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 Darling, so it goes

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Message(#)Darling, so it goes EmptyDim 3 Mai 2020 - 19:09

Quelques jours étaient passés depuis le vernissage. Lola se remettait doucement de l'angoisse qu'elle avait éprouvée, de tous ces gens qu'elle avait rencontrés, de ceux qui étaient venus malgré tout, des commentaires sur les toiles et les photos, de ce qui s'était vendu. Il y avait beaucoup à mettre en place dans son esprit. Et puis, Yele était revenu, comme un boulet de canon, dans son existence, et elle en avait été chamboulée, bien plus qu'elle n'aurait aimé l'admettre. Il était l'ombre de lui-même, une silhouette d'ange déchu, qui ne savait plus qui il était, ce qu'il faisait, où il allait, qui avait oublié ses objectifs et ses raisons d'être ; il n'avait plus appartement, ni voiture, ni travail. Alors qu'elle était au sommet de sa forme, à un moment où toutes les planètes s'alignaient, il s'effondrait, et elle se sentait coupable - d'autant plus coupable que le soir-même, lorsqu'elle avait retrouvé Grace, elle ne lui en avait pas parlé. Et puis les heures étaient passées, et Grace s'était endormie, et Lola était restée réveillée à regarder le plafond éternellement, parce que n'est-ce pas la meilleure activité du monde ? Il y avait tant à discuter avec Grace, pas seulement Yele, mais aussi l'exposition, mais aussi leur relation, mais aussi Auden et Ginny. Elle voulait tout partager avec cet être humain qu'elle découvrait à peine, et pourtant elle se sentait rattrapée par des fantômes qu'elle ne contrôlait pas. Elle tremblait dans le lit, non de froid mais d'inquiétude mal contenue. A trois heures vingt-deux, elle renonça à s'endormir, se leva et alla se préparer un café, aussi doucement que possible.

Kim Possible ouvrit un oeil et vint la rejoindre. Elle s'assit par terre et se mit à caresser le chat, essayant de se concentrer sur le miracle que c'était d'avoir créé une relation avec cette créature sauvage qui n'avait plus confiance en personne. Un peu comme Grace. Un peu comme Auden. Un peu comme Yele. Elle fit une grimace. Rien n'y faisait, et tout remontait sans arrêt. Elle avait connu la sérénité pendant quelques mois magiques, depuis l'Islande en fait, et puis tout s'effritait, comme d'habitude. Pourquoi est-ce que ç'aurait été différent, cette fois-ci ? Pourquoi est-ce que ç'aurait été simple ? Elle entendit Grace remuer dans le lit, et soupira. Se leva pour préparer un deuxième café. C'était le milieu de la nuit, certes, mais le lendemain était un dimanche, et Grace était aussi tragiquement incapable de se rendormir qu'elle, donc autant qu'elles parlent. Elle apporta les deux tasses près du lit, sur la table de nuit, et s'assit à côté de Grace.

"Mon ex est revenu." La phrase flottait là, dans l'air de la nuit. Elles n'avaient pas encore allumé de lumière. L'obscurité, c'était bien pour ne pas voir le visage de l'autre. Lola ne s'étonna donc pas lorsque Grace appuya sur l'interrupteur pour la scruter. Il y avait de quoi. "Je t'ai parlé de lui. Yele." Au moins, elle ne vivait pas dans le secret. Pourtant, la culpabilité la rongeait, comme si elle avait transgressé une ligne, comme si c'était elle qui avait demandé à ce qu'il fasse réapparition dans sa vie. C'était insensé, incongru. Elle n'avait jamais été très forte pour gérer ses émotions. "Il habite à la galerie. Je ne savais pas. Il est ami avec Ginny, apparemment." Grace connaissait la galerie. Grace connaissait Ginny. Grace connaissait toute la vie de Lola, parce qu'enfin, enfin, elle avait autorisé quelqu'un à y entrer de nouveau. La peur de perdre ce qu'elle avait à peine commencé à construire la traversait comme des décharges électriques. Elle voulait que l'obscurité revienne, et en même temps avait besoin de la lumière. Tel un insecte, elle s'y raccrochait, quitte à ce que ses ailes se brûlent au contact de l'ampoule chaude. "Il ne va pas bien. Pas bien du tout. Je suis inquiète pour lui. Et perturbée qu'il soit de retour. Maintenant, en plus." Maintenant qu'elles avaient voyagé ensemble, maintenant qu'elles avaient exposé ensemble. "Je ne supporte pas les secrets, les demi-vérités, donc j'avais besoin de te le dire. Mais ce n'est pas tout." Concernant Yele, c'était tout ce qu'il y avait à dire pour le moment. Mais quid du reste ?

"J'ai vendu des toiles pour la première fois de ma vie, et je ne sais pas ce que ça veut dire. Je suis amoureuse de toi, et je ne sais pas ce que ça veut dire. Je n'ai pas parlé à Ginny et Auden, pas vraiment, depuis des semaines, et je ne sais pas ce que ça veut dire. Je me sens complètement dépassée par les événements, et mon cerveau n'arrête pas, et j'aimerais tellement qu'il s'arrête." Si elle avait été addict à quoi que ce soit, elle aurait fait une rechute, juste pour que les pensées se taisent, que les émotions s'apaisent, pour trouver un ancrage, un point de chute. "J'ai l'impression de ne rien contrôler." Et d'être une mauvaise personne. Elle avait le sentiment de se perdre, que son identité était trouble. Bien sûr, ç'aurait été mieux de s'en ouvrir à Grace de jour, ou pendant la soirée, pas au milieu de la nuit, mais quand tout se précipite, parfois, on fait avec ce qu'on a, avec les minutes de creux où le monde cesse d'exister parce que les autres dorment. "Et c'était quoi cette histoire de foursome par texto avec Jordan ?" Question qui n'était clairement pas si importante que ça à côté de tout le reste, mais quitte à faire une lessive, autant y mettre tout le linge sale.

Lola avait du mal à respirer, et même tout dire comme ça n'aidait pas. Elle avait besoin d'air. Elle avait besoin d'oxygène, et elle avait l'impression qu'il n'y en avait pas assez dans le monde entier pour combler ce manque qu'elle ressentait de certitude, de sécurité. "Est-ce qu'on peut aller marcher ? Ensemble ?" Elle était en jogging, de toute façon, donc elle n'avait plus qu'à enfiler un pull et des chaussures, et le tour était joué. Les balades au milieu de la nuit, c'était un coup à s'attirer des loups-garous, mais Grace n'avait jamais fini de lire les Harry Potter, donc ça ne l'inquièterait pas trop. Dans sa tête, Lola se fit la plaisanterie qu'avec un peu de chance, elles croiseraient Lupin. Avant de baisser les yeux. Rien de tout cela n'était drôle.

@Grace Coughlin
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Message(#)Darling, so it goes EmptyLun 4 Mai 2020 - 5:40

Il lui semble avoir senti quelque chose bouger. Non : elle en est quasi sûre ; amorce un semi-grognement dans son sommeil pour protester contre le mouvement importun, et s'oppose finalement à du froid, un côté de lit vide, déserté de son occupante. Un froncement de sourcils et cette fois-ci Grace est bien réveillée, tirée de ses songes par l’absence de Lola, un regard encore endormi et confus balayant la pièce. "Mon ex est revenu." Et juste avec cette phrase le spectre revient, s’installe à côté du lit et lui offre du café. Grace, elle, lutte. Décompose la phrase. Déterminant, nom...fausse route : pas plus de neurones qui se connectent. Mais entre elles, la phrase résonne, Lola s’attend sûrement à un écho et la jeune femme ignore comment satisfaire ses attentes. Alors, pour tout retour, elle allume la lumière, s’attend à ce que Lola précise son propos, au moins lui donne du contexte : quel ex ? revenu où ? pourquoi c’est un sujet abordable à - vérification sur l’horloge murale - trois heures et demi du matin ? La réponse, elle la trouve dans ses yeux meurtris de fatigue, empreints de doute : plus rien n’est sûr. Et elle ne sait pas si c’est à cause de lui, ou de l’angle de la lumière, mais son regard fait le travail d’exprimer sa confusion pour elle.

"Je t'ai parlé de lui. Yele. Il habite à la galerie. Je ne savais pas. Il est ami avec Ginny, apparemment."

Lentement, elle resitue, opine du chef distraitement, encore en proie au sommeil. Yelahiah, donc, celui qui l’a laissée pour une autre et qui l’a marquée au fer rouge en perpétuant l’idée qu’elle n’était pas suffisante pour qu’on reste. Tout comme elle. "Il ne va pas bien. Pas bien du tout. Je suis inquiète pour lui. Et perturbée qu'il soit de retour. Maintenant, en plus." Elle aurait pu éclaircir ses propos, mais elle a du voir dans le regard de Grace que maintenant, les mots se connectent entre eux, parce qu’elle ne dit rien. Grace aurait aimé qu’elle la détrompe, pourtant, parce qu’il n’y a rien de plus terrifiant que ce dernier bout de phrase. Maintenant qu’elles sont quelque chose de concret, il revient tout mettre en doute, parce que Grace n’est sûrement pas une assez bonne artisane dans l’auto-sabotage pour réussir à le faire à elle seule. Non, il lui faut l’aide de l’ex de Lola. Voilà ce qu’elle pense, égoïstement, alors que celle-ci lui déballe ses doutes, ses peurs, son besoin de réassurance que Grace n’arrive à combler que de son silence confus, interdit. Lola la prévient : ce n’est pas tout, la suite est pire, il faut s’y préparer convenablement, alors Grace se redresse dans le lit et boit une première gorgée de café, définitivement résignée à l’idée qu’elle ne se recoucherait pas.
Alors Lola parle. De l’exposition, de ce qu’il y a entre elles, du conflit avec Ginny et Auden, de la rapidité et du flou, de l’incertitude totale qui l’engouffre. Grace, elle, la couve de son regard doux, au milieu de la somnolence et des hésitations. Parce qu'elle non plus, ne contrôle plus rien, ça semble être le thème de sa vie depuis un certain temps, et si elles ne savent pas comment se retrouver au milieu du reste, au moins ont-elles ce point de jonction – tout futile soit celui-ci. "Et c'était quoi cette histoire de foursome par texto avec Jordan ?" Et cette fois, Grace se contente de cligner des yeux, les sourcils légèrement froncés, comme si elle venait de se réveiller à nouveau et que Lola lui parlait Klingon. “La quoi ?” C’est les premiers mots qu’elle se force à tirer d’elle-même et même en répétant la phrase de Lola à voix basse, l’idée générale tarde à monter. Puis, “ah”. Le foursome, le fameux. Grace, restée à parler de Yelahiah, de Ginny, d’Auden, d’elles deux, lutte pour trouver une cohérence à donner à ses mots.

Jordan connaît Lennon”, fait-elle enfin. Ce n’est pas à elle de le dire à Lola, certainement pas avec le passif du duo, mais elle ne voit pas comment justifier la situation autrement. “Il la connaît même bien. Il m’a parlé d’elle quand je suis allée chez lui, puis il l’a croisée à la galerie. J’ai fait une plaisanterie à la con sur un plan à quatre, parce que je faisais ça avec Rosa, aussi. Je l’emmerdais tout le temps avec ça. C’est tout.

Ca ne suffirait pas à englober des années de beauferie à rattraper pour saisir le lien particulier qui unissait le duo, mais elle pouvait au moins lui offrir la partie émergée de l’iceberg. Ça ne semble pas suffire, cependant (et comment penser l’inverse ? Ce n’était qu’une amorce de résolution dans un tas de nœuds recouverts de merde), et Lola lui propose de sortir, parce que ça semble être la seule chose cohérente à faire dans leur bulle qui se brise un peu, un tout petit peu. Grace acquiesce, s’extirpe difficilement du lit, jointures douloureuses, corps encore endormi. Elle s’habille à son tour et pendant l’espace de quelques minutes, le silence se pose entre elles comme une brume épaisse et étouffante et elle aussi, a pour seule hâte de sortir. Elle descend les escaliers aussi rapidement que sa jambe lui permet et son premier réflexe, une fois dehors, c’est d’allumer une clope. Le minuscule bruit de la cendre qui progresse est le seul élément à perturber le silence entre elles, mais il n’est d’aucun réconfort.

Qu'est ce que tu veux faire, pour Yelahiah ?

Alors elle le brise, enfin ; s’autorise à poser les questions qui gênent, parce qu’elles sont là pour ça. Et que tous les abcès qui se sont formés ces dernières semaines ont besoin d’être crevés, un à un, pour l’une comme pour l’autre. “Je veux dire, pour l'aider. Il y a quelque chose à faire ?” Pas pour les sentiments : elle ne voulait pas savoir, ça ne la regardait pas, elles verraient plus tard. La championne de l'évitement refaisait surface et, égoïstement, c'était davantage pour s'épargner elle-même que pour aider Lola.

@Lola Wright
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Message(#)Darling, so it goes EmptyLun 4 Mai 2020 - 17:12

Grace écoutait, comme elle savait si bien le faire, et une minuscule partie de Lola aurait aimé qu'elle s'agite, plutôt, qu'elle vocifère, qu'elle se comporte comme elle ne s'était jamais comportée - qu'elle lui donne une raison de partir en claquant la porte. De tous les noeuds qui la tracassaient, son attachement à Grace était en premier sur la liste, mais elle ne le présenterait pas comme ça, car elle avait le sentiment qu'il ne suffirait que de ça pour que la photographe aille naviguer sur d'autres océans. Alors, elle continuait à parler, dans le silence manifeste de la pièce, et la mignonnerie de Kim Possible n'aidait pas, pour une fois. Il n'y avait rien qui aidait sauf le café. Et encore.

En revanche, contre toute attente, Grace réagit à la dernière question, celle qui n'avait aucune importance finalement, et la réponse donna un air ahuri à Lola pour de multiples raisons. Un : Jordan s'était confié à Grace mais pas à Lola, et ça lui foutait un coup, parce qu'elle était jalouse de ce lien qu'ils avaient et qu'elle ne parviendrait jamais à égaler, elle le savait. Elle s'en voulait d'être prude, de ne pas faire de plaisanteries comme ils en faisaient, car peut-être alors aurait-il confiance en elle. Au fond, elle savait bien que ça n'avait aucun rapport, que c'était surtout le fait qu'elle l'ait abandonné pendant des années qui avait joué, et que ça faisait partie des blessures qui ne se réparaient sans doute pas. Ils étaient extrêmement proches, certes, mais Jordan ne la verrait jamais comme elle le voyait : un meilleur ami indéfectible. Et pour cause. Deux : Jordan et Lennon ; soudain, les mots de Lennon remontaient à la surface, grand, blond, musicien, tatoué, et Lola eut envie de se flinguer tellement c'était évident et tellement elle était complètement passée à côté. Elle était furieuse que Lennon ait pu aussi mal parler de Jordan et furieuse que Jordan ait fait quelque chose pour le mériter. Elle savait qu'il ne servait à rien de poser des questions, car Grace n'y répondrait pas, et c'était ça qui était beau : on respectait les limites de ce triangle étrange qui s'était formé malgré eux. Jordan se confiait à Grace et Grace gardait cela pour elle. Cela expliquait les messages, en tout cas. Trois : la mention de Rosa réveillait toujours chez Lola un mélange d'envie et de honte qu'elle dissimulait par une grimace. "Ah, d'accord", fut tout ce qu'elle trouva à répondre pour résumer ces millions d'émotions et de pensées qui la traversaient.

Parce que Grace était parfaite, elle accepta d'aller se promener à trois heures passées, dans la nuit complète, et dès qu'elles se trouvèrent dans la rue, il y avait un peu plus d'air et d'oxygène, un tout petit plus, jusqu'à ce qu'elle pose les questions qui faisaient mal. L'espoir de tout balayer sous un tapis rose s'envolait en fumée de cigarette, sur laquelle Grace tirait comme une bouée de sauvetage. "Qu'est ce que tu veux faire, pour Yelahiah ?" Lola sentit son estomac se retourner et son coeur se briser. Elle détestait mettre Grace dans une telle situation, alors qu'elle savait parfaitement à quel point elle avait peur de ce genre de choses. Elle se détestait en cet instant, et rien ne pourrait changer cela tant qu'elles n'auraient pas parlé de tout comme il fallait. Elle réfléchissait à comment répondre à une telle question, lorsqu'elle entendit : "Je veux dire, pour l'aider. Il y a quelque chose à faire ?" Ah, c'était plus ciblé. Et incroyablement généreux, et altruiste, et brise-coeur. Lola soupira en se concentrant sur la Lune au-dessus de leurs têtes. On voyait si bien les étoiles. Ca avait l'air calme, là-haut, dans le silence infini de l'univers.

"Il lui faut déjà un appartement. Je lui ai dit qu'il y avait une chambre libre dans la mienne, mais c'était un peu con, parce que je ne suis pas sûre de rester dans cet appartement. Ce qui ne l'empêche pas d'y vivre lui, tu me diras. J'ai commencé à chercher un autre endroit où vivre. La situation avec Auden ne s'améliore pas, et..." Elle se perdait. Tout s'emmêlait. C'était à ça que ressemblait son cerveau : des chantiers avec des fuites, des inondations, des rats et des cafards. "Bref, il lui faut un appartement, donc je vais en parler avec Auden et Itziar pour voir s'ils sont d'accord pour qu'il emménage. Et il lui faut un travail, mais on n'en a pas encore trop parlé. Je devais travailler, donc j'ai dû écourter un peu."

Elle ne parlait pas de l'alcoolisme, parce qu'elle ne savait pas quoi en dire exactement, ni du renvoi de l'hôpital, ni de Chloé. Il y avait tant de détails à ce naufrage, et tant d'efforts à faire pour que Yele remonte la pente, mais elle voulait commencer par le commencement. Un toit et un salaire. Elle eut envie de prendre la main de Grace dans la sienne mais ne le fit pas : il y a des limites à ce qu'on peut demander à l'autre. "Comment tu te sens ? Je suis désolée de te réveiller au milieu de la nuit, c'est n'importe quoi. Je sens mon cerveau à bout de souffle et je ne sais plus comment me raisonner toute seule. Et puis, je n'ai pas envie de me raisonner toute seule. J'aime bien parler avec toi." Et c'était égoïste, elle le savait, de demander à Grace des dialogues nocturnes sur des sujets qui piquaient, qui ravivaient toutes les craintes et les douleurs. Mais elle avait besoin d'elle et elle ne savait pas comment prendre la voie du milieu : c'était soit tout lui dire, soit disparaître pendant des jours et des jours ; et la disparition, elle l'avait déjà jouée au tout début de leur rapprochement, et elle ne comptait pas recommencer.

@Grace Coughlin
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Message(#)Darling, so it goes EmptyLun 4 Mai 2020 - 19:58

Elles sont dehors, et l’air humide et frais de la nuit la prend par surprise, elle qui sort à peine de son sommeil et qui est déjà propulsée dans tout un tas d’émotions qu’elle aimerait refuser, en eût-elle eu la possibilité. Mais elle ne l’avait pas, et elle ne l’avait pas déclinée non plus : Lola en avait visiblement besoin, et peut-être que ce serait l’occasion de mettre un pansement sur tout ce qu’elles avaient pu briser ces derniers temps. Si tant est que les pansements suffiraient à panser les brisures les plus nettes et profondes, mais Grace ne souhaite pas encore s’aventurer là. "Il lui faut déjà un appartement. Je lui ai dit qu'il y avait une chambre libre dans la mienne, mais c'était un peu con, parce que je ne suis pas sûre de rester dans cet appartement. Ce qui ne l'empêche pas d'y vivre lui, tu me diras. J'ai commencé à chercher un autre endroit où vivre. La situation avec Auden ne s'améliore pas, et..." Lola parle à toute allure, à mesure que ses pensées, incessantes, surgissent et font des boucles dans son cerveau, et Grace du mal à s’accorder à son rythme, absorbée par sa cigarette, par les nuages gris qui clairsèment le ciel et bouchent leur chemin aux étoiles, par la peur que tout se finisse ici et maintenant. Elle a demandé, se martèle-t-elle intérieurement, elle a demandé, alors elle n’a pas le droit d’en vouloir à Lola de s’inquiéter autant. Déjà, parce qu’elle n’a aucun contrôle sur ce qu’elle peut faire ou ressentir, qu’elle n’en veut pas, qu’elles n’ont signé aucun contrat ; mais surtout, parce que ça l’attristerait davantage encore, et elles étaient là pour recoller les morceaux tombés en vrac avant l’exposition.

Bref : il fallait un appartement à son ex, celui qui l’avait terriblement marquée, oui, celui-là même ; parce qu’il avait ressurgi dans sa vie de nulle part après des années de silence radio et que rien n’allait, et Lola se sentait le devoir moral de l’aider, en bonne samaritaine. La voix interne de Grace était piquante, angoissée et donc blessante ; son regard beaucoup plus surveillé, ses réactions mises sous cloche. De toute façon, il y avait le pavé à regarder pour ne pas tomber, et c’était plus simple que de renvoyer à Lola un regard meurtri. “Ca me dérange pas”, interrompt-elle enfin, comme obligée par sa voix interne trop envahissante. “Enfin, tu fais ce que tu veux, surtout si tu avais déjà l'intention de déménager. Ce que je veux dire, c'est : ne déménage pas pour t’éloigner de lui, ou quoi. C’est pas grave.” Parce qu’après tout le trouble que causait Yelahiah chez sa vis-à-vis, elle pensait quand même que cette volonté de déménager était en partie par rapport à elle, pour ménager ses émotions et ses peurs. Grace ne se connaissait pas jalouse ; elle se découvrait un peu ce soir. “Et en fait, ça a sûrement aucun rapport, mais bref, je veux que tu le saches.” Elle en balbutie presque, gênée d’avoir tiré une telle conclusion. Son ego avait toujours pris trop de place.

Il faisait quoi, avant, déjà ? J'ai peut-être des tuyaux, selon ses compétences.”

Alors elle change de sujet, s’avère être bonne samaritaine, elle aussi, parce qu’elle sent que s’énerver ou se renfermer n’est pas la réponse et que de toute façon, elle n’est pas sûre d’avoir ça en réserve. Les dernières semaines, saupoudrées de doutes, de renfermement sur elle-même et uniquement de préparatifs pour l’exposition l’ont laissée dénuée de toute émotion forte. Et puis, elle veut agir en adulte, être la plus raisonnée, si besoin est. Peut-être qu’il faudra l’être pour deux, pour prouver à Lola qu’elle était là si celle-ci en avait besoin, même si elle ne sait pas combien de temps elle peut tenir. "Comment tu te sens ? Je suis désolée de te réveiller au milieu de la nuit, c'est n'importe quoi. Je sens mon cerveau à bout de souffle et je ne sais plus comment me raisonner toute seule. Et puis, je n'ai pas envie de me raisonner toute seule. J'aime bien parler avec toi." N’importe quel autre jour, la dernière phrase lui aurait tiré un sourire, une remarque taquine l’aurait accompagné - ce matin, ou plutôt ce milieu de nuit, où rien dans l’univers n’existait à part Lola, elle, et ses volutes de fumée de clope, la boule dans sa gorge grossit et elle allume une deuxième clope. Peut-être que ça aidera, peut-être pas ; tout aidera davantage que tourner la tête. “Ça...va”, amorce-t-elle, libérant sa fumée en direction du ciel. Que répondre à ça, si ce n’est qu’elle aussi, est perdue, mais plutôt que des pensées intempestives qui n’arrêtent pas de tourner, c’est les mêmes idées lentes et obsessionnelles qui commencent à imprégner son cerveau ? Tout est étrange, rien n’est habituel, elle se sent plus proche de sa rupture avec Alex qu’elle ne l’a jamais été depuis qu’elle a compris qu’elle n’y a jamais fait face, et le Nord est tant au Sud qu’elle ne sait même plus ce qu’elle fait à Brisbane, pour commencer. “J'imaginais pas tout ca, tu sais.” Elle ne sait pas comment résumer autrement, alors elle le fait comme ça, voix toujours lente, fatiguée, presque stupide. Toutes ces complications. Toutes ces peurs. Comment de la simplicité la plus grande elles étaient arrivées à ce fatras total sans rien voir venir ?

En tout cas, merci d'avoir été honnête, même s'il est quasi quatre heures et que je me lève tout à l'heure.

Premier sourire qu’elle arrive à produire, et encore, elle est sûre qu’il ressemble à celui qu’elle avait sur ses photos de classe, celui qui disait “je n’ai aucune envie d’être là, pitié, que la journée se termine et que je puisse m’isoler avec Chicken Salad”. Un câlin du gros berger : voilà exactement ce qui manque à sa vie. Demain, la routine reprenait dans un quotidien qui était devenu chaotique. Son premier jour de tournage, une série un peu plan-plan sur une princesse, ou était-ce une reine – elle avait oublié et ce qui comptait, c'était qu'elle serait de nouveau occupée et aurait moins de temps à consacrer à des réflexions poussées et paranoïaques. “En parlant d’honnêteté”, reprend-elle, peu sûre de la tournure que va prendre sa phrase, “on a jamais pu reparler de la discussion de l’autre fois.” Parce qu’elles avaient tout fait pour l’éviter, aussi. La photographe fait signe du menton à Lola pour qu’elles tournent et elles se retrouvent sur une plus grande artère : direction les rives du Story Bridge. “Je t’ai déversé beaucoup dessus, et j’aurais pas du.” Les clopes s’enchaînent à une vitesse folle : la deuxième vient de se terminer et elle opte pour une troisième, mais la repose avant de l’allumer. “Y a des tas de choses que j’ai repoussées à plus tard et qui me sont retombées d’un coup sur la gueule.C’était con de ma part d’attendre aussi longtemps. Et c’était injuste de te les faire subir. Cette partie-là n’arrive pas à sortir, mais elle la pense très fort, et elle espère qu’à défaut de lire ses pensées, Lola comprendra cette partie à sa démarche un peu plus lente, à son épaule un peu plus droite qui ne tente plus de cacher tout son visage. “Tu me pardonnes ?” Cette fois, la voix est plus timide. Ca lui en demande. Beaucoup.

@Lola Wright
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Message(#)Darling, so it goes EmptyMar 5 Mai 2020 - 18:38

Parler de Yele avec Grace, c'était comme briser le quatrième mur entre les comédiens et les spectateurs, c'était mélanger deux histoires qui n'avaient rien à faire l'une avec l'autre, sinon dans des récits du passé. Qu'ils se superposent dans sa vie provoquait en Lola de l'incompréhension, de la colère, et de la peur. Elle n'avait jamais été douée pour gérer les situations conflictuelles, et même si côtoyer Grace l'avait aidée à sortir de son cocon et à grandir, jamais elle n'aurait imaginé parler de tout ça d'elle-même. Bon, le fait que ce soit à plus de trois heures du matin montrait qu'elle avait encore des progrès à faire, mais il faut célébrer chaque petit progrès. Elle savait qu'elle avait été trop hâtive à proposer à Yele une place dans sa colocation, que c'était sans doute le genre de choses dont on parlait à sa partenaire de vie avant, mais elle n'avait jamais été dans cette situation, puisqu'elle n'était sortie avec personne d'autre depuis Yele, et qu'elle ne l'avait jamais revu. Sa culpabilité grondait pourtant dans l'estomac, avec des relents de honte qu'elle ne maîtrisait pas. Elle se dit qu'elle n'arriverait plus jamais à manger, si le remue-ménage interne ne cessait pas, et comment cesserait-il ? Elle ne voyait aucune issue, aucune solution. Elle se sentait enfermée et terriblement seule.

"Ca me dérange pas." Lola fit une grimace, car ça n'augurait rien de bon, cette phrase, et le ton de Grace était aussi peu prometteur que ses paroles. "Enfin, tu fais ce que tu veux, surtout si tu avais déjà l'intention de déménager. Ce que je veux dire, c'est : ne déménage pas pour t’éloigner de lui, ou quoi. C’est pas grave." C'était terrifiant, cette conversation. Lola sentait les battements de son coeur s'accélérer tellement qu'elle avait peur de s'effondrer. D'un autre côté, une crise cardiaque l'aurait libérée provisoirement de ces complications. Plus Grace disait que ce n'était pas grave, plus elle trouvait ça grave, plus elle trouvait ça affreux. "Et en fait, ça a sûrement aucun rapport, mais bref, je veux que tu le saches." Lola acquiesça, mais comme son interlocutrice ne la regardait pas, ça ne servait à rien. "Je n'ai pas parlé à Auden depuis la dispute de la dernière fois", lâcha-t-elle dans un souffle, parce que cette situation l'effrayait, la tétanisait. Auden s'était excusé, lui qui ne le faisait jamais, et elle était partie avec Jill. Elle savait qu'elle devait aller le voir, se mettre à genoux et dire qu'elle était désolée, mais par où commencer ? Il la regarderait avec tant de haine, et elle perdrait ses moyens, et elle ne dirait jamais ce qu'il faut. Alors elle ne faisait rien du tout, ce qui était sans doute pire. "Donc, effectivement, le déménagement n'a rien à voir avec Yele." Et sa voix était douce mais peinée. Tout lui faisait mal.

"Il faisait quoi, avant, déjà ? J'ai peut-être des tuyaux, selon ses compétences." Lola eut un rire inattendu, entre nerveux et admiratif. Grace voulait aider ? Dans quel monde vivait-on ? Que se passait-il ? Rien ne faisait sens. "Il était chirurgien, mais ce n'est plus possible. On lui a retiré sa licence, ou le truc qu'il faut pour opérer. Il ne pourra plus jamais trouver du travail dans ce domaine-là." Elle secoua la tête, car c'était un gâchis monumental. Il avait tout donné pour en arriver là, et il avait tout perdu sur une connerie. Chloé. Le jour où elle verrait cette femme, elle aurait deux mots à lui dire, et elle sentait ses mains s'ouvrir et se fermer pour former des poings. Elle était fâchée. Elle était tout à la fois.

Mais il fallait qu'elle mette ça de côté, qu'elle checke du côté de Grace, parce que ce n'était sûrement pas son idée d'un date merveilleux, et pourtant elles en méritaient un. Elles méritaient d'aller dîner dans un restaurant qui donnait sur la mer, se gaver de crabe et de crevettes, ou d'asperges et de champignons, elles méritaient de se faire plaisir après les semaines si longues de préparation de l'exposition. Leurs nerfs étaient à vif, et une balade tendue au milieu de la nuit n'était pas ce qui les aidait le plus - et pourtant. "Ca... va." La pause fit du bien à Lola, elle sentait que Grace s'ouvrait de nouveau, qu'elle mettait là toutes les émotions qu'elle ressentait, qu'elle acceptait de se connecter, malgré la tornade interne. "J'imaginais pas tout ça, tu sais." "Moi non plus", lâcha Lola. Tout était une surprise pour elle, ces derniers temps, et ce n'était pas du tout confortable. En un sens, c'était rassurant qu'elles éprouvent cette même perte de contrôle, car elles se comprenaient. "En tout cas, merci d'avoir été honnête, même s'il est quasi quatre heures et que je me lève tout à l'heure." Lola eut un minuscule rire de nouveau, mais cette fois-ci, il était plus sincère, plus léger, comme si elles avaient plaisanté sur la façon dont Kim Possible avait détruit son chargeur d'ordinateur, ou le commentaire que le gars au Genius Bar avait fait en l'examinant (ben j'peux pas faire grand-chose pour vous, là, et ç'aurait été cool d'essuyer la bave avant de me l'amener).

"En parlant d’honnêteté, on a jamais pu reparler de la discussion de l’autre fois." Lola sourit car si, si, elles avaient pu le faire, elles avaient juste préféré éviter soigneusement d'y faire référence. Elle s'était promis d'attendre que Grace soit prête, et n'avait donc plus abordé ses sentiments ou leur relation en général. Qu'elle y revienne maintenant l'étonnait, car elle aurait pu lui faire un fuck et lui balancer ses affaires par la fenêtre. Mais ce n'était pas leur style. Live and let live correspondait mieux à leur comportement l'une par rapport à l'autre, et c'était sans doute ça le respect et la confiance que Lola avait cherché toute sa vie. Un virage dans leur trajet, et direction les rives ; Lola sourit, car elle avait toujours adoré les balades, et se promener avec Grace faisait partie de ses meilleurs souvenirs de l'année. Elles n'avaient pas pris le temps de faire des activités à deux, juste pour le plaisir, depuis des semaines, et elles en trouvaient enfin, dans une parenthèse temporelle nocturne. Le tournage le lendemain risquait d'être catastrophique, ceci dit. "Je t’ai déversé beaucoup dessus, et j’aurais pas du." What? Lola se tourna vers Grace à la vitesse d'une voiture de course, genre Schumacher au volant de sa Ferrari. Elle la vit ranger une troisième cigarette dans son paquet et se dit que c'était toujours ça de gagné sur le cancer du poumon.

"Y a des tas de choses que j’ai repoussées à plus tard et qui me sont retombées d’un coup sur la gueule." Le plus discrètement possible, Lola passa sa main sous sa manche et se pinça pour vérifier qu'elle était réveillée. A ce stade-là de la conversation, Grace s'excusait pour les mots de la dernière fois ? "Tu me pardonnes ?" "Mais, mais, mais." Le système nerveux était congestionné par ce revirement inattendu. Et elles arrivaient près de l'eau, et c'était sublime, et le coeur de Lola dansait un peu, malgré toute la pollution du monde, parce qu'il y avait de la beauté dans ce monde, clairement. "Je n'ai rien à te pardonner, tu as été honnête et c'est exactement ce que je te demandais. Mais si j'avais quelque chose à te pardonner, bien sûr que tu es pardonnée." Elle fronçait les sourcils, car elle voulait que ça s'ancre profondément dans le cerveau et le coeur de Grace qu'elle n'avait rien fait de mal. Mais elle n'osait toujours pas la toucher de peur du rejet, alors elle se contenta de lui transmettre télépathiquement à quel point elle était heureuse qu'elles soient là, ensemble, sur la rive.

Lola pensait au vernissage, soudain, et à la façon dont Grace l'avait présentée, et au fait qu'elle l'avait appelée chou pour rire, et à comment elles avaient fonctionné, à la fois connectées et pas toujours collées - ce qui était nouveau pour elles - et tout cela la remplit de gratitude. Et elle souriait en regardant les reflets sur l'eau, et le fleuve lui rappelait Matt, et elle voyait la distance immense qu'il y avait entre un date fantasmé et une véritable relation. Deux mondes séparés par un fossé. La seule façon qu'elle trouva d'exprimer tout cela fut : "C'est sur quoi ton tournage, demain ? Est-ce que t'as un peu réfléchi à reprendre l'autre genre de photographie que t'aimes faire ? Est-ce que t'aimerais voyager un peu de nouveau ?" Car quoi qu'il arrive, qu'elles s'épanouissent comme couple ou qu'elles se séparent un jour, tout ce que Lola voulait, c'était que Grace soit heureuse.

@Grace Coughlin
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Message(#)Darling, so it goes EmptyJeu 7 Mai 2020 - 11:47

L’hébétude : la première chose qu’elle ressent une fois sortie de sa torpeur confuse. D’une nuit paisible elle a été projetée dans une nuit noire où il est question de Yelahiah, d’être complètement perdues sur ce qu’elles sont et sur ce qui va advenir d’elles, et Grace n’apprécie rien de tout ça. Ce n’est pas de la complexité, qu’elle a demandé. Ce n’est pas qu’on lui ouvre le coeur dans une opération à vif qu’elle voulait. En réalité, elle aurait préféré se taire à jamais, laisser tout ça soigneusement empaqueté dans un coin et n’y plus penser, si une telle chose avait été possible. Ca aurait pu l’être, si elle n’avait pas cette maudite propension à mettre des mots sur tout, à informer chacun de ses ressentis minute par minute afin d’être claire et considérée et honnête, souvent sûrement trop. Et alors qu’elles arrivent au pont, que Lola lui a confirmé que le déménagement n’avait rien à voir avec son ex mais qu’il était de retour, quand même, que ce retour la perturbait, et qu’elle ne savait pas quoi faire pour lui, laissant Grace tout aussi impuissante et incapable d’être proactive comme elle le veut toujours, la jeune femme n’a qu’une envie : retourner dans un sommeil réparateur et ignorant, se réveiller le lendemain en naviguant à vue, sans avoir le temps de s’attarder sur tout ça.

En réalité, elle n’a aucune envie d’être ici. Elle n’a aucune envie d’accueillir d’autant plus de complications dans sa vie alors qu’elle semble déjà en être bordée de part en part. Elle aimerait que d’une façon magique tout ce bordel s’efface de lui-même et qu’elles puissent reprendre comme avant, comme les semaines qui l’avaient précédé. Ou qu’elles remontent le temps, quitte à tout refaire bien. Elle essaie, pendant un moment : elle s’excuse, elle est consciente d’en avoir trop dit l’autre fois, que toute vérité n’est pas bonne à dire et c’est son plus gros défaut, de ne jamais savoir distinguer. Elle s’en veut d’avoir abordé toutes les peurs issues de sa disparition après sa rupture avec Alex alors que rien de tout ça ne concernait Lola et qu’elle n’avait pas à reporter ses peurs sur elle. Et pourtant, elle aurait difficilement vu comment faire autrement. "Je n'ai rien à te pardonner, tu as été honnête et c'est exactement ce que je te demandais. Mais si j'avais quelque chose à te pardonner, bien sûr que tu es pardonnée." Lola ne lui en veut pas, et elle n’ose rien répondre - ni sourire soulagé, ni tentative de trêve, ni la frustration qu’elle sent poindre à nouveau. Lola lui dit qu’elle ne lui en veut pas et ça devrait suffire - pas la peine de relancer les hostilités. Alors, Grace pince ses lèvres, garde ses réflexions pour elle, cette fois. Et c’est alors qu’elle se rend compte : qu’importe combien de fois elles aborderont le sujet, ou maintenant les sujets, ça ne suffirait pas à les résoudre, parce que ce n’est pas le genre de choses qui passe avec des mots, c’est le genre de choses qui passe avec du temps. Du temps et beaucoup de résilience. Grace ignore combien elle en a encore en réserve.

"C'est sur quoi ton tournage, demain ? Est-ce que t'as un peu réfléchi à reprendre l'autre genre de photographie que t'aimes faire ? Est-ce que t'aimerais voyager un peu de nouveau ?"

Ca fait beaucoup de questions d’un coup, observe-t-elle alors que les derniers relents de sommeil s’effacent complètement de son cerveau maintenant alors, et c’est là qu’elle réalise que c’est parce que ça fait des semaines qu’elles n’ont pas véritablement parlé. Parlé d’autre chose que l’exposition, ou de choses futiles en contournant les problèmes plus importants. “Un truc de princesse, je crois. Une série pour adultes, assez centrée sur les femmes.” Son ton, encore lointain, témoigne de son incapacité à se raccrocher au sujet. Elle n’arrive même pas à se projeter au lendemain, qu’importe combien elle a hâte d’y arriver. A aucun moment ne pense-t-elle à Heather, non plus, parce que c’est la dernière chose dans ses pensées. “En fait, je sais pas si je veux reprendre. Je me dis que j’ai peut-être loupé le coche. Que c’est trop tard. J’ai une réputation, un carnet d’adresses dans ce domaine, je sais que je serai pas à court d’opportunités si je m’accroche. Je sais pas si j’ai envie de balancer ça maintenant que j’ai la possibilité d’avoir une certaine stabilité”, renvoie-t-elle à voix basse. La stabilité, le point névralgique et somme toute conflictuel de sa vie post-accident. Avant, elle n’en avait jamais rêvé - pas une fois. Elle ne voyait que d’autres voyages encore, des pieds-à-terre pour se remettre et repartir ensuite, au mieux. La possibilité d’une résidence long-terme dans son pays natal ou même n’importe où n’était que lointaine et incertaine. Après l’AVC, elle n’avait cherché que ça : la sécurité, une vision long-terme, quelque chose de concret dans quoi se mettre et être sûre de ne pas pouvoir disparaître. Maintenant qu’elle s’en tirait, que l’anxiété reculait, elle ne savait plus ce dont elle avait vraiment envie.

Assise sur le bord de la rivière, Grace ramasse un caillou et le jette dans l’eau. Elle cède finalement pour sa troisième cigarette - tant pis pour les risques. “Ca fait combien de temps que ton ex est là ?” demande-t-elle, perçant à nouveau le silence d’une manière qu’elle aurait espéré moins abrupte. Sa propre question la prend par surprise : elle avait décidé de ne plus rien demander, de passer outre, d’essayer de reprendre un cours normal dans la relation qu’elles commençaient à peine à construire, sans s’interroger outre-mesure sur les implications. Mais tant pis pour le pseudo-altruisme et ce besoin de simplicité : ce dernier ne se concrétiserait pas. Rien n’était simple. “Je veux dire, quand on a eu notre conversation, il était déjà là ?” Elle tire une taffe, souffle la fumée vers le ciel, sachant parfaitement que quelle que soit la réponse à ces questions, elle ne lui serait d’aucun réconfort. Elle y vient, lentement, se réinstalle sur son rocher pour s’apprêter, toujours penchée en avant, toujours esquivant le regard de la jeune femme. “Ecoute, Lola, je ne veux pas être en...compétition avec quelqu’un”, souffle-t-elle d’une voix hésitante, sourcils froncés. “Je veux pas être comparée à lui ni être lancée dans une espèce de course aux sentiments. J'ai rien demandé de tout ça et je participerai pas. Je sais que tu as des sentiments pour moi, mais quoi que ce soit qui s’est passé entre vous à l’époque, ça a clairement laissé une marque trop importante pour que tu aies réussi à passer outre.” Ses maxillaires sont comprimées. Dieu merci pour la cigarette qui l’aide à contenir physiquement ses émotions. Elle ne veut pas repousser ça à plus tard, passer une, deux, trois semaines à se demander si Lola hésitait quant à ses sentiments pour lui, si elle allait finalement emménager avec lui quand même, si elle allait la réveiller une autre fois pour lui dire que finalement elle avait besoin de lui, si tout allait connaître une fin prématurée. “Et si t’as eu besoin de me réveiller en pleine nuit pour m’avouer ça, c’est sûrement qu’il te faut du temps pour réfléchir à...tout ça”, conclut-elle d’une voix qui se veut ferme sans complètement à se dénuer de colère. Tant pis pour le réconfort qu’elle souhaitait apporter : des deux, c’est elle qu’il faut sauver d’une seconde chute.

@Lola Wright
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Message(#)Darling, so it goes EmptyJeu 7 Mai 2020 - 18:44

Grace répondait, mais n'était plus là de nouveau. Elles étaient comme deux vases communicants, deux moitiés d'un poumon : dès que l'une se remplissait, l'autre se vidait, et inversement. Lola commençait tout juste à revenir à la vie, et Grace s'éteignait, et il n'y avait rien à faire d'autre qu'observer le processus avec toute la terreur qu'il impliquait. Si elles ne parvenaient pas à se remettre au même rythme, elles seraient obligées de trancher, car il faudrait préserver chacune de l'autre. Il n'y avait donc rien à répondre sur la série féministe de princesses, puisque la photographe ne s'y intéressait pas, et qu'une question ne viendrait que se heurter à un mur d'indifférence.

Ce qui étonna en revanche Lola, et l'inquiéta, même, c'était que Grace envisageait de renoncer à sa passion pour de la "stabilité". Certes, lorsqu'elle l'avait rencontrée, il y avait de la peur, des séquelles de l'accident bien plus graves que celles, physiques, qui la contraignaient. Mais elles avaient escaladé des montagnes ensemble depuis, métaphoriquement bien sûr, parce que Lola n'était pas en condition physique pour une telle épreuve, et Grace non plus. Elles avaient voyagé, elles avaient créé, elles avaient exposé, et maintenant elle voulait renoncer à tout cela ? Se contenter d'un job qu'elle méprisait ouvertement à chaque fois qu'elles en parlaient ? Lola avait deux choix : acquiescer pour éviter la confrontation (ah, les plaisirs d'avant) ou être honnête quelles que soient les conséquences. "Je pense que tu te caches. Je sais que c'est plus difficile qu'avant, je sais que tu as eu peur, que tu as cru que t'avais tout perdu, et non, je ne m'imagine pas ce que ça fait, c'est inimaginable, et je ne prétendrais jamais parler à ta place ou avoir l'audace de dire que je sais ce que ça fait. Mais en revanche, je sais ce que ça fait de faire semblant d'être quelqu'un d'autre, de se limiter, de ne pas réaliser ses rêves, parce que ça c'est la personne que j'étais avant que t'arrives et que tu me secoues. Alors, voilà, c'est à mon tour de te secouer. Tu choisiras une destination. On partira en voyage. Tu prendras des photos. Et ce sera bien." Elle reprit son souffle, les sourcils froncés, les joues rougies, prête à marteler le sol avec des bottes de combat. Elle ne laisserait pas Grace s'éteindre.

En revanche, elle ne s'attendait pas à la suite, et ce fut si inattendu que ce fut comme un uppercut, de ceux qui se déguisent sous la forme d'une branche qu'on se prend sur le visage à vélo, ou d'une table sur laquelle on bute en plein milieu de la nuit. "Ca fait combien de temps que ton ex est là ?" Lola entendit la douleur, la colère aussi, et elle voyait que c'était les signes avant-coureurs de l'apocalypse, mais que fait-on quand la crise arrive ? Rien, c'est trop tard. On attend. On regarde, à la fois catastrophé et résigné. "Je veux dire, quand on a eu notre conversation, il était déjà là ?" Lola secoua la tête lentement. Pas besoin de se précipiter, le pire était à venir. "Il a surgi hier. Il y a moins de vingt-quatre heures." Et je suis là, à t'en parler. Tu vois, je ne te cache rien. Mais pourquoi dire cela puisque ça ne changerait rien ? puisque ça n'était pas vraiment le sujet ? "Ecoute, Lola, je ne veux pas être en...compétition avec quelqu’un. Je veux pas être comparée à lui ni être lancée dans une espèce de course aux sentiments. J'ai rien demandé de tout ça et je participerai pas. Je sais que tu as des sentiments pour moi, mais quoi que ce soit qui s’est passé entre vous à l’époque, ça a clairement laissé une marque trop importante pour que tu aies réussi à passer outre." C'était donc ça, la scène qu'elles jouaient. La fin d'un acte ou la fin d'une pièce, difficile à dire, mais ça avait des goûts de finalité qui étaient amers dans la bouche de Lola. Si elle avait su que l'honnêteté menait à des conversations comme celles-là. Ceci dit, elle savait déjà que l'amour faisait mal, et elle s'y était replongée toute seule comme une grande, comme quoi elle apprenait mal de ses erreurs. "Et si t’as eu besoin de me réveiller en pleine nuit pour m’avouer ça, c’est sûrement qu’il te faut du temps pour réfléchir à...tout ça."

Le visage de Lola s'était fermé, et elle regardait l'eau avec désillusion. Les fleuves et rivières de Brisbane ne seraient-ils donc que des portes fermées sur l'amour ? "Quand je t'ai dit que j'avais des sentiments pour toi, tu as choisi de me parler de ton ex, d'une femme mariée, de comment tu avais été voir ailleurs par le passé pour ne pas t'attacher. J'avais le choix entre te souhaiter une bonne réflexion et partir, ou rester. Je suis restée." Elle était déçue, sa voix, car elle s'était battue, elle avait affronté des peurs ancestrales, tout ça pour sentir que Grace se décourageait à la vitesse d'un Eclair de Feu. "Et si j'ai eu besoin de te réveiller en pleine nuit pour t'avouer rien du tout, car il n'y a pas d'aveu, il y a l'information que quelqu'un est revenu dans ma vie sans que ce soit un choix ou une recherche de ma part, donc si j'ai eu besoin de te réveiller en pleine nuit pour te dire qu'il y a moins de vingt-quatre heures, mon ex a surgi de nulle part, ça devrait juste te prouver que tu as raison d'avoir confiance en moi." Mais elle savait qu'il y avait tout un autre pan dont Grace parlait qui était vrai, qui trouvait écho en elle, qu'il y avait une incertitude soudain, comme si l'arrivée de Yele avait été un tremblement de terre et qu'il fallait mettre tous les coeurs à l'abri, au cas où, juste au cas où. Elle prit délicatement la cigarette allumée de Grace et en tira une bouffée avec détermination, mais se mit à tousser pendant les trois minutes suivantes. Le sursis était appréciable. Elle lui rendit l'engin du démon.

"Après deux ans de relation, Yele m'a quitté en juin 2017, avec l'explication vaseuse qu'il était tombé sous le charme d'une femme et qu'il voulait se concentrer sur son travail. Je ne l'ai plus vu jusqu'à hier, où il a débarqué avec une tasse de café sur mon lieu de travail. Tu m'étonnes que je ne puisse pas passer outre." Elle secouait la tête et tournait les yeux vers le firmament, avec le mince espoir que Mufasa se pointerait pour lui donner des clés et astuces. Elle se sentait perdue, seule, et sur le point d'être abandonnée - combo perdant. "Si Alex débarquait sur ton tournage de princesses demain, tu penses que tu serais sereine ou chamboulée ?" Mais ce n'était pas la légitimité de sa perturbation qui était en jeu, pas plus que la peur de Grace, pas plus que l'injustice cosmique que Yele revienne précisément maintenant. C'était comment elle se sentait, elle, et si elle avait besoin d'une pause pour mettre ses émotions en place. A cette pensée, elle éprouvait une nausée en sourdine, une douleur lente à la poitrine, l'envie de marcher droit dans le fleuve et d'y rester longuement. "Il n'y a pas de compétition." Elle se tourna vers Grace et elle observa son visage avec un sourire qui revenait malgré elle, et qui était complètement déplacé étant donné les circonstances. "J'ai envie qu'on continue de grandir ensemble, toi et moi", elle haussa les épaules et remit une mèche de Grace derrière son oreille, "et si toi aussi t'en as envie, ça peut être aussi simple que ça, je me dis."

@Grace Coughlin
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Message(#)Darling, so it goes EmptyVen 8 Mai 2020 - 9:48

C'est confus, dans son esprit. Elle a du mal à réconcilier ses idées dans lesquelles elle n'a toujours pas réussi à faire le tri, et à les distinguer des propos de Lola. Si bien qu'au bout d'un moment, les deux se confondent. Sont-ce ses peurs qui parlent ? Déforme-t-elle les propos de Lola sans le vouloir pour y ajuster ses peurs et se saboter d'elle-même ? Elle n'a pas la clarté et le recul nécessaire pour le savoir. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle a eu assez de son premier échec et qu'elle n'est plus le genre de personnes à se lancer corps et âme dans un deuxième essai sans plus de preuves qu'elle n'y risquait rien. En même temps, c'était beaucoup demander ; c'était le genre de choses dont on n'était jamais sûrs et pour cause : rien ne s'écrivait à l'avance. Pour écrire, cela dit, il aurait déjà fallu qu'elle en ait la force et elle ne savait comment la puiser sans risquer de donner trop d'elle-même à nouveau. Grace tombait amoureuse une nouvelle fois, une effrayante nouvelle fois, et toute pensée abstraite selon laquelle elle était prête s'amenuisait comme peau de chagrin devant le constat que Lola n'avait aucune certitude de plus qu'elle. C'était même pire : il fallait qu'elle ramène son ex dans une équation déjà compliquée, et si sa jalousie n'avait aucune motivation d'exister jusqu'à présent, maintenant Grace ne voyait qu'une raison de plus d'avoir peur. Elle n’arrive à penser à rien d’autre alors que Lola tente de changer de sujet, de passer à autre chose : sa tête n’y est plus. Le tournage de demain, un futur potentiellement fait de voyages, tout ça lui est pour l’instant égal. Trop lointain, trop flou encore, pour qu’elle y pense. “J’ai plus autant envie de bouger qu’avant, tu sais”, marmonne-t-elle d’un ton évasif. Peut-être qu’elle n’avait plus cette bougeotte qui l’avait définie pendant si longtemps, au point que toute stabilité lui avait semblé hors d’atteinte. Ou peut-être que Lola avait raison. Peut-être qu’elle avait peur. Quoi qu’il en soit, elle était encore loin des voyages de jadis et du professionnalisme de ses photos d’antan : il s’agissait encore de retrouver un train de vie normal avec un boulot stable qu’elle pouvait tenir sans assistance ou sans peur de se faire remplacer du jour au lendemain. Là, elle serait sur la bonne voie. Aujourd’hui elle n’en était encore qu’à arriver à serrer une petite cuillère dans sa main, sans savoir la manier : chaque chose en son temps. “J’ai envie d’aller en Corée du Nord”, ajoute-t-elle malgré tout, nébuleuse, peut-être pour atténuer le caractère maussade de sa réponse précédente.

Mais bien sûr, le sujet revient - car il n’était jamais parti loin, après tout, elles s’étaient levées pour en parler et Grace n’arriverait pas à passer outre à moins de l’explorer de fond en comble. De savoir ce que ça signifiait, pour Lola, pour elles ; de ce à quoi s’attendre dans le futur. Il n’y a pas à redire : l’incertitude ne la fait plus autant vibrer et se lancer dans un projet avec autant d’inconnues et de possibles déconvenues lui fait peur. Elle hoche la tête : elle lui en avait donc parlé vite, n’avait pas attendu trois semaines. "Il a surgi hier. Il y a moins de vingt-quatre heures." C’était un point rassurant, mais bien sûr, ça ne lui suffirait pas. Il était difficile de croire, à ce stade, que quoi que ce soit d’autre qu’une auto-destruction assurée et inévitable lui suffirait. Alors Grace lui dit ouvertement : elle ne veut pas de complications. Ca l’inquiète, et à vrai dire tout l’inquiète, parce qu’il n’y a plus rien de simple et agréable dans le fatras où elles se sont embarquées. Elle n’a pas envie d’une incertitude sur les sentiments de Lola entre elles, elle n’a pas envie que celle-ci vienne la voir dans trois semaines pour lui dire que finalement, tout n’est pas fini avec Yelahiah et qu’elle a besoin de tirer les choses au clair. Tant pis si c’est à des lieues de ce que Lola veut lui signifier, elle préfère s’en prévenir et ne fera confiance qu’à elle-même.
Lola poursuit, tente de faire le parallèle : Grace aussi, lui en a lâché beaucoup dessus, et elle n’a pas fui, pourtant. La concernée fronce les sourcils, lève le doigt pour l’interrompre : “Quoi - mais, quoi ? Attends, tu penses que j'ai trompé des gens avant ?” Les mots sont empreints d'un dédain évident. “J'ai jamais été infidèle - pas une seule fois. J'étais dans des relations ouvertes, où deux personnes consentaient à en voir d'autres, et c'est tout. J’évitais de m’attacher comme ça, mais j’ai jamais trahi qui que ce soit.” Son visage fermé traduit une vexation profonde. C'est d'autant plus lourd pour son ego : elle a toujours pris de la fierté dans le fait d'être honnête et de jouer carte sur tables dans ses relations. Avec elle, on avait ce qu'on demandait, elle privilégiait la simplicité aux grandes effusions démenties au bout de quelques mois, on acceptait ça et on s'y attachait ou non : elle avait été franche et ce n'était plus son problème. Bien sûr, une telle simplicité lui évitait aussi toute complication émotionnelle trop importante et c'était plus facile de tout arrêter que de chercher un compromis à ses méthodes. Elle s'était blindée comme elle pouvait, et aujourd'hui elle continuait de le faire, parce que baliser avec des mauvaises nouvelles dès le départ évitait le poids de la déception autant que la douleur d'avoir à se détacher une nouvelle fois. “Tu me donnes l'habit d'une nana qui a pour habitude de mentir et de tromper”, ajoute-t-elle pour asséner une nouvelle fois son innocence, “et c’est pas le cas.” Et si elle ne pensait pas que ce point-là puisse faire quiproquo, la grandeur de l’implication en est encore plus abasourdissante : Lola était restée malgré l’idée que Grace puisse la tromper, lui faire du mal, lui cacher des choses. “T’es vraiment restée en pensant que je pouvais te faire ça ?” C’est moins une question qu’un constat. Lola avait assumé ce risque, et quoi ? Grace ne se voit pas en prendre exemple, ni considérer ça comme un effort sain à faire. Elle n’a certainement pas cette force.

Une information ? Une information ça se donne en pleine journée autour d'un café, ou pendant une marche, pas à trois heures alors qu’on a eu toute la soirée pour en parler.

Elle devrait savoir : Lola est comme ça, elle a peut-être culpabilisé de lui dire avant, elle avait peut-être peur de cette réaction précise, et elle aurait eu raison. Jamais il n’y aurait eu de bon moment, parce que Grace aurait fini par la teinter avec ses peurs et leur offrir une tournure que Lola ne lui prêtait pas intentionnellement. Elle aurait tout fouillé dans tous les cas pour se dédouaner d’un possible auto-sabotage. C’était son M.O., après tout : la fuite. “Tu m'as réveillée pour dire que son retour te troublait ! Je comprends pas comment tu peux traiter ça comme un fait anodin que tu m'aurais sorti comme ça, en passant.” Sa voix est plus faible. Qui essaie-t-elle de convaincre ? Elle n’a pas le temps de se le demander, de remettre les choses en perspective parce que Lola prend sa clope, tousse pendant trois minutes, la force à lutter contre la naissance d’un sourire, puis poursuit sur sa rupture avec Yelahiah. Cette fois, son interlocutrice opine simplement : il y avait de quoi être perturbée, mais les implications l’effraient toujours. La peintre fait le parallèle avec Alex et elle fronce les sourcils : pourquoi comparer ? Pourquoi mettre les deux sur une espèce de niveau d'égalité, lui rappeler sa difficulté à relativiser sa rupture avec Alex ? Pour elle, rien n'était au niveau de la jeune femme, rien n'était même comparable à leur rupture. Et se faire rappeler de cette façon qu'elle idéalisait cette relation et qu'elle avait à désacraliser, que sa peine n’était pas unique mais bien universelle, c’était aussi lui retirer son droit égoïste de souffrance : Lola avait connu la même chose qu’elle et pourtant, elle était prête à passer outre. “Je te réveillerais pas à trois heures pour t'avouer que son retour maintenant me perturbe, non.” Mais quand alors ? Elle n’en sait rien. Ne le considère pas : Alex n’était nulle part et ne reviendrait pas. Elle la perturbe suffisamment à distance pour qu’elle ne se rapproche encore.

"Il n'y a pas de compétition."

En temps normal, elle aurait souri par mimétisme, parce que le sourire de Lola attirait toujours le sien. Aucune envie ce soir, et ça l’attriste davantage : elle n’y croit pas. Les mots de la jeune femme lui parviennent alors qu’elle laisse ses yeux se perdre dans les siens. Est-ce que ça peut être aussi simple que cela quand tout est déjà aussi emmêlé ? “J'en ai envie”, retourne-t-elle et ce n’est que l’amorce : “C'est juste que c'est exactement ce qui me fait peur. Tout l'inverse de ce qui devrait se passer au début d'une relation. Toutes ces complications, tu vois ? Alors que ça fait, quoi, deux mois qu'on se fréquente ? Et qu'on a posé des termes sur ça la semaine dernière ?” Il avait fallu d’une conversation sur leurs sentiments, la même qu’elles s’appliquaient à repousser depuis même avant l’Islande, pour que tout foute le camp. Et si Lola lui faisait du bien, l’apaisait, la forçait à s’ouvrir et à retrouver son courage et ses ambitions laissés dans un carton au coin de son appart pas encore entièrement déballé, elle avait peur de penser à la brisure que ça créerait si finalement elle changeait d’avis. “Le début c'est censé être simple, et sympa, et tu développes lentement une confiance en l'autre.” Autrement dit il ne s'agissait pas de croire l'autre mot pour mot quand elle vous sortait de but en blanc à trois heures du matin qu'elle était perturbée par le retour de son ex mais qu'il ne signifiait rien, ou qu'elle avait couché avec une femme mariée mais qu'elle n'était absolument pas dérangée par son manque de scrupules. “J'en ai envie, mais ça veut pas dire que je suis prête à prendre les mêmes risques qu'avant.” Elle ne sait comment conclure autrement. Rien de pire qu’un aveu de lâcheté ; mais rien qu’elle ne puisse dire sans mentir. “Je sais pas quoi te dire, Lola. Tu me sors ça maintenant, et c’est abrupt, et ça complique encore quelque chose qui était déjà horriblement compliqué.” Le message est clair : ce n’était pas qu’à propos de Yelahiah, mais ça y participait. “T'es sûre que t'as pas besoin de réfléchir à ce que tu veux avec lui, maintenant qu'il est de retour ? Ou ce que tu veux, tout court. Ca t'a perturbée pour une raison précise.” Elle a besoin d’être sûre, malgré tout. “Sans parler du fait que tu pensais que je pouvais te tromper et que t’as quand même sauté dedans.” Comme à chaque hésitation, elle se frotte le front : la situation dans son intégralité sonne comme la pire des idées. Elle écrase le mégot sur le rocher et le laisse tomber : tant pis pour l’environnement ce soir.

On a peut-être juste besoin de temps pour explorer tout ça. Savoir de quoi on a besoin, de quoi on a envie.

@Lola Wright
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Message(#)Darling, so it goes EmptyVen 8 Mai 2020 - 20:11

Il paraît que Dieu a mis sept jours pour la création et qu'il lui suffirait d'un claquement de doigts pour tout détruire. Il y a des nuits où ça se ressent plus que d'autre, la fragilité de tout. Lola ferma les yeux quelques secondes pour savoir où elle était, où elle en était, où elles en étaient. Il y avait eu une mer calme, et maintenant il n'y avait qu'un ouragan. Aucune mesure de protection n'avait été mise en place. Elle y avait renoncé pour la première fois depuis des années. Elle avait dormi quatre fois chez Grace cette semaine-là. Yele n'était pas censé revenir. Elle n'était pas censée être en froid avec ses deux patrons. Et la liste pouvait continuer longuement. Vous voyez la barque qui tangue sur la vague ? Ni rames, ni gilet de sauvetage. Lola avait bien peur de se noyer, cette fois.

"J’ai plus autant envie de bouger qu’avant, tu sais", et il n'y avait rien de crédible là-dedans, Grace n'avait des étoiles dans les yeux que lorsqu'elle parlait du Tibet ou des rencontres qu'elle avait faites en Amérique Latine. En Islande, elle ne parlait que de voyager, d'aller explorer les moindres recoins de la planète. C'était une exploratrice, et le nier ne pouvait que mener à la souffrance. Mais Lola avait exprimé son point de vue et devait respecter le déni de son interlocutrice, car il n'y avait rien qu'elle puisse faire. "J'ai envie d'aller en Corée du Nord." Y avait-il plus belle preuve de se renfermer sur soi que de citer l'envie d'aller dans un pays interdit, emmuré, sous dictature et famine ? Lola comptait les secondes dans sa tête pour ne pas répondre - comme on compte les moutons pour s'endormir.

"Quoi - mais, quoi ? Attends, tu penses que j'ai trompé des gens avant ? J'ai jamais été infidèle - pas une seule fois. J'étais dans des relations ouvertes, où deux personnes consentaient à en voir d'autres, et c'est tout. J’évitais de m’attacher comme ça, mais j’ai jamais trahi qui que ce soit." "Je n'ai pas dit ça. J'ai dit que tu allais voir ailleurs. Que ce soit acté avec quelqu'un ou pas, tu ne donnais pas une véritable chance à la relation dans laquelle tu étais." Et elle avait espéré que ce soit différent, cette fois-ci, mais il n'y a que les fous pour répéter la même expérience en attendant des résultats différents. Elles avaient couru droit dans le mur en se tenant la main. "Tu me donnes l'habit d'une nana qui a pour habitude de mentir et de tromper et c’est pas le cas." "J'ai juste répété les mots que tu as dit. C'est toi qui as tenu à te présenter comme ça quand j'ai parlé d'exclusivité et de long-terme et de sentiments." Toute la fatigue qui n'était pas venue dans le lit arrivait maintenant, sur un destrier fougueux. Le lendemain allait être épuisant. Elle aurait l'air d'un zombie caféiné. "T’es vraiment restée en pensant que je pouvais te faire ça ?" Lola haussa les épaules. Evidemment qu'elle était restée. Elle était amoureuse, et elle avait décidé, depuis qu'elle avait retrouvé Jordan, qu'elle ne fuirait plus. Qu'elle se battrait pour les gens qu'elle aimait.

"Une information ? Une information ça se donne en pleine journée autour d'un café, ou pendant une marche, pas à trois heures alors qu’on a eu toute la soirée pour en parler." Lola baissa les yeux, et vit que ses mains tremblaient. Elle les rangea dans sa poche. "Tu m'as réveillée pour dire que son retour te troublait ! Je comprends pas comment tu peux traiter ça comme un fait anodin que tu m'aurais sorti comme ça, en passant." Il n'y avait rien d'anodin dans tout cela. Mais entre une information compliquée et un aveu de culpabilité, il y avait un monde. Je n'ai rien fait de mal, se répétait-elle comme un mantra pour s'en sortir de cette conversation qui avait tout de sables mouvants. Elle y avait mis un pied et se retrouvait engluée dans des accusations et des offensives pour lesquelles elle n'était pas préparée. "Je te réveillerai pas à trois heures pour t'avouer que son retour maintenant me perturbe, non." Lola se tourna vers Grace, juste une seconde, heurtée par ce qu'elle considérait comme un mensonge, et elle vit que la photographe pensait dire la vérité. Le fleuve, rien que le fleuve, ne penser qu'au fleuve. Car bien sûr que Grace aurait été torturée jusque dans la nuit du retour d'Alex, bien sûr que ç'aurait été compliqué. Ou du moins le ressentait-elle ainsi. Elle avait toujours cru qu'Alex aurait été le domino qui les ferait s'effondrer, et ne s'était pas attendu à ce que ça vienne de son passé à elle. Trahie par ses fantômes.

"J'en ai envie. C'est juste que c'est exactement ce qui me fait peur. Tout l'inverse de ce qui devrait se passer au début d'une relation. Toutes ces complications, tu vois ? Alors que ça fait, quoi, deux mois qu'on se fréquente ? Et qu'on a posé des termes sur ça la semaine dernière ?" "Ce n'est pas la quantité, c'est la qualité", plaisanta Lola, mais d'une voix faible, car que venait faire une banalité dans cette discussion ? En quoi est-ce que ça allait les aider ? S'il y avait un baromètre pour la peur, Grace aurait été dans les 40 degrés celsius, et peu de choses survivent à de telles températures. "Le début c'est censé être simple, et sympa, et tu développes lentement une confiance en l'autre." "On est parties à l'autre bout du monde ensemble, je t'ai montré mes dessins et mes toiles, tu m'as raconté ton passé et tes blessures, je pense qu'on a confiance l'une en l'autre." Grace pouvait dire ce qu'elle voulait, mais pas diminuer ce qu'elles partageaient, pas lui faire croire qu'elle était folle de vouloir sauver l'édifice des flammes. Il y avait des statues, des tableaux et des symphonies dans ce qu'elles avaient construit, et elle n'accepterait pas que ce soit nié. "J'en ai envie, mais ça veut pas dire que je suis prête à prendre les mêmes risques qu'avant." Mais en revanche, lui demander de les prendre, elle, en passant plus de deux nuits par semaine, ça, oui. Très bien.

"Je sais pas quoi te dire, Lola. Tu me sors ça maintenant, et c’est abrupt, et ça complique encore quelque chose qui était déjà horriblement compliqué." "Qu'est-ce qui était si horriblement compliqué ?" De son côté à elle, ç'avait été plutôt limpide. Mettre des mots dessus avait été difficile, car elle n'avait pas l'habitude de se dénuder émotionnellement devant quelqu'un. Mais la relation elle-même n'avait pas été complexe. "T'es sûre que t'as pas besoin de réfléchir à ce que tu veux avec lui, maintenant qu'il est de retour ? Ou ce que tu veux, tout court. Ca t'a perturbée pour une raison précise." "J'ai déjà répondu à cette question." Elle ne parlait jamais sans réfléchir. Elle ne s'engageait pas à la légère. Si son corps entier rejetait l'idée de perdre Grace, c'était pour une bonne raison, une raison précise, et elle faisait confiance à cette intuition qui lui soufflait de rester, de désenchevêtrer la Femme Squelette, et de laisser le sommeil réparateur les apaiser et les réunir. "Sans parler du fait que tu pensais que je pouvais te tromper et que t’as quand même sauté dedans." "J'ai moins sauté que glissé", encore une correction inutile, mais la vérité des moindres détails lui semblait importante, soudainement. "Et tout le monde peut tromper tout le monde. Tout le monde peut quitter tout le monde. Tout le monde peut faire souffrir tout le monde. A ce compte-là, on se barricade chez soi avec un poisson rouge et on se fixe jusqu'à ce que l'un des deux meure en premier. Spoiler alert : c'est le poisson."

"On a peut-être juste besoin de temps pour explorer tout ça. Savoir de quoi on a besoin, de quoi on a envie." Lola hocha de la tête, lentement. Il était clair que ce on était moins un nous qu'un je. Grace voulait appuyer sur pause. C'était un film qu'elles réalisaient ensemble, et si la moitié de l'équipe partait en congé, il n'y avait pas de grande chance que Lola réussisse à le finir seule. Il n'y en avait même aucune. Un stand-by, donc. C'est fou ce que le silence peut vous saisir à la gorge quand des mots pareils ont été prononcés, quand on veut respecter les désirs de l'autre mais que ça vous assassine lentement. Lola se demanda si ça faisait ça de boire un verre de vin et réaliser que quelqu'un l'a empoisonné ; c'est trop tard, et il y a un hiatus entre la réalisation et le moment où la main lâche le verre. "Je vais rentrer. Chez moi." Elle se releva et tendit une main à Grace pour l'aider. Elle sortit son portable pour appeler un Uber, car à cette heure tardive, et le coeur lourd, elle ne s'imaginait pas rentrer en marchant. Mais elle s'imaginait encore moins dormir à côté de Grace en comptant les heures jusqu'à ce que celle-ci se réveille et parte travailler, jusqu'à ce qu'elles se disent au revoir, à plus tard, on se reverra à la fin de la pause, s'il y en a une, réfléchis bien, prends soin de toi.

@Grace Coughlin
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Message(#)Darling, so it goes EmptySam 9 Mai 2020 - 11:57

Foirer. Toute son histoire, au final. Abandonner la fac parce qu'elle ne se sentait pas les épaules de continuer ni de se forcer, sous peine d’être ridiculisée ou perdre en estime face à sa mère ; partir au bout du monde plutôt que d’aplatir les choses avec Claire, parce que l’idée de la balancer à Mark était tellement plus tentante que d’essayer de la comprendre ; s’inscrire à une secte tibétaine pour ne pas avoir à regarder sa demi-rupture avec Jessian dans les yeux ; s’enfuir de Gold Coast pour rejoindre Brisbane sans prévenir celle qu’elle se voyait un jour épouser, parce qu’après tout, à quoi servaient l’honnêteté et la décence ? Une suite de déconvenues, toutes plus honteuses les unes que les autres, souvent inconscientes et parfois calculées, qui lui revenaient en pleine gueule aujourd’hui alors qu’elle ne les avait jamais considérées. Oui, la fac n’était pas faite pour elle, elle en serait partie tôt ou tard. Non, il n’aurait pas été possible de raisonner Claire, et leur dernière entrevue avec Jordan et Mira avait suffi à lui remettre les idées en place sur sa non-culpabilité. Partir de Gold Coast était concomitant à son besoin de liberté sous peine d’en étouffer et de ne jamais se relever de son AVC. Partir au Tibet pour tourner la page lui semblait la seule stratégie pour oublier que Jessian avait disparu au Royaume-Uni et brisé la correspondance qu’elles s’étaient jurées d’avoir. Toujours des excuses, au final. Toujours des événements coexistants pour la dédouaner de ses erreurs. Ce qui la peinait le plus, qui flinguait le plus son orgueil, c’était la lâcheté avec laquelle elle avait pris chaque décision.

Et à nouveau, elle s’apprêtait à faire de même. Parce que Lola a raison : ce qu’elles ont partagé est sacré à ses yeux. Du voyage à l’exposition en passant par les toutes petites choses ; les films, les discussions jusqu’à l’aube, tout a été incroyablement courageux et significatif, et elle devrait s’en vouloir de piétiner chaque élément qui a fondé leur relation sous l’effet de la peur et de la colère mais elle n’arrive plus à en sortir. C’est un tunnel, la peur, dont on ne voit pas le bout, au début parce qu’il est beaucoup trop loin et plus tard parce qu’on finit par se le cacher soi-même. La peur devient un confort, aussi étrange que cela puisse paraître, parce que le tunnel est sombre, il nous cache autant qu’il nous protège face à l’extérieur qui n’a plus rien de certain. Grace est habituée à fuir. Là est son confort : retourner dans son tunnel à chaque fois qu’elle daigne jeter un oeil à l’extérieur, parce que sa curiosité l’a toujours desservie. Et qu’elle ne sait pas combien d’autres fois elle arrivera à essuyer un échec. Mais Lola a raison, elle en est consciente : il n’y a pas de relation sans risques tout autant que l’inverse est vraie. Et se condamner à la réclusion pour protéger son coeur, ça ne marchera qu’un temps. Ca lui fait déjà défaut.

Cette nuit, elle se sent vacante de courage. Vidée de toute énergie qui la pousse d’habitude à continuer, au moins à se raisonner. Elle sent ses épaules ployer déjà sous le poids du défi : confier son coeur à quelqu’un de nouveau, quelqu’un qui vient de lui confier que son ex était de retour dans sa vie et allait peut-être emménager avec elle. Un détail anodin qui change pourtant tout, parce que si jusqu’alors Lola la rassurait dans son propre courage, l’hésitation qu’elle avait perçue au réveil avait chassé toute once de bravoure en elle. D’un coup le sol tanguait, l’amour lui faisait peur, et c’était déjà trop tard, alors il fallait se dépêcher de s’enfuir et laisser tous ses bagages loin derrière soi parce qu’ils risquaient d’être encombrants.
Ce qu’elle finit par dire, elle le déteste : elles ont besoin de temps. Elles ont besoin de réflexion. Grace inclut Lola dans le processus pour se rassurer qu’elle n’est pas seule à avoir peur, à avoir besoin de temps. Elle préférerait presque que Lola pense trop à son ex, parce qu’alors elle aurait raison d’avoir peur et de se tirer une balle dans le pied. Parce qu’alors elle pourrait se réfugier plutôt que de devoir affronter ses démons et faire face à tout ce qu’elle avait laissé en arrière, dans un coin de sa tête. Elle le savait, maintenant ; d’une façon ou d’une autre, il lui faudrait confronter son passé avec Alexandria. Sans triche et sans préférer les conclusions les plus blessantes, ni les plus rassurantes. Peut-être qu’elle leur devait ça. Peut-être qu’elle se devait ça.

Alors elle ne dit rien, lorsque Lola annonce qu’elle va rentrer chez elle. Elle se hisse sur ses pieds à son tour, aidée par celle-ci, et la regarde de son air perdu, sans savoir quoi ajouter de plus. Elle aimerait la retenir, mais elle ignore comment le faire sans mentir ou privilégier son confort : Lola a besoin de distance d’elle et de ses conneries et le moins qu’elle puisse faire, c’est de respecter ça. Son regard dérive vers sa main, elle se demande si elle pourrait la prendre, réalise que c’est le pire moment pour le faire, puis n’ose pas. Elle reste les bras ballants, attendant l’Uber de Lola avec elle en silence, un silence de morts comme elles en ont rarement connu. Son coeur, à elle, pèse plus lourd qu’il semble avoir jamais pesé, et elle aimerait quitter son corps rien qu’un instant, se dissocier d’elle-même pour oublier toute la soirée, toute la conversation, toute la dernière semaine, voire la dernière année. Si ce n’est pas possible, alors c’est qu’elle mérite son châtiment. “Envoie-moi un message quand tu arrives”, lui dit-elle quand la voiture approche. Quel autre au revoir lui donner ? Elle n’a sur le coup aucune réassurance à transmettre sans risquer de passer pour hypocrite. “Et prends soin de toi.” Elle déteste cette phrase, parce que ça pue un adieu qui n’en est pas un, mais que peut-elle dire d’autre ? A bientôt ? A quand ? Je te rappelle ? Bon courage pour le boulot ?

Elle la laisse partir, finalement, avec une brève étreinte qui traduit toutes les excuses qu’elle n’arrive pas à prononcer. Puis elle traîne, se glisse jusqu’à chez elle, tente de se recoucher sans succès : la torpeur est définitivement partie, maintenant. Alors Grace allume ses lumières, se lave, prend une autre cigarette et, accompagnée de Kim Possible, navigue au radar entre ses fringues, ses dossiers et son matériel de photo jusqu’à ce qu’il soit l’heure de commencer une nouvelle journée et de laisser tout le reste derrière.

@Lola Wright
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