L’inspection était minutieuse. Presque militaire. À force de brasser de l’air, Chad attisait ses névroses. Trois fois qu’il faisait le tour de la pièce qu’un grain de poussière attira pourtant son attention. Il gisait là de toute sa légèreté, en le narguant sur le sol immaculé. Du bout des doigts il s’en empara, avant de s’en débarrasser par la fenêtre grande ouverte qui donnait sur la rue, comme un insecte qu’il rendait à la nature. Dire qu’il n’était pas si maniaque d’ordinaire serait un mensonge, mais il était particulièrement aux petits soins pour cette chambre qu’il avait réaménagée en salle de sport, et dans laquelle il avait évacué nombre de ses récentes frustrations. Le matériel qu’il avait récupéré était sommaire. Rien de plus qu’un vélo elliptique et un banc de musculation, sans compter les rangées d’haltères qui trônaient sur un présentoir en acier noir sous la fenêtre. Un miroir sur pied et des étagères pour les serviettes complétaient sa modeste installation, le tout dans un style très épuré. Un bleu canard sur un mur pour trancher dans un océan de blanc. Chad avait mis autant d’effort que de passion dans ce qu’il considérait comme un entraînement. Un jour il l’aurait, sa salle à lui. Seul élément de décoration, l’horloge murale en métal cuivré lui signala d’un coup d’œil qu’il serait peut-être bon de rappeler à son frère leur rendez-vous. Le jeune homme faisait partie de ces gens assez humbles pour s’enquérir des nouvelles des autres sans avoir l’impression d’entacher leur ego. C’était bien sa seule vertu quand il était question de fierté, d’ailleurs. À l’autre bout du fil, Liam s’était efforcé de masquer sa surprise derrière un ton vraisemblablement assuré. Bien-sûr qu’il avait oublié, mais Chad n’était ni vexé ni même réticent à l’idée d’être la tête pensante de leur duo. La planification était son vice, pas celui du reste de la fratrie, fougueuse et motivée par l’instinct. Il était assez méthodique pour trois. Sa proposition n’était pas plus un aveu subtil du relâchement de son frère qu’un projet de passer du temps en sa compagnie. Leurs belles années étaient derrière eux, alors que la quarantaine se profilait. Chad délogea deux tapis qu’il apporta au salon. Le programme qu’il avait élaboré ne nécessitait rien d’autre qu’une paire de bras et de jambes et un peu d’entrain. En attendant, il s’activa à la confection de quelques jus frais. Ananas, kiwi... le plan de travail fut bientôt une benne à composte. La sonnerie retentit. Les mains collantes, Chad entreprit de les passer sous l’eau deux secondes. Deuxième sonnerie. Il se pressa à son tour comme un citron, avant de se diriger en petites foulées à la porte. Troisième sonnerie. « Dis donc, je t’aurais pas cru si impatient de me voir. Le bikini body c’est pas pour tout de suite. » taquina-t-il à peine la porte ouverte. Ils échangèrent aussitôt une accolade moins machinale qu’affectueuse. Liam lui tendit un pack de bière qu’il attrapa à la volée, et qu’il s’empressa de déposer au réfrigérateur. « J’aime la bière, mais tu sais que c’est à peu près les calories qu’on va dépenser juste avant ? » exagéra-t-il, le nez dans le réfrigérateur, dans le but de faire culpabiliser son frère. Il était donc là le secret de ses abdos disparus. Liam implora sa clémence, et le coach insista donc pour quelques minutes d’échauffement. Rien de mieux que des burpees pour activer tous les muscles du corps. Chad donna le tempo, et sans tergiversation ils s’élancèrent dans l’exercice.  À peine dix secondes s’étaient égrenées quand Liam lui avait annoncé avec une détente déconcertante que leur aîné avait lui aussi atterri à l’hôpital. C’était décidément un passage obligatoire pour les Taylor en ce moment. Chad s’arrêta net. « Rien de grave ? On devrait pas plutôt être là-bas ? » s’enquit-il, anxieux à l’idée de passer pour un frère indigne. Il devinait à la compagnie de Liam que l’état de leur frère était stable et n’exigeait pas plus leur sollicitude immédiate que leur présence à son chevet. Pourquoi ne l’avait-il pas prévenu lui-même ? Était-ce sa façon de lui faire payer leur dernière entrevue en demi-teinte ? « Tu sais ce qui lui est arrivé ? J’arrive pas à croire que je suis même pas au courant. » dit-il indigné de se savoir en bout de chaîne des informations. À cette heure, la question n’était pas de déterminer s’il allait rendre visite à son frère, mais plutôt le degré d’inquiétude qu’il était censé apporter à cette nouvelle.

Les brimades fusaient par-dessus leurs têtes enjouées. Le culte de l’apparence était une obsession familiale, et si Chad s’en amusait il ne se sentait pas moins concerné. En vérité, il n’était pas plus inquiet d’approcher de la quarantaine que d’être célibataire. Après 3 ans, pouvait-il vraiment qualifier son divorce de récent ? Y avait-il prescription dans ce domaine ? Malgré son assurance il n’ignorait pas que sa communauté l’avait déjà mis au rebut, et qu’il était condamné à devoir composer avec ce qu’il restait. C’était un miracle que Casey soit encore disposé à lui ouvrir les bras, alors qu’il avait entrevu pour lui un avenir sentimental plus prospère que celui auquel il s’était résigné. Ou peut-être était-ce un énième signe du destin ? Il se demandait si Liam était toujours si sévère avec son estime personnelle, ou si ce n’était pas qu’une envie à peine subtile de se faire mousser. Il avait la chance d’avoir un métabolisme bienveillant, et pas même une ride au coin des yeux. Chad ne doutait pas qu’une remise en forme de quelques semaines lui suffirait pour perdre 10 ans. « T’es dur avec toi-même. Enfin, plus dur que tes abdos. » taquina-t-il pour ne pas le contraindre au relâchement. Il y avait peut-être même une femme pour motiver cette volonté soudaine, mais c’était un terrain sur lequel il n’avait pas envie de s’aventurer sans amorce. « T’inquiète pas on les boira ces bières. » le rassura-t-il après avoir refermé le frigo. Ils avaient entamé l’échauffement quand son frère lui annonça la nouvelle. Il fallait une ambition secrète pour vouloir expédier un sujet à ce point. La concision avec laquelle Liam avait décrit l’état de leur frère trahissait une envie certaine de ne pas se mêler d’une mésentente de laquelle il était vraisemblablement au courant. Ce qu’il ignorait en revanche, c’était qu’Amos avait délibérément choisi de le mettre à l’écart, et il ne lui avait pas fallu plus d’une seconde pour regretter sa naïveté. Chad n’était pas plus disposé à bâcler ce sujet que son frère ne l’était à jouer les médiateurs. Entre eux s’était dressé le mur opaque de tous ces non-dits avec lesquels Amos l’avait quitté la dernière fois, un peu amer de constater que leur maturité respective ne les rendait pas plus enclins aux confidences. Liam en avait sans doute assez de devoir arbitrer leurs humeurs lunatiques, et avait décidé de se satisfaire de son rôle d’acteur impartial dans la relation qu’il entretenait avec les deux. Chad le connaissait assez cependant pour se consoler de ses imprécisions, plutôt que de se perdre dans une angoisse que leur mère éprouvait assez pour toute la famille. Il relativisa, alors que la déception dépassait ses inquiétudes. Des côtes fracturées, c’était bien plus que ce dont il avait écopé en se prenant un arbre sur la tête. Sceptique, il avait froncé les sourcils et s’était résigné dans un hochement d’épaules. Liam n’avait pas envie de colporter des informations dont leur aîné avait fait la rétention de son plein gré. C’était tout à son honneur, et ne faisait que conforter la confiance qu’il lui accordait déjà. Il concéda tout de même le minimum syndical, celui là même qu’on donnait en pâture à une curiosité excessive pour l’occuper deux minutes, juste le temps de changer de sujet. L’accident avait dû être violent, et les circonstances suffisamment aggravantes pour intimer le silence d’Amos, mais Chad n’avait pas envie de mettre son frère en porte-à-faux en l’obligeant à faire des aveux qu’il n’était pas légitime à formuler. « Ok je ne te demanderai pas comment et pourquoi c’est arrivé. » dit-il de façon tout à fait rhétorique afin de lui signifier sa frustration. Il avait pourtant accepté de ne pas trop s’attarder sur les détails que son frère avait décidé de taire, par respect sans doute, ou simplement par ignorance. Les raisons n’étaient plus véritablement importantes. À la place, il se tourna vers le tableau à trépied qu’il avait disposé sournoisement dans la pièce. « On commence avec un tabata. 45 secondes d’efforts, 15 secondes de récupération. Et ce pendant 4 min. Ça te va ? » avait-il annoncé sans vraiment lui laisser le choix. Ce n’était pas tant une vengeance que le programme qu’il avait initialement programmé, quoique légèrement rehaussé. La première série s’acheva, et Liam lui proposa aussitôt une visite groupée. Geste sincère ou tentative d’apaisement, Chad céda volontiers. « On peut faire ça oui. Même si j’aurais quand même préféré qu’on se retrouve tous dans de meilleures circonstances... ne va pas nous faire un drame toi aussi, tu sais ce qu’on dit... jamais deux sans trois. » avisa-t-il alors que la cloche avait annoncé le début de la prochaine série. Après quelques minutes l’effort était laborieux, mais c’était dans ces moments que le muscle travaillait le plus. Du moins c’était ce que Chad prétendait pour encourager ses troupes au bord de l’inanition. « Et sinon toi ça va ? Il y a quelqu’un derrière tout ça ? » lança-t-il en pointant son torse du bout des doigts.

Les sarcasmes recelaient toujours une part de vérité. Chad s’en servait moins pour se moquer de son frère que pour éluder ses propres incertitudes. Et Liam, en le flattant de la sorte, ne faisait que mettre le doigt sur les quelques situations dont il gardait studieusement le contrôle. Tous les deux étaient doués pour suggérer les choses et préserver la susceptibilité des gens. Et cela les rendait fatalement très mauvais pour s'immiscer dans leurs vies respectives. Par excès de pudeur plutôt que par manque de curiosité, ce qui n’était plus le cas de leur aîné depuis qu’il croyait être l’unique détenteur d’informations sur les véritables circonstances de son divorce. Au fond Chad connaissait Liam plus intrusif, mais il avait lui-même imposé cette barrière entre lui et ses secrets. Tous ces faux semblants commençaient à lui peser sans qu’il ne sache comment revenir en arrière. Comment pouvait-il effacer des habitudes que les autres avaient pris par courtoisie concernant sa vie privée ? Comment pouvait-il les amener à lui tendre des perches qu’il avait si longtemps négligées ? « Tu sais il y a plein de femmes qui aiment les ventres à bière. » avait-il lancé un peu condescendant, car ces personnes qui se contentaient de moins pour justifier leur inertie n’arrangeaient pas ses affaires. Finalement s’il continuait d’entretenir son corps, c’était surtout parce qu’elle était sa plus ostensible carte de visite. Et aussi parce que son rôle au sein de la brigade exigeait une forme physique constante. Il n’avait pas plus de mérite à cultiver ses abdos que Liam en avait dans l’éminence de ses recherches ou dans le développement de sa matière grise. La parenthèse sur leur aîné fut bien vite refermée, ce qui tout compte fait n’était pas pour lui déplaire. Chad était déjà convaincu que le temps ferait le travail, même s’il le savait parfois particulièrement nonchalant pour éroder les rancœurs. « Oui, je lui avais déjà promis un verre à ma sortie de l’hôpital… Je pense qu’il attend que je fasse le premier pas pour une fois et je peux pas lui en vouloir. » Il était au moins lucide sur leur relation, à défaut d’être entreprenant. Amos avait souvent la manie de l’intimider, et il avait vu d’un mauvais œil sa tentative de lui faire cracher une vérité qu’il connaissait déjà. Ce verre partagé il en avait envie, mais c’était aussi la promesse d’une discussion qu’il avait repoussée toute sa vie, et qu’il continuait de repousser sans la certitude d’être prêt. Il avala une gorgée d’eau à son tour, pendant que Liam réfléchissait sans doute à la manière dont il allait à son tour éluder sa question. Après tout, Chad n’était pas plus légitime à entendre les tribulations de la vie sentimentale de ses frères qu’il n’était disposé à révéler les siennes. Sans surprise Liam avait d’abord esquivé le sujet, puis s’était ravisé pour lui dérouler les faits avec la neutralité et toute l’opacité qu’il était en droit d’exiger. Il n’y avait non pas une femme mais deux. L’évidence et la complexité. L’ancien Chad lui aurait sans doute conseillé de rester sur le chemin accommodant de la facilité, mais l’échec de son mariage avait achevé de le convaincre que ce n’était pas toujours le meilleur choix. « Ça dépend si ton opposé à les qualités que tu aimerais bien voir chez toi. L’équilibre c’est bien parfois, et ça permet de se tirer vers le haut. » répondit-il avec autant d’ésotérisme. Il avait très certainement pensé à Casey pour puiser cette sagesse inopinée. Si on lui avait dit que ce cours finirait en discussion philosophique sur les attirances humaines. « Franchement dis-toi que c’est surtout parce que tu es le dernier d’entre nous pour lequel elle a encore de l’espoir. On est pile dans les statistiques dans la famille, 50 % de divorces… Toute façon tu sais ce qu’on dit, mariage plus vieux mariage heureux. Te mets surtout pas la pression, elle finira par trouver une nouvelle lubie. » Liam avait enchaîné la nouvelle série tandis qu’il le toisait du haut de sa taille. Il s’autorisa une ultime indiscrétion lorsque le gong retentit. « Elles s’appellent comment ? Ou il d'ailleurs, qu’est-ce que j’en sais ? » s’était-il risqué alors que son cœur s’emballait déjà. Ce sujet lui provoquait toujours des palpitations, mais il était aussi assez rodé pour avoir remarqué l’adresse avec laquelle son frère avait évité le genre dans la description de ses prétendants.

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Je ne peux m’empêcher de sourire à l’entendre parler de ventre à bière, le pire c’est qu’il n’a pas forcément tort, ça se rapproche plus de ça que de réels abdos quand on les regarde. Mes yeux dévient vers mon ventre et même si j’ai encore un peu de marge avant que ce soit officiellement un ventre à bière je m’en rapproche tout doucement. « Ouais, ça c’est ce qu’on dit pour rassurer les gros buveurs de bières. » Je lâche un rire alors que je regrette que ça n’arrive pas plus souvent. Ce n’est un secret pour personne que la communication est notre plus gros défaut et probablement une des raisons de cet éloignement que subit notre fratrie petit à petit. Ce ne sont pas vraiment des choses qui se disent de vive voix, alors j’attends patiemment, discutant de tout et de rien afin de la réinstaller petit à petit, je ne sais pas si ça marche vraiment, mais il faut bien commencer quelque part. Avec Chad c’est tout de même moins compliqué, même si on ne se dit pas vraiment tout – y compris la vraie raison du divorce de Chad – c’est tout de même avec lui que j’ai le moins de mal à communiquer. « Attendre de faire le premier pas, l’histoire de toute notre fratrie hahaha. » Je ne me moque pas de mon frère bien au contraire, mais ça serait idiot de niais que j’ai tort. La preuve en est quand on a parlé de l’accident d’Amos, Chad n’était pas au courant et visiblement notre aîné ne voulait pas vraiment le faire ce fameux premier pas pour oublier la petite dispute qu’il y a eu entre eux deux. Je veux qu’on se retrouve tous autour d’une table, boire une bière, se raconter des conneries et même si j’essaie de renouer le contact, je ne pense pas que me mêler des problèmes que mes frères ont entre eux ne soit la bonne décision, alors j’avais préféré les laisser se débrouiller si jamais ils n’avaient pas envie de m’en parler. « Il n’aura pas le choix de l’accepter, enfin je ne lui laisserai pas le choix. Je l’ai toujours intimidé notre aîné. » Pas du tout, j’étais même l’une de ses victimes préférées avec Chad quand il avait décidé de nous faire chier quand on était plus jeune, mais on va faire comme s’il ne s’en souvenait pas. La pause entre deux exercices fait un bien fou, se dégourdir les bras, les laisser se reposer, c’est une sensation que je savoure chaque seconde avant de reprendre de plus belle. Cette pause me laisse aussi le temps de réfléchir, à trouver les mots pour lui confier quelque chose que je n’ose pas vraiment faire d’habitude, parler de mes sentiments, mes relations avec les femmes. C’est peut-être après tout la bonne solution et le bon moment pour que Chad se rende compte que je n’ai aucun secrets pour lui, enfin aucun d’importance. « Hum… Pas vraiment, enfin ce n’est pas non plus un monstre, mais rien n’aurait laissé présager qu’elle hante certains de mes rêves. » Je fais peut-être un peu trop dans la romance là non ? Je le laisse continuer alors que je commence à m’étirer les bras, me préparant pour la suite. Il m’étonne à ne pas parler de maman avec si peu de violence, dans ma tête il lui en voulait encore pas mal ou je me suis peut-être fait des films, comme d’habitude… « C’est pas plutôt mariage pluvieux ? » Je suis presque sûr que si, mais je ris à le voir essayer de me dire que ce n’est que de passage cet acharnement sur moi. En tout cas je comprends ce que Chad a bien pu ressentir pendant plusieurs années, lui qui a été le chouchou de la matriarche avant de la décevoir comme jamais quand il a divorcé avec Kelly.  J’hésite un instant à aller plus loin dans mes confessions, est-ce que je dois vraiment aller jusqu’à mettre un prénom sur le visage qu’il doit sûrement essayer de se dessiner dans la tête ? « Elle s’appelle Chloe, on s’est rencontré dans un parc alors qu’on faisait notre jogging matinal et on s’est même étonné à voir qu’on est voisins. » Un léger sourire se dessine sur mes lèvres alors que je repense à tous ses clients venant demander conseils à la jeune femme, des gens qui ont besoin de l’aide d’une assistance sociale. « Mais il y a aussi Diana, notre rencontre est un peu plus… Comment dire… En gros elle ne s’est pas faite de la meilleure façon. Elle a eu un accident de voiture, assez grave et j’étais là, sur place. J’ai tout de suite porté les premiers secours et appelé les urgences. On a gardé contact depuis, je prends régulièrement de ses nouvelles. » Je vais peut-être passer les détails sur le fait que c’est peut-être un signe du Destin, un malheureux signe je le conçois. Mais elle est totalement différente de Chloe ça c’est une certitude et même si on se voit moins souvent, je n’arrive également pas à me la retirer de ma tête. « Et toi alors, ça en est où depuis ton divorce ? » Le sourire du petit con de service s’affiche sur mes lèvres alors que je suis persuadé qu’il ne peut pas n’avoir rien à me dire depuis son divorce avec Kelly.

@Chad Taylor

Plus que du mépris, c'était une forme de défiance qui régissait les relations de la fratrie Taylor. Chad n'était finalement pas le seul à s'éloigner du parcours de ses frères pour se donner l'illusion de faire ses propres choix. Au bout du compte, c'était peut-être bien Liam qui avait le plus appris de leurs erreurs respectives, et qui continuait de progresser en contournant scrupuleusement – avec compassion et non dédain – les débris de leurs vies sentimentales. N'était-il pas de fait le seul électron libre de la famille ? Le seul qui ne s'était pas vautré dans un mariage voué à l'échec juste pour satisfaire les désirs égoïstes de leur mère ? Chad l'enviait presque aujourd'hui. De ne pas avoir connu cette déception. De garder un soupçon de naïveté dans sa façon d'aborder les relations amoureuses, ou même dans la perception de son propre corps. Et il l'écoutait avec intérêt, et surtout avec crédulité, quand il lui assurait pouvoir imposer sa volonté à Amos. A le regarder, Liam était loin d'intimider, et la perspective était d'autant plus ironique quand on connaissait la carrure et le tempérament exalté de leur aîné. Il avait simplement développé une certaine sagesse à leurs yeux. Malgré lui, grâce à son calme et l'apparente maîtrise qu'il exerçait sur sa vie, il s'était imposé comme un modèle de raison. Voilà pourquoi Amos se pliait parfois à sa volonté, et pourquoi Chad le croyait quand il lui dressait le tableau d'une famille réconciliée. « Je crois qu'il t'écoute surtout parce que, contrairement à lui, tu as le don de réfléchir avant d'agir. » répliqua-t-il avec neutralité, car de sa bouche ce n'était pas tant un reproche qu'un trait de caractère dont il aurait parfois aimé faire preuve. Chad était lui-même très dur et intransigeant dans ses rapports avec sa famille, là où il était tempéré dans ses relations amicales et professionnelles. Un seul mot de travers suffisait à le braquer, sans doute parce qu'il avait énormément de raisons de s'en vouloir, et qu'il était foncièrement trop orgueilleux pour accepter de se repentir. « Non ça c'est ce que tout le monde croit. » dit-il un peu amusé pour étaler ses connaissances en matière de proverbes mielleux. Avec n'importe qui d'autre il aurait pu paraître hautain, mais avec Liam c'était moins une bataille d’ego qu'un simple concours de rhétorique. L'hésitation avait succédé aux confidences. De toute évidence Liam n'était pas pas tout à fait certain de vouloir exposer ses incertitudes à un frère qui en était rempli. Par politesse ou par mépris, Chad aurait accepté dans tous les cas d'en rester à l'évocation tout à fait superficielle de ses émois. Jusque là il ne s'était même pas permis d'imaginer, mais avait juste envisagé de se réjouir pour lui. La pause s'étira, mais le jeune homme était trop curieux pour commander à son frère de repartir pour un tour. Ce fut donc naturellement et tacitement qu'ils reprirent leur souffle, entre deux confessions. L'exposé de Liam laissait peu de place au doute. S'il avait décrit sa rencontre avec Chloe de la plus banale des façons, il avait davantage mis les formes avec Diana, comme pour se déculpabiliser d'avoir des sentiments à son égard. « De ce que je comprends, c'est Diana qui te rend le moins indifférent. » résuma-t-il en hochant les épaules, comme si c'était une évidence qui sautait aux yeux. La vie ordinaire et rangée, il l'avait lui-même expérimentée, et ce n'était pas un choix qu'il préconisait à son frère. Bien évidemment ce fut à son tour de se livrer, et si son cœur s'était emballé, il était aussi reconnaissant à Liam de ne pas avoir saisi la perche. Il n'était pas prêt à dire la vérité, et le mensonge était si ancré dans sa tête qu'il l'avait déballé avec la plus convaincante des convictions. « Je sais pas, ça fait déjà deux ans et pourtant j'ai l'impression que c'était hier. J'aimerais bien refaire ma vie, mais j'ai l'impression d'être bloqué tant que tous nos problèmes ne seront pas réglés avec Kelly. Ce serait comme la trahir... » Il ne croyait pas si bien dire. Il l'avait déjà trahie, et chaque jour que ses sentiments pour Casey grandissaient il voyait s'éloigner la possibilité d'une réconciliation. Ce n'était pourtant pas totalement faux, alors qu'il réalisait subitement pourquoi sa relation avec son ancien amant progressait si laborieusement.

Spoiler:

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Il n’y avait qu’une idée qui servait de motivation à Liam, à ce moment-là plus que jamais. Chaque membre de sa famille était désireux de faire un pas en avant et ça c’était le signe qu’ils étaient prêts à passer outre les mauvais échanges qu’il y a bien pu avoir avant. C’était son assurance que Marius n’avait peut-être pas raison dans le fait que Liam mettait trop d’énergie dans une tâche qui pour lui était perdu d’avance au vue de ce qu’il a expérimenté chez les Warren. Chad présent devant lui tout comme leur ainé ou Zach, l'historien était prêt à tout pardonner si ça leur permettait de voir que quelqu’un a enfin osé faire le premier pas. « Il n’y aurait pas autant de problèmes de communications s’il en était autrement ça c’est sûr. »  La tête baissée et un sourire en coin de bouche Liam ne lançait le blâme à personne – ça aurait été plus ou moins contreproductif – Ses frères commençaient à un peu plus se confesser, s’ouvrir à lui. Il a appris malgré lui à faire dans la retenue pour éviter que l’un ou l’autre ne se braque trop et ne lui tourne le dos à nouveau, prendre avec des pincettes n’a jamais était plus vrai qu'à cet instant. Liam s’interrogea sur la réponse de son frère, non pas qu’il était crédule pour croire à ce genre de superstition, mais c’est plus le côté où tout le monde s’amuse à le dire sous cette forme alors que ça serait visiblement totalement faux. Si jusque là Liam se portait très bien dans la discussion son frère se montra plus curieux qu’à son habitude. Liam n’a jamais eu l’habitude de parler de ses histoires personnelles, surtout quand elles sont aussi incertaines de son côté. C’est le genre de moment qui arrive peu souvent à l’historien et encore moins quand il s’agit de relation sentimentale. Lui qui n’a connu que deux relations sérieuses, deux relations où il avait mis du sien, mais ça s’est toujours terminé au moment où il s’y attendait le moins. « On va dire que c’est plus simple, moins compliqué et plus innocent comme relation. Mais je ne sais pas… ça doit bien te faire rire de me voir aussi indices sur un sujet et encore plus sur celui-ci… » Un clin d’œil accompagné d’un sourire les pensées de Liam continuaient de divaguer depuis qu’ils s’étaient tous les deux engagés sur ce terrain. Liam s’assit et posa ses bras sur ses genoux, profitant de la pause accordée par son frère. « Je dois sûrement m’emporter, de toute façon il ne s’est jamais vraiment rien passé avec qui que ce soit. » L’historien ne voulait pas se l’avouer et le faire devant son frère - qui a connu lui aussi son lot de surprise en relation amoureuse – le fait se sentir encore un peu plus stupide. Pour lui ce genre de dilemme ne se posait que pour les adolescents ou les personnes qui ne savaient jamais quoi faire de leur propre chef, à cet instant il en faisait lui aussi partie. Liam rebondit en changer le rôle en prenant celui du conseiller. Les aveux de son frère ne faisaient que lui rappeler qu’il n’a jamais vraiment connu les causes du divorce et qu’il ne les connaitra probablement jamais. Pour lui c’était peut-être le moment ou jamais de le faire alors que Liam en avait déjà un peu trop dit, mais l’habitude faisait son travail et Liam ne le prit pas mal. « Tu sais, j’adore Kelly, vraiment et ça va peut-être te paraître cru surtout venant de moi, mais on ne peut pas toujours vivre pour les autres. » Il n’y avait probablement pas plus altruiste avec les autres que Liam dans la fratrie, mais il a rapidement appris en grandissent qu’il fallait aussi parfois un peu penser à soi et parfois si nécessaire ne pas se soucier de ce que ça pourrait bien faire aux autres tant que ça reste dans le respect. « On ne peut pas toujours vivre dans le passé ou être là à se demander si telle ou telle action aura une conséquence qui pourrait peut-être faire mal aux autres. Il faut avant tout être en harmonie avec soi-même et tout faire pour que ce que l’on désir le plus devienne une réalité. » Un large sourire s’afficha à cet instant, Liam se voyait comme un psy assis dans son large fauteuil en cuir aussi confortable qu’un petit nuage avec son frère allongé sur le divan en face de lui. « Je devrais peut-être me reconvertir en tant que conseiller ou psy ou un truc dans le genre non ? Qu’est-ce que t’en dis ? » Une petite tape sur l’épaule de son frère et il était prêt à fermer ses livres sur les nouveaux concours grecs à la haute époque hellénistique pour acheter des carnets vierges qui seraient rapidement remplis des gribouillages en tout genre sur la vie de ses clients.

@Chad Taylor

Leur curiosité avait vite fait de remiser le fantasme de bonnes résolutions au placard. Quelques confessions avaient suffi pour que l’entraînement se transforme en interrogatoire, et Chad n'était ironiquement pas le dernier à se laisser distraire par les déclarations inédites de son frère. Il avait toujours eu un lien particulier avec Liam. Comme si son détachement apparent et ses intérêt raffinés exerçaient sur lui un attrait magnétique. Parmi tous ses frères, il était sans aucun doute celui avec qui il entretenait le moins de conflit. Certainement parce que le flegme dont il faisait preuve était à l'opposé d'un patrimoine génétique qu'il s'efforçait de dénigrer. Contrairement au reste de la fratrie, Liam jugeait bien moins qu'il observait. Il était sensé plutôt que borné. Et surtout, il n'avait cessé de leur prouver à tous qu'il était digne de leur confiance. Ce qui le rendait aussi clairvoyant que dangereux, car les secrets qui lui résistaient étaient rares. Chad ne pouvait pas se targuer d'avoir les mêmes qualités. S'il était patient, il avait aussi la tête dure, et il ne fallait pas être un génie pour comprendre que c'était amplement suffisant pour faire des étincelles avec Amos. Il hocha la tête, un peu désinvolte mais pourtant affecté, lorsque Liam déposa le diagnostic de leur communication défaillante. Au fond, Chad était persuadé qu'ils en étaient tous évidemment conscients, mais que c'était un obstacle que leur fierté rendait insurmontable. « Au contraire, j'aurais été surpris et peut-être un peu jaloux que tu sois aussi un expert sur ce sujet. » avait-il rétorqué un peu taquin. L'excès de confiance c'était le domaine de leur troisième frère, et aussi un trait de caractère que Chad n'avait jamais apprécié chez lui. Les narcissiques n'étaient jamais mieux servis que par eux-mêmes. Il y avait une différence entre séduire et préserver. « Crois-moi, les femmes préfèrent la maladresse à l'arrogance. » Il avait dit ça comme si sa parole avait une quelconque valeur. Comme s'il demeurait le coureur de jupons qu'il avait longtemps prétendu être. Terrassé par tant de bons conseils, il s'assit à son tour et étendit ses jambes sur le carrelage froid, ses mains posées au sol derrière son dos. La bière aurait été la bienvenue pour parfaire leur parodie d'effort. Chad n'était à vrai dire pas plus étonné des incertitudes de son frère que du simple fait qu'il les partage avec lui. A lire entre les lignes, c'était aussi une belle marque de confiance qu'il n'était pas près d'oublier. Le sujet de Kelly s'immisça inévitablement dans la conversation. Deux ans qu'ils étaient divorcés et elle continuait de hanter ses moindres crises existentielles. Au moins, Liam était bien plus fin que leur aîné dans son approche. Il n'avait pas besoin de terminer sa phrase que Chad le savait déjà dans son camp, ce qui le rendait évidemment moins farouche. C'était d'ailleurs très drôle, de l'entendre se disculper d'être trop cru alors qu'on l'avait habitué à beaucoup moins de délicatesse. Liam avait beau rabaisser son monologue au rang de simple thérapie de comptoir, il pouvait au moins se vanter d'être objectif. « Faites donc, docteur. » ironisa-t-il à son tour, intimement convaincu que son frère ferait un excellent psy. Il était déjà doué pour écouter. « Cela dit t'as raison, je suis sûr que Kelly a fini depuis longtemps de s'embarrasser du passé. » déplora-t-il en croisant les jambes, tandis qu'un rayon de soleil se déplaçait dangereusement dans sa direction. « Bon tu sais quoi, si on s'en ouvrait une de bière ? On aura tout l'hiver pour les perdre ces calories. » proposa-t-il en se redressant. A ce stade, ils ne trompaient plus personne d'autre qu'eux-mêmes.

And I want a moment to be real. How can the world want you to change. They're the ones that stay the same. They don't know you.

Liam, qui était si occupé jusqu’à récemment, pouvait enfin se poser et profiter de ces petits moments rien qu’à lui pour se recentrer sur l’une des choses les plus importants qu’il voulait régler, les problèmes familiaux. Il se disait que malgré ce que ses frères ne voulaient pas lui dire, c’était tout de même Chad qui avait le plus de chance de répondre positivement à l’approche de Liam ayant tous les deux gardés un lien plus ou moins solide même après le départ du ranch. Y aller étape par étape, petit à petit sans jamais brusquer personne et du coup se les mettre à dos, c’était la tâche difficile que s’était donné l’historien. Liam ne savait pas trop si les mots de son frère devaient le rassurer ou non, mais au point où il en était sur ce domaine tout était bon à prendre pour lui. Malgré ses trente-neuf ans et quelques expériences par le passé il était toujours aussi nul pour s’engager dans une relation sérieuse, la dernière en date étant Ariane et ça n’a duré qu’une petite année. « Tu parles, on ne dit pas que les femmes sont attirées par les mauvais garçons ? » Bien évidemment que Liam ne croyait pas à toutes ces conneries et préjugés que l’on peut bien inventer pour se persuader qu’on a toujours une chance avec la gent féminine, mais la réalité c’est qu’elles ne sont pas attirées par ce genre de détail, non ? Pour lui tout était une question de sensation, de ce que peut provoquer une personne rien que par sa présence dans une pièce ou un simple regard posé et Liam lui il est le pire pour savoir si cette sensation est partagée ou non. « Si ça continue on va devoir m’inscrire sur une appli de rencontre et au moins là je saurai que la personne en face cherche à se caser. » C’est qu’il préférait l’autodérision l’historien ça lui permettait au moins de rire de sa situation plutôt que s’apitoyer lamentablement dessus. Liam échangea les rôles et donna celui de personnage principal à Chad afin de voir où il en était sur ce point, c’était peut-être aussi une façon un peu maladroite pour en savoir un peu plus sur ce divorce qu’il n’avait pas vu venir et dont il ne comprenait toujours pas les réelles raisons. S’il savait que son frère aimait bien sa petite réputation de se rendre dans le lit de quelqu’un très facilement, il savait aussi qu’il n’était pas du genre à tromper quand il se passionne pour une femme alors l’historien avait tout simplement rejeté cette idée qui est l’une des principales causes de divorce. « Très bien M. Taylor, je vais donc vous prescrire une bonne dose de on oublie le passé et on se concentre sur l’avenir ! C’est un très bon traitement que je vous prescris ! » Chad proposa finalement d’ouvrir les bières et Liam fut le premier à se relever, leur petite séance d’entrainement s’était finalement transformée en de petits échanges de nouvelles de l’un et l’autre et après seulement quelques minutes cette fameuse remise en forme ressemblait plus à la musculation fantôme qu’autre chose. Liam arriva en premier dans la cuisine et fit un peu comme s’il était chez lui et décapsula deux bières, une pour lui et l’autre pour son frère. « À un entrainement qui portera grandement ses fruits. » Sa propre réplique arracha un sourire à Liam alors que les deux frères se mirent à trinquer à un rapprochement qui commençait lui véritablement à se mettre en place. Si Liam retrouvera avec peu de chance sa musculature d’antan, au moins il aura retrouvé une certaine complicité qu’il avait trop longtemps mis de côté.

@Chad Taylor