Je ne suis pas une très grande fan de plage. Bien sûr, comme tout le monde, j’aime passer mes étés au bord de la mer, à laisser mon corps savourer les rayons du soleil et l’odeur de l'eau salée. Mais il faut dire que cela fait longtemps que je ne me suis pas accordée de vraies vacances et que je n’ai pas mis les pieds dans l’eau. Et puis le reste de l’année, j’ai toujours été habituée à la grisaille et à la pluie. Alors imaginez ma surprise quand j’ai appris qu’il y avait une plage artificielle à Brisbane. Je me demandais comment c’était possible de créer un tel endroit en plein cœur de la ville. J’imaginais une plage artificielle à Londres. Impensable ! Toujours est-il que j’étais curieuse et que je m’étais promis d’aller y jeter un coup d’œil après le travail.

« Très bien Aiden. Nous avons fini notre séance. A la semaine prochaine, et portez-vous bien ! » Il ferme la porte et je me lève pour rassembler toutes mes affaires dans mon sac. Je regarde par la fenêtre. Le soleil est en train de se coucher. Je ne vois vraiment pas les journées passer en ce moment. Les patients s’enchaînent et s’accumulent. J’ai vraiment hâte que ma journée de congé arrive. Mais bon, à chaque fois que je suis en congé, je ne peux pas m’empêcher de culpabiliser. Et si l’un de mes patients avait besoin de parler à quelqu’un, en ce jour précis ? Et si l’un d’eux était en train de déprimer ? C’est ça le risque de s’attacher à ses patients : on se demande toujours comment ils vont, on se préoccupe toujours un peu. Mais je crois qu’il vaut mieux avoir de l’attention qu’ignorer. Je ferme les volets des fenêtres et j’éteins la lumière. Je m’arrête quelques instants prendre un thé dans un des commerces du coin et le finis assez rapidement. Il me tarde d’aller voir cette plage. Je monte ensuite dans ma voiture et je me dirige vers le quartier de Logan City. Je commence à m’habituer aux rues de Brisbane. C’est agréable. Plus le temps passe et plus je me sens à ma place.

J’arrive finalement à la plage. Je sors de ma voiture et je sens le vent me fouetter le visage. Je me dirige vers l’entrée et j’enlève mes talons hauts. Je relève un peu ma jupe pour ne pas la salir et je marche tranquillement en appréciant la vue qui s’offre à moi. Certes, c’est une plage artificielle mais si on ne le sait pas on pourrait croire que c’est une vraie plage. Je trouve cet endroit très beau. Le sable n’est pas très chaud, il faut dire que le temps commence un peu à se refroidir. Au loin, le soleil se couche et offre un spectacle magnifique. Je ferme les yeux pendant quelques minutes. Je pourrais rester ainsi pendant des heures, jusqu’à ce que la nuit l’emporte sur le jour.

Soudain, j’aperçois une femme blonde, assise sur le sable. A part elle, il n’y a personne. Celle-ci n’a pas l’air d’être en très bon état. Je crois même qu’elle pleure. Alors sans plus tarder, je me dirige vers elle tout en ne la lâchant pas du regard. Effectivement, elle pleure. Finalement, une fois arrivée à sa hauteur, je m’assois près d’elle. Je la regarde pendant quelques instants et finis par lui demander d’une voix douce. « Ça va ? » Question stupide, j’en ai conscience. Celle-ci essaie d’essuyer ses larmes avec difficulté. Je farfouille un peu dans mon sac et j’en sors un paquet de mouchoirs. J’en prends un et le lui tends. « Tenez, un mouchoir. » Je n’aime pas voir les gens pleurer. A chaque fois, je me sens mal et je suis prise par un grand élan de compassion. Comme à ce moment-là. Je me demande pourquoi elle pleure. « Vous ne pouvez pas pleurer, regardez cette incroyable vue ! » Je lui montre alors le coucher du soleil. C’est vraiment sublime, j’ai du mal à en détacher mon regard. Je me tourne finalement vers elle et lui dis : « Vous voulez en parler ? » Je sais qu’à plusieurs reprises j’ai parlé à des inconnus de ma vie et de mes problèmes. Et ça m’a fait un bien fou. Alors bien sûr, on ne réagit pas tous de la même façon face à la tristesse mais je ne pouvais pas rester là sans rien faire. Tout ce que je veux, c’est l’aider.

Finalement, la femme à côté de moi se met à parler, au milieu de ses larmes. « Ca va très bien merci. » Elle est directe, sèche. Je ne m’attendais pas à ça, je dois l’avouer. Je ne me déstabilise pas pour autant et continue de la regarder. « On ne dirait pas pourtant… » finis-je par dire d’une voix douce. Elle me fait un peu penser à Hannah. Froide, glaciale. Je n’aime pas trop ce genre de personnes, je dois l’avouer. Et je pourrais partir bien sûr. Je n’aime pas qu’on me parle de cette façon alors que je suis tout à fait aimable. Mais je sais aussi reconnaître quand quelqu’un a besoin d’aide. C’est mon métier après tout. Alors si cette femme croit que je vais me laisser abattre par sa froideur, elle se trompe largement. « En quoi ça vous intéresse ? Je pleure et alors ? J'appelle pas à l'aide, j'en ai pas besoin. Un petit moment de faiblesse ne fait pas que j'ai des problèmes, ne fait pas que j'ai besoin de « parler ». » Je soupire un peu. J’ai déjà eu des patients comme ça, j’ai l’habitude. Allez Kelya, tu peux le faire. Tu en es capable. « Ecoutez, je vous ai juste vue en train de pleurer et je me suis dit que vous auriez pu avoir besoin de quelqu’un avec qui parler. Quelqu’un qui ne vous connait pas, qui est tout à fait objectif et qui ne vous jugera pas. » Je sais que mon petit discours ne suffira pas. Qu’il faut que j’agisse comme elle. Je ne sais pas pourquoi je fais autant d’efforts pour aider les autres, et plus particulièrement pour des inconnus. Une habitude, il faut croire. Et comme elle continue encore de pleurer, je lui dis : « Je peux partir si c’est ce que vous voulez. Mais vous allez vous retrouver seule, vous allez pleurer encore et encore et ça n’ira pas mieux. Sinon, je peux rester et faire ce que je fais de mieux : vous aider. » Je laisse mes paroles traverser sa tête. Et, pour que tout soit bien clair entre nous, j’ajoute : « C’est ce que je fais tous les jours en fait. Je suis psychologue. » Je souris un peu. J’avoue que je ne suis pas peu fière. Mais bon, ce n’est pas le sujet. « Qu’est-ce que ça vous coûte d’essayer de toute façon ? » finis-je par dire. C’est vrai. Elle dit qu’elle n’a pas besoin d’aide mais c’est juste un prétexte pour rester seule. Mais rester seule, c’est bien le pire dans ces moments-là. Je ne le sais que trop bien.

La jeune femme en face de moi se radoucit un peu. Pas beaucoup, mais c’est déjà ça. Je vois très bien que ce n’est pas une femme qui est du genre à parler de ses problèmes au barman du coin, ni à sa meilleure amie – en supposant qu’elle en ait une – Non, ce n’est pas ce genre de femmes. Je dirais plutôt que c’est une femme qui donne l’impression qu’elle a besoin de personne, qui paraît forte aux premiers abords. Mais tout le monde a ses moments. Tout le monde craque un jour. Tout le monde a besoin de soutien. L’être humain n’est pas fait pour vivre seul. La solitude, ça vous bouffe, ça vous ronge de l’intérieur. Et si on ne prend pas conscience de ça, alors on court à sa perte. J’ai déjà fait l’expérience une fois. Je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai vécu. Peut-être que c’est pour ça que j’ai envie d’aider les autres. Parce que je sais ce que ça fait de vivre comme si le monde s’en fichait, isolé de tous. Je sais ce que ça fait de se perdre et de ne trouver aucune aide alors qu’on en aurait bien besoin. « Je suppose que c'est sympa de votre part. » finit-elle par dire. Les larmes coulent un peu moins sur son visage. C’est déjà ça. « Mais j'ai un blocage depuis tant d'année que je serais incapable d'en parler là comme ça. Je vis avec depuis si longtemps que je m'y suis fait. Enfin pas tellement. Mais même en parler ne m'aidera pas à me sentir mieux je … » Je la regarde, perplexe. J’ai l’impression qu’elle est perdue. J’aimerais lui prendre la main pour la réconforter, mais quelque chose me dit que ça n’est pas une bonne idée. Je baisse un peu les yeux, pour prendre le temps de réfléchir. « Vous ne savez pas. Vous ne savez pas ce que ça fait d’en parler puisque vous ne l’avez jamais fait. Vous ne pouvez pas prédire que cela ne vous aidera pas. Peut-être que vous pouvez vous surprendre. » Je la regarde avec un air attendri. Je me demande ce qui la ronge à tel point de ne pas pouvoir en parler. Elle dégage quelque chose de si mystérieux. C’est vraiment intriguant. « Peu importe ce qui vous tourmente, je suis certaine qu’en parler vous libérera d’un poids. Au moins, il faut essayer. Vous n’irez pas mieux si vous n’en parlez pas en tout cas, c’est certain. » Peut-être qu’elle croit qu’elle peut tout garder en elle. Qu’elle peut tout supporter. Mais visiblement, elle n’a pas l’air de tenir le coup si bien que ça. Elle ne peut juste pas l’avouer. « Est-ce que vous voulez bien essayer ? Juste une fois ? » Je cherche son regard mais elle a l’air ailleurs. J’essaie d’avoir la voix la plus douce possible et ne pas trop me montrer intrusive. Il ne faudrait pas qu’elle prenne peur. « Il n’y a personne pour vous juger, ou pour divulguer votre histoire. Je suis juste là pour soulager votre peine. Un peu. » Je lui adresse un mince sourire, tout en la quittant pas des yeux. J’ai vraiment le sentiment qu’elle a besoin d’aide. Et ça tombe bien, puisque c’est exactement ce pour quoi je suis douée.

Je dois dire que je suis intriguée. Je me demande bien ce qui peut la tourmenter autant pour qu’elle soit dans cet état. Je vois bien qu’elle essaie de contenir ses larmes, mais je vois bien que ce n’est pas évident non plus. J’ai envie de savoir. Mais surtout, je veux me rendre utile. Je n’ai pas envie de rester plantée là et la regarder pleurer pendant des heures. Non, ça serait inutile. Ce que je veux, moi, c’est être celle qui lui fera sécher ses larmes. Je ne sais pas si j’en suis capable. Je l’espère en tout cas. « Faudrait surtout que j'en parle à ma sœur, elle a le droit de savoir après toutes ces années, après qu'elle m'ait suivi sans posé de questions quand j'ai voulu absolument partir de la maison, après tout c'est elle qui le voit encore et qui ne devrait pas, il devrait juste crever dans son coin et rejoindre une bonne fois pour toute sa femme en enfer ! » Je sens une once de colère dans sa voix. Mais je n’ai pas le temps de réfléchir, puisque je la vois éclater en sanglots et mettre sa tête entre ses genoux. Mon cœur se serre un peu en la voyant comme ça. Je ne la connais pas pourtant. Mais j’arrive à sentir que la tristesse pèse beaucoup sur ses épaules, et ça me fait de la peine. Je me pince les lèvres et passe ma main sur son dos doucement. Elle ne me rejette pas, je suis soulagée. D’une voix douce, je lui dis : « Allez-y, pleurez. Il faut savoir se laisser aller parfois. » Je ne sais pas si elle m’entend mais en tout cas elle continue de pleurer. Encore et encore. Je me sens impuissante. C’est vraiment horrible comme sensation. Alors je la caresse dans le dos, de haut en bas. Je ne sais pas si ça la rassure. Moi ça m’aurait rassuré en tout cas. « Ça va aller ne vous inquiétez pas. » Peut-être que ce n’est pas vrai. Je n’en sais rien. Mais il faut bien qu’elle se rattache à quelque chose. Il faut bien qu’elle ait un peu d’espoir. Je sais par expérience que sans espoir, on sombre rapidement. Ce n’est pas ce que je lui souhaite. Au bout de longues minutes qui me paraissent interminables, je sens que ses sanglots deviennent un peu moins forts. Elle relève un peu la tête et essuie ses larmes. Je ne la quitte pas du regard. J’attends un peu qu’elle se calme pour lui demander : « De qui parlez-vous ? Et pourquoi votre sœur ne devrait pas voir cette personne ? » Je me rapproche un peu d’elle, pour ne pas qu’elle ait à parler trop fort. J’essaie d’être la plus douce possible, de prendre des pincettes. Parce que je sens qu’elle n’est pas du genre à se confier comme ça. Pourtant, ça lui ferait un bien fou. Il faut juste qu’elle s’en rende compte.

Finalement, ses larmes deviennent moins abondantes. Je suis soulagée. Je n’ai jamais aimé voir les gens pleurer. A chaque fois, ça me fait beaucoup de peine. C’est contagieux. « Ce n'est pas qu'elle ne devrait pas, elle est assez grande pour se défendre à présent, mais je sais qu'elle ne voudra plus le voir et m'en voudra de ne pas lui avoir dis plus tôt que notre père me touchait un peu plus qu'un père le devrait … » Je ne peux m’empêcher d’avoir un regard ébahi. Je ne m’attendais pas à ça, je dois l’admettre. Je comprends mieux pourquoi elle n’en a jamais parlé à personne. Je n’ai jamais vécu ça, alors je ne peux pas vraiment la comprendre. Mais je devine que c’est quelque chose qui doit beaucoup lui peser sur la conscience. J’ai déjà eu une patiente victime de viol. Elle était très fragile, elle vivait dans une peur constante. Elle ne menait vraiment pas une vie facile. Je reste silencieuse pendant quelques instants. Je n’imagine pas à quel point elle doit être traumatisée. Je me pince un peu les lèvres et dis d’une voix presque inaudible : « Je suis désolé… » Je sais que ça ne change pas grand-chose. Que ça n’effacera jamais toute la douleur qu’elle a dû endurer depuis des années. Mais au moins, maintenant elle sait qu’il y a quelqu’un qui connaît son terrible secret. Elle n’est plus seule. Elle n’a pas à traverser ça seule. Peut-être que la solution, c’est d’apaiser sa douleur en la partageant aux autres. Parce que oui, je me sens terriblement mal pour elle. J’aimerais pouvoir faire quelque chose pour pouvoir tout changer. Pour ne pas qu’elle ait à souffrir injustement. Mais je ne peux pas revenir en arrière. Personne ne le peut. Tout ce que je peux faire, c’est essayer de cicatriser ses blessures, aussi profondes soient-elle. « Il vaut mieux tard que jamais. Elle mérite de savoir la vérité. » Bien sûr, la solution la plus simple serait de tout raconter à sa sœur. Mais ça n’est pas si facile que ça. Comment choisir les bons mots pour annoncer ce genre de choses ? Même moi je n’en ai aucune idée. Je soupire un peu. « Je vois bien que cela est difficile pour vous, et je comprends tout à fait. Il n’y a aucune manière d’annoncer ça délicatement. » C’est vrai que c’est une situation compliquée. Je ne sais pas comment j’aurais réagi à sa place. « Mais dites-vous que plus vous tardez à le lui dire, et plus vous laissez votre sœur fréquenter une personne nocive pour elle. Lui dire la vérité, c’est juste la sauver d’un éventuel danger. Tant pis si elle vous sera vexée contre vous pendant un moment. La priorité, c’est sa sécurité maintenant. » Je me pince un peu les lèvres. Je ne sais pas pourquoi elle a si peur de lui dire la vérité. Bien sûr, la vérité est effrayante. Mais comment peut-elle être sûre que sa sœur est en sécurité ? Je lui dis alors doucement : « D’autant plus qu’il n’y a pas d’âge pour être victime de ce crime. Personne n’est à l’abri, vous savez. » Oui, c’est terrifiant de se rendre compte que nous sommes potentiellement constamment en danger. On ne s’en aperçoit pas forcément, c’est vrai. On a trop tendance à se croire en sécurité, que rien ne peut nous atteindre. Mais la vérité, c’est que nous sommes tous vulnérables. Tous.

Evidemment que je me sens mal. Comment ne pas l’être devant une telle détresse, une telle souffrance ? Alors bien sûr, je ne peux pas savoir tout ce qu’elle a vécu et tout ce qu’elle a dû endurer. Mais je peux deviner dans son regard toute la douleur qu’elle essaie de cacher. Maintenant, c’est clair comme de l’eau de roche. Et maintenant que je vois ça chez elle, je n’ai juste qu’une envie : l’aider. « Non ! » dit-elle soudainement dans un cri étouffé. Je ne peux pas m’empêcher d’avoir un air surpris. Je ne m’attendais pas à cette réaction, je dois l’avouer. « Non il ne la touchera pas. Elle n'est à l'abri de rien c'est évident, mais lui, jamais … jamais. » Je fronce un peu les sourcils. Elle est la seule qui sait ce que cet homme peut faire. Pourquoi ne peut-elle pas admettre qu’elle est potentiellement en danger ? « Comment pouvez-vous en être si sûre ? » Je ne comprends pas pourquoi elle est dans le déni. Peut-être qu’elle ne peut pas accepter le fait que son père puisse faire du mal à ses filles. Peut-être qu’elle le voit encore comme son père et qu’elle n’arrive pas à le voir comme un mauvais homme. Pourtant, tout à l’heure, elle avait l’air plutôt virulente envers lui. Peut-être que ce n’était qu’une façade. Je ne sais pas trop. Je me pose mille et une questions. Et c’est très frustrant de ne pas pouvoir avoir toutes les réponses maintenant. Je me pince un peu les lèvres. « Pourquoi pensez-vous que votre père puisse vous faire du mal et pas à votre sœur ? Quelle est la différence ? » Il doit sûrement y avoir une explication. Une raison pour laquelle elle pense que son père ne touchera jamais sa sœur. Mais je me demande bien quoi. J’essaie de chercher, mais je ne trouve pas. Alors je me contente de la regarder avec mon air interrogateur et bienveillant. Pauvre femme. Elle ne veut certainement pas qu’on la plaigne, mais je ne peux pas m’en empêcher. Quand on rencontre quelqu’un qui a souffert en silence pendant des ans, on ne peut pas être insensible. En tout cas moi, je ne peux pas l’être. Je me rends compte que je ne connais même pas son prénom. Mais ça n’a pas vraiment d’importance en fait. Je veux juste être là pour soulager sa peine. Au moins un peu.

La femme à côté de moi semble un peu plus calme, et ça me soulage un peu. Cependant, je vois bien qu’elle a un gros poids qui lui pèse sur les épaules et qu’elle n’arrivera pas à s’en débarrasser comme ça. Elle a besoin de ton aide Kelya. Tu le sais. Oui, je le sais très bien. Et je ne compte pas la lâcher comme ça. « Parce qu'il sait que je n'aurais aucune pitié pour lui s'il la touchait. Il le sait depuis des années et jamais il ne l'a touché. » Je soupire un peu. Je ne sais pas trop si je suis soulagée ou inquiète. Elle a l’air tellement certaine de ce qu’elle avance et apparemment, elle a raison pour l’instant. Mais c’est bien ça le problème. Ce n’est que pour l’instant. Elle ne peut pas être sûre à 100% qu’il ne récidivera pas. Et par expérience, je sais qu’on n’apprend pas toujours de ses erreurs. Au contraire même. « Et puis c'est un gros lâche. » Je fronce un peu les sourcils. Je ne sais pas trop pourquoi elle dit ça, alors je me contente d’hocher la tête. Je laisse le silence planer pendant quelques minutes, puis je dis d’une voix douce : « Je pense quand même que vous devriez dire la vérité à votre sœur. Elle mérite bien ça. » De toute façon, j’ai toujours prôné la vérité au mensonge, même si elle est blessante, même si elle est plus difficile à dire. Il vaut mieux savoir qu’ignorer. « Merci. Merci de m'avoir fait réaliser tout ça. Je m'appelle Rebecca Priest au fait. Je vous en dois une. » Je lui adresse un sourire plein de compassion. Si je m’écoutais, je la prendrais dans mes bras, mais quelque chose me dit que ce n’est pas une bonne idée. « Je vous en prie, ce n’est vraiment rien. » Je le pense vraiment. Je n’allais pas laisser une personne comme elle se noyer dans sa détresse. « Je m’appelle Kelya Thompson. Je suis enchantée de vous rencontrer, malgré les circonstances. » A nouveau, un sourire s’affiche sur mes lèvres. Je suis rassurée de voir qu’elle ne se noie plus dans ses larmes, même si je sais que la douleur est toujours là, quelque part. J’ouvre alors mon sac pour prendre mon portefeuille et sortir une carte de visite. Je la lui tends et attends qu’elle la prenne pour ranger mon portefeuille et fermer mon sac. « Si vous voulez vraiment me faire une faveur, appelez-moi. Je sais que c’est un peu effrayant de consulter une psychologue, mais je crois que vous en avez vraiment besoin. Vous ne pouvez pas tout garder pour vous, vous voyez bien que ça vous déchire de l’intérieur. » Je ne sais pas trop si elle va accepter, alors j’insiste. « Ecoutez, si vous vous sentez mal à l’aise par rapport à ça, nous pouvons faire des consultations ailleurs qu’au cabinet. Ici par exemple. C’est calme, et personne ne viendra nous déranger. » Je crois bien que c’est la première fois que je propose de faire une séance en dehors du cabinet. Mais c’est excitant, d'avoir un peu de nouveauté. « Je veux vraiment vous aider, Rebecca. Sachez-le. » Je lui adresse un de mes sourires bienveillants et la regarde attentivement, en attendant sa réponse. J’espère qu’elle va accepter, parce qu’elle ne peut pas se battre toute seule.