“Mia j’ai un cadeau pour toi.” Je toque à la porte de son appartement comme le font les gens normaux, je souris même au cas où elle soit en train de me regarder par le biais d’une caméra ou d’une autre. J’ai tout l’air de quelqu’un de parfaitement normal et c’est une sensation étrange que voilà, je vous avoue. J’ai aussi tout l’air d’un voleur malhonnête tentant d’amadouer ma voisine de quatre vingt-dix ans avant de m’apprêter à lui voler tout son argent, secrètement (non) gardé sur une boîte trônant au milieu de la table du salon. Heureusement que Mia n’a que … vingt cinq ? six ? sept ? Bref, heureusement que Mia est plus proche du stade de foetus que celui de vieux corps dégarni au fond d’un tombeau, cela lève le voile sur mes intentions à son sujet. Je ne passe désormais plus que pour le dragueur du quartier, rôle que j’endosse depuis de bien longues années et qui ne me fait désormais plus ni chaud ni froid.

Finalement je la juge bien trop longue à venir ouvrir la porte et je me décide à entrer de moi même, fichue blonde qui n’a jamais pris pour habitude de réellement fermer sa porte d’entrée. Sérieusement, qui ne ferme pas sa porte ? Qui n’a pas vu un seul film d’horreur ? Qui n’a pas entendu parler d’un seul tueur en série ? Sérieux, c’est elle la weirdo du duo, pas moi. Il faut que les gens se rendent compte de ça un jour. “Non c’est faux j’ai absolument aucun cadeau.” J’avoue après avoir mis un pied chez elle, pas de remord aucun dans ma voix. C’est moi qui devrais être considéré comme le cadeau à l’heure actuelle, je ne sais pas pourquoi je devrais m’excuser de lui avoir fait miroiter autre chose alors que ma présence elle seule est bien suffisante pour égayer sa soirée que j’imagine bien morne. “Et j’ai pas mangé, donc laisse moi fouiller ton frigo et après on pourra parler.” J’agis comme si j’étais réellement chez moi, au fil des années c’est presque devenu le cas. Je sais même où sont rangés les couteaux, preuve de confiance ultime quand on sait que j’ai la fâcheuse habitude de m’improviser lanceur de ces choses là dès que je m’ennuie - ce qui est très loin d’être rare. “Par parler, j’entends seulement que tu mettes un dessin animé à la télévision. Ne te fais pas d’illusions.” Je lui parlerai à un moment, oui, mais pas tout de suite, pas de front. C’est nul que d’avoir de sérieuses discussions avec les gens et pour le moment encore je préfère encore voler la nourriture de son frigo et me croire chez moi, jetant finalement mon dévolu sur ses oeufs et herbes de provence pour m’en faire une omelette. J’espère sincèrement qu’elle a déjà mangé puisque cela me briserait le coeur que d’avoir à partager quoi que ce soit de ce merveilleux plat avec elle. “T’as encore de ta panna cotta immangeable, là ? Dis moi que tu ne l’as pas terminé Mia, sinon ça craint vraiment.” Ce n’est pas parce qu’on est chez elle que je ne devrais pas avoir aucun droit de regard sur ce qu’il peut bien se passer dans son frigo. Une panna cotta aussi immangeable soit-elle reste toujours mon plat préféré et celui que je préfère aussi lui dérober.

@mia mckullan

J’avais passé ma journée au Brisbane Time, entre réunions et relecture d’articles. Mes yeux étaient explosés du fait d’avoir passé un temps inimaginable devant l’écran d’un ordinateur et mon cerveau complètement hors service suite à des remises en question complètement stupides de la part du rédacteur en chef. En sortant du bureau, j’avais l’impression d’avoir été enfermée pendant des années sans avoir vu la lumière du jour… jour qui commençait déjà à disparaitre. Il était presque dix neuf heures. Je marchais alors d’un pas rapide pour rejoindre l’appartement. Montant au dernier étage de l’immeuble, j’ouvrais la porte d’entrée et ne pris même pas la peine de la refermer à clé derrière moi. Chose que je ne faisais jamais car il n’y avait strictement rien à craindre ici. Après une douche, je m’étais affalée dans le canapé et je ne comptais pas en ressortir, sauf pour aller me mettre au lit. Jackson n’était toujours pas rentré.

Alors que je comatais devant la télévision, une voix se fit entendre derrière la porte. Je la reconnu sans problème, c’était Auden, me disant qu’il avait un cadeau pour moi. Je n’avais vraiment pas envie de me lever du canapé pour aller lui ouvrir. La porte n’était pas verrouillée, le connaissant il rentrerait de lui-même dans 3,2,1 : gagné ! Il était à l’intérieur et m’annonçait qu’en fait il n’avait pas de cadeau pour moi. Comme c’était étonnant de sa part : « Casse-toi alors ! » fis-je d’un air totalement désintéressé par sa visite. Mais celui-ci continua sa course dans mon appartement. Non pas pour me saluer ou venir me rejoindre sur le canap’, non monsieur avait faim et aller fouiller dans mon frigo, comme s’il était chez lui… Bon cela dit, je faisais la même chose quand j’allais lui rendre visite. Je le laissais faire et il m’annonçait qu’on pourrait parler ensuite. Parler ? De quoi ? Je daignais enfin regarder dans sa direction « Parler ? Je n’ai rien à te dire moi ». Puis il enchaina en me parlant de dessins animés ; uhm, ça n’avait pas vraiment de sens. Je me levais alors du canapé pour le rejoindre, en m’arrêtant derrière l’ilot central qui séparait la cuisine du salon : « Par contre, toi, tu as un truc à me dire. Qu’est-ce que tu as fait encore comme connerie ? Compte pas sur moi pour te sortir de ta merde cette fois ». Auden sortit des œufs et des herbes pour faire une omelette. Chouette « Finalement, je veux bien que tu restes. J’ai eu une journée épuisante au boulot. Tu sais le genre de journées où tu finirais par te taper la tête contre un mur… Bref, merci de venir faire le chef cuisinier ce soir. Tu devrais prendre plus d’œufs, j’ai une faim de loup. Puis Jack’s va sûrement pas tarder à rentrer, et le connaissant il aura forcément la dalle ! ». J’avais retrouvé un regain d’énergie et m’installais sur un tabouret. Auden me parla alors de ma panacotta soi-disant immangeable. Ce qui me fit sourire, car je savais qu’il adorait ça : « Il en reste mais elle date d’il y a une semaine. Tu peux la manger mais je ne te garantis pas que ta fin de soirée se termine dans les meilleures des conditions ». Bon en réalité elle datait de la veille mais je ne pouvais pas ne pas le taquiner un peu là-dessus. Puis c’était tellement jouissif de le voir déçu. Oui c’est sadique mais ainsi était notre relation.

Elle parle, Mia, elle parle elle parle et elle parle encore sans jamais s’arrêter et mes oreilles sifflent et ma patience arrive déjà à bout après quelques secondes à peine. Je m’occupe les mains et l’esprit avec pour ne pas avoir à me concentrer sur ses mots, mots que je n’écoute d’ailleurs qu’à moitié pour piocher le peu d’informations qui semblent intéressantes à mes yeux - c’est à dire vraiment, vraiment peu. Heureusement qu’elle n’avait rien à me dire, elle parce que le cas échéant j’aurais réellement eu peur de tout ce qu’elle aurait pu me déblatérer. “Tu parles trop. T’as déjà pensé à te faire ligaturer la bouche ? Pas les lèvres, hein, vraiment la bouche.” La technique est utilisée pour garder la bouche des défunts fermée (ne me demande pas comment je sais ça, vraiment, vous n’aimeriez pas connaître la réponse) alors j’imagine qu’avec un peu de persuasion on pourrait aussi l’appliquer à certains vivants. Ce serait largement plus efficace que n’importe quels points de sutures posés sur ses lèvres, fils bien trop faciles à faire sauter. Vous voyez, que je m’intéresse aux choses.

Se croyant chez elle - chose qu’elle est mais soit, peu importe, là n’est pas le sujet -, la voilà déjà qui me demande de lui préparer à manger. Un sourire amusé illumine mon visage alors que je continue de piocher des ingrédients un peu partout dans ses tiroirs, lesquelles je fouille sans honte aucune. “Oui bien sûr, tu me prends pour ton cuisiner en plus de ça ?” Mon omelette sera bien meilleur que ne l’aurait jamais pu être la sienne, c'est un fait, mais le bien être de son palais ne fait pas parti de mes priorités. Autant dire que je n’en ai même absolument rien à faire. “J’ai pas fait de conneries, par ailleurs.” Je me retiens d’ajouter un “pour une fois” qui ne défendrait en rien ma cause mais se rapprocherait pour autant largement de la vérité. Cette fois-ci je n’ai énervé personne ni même fait aucun petit tour en cellule. Cette fois-ci, je n’ai fait aucune connerie et me suis contenté de prendre la meilleure décision de ma vie. “Je déménage. Je reprends ma maison, à Bayside.” La première que j’ai acheté en venant ici, celle que je louais avant de pouvoir réellement posséder dans son entièreté. Je ne l’ai jamais revendu de peur de savoir ce que de nouveaux propriétaires pourraient infliger à la décoration et aujourd’hui je me rends compte que j’ai bien fait. Je savais qu’un jour ou l’autre, elle me servirait. C’est un retour aux sources. “Et je me suis marié aussi.” J’énonce les nouveautés dans ma vie comme s’il n’y avait rien de plus logique et de commun là dedans, ce que c’est à mes yeux. Il n’y avait rien de plus logique que de la marier et enfin vivre avec elle - le reste du monde l’ignore encore, voilà tout. Je relève ma main gauche en l’air pour afficher mon alliance, la main droite s’occupant de casser un à un les oeufs dans un bol. “Si t’as tant faim que ça, mange ta panna cotta qui date du siècle dernier.” Je la lui laisse, donc. A partir de maintenant vous ne pourrez pas dire que je ne suis pas un gentleman.

Il n’avait pas tort le Auden. En fait, quand je suis lancée dans la discussion je parle et ne m’arrête plus. Sauf que là, Auden n’avait lancé aucun sujet de conversation. Au contraire, moins il parlait, mieux il se portait. Pire, moins je parlais, plus ça l’arrangeait. Je me demandais parfois s’il m’écoutait vraiment. Mais je connaissais le personnage depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’il faisait mine que je l’épuisais en parlant autant, mais au fond, il m’adorait ! « Tu m’emmerdes, Williams ! La porte est juste là si je te fais chier. Et toi t’a pas envisagé de te ligaturer autre chose ?! Ça éviterait qu’il y ait une multiplication de mini toi. Un c’est largement suffisant ». La valse incessante de méchancetés était une coutume entre Auden et moi. C’était de la sorte que nous nous étions rencontrés et c’est ce qui avait fait que nous nous étions acceptés en tant qu’amis.

« C’est la moindre des choses que tu puisses faire. Tu débarques chez moi sans prévenir et tu tombes très mal ! Donc la contrepartie si tu veux rester, et je sais que tu veux rester parce que tu m’aimes trop, c’est de me préparer à manger. Puis, aller je l’avoue, ta bouffe n’est pas si dégueulasse que ça. Je peux fournir ce petit effort ce soir ». C’était un peu gonflé de ma part de dire ça car c’était plutôt moi qui détenais la palme d’or de celle qui débarque sans rien dire chez l’autre. Et je sais que c’est quelque chose qui avait tendance à taper sur le système d’Auden. Je choisissais toujours mal mon moment. Bien souvent, je débarquais d’ailleurs chez lui sans raison. Et je faisais comme lui, je me pensais chez moi et m’installais dans son canapé, m’accaparant la télécommande de la télévision sans lui demander son avis ou alors je fouillais dans ses placards pour trouver une bouteille d’alcool quand j’en avais besoin …

Pour une fois, Auden n’avait pas fait de connerie donc ce n’était pas de ça qu’il devait me parler. Je l’applaudis en guise de réponse car cela était rare de sa part… Je pris la bouteille qui se trouvait sur l’îlot de la cuisine et me servit un verre d’eau. Verre d’eau qui se mit à déborder quand Auden m’apprit qu’il déménageait à Bayside et qu’il s’était marié. J’étais abasourdi par la nouvelle, ou plutôt les nouvelles. Un long silence s’installa avant que je daigne ne lui répondre. Comment avait-il pu me cacher tout cela ? Non, il devait sûrement me faire une blague « Très drôle Williams ! ». Mais lorsqu’il me montra son alliance à sa main droite, je compris que ce n’était pas une plaisanterie. Non, ces événements dans sa vie étaient bien réels et il m’annonçait ça comme s’il me parlait de la pluie et du beau temps. « Tu t’es marié ? Quand ? Et tu me le dis que maintenant ? C’est qui ? Je la connais ? ». Pleins de questions, je les posais à Auden comme elle venait dans ma tête. Mais le plus dur pour moi était d’encaisser son déménagement. C’était difficile pour moi de lui dire ça mais… « Puis tu me lâches ? Qui est-ce que je vais aller emmerder maintenant ? Putain, tu me gonfles vraiment Williams ! ». Je me levais pour aller chercher une éponge afin de nettoyer l’eau que j’avais renversé. J’étais en colère contre lui. Je devrais plutôt être heureuse, ce que j’étais au fond. Mais là, je ne voyais pas plus loin que mon nez. J’avais une mine boudeuse, que je ne voulais pas trop montrer car ce n’était pas notre genre entre nous. Je ne relevais même pas sa remarque sur ma panna cotta et épongeais le comptoir.

J’ai appris à faire fis des mauvaises ondes et, par conséquent, à totalement l’ignorer la plupart du temps. Je vois bien ses petites lèvres bouger et ses sourcils se froncer mais le fait est que dans le merveilleux monde qui est le mien, aucun son ne parvient de sa bouche jusqu’à mes oreilles et je peux vous dire que c’est ça le genre de cadeau divin que j’attends depuis la plus tendre enfant : un inhibiteur de sons. Pour autant, ma protection n’est pas infaillible et quelques mots arrivent à passer outre et m’informent qu’elle se plaint déjà de la possibilité que des mini-moi se baladent un jour en ce monde. Oh, si elle savait que le pire est déjà arrivé. Si elle savait que cela allait de nouveau arriver d’ici un certain nombre de mois. Pauvre Mia, elle ne sait décidément pas quels malheurs l’attendent.

Et puis apparemment je débarque chez elle sans prévenir (ok, vrai), je tombe très mal (c’est elle qui le dit, ça), je l’aime trop (pause, laissez moi vomir) et en plus de tout cela je devrais lui préparer à manger ? Ah, ah, ah. La bonne blague. “Si tu veux une femme de ménage, faut payer des gens pour ça.” J’irone tout en faisant bien remarquer que si elle veut manger ce soir, elle ne devrait vraiment pas compter sur moi. Elle est de toute façon le première à ne faire qu’un avec le canapé dès qu’elle fait un seul pas chez moi et ceci n’est qu’un argument parmi des centaines de milliers d’autres qui me font dire que non seulement je ne bougerai pas de la cuisine mais je ne bougerai pas non plus de son appartement - encore moins si je dérange. Oups.

De nous deux, elle est la seule à mettre sa propre cuisine sans dessus dessous en oubliant que les verres ne redressent pas la bouteille d’eux même une fois qu’ils sont remplis. L’idée est bonne et j’espère pour elle qu’elle sera inventée avant sa mort, ça lui évitera de mettre de l’eau de partout de nouveau. Et cette fois je vous le jure, je n’y suis absolument pour rien. Pas même un seul coup de coude ne s’est perdu en sa direction, ni aucune technique de distraction d’aucune sorte. Ca aurait pu être amusant, pourtant. « Tu t’es marié ? Quand ? Et tu me le dis que maintenant ? C’est qui ? Je la connais ? ». Le répit ne fût pourtant que de courte durée et j’aurais dû savoir que ce n’était que le calme avant la tempête. Elle préparait toutes les syllabes dans sa bouche pour mieux me les jeter à la figure ensuite, je vois le genre. Elle et ses interrogatoires qui n’en finissent pas, j’espère qu’un jour elle comprendra que j’oublie la question précédente dès lors qu’elle en pose une nouvelle et que la technique est donc contre-productive au possible. « Puis tu me lâches ? Qui est-ce que je vais aller emmerder maintenant ? Putain, tu me gonfles vraiment Williams ! ». Je crois qu’on en arrive au moment de la soirée où elle se met à bouder sans raison. Généralement cela ne lui prend que cinq à dix minutes ; pas de quoi s’alarmer donc. Cela me laisse tout le temps et tout le calme du monde pour cuire mon omelette de la manière la plus parfaite qui soit. “Nan, tu la connais pas.” Si bien sûr qu’elle connaît Ginny, tout le monde connaît Ginny parce qu’elle était là avant tout le monde et qu’elle sera toujours là quand eux auront foutu le camp. Tout le monde a déjà entendu une anecdote ou dix à son sujet, une critique ou dix mille. “On s’est mariés à Florence. Elle comprenait rien et je devais lui traduire, le maire a cru que je l’avais traîné là de force. C’était l’enfer.” Ca par contre c’est vrai. Si Ginny n’avait pas gardé son sourire de gamine heureuse tout du long, il l’aurait sûrement prise pour une esclave sexuel ou quelque chose du genre. Romantique. “Cool, mais l’enfer.” Je me reprends quand même un minimum. Le plus beau jour de ma vie était un peu cool, au milieu de la pagaille générale. “Itziar garde l’appartement. Tu pourras toujours aller l’emmerder elle. Et si je te manque tant, y’a deux chambres de libre. Tu peux déménager quand tu veux.” Et c’est vrai, ça aussi. Et l’idée de savoir la blonde (les deux, en fait) seule ne me rassure pas tellement. De toute façon cela m’importe peu de savoir à quel point elles pourraient être insupportables ensemble maintenant que je n’aurai plus à les tolérer. Ce ne sera absolument pas mon problème et je n’ai aucun compte à rendre aux voisins. “Enfin j’ai pas suivi si tu vivais seule ou non. Oups.” J’ai fait l’effort d’écouter. Un peu. Mais j’ai oublié. Très vite. Parce qu’elle a bien trop parlé. Oups. “Boude pas, je viendrai toujours voir si aucun boa ne t’a étouffé dans ton sommeil. Et quand j’aurai plus de farine pour cuisiner. C’est le genre de trucs que font les amis, non ?” Minus le fait de venir seulement quand j’ai besoin de lui emprunter (voler) quelque chose, c’est à peu près ce que font les amis des autres, j’imagine.

Auden était énervant, pour moi il avait beau avoir trente huit balais il était complètement immature. En fait, à chaque fois qu’on se voyait, on passait notre temps à s’envoyer des piques, des méchancetés et à se critiquer. Je me demande s’il y a déjà eu des moments où nous étions complices au point où on pouvait voir à quel point on s’adorait l’un l’autre. Peut être que lui s’en souvient mais vu sa mémoire éphémère… Je pense qu’on adore passer du temps ensemble mais on ne s’écoute pas toujours. Bien particulière cette amitié. Mais, c’est ce qui faisait qu’on s’entendait aussi très bien. Et nous avions besoin l’un de l’autre. Ce genre de relation m’aidait pour ma part à garder les pieds sur terre. Quelqu’un qui ose vous dire les choses sans filtre, c’est ce dont j’avais besoin.

En attendant, Monsieur Williams s’afférait dans la cuisine enfin ma cuisine. En fait, si je n’avais pas été là, c’était la même chose. Oui j’étais transparente. Vous connaissez Casper ? C’était moi avec Auden. Evidemment, je savais qu’il n’allait pas partager son omelette avec moi. Je prenais alors mon téléphone en main. Il était hors de question que je fasse à manger ce soir, trop la flemme. Uber Eats était mon ami « Pas grave, manges ton omelette seul, étouffes-toi avec même. Je vais commander italien… Uhm, alors pizza ou… » je fis mine de réfléchir en faisant défiler la page avec mon pouce et ajouta « Lasagnes ! Parfait ! Je vais en prendre pour Jack’s et moi… ». Je levais alors un œil en direction d’Auden afin de voir sa réaction. Je savais qu’il adorait les lasagnes. Celles-ci l’emportaient sur la pizza (selon ses dires).

Vint le moment de la discussion annoncée à son arrivée. Il avait en effet pas mal de choses à me raconter et pas des moindres. Auden déménageait, ce qui signifiait qu’il n’allait plus être mon voisin. Non il allait vivre à Bayside désormais. Crâneur ! Mais pour couronner le tout il ajouta qu’il s’était marié. Et bien sûr, quand je demandais l’identité de la personne en question, je ne la connaissais pas « Fous-toi de moi ! Je suis sûre que je la connais, craches le morceau ! ». Il m’expliqua alors les conditions de son mariage. C’était à Florence. Wait… « Attends, Florence… » Je descendais du tabouret « Ginny c’est ça ?! ». Je pensais avoir élucider le mystère car je me souvenais qu’Auden avait suggéré son nom à un moment donné alors qu’il me parlait de son départ imminent pour Florence.

Le fait qu’il se marie sans me le dire était une chose. Finalement, c’était un comportement pas si surprenant de la part d’Auden. Mais son déménagement… C’était différent. Je me sentais comme abandonner. Ouais en fait ça me faisait chier qu’il parte. « Certes, mais Itziar je n’ai pas envie de l’emmerder elle, contrairement à toi ». Le pire ? Il en rajoutait une couche pour m’énerver davantage. Il ignorait que je vivais avec quelqu’un dans cet appart’ qu’il était actuellement en train de squatter « Je ne risque pas d’emménager et prendre ta chambre. J’aurai peur d’attraper des conneries. Vu tous les endroits miteux dans lesquels tu as pu trainer ». Puis je n’échangerais pour rien au monde le bel appart dans lequel je vivais avec mon meilleur ami d’enfance, Jackson. Je boudais oui, je n’étais pas contente d’apprendre que l’emmerdeur n’allait plus être mon voisin… « Si je crève t’en auras rien à battre ! ». J’étais vraiment en colère et quand j’étais dans cet état, j’étais d’une mauvaise foi ahurissante « T’ira voir tes nouveaux voisins pour emprunter ta farine ! Puis t’a aucun sens de l’amitié de toute façon ! ». Possessive en amitié ? Un peu sûrement. Ou alors un problème psychologique dû à un drama de mon enfance que j’assimilais au départ d’Auden du quartier… Je n’en sais rien je ne suis pas psy ! J’allais essorer à présent mon éponge que je déposais ensuite dans le bac de l’évier. Je reprenais ensuite ma place sur le tabouret pour enfin boire mon verre d’eau.

Son idée de commander à manger me fait déjà râler parce que, pour une fois, elle a eu une bonne idée. Ça m’aurait évité de faire à manger et de fouiller dans tous ses tiroirs et son frigo, quoi que … à qui je mens, c’est la meilleure partie. Je préfère l’embêter de toutes les manières possibles et les gens (moi le premier) ont souvent bien du mal à ce qu’on fouille chez eux. Comme si sa vie avait encore un quelconque secret pour moi. Et en plus elle commande lasagnes. La garce. La fourbe. La traître. Tant pis pour elle, son repas sera mien et ma fourchette viendra voler sa ridiculement petit et affreusement chère part de lasagne. Elle aurait dû le dire, j’aurais pu la lui cuisiner. Tant pis, le mal est fait et moi j’ai de l’énergie à revendre et son attention à mener ailleurs, partout sauf vers là où mes mots vont. « Fous-toi de moi ! Je suis sûre que je la connais, craches le morceau ! » J’en viens à sourire parce que bien sûr qu’elle la connaît. Tout le monde connaît Ginny, elle qui était là avant tout le monde, elle qui sera encore là dans bien longtemps. Sa remarque m’amuse mais pour autant je la laisse repenser les indices seules pour qu’elle en vienne à sa conclusion d’elle même. Un seul prénom serait logique, de toute façon, et elle tape bien rapidement dans le mile. Ginny. Bien sûr que c’est Ginny, bien sûr que ça n’a toujours été qu’elle. “Bingo.” Mon sourire s’étend, fier et amoureux.

Je propose Itziar en pâture et voilà l’offre refusée ; au moins cette fois-ci elle n’a pas le droit de dire que je n’y ai pas mis du mien. « Si je crève t’en auras rien à battre ! ». Elle s’énerve, elle crie, elle pique et moi cela ne fait que m’amuser davantage alors que finalement la seule chose qui gagne toute mon attention reste l’omelette en train de cuire. Elle est mignonne, Mia, elle est très drôle aussi sans même le vouloir. Une main passe dans ses cheveux comme si elle était encore une gamine et je les ébouriffe rapidement, moqueur, bien décidé à lui rendre la vie quotidienne difficile. « T’ira voir tes nouveaux voisins pour emprunter ta farine ! Puis t’a aucun sens de l’amitié de toute façon ! ». Elle ressemble à une petite furie et me fait indéniablement penser à Jenna. Elle a un sacré mauvais caractère derrière ses jolies mèches blondes et le parallèle entre les deux m’a toujours beaucoup amusé, autant qu’il m’a surprise la première fois où je l’ai rencontré. J’ai besoin d’avoir un entourage capable d’encaisser mes paroles acerbes et ma mauvaise humeur et généralement cela va de paire avec leur propre mauvais caractère. On se comprend plus ou moins mais on se complète toujours.

L’enfant boit sagement son verre d’eau sur son tabouret et mon coude joue de sa patience et essaye de le lui faire renverser une fois de plus. “Et c’est quand que tu comptes enfin épouser Jackson du coup ? Ca commence à être long, là.” Même moi j’en suis venu à demander Ginny en mariage après treize ans, il serait donc réellement temps pour que Mia accélère la cadence à son tour avant que sa peau ne soit déjà totalement ridée. “Vous auriez été bien mieux dans mon appart que le tien, mais tant pis pour toi t’as trop d’ego.” Je mets en avant son principal défaut qui est aussi le mien, la critique qui n’en est pas vraiment une puisque à mon sens cela n’est en rien un défaut. Elle a un caractère de merde, c’est un fait, mais il n’y a rien de nouveau à cela et ce n’est pas moi qui risque de le lui apprendre.

L’omelette glisse dans une assiette et finalement je glisse sur le canapé à mon tour, agissant comme si son appartement était mien alors que c’est finalement sans doute un peu le cas, dans un sens. J’imagine ça comme ça, du moins. “Arrête de bouder sinon c’est moi qui choisis le programme et tu vas détester.” Ca variera entre un dessin animé et un reportage sur le braconnage de phoques, donc elle sait très bien que l’un comme l’autre ce ne sera pas le meilleur choix qui soit selon ses principes délicats. “C’est pas parce que je suis marié ni même que je déménage que ça va changer quoi que ce soit. Je suis toujours là pour t’appeler à pas d’heure pour ensuite te poser une question de merde.” Je veille souvent tard la nuit pour peindre tout comme j’oublie généralement de me ramener au fuseau horaire de Brisbane dès lors que je voyage. Cela explique donc pourquoi les appels au beau milieu de la nuit sont plus nombreux que les autres - et toujours bien plus amusants. “Tu devrais adopter un chat. T’aurais moins l’air d’une vieille folle aigrie. Ou alors tu en serais le parfait stéréotype, plutôt, et ça c’est drôle.” J’avance mes conseils de professionnel sans même la regarder, trop occupé à découper religieusement le plat préparé à la hâte. “Sérieux je suis prêt à voler celui de n’importe lequel de tes voisins, si y’a que ça.” Je me reprends pourtant rapidement tout en me souvenant que les gens normaux ne font pas ce genre de choses. “Ou aller dans un refuge, ouais.”

C’était bien donc avec Ginny qu’Auden s’était marié. J’étais ravie pour eux, sincèrement. Et quand je voyais l’air radieux d’Auden je ne pouvais qu’être heureuse pour lui. Je ne sais combien de fois il m’avait parlé d’elle, c’était une évidence que ça allait finir par arriver. Je ne pouvais donc que le féliciter « Félicitations, je suis fière de toi. Enfin un bon choix que tu fais dans ta vie ». Bien sûr, j’étais gentille avec lui mais pas trop. Il y avait toujours la phrase de trop qui faisait tomber à l’eau le moment « d’amour » qu’il pouvait y avoir entre nous.

J’étais colérique, je réagissais au quart de tour, je sais c’était dans ma nature. Je l’étais depuis toujours, Jackson pourrait le confirmer. Et là, c’était Auden qui pouvait le confirmer. Ah oui, j’avais un mauvais caractère. Quand quelque chose me déplaisait, je ne pouvais le cacher. J’explosais. Là, le fait que Williams déménage me mettait en rogne. Je n’allais pas lui dire mais il allait me manquer. Parfois, je me réfugiais chez lui sans aucune raison. Du moins, c’est ce que je lui laissais croire. Mais en réalité, cela me faisait du bien de me rendre chez lui car cette relation de chat et la souris me faisait oublier mon quotidien, qui parfois été lourd à supporter. J’allais donc chez lui traîner, m’affaler dans son canapé, à regarder des choses débiles. Et puis, il râlait parce que je m’incrustais alors on s’envoyait des vannes à tout va, à celui qui casserait le plus l’autre. Bref, me voyant dans cet état, cela amusait évidemment le jeune – vieux ? - homme qui m’ébouriffa les cheveux, chose qui m’énervait davantage. Je lui tapais immédiatement sur la main pour le faire arrêter.

Lorsque je repris place pour boire mon verre d’eau, Auden continua à m’embêter en me donnant des coups de coude pour me le faire renverser. Mais avec l’ânerie qu’il sortit deux secondes plus tard, il n’eut pas besoin de ça pour me faire limite cracher mon eau « Mais t’es complétement barge mon pauvre. Jack & moi sommes comme frères et sœurs, je ne vais pas l’épouser. Je sais que je suis désespérée mais pas à ce point ». Auto dérision bonjour. Non mais vraiment Auden pensait vraiment qu’il pouvait y avoir quelque chose entre Jackson et moi ? Il me coupa mon envie de boire. Il était hors de question en tout cas que j’emménage dans son appart. Le mien était juste parfait, on avait trouvé l’appartement de nos rêves avec Jackson, lumineux, avec vue imprenable sur la ville. Et surtout un rooftop avec piscine où nous organisions nos meilleures soirées. « Tant pis pour toi surtout, part dans ta maison miteuse loin de tout. Tu ne pourras plus venir à nos soirées ». Vous dites mauvaise foi ?

Je m’étais réinstallée dans le canapé, la mine toujours boudeuse. Les lasagnes devraient arriver dans dix minutes. Auden me rejoignit avec son omelette dont l’odeur me remontait au nez. Saloperie, je crevais la dalle moi ! Il me demanda d’arrêter de bouder sinon il allait choisir le programme. Je sautais immédiatement sur la télécommande pour être sûre qu’il ne puisse la saisir et enchérit : « Manquerai plus que ça. Tu décides déjà de ton avenir sans moi alors tu ne risques pas de décider du programme télé ». J’allais trop loin ? Oui un peu mais quand j’étais fâchée, c’était toujours très excessif.

Auden eut des paroles rassurantes ensuite. Ce qui me fit sourire. Un peu. Par ses paroles, il avait réussi à m’apaiser. Un peu. « T’a intérêt à rester le même chieur que je connais » fis-je avec un sourire aux lèvres. « J’ai besoin de tes conneries pour me sentir bien dans ma vie…T’emballes pas, je dis ça dans le sens où tu me permets de relativiser sur moi-même quand je vois le déchet que tu ais ». Je vous l’ai dit, il était hors de question qu’on se montre un peu d’empathie, qu’on ait des mots doux l’un envers l’autre. Mais nous savions très bien que c’était aussi notre façon de montrer que, malgré tout, on tenait l’un à l’autre.

Auden avait été limite chou mais ce fut de courte durée. Un chat ? Meuf aigrie ? Ma main partie naturellement vers son épaule pour le frapper. Il était déterminé dans son idée. Il voulait absolument me prendre un chat, quitte à aller prendre celui des voisins « Tu sais quoi ? Va me chercher un chat dans un refuge. Il te remplacera comme ça, et j’y gagnerai largement au change ».

La sonnette retentit. Je me levais d’un pas précipité pour aller ouvrir la porte. C’était le livreur d’Uber Eats et mes lasagnes. Un sourire démoniaque s’afficha sur mon visage lorsque je rejoints Auden sur le canapé avec ma barquette (j’avais laissé l’autre soigneusement au four pour Jackson lorsqu’il rentrera). J’ouvrai alors ma boite et l’odeur qui en émana me fit saliver « Ton omelette a l’air tellement peu ragoutante contrairement à ça » je fis passer la boite sous son nez pour le faire râler.  

Il existe le mouvement perpétuel mais aussi la parole perpétuelle. Autant je ne doute pas de l’utilité de l’un, autant j’avoue regretter amèrement l’existence du second. D’autant que Mia est l’une des maîtresses de cette art et qu’elle ne se fait pas prier pour l’utiliser encore et encore sans ne jamais s’arrêter - parole perpétuelle, donc. « Manquerai plus que ça. Tu décides déjà de ton avenir sans moi alors tu ne risques pas de décider du programme télé » Elle compare l’incomparable et j’ai l’impression que dans ce domaine elle a appris des meilleurs. Elle a appris de moi, donc, c’est bien là où je souhaite en venir puisque c’est bien là que tout le monde irait en toute objectivité. Je suis le meilleur dans l’art de contredire le monde et d’échanger les rôles quand cela n’a pas lieu d’être. “Ouais donc si tu veux décider de mon avenir, je te tape là maintenant tout de suite ou j’attends deux secondes de plus ?” J’ironise et me moque alors que de nous deux, elle est la seule malpolie à recracher son eau et me frapper à l’épaule. Quel appartement de barges, sérieusement, ils auront ma peau un jour. En venant ici j’ai l’impression de devoir m’occuper d’une colonie de vacances par la même occasion - je n’ai jamais eu à m’occuper de colonie mais j’imagine que ce soit être tout aussi épuisant. « T’as intérêt à rester le même chieur que je connais » Les paroles qui s’ensuivent sont presque attendrissantes malgré ses blagues maladroites, raison pour laquelle je les ignore royalement et passe de moi même à un autre sujet. “Compte sur moi.” Et pour marque mes mots, ma main vient de nouveau se loger dans ses mèches blondes. Je connais Ginny depuis quinze ans et si elle a changé bien des choses dans ma vie, même elle n’a pas su arranger cet aspect là de ma personnalité.

Notons qu’elle ne refuse pas d’adopter un chat, cela s’ajoute donc à la liste infinie des choses que je compte bien lui faire faire dans sa vie. De toute façon, autant dire que même si elle avait refusé l’offre cela ne m’aurait nullement dérangé dans mes plans. Elle est bien plus faite pour les chats que les chiens, c’est évident. « Tu sais quoi ? Va me chercher un chat dans un refuge. Il te remplacera comme ça, et j’y gagnerai largement au change » Je rigole sincèrement, bien plus amusé par sa bêtise que par la teneure même de ses propos. Oh, ce qu’elle peut être attendrissante dès lors que je n’ai plus envie de la tuer. “C’est de ça dont tu parlais quand tu disais vouloir contrôler ma vie ? Je suis pas fan du concept. T’adopteras le chat errant et plein de puces du quartier, comme tout le monde.” Je n’ai jamais eu de chat mais j’imagine que ce sont des choses qui arrivent, aussi peu ragoûtantes soient-elles.

La seconde d’après, Mia se mouvoit comme si elle était chez elle (et ouais, okay, c’est le cas mais ce n’est pas une raison pour autant) et accueille le livreur de la plus fausse des manières qui soit. Le pauvre gars pense sûrement avoir une touche alors que la seule chose dont elle rêvera ce soir, ce seront les lasagnes qu’il est en train de transporter. « Ton omelette a l’air tellement peu ragoutante contrairement à ça » Je fais mine de ne pas l’entendre, mes yeux rivés sur la télévision. Je ne réagis en rien, ne jette aucun coup d’oeil à son repas et me contente de sagement et simplement manger mon omelette - la meilleure omelette du monde, d’ailleurs, soit dit en passant. Tous ceux qui me connaissent un minimum savent que tant de docilité de ma part n’a absolument rien de rassurant et ils auraient bien raison puisque la seconde suivante j’en viens à voler l’assiette de la blonde en ayant à peine pris le temps de déposer la mienne sur l’autre côté de canapé. Un clignement de paupières plus tard et me voilà debout, courant en direction des chambres pour trouver la planque idéale où manger ses merveilleuses (sûrement horribles) lasagnes ; le tout dans le simple but de l’embêter un peu plus. “C’EST DE TA FAUTE TU M’AS DIT DE NE PAS CHANGER.” Je hurle à bout de souffle déjà, portant la nourriture du bout des mains, vagabondant dans l’appartement que je connais comme ma poche et lui hurlant dessus comme si elle était à plus de dix centimètres de moi.

réussite : Auden réussit à échapper à Mia et mange ses lasagnes en paix.
échec : Mia contrecarre les plans d'Auden et réussit à rattraper les lasagnes.
mitigé : Bon. Le plat est tombé au sol. Il y en a de partout. Quel enfer.

Des menaces, encore et toujours. Me taper moi ? Sérieux ? Il ferait ça le petit Auden de malheur ? S’il pensait m’effrayer en disant cela. Je ris face à sa question et ne pris pas la peine de répondre. A quoi bon ? Oui j’aimerai contrôler sa petite vie, je pense que celle-ci serait bien meilleur si je m’en chargeais un peu. Je pense même qu’il finirait par me remercier pour rendre sa vie bien meilleure.  Mais bon avec son égo sur dimensionné, il ne l’accepterait jamais.

En attendant, c’était plutôt lui qui essayait de contrôler ma vie en m’imposant l’adoption d’un chat. Je n’étais pas contre l’idée, j’adorais ces petites boules de poils. Je lui donnais donc pour ordre d’aller me chercher un chat dans un refuge ce qui ne lui plu guère. Il n’aimait pas ça les directives le petit Auden : « Ce serait pas mal en effet que tu obéisses un peu plus… »  fis-je sourire aux lèvres « Tu serais capable de toute façon de me ramener le pire de tous, avec le même caractère de toi. L’horreur ! Tout compte fait tu as raison, je me débrouillerais. ».  Il était tellement tordu qu’il serait capable d’aller me chercher le pire chat qui pouvait exister sur Brisbane.

L’heure du repas avait sonné. Littéralement. Le livreur apportait enfin mes bonnes lasagnes que j’attendais avec tellement d’impatience. Et puis, c’était aussi un bon moyen de faire râler ce pauvre vieux Auden qui ne pouvait résister aux lasagnes. Quand je m’installais à ses côtés, lui mettant mon assiette sous le nez, il fit mine de rien. Ce qui m’étonna. Mais j’avais tellement faim que je me blottis confortablement dans le canapé, fourchette à la main, prête à m’attaquer à mon succulent met quand…Une main similaire à La Chose dans la famille Adams vint me piquer mon assiette de lasagne. Et cette chose n’était et ne pouvait être que la main d’Auden qui me vola mon assiette. Non mais sérieusement, il avait quelle âge ce type ? Une course poursuite débuta alors dans mon appartement. Auden était un vrai gosse. Je me lançais à sa poursuite, essayant de le rattraper tant bien que mal pour ne pas qu’il puisse manger mes lasagnes en s’enfermant quelque part. Il me cria alors que je lui avais demandé de ne pas changer d’où son acte. « NON MAIS SERIEUX T’A QUEL ÂGE WILLIAMS ? RENDS-MOI MES LASAGNES ! ». Je me mis à crier aussi alors que nous n’étions pas loin l’un de l’autre. J’essayais de le bloquer en montant sur le canapé après en avoir fait plusieurs tours, j’étais même prête à me jeter sur lui quand… «NOOOON !!!! MES LASAGNES ! JE TE DETESTE AUDEN DEGAGES DE CHEZ MOI ! ». Oui, à faire l’imbécile, il avait fini par faire tomber l’assiette par terre, les lasagnes évidemment avec. Mon repas jonché le sol, de la sauce tomate avait taché tout le carrelage blanc brillant et l’assiette s’était cassé en petits morceaux.

Mon regard se leva alors vers Auden. Sa mine était déconfite (même si le connaissant, il ne s’excuserait probablement pas et arriverait à dire que c’était ma faute si mon repas était par terre). C’est alors que j’éclate d’un rire franc « Tu es incroyable dans ton genre je te jure ». Je continuais à rire avant d’ajouter « Tu me vois obliger de continuer à contrôler ta vie et là je ne te laisse pas le choix » dis-je en allant chercher des essuis tout, la poubelle et de quoi nettoyer le sol. Arrivée à sa hauteur, je lui tendis le tout : « Nettoie ! Et tu seras obligé de me faire un gros plat de lasagne quand je viendrai te rendre visite dans ta nouvelle maison » fis-je accompagné d’un sourire. Finalement, sa bêtise m’avait apaisé. Non pas parce que j’étais heureuse qu’il ne soit plus mon voisin, mais parce qu’après tout, ce n’est pas parce qu’il n’habiterait plus à quelques mètres de chez moi que notre amitié changerait. Enfin, je l’espérais.

Le ton monte en même temps que le doux fumet des lasagnes s’approche de mes narines et je rigole encore plus devant l’énervement de Mia. Elle perd tout contrôle de la situation et cela me rend totalement hilare. Même dans son appartement j’arrive à faire de son quotidien un enfer et autant vous dire que c’est le genre de chose dont je ne suis pas peu fier. Après tout, je savais savourer les petites victoires de la vie, vous le voyez bien. Et puis soudainement mes éclats de rires se stoppent, à l’exact moment où l’assiette brûlante file entre mes doigts simplement pour venir rencontrer son doux ami le carrelage blanc et impeccable. Oups.” Je le pense sérieusement et je le jure que ce n’était pas prévu. Pourtant cela ne m’empêche pas de recommencer à rire aux éclats à l’instant qui suit simplement en ayant vu la tête décontenancée de la blonde. A autant aimer la nourriture, elle aurait réellement pu être italienne, c’est certain.

« Tu es incroyable dans ton genre je te jure » “T’aurais pu t’arrêter à ‘t’es incroyable’, tu sais, ça suffit, on me le dit souvent.” La scène étant loin de m’avoir ému aux larmes, je ne perds pas une seule seconde avant de recommencer à faire de l’humour dès l’instant qui suit. Il faut aussi préciser qu’elle me tend une perche grande comme le monde et que je suis bien incapable de résister à ce genre de choses là. Je vois cependant qu’elle est bien loin de perdre le nord et c’est une des nombreuses raisons pour lesquelles j’estime réellement la McKullan. Même face à une personne comme moi elle ne se laisse pas démonter et bien que je ne le lui dirai jamais en face, je trouve la chose pourtant admirable. Pour une jeune femme aussi frêle qu’elle, je trouve qu’elle a bien du courage. Je trouve aussi qu’elle a une trop grande gueule dès lors qu’il s’agit de retourner la situation contre moi, mais ça, c’est encore un autre problème. « Nettoie ! Et tu seras obligé de me faire un gros plat de lasagne quand je viendrai te rendre visite dans ta nouvelle maison » Ses petites mains s’agitent dans le vide à la recherche de quoi nettoyer le carnage, je la regarde danser autour de produits chimiques et autres sopalins. C’est bien loin d’être la soirée dont j’avais rêvé quand, finalement, ce qui m’amuse le plus reste l’aspect écrasé de ses lasagnes avec lesquelles elle m’a tant rabâché. Finalement je pince mes lèvres au mieux pour retenir un rire et évalue la distance entre moi et la porte d’entrée - ainsi que le temps exact qu’il me faut pour l’ouvrir et prendre mes jambes à mon cou.

Ensuite, tout s’enchaîne à la vitesse de l’éclair. “Oups bientôt minuit déjà, faut que je file sinon mon carrosse va redevenir citrouille, byeeeee.” Mes lèvres se déposent sur sa tempe, j’enjambe le plat avant d’ouvrir vivement la porte et prendre la fuite de la scène de crime comme si de rien n’était. Bien plus qu’une blague, c’est aussi la façon que j’ai de dire au revoir à mes amis sans avoir à me salir les mains (dans tous les sens du terme). Elle comprendra bien plus que personne, j’en suis certain, et cela ne l’empêchera pas de vouloir un peu plus ma mort encore. Je sais qu’elle me le fera payer à notre prochaine rencontre, je lui fais confiance pour ça.