Il a filé droit jusqu’à chez lui, Swann, après la soirée désastreuse passée chez Rory. Dieu sait pourtant que ce n’était pas le plan initial et qu’il avait été capable d’anticiper la tournure désastreuse des choses, la journée s’étant passée de façon tout à fait normale et la soirée ayant tout aussi bien débutée. Ils n’avaient rien prévu de particulier, rien changé par rapport à leurs habitudes rapidement retrouvées. Tout était simple et c’est justement pour cette raison que tout était parfait, aussi, l’insouciance de leurs retrouvailles les laissant aller à des blagues enfantines ayant toutes pour finalité un baiser dans le cou de l’autre, quand il ne s’agissait pas directement de retrouver ses lèvres. Il s’émerveillait des traits de son visage - comme d’habitude -, il tombait à nouveau amoureux de lui à chaque nouveau mot de sa part - comme d’habitude - et il ne cessait de se répéter à quel point il était un homme chanceux, comme d’habitude. Et même lorsque Murphy est venue s’ajouter au tableau de la soirée, il n’y a pas vu le moindre problème, ayant toujours eu pour adage que s’il y a de la nourriture pour deux alors il y en a pour trois, tout comme il a toujours pensé qu’on ne devait pas fermer la porte de chez soi à personne. Surtout pas à une amie de Rory, puisque c’est sûrement ce qu’ils sont aujourd’hui, à défaut de ne plus être en couple. Il était heureux d’enfin pouvoir poser un visage sur un nom, rien de plus mais surtout rien de moins.

Pour ce qu’il en est du reste des événements, il peine encore à comprendre comment les choses ont pu en arriver là aussi rapidement, sans qu’il ne soit capable de stopper l’engrenage. Dieu sait qu’il met du cœur à s’interposer face à tout conflit, pourtant, mais il est bien moins doué pour le faire dès qu’il en est lui-même au cœur. Ce n’est pas ce qu’il cherchait, c’est pourtant bel et bien ce qu’il s’est passé. Murphy a vu en lui un ennemi à abattre et elle est parvenue à ses fins sans le moindre mal quand, de son côté, Swann se retrouve à fouiller dans les tiroirs de la salle de bain à la recherche de strips pour tenter de refermer la plaie de sa main autant qu’il le peut. La blessure n’est pas inquiétante, simplement impressionnante à en juger par le sang qui ne cesse d’en couler. Elle est mal placée, voilà tout, et il dira à quiconque lui demande que tout est de sa faute puisqu’il est le seul à avoir attrapé le couteau du côté de la lame. Il ne précisera pas qu’elle le pointait vers lui, il n’ajoutera pas qu’elle s’était elle-même entaillée juste avant ça. Il a attrapé le couteau, il s’est coupé ; fin de l’histoire. Il n’a rien dit à Rory ni même à Arthur, n’ayant eu qu’à refermer sa paume pour que tout passe inaperçu. Nul besoin de les inquiéter, leur préciser que la douleur revient par vagues ne pourra pas leur donner la possibilité de tout soigner miraculeusement. Il n’a déjà pas pu leur cacher l’état de son nez, alors autant qu’ils n’apprennent pas de suite toute l’étendue des dégâts. Tout n’est qu’un malentendu, un malheureux malentendu, et la raison pour laquelle ses yeux se gorgent soudainement de larmes n’a rien à voir avec la douleur. Son coeur se serre déjà à l’idée d’avoir de nouveau perdu Rory pour une stupide raison. Il ne peut pas déjà le perdre, pas de nouveau, pas alors qu’il goûtait à nouveau pleinement à la vie et qu’il pouvait assurer à ses amis être heureux et les regarder droit dans les yeux sans qu’il n’y ait le moindre mensonge dans ses mots.

Le robinet qu’il ouvre au maximum (pardon Madame Planète) a pour but de couvrir le bruit de ses sanglots alors qu’il laisse glisser son dos contre la paroi froide et carrelée de la pièce. Sa main saine est refermée dans un poing qu’il enfonce rageusement dans le sol, recroquevillé sur lui-même, son visage perdu entre ses genoux repliés contre son torse. Il n’a jamais voulu en arriver là et ne pas pouvoir ne serait-ce appeler Rory est sûrement ce qui lui fait le plus mal dans toute cette histoire. Ils ne peuvent pas avoir fait tant d’efforts et tant de progrès durant les derniers mois écoulés pour finalement revenir au point de départ. Swann s’est toujours promis qu’un jour il aurait la vie dont il rêve et qu’il ne le devrait qu’à ses propres efforts, mais la vérité c’est que même en ayant professionnelement accompli tout ce qu’il désire, c’est aussi et surtout une vie auprès de Rory qu’il convoite. Et sans lui, il n’est plus rien. Peu importe à quel point cela ne ressemble pas à son plan initial, cela lui importe peu puisque c’est Rory dont il est question et non du premier venu. Rory qu’il aime depuis presque aussi longtemps qu’il a posé le pied sur cette grande île, Rory pour qui il a chamboulé toute sa vie sans que cela n’ait jamais été une erreur. Rory, pour qui il serait prêt à tout, Rory qui lui manque déjà terriblement. Rory qui, par-dessus tout, ne voudrait pas le savoir dans un tel état. L’anglais expire doucement pour tenter de contrôler les battements de son cœur et relève la tête pour calmer le flux de larmes. Tout ce qu’il doit faire, c’est nettoyer sa plaie et tenter de trouver le sommeil, quand bien même il anticipe déjà avoir perdu toute aptitude à le faire s’il n’a pas l’australien dans ses bras ou ne se trouve pas être dans les siens.

Demain sera une nouvelle journée, demain tout ira mieux.

***

Est-ce qu’on peut parler ?
Je suis désolé.
J’ai merdé, hier.
Hey, je veux juste parler.
Rory…

Swann envisage les différentes approches possibles dès l’instant où il aura cogné quelques coups contre la porte de l’australien, ne voulant pas utiliser sa propre clé dans ce cas de figure précis, une part de lui craignant qu’il ne soit pas le bienvenue dans l’appartement. Si Swann n’entretient toujours pas de rancœur à l’égard de Murphy, il craint pourtant qu’elle ait pu lui raconter sa propre version des faits et que celle-ci dénote tout particulièrement de la réalité. La gorge serrée, il entre le code d’entrée de l’immeuble d’une main mal assurée. Jamais il n’était venu chez Rory en se sentant aussi mal, jamais il n’avait douté un seul instant qu’il serait heureux de lui ouvrir la porte. Aujourd’hui, les strips autour de sa plaie ne demandent qu’à être retirés par des doigts qu’il passe frénétiquement par dessus et son nez encore gonflé se fait la preuve des violences de la veille. Si son petit-ami n’était pas autant concerné que lui par toute cette histoire, il ne serait pas sorti de chez lui avant que son visage soit de nouveau parfaitement normal, ne supportant pas le regard intrigué d’autrui se poser sur lui et aussitôt des parfaits inconnus lui imaginer des accès de violence ou Dieu sait quoi encore.

De façon prévisible, il oublie tout le discours qu’il avait pu préparer jusque-là au moment même où ses phalages appuient par trois coups contre la porte d’entrée de l’appartement qu’il connaît par cœur. Son coeur ne sait que se serrer davantage et sa gorge tout autant, au point où il peine à respirer convenablement. Ses molaires retiennent l’intérieur de ses joues prisonnier, il éclate frénétiquement les bulles d’air de ses doigts. Tous les signes d’insécurité sont présents, sans exception, et l’anglais ne les fait cesser qu’au moment où la silhouette de l’acteur se dessine dans l’encablure de la porte. Désormais, seule sa poitrine se soulevant rapidement trahit son véritable ressenti sur la situation. La première seconde écoulée ressemble à la deuxième, parfaitement silencieuse. Et puisque Rory ne lui demande pas de rentrer chez lui, comme il avait pu terriblement le craindre jusque-là, Swann se permet enfin d’être véritablement lui-même en abaissant ses barrières. Il réduit rapidement la moindre distance entre eux, venant passer ses mains dans son dos dans le but de l’étreindre sans la moindre délicatesse, ayant attendu ce moment pendant bien trop de temps. Il cherche son parfum, la chaleur de son corps, le toucher de ses cheveux. Il le cherche lui, tout simplement, seulement lui - quand bien même cela signifie plutôt tout à ses yeux. S’il ne presse qu’une seule main contre son dos, cela ne l’empêche pourtant pas de profiter de l’instant autant que possible. “Je suis désolé.” Il n’est pas un homme orgueilleux, il sait s’excuser lorsqu’il est en tort. Et au sujet de l’autre soir, il sait l’avoir été. “Je t’aime.” Et c’est tout aussi important à préciser, en particulier à cet instant. “J’ai détesté cette nuit.” Ces mots lui coûtent bien plus à prononcer, cette fois, surtout alors qu’elles lui ramènent aussi en mémoire des souvenirs encore intacts. Il se souvient de la douleur qu’il a ressenti et du vide infini dans son cœur, autant d’émotions le laissant aujourd’hui avec une voix tremblante et des yeux menaçant à nouveau de laisser écouler toutes leurs larmes. Sa main, elle, remonte jusque dans ses cheveux, là où elle vient se refermer. “J’ai pas… Je suis… Je t’aime, je t’aime tellement. J’ai pas su gérer, j’ai pas su faire face, j’ai pas été assez fort. Je suis désolé. Les mots lui manquent quand, finalement, ce qui compte le plus à ses yeux c’est de pouvoir lui assurer tout l’amour qu’il lui porte.

« Challenges are temporary, life is constant. Don't overthink it, just move forward. »