C’était un jour comme un autre pour Mitchell Strange. Il s’était levé avec une semi-gueule de bois, la faute aux nombreux verres qu’il avait bu la veille lors d’une soirée improvisée au sein de son QG appelé le Club. Cela faisait un moment qu’il n’avait pas fait la fête ainsi, du moins depuis son voyage en Europe de l’Est qui était inqualifiable et qu’il valait mieux passer aux oubliettes. Les soirées au Club, c’était sans prise de tête, l’alcool coulait à flots et toute sortes de drogues circulaient. C’était ce genre d’instant ou tous les membres pouvaient se réunir, tel une famille. Strange avait longtemps qualifié son gang comme une famille, la famille qu’il n’avait jamais eue, puis au fil des mois depuis son arrestation en 2015, il avait oublié ce que voulais vraiment dire ce mot. Il devenait de jour en jour un peu plus paranoïaque et se méfiait de tout le monde, même des siens. Depuis sa première chute, il n’y avait plus de famille, il y avait juste un chef et ses sbires. Il se contentait de la confiance aveugle qu’il portait à Raelyn, son acolyte qui ne l’avait jamais lâché et de son frère qui était d’un soutien sans faille. Ouais, c’était bien ce genre de soirée, ça lui avait fait un grand bien et ça lui avait permis de renouer avec son gang, ça lui avait permis de leur montrer qu’il était de retour et bien décidé à être présent et de ne plus laisser place au doute quant à sa capacité à gérer le gang. Il en avait vu partir ces derniers mois des disciples, la faute à son égoïsme et sa tendance à penser avec ce qu’il a entre les jambes, mais aussi à cause de la mort de sa femme, qui malgré leur relation qui battait de l’aile, s’en était allé en laissant un gros chagrin à l’Américain. S’en était fini de tout ça à présent et à sa place de leader, il avait brillé. Il avait rassuré les troupes sur les rumeurs à propos de la Ruche et leur avait fait part de nombreux projets.
L’Américain soufflait fortement tout en se redressant. Dix heures était affiché sur l’horloge de son téléphone et c’est avec un peu de panique qu’il sauta hors du lit. « Merde ! » Il se rappelait avoir rendez-vous avec une journaliste qui avait pour projet d’écrire un article sur sa carrière dans l’immobilier. Il avait accepté, bien qu’il n’était pas du genre à se montrer ou à se pavaner en étalant sa richesse. Il en était fier de ce qu’il avait pu construire dans ce domaine. Très fier même. Cela lui permettait de lui rappeler qu’il était capable de beaucoup de choses et qu’il n’était pas qu’un gangster sans cervelle. D’un côté, il hésitait à honorer son rendez-vous, méfiant comme toujours, il se demandait si c’était une bonne idée de se mettre ainsi en avant. Mettre la lumière sur lui signifiait également mettre la lumière sur son business et le risque d’élever son affaire criminelle était fort. À ce jour, seul des bruits de couloir raisonnait au sujet du gang dirigé par le propriétaire du petit restaurant américain, mais personne ne pouvait imaginer ce qui se cachait derrière cette affaire. Le trafic de drogue était que la face visible de l’iceberg. Depuis son arrestation et sa libération, il s’était fait discret, il avait misé sur un domaine qui pouvait lui apporter la notoriété et surtout qui pouvait éloigner les regards suspects. Il voulait que Strange soit un nom connu dans l’immobilier et non prononcé par des commères qui montrerait son restaurant du doigt en disant qu’il est dirigé par un criminel. Il avait eu de la chance que les médias ne s’étaient pas acharné sur lui. Un seul article était paru à ce sujet et vu le peu de journalistes qui l’avaient contacté par la suite, il pouvait jurer que cette histoire était passé à la trappe. Dieu soit loué ! Secouant la tête au miroir présent dans la salle de bain, il revenait à lui et se préparait sans attendre. Peu de gens s’intéressait à l’immobilier, il n’y avait rien à craindre qu’il se disait intérieurement alors qu’il se parfumait et quittait son appartement en direction du restaurant où il avait donné rendez-vous à la journaliste.
Il lui avait fallu peu de temps pour se retrouver face à la devanture du restaurant. Laissant sa bécane dans la ruelle juste à côté. Il entrait par la porte de devant. Il saluait la serveuse d’un geste de la tête et observa autour de lui jusqu’à poser son regard sur une brune. Son instinct le laissait croire que c’était elle, la journaliste et sans attendre, il se rendit à son abord. « Madame Shears ? » Demandait-il, faisant confiance à son instinct comme toujours. « Excusez-moi, je suis en retard, j’espère ne pas vous avoir fait trop attendre.» Malgré son statut de criminel, Mitchell savait se présenter et savait mieux que quiconque se fondre dans la masse. Au premier abord il paraissait comme un homme très sympathique, un homme d’affaire, nul ne pouvait croire qu’il avait de lourds bagages derrière lui.
Il était arrivé en retard et s’en était excusé, observant la journaliste qui l’attendait déjà autour d’un coca et d’un Américano, il ne pu s’empêcher de poursuivre à son tour avec malice. « Vous devriez y aller mollo avec le coca, ce n'est pas très bon pour la santé. » Qu’il disait, alors qu’il faisait presque face à la brune. Sourire en coin, il s’installait face à la jeune femme. Elle correspondait à l’idée qu’il s’était faite jusque-là sur les journalistes, aucune surprise. Elle tentait de s’éloigner du sujet principal sans même qu’ils aient commencé ce qui était prévu. Bien sûr, elle n’avait pas idée de ce qui pouvait se tramer dans le véritable récit que Mitchell aurait pu lui raconter au sujet de son retard, mais elle lui paraissait suffisamment curieuse pour faire attention à ce qu’il allait lui dire. La méfiance étant le mot clef concernant l’Américain, il allait tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. « Je n’ai jamais été du matin.» Qu’il disait avec naturel. S’il était homme d’affaire à ce jour, il était sûrement acteur dans une autre vie. Mitchell Strange avait le don de montrer une facette différente de sa personnalité en fonction de la personne qu’il avait face à lui. Il fallait avouer qu’être Américain l’aidait à avoir cette capacité et souvent, il pouvait s’intégrer à n’importe quelle situation, un avantage qui lui avait ouvert de nombreuses portes, dont celle de l’immobilier. « Il y a un dicton que je n’aime pas du tout. L’avenir appartient à ceux qui se lève tôt. Je ne suis pas d’accord. » Il n’en disait pas plus, il ne comptait pas s’aventurer sur ce chemin, non, il n’allait pas tendre le bâton pour se faire battre. Il aurait pu lui dire qu’il avait fait la fête hier soir, tout le monde de nos jours faisait la fête, mais en disant cela, elle aurait sûrement voulu en savoir plus et c’est là que le danger pouvait de présenter. Il valait mieux être prudent. Il faisait un signe de la tête pour remercier la serveuse qui lui apportait son café. Un expresso bien serré. Une habitude qu’il avait chaque matin en arrivant au restaurant. « Mais là n’est pas le sujet. On est là pour parler d’immobilier, il me semble. » Son succès dans l’immobilier, il le devait à son flair pour repérer les bonnes affaires. Il avait commencé en bas de l’échelle avec peu d’argent en poche, mais avait su faire fructifier son portefeuille et cela grâce à sa carrière dans le crime. Il allait devoir en parler sans mentionner le moindre mot qui ferait référence à son activité parallèle. Facile pour un manipulateur. « Je vous écoute, vous avez sûrement des questions à me poser, je vous avoue ne pas être habitué à ce genre de choses et je ne sais pas du tout comment ça se passe.» Pour un homme qui souhaitait être loin de la lumière au maximum, c’était une première pour le coup. Il baissait la tête vers son téléphone qui s’était mis à vibrer, fronçant légèrement les sourcils en lisant le message d’un de ses collaborateurs qui lui annonçait avoir du retard sur une livraison. Y répondant rapidement, il replongeait son regard dans celui de la brune avec un air interrogateur. « Vous couvrez souvent ce genre d’histoire ? Est-ce qu’il y a vraiment des gens qui lisent ce genre d’article ? » Il se posait réellement la question, car lui-même n’irait pas s’y perdre, bien qu’il allait sûrement être l’un des premiers à lire l’article écrit à son sujet. C’était d’ailleurs plus fort que lui, il ne pouvait pas rester assis autour d’une table sans poser des questions à son interlocuteur. Alors qu’il s’était juré de ne pas dévier du sujet pour lequel il s’était déplacé, il s’interrogeait sur la journaliste, tout comme il s’interrogerait sur un plombier venu réparer les canalisations du restaurant. C’était dans sa nature, il se posait toujours mille et une question sur quiconque touchait de près ou de loin ses affaires.
Il ne rajoutait rien au sujet du choix de boisson de la jeune femme. Lui n’était pas fan du Coca, loin de là. Pour lui, c’était une boisson remplie de sucre et rien ne valait un bon Bourbon. Il songeait d’ailleurs à limiter sa consommation qui devenait un peu trop habituelle ces derniers temps. Si ses affaires “légales“ tournaient plutôt bien, celles qui ne l’étaient pas subissait un ralentissement à cause du gang adverse qui avait vu le jour il y a peu, dirigé par Lou. Ils avaient envahi les rues avec leur marchandise et faisaient baisser le chiffre du Club à une allure bien trop rapide au goût de Strange. S’il était face à une personne connaissant sa situation, il lui aurait répondu que dans son monde, les meilleures affaires se font de nuit, mais bien sûr, il ne pouvait pas être franc à ce point et devait maquiller son manque de professionnalisme à se réveiller plus tard qu’un homme d’affaire lambda. « La plupart de ces hommes d’affaires se contentent de ce qu’ils ont face à eux, alors que moi, je creuse là ou personne ne veut le faire et ça me réussit plutôt bien. » Il y en avait eu des affaires de ce genre. Des appartements qui ne trouvaient pas preneur qui finalement avait réussi à se faire une place dans la fortune du business man. « Il ne faut pas se fier aux apparences ma jolie, les meilleures affaires ne sont pas forcement celle qui paraît. » Il était bien placé pour avancer ce genre de propos. « Mais je vais vous rassurer, mon retard n’était pas voulu, je suis rarement en retard quand j’ai rendez-vous. » Finissait-il par dire, pour la rassurer qu’il souhaitait tout de même être là, malgré son retard. Il s’était installé, avait commandé un café et avait croisé les bras sur la table tout en regardant celle qui allait dresser un papier sur son ascension dans l’immobilier. Elle disait ne pas être habituée à couvrir ce genre d’histoire, ce qui l’intrigua sur le moment. Faisait-elle partie de ces journalistes de terrain qui risquait leur vie pour délivrer une histoire ? Elle n’en avait pas l’air. « Vous n’avez pas tort, tout sujet trouve preneur. » Qu’il répondait simplement.
Après un bref bavardage, l’heure était venue de répondre aux fameuses questions posées par la journaliste. Mitchell s’installait un peu plus confortablement, laissant son téléphone sur le côté –non sans grimacé- il ne le quittait jamais, c’était un moyen pour lui d’être informer rapidement de tout problème lié à son affaire dans l’ombre, mais heureusement pour la jeune femme, il savait faire preuve de politesse et il devait prendre en compte que c’était un honneur de voir apparaître son nom dans un journal local. Se passer de son accessoire au point de la technologie pour quelques minutes n’allait pas le tuer de toute façon, puis il était à domicile, si urgence il y avait, il était prêt à réagir, bien qu’il souhaitait éviter tout remue-ménage en présence des yeux clairs de la journaliste qui se trouvait face à lui et qui devait être une femme très curieuse, tout comme la plupart de ses semblables. D’ailleurs après son départ, il n’hésitera pas à appeler un contact pour avoir quelques informations sur elle, par simple précaution. « J’ai ouvert le restaurant à mon arrivée à Brisbane, il y a environ quinze ans, principalement pour mon frère qui est un vrai cordon bleu, vous devriez goûter l’un de ces plats ! » Qu’il répondait avec le sourire, alors que la question de la journaliste lui rappelait de nombreux souvenirs, principalement bons d’une époque ou les problèmes étaient moindre. « Je ne suis pas non plus mauvais dans ce domaine, mais chut, il ne faut pas le dire. » Qu’il disait amusé. À ses heures perdues Mitchell pouvait se perdre en cuisine, c’était devenu rare, mais lorsque l’envie était là, il n’hésitait pas à concocter quelques desserts pour le restaurant, dont sa fameuse Pécan Pie. Il n’avait cependant pas la patience pour passer une journée en cuisine comme son frère le faisait, son truc à lui, c’était le business légal ou illégal, peu importe du moment qu’il peut montrer son savoir-faire. « C’était un moyen de commencer quelque part, mais comme vous pouvez le deviner, ça ne me suffisait pas et il fallait que je vise plus grands. » Si Mitchell Strange ne trempait pas dans des affaires illégales, il serait un homme tout à fait honorable avec une bonne situation, mais son goût, de vivre dangereusement le poussait toujours à faire un pas de plus dans l’illégalité. Tout avait commencé par un simple trafic de drogue, le Club était qu’un gang de rues sans prétention, puis il y a eu la prostitution et le trafic d’armes, des affaires qui rapportaient énormément d’argent, bien plus que l’immobilier. Puis fallait l’avouer, ça le rendait surtout puissant et c’est sûrement cet aspect qui le poussait à vouloir toujours plus. « Je peux vous proposer quelque chose à manger peut-être ? Ça vous permettra de vous plonger dans un univers qui correspondra bien plus à l’Amérique qu’un coca-cola. » Qu’il ajoutait sans la quitter du regard, s’attardant quelques secondes sur son visage qui n’était pas déplaisant à regarder.
Mitchell avait toujours eu une forte confiance en lui, une qualité pour certain un défaut pour d’autres. Sa confiance en lui l’avait poussé jusqu’ici, à cette place qu’il occupait, se croyant au-dessus des lois et plus malin que quiconque. Ses choix avaient été motivés par sa confiance et lui avaient rarement fait défaut. Il y avait eu des embûches, comme dans la plupart des histoires, mais il avait toujours réussi à se relever, plus fort que jamais. Le restaurant lui avait permis d’avoir une couverture pour ses crimes. Un moyen de faire circuler l’argent sans attirer le regard, un moyen d’être monsieur tout le monde, d’afficher une sympathie sans faille face aux riverains. Bien sûr, il y en avait toujours des curieux et beaucoup au fil des années avaient montrer du doigt le restaurant en imaginant de nombreuses histoires plus saugrenues les unes que les autres. Peu de personnes avaient vu juste et la seule fois ou tout a failli s’écrouler, c’était lors de la descente des stups en 2015. Strange s’était retrouvé derrière les barreaux durant un an, une expérience qui lui avait apprit à se méfier d’avantage des gens qui l’entourent. Sa confiance il ne la donnait plus, ou très peu, il ne dormait plus paisiblement et frôlait de plus en plus la paranoïa. Chaque nouvelle personne rencontré pouvait être nocif pour lui ou pour son gang et il s’était juré de ne plus se faire avoir. Accepté de parler à une journaliste, pouvait l’aider à renforcer son côté “citoyen lambda“, il allait se vendre comme étant un investisseur, éloignant ainsi quelques doutes peu fondés sur son activité.
Paraître naturel était un moyen comme un autre d’attirer la confiance de la jeune femme, une confiance qui ne la pousserait pas à chercher plus loin que là ou elle le devrait. En montrant sa sympathie, il se prouvait une fois de plus qu’il pouvait mener cette double vie qu’il s’imposait depuis des années. Parler de cuisine avait toujours un effet positif. Il était sincère en abordant ce sujet et rendait son discours authentique. « Malheureusement, je n’ai pas le temps de m’attarder en cuisine, puis j’avoue que mon frère n’aime pas me voir sur son terrain, je suis mal organisé face à un plan de travail. » Alec avait la rigueur alors que Mitchell lui y allait bien souvent au feeling. « Dans mon pays natal, on voit les choses en grands, le contraire est très mal vu. » Comme tout Américain qui se respecte, Mitchell avait été conditionner à voir la vie en grand, bien que la vie qu’il menait n’était pas vraiment celle qu’il avait imaginée. Se contenter de peu ne faisait pas partie de sa nature et quand l’opportunité s’est présenté à lui, il n’a pas hésité. « Quand on a un restaurant beaucoup de gens frôlent notre sol, il y a vraiment de tout, un simple ouvrier, un avocat ou un homme d’affaire, j’ai entendu parlé d’une opportunité et je l’ai saisi, c’était spontané, instinctif. » Son instinct le trompait rarement. S’il avait l’argent grâce à sa carrière dans le crime, le restaurant à lui tout seul n’apportait pas suffisamment de vivres. « J’ai beaucoup épargné au fil des années et c’est ça qui m’a permis d’acquérir mon premier bien. Je ne vous cache pas qu’un restaurant de ce type ne pouvait pas m’ouvrir ce genre de porte. J’ai toujours été très économe et ça m’a plutôt bien réussi. » Économe était un bien grand mot, mais il ne dépensait pas n’importe comment son argent, chaque achat était réfléchis. « L’habit ne fait pas le moine. » Qu’il répondait à sa remarque visant son apparence, ne sachant pas s’il devait bien le prendre ou pas. « Vous n’avez pas l’air d’une journaliste et pourtant. » Qu’il ajoutait en attrapant sa tasse pour boire une gorgée de son café. « Dites-moi, pourquoi faites-vous ce métier ? » Il était curieux, il était du genre à vouloir fouiner pour en savoir plus sur ses interlocuteurs, des fois, il obtenait les réponses directement et d’autres fois, il devait enquêter, mais il obtenait toujours les réponses à ses questions, ou presque. Il avait encore à travers la gorge le fait de ne pas trouver grand chose sur cet Amos qui ne l’inspirait pas du tout.
Il observait le sourire de la jeune femme sans perdre le sien alors qu’il lui proposait de manger quelque chose. Elle disait vouloir goûter l’un de ces plats, des dires qui le fit sourire d’avantage. « Je vous inviterai avec plaisir à dîner, mais ça ne serait pas très professionnel de ma part. » Il n’aimerait surtout pas avoir une journaliste qui fouine dans sa vie privée. S’il était du genre charmeur envers les femmes, il se retenait de l’être pour une fois, il n’était pas à l’abri d’être pris pour cible. Il faisait signe à la serveuse, lui chuchotant de demander à Alec de préparer l’un de ses meilleurs plats pour la jeune femme avant de se re concentrer sur la brune. « Je mentirais si je disais l’inverse. C’est une fierté, forcement, même si à ce jour, je suis autant Australien qu’Américain. » C’est comme ça qu’il se sentait tout compte fait. Ça faisait déjà longtemps qu’il longeait les murs de Brisbane et il y avait trouvé sa place au sein de la communauté.
Mitchell Strange avait beaucoup de choses à cacher, beaucoup trop pour un simple homme et pourtant, il se contentait de faire bonne figure, de montrer une facette de lui que peu de gens connaissait. Il était finalement lui-même, en partie du moins, car il pesait tout de même chacun de ses mots avant de parler et n’avait pas la parole facile. Il n’allait pas délivrer tout un tas d’informations à une journaliste, il n’allait pas lui faire un long récit sur la façon dont un Américain lambda avait réussi à percer dans le crime australien et encore moins d’où venait l’argent qui lui avait permis d’investir dans de la brique. Il n’en disait pas assez pour la jeune femme et elle ne se contentais pas des réponses qu’il donnait. Elle voulait creuser, elle voulait connaître le mode d’emploi de l’homme qu’elle avait face à elle et n’hésitai pas à le lui faire comprendre. C’était son travail, il n’allait pas le lui reprocher, mais comment pouvait-il répondre indéfiniment sans en dire trop ? Il était plutôt bon comédien, mais cela, suffirait-il ? « A la mort de mon père, mon frère et moi avions reçu un petit héritage, ça nous a aidé à nous installer en Australie, mais mes économies, je les dois à ma passion pour la moto. Plus jeune, je faisais des courses qui me rapportais pas mal, après un accident, j’ai dû abandonner la compétition, mais j’ai voué mon temps à la mécanique pour conserver ma passion pour ces engins. » Elle voulait des réponses, elle allait en avoir, mais la sincérité de l’Américain allait devoir être mise de côté. Car s’il choisissait de rester bref dans ses réponses, cela avait tendance à alimenter la curiosité de la journaliste et ce n’était pas dans son intérêt d’aller dans ce sens-là. Il choisissait finalement d’ajouter quelques mensonges mélangés à la réalité et espérait que cela conviendrait à son interlocutrice. « Je n’irai pas dire que je me considère comme étant extraordinaire, loin de là, mais je ne fais pas partie des gens qui attendent que la réussite leur tombe dessus. » Oh non, il se donnait les moyens et pouvait aller dans l’extrême pour les obtenir. L’argent avait bien été présent dans la famille Strange à leur début, mais les mauvais choix de leur père les avaient menés à leur perte. Mitchell s’était battu pour aider sa famille à s’en sortir et avait choisi la facilité pour combler le trou financier. Tremper dans le trafic de drogue lui avait permis de fuir Las Vegas après que son frère ait donné la mort à leur paternel. Il avait bien travaillé dans un garage au Nouveau-Mexique, mais était payé une misère. Il avait de lourds bagage derrière lui, une enfance difficile et une vie semée d’embûche. « Ma réussite, je la dois à mon acharnement au travail. Je me suis donné les moyens d’y arriver en visant toujours plus haut et j’en suis là aujourd’hui. » Il rassemblait ses deux mains alors qu’elle disait ne pas refuser un éventuel dîner si c’était pour en savoir plus pour son article. « Je pense que vous aurez suffisamment d’élément en partant d’ici. » Qu’il disait calmement. Elle allait surtout devoir se contenter de ce qu’il lui donnait comme informations. Il avait scruté chaque détail de la jeune femme face à lui, il s’était arrêté quelques secondes sur son regard, un joli regard, puis il avait remarqué qu’elle n’avait pas de bague au doigt, bien que l’inverse n’aurait pas changé son comportement. « Je me charge moi-même de la gestion de mes biens. Je me fie uniquement à mon avocat pour le côté “Juridique“. » Il ne donnait pas sa confiance facilement et préférait gérer lui-même son patrimoine, puis ça lui permettait de rester discret sur l’argent qu’il faisait passer dans les transactions immobilières. « Laissez moi deviner ! Vous allez me dire que je n’ai pas l’air d’un gestionnaire. » Lançait-il amusé. « Oui principalement à des particuliers. Il y a beaucoup de demandes et pas assez d’offre à Brisbane, ce n’était pas compliqué de trouver preneur.» Pas mal d’appartements, étaient occupé par des dealers, prostitué et autres engagées par le Club, mais ça elle n’avait pas besoin de le savoir. « Mais je ne compte pas m’arrêter là, j’ai de nombreux projets. » Il ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. « Je pense que je vais accepter votre proposition de vous inviter à dîner. » Car oui, c’était elle qui avait déposé la graine. « A une seule condition. Pas de dictaphone, uniquement vos oreilles pour écouter. Je ne suis pas très à l’aise à l’idée d’être enregistré. » ça le stressait intérieurement même, s’il commettait la moindre erreur dans son allocution, elle le remarquera, et même un homme avec une grande confiance en lui comme Mitchell ne se sentait pas serein à cette idée. Puis ce n’est pas comme s’il pouvait la menacer (chose qu’il ferait en temps normal) « Je vous livrerais peut-être quelques secrets sur ma réussite dans l’immobilier et partagerais avec vous des éléments sur mes projets futurs. » Puis il voulait en savoir plus sur elle aussi, c'était plus fort que lui, il devait savoir à qui il avait à faire même si au premier abord elle ne représentait aucune menace.
Mitchell se décidait enfin à livrer un peu plus de détail pour l’entrevue. Il avait conscience que tout ce qu’il disait pouvait finir sûr un bout de papier et pesait ses mots avant de laisser sortir de sa bouche. Parler de son passé faisait partie du genre de sujet que les journalistes aimaient exploiter, non pas qu’il connaissait par cœur le guide du parfait journaliste, mais lorsqu’il prenait le temps de lire quelques lignes dans le journal, il remarquait à chaque fois une parenthèse parlant du passé. Il avait jugé que son histoire dans la moto était le bon point de son passé, puis il savait d’avance que si l’envie d’aller fouiller dans la vie de Strange tentait la jeune femme, qu’elle ne trouverait rien à ce sujet, ou du moins difficilement. À l’époque où il vivait aux Etats-Unis, il n’avait pas la même identité, il portait un tout autre prénom et le nom de famille utilisé était celui de sa mère, donc bon, elle pouvait toujours chercher, puis il n’avait jamais annoncé venir du Nevada. Chaque détail comptait finalement et il s’en rendait compte alors qu’il terminait son café. Il hochait la tête pour remercier la jeune femme alors qu’elle était désolée pour son père. À ce moment il aurait aimé lui dire que lui ne l’était pas, qu’il avait eu ce qu’il méritait et qu’il espérait qu’il était entrain de pourrir en enfer, mais il ne le pouvait pas et préféra rester silencieux pour ne pas en rajouter sur ce sujet. Parler de la moto et de son passé dans la compétition l’enchantais plus, bien plus que l’immobilier à vrai dire. Ça lui rappelait de très bons souvenirs d’une époque ou une goûte de sang le rendait malade. « J’ai commencé quand j’étais tout petit, c’était si naturel pour moi de me trouver aux commandes d’une moto. » Un sourire bien plus large s’afficha sur ses lèvres. « Et oui, les sponsors ont été d’une très grande aide.» Il se rappelait avoir eu plusieurs propositions de sponsors, des contrats qui aujourd’hui lui apporterait beaucoup d’argent. Suffisamment pour se passer du crime. « Mais malheureusement, le destin a voulu que je prenne une tout autre direction. » Ajoutait-il. Il repensait à l’accident qu’il avait eu, un accident qui aurait pu lui coûter la vie. Il regardait la cicatrice présente sur son bas, une parmi tant d’autre et replongeait son regard dans celui de la brune. « J’ai mal géré un virage et j’ai dérapé. À vive allure ça peut être impardonnable, j’ai eu de la chance. » La, il pouvait parler de chance, car la chute aurait pu être fatale. Durant ses quelques secondes, il n’avait pas sur joué son discours, il avait été tout simplement sincère et bizarrement ça lui faisait du bien.
Il avait mis l’accent sur le fait qu’il était persévérant et bosseur, mais cela ne pouvait bien sûr ne pas expliquer complètement comment il avait réussi à se procurer un si beau patrimoine. Un secret qu’il comptait bien garder, bien décidé à la mener vers une piste bien différente de la réalité. Il estimait pouvoir la renseigner suffisamment pour qu’elle puisse pondre un beau papier, mais à en voir sa tête, elle n’avait pas l’air d’accord. Elle voulait en savoir plus et ça n’étonnait pas l’Américain. « Si ce n’est pas le cas, vous pouvez me poser d’autres questions, j’ai tout mon temps. » Qu’il disait en se positionnant correctement sur la banquette. Elle avait rit et un tout autre air que celui du début s’était dessiné sur son visage, il l’avait fait rire et ça le faisait sourire d’avantage. « Très trompeuse.» Ajoutait-il, en se demandant quel genre de personne pouvait se cacher derrière le sourire qu’il fixait. Il l’observait faire faire le geste avec sa main sans pour autant commenter l’action avant de finalement lui proposer un dîner sous une condition. Pas de dictaphone. Elle acceptait, sans surprise. « Je vérifierai si vous portez un micro, donc je compte sur vous ! » Plaisantait-il. « Ça vous permettra de terminer votre article aisément, puis de passer à un sujet qui sera bien plus intéressant qu’une Américain qui investit à Brisbane.» Il poussait sa tasse de café sur le côté par reflex avant de lui donner le lieu et la date de leur prochaine entrevue. « Je vous propose de passer la soirée à l’un de mes appartements à Spring Hill, au 707 Water Street. Demain soir à 20h ? » Il ne comptait pas l’inviter ici en soirée et ne comptait pas l’inviter chez lui non plus. Heureusement, il pouvait compter sur l’un de ses appartements meublés qui allait être parfait pour ce genre de soirée. « Si ça vous conviens bien sûr. » Il observait la serveuse apporter le repas demandé par Strange. « J’espère que ça va vous plaire. » Qu’il disait en regardant l’assiette déposée sur la table.
Selon Mitchell, les questions posées par la journaliste s’éloignaient du sujet principal de leur entrevue. L’Américain avait plus l’impression d’être à un Speed Dating qu’à un rendez-vous professionnel, mais ça ne le dérangeait pas, du moment que le sujet ne déviait pas trop. Il ne comprenait juste pas en quoi parler de la moto et de ses anciens sponsors avait un rapport avec l’immobilier. « Vous savez, il n’est jamais trop tôt pour rêver grand. » America is too great for small dreams comme disait Reagan, bien que la devise qui faisait avancer Strange était plutôt : Work hard play hard. « Mais je ne vous cache pas que l’Amérique est folle, complètement folle ! » Qu’il disait avec un sourire amusé. « De nombreux sponsors locaux qui ne doivent même plus exister aujourd’hui. » Il ne comptait pas entrer dans les détails sur ce sujet. « En parler me donne le cafard, on peut passer à un autre sujet ?» Il était déterminé à ne pas lui dire d’où il venait, mais si elle lui reposait la question par la suite, il se serait renseigné avant pour lui donner quelques informations qui l’éloigneraient de la vérité.
Après avoir planifié leur prochain rendez-vous au lendemain, Mitchell plaisantait au sujet de dictaphone qu’il souhaitait voir absent lors du dîner. Il riait à la réponse de la brune et observait la serveuse déposer l’assiette sur la table, persuadée d’avoir fait le bon choix de mets. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Mitchell était à la fois surpris et gêné lorsqu’elle lui annonça être végétarienne. Comment était-ce possible de ne pas manger de viande, se demandait-il avant de se lever à son tour. « Vous aurez dû me le dire, j’aurai commandé quelque chose d’autres, je suis navré que vous n’ayez pas pu manger. » Il allait sûrement le manger lui-même le plat tout compte fait et allait surtout réfléchir à ce qu’il allait pouvoir lui proposer le lendemain au dîner, car il ne pouvait pas compter sur un repas végétarien typiquement Américain. « Je me rattraperai demain. » Qu’il ajoutait tout en attrapant le billet de vingt dollars Australien qu’il lui tendit sans attendre. « C’est la maison qui offre. » C’était la moindre des choses qu’il pouvait faire. Lui serrant la main, c’est en la regardant une dernière fois droit dans les yeux qu’il la salua. « Plaisir partagé. » Ce n’était pas si terrible que ça finalement comme entrevue, bien qu’il allait devoir subir à nouveaux mille et une question le lendemain. Il s’installait à nouveau tout en la regardant quitter les lieux. Saisissant son téléphone pour vérifier ses messages, il demanda à Jason quelques informations sur la journaliste afin de savoir à qui il avait à faire, simple précaution.