L’exercice de lecture de mémoire n’est absolument pas le genre de chose qui me passionne dans la vie et ce n’est sûrement un secret pour personne. Rester assis à écouter un inconnu parler d’un sujet qui le passionne sûrement tout aussi peu que moi … j’ai en effet beaucoup de mal à y trouver un quelconque intérêt. D’autant qu’on demande (exige) généralement de rester silencieux pendant toute la séance et cela reste encore un concept plus qu’abstrait pour mieux puisque je ne suis pas encore certain d’en comprendre les tenants et aboutissants encore. Tout ça pour dire que je ne suis pas ici aujourd’hui par simple habitude et que je ne scrute pas chaque matin la liste de tous ces inconnus qui s’apprêtent à parler de leur sujet de mémoire. Si je suis ici aujourd’hui c’est bien parce qu’il y a une raison particulière à cela - et une raison tout court, à vrai dire.

Ginny et moi arrivons quelques secondes à peine avant que tout ne débute et ce simplement parce qu’elle n’a pas voulu écouter mes parfaites explications à propos du chemin à emprunter pour se rendre dans l’amphithéâtre. A une ou deux intersections prêts, j’avais vu juste. Elle et elle seule nous a perdu et si jamais quelqu’un avait demandé la raison de notre retard (comme lorsqu’on est à l’école primaire, ouais) alors je l’aurais pointé de l’index sans hésiter une seule seconde. Pour autant cette fois-ci cela n’arrive pas et d’une torture je passe à une autre, ma main refermée autour de la sienne la forçant à suivre mon rythme et monter les marches quatre à quatre pour que l’on se retrouve en haut de la salle. Parce qu’en haut on y voit mieux, j’imagine. On a une vue d’ensemble sur tous les autres et on peut savoir qui fait exactement quoi. Au dernier moment elle a voulu se placer tout devant et comme une sorte de commun accord bancal, on s’est placés au milieu de la salle. Mais un peu plus vers le haut, quand même, simplement pour démontrer que mon avis vaut bien mieux que le sien. Simplement pour préparer aussi le fait que je compte faire tout sauf bien me tenir lors de la présentation du Taylor. Cela ne sera qu’une raison de plus pour lui que de se forger pour le monde des adultes.

Le début ne se constitue que de simples rires que j’arrive pourtant à camoufler, emprisonnant mes lèvres entre mes dents. S’il s’enfuit avant d’avoir réellement commencé à parler alors tout le monde aura perdu son temps. Il faut que la séance soit un minimum amusante. « Vous avez sûrement déjà vu une représentation mythologique dans des films pour les plus récents ou alors des tableaux de la renaissance si on veut remonter plus loin, comme La naissance de Vénus par Botticelli ? C’est donc ça mon…. » Mon visage se déporte vers Ginny, l’image de La Nascita di Venere que j’ai bien mieux en tête que lui ne l’aura jamais, même photographiée par les meilleurs appareils du monde. Il n’a sûrement même aucune idée de la place allouée à Botticelli dans le Musée des Offices, le bougre. Apprendre et répéter, voilà son rôle dans toute cette histoire. “Tu rentres quatre fois dans le tableau, toi.” Ginny la gamine qui a une taille de gamine, fait que je lui remémore de nouveau quand bien même elle a bien moins d’une tête d’écart avec moi ; ce n’est pas ce que l’Histoire retiendra. « S’il vous plaît, pouvez-vous arrêter avec ce rire ? Merci. » Mon sourire s’agrandit alors que mes dents glissent sur ma lippe avant de la laisser libre de nouveau, mes yeux dérivant de la brune à l’étudiant sans que cela ne signifie rien de bon. Je me lève soudainement et porte ma main à mon torse avant de me courber légèrement en avant, théâtralement. “Oui. Pardon.” Et de me rassoir la seconde qui suit tout en faisant le plus de bruit possible.

Une main se lève, geste particulier que jamais je n’aurais cru exécuter de mon plein gré et je prends la parole sans attendre son aval, finalement. C’est dommage, j’étais pourtant sur la bonne voie. “Quelle date pour La Nascita di Venere ? Et vous pourriez écrire plus lisiblement, s’vous plaît ? Ca a l’air un peu tremblant, le trait, d’ici.” J’appuie ses défauts sans une once de remord. Il doit le corriger et même s’il l’apprend à la dure, au moins il apprend. La séance sera longue et je jubile déjà, priant pour qu’il continue de parler du seul sujet que je maîtrise sur le bout de doigts lequel est l’art de mon pays natal.

J'aurais dû apporter mon autre fusain. Le paquet en entier, finalement, c'est ça que je réalise, quand la mine de l'un craque sous mes doigts. Les notes que je prends à la dérobée ne ressemblent maintenant qu'à un ramassis de traits barbouillés, diffus et étalés autant sur mes feuilles éparses que sur le revers gauche de ma pauvre main maintenant aussi tachée de peinture que de charbon.

« R.E.C.E.P.TION de l’antiquité. Voilà mon sujet d’étude. Pour faire simple, j’étudie l’image, les idées, les valeurs, la mythologie d’une période, ici l’antiquité et sa réception à travers le temps. Vous avez sûrement déjà vu une représentation mythologique dans des films pour les plus récents ou alors des tableaux de la renaissance si on veut remonter plus loin, comme La naissance de Vénus par Botticelli ? C’est donc ça mon…. »

C'est intéressant, ce que Liam apporte. Ce sont des points vus et revus, mais il les définit selon ses termes à lui, et c'est tout à son honneur. Pendant qu'Auden se charge de me faire réaliser que je devrais manger plus qu'une fois (deux ou trois même) mon poids en cookies aux pépites de chocolat pour avoir un peu plus de sérieux si on me rapporte à la toile. Je note et j'écoute, je suis attentive par soucis de support mais surtout parce que j'ai échappé le contenu au complet de mon gobelet à café une seconde à peine avant que le rire d'Auden ne camoufle mon énième dégât du jour. je lui en dois toute une pour avoir distrait l'assemblée au grand complet de son “Oui. Pardon.” dédié à Liam, et surtout additionné de la plus fausse des courbettes et d'une chaise qui grince sur le linoléum dans un bruit agressant de métal pendant une longue, trop longue minute. Les gouttelettes de café continuent de tambouriner comme l'aurait fait des gouttes d'eau en mode torture des temps modernes sur le dossier de la chaise du pauvre noyé face à nous. Celui-là même qui a dû se décaler de plusieurs centimètres probablement par crainte que ce soit sur sa tête que j'échappe ensuite mes livres, après en avoir fait de même avec mon breuvage.

“Quelle date pour La Nascita di Venere ? Et vous pourriez écrire plus lisiblement, s’vous plaît ? Ca a l’air un peu tremblant, le trait, d’ici.” « Auden, c'est quoi le mot en italien pour dire "coquillage"? J'ai oublié. » comme je tente de calmer le jeu en chuchotant, comme je tente naïvement et comme je suis persuadée que ça changera absolument rien. Williams est venu ici aujourd'hui uniquement pour se moquer de son ami, et même si je murmure à Liam un je suis désolée du bout des lèvres, le pauvre Taylor risque de se voir piqué d'un sens comme de l'autre durant la prochaine heure pour sûr. Encore vaut mieux qu'il redresse l'épaule et le menton et qu'il encaisse les coups. C'est pour le mieux que je pense, parce que lorsqu'Auden s'affaire à se moquer de lui, il n'est pas en train de se moquer de moi, et mine de rien pendant une seconde une seule ça me semble être un chouette scénario à exploiter.

Probablement que c'est pour cela que je commence à tracer sur son avant-bras une grossière réplique des anges façon BD, affront à Botticelli qui me fait sourire un temps. J'ai tous les droits quand il est le bully de quelqu'un d'autre, et je les prends sans chigner. En attendant la suite, le round two qui promet d'être encore plus piquant à voir comment les deux garçons se toisent d'un bout à l'autre de l'auditorium.

J'aurais vraiment dû apporter plus de fusains, et un café de rechange, aussi.

Qu’est-ce qu’ils peuvent être chiant parfois… C’est exactement pour ça que je déteste passer devant tout le monde. Les élèves respectueux peuvent se compter sur les doigts d’une main, mais il a fallu que le prof m’y oblige, un entraînement pour quand tu auras besoin d’animer des conférences, qu’il m’a dit… Je lui en mettrais des entraînements moi… J’essaie donc tant bien que mal de captiver l’attention de mon auditoire, plusieurs têtes ne me reviennent pas du tout, depuis quand on peut assister à un cours alors qu’on ne fait même pas partie de l’université ? Je sors les quelques papiers qui figurent dans mon porte-document, les mains un peu tremblotante à l’idée de devoir me prendra la tête avec le premier qui va me faire chier à m’interrompre toutes les secondes à parler à son voisin. Vous pouvez le dire que je suis un peu sanguin, ça m’arrive régulièrement quand je suis dans des situations que je déteste tout particulièrement et le manque de respect quand quelqu’un fait l’effort de présenter un sujet, ça, ça fait sûrement partie de mon top. Je prends la parole, mes premiers mots sont loin d’être remplis d’assurance, mais ça passe, au fur et à mesure que je commence à parler de mon sujet d’étude le calme reprend le dessus et je ne laisse plus que place à la concentration et à l’articulation.

Voilà le premier chieur qui se manifeste, je me suis trompé sur un point c’est avec une voisine qu’il commence à bavarder, mais par contre un point pour moi, sa tête ne me revient pas du tout et je ne sais pas d’où il sort, enfin pas tout à fait. Maintenant que j’y réfléchis un peu plus, j’ai l’impression de l’avoir déjà vu quelque part, mais pas ici, pas à l’université. Je lui demande alors bien gentiment et calmement d’arrêter de palabrer et de rire en discontinu. Il fait malheureusement l’erreur de me prendre pour un con à se lever et à faire sa courbette qui est par ailleurs mal réalisée de quelques degrés. Alors que je pensais m’être débarrassé de lui, le voilà qui lève la main, j’essaie de l’ignorer au début, mais voilà qu’il commence à l’agiter dans tous les sens comme un vrai gamin à qui on refuse de lui donner la parole. « Oui ? » C’est avec un profond soupire de désespoir que la lui accorde enfin, regrettant déjà mon choix. Le voilà qu’il me questionne, qu’il fait le malin avec son accent. C’est avec un large sourire que je dépose la craie sur le petit bureau devant moi avant d’y prendre appuie et de relever la tête vers le trouble-fête.  « Peinte entre 1484 et 1485, on est face à une peinture typique de la représentation de la mythologie et du nu à cette époque. Botticceli a utilisé une technique de tempera pour cette œuvre qui est actuellement exposée à la Galerie des Offices à Florence en Toscane. Vous voulez peut-être que je vous parle aussi de l’architecture de cet édifice ? » J’ai peut-être fait quelque chose de très scolaire, mais si j’étais parti dans une vraie description de l’œuvre et de son peintre je me serais fait remonter les bretelles par le prof et je n’ai pas que ça à faire de me faire engueuler à cause d’une tête de mule comme lui. « Et pour l’écriture, je peux vous conseiller un très bon ophtalmologue si vous voulez. »

Je reprends doucement la suite de mon sujet initial,  entendant la voix de la jeune femme qui est présente à ses côtés, essayant de dédramatiser la situation et sûrement de calmer son ami. Je ne tire aucune satisfaction à répondre à ce genre de question, c’est un tableau classique que l’on étudie dans les premières années d’études en Histoire de l’art. « Vous n’êtes pas satisfait de ma réponse ? » Je le défie, il s’y connaît sûrement plus que moi, ce n’est pas non plus ma spécialisation, mais je sais encore me démerder sur le sujet. Je suis sûrement trop de fierté pour laisser passer et je vois déjà le regard désapprobateur du prof alors que les élèves ont l’air de s’amuser de la situation et sont même presque excités de voir la suite des choses.

Je viens de trouver un nouvel amusement, elle le sait et elle s’en effraye déjà la gamine qui peut prédire comment tout s’apprête à tourner. J’imagine ses petits yeux qui s’écarquillent déjà et les teintes de marron qui se démultiplient grâce aux rayons du soleil qui passent à travers les vitres de la pièce. Manière poétique de dire qu’il fait encore et toujours bien trop chaud dans ce pays de merde. « Auden, c'est quoi le mot en italien pour dire "coquillage"? J'ai oublié. » Mon attention reste focalisée sur mon ami (à mes yeux il est ce qui se rapproche le plus de la chose mais je doute qu’à la fin de la journée il pense autant de moi) alors que celle de la brune dévie et dérive de partout. Je ne prends même pas la peine de me plaindre de l’encre qu’elle ajoute à même ma peau mais ne manquerai pas d’en faire une critique plus que fondée dès lors qu’elle aura terminé ses gribouillages. J’espère pour elle qu’ils seront de qualité puisqu’elle ne pourra pas utiliser l’excuse de mon bras qui bouge trop, lui qui est justement parfaitement immobile contrairement au reste de mon corps. “Vermiciattolo.” Je lance à la volée alors que je tourne ma tête en sa direction simplement pour lui sourire un instant avant de me concentrer de nouveau sur l’orateur.

« Peinte entre 1484 et 1485, on est face à une peinture typique de la représentation de la mythologie et du nu à cette époque. Botticelli a utilisé une technique de tempera pour cette œuvre qui est actuellement exposée à la Galerie des Offices à Florence en Toscane. Vous voulez peut-être que je vous parle aussi de l’architecture de cet édifice ? » Et là, juste là, je me suis endormi avant la fin de sa tirade. J’ai demandé une année, j’ai demandé quatre chiffres, ça n’avait rien à voir avec son CV et toute sa science qu’il est en train de me donner sur un plateau d’argent. Une date, c’est tout. Le reste je l’ai déjà écouté, expliqué par des guides dans une langue ou une autre alors que je campais devant le tableau comme si j’étais chez moi. La Galleria degli Uffizi que je connais bien plus qu’il ne pourra jamais en apprendre d’une visite ou d’une autre, d’une série de photographies ou d’autres. Jamais ce qu’il connaît ne pourra rivaliser avec mes années d'errance et ma curiosité maladive, la gueule d’ange d’ado perdu qui contribuait beaucoup à ne pas me faire virer du musée dès son ouverture. “Par architecture on parle des fissures qui s’étendent bien plus sur les carreaux blancs que les noirs ? Ou de celle qui grandit peu à peu sur la façade ouest mais qui ne reste visible qu’en soirée quand le soleil se couche ?” C’est bien beau d’étudier le passé si personne n’est capable de préserver le présent. Ils s’attardent sur des détails qui ne sont d’aucune importance, ils donnent des noms à des courants et d’autres et découpent l’Histoire comme s’il s’agissait d’un putain de gâteau. Personne ne regarde vraiment, personne n’écoute. Personne ici ne sait ce qu’est que d’avoir le dos brûlé par les rayons du soleil après être reste plusieurs heures par jour devant le même buste à tenter d’en comprendre la technique. Mais ouais, parlons d’architecture, ça sera passionnant. Il comprendra bien rapidement que de nous deux il ne risque pas d’avoir le dernier mot et ce peu importe le sujet mais encore moins lorsque cela se rapport à mon pays. « Et pour l’écriture, je peux vous conseiller un très bon ophtalmologue si vous voulez. » “Merci ça ira, au contraire, je vois très bien les défauts de ta calligraphie.” Mon sourire s’étend alors que je ne porte pas davantage attention à ses paroles. Si cela se rapporte à lui et seulement à lui, tout devient bien moins intéressant soudainement. On aurait pu parler de la calligraphie de Da Vinci, par contre, et là ça aurait été cool.

J’étais sage. J’étais assis. Je ne parlais pas. J’allais voler le stylo de la brune pour lui faire pire encore, elle dont je sens le souffle s'accélérer et ses yeux se confondre en excuses dès que j’ouvre la bouche. Je vous jure que c’est pas ma faute, là. « Vous n’êtes pas satisfait de ma réponse ? » On est en là, pourtant. Ce qui devait être son soliloque se transforme en une joute verbale et bien loin de moi l’idée de fuir le champ de bataille, encore moins alors qu’il semble être si intéressant. Je laisse passer une seconde puis une autre parce qu’il est loin d’être ma priorité. Il s’agit là simplement du temps pour moi de voler le stylo de Ginny pour venir écrire le conchiglia sur le coin de son carnet laissé vide, là où elle n’avait sûrement pas prévu de noter autre chose qu’un croquis inspiré du réel qu’elle observe à chaque jour. “Oh, pardon, c’était pour moi ?” Ma voix s’élève, aiguë et faussement étonnée. “T’es sûrement le seul à disposer de la science infuse et je ne vois pas en quoi mon humble participation à la chose s’avérerait être d’une quelconque utilité.” Ce n’est pas un sprint, c’est un marathon. Ses nerfs vont lâcher, il va en oublier sa présentation (si ce n’est pas déjà fait) et il va simplement vouloir me tuer avant tout le reste. Je le sais parce qu’il ne sera ni le premier ni le dernier à qui ça arrive. “J’ai de vraies choses à faire après, par contre, donc si tu pouvais accélérer.”

“Vermiciattolo.”
« Non, c'est pas ça, je suis sûre que c'est pas ça... »

J'ai acquis avec les différentes années au compteur un échantillonnage aussi varié qu'impressionnant et coloré d'insultes et autres mots dégueulasses en italien. Je ne sais pas demander où sont les toilettes, j'ignore comment faire savoir à mon interlocuteur que le dessert qu'il m'a cuisiné est meilleur que tout ce que l'humanité a concocté de plus savoureux et de plus beau au monde. Mais pour écrire le scénario d'un film d'horreur bien glauque, ou pour être aussi vulgaire qu'impolie dans une conversation, ce serait mentir de dire qu'Auden n'a pas maîtrisé la tâche de m'apprendre comme un chef.  

La distraction donc, elle dure un temps. « Et pour l’écriture, je peux vous conseiller un très bon ophtalmologue si vous voulez. » avant que Liam n'en rajoute, et que leur conversation se noie d'un trop plein de testostérone et d'une infinité de piques toutes plus bouillantes les unes que les autres. La peau d'Aude l'est aussi, brûlante, quand mes doigts glacés ralentissent les dessins tracés qu'il ne voit même pas, lui qui voit sûrement noir déjà. “Merci ça ira, au contraire, je vois très bien les défauts de ta calligraphie.” « Ça me fait penser, j'aurais besoin de tes lunettes pour le prochain - » oh, Ginny. Essaie encore, essaie plus fort.

« Vous n’êtes pas satisfait de ma réponse ? » “Oh, pardon, c’était pour moi ?” Liam ne me rend pas le travail facile, mon cahier que Williams prend désormais en otage et mes prunelles qui passent de l'étudiant posté à l'avant à la bombe à retardement assis à gesticuler à ma gauche. “T’es sûrement le seul à disposer de la science infuse et je ne vois pas en quoi mon humble participation à la chose s’avérerait être d’une quelconque utilité.” ma paume cesse de tapoter une mélodie inventée sur le bois craquelé du bureau derrière lequel on est installés pour s'aventurer sur l'avant-bras d'un Auden hilare. Lui qui n'en a rien à battre de la suite, lui qui est là pour la grande finale et tous les actes d'avant, tout en s'étant naturellement attribué le rôle principal en plus de celui du protagoniste. “J’ai de vraies choses à faire après, par contre, donc si tu pouvais accélérer.”

Une ouverture que je prends de suite et d'assaut, chuchotant à son oreille aussi fourbe que naïve je puisse être. « Après on pourrait aller à la salle? » je demande jamais, à ce qu'on y aille. On fait juste y aller tout court, on fait juste s'y retrouver, toujours et tout le temps, sans horaire et sans planification et sans raison. « Et commander des pizzas. » ultime argument ici, quand il n'a rien mangé ce matin, je sais. C'est moi qui ai englouti son petit-déjeuner dans la voiture en venant jusqu'ici comme un gage servant à prouver peu importe quel point duquel je ne me rappelle même plus désormais. La faute à leurs excès, encore et toujours.

« Dehors. Tout de suite. »
« Et - oh. »

Y'a une grosse voix qui coupe la scène. Une grosse voix qui appartient à ce qui semble être un professeur, professeur qui scrute autant Liam qu'Auden - et que moi, apparemment. Professeur qui grogne et qui hausse autant le ton que le bras, pointant la grande porte de l'auditorium avec une autoritié qui me donne froid dans le dos. J'ai rien à y faire dans leur tableau de garçons arrogants se lançant la balle devant une classe qui en raffole, mais j'ouvre d'office la marche, ma main qui se referme sur le pan du hoodie de Auden qu'il porte miraculeusement aujourd'hui sans que je ne l'ai volé une seule fois encore.

Mon coeur bat dans mes tempes et mes joues ont atteint un nouveau niveau de rouge lorsqu'on se retrouve à quatre hors de la salle, le prof et sa grosse voix et désormais ses gros yeux qui complètement le spectacle. « Réglez vos comptes hors de ma salle de cours. Et retournez-y lorsque vous avez fini. »

Ce n’était pourtant pas si compliqué, je ne demandais qu’une seule et unique chose : LE SILENCE. Ce mot est trop peu respecté de nos jours, à chaque fois que j’entends un bruit venant du fond ça m’arrache de ma concentration et du sujet de mon mémoire. Et le pire d’entre tous, c’est lui, la gueule béante, machant son chewing-gum tel le roi des beaufs. Si ce n’était que ça, il se permet même de m’interrompre et de me poser une question aussi banale qu’une date sur un des plus célèbres tableaux de l’époque. Qui plus est, ce tableau je le connais mieux que quiconque, il entre dans ce sujet que je bosse depuis maintenant des années et des années, avant même que je n’entre à l’université : la réception de l’antiquité et ça c’est mon domaine. Il pourra bien me sortir n’importe quel nom en italien ou latin que ça ne changera rien. Vous pouvez vous moquer en définissant nos échanges comme un combat de coq, mais la vérité c’est qu’il a réussi ce que très peu de personne arrive à faire : m’exaspérer. Non seulement il se permet de m’interrompre, mais en plus il se permet de se foutre encore un peu plus de ma gueule avec ses questions à la con.

« Désolé mon cher monsieur si je vous ai blessé dans votre petit ego, mon travail n’est pas de savoir comment et qui se charge d’entretenir et rénover un édifice, je laisse volontiers ce travail à qui le voudra, travail que je respecterai bien évidemment. » Le ton est volontairement ironique, qu’est-ce que j’en ai à foutre de la première fissure d’un millimètre que l’on peut croiser à l’entrée de la Galerie des Offices ou bien de celle un peu plus profonde que l’on peut entrapercevoir entre deux piliers, comme si je n’avais que ça à faire. En plus de ça en dehors de changer de sujet qui était une peinture, il vient me parler d’architecture, je dois lui dire que ce sont deux formes d’arts totalement différentes ou il est au courant ? Ce n’était pas une putain de question que je lui posais, je voulais simplement qu’il la ferme. Pourquoi il faut toujours que les boulets me tombent dessus ? Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour mériter ça ? Je roule des yeux alors que ses mots ne deviennent que du vent à mes oreilles ne cherchant même pas à lui répondre, il devrait savoir que la calligraphie parfaite n’existe pas et que c’est justement les imperfections qui rendent quelque chose d’unique, sinon tout serait identique et chiant.  

Je reprends et il continue lui aussi, à parler je veux dire, à faire semblant de ne pas avoir compris ce que j’ai bien pu vouloir lui dire, de la fermer et d’attendre la fin si jamais il avait une remarque ou des questions, enfin c’est ce que des gens respectueux et civilisés font en règle générale, je l’ai peut-être un peu trop surestimé. « Vous savez de base vous n’êtes même pas élève ici ni même invité et encore moins contraint à rester, vous pouvez tout aussi bien monter les petits escaliers juste derrière vous et ouvrir la porte, promis elle n’est pas bloquée. » C’est le combla ça, ça va maintenant être de ma faute alors que non seulement il n’a rien à foutre là, mais en plus c’est lui qui vient briser ma vaine tentative de présenter le début de mon mémoire au reste de la classe. La voix rauque de mon professeur vient à son tour casser la dynamique alors que j'avais enfin réussi à la reprendre. Attendez, je vais vraiment manger à cause de ce débile ? C’est une blague là j’espère. Mes pas sont fermes et rapides alors que les traits de mon visage commencent à s’étirer, ça ne m’était encore jamais arrivé de me faire reprendre comme ça par un prof – non je ne suis pas non plus un fayot pour autant -. « Mais je n’ai rien à dire moi, d’ailleurs qu’est-ce qu’il fout encore là ? Il n’est même pas élève dans notre université ! » Si je me permets de parler comme ça c’est que je le connais bien M. Resh, je l’ai en tant que professeur depuis bientôt trois ans maintenant et j’aimerais bien savoir ce qu’il attend pour dégager le trouble-fête. « Je me demande bien ce qu’une fille aussi calme peut bien foutre avec un tel énergumène qui ne sait visiblement pas comment être civilisé. » Mes mots sont peut-être durs, mais mes poings sont serrés à m’en faire presque saigner la paume. Je ne me souviens même pas de la dernière fois où j’ai bien pu être dans un tel état, cependant je ne vais pas lui donner le plaisir de le péter ce fameux câble.

Il s’exaspère, je m’amuse et Ginny tente de réparer le tout. Je pense qu’on vient d’atteindre notre équilibre et pour ma part je pourrais continuer à jouer à ce petit jeu pendant des années encore. Lui non, j’imagine, et son maître de stage (ou peu importe qui il est) encore moins si j’en crois ses paroles. Mon sourire n’en est que plus grand à ce moment ci, Ginny n’est que plus terrifiée encore et Liam, lui, totalement outré. L’expression qui se dessine sur son visage m’amuse presque autant que la réplique qu’il lance pour tenter de se faire dédouaner de ses fautes - en somme, il joue au fayot. « Mais je n’ai rien à dire moi, d’ailleurs qu’est-ce qu’il fout encore là ? Il n’est même pas élève dans notre université ! » Vous parlez d’une taupe, vous.

« Réglez vos comptes hors de ma salle de cours. Et retournez-y lorsque vous avez fini. »

S’il a le poing serré alors le mien l’est davantage encore. S’il est sur le point de m’en coller une alors j’en suis plus proche encore. S’il est sur le point de faire quoi que ce soit, à vrai dire, je vais mal l’interpréter et le frapper parce que ça a l’air tout ce qu’il mérite. Il a dépassé des limites et je me moque de savoir qu’il n’était même pas au courant puisque ça, là, justement, ça n’est en rien mon problème et mon regard noir qui ne voit plus que lui le traduit assez aisément.

Et si jusque là je prenais tout avec amusement et une décontraction des plus totales, tout vacille dès lors qu’on commence à parler de Ginny et la mêler à notre querelle sans qu’il n’en ai aucunement le droit. « Je me demande bien ce qu’une fille aussi calme peut bien foutre avec un tel énergumène qui ne sait visiblement pas comment être civilisé. » Je me demande bien ce qu’il peut y connaître dans le milieu avec son putain de balais coincé dans le cul. C’est aussi à ce moment que le coup se perd sans prévenir, je crois. Je ne l’ai pas préparé, je l’ai encore moins voulu, mais il méritait d’être remis à sa place et pour se faire je ne vois autre chose que les coups. Ultimement, mon poing vient donc se loger contre sa mâchoire et à partir de ce moment je peux enfin tenter de me calmer à mon tour, continuant mon chemin comme si de rien n’était. Il vaut surement mieux pour tout le monde qu’on en reste là. “On a fini.” J’annonce et anticipe qu’il ne réponde pas de la même manière à son tour pour tout simplement retourner à sa petite vie paisible et sa présentation devant tous ces étudiants qui n’en auront sûrement rien à faire. Mais comme il l’a dit lui même : ce sont des étudiants, eux.

Je laisse à Ginny tout la latitude de vérifier qu’il aille bien quand bien même cela semble évident, je sais que pour tout le monde cela ne paraît pas aussi évident. Ce n’était qu’un coup et je n’ai même pas visé son nez. Il n’aura même pas de bleu, seulement une douleur diffuse et aucune preuve. Il ira bien et avec un peu de chance il jouera moins à Monsieur-Je-Sais-Tout.

C'est le chaos, c'est l'Apocalypse, c'est Bagdad et c'est encore pire quand l'enseignant nous sort à trois dans le couloir beaucoup trop éclairé de néons qui rendent la scène bien pire qu'elle ne l'était déjà. « Mais je n’ai rien à dire moi, d’ailleurs qu’est-ce qu’il fout encore là ? Il n’est même pas élève dans notre université ! » de base, on venait avec de bonnes intentions, j'en suis certaine et je le jure. C'est simplement qu'Auden a une manière bien à lui de montrer son support, et que Liam en a facilement reçu un extrait aujourd'hui. C'est pas contre lui au contraire, et si Williams avait pu le lui dire dans un langage que Taylor aurait compris, je suis même quasi persuadée qu'il lui aurait dit qu'il a confiance en ses connaissances et en ses capacités. On a pas eu le temps de se rendre au chapitre larmoyant de la journée visiblement, et c'est bien ça le drame.

« Je me demande bien ce qu’une fille aussi calme peut bien foutre avec un tel énergumène qui ne sait visiblement pas comment être civilisé. » Liam, que fais-tu.

Instinctivement, mes pas s'éloignent d'un mouvement de recul, sachant déjà que ce n'est ni l'endroit, ni le moment, ni le sujet et encore moins le bon interlocuteur pour avancer des trucs du genre. Le secret le mieux (moins) gardé de l'histoire de l'humanité réside dans le pourquoi du comment Auden et Ginny sont Auden et Ginny justement. Et la journée est trop jeune et la conversation est trop intense et les motifs sont trop édulcorés pour que ça se termine bien. J'ai à peine le temps d'étirer la main pour espérer la poser en guise de calmant sur l'avant-bras d'Auden que sa main à lui se dévoue à ramener Liam à l'ordre d'un coup net, sec. “On a fini.” oh que oui, ils ont fini. Personne ne relancera le moindre coup, personne ne m'utilisera pour mettre le feu aux poudres. Auden s'élance déjà vers la salle quand je me hisse à la hauteur du visage de Liam pour constater les dégâts. « Des tranches de pommes de terre sur ton nez, et demain tout ira bien. » je souffle, consciente que ça ne vaut absolument pas des excuses, mais c'est au mieux de mes capacités pour avoir usé du remède sur Matt - et Aude - des dizaines de fois déjà.

L'instant d'après, c'est mon air désolé qui s'éloigne de reculons, m'assurant qu'il ne tente pas de rattraper Auden quand je sais qu'autant pour lui que pour eux, ça ne se terminerait terriblement mal si l'idée d'en faire une bagarre sans fond ni loi lui venait à l'esprit.

Je savais que c’était une mauvaise idée, je savais que le prof n’avait pas fait son travail en dégageant purement et simplement le trouble-fête de l’amphi où je devais initialement présenter le sujet mon sujet de mémoire. Je savais à la première réaction d’Auden qu’il était parti pour me casser les coquilles jusqu’au bout, qu’il allait faire son intéressant, s’engager dans un combat de coq que ma fierté ne pouvait clairement pas lui laisser la " victoire ". De là à ce que je me retrouve à être sorti comme une merde, comme un prof le fait avec ses gamins de dix ans quand ils sont un peu trop excités en classe, s’en était trop. Je n’avais rien demandé, juste un putain de respect et de silence, je lui aurais laissé tout le loisir de me faire chier à la fin s’il avait des commentaires tout aussi inutiles qu’insignifiantes à me faire. Comme si ça ne suffisait pas une fois dehors il ne dit plus rien, je ne peux voir que son sourire à la con continuer de me narguer comme s’il avait réussi ce pour quoi il était venu. Je ne suis pas quelqu’un qui est violent de nature et il s’en sort plutôt bien Auden, parce que je vous jure qu’il s’en mangerait une tellement belle qu’il s’en souviendrait encore d’ici quelques temps. Une putain de chance oui et je ne l’ai pas eu de mon côté. Sous l’impulsion de la colère et sans pouvoir l’exprimer avec mon poing c’est avec les mots que je m’emporte de nouveau en mêlant la troisième personne expulsée du cours à nos petites affaires. L’instant d’après sans même comprendre je me retrouve le cul par terre, une douleur au visage se faisant de plus en plus forte. Pris au dépourvu, Auden ne s’est pas gêné pour franchir la limite de la violence que je m’étais forcé de ne pas briser avant de s’enfuir comme un lâche tournant les talons vers les escaliers qui mènent à la sortie du bâtiment. « Et là vous n’allez rien dire ? Vous allez laisser un inconnu rentrer comme ça dans votre cours et tabasser vos élèves ? » Le professeur qui était sorti lui aussi pour voir si la situation s’était calmée essaie de me relever, mais je rejette sa main violemment, préférant me démerder seul que d’accepter son aide, sûrement encore ma fierté bafouée qui parle. Je lui fais alors signe que je vais à l’infirmerie avant d’ajouter que je passerai chercher mes affaires plus tard. J’essaie encore de digérer la situation alors que je me retrouve à seulement quelques mètres de l’infirmerie, ma main toujours contre mon nez qui continue de saigner. Avec un peu de chance il n’est pas cassé, je suppose que ça ferait légèrement plus mal non ? La colère ne cesse de monter alors qu’Auden ne se trouve même plus dans le coin. « Putain, fais chier. » C’est sans réfléchir que finalement mon poing se serre et vient frapper le mur, sans surprise la douleur ne se situe plus qu’au nez alors que j’arrive finalement devant l’infirmière que me regarde avec un air surpris. « On m’a frappé au visage. Je crois que je vais aussi avoir besoin d’une attelle et d’une radio pour ma main. »