J’imagine que les personnes normales ne font qu’un seul petit déjeuner dans la journée. J’imagine que c’est un moment précis dans le temps, un de ceux qui n’est pas supposé bouger ni même être aménagé de quelque manière que ce soit. La plage horaire est assez large pour permettre aux couche tard d’en profiter et ainsi contenter le monde entier. Nous aussi, on était heureux, lors du premier petit déjeuner. La vie était encore calme et illusoirement parfaite, Pizza s’inventait des papillons imaginaires qu’il chassait dans le jardin parce que c’est apparemment la seule chose pour laquelle ce chien est réellement doué. Les pancakes étaient presque tous réussis, sauf un qui avait brûlé par la faute de Ginny, elle qui avait retenue mon attention trop longtemps. Outre ce léger détail, tout était réellement parfait.

Ensuite est venu l’orage, la foudre, la tempête et finalement le gong final. On vend. Il n’y a plus de galerie à Toowong, il n’y en aura plus jamais. La collaboration avec Robin n’a jamais été une mauvaise idée et une part de moi espère sans doute qu’elle nous suivra à Spring Hill mais ce qui était une mauvaise idée était de laisser nos espoirs et notre confiance reposer sur d’autres personnes. Une fois de plus le destin vient simplement de nous prouver que ce n’était pas la bonne chose à faire et que le reste du monde sait seulement nous mettre à mal. Nous n’avons jamais eu besoin de l’aide de qui que ce soit alors que la seule chose qu’on a fait pendant quinze ans ce fût de se cacher. On se cachait de nous et on se cachait des autres et alors qu’on commençait à se donner le droit de faire de nouveau confiance, on s’est finalement rendus compte de la plus difficile des manières que ce n’était pas la bonne chose à faire.

Alors soit, on recommence tout mais cette fois-ci on ne fait pas les mêmes erreurs. Elle a déjà acheté une autre galerie et même si son but initial devait être tout autre, ce ne serait pas nous si nous ne changions pas nos plans à la dernière minute. Maintenant j’ai simplement passé le reste de la matinée à cuisiner, avec tout ce qui me passait sous la main simplement pour m’occuper. Il n’y a pas Pizza, il n’y a pas Noah non plus et il n’y a encore moins Ginny - et croyez moi il vaut mieux pour tout le monde que je ne peigne pas quoi que ce soit maintenant. La conclusion est donc logique et elle consiste à cuisiner et je sais que ce ne sera pas la brune qui se plaindra des desserts sans sucre qui s’accumulent autour de la table, sans jamais un légume avec. Tout ce que je fais c’est finalement attendre le retour de Ginny alors que je l’ai catapulté au milieu de mes fausses bonnes idées sans même prendre le temps de la consulter, ma femme qui n’a même pas froncé les sourcils, elle qui m’a suivie sans rien dire et m’a aussi rassuré une fois de plus dans l’idée qu’elle est la seule en qui je peux avoir confiance. L’inverse étant tout aussi vrai.

Comme à son habitude, Pizza est le premier à faire remarquer sa présence, lui qui court et aboie déjà alors qu’il a l’air de s’être déjà bien défoulé, à en juger par le sable incrusté dans son pelage mouillés. Je m’abaisse à sa hauteur pour le caresser entre les oreilles, parce que lui aussi a le droit à ma confiance pleine et entière tant qu’il ne s’agit pas d’avoir face à moi une tranche de bacon. Mon sourire se meurt doucement lorsque mes yeux remontent vers Ginny, elle que j’ai lâchement abandonné il y a peu. “On a dépassé le quota de mauvaises nouvelles pour la journée, là, au moins.” Je tente un demi sourire et me relève pour gommer la distance entre nous avant de poser la seule question qui importe réellement, encore et toujours. “Ça va ?” Et après on parlera, et après on discutera de tout ce dont elle a envie et de tout ce dont on a besoin. Avant ça n’en demeure pas moins qu’il reste des priorités.

Lola est rentrée sagement, laissant derrière elle une drôle d'aura que je ne commenterai pas le temps que la poussière retombe. J'aurais aimé que tout se passe différemment, j'aurais aimé que tout se passe mieux aussi, évidemment. Et pourtant jamais je ne serai ingrate au point d'avoir voulu prédire ou contrôler ses choix. Elle est une grande fille, elle a pris ses propres décisions et elle les assume entièrement et ça, c'est tout à son honneur. C'est ce constat qui guide mes pas et ceux de Pizza vers la maison, c'est cette réflexion qui reste ambiante entre deux parfums de sucre et d'épices à la seconde où je passe l'immense porte patio pour aboutir à la cuisine d'où Auden n'a pas bougé, lui qui bouge encore constamment.

“On a dépassé le quota de mauvaises nouvelles pour la journée, là, au moins.”
« On approche pas encore du quota de desserts sans sucre, par contre, et ça c'est pas pour me déplaire. »

Mon sourire effrité répond au sien, les pas qu'il faits dans ma direction que je coupe des miens quand mes bras viennent se poser le plus naturellement du monde autour de ses épaules. Il a mis ses limites lui aussi, il les a mises en restant à la maison et en se gérant lui-même, il s'y applique encore quand la pièce entière est envahie de plats à tous les stades de cuisson et de cuisine possible. “Ça va ?” mes lèvres s'égarent sur sa mâchoire, y papillonne millimètre par millimètre le temps de délier les muscles et autres contractions qu'il y accumule lorsqu'il est ailleurs, lorsqu'il rage et pense à mille choses à la fois, trop selon moi. « Ça va mieux. » mieux maintenant qu'on sait où on en est avec elle, mieux maintenant qu'on sait surtout où on en est tous les deux face à elle. Mes doigts pincent ses mèches une seconde pour les caresser la suivante, je lui laisse toute la latitude de répondre s'il veut le dernier mot, s'il veut préciser comment il va, lui. S'il ne veut pas, il pourra ignorer mon regard qui s'éternise un peu trop au creux du sien, s'il ne veut pas, il n'aura qu'à laisser mes lèvres céder à sa place. Le temps qu'elles rejoignent les siennes avec toute la douceur dont je suis capable, éternelle brusque et maladroite le reste du temps.

« La galerie, à Spring Hill... » il faudra en parler, de ça, j'imagine. De l'ancienne galerie qui n'est plus, de la nouvelle qui est désormais tout. Il faudra en parler mais pas du pourquoi, ni du comment. Ça, je sais. Ça, j'ai compris. C'était aussi évident que sorti de nulle part, pourtant peu importe le sens dans lequel je tourne la situation, il n'y a rien que je puisse lui reprocher. La décision prise sur un coup de tête qu'on n'aurait probablement jamais été en mesure de prendre si on s'était donné le temps ou la latitude de le faire. Le monde entier se surprend encore de nos improvisations nombreuses, il est bien loin le temps où j'ai arrêté de les justifier. À force de passer une vie à calculer chaque mot et chaque geste en ayant peur des réactions et des remontrances du monde entier, c'est facile maintenant, inné, naturel et vital même d'agir comme bon nous semble et quand on le veut aux dépends du reste.

On a mis des années à trouver le bon rythme à avoir l'un avec l'autre, et maintenant qu'on en a fait le nôtre, je me suis jurée de le garder envers et contre tout. « ... tu aimerais qu'on aille la voir? » il n'a vu que l'extérieur, il n'a vu que les photos, il n'a pas pu s'y promener, il n'en connaît que les grandes lignes que j'ai bien pu lui relater. Mes mots remontent à son oreille et mes paumes dérivent à ses joues, l'une laissant mes doigts passer sur son front, redresser quelques couettes d'un sens et de l'autre. Il est encore plus beau quand il laisse ses émotions ressortir, quand il se l'autorise.

A chaque fois que quelqu’un s'immisce un peu trop vite et un peu trop fort dans votre vie, on doit toujours tout reconstruire derrière son passage. Aucun de nous n’est fait pour vivre en société, même si à choisir elle arrive mieux à prétendre y avoir sa place que je n’y arriverai jamais. Chaque personne extérieure au duo que nous formons ne vient finalement que nous faire du mal à un moment ou à un autre, le résultat est toujours le même. Alors on recommence à zéro, encore et toujours, on en revient à s’occuper de nous et seulement de nous pour que finalement la chose la plus reposante qu’on puisse entendre soit un « Ça va mieux. ». Mieux c’est la seule chose à laquelle on aspire depuis toujours, le bien semblant à jamais être hors d’atteinte. Ginny agit avec toute la douceur du monde comme si elle avait à faire à un pot cassé, je fais de mon mieux en me contentant de ne pas grogner ni râler d’aucune manière. Elle va mieux et c’est la seule chose qui m’importera aujourd’hui et demain, c’est aussi la seule chose dont je me sois constamment préoccupé toute ma vie durant sans pour autant savoir comment y parvenir.

« La galerie, à Spring Hill... » Mes yeux se bloquent dans les siens alors que sous mes joues, les muscles se contractent et se décontractent à vue d’oeil. On a toujours eu un don pour ne pas parler des sujets qui fâchent alors que justement celui ci n’aurait jamais dû fâcher tout comme jamais il n’aurait dû être associé à quoi que ce soit de négatif. La galerie de Spring Hill devait être belle et grande, elle devait être la nôtre et elle devait être parfaite. Tout le monde y aurait été le bienvenue et tout y aurait été mieux qu’à Toowong. J’imagine que maintenant le comparatif est biaisé et j’enrage d’en être la cause, d’une manière ou d’une autre. On aurait dû prendre notre temps, à Spring Hill. On aurait dû enfin savoir qu’on avait le temps de tout créer selon nos goûts et nos envies puisque personne ne nous l’aurait prise des mains. « ... tu aimerais qu'on aille la voir? » Mon toujours est toujours aussi triste mais il est bien plus assuré désormais ; bien plus soulagé aussi. Ce n’est pas seulement elle qui va mieux maintenant mais bel et bien nous deux. “Ça sera la nôtre. Juste nous deux. Dannie et Robin c’est okay, mais personne d’autre.” Parce que Dannie et Robin c’est okay depuis toujours, depuis autant de temps qu’on se connaît tous les deux. Elles ont fait leur preuve sans jamais nous décevoir, on sait qu’on peut leur faire confiance contrairement au reste du monde. Dannie et Robin à la limite, mais plus jamais personne d’autre. J’en fais la promesse et je sais que je n’aurai aucun mal à me souvenir de celle-ci. “Demain ?” Aujourd’hui est catalogué comme une mauvaise journée et je ne veux pas que cela altère ma vision de la galerie, laquelle je sais sera infiniment parfaite sans que je n’ai mon mot à dire à propos d’un angle mal conçu ou d’une moulure trop grotesque. C’est Ginny qui l’a choisi, après tout, et dans le monde entier elle sera à jamais la seule à qui je serais prêt à confier ma vie. Mes pouces caressent doucement ses tempes et mes lèvres élisent domicile sur son front, s’y installant pour finalement refuser de bouger de là. J’inspire de nouveau longuement, mes yeux perdus dans le jardin lui faisant dos. “J’ai jamais voulu qu’on en arrive là. C’était plus fort que moi.” Je me suis excusé. Je me suis excusé pour une fois dans ma vie et cela n’a servi à rien et jamais je n’apprendrai à tolérer des affronts de la sorte. Je n’ai pas pour habitude que qui que ce soit dévie de mes attentes et tous ceux qui en arrivent là finissent évincés. J’aime la nouveauté et le changement pour tout, partout, mais pas dans mes relations. Pour ce sujet là et celui-là seul, je me complais dans la constance seule. Avec la brune, donc, depuis le premier jour. C’est très bien ainsi. "Tu veux donner des cours ici ? Dans cette maison ?" Si la A est un lieu interdit au public, la B est sienne et seulement sienne, elle peut en faire tout ce qu'elle désire.

Y'a probablement autant de points positifs que de points négatifs à connaître quelqu'un par coeur comme on se connaît Auden et moi. La colonne "contre" comptabilise toutes les fois où je triche au Monopoly et où il le sait de suite, toutes les fois où il me dit qu'il va bel et bien être poli avec le facteur s'il reçoit pas le colis qu'il attend depuis au moins un jour de trop Gin sérieux le tracking number sur le site web me disait que je l'aurais hier je rage et où je peux déjà prédire le pire. La colonne "pour" comptabilise des moments comme ceux-ci, quand mes mots laissent place à des baisers qui s'égarent partout là où mes lèvres se posent naturellement contre sa peau. “Ça sera la nôtre. Juste nous deux. Dannie et Robin c’est okay, mais personne d’autre.” j'hoche doucement de la tête, niche mes lèvres contre sa mâchoire serrée quand ma blague qui sert strictement à rien et qui fera pâlement office de comic relief remonte avec toute la douceur du monde à son oreille. « Et certainement pas le livreur de chevalets - tu sais lequel. » si seulement c'était que contre lui qu'on pouvait se liguer, contre le livreur et pas contre le monde entier.

Pourtant, elle est de plus en plus loin la Ginny qui avait à coeur de sacrifier son propre bonheur pour celui des autres. Elle est loin et elle ne s'est pas montré le bout du nez depuis bien longtemps, quand c'est sur le bout du nez d'Auden qu'ironiquement je laisse mes dents s'apposer délicatement. Il s'est de nouveau enfermé dans sa tête, il y pense trop fort, trop mal. “Demain ?” « Demain. » pour finir par revenir à ici et à moi de lui-même - et c'est tout ce qui compte. La planète entière continue de tourner et avec elle, elle entraîne ceux qui s'attendent à ce que je les laisse piler sur tout ce que j'ai mis des années entières à construire avec Auden sous prétexte qu'ils l'ont fait une infinité de fois parce qu'on les a stupidement laissé le faire. C'est terminé et on se l'est promis autant avec des mots qu'avec des gestes. Désormais, nos forces, on les met ensemble. On s'allie bien plus que se sépare ; on l'a trop fait pour eux, avant, et c'est probablement l'une des raisons parmi des centaines d'autres qui encourage mes doigts à se raccrocher un peu plus fort au hoodie d'Auden. Lui-même laisse ses doigts réapprendre pour la millième fois les traits de mon visage, ses lèvres se posant sur mon front au passage. « En plus y'a des food trucks dans le parc juste en face, les dimanches. » demain, c'est dimanche. Demain, tout ira bien, parce que demain on avance, on se l'est dit. On avance et on ne recule plus, plus jamais.

“J’ai jamais voulu qu’on en arrive là. C’était plus fort que moi.” et j'inspire, doucement, espérant que ma respiration incite la sienne à prendre le même rythme, à se calmer une ultime fois. « Je sais. » j'en ai jamais douté. Comme je ne doute pas que malgré les faits précipités il a pris la meilleure décision possible, il a eu la meilleure idée. Ses chevilles s'en féliciteront d'elles-mêmes quand je le lui dirai à voix haute, quand toute la poussière sera retombée. Mais si moi je sais, il sait lui aussi qu'au final c'est exactement ainsi que ça devait se terminer. Encore une fois le processus et le comment ont été laissé aux événements et aux impulsions et aux coups de tête, mais le résultat est celui auquel on aspirait. Juste tous les deux. « Je t'aime. » le bon, comme le mauvais. Ça fait partie d'un tout, ça fait partie de lui, ce serait mentir de dire que je ne savais pas qu'en l'aimant autant et aussi fort depuis aussi longtemps je n'étais pas prête à me retrouver confrontée à ce genre d'impulsions. Ça fait partie de lui et jamais, jamais je ne le changerai. Je serai là pour ramasser les morceaux et les recoller avec toute la patience du monde, je serai là pour lui tenir la main s'il veut évoluer, mais jamais je ne braquerai ses réactions et ses gestes - on me l'a fait toute ma vie, il est le seul m'ayant laissé liberté et latitude de tout faire. Il aura droit au même traitement, toujours.

La conversation aurait pu se terminer sur pléthores de silences, sur son souffle qui maintenant s'est adapté parfaitement au mien - mais c'est Auden l'artiste qui entre en poste. "Tu veux donner des cours ici ? Dans cette maison ?" « Faudra omettre le fait que tu habites à côté sinon tes fans vont tenter de s'infiltrer. » Auden l'artiste qui s'est encore une fois retrouvé au centre d'un scandale sur Instagram la veille. Auden qui ce matin encore se vantait de son nombre d'abonnés qui augmentait en flèche au même titre que le nombre de commentaires horrifiés et hargneux que généraient sa dernière oeuvre publiée. Il est incroyable comme peintre, probablement autant qu'il est une terreur en ligne. Mon rire s'étouffe sur ses lèvres, l'inspiration ne fait qu'un peu plus de bien. « Je pense que le salon serait parfait pour des classes de poterie. » ma nouvelle lubie du moment, l'espace pour y ajouter l'étal dans l'immense pièce sans meubles mais aux grandes baies vitrées. La peinture et le dessin viendront aussi, bien sûr, et la photo fort probablement à voir le studio qu'on a enfin fini de mettre en place dans ce qui aurait dû être la chambre principale si j'avais vraiment un jour habité au B.

« Viens. » mes doigts quittent sa nuque pour s'enlacer à l'une de ses mains, la pression de mes phalanges contre les siennes ne presse rien du tout, justement. Contrairement à chaque guerre, à chaque cassure et à chaque combat d'avant, maintenant, pour reprendre le rythme et pour se retrouver on a tout notre temps. « J'ai oublié c'était censé être quoi, le plan d'aujourd'hui. » un rire de plus, un rire qui sème notre sillage jusqu'au jardin en commun, un autre rire qui conclut, quand ma main libre s'affaire à rapatrier coussins et couvertures, à nous aménager un lit de fortune immense et plus confortable qu'un de ses véritables homologues. « Mais celui-là me va s'il te va à toi aussi. » on passera la journée ici, s'il le faut. À se disputer sur la forme qu'ont les nuages selon nous, à faire de même avec le nom des étoiles si on finit par décider de ne pas bouger une fois que le soleil aura touché l'horizon. Ma silhouette se niche au sol dans notre éphémère cocon, entraînant la sienne en amont. 

« En plus y'a des food trucks dans le parc juste en face, les dimanches. » Si elle se repose sur la nourriture c’est qu’elle va un minimum bien et je n’ai pas besoin de plus pour être rassuré, raison pour laquelle mes doigts glissent dans ses cheveux et mon rire s’étouffe doucement contre son front. Il est bref mais franc au possible et a au moins le mérite d’exister. Demain sera un autre jour, demain on ira visiter la galerie, demain on ira dans le parc juste en face et on testera tous ses food trucks pendant que Pizza volera les ballons de foot d’inconnus pour s’enfuir avec.

En attendant on est toujours là et ça fait mal, encore. Peu importe le nombre de personnes qu’on perd dans notre entourage, ce n’est pas un sentiment auquel on peut s’habituer un jour. Encore moins quand les personnes dudit entourage, justement, se comptent déjà sur les doigts de la main et qu’ils sont chacun les piliers d’un édifice plus qu’instable. « Je sais. » Pour autant elle est le pilier central de la structure, elle est celle qui porte le tout sans même le savoir ou, justement, en le sachant que trop bien. Je peux me remettre de la défection de n’importe qui, après avoir élaboré un ou deux assassinats je jure que je peux m’en remettre et aller de l’avant et faire comme si de rien n’était. Avec elle, pour autant, je prédis que ce ne serait qu’un mensonge éhonté de plus que prétendre que son départ pourrait être quelque chose d’anecdotique dans ma vie. Je l’ai vécu une fois et je ne le vivrai pas une seconde. Ça aussi, elle sait, que pour toutes les choses de ce monde elle restera la seule pour qui je me battrai ultimement. « Je t'aime. »  Mes dents s’attaqirauent doucement à la chair de son front qu’elle plisse en tentant de relever le regard vers moi, ça sonne comme un ‘je t’aime aussi’ dans notre langage à nous.

S’ensuivent les propositions et les nouveaux plans qu’on élabore toujours quand on a un genou au sol. On ne fait que se relever plus vite et plus fort à chaque fois, on apprend de nos erreurs et vous pouvez être certains que jamais elles ne seront reproduites. « Faudra omettre le fait que tu habites à côté sinon tes fans vont tenter de s'infiltrer. » J’arrête enfin de la colle, j’arrête de quémander l’attention qu’elle m’offre à chaque instant dès que je la lui demande. Je l’ai toujours repoussée mais l’inverse n’a été que trop peu vrai, la balance n’est pas équilibrée et je serais bien le dernier à m’en plaindre. “Tu leur diras que le fantôme de Manson hante la maison.” Quoi que ça pourrait leur plaire davantage encore, s’ils me trouvent cool ils ont sûrement du étudier sa croix gammée sur le front. Freaks.

Elle s’est donnée une seconde pour réfléchir mais prend sa décision l’instant d’après, ma femme que je reconnais bien là et qui ne se laisse jamais abattre peu importe la situation. « Je pense que le salon serait parfait pour des classes de poterie. » J'acquiesce sans même porter un regard supplémentaire à la pièce que je connais déjà par coeur. Si tel n’avait pas été le cas j’aurais été de son avis quoi qu’il en soit. Ce seront ses cours et son monde, elle sait ce qu’elle veut et ce dont elle a besoin. C’est son territoire, je n’y empiéterai pas. La porterie sera parfaite ici, les murs passeront de blanc à marron en un rien de temps et Noah adorera ça ; ça ne sera qu’une raison de plus pour lui que d’y ajouter sa patte. Il n’y a aucun mot à ajouter à cela, le pacte est scellé.

Mes pas s'emboîtent dans les siens, sage créature docile que je représente uniquement quand les choses vont mal. Elle le sait et c’est la seule et unique raison pour laquelle elle ne passe pas des heures entières à s’émerveille de son nouveau pouvoir sur moi. « Viens. » De nouveau mes doigts rejoignent les siens, je la rassure en caressant la paume de sa main maintenant que le pire est passé j’en suis certain. Robin-Hope me connaît assez bien au point d’avoir accepté de me suivre dans cette histoire de galerie, elle sera la dernière étonnée de mon impulsivité. « J'ai oublié c'était censé être quoi, le plan d'aujourd'hui. » Elle rigole et j’inspire, la dynamique est présente depuis le premier jour. Je rigolais de ses affaires perdues de partout dans la salle, elle souriait pour faire bonne figure. Depuis ce jour là, on a jamais arrêté de jouer. L’un contre l’autre, d’abord ; ensemble, aujourd’hui. « Mais celui-là me va s'il te va à toi aussi. » Enfin mon sourire est aussi constant que franc, j’admire sa capacité à ne voir que le bon côté des choses là où je me morfonds dans ma mauvaise humeur et tout ce qui va avec. On fait un duo de noir et de blanc qui ne sait faire de compromis que depuis peu de temps et lorsque j’en viens à me poser près d’elle sur les milliers de coussins, cela n’a pourtant rien d’un compromis. La journée ne fait que débuter mais je devine son épuisement autant que le mien est déjà concret. Mes lèvres sont scellées mais mon sourire lui confirme que désormais tout va bien, d’autant que mes lèvres se posent sur sa tempe et s’ajoutent silencieusement à la scène. Pourtant je ne reste en place qu’une seule seconde sans que cela n’étonne personne, mon corps se dégage du sien pour venir se glisser un peu plus entre les coussins et se poser près de son ventre. J’y ferme enfin les yeux, persuadé qu’ici au moins rien de mal ne pourra leur arriver, ni à elle ni au bébé. Ce n’était pas le plan et on s’en moque, des plans, de celui-ci comme de tous les autres. “Tu le sens bouger parfois ?” Ma main libre vient se poser sur son ventre, protectrice au possible. "S'il est allergique au gluten on l'échange à la maternité par contre, je te préviens."

“Tu le sens bouger parfois ?” la main d'Auden a parfaitement couvé mon ventre glacé, au point où ma peau n'est plus aussi gelée que la seconde d'avant, encore moins celle d'après. La scène n'aurait jamais pu être prévue ainsi si on se fiait à notre historique des plus chaotiques, n'en reste que jamais elle n'aurait pu se jouer autrement tant tout fait sens. Mes doigts s'égarent dans ses cheveux en sachant très bien qu'il est à un décompte qui se calcule en expirations avant de rager que j'y cause des noeuds encore et toujours. Mes lèvres se dessinent en une sourire en pensant aux bribes de détails qui nous restent à vivre, maintenant que j'ai fait la paix avec celles pour lesquelles il n'était pas là, la première fois. Cette fois-là est nouvelle et elle est à nous, elle nous appartient et surtout, elle ira bien. « Pas encore. » on flirte encore avec le nombre de semaines où on alterne les choux de Bruxelles et les figues dans ses recettes, aussi étranges et glauques pouvons-nous être. « Faut qu'il soit grosseur banane pour ça, ou sinon des fois en poivron on peut le sentir aussi. » Noah avait donné son premier coup de pied à la semaine 19 ; seule semaine que j'avais notée dans son carnet de naissance comme celle qui m'avait fait sourire dans un monde où je croyais même plus y avoir accès. Pourtant aujourd'hui, comme hier et surtout comme demain, sourire n'est plus un problème. Le seul problème relié restant que mes fossettes finissent par me faire mal tant elles sont creusées de bonheur.

De ses couettes emmêlées par ma faute, mes doigts finissent par retrouver les siens pour le simple plaisir de passer entre les uns et les autres, de pincer et chatouiller tout juste ensuite. "S'il est allergique au gluten on l'échange à la maternité par contre, je te préviens." « Ou s'il n'aime pas les glaces. » je pouffe de rire entre les coussins et les couvertures, me replace strictement pour sentir sa silhouette encore un peu plus blottie contre la mienne. Je sais qu'on s'est promis de ne pas se mettre la pression pour lui, ou pour elle. Je sais qu'on veut y aller un jour à la fois et certainement jusqu'à la marque des fameux trois mois. Je sais que le plan de base était d'y aller comme ça et de le faire ensemble, à deux, mais je sais aussi que de le faire avec lui me donne le droit de faire comme je veux. Que la liberté qu'on m'a enlevée y'a dix ans n'est plus un problème aujourd'hui. Que mes décisions m'appartiennent, et que j'ai la chance qu'il fasse partie autant du processus que du résultat. Il a promis des dizaines de fois qu'il resterait, de tous les sens et de tous les mots et de toutes les façons que ce soit, et l'inverse est toute aussi vraie.

Hey, que je souffle, dégageant à contre coeur son visage de mon ventre le temps d'y loger une main sous son menton, de le remonter jusqu'à mon propre visage. Mes lèvres trouvent les siennes, l'embrasse de la commissure d'un côté jusqu'à celle de l'autre, traçant la ligne qui relie les deux baisers entre un rire et un suivant. « On pourrait aménager quelque chose pour lui, à la galerie. » une salle où il pourra dormir, où il pourra dessiner, où il pourra avoir son propre petit cocon rien qu'à lui, à Spring Hill lui aussi. « Qu'on changera en salle à arcades si jamais il est allergique au gluten ou qu'il n'aime pas la pistache en cornet. » comme un secret, comme une confidence, comme un échappatoire au cas où j'aille trop vite. Il est le seul qui arrive à ralentir mon rythme en sachant très bien quoi dire et comment le faire, il est le seul que j'y autorise aussi, surtout.

Et la journée laisse des séquelles, mais elle laisse aussi dans son sillage une énième confirmation que je l'aime, et que je l'aimerai toute ma vie. Que chacune des faiblesses qu'il déteste sont à mes yeux des forces, que jamais je ne lui en voudrai d'être lui-même, encore moins lorsqu'il l'est avec moi, nous. Il a précipité la discussion de la galerie, et moi, je précipite une toute autre conversation d'un nouveau murmure à son oreille, un baiser qui se dédie à son lobe tout juste ensuite. « Dannie ferait une bonne marraine. » elle l'a été tant de fois pour nous, elle le sera encore plus pour Auden(ne) II.

Pas encore. La réponse me rassure bien plus qu’elle ne le devrait, je me dis que je serai peut être présent le jour où le bébé se fera connaître un peu plus encore. J’ai raté toutes les étapes pour Cosimo, j’en ai raté beaucoup plus que je ne l’ai jamais souhaité pour Noah aussi. J’ai toujours raté des choses et le sentiment de culpabilité ne s’envolera jamais, pour autant je tente de tout rattraper aujourd’hui en couvant son ventre du mieux que je le peux. Mes doigts dessinent des traits qui ne verront jamais le jour sur aucune toile et j’y vois là des incantations magiques pour que tout se passe bien. On a épuisé tout ce qui était possible et désormais je ne vois plus que ça, dernier espoir restant pour notre duo qui n’a su s’attirer que le mauvais sort depuis toujours. Je n’y crois absolument pas mais on ne perd rien à essayer, encore moins alors que je gagne en parallèle le droit de tracer ma propre route sur sa peau et de la chatouiller sans jamais m’arrêter. Elle, elle gagne le droit d’emmêler mes cheveux sans même que je ne m’en rende compte.

Mes gestes n’ont jamais été aussi calculés que maintenant que je suis à ses côtés, je fais au mieux pour lui rendre le quotidien plus facile alors qu’elle le mérite plus que quiconque. Elle me supporte depuis plus de dix ans et porte désormais mon enfant, ce sont donc deux raisons plus que suffisantes pour que, parfois, j’agisse comme quelqu’un de normal. Si ma main reste lovée sur son ventre je remonte pourtant le long de son corps jusqu’à venir laisser ma tête se poser contre la sienne. Je la rassure de baisers quand les mots me manquent et c’est au moins quelque chose qui n’a pas changé depuis le tout début entre nous. Maintenant, au moins, on ne se cache plus. Les alliances qu’on partage me donnent le droit de l’aimer aux yeux et à la vue de tous, enfin.

« On pourrait aménager quelque chose pour lui, à la galerie. » Son idée me fait sourire et à cela j’ajoute un vif hochement de tête sans même y réfléchir. Il me semble évident que je ne peux répondre que par la positive. “Ça sera chez lui, aussi.” Il aura la meilleure pièce insonorisée qui soit, il aura les coussins les plus confortables et les murs les plus blancs qui soient pour y faire ses meilleurs dessins. Il aura des pastels comestibles au cas où il échappe à notre vigilance, il aura des étoiles qui s’illumineront une fois la lumière éteinte pour lui prouver qu’il ne sera jamais seul. La galerie ne sera que la continuité de sa maison ici, à Bayside, tout comme nous resterons tout aussi présents pour lui dans un lieu comme dans l’autre. « Qu'on changera en salle à arcades si jamais il est allergique au gluten ou qu'il n'aime pas la pistache en cornet. » Pour autant on a promis de ne pas se mettre trop de pression et on a surtout promis de ne pas y laisser trop de nos espoirs. “Ça va pas la tête ; ça sera le coffre fort pour les meilleurs céréales, c’est tout.” Mon bras libre s’étend dessous sa tête et l’entoure jusqu’à son épaule. Des cheveux se perdent dans la bataille alors que je ne cherche qu’à la tenir un peu plus près encore, promesse muette que tout ira bien. Mes lèvres s’apposent sur sa tempe pour appuyer encore un peu plus mon argument. Peu importe ce que la salle sera, tout ira bien. « Dannie ferait une bonne marraine. » Ma main remonte et caresse ses cheveux comme elle a emmêlé les miens, j’y ajoute des baisers sur son épaule, ceux que j’aurais dû oser lui offrir une vie auparavant. “Elle sera horrible elle va le noyer sous les cadeaux.” Ce qui n’est en rien un reproche quand on sait que nous aussi on fera pareil. On est comme tous les couples clichés qu’on a détesté (envié) toute notre vie et je sais qu’on fera la même chose pour la famille. Noah est déjà de ma famille et jamais je ne lui ferai ressentir le contraire, pour autant l’enfant qu’elle porte sera le premier et le seul à réellement concilier nos deux familles, pour le meilleur comme pour le pire. “J’ai confiance en elle.” Il ne nous en reste plus beaucoup, de cette chose là. Elle sait autant que moi à quel point la denrée est devenue précieuse et à quel point accorder ma confiance à qui que ce soit signifie beaucoup. “On donnera son nom à la fée marraine dans Cendrillon. On lui dira que s’il mange trop de bonbons il va finir plus gros encore.” Parent de merde avec une éducation qui repose sur les menaces, je déblatère tout ce qui me passe par la tête sans même y réfléchir. Mes mots sont hachés, ils peinent à se frayer un chemin entre les baisers que je perds sur sa clavicule et la naissance de son cou. “Je vais en parler à Cosimo. C’est promis.” Elle propose une marraine alors qu’on a déjà les parrains. Je cherche une ouverture, je cherche le bon moment, je cherche le parfait contexte pour le lui annoncer parce qu’en vingt année de vie c’est la première fois que je lui parlerai de quelque chose d’aussi important et que je veux faire les choses biens. "Je t'aime aussi." Mes baisers s’immobilisent, ne demeure que mon souffle près d’elle. Ne reste que nous deux, encore et toujours.

Et parfois, on ralentit. On a appris avec le temps qu'on n'avait plus du tout besoin d'accélérer ni de se presser, qu'on pouvait sans craindre profiter de chaque seconde accordée en appréhendant celles qu'on allait nous retirer. On a vécu des dizaines d'années à faire comme si le prochain moment était le dernier, on a vécu autant d'années à se dire que ce serait bien mieux si c'en était ainsi. Et mes doigts se serrent bien moins fort sur son hoodie qu'ils ne l'auraient fait dans un autre monde, dans une autre vie. Parce qu'il ne part pas, et parce que je ne pars pas non plus.

“Elle sera horrible elle va le noyer sous les cadeaux.” mes yeux roulent, exagèrent, mon rire monte, glisse sur mes lèvres. « Et je vais être horriblement jalouse. » que je pouffe, sarcastique, contre sa peau. Mes paumes occupées à se caler sur sa nuque, lui qui couve la mienne de son souffle quand ses doigts jouent avec mes mèches comme des dizaines de milliers de fois avant ; pourtant maintenant, c'est différent. “J’ai confiance en elle.” c'est différent parce que chaque contact n'est que plus doux que le prochain. C'est différent parce qu'autant il me chatouille et autant il me pince, autant je l'aime et autant il m'aime en retour. On fait confiance à personne sauf à nous-même, et on a appris à extrapoler ce trait qu'on avait en commun y'a une vie de ça. Pourtant les acteurs qui restent le restent pour toujours maintenant. Ils sont nombreux, ceux en qui on accorde notre considération. Ils ont fait leurs preuves pendant pléthores de défis autant volontaires que non, ils ont été de ceux qui étaient dans notre équipe quand même nous deux, on ne l'était plus. Dannie elle, a toujours tout fait pour l'être. Même quand nos silences n'auguraient rien de bon, même quand on tentait de se cacher autant ensemble que séparés en croyant qu'il s'agissait de la seule et unique chose à faire. Elle sait, elle, à quel point on s'est aimé fort et longtemps, à quel point on s'aimera encore autant. Dans le camp des alliés, elle a gagné sa place éternellement. “On donnera son nom à la fée marraine dans Cendrillon. On lui dira que s’il mange trop de bonbons il va finir plus gros encore.” « C'est vrai le truc de "trop de bonbons"? Parce que c'est un concept que je comprends pas moi-même. » si j'hausse le ton et si je fronce les sourcils faussement outrée, ce n'est que pour me quémander un autre baiser quand le moindre millimètre entre Auden et moi est gommé par mes jambes, mes bras, ma silhouette en entier qui ne se sent véritablement chez elle que lorsqu'elle est lovée contre la sienne.

“Je vais en parler à Cosimo. C’est promis.” j'ai pas dit ça pour ça. J'ai pas parlé de Dannie pour le presser, pour le brusquer, pour qu'il le sente comme un ultimatum. C'est probablement un peu pour calmer la donne que mes lèvres mettent plusieurs secondes supplémentaires à compléter un baiser perdu et un autre contre ses jointures, son poignet, son bras, ses lèvres à nouveau. Ma respiration aussi ralentit, tout est bien plus lent et bien plus calme, tout lui laisse le temps de souffler. « Il reste encore mille milliers de semaines avant, et autant après. » je chuchote, un secret qui ne reste que le nôtre, qui le sera comme tous les autres. "Je t'aime aussi." et ça, ça n'est plus un secret. Ça ne l'est plus quand les alliances et les voeux s'accumulent, quand je lui dirais oui à chaque jour sans en douter pour le lendemain tellement il est la première personne que je veux voir à chaque réveil et celle que je veux embrasser à chaque coucher. Ça, ça n'a jamais changé. « Ah ouais, t'es sûr? » ce qui ne change pas non plus, c'est le sourire en coin et les fossettes assorties qui se chargent de dédramatiser la scène à leur tour. « Sûr de sûr? » j'éclate de rire, les questions qui ne servent à rien tant il prouve sans même essayer au quotidien. Il n'a plus rien à défendre, il n'a plus rien à démontrer. Il m'a convaincue y'a quinze ans de ça, de toute façon.

« T'étais comment enfant? » la question se niche à son oreille comme mon nez se niche dans sa nuque. Mes lèvres elles, tracent des lignes là où je vois les prémisses de son tatouage fait à Paris, celui qui semble avoir été tracé y'a des années tant le voyage me semble loin, si loin. Tant il a fait du mal, tant il a fait du bien. Il m'a jamais dit, et ça ne sonnera pas comme un reproche, parce qu'il a toujours eu la liberté de décider ce qu'il voulait me dire, ce qu'il voulait me partager. J'ai depuis le premier jour pris strictement ce qu'il voulait me donner, aujourd'hui ne fera pas exception à la règle. Quand pour faire du ménage, quand pour nettoyer notre présent, je ne dis pas non à flirter avec une touche ludique de son passé.

« Ah ouais, t'es sûr? » Je l’aime parce qu’elle a ce don ultime de dédramatiser n’importe quelle situation, même quand j’en viens moi même à devenir sérieux et ce contre toutes attentes. Je l’aime parce qu’elle est la seule à pouvoir faire ça sans que mon cerveau ne l’associe à une envie aussi nouvelle, subite que vitale de la faire taire. « Sûr de sûr? » Son rire résonne à mes oreilles et bientôt je me plaindrai du fait qu’elle m’a brisé les tympans et que c’est horrible autant que je souffre le martyr. Faux, bien sûr, quand tout ce que je sais faire pour le moment c’est lier mon rire au sien avant de subitement reprendre mon sérieux en gardant un temps mon regard pos sur le sien. “Ouais nan, t’as raison, c’est stupide. On s’connait pas vraiment de toute façon, c’est trop tôt pour ces conneries.” Ma voix est sérieuse mais son sourire paraît peu à peu sur mon visage, s’étirant dans le coin de mes lèvres alors que mes yeux seuls glissent en sa direction sans que mon visage entier ne suive. Ça ne fait que quinze ans à peine, après tout.

Quinze ans n’étaient même pas nécessaires pour qu’elle soit la seule à être autorisée à poser des questions pour lesquelles j’aurais envoyé balader qui que ce soit d’autre. « T'étais comment enfant? » Mon enfance en particulier est ponctuée d’autant mauvais que de bons souvenirs et elle est surement la seule avec qui je pourrais les partager. Je ne serais cependant pas moi même si je cédais si facilement à sa demande et maintenant que j’ai l'impression d’avoir le coeur plus léger, je ne tiens pas à me perdre dans ce genre de souvenirs. C’est pas l’heure. Elle s’est fait la femme la plus rassurante du monde quand j’ai difficilement abordé le sujet de Cosimo et j’y rends la pareille à mon tour, grognant à peine quand ses lèvres chatouillent ma nuque. Les miennes viennent retracer le même genre de parcours près de son visage, parce que même si cela ne fait que quinze ans n’en reste pas moins qu’on en a aujourd’hui le droit. “Tu triches. Si je te dis, ça va tout te spoil comment sera notre fils.” J’ose espérer qu’il tienne bien plus son caractère d’elle plutôt que de moi mais ce souhait n’arrive que bien après dans la liste, après le check up complet de toutes les maladies que je lui souhaite d’éviter - et une en particulier. Mes baisers la rassurent là où mes mots ne savent plus comment agir, je lui fais comprendre à ma manière que ce n’est pas une énième blocage de ma part mais simplement le besoin d’avoir ce genre de conversation à des moments bien précis.

Finalement mon bras glisse de nouveau derrière sa tête alors que je la presse de nouveau doucement contre moi, là où avant je n’aurais pas hésité une seule seconde avant de la faire basculer d’un côté ou de l’autre simplement pour l’entendre rire une fois de plus. Le dernier baiser se pose contre son front et là s’arrête enfin mon attention étouffante à son égard. “On devrait prendre un bain. On prend toujours un bain quand rien ne va plus et même si aujourd’hui on a su gérer seuls, je pense aussi qu’on a besoin de se brûler la peau dans une eau bien trop chaude pour le commun des mortels. Pour autant, je ne bouge pas de suite. On devrait prendre un bain, on le prendra, mais pas tout de suite.