J’aime être là, dans ses bras. Même si c’est le milieu de la journée. Que lui a du travail et moi aussi. Je voudrais qu’on reste ici des heures et des heures. On est au milieu de la rue et pourtant j’ai oublié le monde entier autour de moi. C’est comme si il n’y avait plus que lui et moi, plus que nous et ce lien qu’on a perdu pendant tant d’années. Et j’ai déjà envie de lui donner toute ma confiance, tout mon amour. Comment c’est possible d’être aussi attaché à quelqu’un 10 minutes après l’avoir rencontré ? Je ne sais pas, mais je n’ai plus envie de partir, de le quitter. Je suis terrifiée à l’idée qu’on s’abandonne une nouvelle fois. Alors je reste là, dans ses bras, la tête contre son torse.

Mais j’ai du travail, je pense qu’il en a aussi. Et pourtant, j’aimerais qu’il me suive. Mais je ne lui demanderai pas de tout quitter pour moi, pas alors qu’on se connait tout juste. Je ne veux pas qu’il abandonne tout pour moi, ce serait trop. Mais mon sourire, mes pas qui ne veulent pas s’éloigner me trahissent sûrement. Il sourit lui aussi, il a l’air soulagé et il ébouriffe mes cheveux. J’ai l’impression d’être une enfant, d’avoir trouvé ma vraie place. Celle que j’ai toujours eu l’impression de louper en réalité. Et je commence à comprendre, tout se met en place dans mon esprit quand je ressens que ce vide dans mon coeur se comble de plus en plus à chaque mot de Jack. A chaque fois qu’il me rassure un peu plus, il est parfait. Je n’aurais pas pu rêver mieux, je ne m’attendais pas à être acceptée aussi vite, aussi fort. Je lui ai manqué, je le sens. Il ne me lâche pas, il savait que j’existais depuis toutes ces années.

Je pourrais sautiller quand il me dit qu’il peut transporter ses affaires. On part pas. Enfin, on part, mais ensemble. Je suis stressée, mais tellement heureuse. “Tu m’accompagnes alors ?” Et mon sourire est gigantesque quand je croise les bras pour attendre qu’il les récupère ses fameuses affaires.

“Tu m’accompagnes alors ?” bien sûr qu'il l'accompagne, bien sûr qu'il la suit partout, n'importe où elle le voudra.

Il aurait dû le faire il y a des années déjà Jack, il aurait dû la suivre à la trace et éviter la perte de nouvelles d'une Ava qui s'était envolée dans la nature. Un jour, il saura pourquoi Jack, un jour on le lui dira et il sera terrifié de voir à quel point il n'a pas été un véritable père, un vrai, encore une fois. « C'est le plan. » qu'il murmure pourtant. Lui qui aurait accepté sans même qu'elle ne lui pose la moindre question.

C'est le plan, et ça sonne amer sur sa langue. Parce que le plan n'était pas de se retrouver dans les bras l'un de l'autre dans une ruelle de Spring Hill. Le plan n'était pas de disparaître de force de sa vie à elle pour vivre à moitié sa vie à lui. Le plan n'était pas de se briser le coeur au fil des jours sans avoir une seule information sur sa gamine, sur sa vie et sur comment elle réussit. Le plan n'était pas qu'elle lui demande une poignée de minutes plus tôt si il avait voulu d'elle non plus. Le plan ou plutôt l'absence de, il le déteste, il le maudit, il rage Jack, ravale aussi.

Il se noierait dans des doutes et des craintes et de la colère, s'il ne se laissait pas calmer par le regard si doux, si bon de sa fille. « On peut marcher, jusqu'à ton boulot? » sa voiture l'ennuie, les taxis et les transports en commun lui semblent aussi aseptisés qu'irritants. Et même s'ils doivent parcourir de kilomètres à pied, il s'en fout Epstein. Il veut profiter de chaque seconde de leurs retrouvailles, et tant mieux s'ils peuvent ajouter une longue promenade à leur compteur. Tant mieux s'ils ont une excuse de plus pour multiplier les mots et les confessions, les questions et les conversations.

J’ai l’impression d’être une gamine. Je suis presque en train de le supplier de me suivre alors que c’est tout sauf raisonnable. Et je lui sauterai presque dans les bras quand il me confirme qu’il va me suivre, je suis ravie, vraiment folle de joie. Il faudrait peut-être que je me calme avant de passer pour une folle. “J’espère que t’aime les animaux.” Parce qu’au refuge il n’y a que ça. Et parce que s’il me suit il pourrait même m’aider à m’occuper de tout ce beau monde. Je ne sais pas si j’avance ou s’il doit retourner dans son bureau avant toute chose. J’attends d’avoir plus d’informations. Et, tout ce temps, je ne reste qu’à quelques centimètres de lui, et déjà la distance que je m’impose pour pouvoir le regarder dans les yeux me parait insoutenable. Mais je tiens bon, un sourire naïf et véritablement heureux ancré sur mon visage.

Je hoche la tête vivement “J’adore marcher.” Quelques petites informations que je lui donne avec plaisir, des détails qui nous permettront de mieux nous connaître. Et je crois bien que j’ai besoin de ça, que lui aussi aimerait déjà tout savoir sur ces décennies qui nous ont séparé de force. Je regrette, tellement, mais je me force à ne pas y penser, on ne doit plus vivre dans le passé, on doit profiter du présent. Et on part pas, on l’a dit. “Je travaille au refuge à Redcliffe.” Peut-être qu’il connait bien la ville, alors je lui dis tout. Je lui fais déjà une confiance aveugle. On me l’a toujours dit, je fais confiance aussi vite que je m’attache, trop vite et trop fort. Mais je ne change pas, et je me dis que je serai encore comme ça pendant un paquet d’année. En espérant que mon père ne soit pas de ces gens qui aiment abuser de la gentillesse des autres. Il n’a pas l’air comme ça, il a plutôt l’air comme moi, et ça, ça me fait sourire, ça me répare un peu le coeur aussi.

“J’adore marcher.” c'est niais, c'est naïf, c'est stupide mais c'est lui, quand il sent un immense sourire s'installer sur ses lèvres. Il adore marcher aussi, et il adore surtout l'impression qui monte qu'ils ont des points en commun, tous les deux. Même les plus minimes, même ceux que tout le monde a, au final. La majorité des gens sur Terre aime marcher Jack, t'es pas spécial là, tu l'es jamais. Pourtant il adapte son rythme à celui de Molly, et chaque pas, chaque petit pas lui fait office de métaphore d'eux. Doucement, tout doux.

Elle brise le silence, il s'étonne que la voix de la brunette lui soit déjà aussi familière, aussi rassurante. “Je travaille au refuge à Redcliffe.” il hoche de la tête de la positive, cherche à situer l'immeuble, diffus au point de ne même plus savoir ils sont dans quel quartier maintenant tant sa tête est ailleurs. Il pense à eux, il pense à elle, il pense à son boulot et au quartier et à toutes les fois où il a dû y traîner sans jamais la voir, sans qu'elle ne le voit non plus. Il ose pas se briser encore plus le coeur Epstein, en lui demandant depuis combien de temps. La potentielle réponse et la possibilité de l'avoir manquée ici pendant des années lui glacent le sang.

« Y'a des bols de lait, dans mon jardin, pour les chats errants. » alors il se concentre sur quelque chose de bon, sur tout le positif qu'il peut trouver pour meubler la conversation. « Ils vont et viennent, je pense qu'ils aiment l'attention. » et lui, il aime être là pour eux. Jamais il ne les forcerait à rester chez lui, jamais il ne les adopterait en leur coupant leur liberté de passer pour mieux revenir comme bon leur semble. Ainsi, il en connait probablement une dizaine rien qu'à lui, de chats errants desquels s'occuper. Autant d'aventuriers à quatre pattes en lesquels il se reconnaît bien.

« Si tu me dis que le lait est mauvais pour eux, va falloir que tu me donnes des arguments pour leur faire passer la nouvelle, par contre. » qu'il ajoute, dans un sourire.

Je marche à ses côtés. J’essaie de me rappeler par où je dois aller, je ne dois pas louper les rues même si je pourrais passer mon temps à observer le visage de Jack pour en mémoriser tous les traits. Je meuble le silence quelques fois, pour lui dire où on va. Mais le silence n’est pas gênant. Il fait encore beau et je trouve la ville bien plus jolie que d’habitude, je pofite de chaque instant, un peu comme si tout ça n’était qu’un rêve. Un rêve dont je ne voudrais jamais me réveiller. Je me perds un peu dans mes pensées alors qu’on se rapproche du refuge, juste avant qu’il n’attire toute mon attention et que je manque de me casser la figure parce que j’ai tourné la tête trop vite et que mon pied s’est emmêlé à l’autre. Je me rattrape au dernier moment, mais c’était moins une. Il peut déjà voir que je suis du genre maladroite, cette balade lui permet de mieux connaitre mes petits défauts apparemment. 


Il me parle de chats et je trouve ça attendrissant, j’aime qu’il apprécie la compagnie des animaux. Peut-être que je pourrais les voir un jours ces chats qui vont et viennent dans son jardin. Je l’espère en tout cas. Mais je ne veux pas aller trop vite. Je veux qu’on se laisse le temps d’évoluer maintenant qu’on s’est retrouvé. Mon sourire s’agrandit et je tourne de nouveau la tête vers lui (bien plus doucement cette fois). "Ils t'en donnent aussi un peu de l'attention ?" mon sourire s'agrandit, je ne sais même pas si il vit seul, je ne sais rien de rien sur lui. Et pourtant, j'ai déjà l'impression de le connaitre depuis toujours  Je garde quelques secondes mes remarques sur le lait, et je pouffe de rire quand c'est lui qui me demande d'en parler. "Il faut éviter le lait avec lactose parce qu'ils ne le digèrent plus quand ils sont adultes." et là je retiens encore les milliers de détails que je pourrais rajouter. J'essaie de faire court. "Le lait sans lactose tu peux leur en donner mais pas en trop grosse quantité. C'est plein de calorie et ça crée de l'obésité chez le chat." j'en fais trop encore, j'aurais juste pu dire que c'était bon mais pas trop souvent. "Mais j'ai une super astuce si tu veux qu'ils viennent vers toi plus facilement ! Tu peux acheter des petites friandises, ou leur donner des morceaux de jambon ils adorent ça"   

 

"Ils t'en donnent aussi un peu de l'attention ?"
« Seulement quand ils le veulent, pas quand moi je veux. » il pouffe de rire Jack, s'amuse de sa propre connerie.

Lui qui tente tellement de ne pas brusquer le moindre animal ayant fait de son jardin son territoire de prédilection. Il se perd dans ses tentatives de faire la conversation, il se perd aussi dans le sourire de Molly qui ne finit pas de grandir au fur et à mesure des conseils qu'elle donne. Elle est passionnée par les animaux et par son boulot, peu importe ce qu'il est, il ne le voit que mieux désormais. "Il faut éviter le lait avec lactose parce qu'ils ne le digèrent plus quand ils sont adultes." et il hoche de la tête Jack, note tout, retient encore. "

Le lait sans lactose tu peux leur en donner mais pas en trop grosse quantité. C'est plein de calorie et ça crée de l'obésité chez le chat." il s'en mordrait presque les doigts le pauvre, lui qui sent son coeur se serrer, lui qui se dit qu'il a encore tout foiré. "Mais j'ai une super astuce si tu veux qu'ils viennent vers toi plus facilement ! Tu peux acheter des petites friandises, ou leur donner des morceaux de jambon ils adorent ça" l'astuce qui vient comme un baume sur sa culpabilité soudaine. Il souffle un peu mieux le canadien, instantanément. « Et le jambon ça en créera pas, de l'obésité? » le voilà qui reprend son sens de l'humour douteux de fond de tiroir là où il l'avait laissé. Son sourire en coin ne faire que le confirmer.

« Tu as des animaux de compagnie, toi? » une nouvelle question, un nouveau kilomètre de parcouru. Au fil de leurs échanges et de leurs pas, c'est con et il ne le réalisera heureusement pass. Mais Jack a l'impression qu'il rattrape un jour à la fois.

Il me parle de chat et je me sens tout de suite à l’aide, dans mon éléments. Je me sens bien à côté de Jack. Il est calme, je le suis aussi. On ne se met pas à parler du passé pour savoir tout ce qu’on a manqué, on vit dans le présent et on peut toucher du bout des doigts le futur qui se dessine devant nous. On marche des secondes, des minutes, j’en ai aucune idée. Je me force juste à essayer de faire attention à où je dois aller pour me rendre au refuge. Je sais qu’on est bientôt arrivé, et je ne veux pas me perdre dans mes pensées et louper la bonne rue. Mais il me fait rire Jack, l’ambiance est tellement légère. C’est à mille lieux de tous les scénarios catastrophes que j’avais pu faire dans ma tête. “Tu pourrais prendre un chat chez toi, ou un chien. C’est très affectueux les chiens.” Je hoche la tête, je ne peux pas m’en empêcher. Je cherche toujours à trouver de bonnes personnes pour les animaux du refuge.

Je lui donne des conseils en essayant de pas trop m’étaler sur le sujet. Je pourrais lui donner beaucoup de détails qu’il trouverait sûrement inintéressant sur le lien entre les chat et le lait. “Pas si tu leur en donne un peu, mais c’est sûr qu’il faut pas donner 10 tranches par jour. Je pense que ça te ruinerait vite.” Je ris avec lui. Comme si on se connaissait déjà depuis des années.

J’écoute sa question et je souris. J’aime qu’il s’intéresse autant que j’ai envie de m’intéresser à sa vie à lui. “Il y a deux chats qui vivent avec moi dans l’appartement.” Ce sont les chats de Léo mais ils sont bien habitués à ma présence maintenant. “Et je ramène de temps en temps” Souvent “Des animaux du refuge pour pouvoir m’en occuper et les surveiller même la nuit. Des chiots ou des chatons en général. Quand il faut leur donner le biberon et tout ça…” Et j’aime tellement faire ça. “Tu vis avec quelqu’un toi ?” Est ce que c’est trop personnel ? Je ne sais pas, mais cette question me brûle les lèvres depuis quelques minutes déjà.

C'est simple, et c'est facile. Et c'est ainsi que ça aurait toujours dû être.

“Tu pourrais prendre un chat chez toi, ou un chien. C’est très affectueux les chiens.” il sourit Jack, le Jack enfant remonte avec. Celui qui a grandit au Canada, celui qui voyait la neige et les montagne et l'océan à l'horizon. Celui qui s'ennuie de sa nature, de la nature tout court aussi. « J'avais un chien, quand j'étais gamin. Ça date. C'est un Golden Retriever. » il relate, il donne des bribes, ramène son passé en espérant recoller des morceaux le plus innocemment du monde. Morceaux qui sont éclatés depuis trop longtemps pour qu'il ait la moindre chance de réparer quoi que ce soit.

“Pas si tu leur en donne un peu, mais c’est sûr qu’il faut pas donner 10 tranches par jour. Je pense que ça te ruinerait vite.”
« Et neuf? »

Il blague, il sourit, ils sont à l'aise, de plus en plus. C'est un travail d'envergure et probablement qu'ils devront passer autant de temps à travailler sur eux et sur leur lien que de temps où ils ont été séparés l'un de l'autre. Mais l'espoir est là et il est doux, surtout. C'est déjà ça.

“Il y a deux chats qui vivent avec moi dans l’appartement.” au tour de Molly de donner des bribes, au compte-goutte. Leur pas est si lent et si adapté qu'il n'a même pas l'impression de marcher Jack. Il flotterait presque, l'idiot heureux. “Et je ramène de temps en temps”  il l'imagine arriver chez elle avec ses animaux sauvés, le coeur débordant d'amour et les yeux d'étincelles. “Des animaux du refuge pour pouvoir m’en occuper et les surveiller même la nuit. Des chiots ou des chatons en général. Quand il faut leur donner le biberon et tout ça…” il ne doute pas une seule seconde qu'elle prend tout le temps qu'il faut, qu'elle s'occupe d'eux avec autant d'amour et de patience qu'elle semble avoir simplement à en parler.

“Tu vis avec quelqu’un toi ?” puis, le monde cesse de tourner.

Il ne savait pas comment aborder le sujet, il ne savait même pas s'il le fallait. Il inspire Epstein, se pince les lèvres, ravale difficilement. « Avec... Ellie. » qu'il commence, à tâtons, ralentissant sa marche sans même le réaliser. « C'est ma... ma fille. Elle a 17 ans. » tu as une soeur, à lire entre les lignes. Il ignore comment elle va le prendre, et il se ronge les sangs le canadien, il en tremble.

On parle d’animaux, de tout et de rien parce qu’on ne sait certainement pas par où commencer. Il y a tellement de choses dont il faudrait qu’on parle, des tas. Des compliquées, des intimes, mais on reste à la surface pour le moment. Des conversations banales encore quelques minutes au moins. Je souris même si j’ai l’impression que tout ça n’est même pas réel. Je me perds à regarder son profil à de nombreuses reprises, je ne peux m’empêcher de chercher des similitudes entre son visage et le mien quand je nous cherche pas d’autres points communs. Est ce qu’on se ressemble ? J’aimerais tellement que ce soit la cas. Que malgré les années passées sans se connaître, on puisse savoir qu’on a toujours été lié par quelque chose. N’importe quoi. J’accepterais n’importe quel point commun, je le jure. “Et t’aimerais en avoir un nouveau ?” Je souris parce que c’est mon domaine les animaux. Il y a des tas de chiots au refuge, des chiots qu’il va voir s’il me suit vraiment jusque là-bas. Je ris vraiment quand il joue sur le chiffre des tranches de jambon. Lui aussi il a envie de faire des efforts, de voir jusqu’où on peut aller avant d’avoir les vraies conversations. Celles qui font terriblement peur. “Tu veux donc te ruiner pour ces chats.” Et je ne le juge absolument pas, parce que je serais capable de faire la même chose pour n’importe quelle boule de poil.

Je lui raconte que je travaille au refuge, que j’accueille régulièrement des animaux chez moi et je sais que je parle trop parce que tout ça me passionne, parce que je suis un peu stressée aussi. Mais je respire, je tente de le faire en tout cas. Je ne le fixe pas trop parce que ça pourrait lui paraître bizarre, et je ne veux pas qu’il pense que je suis complètement folle. Alors je joue avec mes doigts, c’est un tic quand je suis nerveuse.

Je pose une question personnelle, c’est moi qui ai fait un pas vers les conversations sérieuses. Pourquoi j’ai fait ça ? Pourquoi j’ai pas plutôt continué de parler de lait et de chat. Je le sens mal à l’aise et je m’en veux d’avoir fait une telle connerie. J’ai envie de m’excuser quand il ralentit son pas mais il répond. Je me demande si Ellie est sa femme, un membre de sa famille, et je me dis que j’ai encore des tas de choses à apprendre sur lui. Mais la dernière réponse est comme un coup de massue, c’est sa fille. Sa fille de 17 ans, plus de 10 ans ma cadette. J’ai une soeur, une demie-soeur. Mon souffle se coupe quand je le vois qu’il a eu une vie sans moi comme j’ai fait ma vie sans lui. Est ce que c’est mal de penser que j’aurais aimé être à la place d’Ellie ? Avoir le droit de grandir avec mes vrais parents. On m’en a privé et je ne peux plus revenir en arrière. Je n’ai pas le droit de lui en vouloir pour ça mais je ne contrôle pas le pincement au coeur qui blesse un peu. “Elle est comment ?” Je ne suis pas hostile, je ne partirai pas en courant. On a pas le droit de fuir là, je n’ai pas envie de le perdre. Je ne sais même pas si j’arriverai à m’imaginer loin de lui plus d’une seconde. Pourtant on va devoir se quitter à un moment ou à un autre. Mais on se reverra, je ne veux plus jamais le perdre. On a bien trop de choses à rattraper et à construire ensemble.

Il s'en veut Jack.

Il s'en voudra certainement toujours et il s'en veut encore plus maintenant quand son pas ralenti et quand sa voix s'adoucit, se rend caverneuse. Quand il rend tout si difficile et si compliqué. Il se déteste d'être à nouveau celui qui gâche tout, celui qui lui ajoute un énième voile au creux du regard de Molly, voile qui en devient bien vite celui qui l'encourage à ravaler aussi difficilement qu'il ravale lui-même. “Elle est comment ?”

Et il prend son temps Epstein. Lui qui est un homme de peu de mots, lui qui est un gars qui n'arrive jamais à trouver les bons autrement qu'en chanson, le voilà qui s'applique. Il veut dire la vérité, il la lui doit après qu'on lui ait menti si longtemps et qu'on lui ait caché un monde en entier, n'en reste qu'il veut bien le faire. Elle le mérite.

« Elle sait, pour toi. » qu'il précisera donc déjà et d'office le canadien. Il aurait pu commencer par bien des faits et tout autant d'informations essentielles, mais à ses yeux, qu'Ellie soit au courant de Molly veut dire beaucoup. Elle sait qu'elle existe, elle sait qu'elle n'est pas un secret, elle sait qu'elle n'est pas honteuse et elle sait aussi qu'elle a une place bien à elle dans la vie de Jack autant qu'elle-même en a une. « Et c'est une adolescente. Alors elle est difficile. » c'est là qu'il s'autorise un sourire en coin. Qu'il croit en avoir le droit du moins, quand il s'applique à faire une blague avec son humour de merde qui ne fait que lui donner l'air du vieux père dépassé. C'est bien ce qu'il est. Ellie est en éternelle crise d'adolescence, Ellie a du mal avec l'autorité, Ellie est exactement comme il était lorsqu'il était lui-même ado et ça lui crève le coeur de ne pas arriver à les cerner aussi bien qu'il le voudrait. Toutes les deux.

« Vous avez les mêmes yeux. » ça, c'est une similitude qu'elles partagent, Ellie et Molly. Il l'a remarqué tout de suite.

Je veux que cette journée s’arrête jamais. Je veux qu’on continue de marcher même si c’est pour faire 10 fois le tour des mêmes ruelles de Brisbane. On se rapproche du refuge et j’espère qu’il me suivra à l’intérieur quand j’aurais besoin de travailler quelques minutes au moins. Je me cale à sa vitesse, je continue de sourire, de le rassurer. Il a une autre fille, et je ne peux pas lui en vouloir pour ça. Je n’ai pas le droit d’avoir mon coeur qui se serre ou une quelconque jalousie pour la fille qu’il a eu le droit d’élever. Notre histoire est compliquée, et elle sera compliquée pour un long moment encore. J’ai tellement de chose à apprendre sur lui, et pourtant, j’ai déjà l’impression de le connaitre depuis de nombreuses années.

Elle sait pour moi, et je ne peux retenir un soupir de soulagement. Elle sait, il ne me cache pas. Je ne suis pas un secret qu’il a voulu garder toute sa vie et je trouve ça rassurant. Et maintenant, je sais pour elle aussi. “Je veux pas m’imposer tu sais, je comprendrais qu’elle ait besoin de temps, ou que même toi tu ais besoin de temps.” J’imagine qu’il a dû imaginer ce moment des centaines de fois, et s’il était déçu ? Si je n’étais pas à la hauteur de ses espérances ? Je me pose tout un tas de questions qui resteront dans ma tête et ne franchiront pas la barrière de mes lèvres. Je suis son rire, elle est une adolescente difficile. Moi je ne l’ai pas été, j’ai toujours voulu être la fille parfaite, l’exemple même de la jeune fille travailleuse qui donnait tout pour ses études.

Les même yeux que son autre fille. Et j’ai espoir que ce ne soit pas notre seul point commun. “C’est que toi aussi tu dois avoir les même alors.” C’est commun à nous trois, commun à cette famille qu’on aura peut-être l’occasion de créer. Je l’espère de tout mon coeur. Et on arrive devant le refuge dont je pousse la porte pour qu’il me suive. Mes yeux que je tourne vers lui, espérant qu’il ne parte pas tout de suite.  

Les premiers pas sont faits et mine de rien, l'un comme l'autre tente d'apprivoiser avec le plus de douceur et de calme possible une situation qui n'a rien de doux ni de calme à prime abord. Jamais il n'aurait pu croire qu'elle apparaîtrait ainsi, comme par magie, reprenant ses marques dans une vie où il aurait tant voulu tout lui dédier depuis tellement d'années.

“Je veux pas m’imposer tu sais, je comprendrais qu’elle ait besoin de temps, ou que même toi tu ais besoin de temps.” il aurait pu dire la même chose Jack, dans les mêmes mots et avec les mêmes intentions. Il aurait pu statuer exactement les mêmes phrases et les mêmes développés, quand bien même Molly prend le temps de statuer l'évidence et que lui, penaud, ne fait que resserrer son bras autour des épaules de la brune en inspirant un bon coup de courage, pour eux deux. Il aime leur proximité bien qu'il lui laisse toute la marge de manoeuvre du monde pour s'en dégager si il va trop vite, si il brûle des étapes. « On va y aller en douceur, tout va bien se passer. » il ignore, plus que jamais, qui il tente de rassurer ici le plus entre les deux.

Les yeux de l'une vont de pair avec les yeux de l'autre. “C’est que toi aussi tu dois avoir les même alors.” « Tu trouves? » qu'il se moquerait presque, l'imbécile heureux. La journée est à eux et les ressemblances avec.

Ils auront tôt fait de prendre le temps de se poser, de prendre le temps de les aligner les unes et les autres, rien de moins et rien de mieux pour poser des bases. Il a tant à apprendre d'elle, au-delà de ses yeux et de leurs mimiques similaires. Et il prendra son temps Jack, il fera les choses bien. Il le lui doit à Molly, il le lui doit de toutes ses forces.