Février 2017. Helena avait rendez-vous avec deux amies très proches, Jessian et Danika, au parc d’attractions pour une soirée entre filles. Elles avaient décidé de s’accorder un retour en enfance pour quelques heures. Si l’idée avait ravie Helena au départ, elle était plus mitigée aujourd’hui. En effet, Danika était assez froide ces derniers jours, pour ne pas dire cassante. Et si la jeune femme s’était d’abord inquiétée, se demandant si son amie traversait une mauvaise passe sans se confier à elle, Jessian l’avait quelque peu refroidi en lui affirmant que non, elle n’avait rien vu de particulier. Danika était-elle donc fâchée à l’encontre d’Helena ? Si c’était le cas, cette dernière ne savait pas ce qu’elle avait pu faire pour s’attirer les foudres de son amie. Et surtout, elle ne comprenait pas pourquoi Danika ne lui expliquait pas le pourquoi du comment. Après tout, la franchise et l’honnêteté étaient des qualités indispensables pour des amitiés durables. Helena s’était difficilement arrachée des bras de Keith, son petit-ami policier qu’elle fréquentait depuis un mois et demi. Elle aurait aimé passer la soirée avec lui, lovée dans ses bras, à regarder un super film. Mais la jeune femme avait longuement embrassé son homme, et s’était résignée à quitter son appartement.
Helena était finalement arrivée en avance au parc, ce qui lui avait permis de passer un peu de temps avec son frère. Elle regarda finalement sa montre et constatant qu’il était l’heure du rendez-vous avec ses amies, elle descendit de la barrière entourant le stand des auto-tamponneuses sur laquelle elle s’était assise, lançant à Dimitri en guise de au revoir « souhaite-moi bonne chance ». Son frère l’avait regardé s’éloigner, perplexe, pendant qu’Helena rejoignait l’entrée du parc. Elle y retrouva Danika qui regardait autour d’elle, à la recherche de ses amies. Helena lui sourit naturellement, espérant que la soirée allait bien se passer. Après tout, elles étaient amies. Peut-être qu’Helena s’était trompée, et que Danika était juste fatiguée, ou énervée, les autres fois. Il n’y avait pas de raison pour que la soirée se passe mal ! Alors Helena fit la bise à son amie et la serra dans ses bras.
« Salut Dani ! Comment vas-tu ? Comment ça va au Dojo ? »
La rafale de questions de la jeune femme fut interrompue par la sonnerie de son téléphone. Helena fronça les sourcils en voyant le prénom de Jessian s’afficher sur son portable, et décrocha.
« Allô ? … Hooo, pauvre choupinette ! Fais-lui des gros bisous, et ne t’inquiète pas, on se refera ça bientôt ! »
Elle raccrocha, faisant la moue en se tournant vers Danika.
« Morgane est malade. Jessian va rester avec elle ce soir, elle ne veut pas la laisser avec une baby-sitter alors qu’elle n’est pas bien. »
Helena haussa les épaules et se dirigea vers l’entrée du parc.
« Tu veux commencer par quoi du coup ? Je ferai bien un manège à sensation avant qu’on mange, histoire qu’on ait encore le ventre vide ! »
Elle sourit à son amie, espérant que celle-ci lui emboîte le pas.
Ainsi, Jessian avait annulé la soirée pour pouvoir veiller sur sa fille malade. Helena ne put s’empêcher de se sentir désolée pour la petite Morgane, qu’elle adorait. Puis son attention se reporta sur Danika, et elle se tendit en pensant qu’elle allait devoir passer la soirée seule avec son amie, son amie si froide et cassante avec elle ces derniers temps. Helena ne put d’ailleurs que remarquer le regard jeté vers la sortie de Danika, laquelle n’hésite pas à proposer qu’elles annulent la sortie. Le visage d’Helena se décomposa, blessée. Elle ne pensait pas que son amie avait si peu envie de la voir. Comment en étaient-elles arrivées là ? Être copines, ça voulait dire avoir envie de passer du temps ensemble, de se raconter nos vies sentimentales en détails et se réjouir du bonheur de l’autre. C’était, en cas de besoin, réconforter l’autre, être l’épaule pour pleurer, insulter son ex, pester contre son patron, et se serrer les coudes. Mais depuis quelques temps, Helena avait bien remarqué que ces choses-là avaient disparu. Pourquoi ? A quel moment en étaient-elles arrivées à ce stade durant lequel elles ne supportaient même plus de se retrouver seule avec l’autre ? Helena grimaça, sentant sa gorge se nouer. Mais Danika se reprit rapidement.
« Non tu sais quoi, c’est pas grave. Allez, un manège à sensation ça sera bien, tu as raison. »
Danika lui servit un sourire qui sonnait faux, mais la jeune femme fit semblant de ne pas le remarquer et avança à ses côtés dans le parc d’attractions, tout de même soulagée. La belle brune commença même à raconter son quotidien, ce qui était plutôt bon signe.
« Le dojo, ça va, mon père m’a virée de l’entrainement aujourd’hui parce que je n’étais pas assez concentrée. »
Helena ne put s’empêcher de sourire.
« Ha, toujours aussi exigeant, le paternel ! Surtout avec toi. Mais … pourquoi est-ce que tu étais distraite ? Tu as des soucis en ce moment ? »
Discrètement, en fait pas si discrètement que ça, Helena essayait de tâter le terrain pour amener son amie à se confier. Après tout, si Danika était si froide et distante, c’est sans doute que quelque chose la tracassait.
« Ca fait un moment qu’on ne s’est pas vu, ça va toi ? »
La jeune femme réfléchit un instant. Sa vie avait connu pas mal de changements en ce moment, mais elle avait l’air d’aller bien. Elle pensa d’abord à son job au sein de l’association Together, une association qui représentait les mineurs en justice, se substituant à leurs parents.
« Au boulot, ça peut aller, même si je sais que je ne ferai pas ça toute ma vie. C’est à la fois gratifiant de pouvoir aider des enfants, et à la fois déchirant de voir leur souffrance. Ils ont des parents défaillants, n’ont jamais eu une éducation correcte, ou des modèles. Ils partent tellement mal dans la vie … comment pourraient-ils ne pas mal finir ? C’est dur, de voir qu’ils ont mal, et de ne pouvoir rien faire de plus … Parfois, j’aimerais juste leur faire un gros câlin, et leur dire que tout ira bien … »
Helena adressa à son amie un sourire triste et soupira. Elle ne voulait pas casser l’ambiance, alors elle évoqua ensuite sa vie amoureuse, avec un sourire plus rêveur.
« Et avec Keith, ça se passe bien … Tu sais à quel point Auden m’a brisé le cœur en m’abandonnant comme une vieille chaussette après 4 ans de relation … J’ai eu du mal à remonter la pente … Peut-être que Keith peut m’aider à passer outre, à reprendre confiance à moi, à me faire redécouvrir les relations amoureuses plus … conventionnelles, et moins destructrices, en tout cas. Bref, je suis bien avec lui. J’espère que ça durera. »
Danika lui montra alors un manège à sensation.
« Avec plaisir, tu sais que j’aime toutes les attractions de toute façon ! J’espère que tu as l’estomac bien accroché ! »
Elle s’éloigna de son amie en riant, allant acheter leurs billets, avant de s’installer sur un des sièges du manège.
Danika justifie son manque de concentration à l’entrainement au dojo par le stress de la prochaine compétition.
« Toi, stressée ? Tu vas tous les exploser, comme d’habitude ! C’est quand cette compét’ ? Je pourrais ptet venir t’encourager ! Je vais en parler à Jessian, je suis certaine qu’on peut fabriquer une banderole qui te fera honte ! »
Helena rigolait rien qu’en pensant à la scène, totalement étrangère aux mensonges de son amie. La conversation dévia vers le travail associatif de la jeune femme, qui parla pendant de longues minutes, passionnée par son job.
« J’en déduis que les bars ne te manquent pas ? »
Helena sourit à Danika.
« Bosser avec toi me manque, mais les bars, pas du tout ! J’ai passé l’âge des horaires décalés ! Et surtout, j’ai l’impression de faire enfin quelque chose d’utile. Ce n’est pas assez pour ces enfants, et ça ne sera jamais assez. Mais c’est un début de soutien dont ils ne pourraient se passer. Et je fais de mon mieux pour les aider. »
La jolie brune évoqua ensuite son histoire sentimentale avec Keith, ne remarquant pas son amie se fermer comme une huître. Il faut dire que Danika donnait bien le change, avec son « Moi aussi j’espère que ça durera ». Helena était de toute façon trop absorbée à son bonheur pour remarquer la souffrance de Danika.
L’attraction à sensation démarra ensuite, les empêchant de poursuivre la conversation. Helena avait hurlé à plein poumons, comme d’habitude, mais c’était beaucoup amusée. A la sortie du manège, elle était quelque peu désorientée, et ses cheveux étaient en bataille.
« Ça va la tête toujours sur les épaules ? »
La jeune femme lui répondit d’abord par un éclat de rire.
« Heureusement qu’on n’avait pas mangé avant, quand même ! Et toi, pas trop barbouillée ? »
Danika remit finalement sur le tapis la relation de Keith et Helena, blessant profondément cette dernière.
« Comment tu peux être sûre que Keith est pas juste comme Auden ? Parce que bon, Auden semblait aussi parfait au départ. »
Helena écarquilla les yeux, ayant l’impression d’avoir reçu un coup de poignard dans le cœur. Ce n’était pas la comparaison de Keith et Auden qui la blessait, les deux hommes étaient très différents. C’était l’évocation d’Auden, et l’allusion à la souffrance qu’elle avait ressentie et qu’elle ressentait encore. Helena n’était dupe : elle savait qu’elle n’était pas guérie des blessures infligées par Auden, qu’elle ne pourrait pas tirer ainsi une croix sur 4 ans de relation. Mais leur histoire avait été si intense et à la fois si destructrice, qu’elle en avait perdu tous ses repères, ainsi qu’une grande partie de sa confiance en elle. Son instinct et ses capacités de jugement avaient également été grandement affectés. Helena tenta de remettre en place le bandage invisible qui serrait son cœur et l’empêchait de se disloquer. Elle respira un grand coup. Après tout, c’était elle qui avait évoqué Auden en premier, mais elle avait tout de même la sensation que Danika l’avait envoyé dans les cordes.
« Comment est-ce que tu peux dire ça … ? Je sais que j’ai souvent manqué de jugement en matière d’hommes, mais c’est bas, Danika … Auden était si … »
La plaie de la rupture était sans aucun doute encore à vif. Helena ravala ses larmes, et son ton se fit plus ferme.
« Tu ne dirais pas ça si tu connaissais Keith. Lui veut s’engager, il est droit, sérieux, et sait tout simplement ce qu’il veut. C’est le contraire d’Auden … »
Alors que les jeunes femmes passaient devant un stand de tirs à la carabine, Danika proposa un défi. Le jeu proposé par son amie ne l’intéressait guère, Helena n’ayant pas vraiment l’esprit de compétition. Par contre, elle ressentait fortement l’envie de se défouler, et à défaut d’avoir un sac de frappe sous la main, le tir devrait faire l’affaire. Et puis, Helena était plutôt douée, et clouer le bec de son amie, après ses remarques désobligeantes, ne serait finalement pas pour lui déplaire.
« Parce que tu crois vraiment avoir une chance, Danika ? », répondit Helena en ouvrant la carabine et en y insérant les petits plombs.
Alors qu’Helena proposait à son amie de venir l’encourager avec Jess lors sa prochaine compétition, Danika la repoussa, encore. Elle ne prenait même plus la peine de le faire avec des pincettes, elle n’essayait même plus d’y mettre les formes. La jeune femme se sentait blessée par son amie, et se demandait toujours ce qu’elle avait pu faire pour s’attirer ses foudres.
Après le manège à sensations, Danika proposa un défi au tir à la carabine. Helena n’était pas très axée compétition, mais son amie l’énervait tellement qu’elle avait envie de lui rabattre son caquet. Une victoire lui ferait du bien, et pourrait peut-être calmer la combattante. La brunette n’aimait pas les armes en général, elle en avait même horreur. Mais elle s’était entraînée au tir à la carabine depuis toute petite. Quand elle était jeune, elle n’y avait vu qu’un jeu de précision et de patience. Et c’est toujours ainsi qu’elle appréhendait ce stand. Tirer avec une frite remplie d’eau lui aurait procuré le même effet. Helena introduisit le premier plomb dans la carabine, toucha la cible, mais pas en son centre. Elle s’en doutait, les carabines étaient souvent un peu déréglées, et elle pourrait dorénavant ajuster son tir, maintenant qu’elle avait vu vers quel côté le plomb déviait. Elle était en train d’insérer son deuxième plomb quand Danika revint à la charge sur sa vie privée.
« Tu sais toi non plus tu ne le connais pas. Ça fait combien de temps que tu sors avec maintenant ? Moi je cherche juste à te protéger Helena, tu es sûre que ce n’est pas un énième type que t’as envie de réparer et avec qui ça ne donnera jamais rien ? Tu penses que c’est le bon ? »
Helena en resta un instant sans voix, choquée par les propos de son amie.
« Non, bien sûr que non ! Je n’en sais rien, évidemment ! Mais comment veux-tu qu’en un mois je sois sûre que ce soit le bon ? »
La jolie brune avait beau être candide et s’accrocher facilement, elle n’était pas naïve au point de choisir le prénom de leurs futurs enfants après quelques semaines de relation.
« Il faut bien que j’essaie pour le découvrir, non ? Sinon, je fais quoi moi ? Je le mets en zone d’attente, en lui disant qu’il m’intéresse, qu’il doit rester disponible, mais que j’ai d’abord quelques tests à lui faire passer ? Et quand je serai décidée, je reviendrai vers lui ? »
Helena soupira, visiblement blessée.
« Et ne me dis pas que tu te comportes comme une amie et que tu veux me protéger … Une amie m’encouragerait à oublier Auden. Une amie me rassurerait, m’aiderait à reprendre confiance en moi. Une amie ne critiquerait pas mes choix, sans même connaître cet homme … Et si j’en avais besoin, si j’avais encore le cœur brisé, alors mon amie serait là à ce moment-là … »
La jeune femme plongea ses yeux tristes dans ceux de Danika et posa la carabine sur le rebord du stand. Elle n’avait plus envie de jouer. La question qui la taraudait depuis si longtemps franchit enfin ses lèvres.
« Qu’est-ce que je t’ai fait Danika ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »
La discussion entre les deux jeunes femmes dégénérait. Les dés étaient jetés, et rien n’allait plus. Chaque parole prononcée par Danika était du poison, un venin qu’elle crachait au visage d’Helena. A chaque fois qu’elle ouvrait la bouche, la combattante blessait un peu plus son amie. On avait depuis longtemps dépassé la froideur de Dani de ces derniers mois, pour parvenir à des attaques frontales. Des attaques sournoises, perfides, mais des coups forts. Si c’était un combat, nul doute que Danika était en train de gagner, Helena recevant chaque nouveau mot prononcé comme un uppercut en plein visage. Alors que la brunette interrogeait son amie sur ce qu’elle avait bien pu lui faire pour mériter sa colère, cette dernière botta à nouveau en touche.
« Je ne vois pas de quoi tu parles. Ca va très bien. J’ai aucun problème avec toi. »
Helena secoua la tête, encore un peu plus triste : Danika lui mentait, c’était évident. Pourtant, l’honnêteté et la franchise étaient des qualités fondamentales en amitié, des qualités qui tenaient particulièrement à cœur à Helena. Danika n’était pas du genre à en rester là. Elle passa à nouveau à l’attaque, détestant sans doute se sentir acculée par la question de son amie.
« Qu’est ce que tu t’es en train de me dire là ? Que t’as encore le cœur brisé d’Auden ? Crois moi je t’encourage à l’oublier. Parce que sérieux, il serait peut-être temps de passer à autre chose non ? Ca commence à devenir pathétique. »
Outch. Cette agression était la pire qu’Helena avait eu à supporter depuis le début de la soirée. Sans aucun doute, Danika savait où taper pour ça fasse mal. Nul doute qu’elle se servait de ses connaissances sur son amie pour faire mouche et utiliser des mots qui blesseraient la brunette. Celle-ci resta sans voix face à cette attaque. Il n’y avait rien à répondre : oui, elle avait encore le cœur brisé par Auden. Oui, elle devait l’oublier, et elle le souhaitait de tout son être. Oui, c’était pathétique. Et pourtant, elle essayait.
« Tu dis que je n’essaye pas de te protéger mais en même temps, t’es tellement naïve Helena, que je sais plus quoi faire pour te protéger. Et si tu veux tout savoir je connaissais Keith. Il y a longtemps. Nos pères étaient amis. Et s’il n'a pas changé, il est clairement pas fait pour toi. »
Helena fronça les sourcils, ahurie. Dani et Keith se connaissaient ? Cela faisait un mois et demi que Keith et Helena sortaient ensemble, et personne n’avait pensé à mentionner cela ? Ce n’était pourtant pas un détail anodin … D’autant qu’Helena avait évoqué auprès de son petit-ami à plusieurs reprises que son amitié avec Danika se dégradait à vue d’œil et qu’elle n’en comprenait pas la cause. Pourtant, la colère l’aveuglait, et elle ne comprenait toujours pas pourquoi personne ne lui avait rien dit, et pourquoi son amie lui en voulait.
« Vous vous connaissez ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ? »
Helena se sentait trahie. Elle ne savait même pas si elle voulait rejoindre Keith pour le confronter, ou aller s’enfermer chez elle et manger de la glace devant un film dramatique. C’était un cliché, certes, mais c’était aussi une manière efficace pour laisser exploser son chagrin et sa colère. Les larmes roulaient sur les joues de la jeune femme sans qu’elle ne puisse les arrêter. Le regard qu’elle lançait à Danika était chargé de déception. Sa voix tremblait lorsqu’elle reprit la parole.
« Tu as dit que tu ne savais plus quoi faire pour me protéger ? He bien tu vas être contente, je te libère de cette obligation … »
Elle tourna les talons et s’éloigna vers la sortie du parc d’attractions.