompréhension totale. La vidéo surveillance n’avait pas dû montrer grand chose d’incroyable, si ce n’est que le blond l’avait suivie jusqu’au recoin pâtisserie, rien qui ne justifie son pétage de plomb pour « une personne normale ». Elle n’aurait pas dû aggraver son cas mais elle ne put s’empêcher de s’enfoncer en précisant : « Oui, il m’a suivi dans votre boutique… Mais j’ai paniqué sans raison, il n’était pas menaçant… Je suis désolée… »
C’était comme si elle avait besoin qu’on lui crie dessus un bon coup pour se sentir suffisamment punie. Sa psy lui avait dit un jour que c’était sa façon de rester une victime et ça l’avait mise dans une colère énorme. Ce qui prouvait que sa psy avait touché une corde sensible. Victoire chassa cette pensée pour se concentrer sur son interlocutrice qui persistait à se montrer d’une cordialité et d’une bienveillance infinies. Elle cherchait une solution alternative car elle avait peur que le montant soit trop élevé pour que Victoire puisse la rembourser. Celle-ci insista : « Je veux vous rembourser, laissez-moi faire ça pour me racheter… »
Puis, la propriétaire de l’épicerie se mit à la scruter un peu plus intensément. *Merde, est-ce que ça se voit à travers mes lunettes que j’ai les yeux explosés d’une toxico ? Ou j’ai un truc dans les dents ?* Mais le suspense ne dura pas plus longtemps quand la jeune femme lui demanda si elle ne travaillait pas à la pâtisserie. Victoire acquiesça et réalisa qu’elle ne s’était pas présentée : « Oui, excusez-moi, j’aurai dû commencer par ça. Je m’appelle Victoire Laclos et je suis pâtissière – chocolatière à la pâtisserie – salon de thé Les Fleurs du mal. » Elle prononça son nom et celui de la pâtisserie, en français dans le texte, à la perfection en bonne française qu’elle était. C’est alors qu’elle réalisa qu’il y avait effectivement un moyen de se racheter pour sa conduite de la veille sans avoir à s’endetter, elle s’exclama : « Ah mais oui ! Je sais pas à combien s’élève le montant des dégâts mais je peux vous faire gratuitement des pâtisseries à hauteur de la somme ? Vous pourriez même les vendre un peu plus cher ? »
Victoire se rendit compte qu’elle était toujours plantée devant le magasin avec ses citrons à la main et empêchait la jeune femme d’ouvrir son épicerie, elle s’empressa d’ajouter : « Mais vous voulez peut-être que l’on rentre pour en parler ? Ou que je revienne plus tard, je ne veux pas vous empêcher de travailler… »*Oui t’as fait assez de merde comme ça ma vieille*
Livia ne pouvait que se montrer bienveillante face à la rousse qui tenait tout malgré à assumer ses responsabilités, sans utiliser la porte de sortie que Livia lui avait offerte en accusant l’homme. « Oui, il m’a suivi dans votre boutique… Mais j’ai paniqué sans raison, il n’était pas menaçant… Je suis désolée… » Cette honnêteté et cette volonté de se racheter par tous les moyens avait le don de toucher la sensibilité de Livia, qui voyait toujours le bon côté des gens ; alors, avec un comportement pareil, elle ne pouvait qu’apprécier le respect dont la jeune femme faisait preuve. « Des clients m’ont raconté qu’il s’était montré insistant avec vous, et il vous a quand même suivi dans le magasin… Je ne considère pas que la violence est une solution, mais je peux comprendre votre réaction. Même si j'aurais préféré que ça n'implique pas mes étagères, évidemment... » Pas besoin d’en rajouter plus et de ressasser cette action passée, mais elle tenait à faire comprendre à l’inconnue qu’elle se mettait à sa place ; en tant que femme, elle avait malheureusement déjà connu des situations où un homme trop lourd l’avait rendu mal à l’aise. Elle n’avait jamais physiquement repoussé quelqu’un, et encore moins renversé trois étagères au passage, mais elle pouvait concevoir une telle action dans un geste de panique. Même si elle ne pouvait s’empêcher de penser que la rousse devait être particulièrement sensible, d’une manière ou d’une autre, pour avoir réagit de cette manière. Elle le voyait d’ailleurs bien, ce regard fuyant qui se tournait régulièrement vers le sol, n’osant pas fixer Livia alors que des lunettes de soleil le protégeait pourtant.
La rousse insistait pour rembourser Livia, mais celle-ci chassa la proposition d’un revers de main tandis qu’elle se rappelait après déjà vu le visage de cette femme, à la pâtisserie voisine. « Oui, excusez-moi, j’aurai dû commencer par ça. Je m’appelle Victoire Laclos et je suis pâtissière – chocolatière à la pâtisserie – salon de thé Les Fleurs du mal. » Livia tiqua sur le nom de la pâtisserie, qui avait été prononcé avec un accent français qu’elle ne connaissait que trop bien pour s’être souvent rendue en France. Elle lui répondit néanmoins sans relever. « Livia Visconti, je suis la propriétaire de l'épicerie, mais j'imagine que vous l'avez deviné » De ce simple échange d'identités, la rousse sembla en tirer une illumination. « Ah mais oui ! Je sais pas à combien s’élève le montant des dégâts mais je peux vous faire gratuitement des pâtisseries à hauteur de la somme ? Vous pourriez même les vendre un peu plus cher ? » « Ah oui, c’est une idée… » Livia allait lui répondre plus longuement lorsque la jeune femme s’excusa une nouvelle fois, d’une certaine manière. « Mais vous voulez peut-être que l’on rentre pour en parler ? Ou que je revienne plus tard, je ne veux pas vous empêcher de travailler… » « Ne vous inquiétez pas, j’arrive toujours en avance. Mes employés ne vont pas tarder mais j’ai un moment. » Finissant d’ouvrir la grille, elle poussa la porte puis invita Victoire à la suivre à l’intérieur. Elle se contenta de déposer ses affaires sur la caisse, ne voulant pas prendre le temps de se rendre à l’arrière du magasin pour ouvrir sa pièce de travail et commencer à s’affairer aux tâches qui l’attendaient. Il valait mieux qu’elle se concentre sur son interlocutrice et la manière de régler l’incident de la veille, avant de se lancer dans tout autre chose. Se retournant vers la rousse, elle se demanda d’ailleurs si cette dernière allait enlever ses lunettes maintenant qu’elles étaient à l’intérieur, ce qu’elle n’avait pas semblé faire pour l’instant.
Avisant du regard le sac de farine et les trois citrons que Victoire tenait encore contre elle, elle sourit à cette vue. « Au fait, vous pouvez les garder, ce n’est pas ça qui va changer grand-chose. A moins que vous teniez absolument à les régler. » Livia ne voulait pas insister, car la jeune femme avait l’air assez carrée et obnubilée par l’idée de se racheter. Elle lui proposait de laisser tomber pour si peu, mais elle n’avait pas non plus l’intention de l’empêcher de payer si elle y tenait vraiment. « Pour les pâtisseries, je suis vraiment tentée par l’idée. Ca fait déjà un moment que j’envisage d’ajouter un coin pâtisserie. » Lorsqu’elle prononça ces mots, son sourire se fit plus franc, mais elle se rendit rapidement compte que ce n’était sûrement pas si simple que cela. « Mais il faut que je me renseigne légalement, pour savoir si je peux vendre ce genre de produits. » Et puis, il ne s’agissait pas que d’elle et de son magasin, après tout, mais de la rousse qui malgré sa bonne volonté, était déjà employée et n’avait pas réellement tout le temps du monde ni le droit de produire pour un autre magasin sur son lieu de travail. « Par contre… comment est-ce que vous pourriez les faire ? » Puis l’accent français lui revint, et elle ne put s’empêcher de faire une remarque à ce propos. « J’ai toujours rêvé de savoir bien pâtisser. Surtout lorsque j’allais en France, ils ont vraiment des pâtisseries incroyables. » En toute subtilité, elle avait fait passer l’idée qu’elle avait bien compris que la jeune fille n’était pas du pays. Pour autant, Livia n’était pas du genre à se montrer indiscrète et à rentrer dans les sujets que les personnes face à elle n’avait pas ouverts. Alors, elle préférait largement faire une remarque de ce genre, qui laisserait à la rousse le loisir de s’étendre sur le sujet si elle le souhaitait. Quoi qu’il en soit, Livia était toujours ravie de rencontrer d’autres européens, qui comme elle, avaient traversé le monde entier – elle se demandait toujours ce qui avait pu motiver leur choix, à eux.
La jeune femme se montrait vraiment très compréhensive. Elle disait que ses clients avaient témoigné en sa faveur et que le simple fait qu’il l’ait suivie à l’intérieur du magasin était inquiétant. Sa voix douce et son regard bienveillant ne transmettaient qu’apaisement à Victoire qui aurait pu la prendre dans ses bras tellement elle lui était reconnaissante de la traiter ainsi. Mais si la rousse raffolait de ce genre de démonstrations d’affection et manquait cruellement de tendresse depuis son arrivée en Australie, elle avait également besoin de connaître et faire confiance à la personne pour se laisser aller dans ses bras. Cette jeune femme avait beau être gentille et avenante, elles ne se connaissaient pas et ça aurait été vraiment très bizarre qu’elle lui saute au cou. A défaut d’effusions déplacées, Victoire adressa un vrai sourire de remerciement avant de détourner le regard à nouveau, elle avait honte maintenant que la jeune femme remarque qu’elle avait tout bonnement une sale tronche derrière ses lunettes.
Puis les jeunes femmes se présentèrent. C’était donc bien la propriétaire des lieux, une certaine Livia Visconti. La rousse tiqua mentalement, ce nom sonnait Italien, ou peut-être espagnol, en tous cas il n’était pas d’origine australienne… Mais elle se concentra surtout sur les possibilités de se racheter auprès de la jeune femme. Mettre ses talents de pâtissière au service de cette jeune femme lui paraissait une bonne idée et Livia sembla acquiescer. Puis sur l’impulsion de Victoire, Livia finit d’ouvrir la grille de l’épicerie et l’invita à entrer en lui assurant qu’elles avaient le temps d’en discuter. La rousse entra sans ôter ses lunettes de soleil, elle se demanda ce qui serait plus gênant, qu’elle les garde ou qu’elle dévoile sa mine déconfite… Elle décida que ne rien faire était la solution la plus simple pour l’heure, ainsi elle les laissa juchées sur son nez et hasarda : « Je suis sûre que vous dîtes ça par politesse, vous aviez sûrement plein de choses à faire avant l’ouverture… »
Victoire s’avança vers la caisse et déposa citrons et farine sur le petit tapis roulant actuellement éteint. Alors qu’elle s’apprêtait à sortir son porte-monnaie de son grand sac rouge, l’épicière lui proposa de lui offrir ces ingrédients. Selon elle, ça ne changerait pas grand chose. Elle lui laissa tout de même une marge de manœuvre et Vic s’empressa de répondre : « Oui j’y tiens absolument. Il faut que je pèse les citrons dans le rayon ou vous faîtes ça en caisse ? » Elle ne laissait aucun doute sur le fait qu’elle allait payer, ça n’était pas ça qui allait permettre à la Livia de faire fortune mais Victoire lui devait cet argent. C’était une question de principe et d’équité. Une fois qu’elle eut réglé, Livia revint sur sa proposition de faire des pâtisseries pour l’épicerie, en précisant que ça avait toujours été un projet qui l’intéressait. Elle pensait à voix haute, précisant qu’elle devait se renseigner sur les implications légales de ce genre de stand pâtisserie. Victoire se permit d’émettre l’hypothèse suivante : « Je pense qu’il suffit d’obtenir l’agrément de dépôt-vente et avec tous les produits frais que je vois ici, vous devez avoir toutes les autorisations sanitaires nécessaires non ? A vérifier, bien sûr… »
Puis elle lui demanda comment Victoire pourrait s’organiser pour les réaliser. La jeune femme réfléchit, ce n’était pas infaisable surtout s’il s’agissait d’un accord temporaire le temps de rembourser les dégâts. Elle répondit : « Je peux trouver le temps, je ne dors pas beaucoup de toutes façons… »*Ca suffira pas à justifier la sale gueule que tu te tapes ma cocotte* « Je ne pourrais pas utiliser les recettes des Fleurs du Mal bien sûr, c’est une exclusivité. Mais je peux créer des pâtisseries spécialement pour l’épicerie avec uniquement des ingrédients bio bien entendu… » Elle fit une pause pour réfléchir et ajouta : « Vous ne m’avez toujours pas dit à combien s’élèvent les dégâts… Tant que l’arrangement est temporaire, ça ira. Après si ça fonctionne et que vous voulez que l’on continue, j’aurai un peu d’organisation à faire dans mon emploi du temps mais c’est tout à fait faisable ! »
Elle était beaucoup plus loquace lorsqu’il s’agissait de parler de son métier et de la pâtisserie. Sa gêne et sa culpabilité qui rendaient son regard fuyant avaient disparues, temporairement du moins. C’est pourquoi quand Livia lui parla des pâtisseries françaises, elle répondit tout naturellement en riant : « Les meilleures ! Sans vouloir me montrer chauvine. Toute petite déjà j’étais obsédée par les choux fourrés, les charlottes aux fraises, les tartes au citron et les macarons… » Elle n’avait jamais caché qu’elle était française, elle aurait pu choisir un prénom aux sonorités moins hexagonales mais elle était fière d’être française. La jeune femme se permit même de demander à Livia : « Je ne veux pas présumer, mais votre nom sonne italien à mon oreille… Latin en tous cas, vous avez des origines européennes ? » Le visage de Victoire s’était illuminé, parler de la France, de l’Europe, ça lui rappelait les moments heureux de son enfance, avant qu’elle se retrouve projetée dans une carrière de top model qui ne lui apporta que du malheur. Elle réalisa qu’elle avait toujours ses verres tintés et se sentit de plus en plus ridicule dans le magasin qui était plongé dans une demi pénombre. *Allez enlève les, c’est le moment, peut-être que ta face n’est pas si ravagée*
Elle ôta ses lunettes et s’excusa aussitôt en mentant partiellement : « Désolée pour ma tête, insomnie hier… Je ne pouvais m’arrêter de penser à ce que j’avais fait dans votre boutique… » Les lumières de l’épicerie n’étaient pas toutes encore allumées, mais Livia pouvait voir clairement les cernes bleutées sous les yeux de la jeune femme. Ainsi que le blanc de ses yeux strié de vaisseaux sanguins rouges, les paupières encore gonflées de ses crises de larmes de la nuit. Bref, une alcoolique/fumeuse de joint le lendemain d’une mauvaise soirée, ça n’était pas beau à voir, une épave après le naufrage.
Rejetant d’un léger signe de la main les paroles de Victoire qui tentait encore en quelque sorte de refuser la bienveillance dont Livia faisait preuve, cette dernière l’avait fait entrer dans le magasin. Lorsqu’elle lui avait dit qu’un sac de farine et trois citrons ne changeraient pas grand-chose pour, elle se doutait que la rousse risquait de refuser. « Oui j’y tiens absolument. Il faut que je pèse les citrons dans le rayon ou vous faîtes ça en caisse ? » Elle ne la connaissait que depuis quelques minutes, mais la jeune femme semblait bien plus respectueuse et honnête qu’elle n’aurait pu l’imaginer – étant donné les dégâts qu’elle avait initié la veille. Si elle voulait se racheter pour tous les flacons cassés, cela n’étonnait donc pas Livia qu’elle veuille aussi payer les maigres articles avec lesquels elle s’était enfuie. « Je m’en charge » avait-elle lâché avec un sourire, mettant la caisse en route pour tout scanner. Lorsque le paiement fut finalisé, elle contourna la caisse pour se placer aux côtés de la rousse et écouter ce qu’elle lui proposait concernant les pâtisseries. Au fur et à mesure que l’idée germait dans sa tête, cela lui semblait réellement tentant. « Je pense qu’il suffit d’obtenir l’agrément de dépôt-vente et avec tous les produits frais que je vois ici, vous devez avoir toutes les autorisations sanitaires nécessaires non ? A vérifier, bien sûr… » Elle avait sans doute raison. Livia était du genre à être précautionneuse même lorsque cela n’était pas totalement justifié. Elle avait toujours peur de faire mal, et quand il s’agissait de l’épicerie, elle tenait à ce qu’absolument tout soit en règle. Ce lieu était sa fierté, son bébé en quelque sorte, et elle vérifiait donc toujours que tout soit carré. Victoire marquait un bon point, mais Livia n’avait jusque là pas vendu de produits frais qui aurait été produit en dehors des chaînes de production habituelles, et qu’elle n’aurait pas reçu via un de ses fournisseurs. « Vous avez sûrement raison, mais je vérifierai, ça ne me prendra pas longtemps. »
Vérifier la réglementation concernant la vente de produits frais, cela restait la partie facile de leur potentiel arrangement. Quand à la confection même des pâtisseries, cela nécessiterait une toute autre organisation – Livia n’ayant aucun lieu dans le magasin qu’elle puisse transformer en atelier. « Je peux trouver le temps, je ne dors pas beaucoup de toutes façons… Je ne pourrais pas utiliser les recettes des Fleurs du Mal bien sûr, c’est une exclusivité. Mais je peux créer des pâtisseries spécialement pour l’épicerie avec uniquement des ingrédients bio bien entendu… » Livia sourit à cette idée – des ingrédients bio, cela serait en effet un critère sine qua non des potentielles pâtisseries vendues dans sa boutique. Que la rousse propose de le faire sur le temps qui aurait dû être dédié au sommeil, cela n’enchantait en revanche guère Livia. Trouver une solution qui puisse les arranger toutes les deux, elle ne demandait que cela, en revanche elle n’était pas enthousiaste à l’idée que cela se déroule dans ces conditions. « Vous ne m’avez toujours pas dit à combien s’élèvent les dégâts… Tant que l’arrangement est temporaire, ça ira. Après si ça fonctionne et que vous voulez que l’on continue, j’aurai un peu d’organisation à faire dans mon emploi du temps mais c’est tout à fait faisable ! » Évidemment, Livia ne pourrait y couper quant aux chiffres, si elle décidait de s’engager dans un tel arrangement. Le fait que ce dernier se déroule de manière privée, et donc plus souple, ne signifiait pas qu’elle pouvait s’affranchir d’une certaine transparence. « Il y en a pour trois-cents dollars environ. » C’était à la fois peu et beaucoup, du moins suffisamment pour qu’elle ait songé à contacter son assurance. Si cette somme perdue ne mettait pas en danger son activité, cela représentait néanmoins une perte à gagner qu’elle ne pouvait ignorer. « Tout dépendrait du type de pâtisseries que vous voudriez créer, et à combien elles pourraient être revendues. Évidemment je vous fournirai tous les ingrédients, et ça permettra même aux clients de tout avoir à portée de main s’ils veulent les reproduire par eux-mêmes. »
Lorsque Victoire réagit à sa remarque sur les pâtisseries françaises, le sourire de Livia s’agrandit tandis que la rousse semblait se détendre peu à peu face à elle. Visiblement, elle avait touché dans le mile avec le sujet de la France et des pâtisseries. Après tout, elle aurait dû se douter que la jeune femme était française, ne serait-ce que par son nom. Victoire sembla d’ailleurs s’être elle-même interrogée sur les origines de Livia, dont le nom sonnait lui-même peu anglophone. « Je ne veux pas présumer, mais votre nom sonne italien à mon oreille… Latin en tous cas, vous avez des origines européennes ? » L’italienne était particulièrement fière de ses origines – même si ne les étalait pas forcément à quiconque ne lui en faisait pas la remarque. « Italiennes, oui. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai nommé la boutique ainsi, je voulais utiliser des mots italiens mais qui étaient compréhensibles par tous et renvoyaient à la nature, au bio... » Elle reprit quasi aussitôt. « Mais j’habite ici depuis onze ans et ça fait longtemps que je ne suis pas rentrée en Europe. Et vous ? » Alors que Livia commençait à arranger quelques produits sur les étagères tout en continuant à discuter avec Victoire, cette dernière finit par enlever ces lunettes – la brune ayant presque failli lui faire la remarque et lui demander en riant si elle arrivait à voir à l’intérieur ainsi. Lorsque les yeux de la rousse lui apparurent, Livia comprit instantanément mieux pourquoi les lunettes étaient restées en place si longtemps. Elle ne voulait présumer de rien, et n’était pas du genre à s’attarder sur l’apparence physique des gens, mais les cernes et les yeux rouges de la jeune femme ne donnaient pas l’impression qu’elle avait juste un peu moins dormi que d’habitude. « Désolée pour ma tête, insomnie hier… Je ne pouvais m’arrêter de penser à ce que j’avais fait dans votre boutique… » Durant quelques instants, Livia ne répondit rien, même si elle tentait de garder une expression neutre et de ne pas laisser transparaître sa surprise et son inquiétude. Elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’une seule insomnie ne donnait pas ce genre de résultats, mais elle n’osait pas le formuler ainsi. Si Victoire s’était mise dans des états pareils, elle devait sans doute faire preuve d’une sensibilité que la brune n’avait que peu envie de bousculer. « Si ce n’est que ça, ce qui n’était sans doute pas le cas, je ne peux pas vous laisser pâtisser pour moi, si ça empiète encore plus sur votre sommeil… » Même si Livia avait cette tendance à vouloir venir en aide aux gens lorsqu’elle sentait qu’ils traversaient quelques difficultés, elle ne se serait pas permise d’être plus intrusive envers Victoire – pousser les gens à révéler ce dont ils ne voulaient pas parler était la pire des méthodes. Elle eût soudain une idée. « Ça va vous paraître bizarre, mais est-ce que vous accepteriez de m’aider à me perfectionner en pâtisserie ? Je participe à un concours d’ici peu, et je ne dirais pas non à quelques conseils… » Elle reprit son souffla puis enchaîna. « Comme ça, nous pourrions aussi convenir des pâtisseries à créer pour l’épicerie, et nous pourrions même en faire ensemble pour que cela ne vous prenne pas trop de temps. Pour la suite, on verra en temps voulu… » Elle avait une vie bien occupée, mais prendre du temps pour développer un projet qu’elle avait en tête depuis si longtemps pour l’épicerie, cela en faisait automatiquement une priorité. Alors même s’il était bien trop tôt pour penser au long terme, elle ne pouvait s’empêcher de se faire déjà mille et une idées.
La discussion sur la partie législative du projet n’alla pas plus loin, Livia précisa seulement qu’elle ferait ses recherches. Victoire n’était pas une experte, elle pensait que cela pourrait se faire sans trop de problème mais il fallait consulter un spécialiste de la question à coût sûr. Pour ce qui était de l’organisation technique, Victoire proposa de faire cela sur son temps personnel en plaisantant sur son besoin de peu d’heures de sommeil. Il est vrai qu’elle n’avait pas évoqué de lieu pour confectionner les pâtisseries. Bien entendu, elle aurait pu le faire dans sa cuisine personnelle qui était très bien équipée pour cela mais elle n’avait pas d’autorisation pour cela. Il fallait un laboratoire disposant des agréments et soumis au contrôle des autorités sanitaires. Elle pourrait négocier avec ses employeurs pour obtenir le droit d’utiliser le laboratoire en dehors de ses heures de travail mais elle avait peu d’espoirs qu’ils acceptent. Pour eux, cela s’apparenterait à de la concurrence et ils pourraient faire jouer la clause de non concurrence de son contrat… Mais bon si cela restait un accord temporaire, elles pourraient sûrement trouver une solution. Victoire insista pour savoir quels étaient les dégâts réels. Elle n’avait aucune idée du montant et lorsque Livia lui annonça 300 dollars, elle fut d’abord soulagée. Elle avait eu peur que le montant soit plus proche des 1000 dollars et dans ce cas-là, elle n’aurait vraiment pas pu rembourser cela de sa poche en une fois.
Mais 300 dollars, c’était faisable. Elle devrait se serrer la ceinture pendant un mois car cette dépense n’était pas prévue, mais elle ne se ruinerait pas. Alors qu’elle réfléchissait à quels petits sacrifices elle devrait faire pour rembourser sa dette sur le champs, elle sut que ce ne serait pas plus mal pour sa santé : moins d’alcool, moins de fumette… Les substances plus ou moins licites qu’elle absorbait toutes les semaines représentaient un budget mensuel conséquent. Pendant ce temps, Livia soliloquait sur les conditions de ce potentiel arrangement : quel type de pâtisserie, quel prix à l’unité… Victoire finit par ouvrir la bouche pour proposer : « 300 dollars, je peux vous les rembourser tout de suite, ou à la limite en deux mois si vous préférez ! Ca sera plus simple et plus rapide que de se lancer dans cette histoire de dépôt vente… On peut maintenir ce projet si une collaboration vous dit, mais en prenant notre temps… »
C’était probablement la meilleure solution. Payer sa dette et ensuite, voir si cette idée de dépôt vente était possible et prendre le temps de réunir les conditions nécessaires à la réalisation de celle-ci. De toutes façons, la conversation avait déjà dévié sur un autre sujet qui était plus léger et divertissant pour Victoire : leurs origines européennes. Elle avait tapé juste, la jeune femme était italienne. Il fallait avouer qu’elle n’avait pas du tout fait attention au nom de l’épicerie quand elle s’y était engouffrée la veille pour échapper à ce dragueur lourd. La jeune femme lui apprit qu’elle avait émigré en Australie il y avait onze ans de cela et qu’elle n’était pas retournée au pays depuis longtemps. Quand elle lui retourna la question, Victoire répondit sans réfléchir :« Ca fait à peine un an que je suis là. Et je ne compte pas retourner là-bas, il n’y a plus rien pour moi en France… Je suis là pour changer de vie ! »
Elle pensa à sa mère, décédée il y avait deux ans, et son cœur se serra. Il lui restait bien de la famille maternelle qu’elle aurait pu aller voir, mais il y avait des tensions qu’elle ne s’expliquait pas vraiment entre elle et cette partie de la famille. Elle avait une cousine qui lui manquait, mais sa peur de retourner en France et de risquer qu’on la reconnaisse, qu’on l’appelle Juliette était plus forte que son envie de la revoir.
Quand elle retira ses lunettes, elle sentit le regard pesant de Livia qui n’arrivait pas si bien que cela à dissimuler son air préoccupé. Elle n’eut pas l’air convaincue par son excuse mais s’en servit tout de même pour confirmer qu’elle ne comptait pas la laisser empiéter sur son sommeil pour faire de la pâtisserie. Victoire se contenta d’acquiescer en hésitant à remettre ses lunettes de soleil, elle n’aimait pas que le regard que la jeune femme posait sur elle ait changé. Mais heureusement, celle-ci se reprit rapidement et proposa avec entrain une autre solution. Victoire marqua une pause et réfléchit. Elle allait rester silencieuse comme cela lui arrivait souvent mais la jeune italienne aurait pu mal interpréter son hésitation. Elle se mit alors à penser tout haut : « Ca pourrait être une façon de payer ma dette ces cours de pâtisserie et ça pourrait effectivement nous permettre de commencer à travailler sur une collaboration future. Ce sera bien d’apprendre à se connaître avant de travailler ensemble… Mais, rembourser les 300 dollars directement ça pourrait mettre fin directement à cette dette… » Elle regarda Livia et se rendit compte que ce qu’elle venait de dire pouvait être mal compris, elle ajouta aussitôt : « Mettre fin à la dette seulement, pas au projet de travailler ensemble ! C’est simplement que je me sentirai mieux si l’on commençait ce projet de pâtisserie sans que je vous sois redevable. Sur un relatif pied d’égalité, vous soyez ? »
Victoire se retourna car quelqu’un venait d’entrer. Victoire ne savait pas si c’était une employée ou une cliente mais elle se sentit de trop. Elle jeta un regard à Livia pour voir sa réaction et savoir quoi faire, il leur suffirait de s’échanger les numéros pour parler du futur projet mais elle aurait tout autant pu aller retirer les 300 dollars au coin de la rue et cela ferait au moins une bonne chose de faite.
(c) DΛNDELION
Spoiler:
Désolée Liv', j'étais pas super inspirée... Ca manque de drama j'aurai pas dû mettre tout le drama dans un prologue ! Bref, du coup, j'abrège un peu à moins que tu aies une idée pour relancer
Livia réalisa qu’elle s’était quelque peu emballée dans ses histoires de pâtisseries et de créations lorsque la jeune femme lui proposa de régler directement les 300 dollars qu’avaient coûté les dommages de la veille. « 300 dollars, je peux vous les rembourser tout de suite, ou à la limite en deux mois si vous préférez ! Ça sera plus simple et plus rapide que de se lancer dans cette histoire de dépôt vente… On peut maintenir ce projet si une collaboration vous dit, mais en prenant notre temps… » Ne s’attendant pas à cette proposition, alors qu’elle avait justement tenté de trouver une solution alternative qui conviendrait à la rousse sans qu’elle n’ait à débourser cette somme, elle ne pouvait qu’accepter. Après tout, cela était tout aussi avantageux pour elle, et même davantage. Elle ne souhaitait donc pas continuer à épiloguer pour convaincre la jeune femme qu’il y avait sans doute d’autres solutions – si elle-même préférait directement régler sa dette, ce n’était pas Livia qui allait insister pour la faire changer d’avis. « Si vous préférez, alors faisons comme ça. Ça évitera de précipiter les choses » lâcha-t-elle avec un sourire sincère. Pour autant, la possibilité de cette éventuelle collaboration l’avait fortement intéressée, et elle ne comptait pas laisser tomber l’idée – bien que ce ne soit pas forcément le moment d’en discuter, et que le temps ne manquerait pas pour se poser davantage sur le sujet dans le futur.
Lorsque la rousse lui confia qu’elle aussi n’était visiblement pas que de passage en Australie, mais destinée à y rester, l’italienne se retrouva quelque peu dans ses paroles. Bien qu’à la base, elle n’ait pas compté resté indéfiniment dans ce pays, sa vie s’était également transformée lorsqu’elle avait décidé de s’y installer. Une pointe de curiosité la titilla sur les raisons qui poussaient la rousse à vouloir littéralement changer de vie, mais elle n’était pas réellement en position de poser davantage de questions, et se contenta donc d’acquiescer en souriant. « Je vous comprends, partir aussi loin permet vraiment de repartir à zéro. » Puis Livia eut l’idée soudaine d’intégrer de potentiels cours de pâtisserie à leur arrangement, mais la rousse insista pour rembourser directement sa dette – sans toutefois refuser une collaboration sous plusieurs aspects. « Mettre fin à la dette seulement, pas au projet de travailler ensemble ! C’est simplement que je me sentirai mieux si l’on commençait ce projet de pâtisserie sans que je vous sois redevable. Sur un relatif pied d’égalité, vous voyez ? » Livia comprenait tout à fait, d’autant plus que si elle souhaitait réellement prendre des cours de pâtisseries, rien de l’empêcherait d’en trouver dans Brisbane. Elle n’avait donc aucune raison d’insister davantage auprès de son interlocutrice qu’elle ne connaissais finalement pas du tout – et qui, soit dit en passant, semblait tout de même cacher certaines choses derrière son regard fatigué et ses yeux trop rouges pour n’être que synonymes de fatigue. « Vous avez raison, je m’emballe un peu » lâcha-t-elle en riant doucement. Livia était du genre à se montrer un peu trop enthousiaste lorsqu’un projet lui tenait à cœur, et elle s’était précipitée un peu trop rapidement, pensant tout haut et exposant toutes ses idées à la fois sans réellement prendre le temps d’y réfléchir plus posément. « Écoutez, si vous préférez régler la somme ou la moitié aujourd’hui, je peux m’en charger tout de suite. Et pour le reste, si ne vous embête pas, je vous donne mon numéro, pour que vous puissiez me contacter si l’idée vous intéresse finalement. » Elle se reprit pour ajouter une précision, ne voulant pas sonner trop pressante auprès de la rousse. « Ce n’est qu’une idée, aucun engagement évidemment. Nous pourrons en reparler si vous souhaitez payer le reste dans quelques semaines. »
Souriant, elle se retourna au son déclenché par la porte lorsqu’une de ses employées entra dans l’épicerie. Elle prenait un certain risque en acceptant que la jeune femme ne règle pas nécessairement la totalité de la somme d’un coup, mais elle savait bien qu’en passant par l’assurance, tous les coûts et les dépréciations ne lui auraient pas remboursé la totalité des articles perdus. Si la rousse payait déjà une partie aujourd’hui, cela indiquait sa bonne foi – sans laquelle elle n’aurait même pas pris le temps de repasser à l’épicerie. Elle attendit donc que la rousse lui présente son moyen de paiement, et l’encaissa une deuxième fois, avant de la saluer et de lui tendre la carte de l’épicerie où elle avait inscrit son numéro personnel. Espérant que leurs chemins se recroisent à nouveau, et réellement intriguée par cette personne qui semblait bien plus complexe qu’elle ne le laissait paraître.
Pardon pour le délai Je pense aussi que le rp ne pouvait pas trop durer plus longtemps, donc j'ai conclu et je m'occupe de l'archiver J'ai laissé la possibilité ouverte à une suite pour le lien du coup.