“It's a beautiful day. Sky falls, you feel like it's a beautiful day. Don't let it get away”
Même en plein déménagement et avec une femme enceinte de trois mois dont les hormones lui en font toujours voir de toutes les couleurs – et à moi aussi, on ne va pas se mentir – je travaille toujours. Sûrement un peu trop si j’en crois les dires d’Alex. Mais elle savait très bien dans quoi elle s’embarquait en s’engageant avec un bourreau du travail comme moi. Surtout que dans quelques mois nous allons avoir deux bouches à nourrir, des jumeaux. Et même si j’ai réellement paniqué quand le médecin nous a annoncé cette nouvelle maintenant je sais que je ne changerai ça pour rien au monde. Même si ça veut forcément dire encore plus de dépenses. Tout acheter en double. Certainement une des raisons pour laquelle je ne lève pas le pied au travail, je m’autorise à me payer mes heures supplémentaires, chose que je ne faisais pas avant. Et il y a toujours ce projet, avec Matt, le propriétaire du death before decaf que je n’ai pas abandonné qui m’a également pris pas mal de temps. Cela fait maintenant plusieurs semaines que je me suis réellement mis à réfléchir pour le renouvellement de la carte de son café et quelques idées ont fini par ressortir. Rien de bien extraordinaire mais il me tarde de lui en parler et de lui faire découvrir. Au maximum, j’ai essayé de respecter ses volontés ; garder quelques éléments de sa carte, ne pas trop changer l’esprit de l’établissement. Le truc c’est que moi, j’ai toujours tendance à m’emballer quand on parle de cuisine et je peux quelque fois en faire un peu trop sans même m’en rendre compte. Enfin ça c’est ce que me disent tous mes proches moi je ne suis pas forcément d’accord avec eux, certainement parce que pour moi cuisiner est une véritable passion et que dans je suis aux fourneaux je n’ai jamais l’impression de me prendre la tête, au contraire, ça me détend.
Comme convenu c’est un mardi que nous avons décidé de fixer ce nouveau rendez-vous. Certains plats sont déjà prêts et demanderont simplement à être réchauffés en dernière minute et d’autres pour ceux qui sont plus rapides à cuisiner, je les ferai en dernière minute. Une fois arrivé au DBD et toutes les affaires dont je vais avoir besoin pour cette séance dégustation déposées dans la cuisine j’en profite pour jeter un coup d’œil à la pièce qu’il m‘avait montrée en photos la dernière fois. Je regarde les moindres recoins sans pour autant fouiller partout parce qu’il faut bien que je me mette en tête qu’aujourd’hui ce n’est pas dans ma cuisine que je suis. « Ça va, t’as largement de quoi faire. » J’hoche doucement la tête tout en me retournant vers lui. « À ta place j’ajouterais peut-être juste un plan de travail ici… » Je lui désigne un coin de la cuisine d’un geste de la main. « …et je changerai le four pour en acheter un plus puissant. Les cuissons seront plus un peu plus rapides tu verras, ça va te changer la vie. » Mais encore une fois il faut que je me mette bien en tête que ce n’est pas ma cuisine. Ça peut paraître con, mais je n’ai plus vraiment l’habitude moi, ça fait maintenant six ans que j’ai ouvert l’Interlude. J’ai l’impression que c’était il y a un siècle mais en même temps je m’en souviens comme si c’était hier. La galère des premiers mois, voire même de la première année. La clientèle qui se faisait doucement mais sûrement. Il a fallu du temps pour que l’Interlude se fasse une place à Spring Hill – voire même carrément dans la ville – mais j’ai finalement réussi et maintenant le restaurant gagne en réputation tous les jours. Je commence à sortir les ingrédients dont je vais avoir besoin pour la première recette ; un croque-monsieur. Il voulait un mélange entre son style et le mien et je pense que pour cette première recette le deal est respecté. À voir s’il va adhérer. « Donc, pour la première recette c’est très simple et assez rapide à faire. J’avais pensé à un croque-monsieur. C’est français. À la base c’est simplement du pain, du fromage fondu et du jambon sauf que j’ai eu l’idée d’y ajouter du cumin, de la crème fraiche, un œuf et de la ciboulette. Ça sera plus original et encore meilleur. » Je lui explique tout ça tout en commençant à préparer deux croque-monsieur, un pour lui et un pour moi lui montrant au passage toutes les étapes à suivre. En soit, je pense qu’on peut dire que ça ressemble plus ou moins à un grilled cheese français. « Si t’as des questions vas-y. Et surtout dis-moi si ça te plaît pas ou si ça correspond pas à ce que tu avais en tête. Je peux avoir tendance à m’emballer un peu quand on me laisse carte blanche pour cuisiner. » Je lui avoue dans un rire tout en mettant les croque-monsieur à cuire dans la poêle.
J'avais pas mangé depuis 24 heures. C'est con, c'est vraiment con, mais je l'avais décidé et dans ma tête c'était devenu une évidence d'être prêt à tout gober à la seconde où Caleb allait entrer au DBD aujourd'hui. Je voulais pas risquer d'avoir l'appétit manquant, je voulais pas que mon estomac se mette en travers de ses plans. Je voulais juste être en mesure de tout savourer. Et je jure, ça a ressemblé à un vrai chemin de croix parce que Lily s'est fait un devoir de tester des tas de recettes de gâteaux rien que pour tester ma volonté avec. Elle a cuisiné tout ce que je préfère, elle a laissé les plats traîner ça et là dans la cuisine, et elle est fourbe ma femme, elle est horriblement fourbe mais j'ai résisté et juste pour ça je mérite les honneurs. Je mérite pas qu'elle continue de réitérer quand j'attends sagement Caleb en bas, elle qui m'envoie maintenant des photos des gâteaux par textos comme si j'allais céder à une poignée de minutes de l'arrivée du chef - ok, j'avoue tout, Caleb serait arrivé une minute plus tard et je serais déjà à l'appartement à l'étage en train de me gaver sans même la moindre once de remords.
Puis il arrive, puis c'est la visite privée qui se lance. Je lui laisse toute la place du monde, me décale dès que je lui montre l'état des lieux, lui autorise tous les passages et lui nettoie la voie le temps qu'il en a besoin. « Ça va, t’as largement de quoi faire. » « M'en voilà rassuré, docteur. » que ma voix d'idiot rétorque, presque sérieux, comme si j'avais peur que déjà d'office il me dise que voilà, ça allait pas le faire. Il est immense mon sourire quand j'ai la confirmation que je suis pas une cause perdue et qu'on pourra imaginer un truc bien, un truc vraiment bien maintenant. J'ai l'air d'un gamin éternellement dans l'attente de la veille de Noël quand Caleb est dans les parages, c'en est presque limite creep. « À ta place j’ajouterais peut-être juste un plan de travail ici... et je changerai le four pour en acheter un plus puissant. Les cuissons seront plus un peu plus rapides tu verras, ça va te changer la vie. » je note, je retiens, j'acquiesce, tout me va, je les bois ses paroles limite.
« Donc, pour la première recette c’est très simple et assez rapide à faire. J’avais pensé à un croque-monsieur. C’est français. À la base c’est simplement du pain, du fromage fondu et du jambon sauf que j’ai eu l’idée d’y ajouter du cumin, de la crème fraiche, un œuf et de la ciboulette. Ça sera plus original et encore meilleur. » on y est, on y est vraiment, et ce serait mentir de dire que j'arbore pas à nouveau le plus immense des sourires dès lors que Caleb commence en force. Mes prunelles suivent ses gestes, mes mots les encensent quand ma silhouette s'appuie contre l'entrebâillement de la porte le temps de lui laisser tout l'espace nécessaire pour procéder. « Ce que tu dis là, c'est de la musique à mes oreilles. » et ce qui l'est encore plus, ce sont les ingrédients que je prends le temps de mémoriser, les étapes pas complexes du tout que je traite comme si elles l'étaient, conscient de vouloir faire les choses bien. Ouaip, je dois me concentrer pour ne pas trop baver quand l'odeur du pain grillé empli l'établissement, que j'y vois déjà des bribes de fromage grillé. « Si t’as des questions vas-y. Et surtout dis-moi si ça te plaît pas ou si ça correspond pas à ce que tu avais en tête. Je peux avoir tendance à m’emballer un peu quand on me laisse carte blanche pour cuisiner. » emballe-toi mec, emballe-toi si ça sent si bon à chaque fois.
En vrai, je dois me faire violence pour trouver des trucs à critiquer. Je dois chercher et réfléchir et chercher encore, je dois me repasser les aliments en mémoire et je veux vraiment, pas être le genre de fanboy qui fait juste hocher de la tête à tout ce qu'il dit comme s'il était le porteur de la bonne et grande nouvelle gastronomique, mais, mais, mais... « Damn, dude c'est trop bon. » mais je me retrouve le menton reluisant de crème, les yeux brillants, la bouche pleine et le coeur aussi léger que mon corps en entier se sent lourd de bonheur. Si c'est ça, sa première recette, les autres promettent d'être encore plus impeccables.
Ce n'est qu'après m'être battu avec des filets de fromage fondu comme un enfant hilare d'être juste heureux que je lui fais la conversation, lui qui erre déjà sur la seconde recette, lui qui a l'air d'être un poisson dans l'eau. Rien ne me surprend là-dedans, on s'entend que le gars est chef du coup en cuisine c'est sa juridiction. « T'as appris à cuisiner où comme ça? » n'en reste qu'à force de mettre l'accent que sur sa bouffe, j'ai jamais vraiment mis l'accent sur sa personne.
“It's a beautiful day. Sky falls, you feel like it's a beautiful day. Don't let it get away”
Pour toute personne qui me connaisse un minimum quand je leur ai appris que j’avais accepté d’aider le patron du DBD à refaire sa carte personne n’a été étonné. J’aime me lancer dans de nouvelles aventures, me lancer des défis et je me donne toujours à deux cent pour cents pour les relever. Ça fait maintenant plusieurs semaines que je me creuse la tête pour trouver le mélange parfait pour combiner plus ou moins nos deux styles pour en faire une carte avec des plats pas trop compliqués, assez simples mais tout en y ajoutant une touche d’originalité. Quelque chose qui différencierait sa carte à celle de ses concurrents. Je pense avoir trouvé ou du moins avoir quelques idées qui pourraient être sympas à explorer alors c’est toujours motivé que je me rends au café, le jour et l’heure indiquée par Matt et après avoir visité la cuisine, après quelques conseils donnés les choses sérieuses commencent. Je lui expose mon idée, le croque-monsieur revisité façon un peu améliorée avec plus d’ingrédients. « Ce que tu dis là, c'est de la musique à mes oreilles. » Un peu dans l’excès mais il me fait rire parce que pour une fois je suis plutôt satisfait de mon idée. À voir si ça suit au niveau du goût. Matt reste concentré et moi aussi, bien que la recette soit assez simple à reconstituer j’essaie de ne pas aller trop vite pour lui laisser la chance de s’imprégner de chacune des étapes. « Je te laisserai les recettes que t’as envie de garder t’inquiète pas. » Ça me semble logique mais je préfère quand même lui dire au cas où. L’odeur du fromage commence à envahir la pièce et je n’ai qu’une hâte : pouvoir goûter afin de m’assurer que je ne me suis pas complètement planté. Parce que j’aurais bien l’air con si au final les saveurs ne sont pas parfaites, s’il manque quelque chose à ma recette pour qu’elle atteigne la perfection ou même voire pire : si c’est carrément mauvais. Le moment tant attendu est enfin arrivé et c’est en silence que nous goûtons chacun notre croque-monsieur. Je ne dis rien, j’analyse chacune des saveurs s’il faut revoir le dosage de certains aliments, s’il faut y ajouter quelque chose pour que les saveurs soient parfaites. « Damn, dude c'est trop bon. » Je souris, content de voir que ça lui plait et je dois bien avouer que je suis plutôt fier de moi pour le coup. Et c’est pourtant si rare que je ne trouve pas quelque chose à redire sur un de mes plats, mais là j’aime plutôt bien. C’est bon, simple, rapide et efficace. J’espère maintenant que ça plaira autant à ses clients. « C’est vrai ça te plaît ? T’hésite pas à me dire si quelque chose te convient pas surtout. » Parce que c’est bon mais pas parfait et je suis sûr qu’en me penchant un peu plus dessus je pourrais encore améliorer cette recette mais ça, c’est peut-être mon côté perfectionniste qui parle. Je me lance dans la seconde recette, aussi assez simple mais vraiment bonne ; des crêpes au jambon . « T'as appris à cuisiner où comme ça? » Je reste concentré sur ce que je fais tout en lui répondant. « À l’école. » Je lui dis tout en riant un peu. En soit c’est vrai, j’ai énormément appris à l’école, tout comme j’ai beaucoup appris dans les cuisines du restaurant qui m’avait accepté pour mon alternance mais j’ai également appris beaucoup de choses par moi-même. En faisant parler mon imagination, en testant des recettes dont je n’étais vraiment pas persuadé d’un rendu satisfaisant et mes amis et ma famille à ce moment-là ont dû goûter à tous mes plats. « J’ai passé un an en Europe. Huit mois en France et quatre en Italie pour suivre des stages de cuisine professionnel. Je pense que c’est pendant cette année-là que j’ai le plus appris. » Et je suis tout particulièrement tombé amoureux de la gastronomie française, ce qui explique le choix de ma carte pour l’Interlude. Que des plats français, la plupart des ingrédients importés directement de France pour m’assurer de la meilleure qualité possible des produits. « Et tu sais en cuisine il n’y a vraiment pas de secret, il suffit vraiment de s’entraîner et tu finiras par perfectionner tes techniques. Faut laisser parler son imagination. » C’est ça toute la beauté de la cuisine. Rien qu’avec la présentation du plat on peut bien souvent essayer de deviner tout un tas de chose sur le cuisiner derrière cette assiette. Il suffit de tester et d’ajuster quand c’est nécessaire, c’est pour ça que je me tue à dire à tout le monde que cuisiner n’a au fond rien de compliqué.
« C’est vrai ça te plaît ? T’hésite pas à me dire si quelque chose te convient pas surtout. » « C’est honteux, vraiment je pense que j'arriverai jamais à en avaler une bouchée de plus mais si tu veux remplir mon assiette à nouveau t'hésite SUR-TOUT pas. »
L'assiette est tellement vide et tellement prête à accueillir la suite qu'on dirait que non seulement j'ai pas mangé de la journée mais aussi de la décennie. Les détails sont importants là de suite, ils le sont bien plus que tout le reste et si j'ai l'air d'être un gros imbécile affamé n'en reste que je sais très bien déceler le talent du reste. Oui, j'étais déjà facilement conquis par sa cuisine bien avant qu'il se mette les mains à la pâte d'un potentiel menu pour le DBD. N'en reste que sa place, il ne l'a pas volée et que toutes ses idées sont aussi délicieuses qu'elles sont réfléchies.
Et où il a appris? « À l’école. » duh. J'éclate de rire à l'entendre faire de même, me replace comme une étudiante attentive et pâmée sur son professeur du haut de mon banc au comptoir, l'écoute relater ses aventures de petit cuistot à grand chef, chaque bribe prenant des parfums et des goûts différents comme s'il improvisait une carte là aussi. « J’ai passé un an en Europe. Huit mois en France et quatre en Italie pour suivre des stages de cuisine professionnel. Je pense que c’est pendant cette année-là que j’ai le plus appris. » les crêpes au jambon sont maintenant servies et fuck me elles sont encore meilleures que le croque-monsieur. Y'a rien de juste dans sa manière de cuisiner et limite je me demande s'il ajoute pas des cachets pour créer la dépendance ex-eaquo avec le manque d'impression qu'on est gavé quand aucune bouchée de ce qu'il me sert semble être de trop dans mon estomac. C'est là, leur place. « Et tu sais en cuisine il n’y a vraiment pas de secret, il suffit vraiment de s’entraîner et tu finiras par perfectionner tes techniques. Faut laisser parler son imagination. » mon imagination parle dans mes recettes de smoothies et de cocktails, elle parle aussi dans les additions que je colle aux cupcakes de Lily quand elle m'autorise à dériver à la cuisine quand elle y passe des heures. Son imagination à lui par contre, elle mérite des prix et des médailles.
« C’est quoi ton plat préféré? » la question sort de nulle part et d'une bouche encore pleine, rien à faire. S'il aime autant faire à manger il doit avoir des secrets bien gardés de ce qui se trouve dans son assiette et mine de rien, sa réponse a presque des airs de futur Graal à mes oreilles. « Genre t'es au paradis de la bouffe tu manges quoi? » moi, clairement, n'importe quoi qu'il ait conçu, je pense qu'il s'en doute sans que j'en rajoute. « Faut l'accord breuvage avec aussi attends. » l'index haussé, c'est à mon tour de faire mon petit spectacle, quand je dégaine la sainte Trinité des trucs à boire ici : mon meilleur café servi le plus frais moulu possible, le cocktail le plus prisé sur la carte qui consiste à un truc aux allures boisées et fumées d'un bon alcool vieilli et une pinte de la dernière sour aux framboises qu'on vient tout juste de remettre sur le menu avec Scarlett. « Et le dessert ; me fais pas l'affront de pas avoir de dessert. » les trois breuvages que je glisse vers lui le temps qu'il choisisse celui qu'il veut, à ça j'ajoute mon jeu de sourcils le plus lourd qui soit rien que parce qu'il en a pas encore fini avec moi.