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 [Flashback] L'art et la manière - Byron

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Message(#)[Flashback] L'art et la manière - Byron  - Page 2 EmptyDim 9 Aoû 2020 - 14:56




L'art et la manière
« Vous savez, pour se sortir d’un mauvais pas, un bon mot est toujours le bienvenu. Et encore, j’aurais pu vous sortir des répliques de films : ‘Il y a toujours de l’espoir’ ou ‘Est-ce qu’il y a de l’espoir, Gandalf, pour Frodon et Sam ?’ ‘Un espoir, un espoir de fou !’ mais je me suis abstenu ! » Et je vais m’arrêter là. Je m’égare. Dans mes propres pensées. S’il n’a pas compris que j’aime beaucoup l’univers de J. R. R. Tolkien, et les films de Peter Jackson ici en l’occurrence, il a un sérieux déficit cinématographique à combler. Et, après l’adage de derrière les fagots, je rajoute un couche, avec un petit jeu de mots de circonstance. Il n’accepte pas. Il ne cautionne pas. « Arrêtez de faire la fine bouche… J’attends toujours que vous me surpassiez ! » Pour l’instant, il est plus bas que terre. Heureusement que je suis là, pour égayer la conversation, mettre un grain de folie dans sa vie, bien morne actuellement.

Je rappelle à son bon souvenir qu’il n’est pas au meilleur de sa forme. Je rattrape le coup, en employant le terme d’empoté. Même si je ne suis pas adepte des courbettes. Autant employer les bons mots. Il reste handicapé. Même si cela reste provisoire. Il chipote. C’est tout. Mais il ne perd pas le nord et me met garde. Contre le ridicule, s’il venait à s’imposer face à moi, dans la confection de la mayonnaise. « Je tenterais de m’en souvenir, si je suis défait lors de notre confrontation… Si ce n’est pas le cas, n’oubliez les mots de Pierre de Coubertin ‘l’important c’est de participer’ ! » Risposte-je à ses propos, amusé. Nous étions particulièrement en forme pour la joute verbale.

Évidemment, lorsqu’il s’agit de blagues à la con, le niveau s’abaisse. Sérieusement. Il me parle de coq, de poule, de drague. Ça sent la bonne blague à chier. Il semble fier de sa trouvaille tandis que je vois un léger sourire apparaître au coin de ses lèvres. Ses yeux brillent. Je tente de réfléchir. Que pourrait faire un coq pour draguer sa meuf ? Je suis persuadé qu’il s’agit d’une réponse terre à terre. Cela ne doit pas être bien compliqué. Weddington n’est pas Einstein. Je réfléchis. Il lui chante la sérénade ‘Cot cot’ ? Rien de drôle. Il met la poule au pot ? Ce n’est pas très glamour. Il ne va pas lui titiller le croupion, Monsieur le coq a un minimum de savoir vivre. Sauf si c’est le point G de Madame. Je m’égare. Mon acolyte reste silencieux. Heureusement pour moi, il n’entend pas toutes mes réflexions capillotractées. La réponse n’est peut-être pas si évidente que cela. Puis, tel Archimède, une idée me vient. J’affiche un grand sourire, victorieux : « Il met du parfum. Il cocotte ! » Puis j’ai une seconde fulgurance qui me vient… « Il la fait passer à la cocotte-minute ? » Après, il peut très bien juste lui faire un shampooing aux œufs, ou une omelette.

La discussion est fluide, sans accroc, comme l’on tourne les pages d’un livre. Nous nous confions l’un à l’autre, comme si de rien n’était, comme si nous nous connaissions depuis des années. Et pourtant. Au cours de la conversation, nous touchons du doigt un problème. L’attachement du jeune homme à son travail, comme une moule à son rocher. Il me touche. Je ne vais pas pleurer mais, la manière dont il m’avoue avoir atteint son rêve de gosse, c’est émouvant. Il s’est donné les moyens pour atteindre son but. Vivre intensément sa vie professionnelle. Et patatras. Tout s’écroule. Tout tombe à l’eau. Je peux comprendre qu’il soit désorienté, perdu. Puisqu’il n’a plus rien. Son rêve de gosse s’est évaporé. « Vous envisagez quel type de reconversion ? » Demande-je, curieux de savoir comment il peut rebondir et aller de l’avant. Il me fait rire lorsqu’il fait allusion au psy. « J’ai manqué une nouvelle vocation ? Après humoriste, psychiatre ? À votre avis, j’ai plus de chance ? » L’interroge-je. Les revenus, pour sûr, sont moins aléatoires. Je ne suis pas certain de vouloir être psychiatre… Peut-être parce que j’en ai moi-même besoin d’un.  Je pense surtout que nous sommes en train de nous apprivoiser mutuellement, assez naturellement, au point de se confier l’un à l’autre : « Je pense surtout que la cuisine est une bonne thérapie ! ». Elle sert de fil rouge à la soirée, pour rapprocher nos deux âmes esseulées.

Afin d’éviter tout problème, de prendre aucune part de responsabilité dans une quelconque accident de ma part, en rentrant rejoindre mes pénates, Weddington me propose, compte tenu de l’alcool ingéré, passé et à venir, de rester chez lui. Une attention louable. « Merci pour cette proposition. Néanmoins, j’ai encore toutes mes facultés intellectuelles et motrices. Est-ce un moyen déguisé de me pousser à boire ? »  Même si la bière est appréciable. Très appréciable. D’ailleurs, cette petite allusion aux facultés motrices me permet de lui raconter une petite anecdote culinaire que tout cuisinier a, malencontreusement connu. Les coupures. Le métier qui entre. Dans ce cas précis, c’est surtout la lame dans la chair. « Ouep ! » J’ai encore mes dix doigts. Pourtant, certains ont frôlé le drame, la lame du couteau, ou de la mandoline. Ils sont toujours là, vaillant.

C’est un ‘non’ catégorique lorsque je fais de nouveau allusion au stand up. Il n’a pas saisi toutes les nuances de ma palette humoristiques. Je fais la moue, avant de lui parler de mon chien. Ce petit être tellement mignon, sensible, à l’image de son maître. « Il n’y a pas de doute à avoir ! C’est le cas ! » Il n’a pas à remettre en cause ma parole, surtout lorsque celle-ci concerne Diablo. « Par contre, je ne suis pas d’accord avec vous… Il y a des chiens qui sont particulièrement moches... » Les chihuahuas, entre autres, avec leurs yeux globuleux immondes. « Après, tous les goûts sont dans la nature ! » Même si certains sont douteux.

Tout en continuant à discuter, nous préparons le risotto. Sans accroc. Jusqu’à ce qu’il fasse trop brunir le beurre. Rien de dramatique. Je rattrape le coup, tout en assénant une petite pique au passage. À laquelle il répond. Je fais les gros yeux. « Mais quelle mauvaise foi ! » Silence. « Ce n’est pas compliqué… Il faut juste un peu de bonne volonté ! » Il n’en manque pas. Il faut juste le cadrer. C’est pour cela que je prends la main sur les préparations. J’ai envie de lui proposer quelque chose à manger quand même. Que je ne sois pas venu pour rien. Même si, mon côté, je goûte d’excellentes bières.

Je mène la barque. Comme la conversation. Son état m’interpelle. Son travail, ou devrais-je dire, son rêve de gosse, n’est plus que du passé. Tout comme le karaté qu’il pratiquait jusqu’à maintenant. Une totale remise en question de sa vie. Plus de moto non plus. « Désolé ! » Dis-je en toute sincérité. Il doit repartir du bon pied. D’une page blanche. Et là, il sombre. Mes questions et ma curiosité l’entraînent dans ses pensées. Il fuit l’instant. Il s’envole. Loin de moi. De la cuisine. Malgré mes questions, mon insistance. Il revient parmi nous. Il remet en cause mon ordre. « Je pense qu’il s’agit de la dernière louche à ajouter. Le riz aura suffisamment gonfler. Déjà l’odeur est là ! » Je fais un mouvement de moulinet avec mes mains pour que les effluves du risotto se diffusent autour de nous. Une fois qu’il a terminé sa part du travail, il s’absente quelques secondes. Il revient avec une bière, utilisée par certain pour cuisiner le risotto. « Cuisiner un risotto à la sauce allemande, ça me plaît ! » Puis nous en venons au dessert. Le jeune homme n’est pas compliqué. Il accepte que nous fassions un gâteau yaourt. Mais je refroidis ces ardeurs lorsqu’il espère compter sur cela pour séduire une jeune femme. Ce soir, nous pouvons le rendre plus gourmand avec avec du chocolat, mais de chantilly… Je fais grise mine. « Pour de la chantilly, il faut au moins deux heures de préparation... » Silence. « Néanmoins, je pourrais t’apprendre comment faire… Si en fait tu veux juste pécho ! » Et je pars à rire. Avant qu’il s’intéresse à moi. À ma vie sentimentale. Nous y sommes vraiment ? Je souris. Comment peut-il douter que je ne me serve pas de mes talents culinaires. Ça serait me tirer une balle dans le pied que de ne pas en profiter. « À ton avis ? » Demande-je avec un grand sourire charmeur. « Contrairement à toi, je peux profiter de ce talent... » Petit clin d’œil appuyé. Petit conseil d’expert en séduction « Il faut tout donner sur le dessert… Pour qu’à la fin du repas, elle s’ouvre comme une fleur... » Tactique imparable. Je n’ai jamais connu d’échec à ce niveau là. Il est évident que l’entrée et le plat étaient aussi de haut vol. Mais le dessert, c’est la cerise sur le gâteau… « Les filles sont gourmandes, il faut les toucher au cœur ! » La cuisine ne fait pas tout. Le charme joue aussi. Je sais en jouer. Avec ma gueule d’ange. Lorsqu’il émet l’hypothèse que j’aime me faire draguer… Je reste mystérieux sur la question. Je souris simplement. « Ça dépend de mon état d’esprit… Et de mon objectif final ! » Je sens une pointe d’amertume, de jalousie lorsqu’il appuie sur l’un de mes points forts… Mon regard. Qu’est ce que je peux y faire si j’ai les yeux bleus. Je ne les ai pas choisi. Je ne les laisserais pour rien au monde. « Tout est une question de confiance en soi et de charme, je ne suis pas certain que la couleur des yeux joue un grand rôle… Je me trompe peut-être ! » Je ne me suis jamais vraiment posé la question.

Je bois une gorgée de bière, avant que mon commis ne me rappelle à la réalité. La préparation du dessert. « Tu as raison ! » Je me dirige vers le frigo. Je sors tous les ingrédients : trois œufs, un yaourt nature, de la farine, du sucre, du beurre, de la levure et une orange. « Tu es prêt chef ? » Je n’attends même pas une réponse de sa part. « Dans un saladier, tu vas verser dans cet ordre précis tous les ingrédient qui suivent... » Je fais une pause. Je n’ai pas envie qu’il ronchonne, qu’il se plaigne et qu’il trouve tout cela compliqué. Le gâteau yaourt est probablement le dessert le plus facile à faire… Même pour un novice comme lui… Je répète ma question une nouvelle fois. « Prêt ? » Silence. Je suis sur les starting-blocks. Prêt à donner mes instructions. « Verse le pot de yaourt dans le saladier. Une fois le pot de yaourt versé, nettoie le pot de yaourt à l’eau clair ! » Je fais une pause, le temps qu’il s’exécute. « Essuie-le bien pour qu’il ne soit plus humide. Nous allons nous servir de ce pot de yaourt comme d’un verre doseur pour les autres ingrédients. » Je profite de cet instant de pause pour préchauffer le four à 180 °C. « Maintenant tu peux ajouter deux pots et demi de farine, un pot et demi de sucre, un sachet de sucre vanillé » Première étape accomplie, s’il a bien suivi. « Maintenant, tu vas casser les trois œufs sortis et les incorporer aux ingrédients ! ». Silence. « Et évite d’y mettre des coquilles ! Ce n’est pas très digeste ! » Puis j’ajoute. « Une fois les œufs incorporés, c’est le moment de mélanger ! Allez, montre-moi de quoi tu es capable ! » Je le regarde, tout en sirotant ma bière. C’est bien d’avoir un commis, au moins je n’ai rien à faire. Je ne dois pas me reposer sur mes lauriers. Derrière son épaule, je m’aperçois que la pâte prend forme. Il se débrouille bien. « Tu peux reposer ton bras… En y ajoutant un demi pot de yaourt d’huile et le jus d’orange que tu auras pressé. Ça donnera un goût d’orange au gâteau ! » Il s’exécute. Une fois, le tout ajouter, il faut mélanger de nouveau vigoureusement… « Allez, je suis sympa, je prends la relève. Prépare la levure. Je te dirais quand la verser ! » Je récupère la saladier et je mélange. Dès que la texture de la pâte me paraît satisfaisante, je l’invite à ajouter la levure. Et je continue à mélanger un temps. Afin qu’il ne se tourne pas les pouces trop longtemps je lui demande de préparer le moule pour la cuisson. « Ce que tu peux faire, en attendant, c’est beurré le moule qui est à côté ! » Pour ma part, je continue de mélanger. Avec ardeur. Je jette néanmoins un regard avisé sur le travail de mon commis. « Bravo ! Tu es un pro dans le beurrage de moule ! » Trouvant la consistance de la pâte satisfaisante, je m’approche du moule avec le saladier et, sans attendre plus longtemps, je verse la préparation à l’intérieur. Je me saisis du plat, et le glisse dans le four que j’avais préalablement allumé… « C’est parti pour 30 minutes de cuisson ! On peut boire l’apéro ! » Après tout, le dessert est en préparation et le plat est prêt… Au chaud… Prêt à être déguster.


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Message(#)[Flashback] L'art et la manière - Byron  - Page 2 EmptyDim 6 Sep 2020 - 20:11


L'art et la manière- @Byron Oberkampf
Je n’avais pas vu le temps passé en sa compagnie. Je ne regrettais presque pas d’avoir osé franchir le pas, passer un coup de fil et lui demander de venir au dernier moment. Il fallait avouer que sa présence était sympathique, moi qui faisais en sorte de me tenir éloigné du quelconque être humain que je pouvais croiser depuis mon accident. J’aurais pu le trouver rude dans sa façon de s’adresser à moi, lui qui ne s’était pas laissé avoir par mes gémissements et ne s’était pas apitoyer sur mon sort. J’aurais presque pu lui faire remarquer dans cet élan de réparties cinglantes que ses tirades issues du seigneur des anneaux laissaient à désirer. Et que si nous continuions sur le chemin des répliques de ce genre, un jour l’élève dépasserait le maître. Je me contentais juste d’acquiescer pourtant, un sourire sûr de moi pointé sur les lèvres : un jour ou l’autre nos chemins se recroiseraient et nous terminerions ce pan de discussion, un fouet en main et une mayonnaise montée. Je luis souriais, décidant de lui taper sur l’épaule. « Vous me semblez si sûr de vous… » laissais-je sous-entendre avant qu’il ne se décide à réfléchir à ma blague, chose qui semblait terriblement dur. Jusqu’aux première réponses qu’il me donne si fier de lui. « Perdu… » répondis-je simplement faussement déçu de le voir échouer. « Il la regarde dans le blanc des œufs… Ce n’est pas grave vous ferez mieux la prochaine fois… » rajoutais-je avant qu’on ne parle de moi.

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas évoqué ma propre vie sans hurler, détourner le sujet ou bien omettre de dévoiler quelque chose. Mais cela semblait si simple. Sauf quand il m’évoqua ma reconversion que je balayais d’un haussement d’épaules, signe de mon indécision. Il avait raison le bougre. La cuisine était une bonne thérapie, d’autant plus quand on était bien accompagné. Tout comme le fait de boire une bière, de parler de chiens, d’animaux, de voyage. J’étais même en train de me demander s’il y avait un sujet qui serait ennuyeux en sa compagnie. Je mettais le bouillon presque machinalement maintenant, prenant note des dernières consignes pour le risotto… Et pour la drague a priori. Je riais légèrement. « Un véritable casanova… Je n’ai pas besoin de la cuisine pour les conquérir… Du moins je ne pense pas… Mais c’est intéressant de voir ce que tu sais… » rajoutais-je en riant avant de suivre à la lettre et dans un silence absolu, signe de ma concentration, les étapes de la recette du dessert. Simple et efficace. Il était surprenant. En une soirée j’avais des recettes pour un repas complet. Il méritait un tant soit peu de publicités ce brave gars. Et je referais probablement appel à lui. Pour des idées, pour des cours supplémentaires, ou pour passer une soirée agréable. Parce qu’une fois le dessert cuit, l’apéro avalé au son de moults conversation et ce délicieux risotto avalé sans que je ne rate de faire son éloge, j’avais sorti l’enveloppe et glisser deux cents dollars dans la poche du jean du jeune homme. « C’est cadeaux… J’espère que le tarif vous conviendra… » avais-je demandé tandis que je commençais à bailler, la fatigue reprenant le dessus. « Non pas que je vous chasse… Au contraire, je pense qu’un second cours serait envisageable… J’ai apprécié cette soirée… Merci pour tout. » Et s’il savait tout ce qui était englobé dans mes remerciements. Car ce que je ne lui avais pas dit, c’était qu’une fois la porte refermée, le professeur reparti, je ne savais pas si je serais capable de garder ma bonne humeur et mon relativisme qui m’avait habité. Mais le point positif de la journée était le suivant : Je n’étais pas un si piètre cuisinier… Et j’avais fait une belle rencontre.


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